M. Henri Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au tout ou rien, préférons la nuance…
Ce texte de nos collègues Duplomb et Menonville a le mérite de cerner un enjeu : l'évolution du métier d'agriculteur et de ses contraintes. Je comprends pleinement son fondement, à l'instar de la profession. Nos paysans s'élèvent contre la surtransposition, les accords commerciaux internationaux et la lourdeur administrative, notamment française.
À quelques semaines des élections des chambres d'agriculture, les syndicats se sont mobilisés pour faire entendre la souffrance des femmes et des hommes de la terre. En colère contre le Mercosur, étranglés par des trésoreries en difficulté après des années frappées par de mauvaises récoltes et des aléas climatiques, sanitaires et économiques, leurs attentes sont fortes.
En parallèle de la mobilisation, qui a pour enjeu la fin des contraintes, cette proposition de loi ne doit pas se transformer en tribune politique pour exacerber les clivages entre les modèles agricoles. Nous aurions beaucoup à y perdre.
Ce métier a vécu des séries de révolutions. Les agriculteurs se sont toujours adaptés. À titre personnel, j'ai vu mon grand-père, bio sans le savoir, travailler la vigne avec des chevaux ; mon père avait des tracteurs et des produits de synthèse ; je suis passé à la machine à vendanger et j'ai converti mon exploitation au bio ; enfin, mon fils gère le domaine avec une tablette et utilisera à coup sûr des robots…
L'utilisation de la chimie, au travers des phytosanitaires et engrais, a sauvé nos exploitations en diminuant le coût de production, ce qui a permis de dégager un revenu. Mais à quel prix ? Celui de la dépendance envers l'industrie, sans oublier le coût écologique et de santé publique dont nous n'avions pas conscience avec l'éradication, par exemple, de beaucoup d'insectes et d'oiseaux, l'appauvrissement des sols en matière organique et l'apparition de maladies souvent mortelles pour nos agriculteurs.
De l'histoire, puisons le bon. L'agriculture a su évoluer, avec la haute valeur environnementale et les agricultures raisonnée et bio, aux côtés d'une agriculture conventionnelle, qui s'est adaptée aux objectifs environnementaux. Nous pouvons atteindre une agriculture plurielle répondant aux différents enjeux économiques, environnementaux et de santé publique, qui doivent rester équilibrés.
Pourquoi opposer des modèles ? Pourquoi s'imposer des œillères ? Nous n'allons pas revenir aux chevaux de trait ! Nous avons su diminuer les contraintes physiques inhérentes à ce métier, nous pourrons nous entendre pour supprimer ce qui fragilise encore le travail de nos agriculteurs : la lourdeur administrative et surtout l'iniquité d'une concurrence déloyale.
Nous considérons toutefois, au sein du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, qu'il ne faut pas franchir certaines limites : retirer à l'Anses son avis conforme pour le confier à un ministre en est une. Il est heureux que la commission ait fortement remanié le texte sur ce point : désormais, c'est le directeur de l'Anses qui pourra décider de déléguer son avis. C'est un soulagement, car se priver des scientifiques et de leur savoir se fait toujours au détriment de l'expertise et peut s'avérer très dangereux.
Les thèses contre le réchauffement climatique ne sont pas sans conséquence aux États-Unis, il n'est qu'à regarder les décisions politiques du nouveau président dès son premier jour au pouvoir. Si chacun peut décider de ce qui est bon ou mauvais, comment décide-t-on ? Selon ses seules convictions ? L'enjeu économique ne justifie de jouer aux apprentis sorciers.
Pour les néonicotinoïdes, n'ayons pas peur du débat. Ils ne doivent pas être le sujet qui fâche : nous pourrions nous entendre sur des interdictions ciblées, lorsque les produits de substitution n'existent pas. Dans ce cas, et uniquement dans ce cas, des dérogations limitées dans le temps pourraient exister.
On peut comprendre aisément que, sans solution de remplacement, des productions et des filières entières risquent de disparaître. Cela fragilise encore notre agriculture, réduit le nombre d'agriculteurs et favorise la commercialisation en France de légumes, de fruits et de viandes traités avec des produits interdits. L'objectif initial, celui de protéger de la santé, n'est alors pas atteint.
Cependant, réintégrer les néonicotinoïdes serait un grand pas en arrière. Mon groupe a déposé un amendement visant à s'y opposer.
Mon département de l'Hérault figure parmi les cinq premiers au palmarès, peu glorieux, de l'exposition aux pesticides, dixit l'ONG Générations futures, qui relève un paradoxe : « avec la Gironde, le Gard, l'Hérault et l'Aude sont les quatre départements qui utilisent le plus de substances autorisées en agriculture biologique ». Or, dans l'Hérault, les quantités de glyphosate utilisé ont diminué de 40 % entre 2015 et 2023.
C'est pourquoi nous ne devons pas nous opposer les uns aux autres. Il faut sensibiliser, expliquer aux agriculteurs et aux consommateurs l'usage des traitements, leur utilité et leurs conséquences. Si nous voulons une agriculture raisonnée, mes chers collègues, soyons des parlementaires raisonnables. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. le rapporteur et M. Pierre Médevielle applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. Patrick Chauvet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi importante pour l'avenir de notre agriculture, un secteur que nous savons en crise et confronté à des défis historiques.
Les réglementations françaises, souvent excessivement contraignantes et parfois mal adaptées à la réalité du terrain, aggravent ces difficultés. Ce texte ne doit rien au hasard : il s'inscrit dans le contexte particulier d'une agriculture en souffrance et résulte de nombreux travaux menés par le Sénat au cours des dernières années.
Dès 2022, la commission des affaires économiques alertait sur la perte de compétitivité de notre agriculture par rapport à nos voisins européens. Les surtranspositions et la surrèglementation françaises sont alors identifiées parmi les freins au développement de nos filières agricoles. Cette situation préoccupante s'est aggravée au fil du temps, comme en témoigne la diminution de l'excédent commercial alimentaire de la France, qui est passé de 12 milliards d'euros à 5,3 milliards entre 2011 et 2023. Nos agriculteurs, souvent épuisés par la charge administrative, ont encore à subir des normes lourdes et inadaptées.
C'est dans ce contexte que le mouvement de contestation a émergé, début 2024. Pour autant, il s'agit non pas d'une proposition de loi présentée sous le coup de l'émotion, mais d'un aboutissement législatif mûrement réfléchi, à la suite d'un diagnostic lucide qui appelle désormais à des actions concrètes.
La commission des affaires économiques a mis en évidence, à plusieurs reprises, la nécessité de simplifier les démarches administratives et de restaurer la compétitivité de notre agriculture. La proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, adoptée en 2023, qui tend à lever de premiers obstacles réglementaires, y contribue.
De même, les travaux de notre commission sur le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture, entamés depuis bientôt un an, aboutiront dans quelques jours. Cette proposition de loi, en apportant des réponses concrètes aux difficultés rencontrées quotidiennement par nos agriculteurs, complète le texte gouvernemental, qui définit une programmation sur dix ans.
Je tiens à souligner certains éléments clefs de la proposition de loi. Ainsi, l'article 3, qui révise la réglementation ICPE, est particulièrement significatif. Les seuils actuels créent des désincitations administratives, ce qui freine le développement de l'élevage en France et crée des contraintes supplémentaires pour la création ou l'extension des exploitations. Ce texte tend à aligner la réglementation française sur les exigences européennes, rien de plus.
L'article 5, qui a pour objet de faciliter la gestion de la ressource en eau, répond également à une nécessité. L'agriculture doit bénéficier de l'irrigation sans être freinée par une législation déconnectée des réalités du terrain. La France ne peut se permettre une incertitude sur la gestion de l'eau, que les agriculteurs considèrent comme la plus précieuse des ressources.
Ainsi, cette proposition de loi est le fruit de plusieurs années de réflexion. Elle regroupe un ensemble de propositions concrètes tendant à lever les entraves agricoles, améliorer la compétitivité de la ferme France et répondre à des besoins urgents.
Mes chers collègues, cette proposition de loi est une évolution, non une révolution. Elle vise à lever des obstacles bien identifiés et à redonner des marges de manœuvre à nos agriculteurs, afin qu'ils puissent rivaliser sur un pied d'égalité avec leurs voisins européens et mondiaux. Elle repose sur les travaux législatifs de notre chambre et complète utilement le projet de loi agricole du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, s'il est vrai que l'agriculture ne fait pas toute la ruralité, il n'est pas moins vrai qu'il n'y a pas de ruralité vivante sans agriculteurs. Dès lors, l'agriculture représente un double enjeu pour le Sénat et il importe de se poser la question de sa pérennité et de son développement durable. Or telle n'est pas l'ambition de cette proposition de loi, qui s'attaque aux normes.
Si l'on peut discuter et critiquer les excès de paperasserie et de bureaucratie, on peut assurément simplifier sans aggraver les précarités et les insécurités ni sacrifier la vie sur notre planète.
Certaines des diatribes contre les normes entendues aujourd'hui ont un tout autre objet, comme l'ont révélé voilà peu les déclarations d'une personnalité rapidement devenue très célèbre aux États-Unis. Garantir une totale liberté du capital contre le travail et la nature : tel est bien l'objectif visé.
Chez nous, en France, nous avons également assisté à une forme de détournement de la colère paysanne et de la revendication d'un prix garanti à la production, qui demeure essentielle. Nous avons quitté ce terrain pour porter au cœur des villes, sur les fourches à fumier des tracteurs, des mots d'ordre contre les normes.
Dans un gigantesque tête-à-queue confusionniste, ces organisations ont récemment coordonné de petits commandos qui se sont attaqués tantôt à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), tantôt à l'OFB et même aux locaux départementaux de la Mutualité sociale agricole (MSA), qui est pourtant la sécurité sociale des paysans.
Dans mon département des Côtes-d'Armor, nous avons la fierté d'accueillir un grand campus de recherche qui regroupe, sur le Zoopôle de Saint-Brieuc–Ploufragan, près de 1 000 chercheurs et scientifiques, ce qui en fait vraisemblablement le plus grand campus de connaissances d'Europe. Et tout ce monde coopère et partage de l'information : Anses, direction des services vétérinaires (DSV), Innôzh, Labocéa, station de recherche sur les pathologies animales… Ces laboratoires produisent des études, mettent au point des vaccins, formulent des préconisations de méthode… Ils ne sont donc pas un problème pour notre agriculture ; au contraire, ils trouvent généralement des solutions aux problèmes et pathologies multiples auxquels nous sommes confrontés. Je les salue.
Quand je vois que cette proposition de loi s'attaque frontalement à l'Anses, je suis quelque peu consterné. Il est totalement anachronique de vouloir placer sous tutelle ministérielle les avis scientifiques de cette agence. C'est comme si l'on plaçait l'ordonnance ou la prescription du médecin sous la tutelle du ministre de la santé. Pourquoi ne pas lui demander aussi de se substituer au chirurgien en salle d'opération ? En outre, une telle mise sous tutelle ne renforcera pas notre crédibilité commerciale à l'export.
Soyons sérieux ! Selon l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), une littérature scientifique assez abondante établit un lien entre les pesticides et six maladies graves, dont certains cancers. Nous avons ainsi besoin d'une autorité scientifique indépendante, apte à objectiver les situations et à apprécier les risques et habilitée à homologuer les produits.
L'heure n'est donc pas à l'anéantissement de toutes les régulations à la tronçonneuse, outil fétiche d'un certain Milei, en Argentine. Ce dernier se targuait voilà peu de sa capacité à effacer toutes les normes et préconisations…
Cette proposition de loi est, à nos yeux, un retour au passé. Elle ne réglera pas le problème du cheptel breton, qui a perdu 120 vaches par jour au cours de l'année écoulée. Elle ne répondra pas non plus aux difficultés des filières de la volaille et du porc, qui ont enregistré, depuis 2021, une baisse respective de 10 % et de 8 % de leur production.
Au recours à la tronçonneuse, nous préférons le bien commun, parce qu'il y va aussi de la survie de l'humanité. Telles sont les raisons qui nous conduisent à nous opposer à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chers Laurent Duplomb et Franck Menonville, je vais assurément vous surprendre : je suis d'accord avec vous !
Oui, l'agriculture et le monde paysan vont mal : on comptait 10 millions d'actifs en 1945, il y en a à peine 500 000 aujourd'hui ; les revenus sont insuffisants, et très inégaux ; l'endettement ne cesse de s'accroître, comme la dépendance aux produits chimiques ; le secteur subit une concurrence déloyale, orchestrée par les traités de libre-échange ; les exploitations grossissent au détriment de la vitalité de nos communes rurales ; notre agriculture souffre d'une incapacité à s'adapter et se protéger face aux changements climatiques et aux crises sanitaires qui se succèdent, et j'en passe !
En quelques décennies, nous avons rendu notre agriculture paysanne et locale dépendante d'autres puissances, des marchés financiers, de la crise énergétique. De perte de repères en perte de sens, nous nous sommes perdus.
Tel est le bilan de soixante-dix ans de politique agricole au service de la productivité coûte que coûte, de l'agrobusiness, des firmes agrochimiques, des banques, des spéculateurs, mais certainement pas au service des paysans, de la terre, de l'eau et de ce qui nous fait vivre.
Tel est le bilan d'orientations dictées depuis toutes ces années par le syndicat majoritaire, plus attaché à développer les biocarburants et l'exportation bas de gamme qu'à répondre au mal-être et à la détresse des agriculteurs. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues Duplomb et Menonville, je vais encore vous étonner, mais je partage autre chose avec vous, ou plutôt je pensais le partager : le bon sens paysan, c'est-à-dire à la fois l'humilité face à la nature, le respect de la terre et du vivant, l'exigence et le rapport au terroir. Travailler la terre, ce n'est pas rien. Faire du bon, valoriser une activité qui a du sens, en lien avec le pays, voilà ce qui devrait être notre boussole.
Permettez-moi de vous dire, chers collègues Duplomb et Menonville, qu'avec ce texte caricatural, loin du bon sens paysan, vous vous transformez en docteurs Folamour de l'agriculture. (Mêmes mouvements.)
Pourquoi vous en prendre à ce point à la terre, à l'eau, au vivant, à l'essence même du métier de paysan ? Ce texte mériterait d'être dénoncé à la Cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole (cellule Déméter) pour agri-bashing et mise en danger de la vie d'autrui ! (Marques de protestations sur le banc des commissions.)
Hier, vous vous attaquiez à 61 200 fermes en bio, pour 2,76 millions d'hectares, en proposant, et en obtenant, avec l'aval de la ministre, la suppression de l'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique (Agence Bio). Encore un contresens et une insulte à des milliers de paysans ; même la FNSEA ne vous suit pas sur ce chemin.
Considérez-vous vraiment que c'est rendre service aux agriculteurs que de réautoriser les promotions sur les pesticides et d'affaiblir l'Anses ? Combien de temps allez-vous faire perdurer ce mensonge sur la dangerosité des pesticides ? Combien de temps assumerez-vous d'exposer les agriculteurs aux cancers de la prostate, à Parkinson, à l'infertilité et à d'innombrables maladies ?
Le fonds d'indemnisation des victimes des pesticides traite plusieurs centaines de dossiers par an. Ces images terribles d'agriculteurs découvrant chez le médecin que leur métier les empoisonne ne nous touchent-elles donc pas ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mes chers collègues, pourquoi vous en prendre à ce point aux apiculteurs en réautorisant des néonicotinoïdes – trois substances, et non une seule, comme je l'ai entendu. L'Union nationale de l'apiculture française (Unaf) vous interpelle directement : soutenir ce texte, c'est porter un coup à l'apiculture française. Ces professionnels, qui ont de plus en plus de difficultés à subsister économiquement, seront grandement affectés par une telle mesure. Pourtant, l'apport de l'apiculture à l'agriculture représente jusqu'à 5 milliards d'euros pour les seuls services de pollinisation.
Mes chers collègues, pensez-vous sincèrement qu'en autorisant l'épandage par drone, vous rendez service aux agriculteurs ? Pensez-vous les aider en aggravant leur dépendance à des technologies onéreuses à l'efficacité non démontrée et en creusant leur endettement ?
Mes chers collègues, pensez-vous vraiment aider les paysans en favorisant l'effondrement de la biodiversité, l'empoisonnement et l'accaparement de l'eau ? Dans un monde où l'eau potable se raréfie, où les sécheresses se multiplient, considérez-vous sérieusement que nous devons, que nous pouvons, continuer à la gaspiller davantage ?
Madame la ministre, à quoi va donc servir la conférence sur l'eau promise par le Premier ministre si cette proposition de loi confiscatoire est adoptée dans cette rédaction ?
Mes chers collègues, pensez-vous aider les paysans en détruisant toute la démocratie environnementale et ce qu'il reste de concertation et de consultation du public, préalable à l'installation de la plupart des activités économiques qui emportent inévitablement des conséquences sur nos territoires et sur nos lieux de vie ?
Il est encore temps de faire appel à votre bon sens paysan, à celui qui écoute la nature, son évolution, qui sait s'adapter, ce bon sens qui a permis à l'agriculture de traverser des millénaires en conservant une terre fertile, que nous venons de mettre à mal en quelques décennies.
Il est encore temps de renouer avec la logique de René Dumont, qui disait : « Regardez bien votre vache, c'est un animal extraordinaire ; elle a une barre de coupe à l'avant, et un épandeur à l'arrière. Si vous flanquez cet animal dans le milieu d'un pré, elle fait le travail toute seule. »
Mes chers collègues, revenez au bon sens ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinerons dans quelques jours le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture, mais il s'agit d'une fusée à deux étages, dont le premier est la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui et qui vise à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur.
Avant d'aborder le fond du débat, je tiens à souligner que la méthode du Gouvernement, consistant à déposer une quinzaine de nouveaux amendements deux heures avant l'examen en séance, relève d'une pratique vivement antidémocratique. Je suis désolé de vous le dire aussi directement, madame la ministre, mais cela n'est pas une bonne manière de travailler, surtout sur une proposition de loi, par définition dénuée d'étude d'impact.
Mme Annie Genevard, ministre. Vous avez raison et je m'en excuse !
M. Jean-Claude Tissot. L'intitulé initial de ce texte, « proposition de loi visant à libérer la production agricole des entraves normatives », traduisait, à mon sens, plus fidèlement les intentions de ses auteurs.
Celui-ci se veut une réponse au malaise des agriculteurs. Certes, personne ne peut nier la crise structurelle que traverse l'agriculture française. Oui, nombreux sont les paysans qui ne parviennent pas à vivre de leur travail ; oui, la mondialisation déloyale fragilise plusieurs de nos filières ; mais non, la bonne réponse au malaise agricole n'est pas l'assouplissement des règles encadrant l'usage des pesticides, non plus que la remise en cause des autorités environnementales ou la normalisation des mégabassines.
Simplifier, oui, mais sans renier nos engagements environnementaux ni compromettre la santé humaine.
En prétendant simplifier les normes en matière de pesticides, ce texte met directement en danger la santé des paysans, qui sont bien les premières victimes de ces produits phytosanitaires. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont les faits : les actifs agricoles régulièrement exposés aux pesticides présentent des risques accrus de développer la maladie de Parkinson, reconnue comme maladie professionnelle par la Mutualité sociale agricole.
Le constat est identique concernant le cancer de la prostate, les lymphomes ou la surincidence de cancers pédiatriques récemment démontrée près de La Rochelle. Combien de temps continuerons-nous de rendre les paysans malades de leur travail ?
Réintroduire des produits phytosanitaires met également en jeu la santé des consommateurs via l'alimentation. Sommes-nous prêts à mettre en danger nos concitoyens, au nom de la rentabilité économique ?
À l'heure de nous prononcer sur ce texte, remémorons-nous les termes de la Charte de l'environnement de 2004. Son préambule dispose que « les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ». Les auteurs de cette proposition de loi ne semblent pas avoir pleinement saisi la portée de nos devoirs envers les générations futures.
Les néonicotinoïdes sont des tueurs d'abeilles, nous le savons depuis longtemps. Ces substances pourraient aussi contribuer à la disparition d'autres espèces, comme les oiseaux, selon une étude néerlandaise récente – cela n'étonnerait personne. Persistant dans les sols, susceptibles de migrer vers les milieux aquatiques, ils menacent l'ensemble de la biodiversité.
Mme Anne-Sophie Romagny. Vraiment ?
M. Jean-Claude Tissot. C'est vrai ! Les réautoriser en 2025 relève du non-sens, cela frise l'obscurantisme. Combien de temps nierons-nous la science ? (M. Vincent Louault s'exclame.)
Ce prétendu « choc de simplification » entérine un modèle agricole chimiquement intensif. Or ce qui était audible il y a soixante ans ne l'est plus aujourd'hui. Nous ignorions alors les effets des produits phytosanitaires, j'en ai été témoin : c'était pratique, il suffisait de faire confiance !
Ce modèle a vécu : l'utilisation massive des pesticides a conduit une génération entière de paysans à développer des maladies ; elle a aussi durablement contaminé les sols. Le consensus scientifique est clair : l'agriculture chimique doit disparaître au profit d'une agroécologie raisonnée, tout en permettant de maintenir notre souveraineté alimentaire.
Cessons de laisser croire aux agriculteurs que leurs difficultés sont imputables aux normes environnementales, alors que c'est la dérive droitière néolibérale des trente dernières années qui a précipité les paysans dans l'ornière. Le combat contre l'accord avec le Mercosur, qui nous a largement rassemblés, en témoigne. Nous ne voulons pas davantage de dérégulation, mais justice et protection pour nos producteurs.
Soyons-en persuadés, il existe un autre chemin pour accompagner les filières que celui de la régression environnementale et sanitaire. J'entends les inquiétudes légitimes de certaines d'entre elles, à l'heure de se détacher des produits phytosanitaires. C'est pourquoi il convient de les accompagner en déployant des alternatives viables.
Encore faut-il pour cela doter l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, chef de file de la recherche, des moyens nécessaires et s'assurer que l'Anses conserve son indépendance.
Avant tout, il est primordial de garantir un revenu agricole digne. Sans avancer sur ce point, nous ne pourrons pas aider les agriculteurs ; or ce texte n'en dit pas un mot.
Vous l'aurez compris, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s'opposera fermement à cette proposition de loi et défendra la suppression de cinq de ses six articles. Ce texte incarne un contresens historique et l'expression la plus sincère d'un populisme rétrograde en rupture totale avec la transition écologique. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous le savons aujourd'hui : loin d'être un simple texte technique, la présente proposition de loi est un texte d'urgence.
Parmi les nombreuses crises qui traversent notre pays, celle de l'agriculture en 2024 a profondément marqué les Français. Une mobilisation unique, largement soutenue par nos concitoyens, a enflammé les territoires et inquiété des gouvernants trop longtemps restés sourds au malaise du monde agricole.
Comment expliquer que, en France, puissance agricole historique, capable pendant des siècles de nourrir une population toujours croissante par ses propres ressources, des centaines d'agriculteurs mettent fin à leurs jours chaque année ? Comment tolérer que des contraintes administratives absurdes, des importations dérégulées et des normes excessives menacent aujourd'hui la pérennité même de notre agriculture ?
Pourtant, tandis que l'on accable nos agriculteurs de surtranspositions et de réglementations disproportionnées, les responsables politiques n'hésitent pas à signer en toute discrétion des traités comme l'accord avec le Mercosur, démontrant, s'il en était encore besoin, combien notre pays manque de poids et de crédibilité et combien notre majorité est relative dans cette Europe trop heureuse de sacrifier l'agriculture française pour vendre quelques voitures allemandes.
Néanmoins, ce que la politique a défait, nous avons ici le pouvoir de le refaire. Les attentes de nos agriculteurs sont simples et légitimes : vivre dignement de leur travail, être protégés d'une concurrence internationale déloyale et voir lever les lourdeurs bureaucratiques qui entravent leur activité.
Faciliter la vie de nos agriculteurs, tel est le mérite de cette proposition de loi.
Par exemple, nous approuvons l'article 1er, qui abroge l'interdiction en France des remises, rabais et ristournes sur les produits phytosanitaires, alors que les Espagnols ou les Allemands, nos premiers concurrents, peuvent négocier le prix de leurs produits. Cette mesure rendra de la compétitivité à nos agriculteurs en leur permettant de négocier les prix, à l'égal de leurs concurrents directs.
L'article 2, revenant sur une surtransposition, autorisera, dans des limites strictes, l'usage d'aéronefs sans pilote pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques. Entre l'urgence économique du monde agricole et l'inquiétude écologique d'une partie de nos concitoyens, il est à l'honneur des auteurs de ce texte d'avoir su nous soumettre une rédaction équilibrée.
Cette proposition de loi constitue une première étape. Il faut mettre fin à toutes les surtranspositions de normes européennes, réduire les charges administratives et fiscales inutiles et garantir des revenus dignes à ceux qui travaillent sans relâche pour nourrir nos concitoyens.
Ce sera tout l'objet du projet de loi d'orientation agricole, dont le Sénat se saisira dans les prochaines semaines.
Néanmoins, nous devons également financer la recherche de solutions de remplacement pour assurer la vigilance sanitaire nécessaire à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques et aboutir, à terme, à une production sûre pour nos agriculteurs, tout en protégeant la santé publique et l'environnement. Nous restons convaincus qu'aucun paysan ne pollue par plaisir.
Victor Hugo disait : « Vous voulez la paix : créez la prospérité. » Il nous appartient aujourd'hui d'adopter cette proposition de loi pour pacifier la vie de nos agriculteurs. (M. Aymeric Durox applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
M. Vincent Louault. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis bien longtemps, le Sénat, par la voix de la commission des affaires économiques, a alerté sur la perte de compétitivité de l'agriculture française. Le travail de nos agriculteurs nourrit l'excellence de nos filières agroalimentaires, mais les boulets sont trop nombreux et sapent leur compétitivité.
Les politiques climatiques engagées par l'Union européenne sont légitimes et ambitieuses au regard des enjeux, mais elles ne doivent pas induire une séparation entre les producteurs et les 450 millions de consommateurs.