M. Vincent Louault, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous poursuivons notre marathon législatif agricole pour discuter d’une proposition de loi qui est nettement plus circonscrite que le projet de loi d’orientation, mais qui est tout à fait utile.
Cette proposition de loi relative à l’exercice de la démocratie agricole vise non pas à apporter des réponses de fond à certaines problématiques bien connues du monde agricole, mais plutôt à répondre à l’urgence. Déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale par Nicole Le Peih, députée morbihannaise du groupe Ensemble pour la République, elle a été travaillée, si mes informations sont exactes, en lien étroit avec le ministère.
Par lettre rectificative du Gouvernement, ce texte a été inscrit à l’ordre du jour dans des délais extrêmement serrés, presque inédits hors temps de crise, avec un examen en commission le 29 janvier et ce jour en séance publique. Vous le voyez donc, madame la ministre, quand on veut aller vite, on peut le faire…
M. Laurent Duplomb. C’est vrai !
M. Vincent Louault, rapporteur. Je le disais à l’instant, ce texte est un texte d’urgence.
Cette urgence provient de l’imminence de la mise en place des bureaux des chambres d’agriculture : les élections, qui ont lieu tous les six ans, sont à peine achevées – les résultats seront proclamés aujourd’hui –, et il faudra reconstituer les bureaux des chambres au plus tard un mois après, c’est-à-dire le 5 mars prochain.
Or la séparation de la vente et du conseil en matière de produits phytosanitaires – je ne m’attarde pas sur ce sujet, car nous en avons longuement débattu en séance publique dans le cadre de l’examen de la proposition de loi de Laurent Duplomb et Franck Menonville – interdit aux associés des coopératives ayant conservé l’activité de vente d’accéder aux instances dirigeantes des chambres, dans la mesure où ces dernières réalisent des activités de conseil aux agriculteurs – c’est même, j’ose le dire, leur raison d’être !
Dans les faits, cette incompatibilité exclut un large vivier d’agriculteurs engagés qui font vivre notre démocratie agricole et risque de les priver de représentation dans les chambres d’agriculture.
Nous avons, au Sénat, alerté de longue date sur l’impasse dans laquelle tout cela allait nous plonger et sur le besoin d’aménager la séparation de la vente et du conseil. Les chambres d’agriculture n’ont d’ailleurs pas manqué de nous faire remonter cette question, notamment lors de l’audition de leurs représentants en février 2024 devant la commission des affaires économiques.
Dans la précipitation, le texte que nous examinons se contente, à l’article 1er, de lever l’incompatibilité sans revenir sur la séparation vente-conseil en elle-même. Autrement dit, c’est un aménagement minimaliste, qui plus est avec l’instauration d’une règle de déport s’agissant des travaux et délibérations concernant l’activité de conseil. Chacun le constatera, l’ambition est très éloignée de ce que le Sénat a voté il y a peu dans le cadre de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur…
Pour autant, il va de soi que cet article 1er est nécessaire pour éviter une situation de blocage. Il est nécessaire, mais loin d’être suffisant. La Coopération agricole l’a d’ailleurs redit elle-même publiquement. Il serait dommage de s’arrêter en si bon chemin.
Pour le reste, le texte initial contenait trois articles, les deux autres portant sur divers aménagements des élections à la mutualité sociale agricole : l’article 2 tend à supprimer la condition d’être à jour de ses cotisations, qui était bloquante pour participer aux élections, et précise la délimitation de la circonscription de la métropole de Lyon ; l’article 3 tend à réaligner les dates auxquelles auront lieu ces élections, car le covid-19 a tout désorganisé.
Autant de mesures techniques, sur lesquelles nous n’avions pas d’objections.
Le Gouvernement avait initialement exprimé son souhait que le Sénat adopte ce texte dans les mêmes termes qu’à l’Assemblée nationale, afin de gagner du temps et d’éviter une nouvelle lecture ou tout du moins une commission mixte paritaire. Nous souscrivions à cette intention.
Seulement, cinq nouveaux articles ont été ajoutés à l’Assemblée nationale, dont un en particulier nous semblait bloquant. Notre commission a donc adopté un amendement de suppression de notre collègue Franck Menonville. En effet, l’article 1er ter, qui a fait l’objet de cet amendement, était une demande de rapport sur l’opportunité d’adopter un mode de scrutin à la proportionnelle intégrale pour les élections aux chambres d’agriculture.
Si nous sommes, au Sénat, plutôt réservés sur les demandes de rapport, celle-ci se révélait particulièrement inopportune.
Aussi, c’est d’un texte expurgé de cette demande de rapport que nous allons discuter ce jour, ce qui devrait conduire le Gouvernement à réunir une commission mixte paritaire dès lundi prochain.
En la matière, j’ai toute confiance dans le Gouvernement pour aider les parlementaires que nous sommes à respecter l’échéance d’une promulgation au Journal officiel avant le 5 mars prochain, d’autant plus qu’au-delà de ce désaccord, somme toute mineur, ce texte est largement transpartisan, comme en témoignage d’ailleurs le nombre réduit d’amendements dont nous nous apprêtons à débattre.
Certaines mesures ajoutées à l’Assemblée nationale ont, du reste, renforcé la pertinence et l’urgence du texte. Je pense en particulier à l’amendement que Mme Le Peih a déposé afin de reporter les élections des chambres d’agriculture à Mayotte, créant l’article 1er bis B.
Cette disposition avait été jugée irrecevable dans le cadre de l’examen du projet de loi d’urgence pour Mayotte, et nous devions donc lui trouver un véhicule législatif adapté. Cette proposition de loi sur la démocratie agricole le permet, qui confirme le caractère d’urgence de ce texte, en attendant des réformes plus substantielles.
Songeons que, à Mayotte, et pour ne parler que du secteur agricole, 90 % de la production maraîchère et fruitière a été détruite, que l’élevage a été durement touché et que l’essentiel des bâtiments est endommagé ou détruit.
Dans ce contexte terrible pour le département, il paraît très difficile d’envisager la bonne tenue des élections de la chambre d’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture suivant le calendrier électoral initial. La démocratie agricole doit pouvoir s’exprimer dans des conditions minimales de sérénité, qui ne sont malheureusement pas remplies actuellement. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte ne modifiera en rien la gouvernance des chambres d’agriculture, car on ne change pas les règles du jeu pendant le dépouillement d’un scrutin.
Ce texte n’a pas non plus pour objet de trancher le débat de fond sur la séparation entre la vente et le conseil en matière de produits phytosanitaires. Non ! Il prévoit simplement de faciliter le déroulement des prochaines élections au sein des chambres d’agriculture et de la mutualité sociale agricole, en apportant une solution aux problèmes soulevés par ces deux scrutins.
Cette initiative est bienvenue et nécessaire, car certaines chambres d’agriculture font face à un risque sérieux de manquer de candidats dans certains territoires, en raison de l’impossibilité de cumuler un mandat de président ou de membre du bureau d’une chambre d’agriculture et une fonction exécutive à la tête d’une entité chargée de la vente de produits phytopharmaceutiques.
Encore une fois, ce choix illustre à la perfection notre méthode politique, qui consiste trop souvent à proposer des textes que nous examinons sans évaluer les effets qu’ils produiront réellement.
Le dispositif que nous avions adopté n’a pas fonctionné, car nous n’avions pas anticipé le fait que la grande majorité des coopératives agricoles se spécialiseraient dans la vente et la distribution de produits phytopharmaceutiques. De leur côté, les chambres d’agriculture se sont logiquement tournées en grande majorité vers l’activité de conseil.
Il résulte de ces choix l’impossibilité, pour la quasi-intégralité des présidents et des administrateurs de coopératives, d’être élus président ou membre du bureau d’une chambre d’agriculture.
D’après Chambres d’agriculture France, la part des personnes concernées par un cumul se situerait entre 15 % et 20 %, mais ce taux s’élèverait à plus de 25 % dans certaines chambres et atteindrait 40 % dans trois d’entre elles : dans les départements de l’Aisne, de l’Eure et de la Moselle.
L’implication des coopératives dans les bureaux des chambres leur permet d’avoir une vision partagée sur la transmission des bonnes pratiques et, surtout, sur la diffusion des nouvelles technologies. Leur absence pourrait donc être préjudiciable au développement de certaines expertises.
C’est pourquoi le maintien de la règle du déport, obligatoire depuis le 1er janvier 2021 dans les chambres d’agriculture, est indispensable pour lutter contre les conflits d’intérêts et les prévenir.
Néanmoins, malgré l’intérêt que je porte à cette proposition de loi, je regrette que les enjeux de pluralisme et de représentativité n’y soient pas évoqués, au motif, certes, que les élections se déroulent actuellement.
J’espère que nous pourrons travailler sur ces sujets une fois que cette échéance sera passée, notamment en introduisant un scrutin à la proportionnelle. La Cour des comptes appelle d’ailleurs, dans son rapport public de 2021, à une refonte du mode d’élection, afin de favoriser la pluralité syndicale.
Rappelons à cet égard que, depuis 2019, quatre-vingt-dix-sept chambres d’agriculture sur les cent deux existantes sont dirigées par la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, et ses alliés, qui n’ont pourtant obtenu que 55 % des voix du collège des exploitants agricoles.
Malgré ces réserves, le groupe du RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Lise Housseau.
Mme Marie-Lise Housseau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, bien qu’elle soit essentiellement technique, cette proposition de loi met tout de même en lumière des problématiques sous-jacentes aux revendications et aux préoccupations du monde agricole.
Elle s’inscrit aussi dans une longue série de textes consacrés au secteur agricole, série qui nous oblige à faire preuve de cohérence et à ne pas rendre encore moins lisibles des situations parfois déjà bien complexes.
Concrètement, ce texte sur la démocratie agricole prolonge l’aménagement de la séparation entre les activités de conseil et de vente que nous avons adoptée ici même voilà quelques jours.
Cette mesure, qui vise à pérenniser une situation transitoire depuis 2019, répond aux inquiétudes du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), notamment, qui soulignait en 2023 que cette interdiction de cumul posait des « problèmes techniques et juridiques [pouvant] constituer de véritables points de blocages ».
Dans un souci de cohérence et de transparence, les députés ont exigé en contrepartie l’instauration d’une règle de déport, afin d’empêcher les administrateurs membres des exécutifs des chambres d’agriculture de participer aux travaux et aux délibérations relatifs à l’activité de conseil en matière d’utilisation de produits phytopharmaceutiques.
Les députés ont par ailleurs introduit dans le texte le report d’un an des élections à la chambre d’agriculture de Mayotte. Ce report est parfaitement compréhensible et légitime, eu égard aux circonstances sociales et économiques que connaît l’archipel depuis qu’il a été frappé par le cyclone Chido.
La commission des affaires économiques a supprimé, à juste titre, l’article qui prévoyait la demande d’un rapport sur l’opportunité d’adopter un mode de scrutin à la proportionnelle intégrale pour les élections aux chambres d’agriculture. Il n’en demeure pas moins qu’une réflexion sereine et apaisée sur la juste représentativité des chambres d’agriculture aurait tout son sens dans la perspective des élections de 2030.
Revenons à cette proposition de loi, qui prévoit également de simplifier les modalités de participation des exploitants agricoles aux élections des délégués et des administrateurs de la MSA.
Il est proposé d’améliorer la représentativité de cette instance en prenant en compte les votes des exploitants qui ne seraient pas à jour de leur cotisation. Cette mesure bienvenue témoigne malheureusement des difficultés de notre tissu agricole. Il aurait été injuste que les exploitants les plus fragiles ne puissent élire leurs représentants dans ces instances.
Enfin, le texte permet également d’harmoniser les dates des élections des différentes caisses de la MSA, dont le décalage n’était que la conséquence de la crise sanitaire de la covid-19.
Par ailleurs, les députés ont instauré la parité dans les listes électorales pour le deuxième collège, celui des salariés, pour les prochaines élections de la MSA, en 2030. J’espère qu’une évolution semblable du premier collège, celui des exploitants, sera possible dans un très proche avenir. Elle est souhaitable et logique.
En définitive, cette proposition de loi est un alliage d’ajustements techniques nécessaires, de mesures permettant une meilleure représentativité au sein des instances de gouvernance du monde agricole et de dispositifs s’inscrivant dans le long travail législatif amorcé depuis plusieurs semaines à vos côtés, madame la ministre, pour répondre aux attentes et aux besoins des agriculteurs.
Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Bernard Buis applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 22 janvier dernier, l’Assemblée nationale adoptait cette proposition de loi en première lecture.
Les élections des membres des chambres d’agriculture, qui précèdent l’élection des bureaux et de la présidence de chaque chambre, viennent de se dérouler. Jusqu’à présent, les dispositions de la loi Égalim de 2018 rendaient compliquée la désignation du bureau des chambres, désignation qui doit intervenir d’ici à la fin du mois.
En effet, cette loi impose une séparation entre les instances qui exercent une mission de conseil et celles qui exercent une mission de vente de produits phytopharmaceutiques. Cette disposition exclut de fait les coopératives agricoles, dont les représentants sont pourtant, en règle générale, issus du monde agricole. Ces personnes seraient donc exclues des bureaux des chambres d’agriculture et du conseil d’administration de Chambres d’agriculture France.
Aussi, la présente proposition de loi prévoit de permettre aux administrateurs de coopératives agricoles de participer aux bureaux des chambres d’agriculture. Cette possibilité leur sera ouverte à la condition qu’ils prennent l’engagement de ne pas prendre part aux discussions portant sur l’activité de conseil. Les premiers vice-présidents des chambres d’agriculture de région dépourvues de chambre territoriale pourraient entrer dans la composition de Chambres d’agriculture France.
La proposition de loi renforce aussi les obligations de publicité des travaux des chambres d’agriculture.
Le texte instaure l’obligation pour le Gouvernement de remettre au Parlement un rapport évaluant, d’une part, l’opportunité d’adapter les règles d’élection des représentants des chambres d’agriculture en réduisant progressivement la prime majoritaire attribuée à la liste arrivée en tête et, d’autre part, de procéder à un décompte des voix à l’échelle du canton.
La proposition de loi prévoit également de sécuriser juridiquement les dispositions encadrant l’élection des assemblées générales et des conseils d’administration des MSA.
Cette proposition de loi ne constitue donc pas une remise en cause ni de la loi Égalim ni des préconisations de séparer les activités de conseil et de vente. La séparation de ces activités est motivée par le souci de limiter les recours aux produits phytopharmaceutiques. Mais être candidat à un poste institutionnel n’interdit en rien de continuer à œuvrer en faveur de la sortie de l’usage de ces produits. Il faut prendre cette proposition de loi pour ce qu’elle est.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui portait initialement un titre ambitieux : « Exercice de la démocratie agricole ».
Ce titre prometteur laissait espérer une refonte en profondeur de la gouvernance agricole pour une meilleure représentativité de tous les acteurs du secteur. Malheureusement, la proposition de loi qui nous est présentée ne tient pas cette promesse. Elle ne contient que des ajustements à la marge et ne s’attaque pas aux véritables enjeux démocratiques.
Le cœur du texte, notamment son article 1er, soulève de nombreuses interrogations. Il revient sur la séparation entre la vente et le conseil de produits phytosanitaires, en permettant aux vendeurs, notamment les coopératives agricoles, de siéger dans les chambres d’agriculture. Cette séparation avait pourtant été actée en 2018, dans la loi Égalim, pour éviter les conflits d’intérêts.
Or cette proposition de loi réintroduit ce mélange des genres, sous prétexte qu’on manquerait prétendument de candidats dans certaines régions. Plutôt que d’affaiblir les règles existantes, il eût fallu s’attaquer aux racines du problème : la faible attractivité de ces instances pour certains agriculteurs et la nécessité d’un scrutin réellement représentatif.
Car c’est bien là le point central : la démocratie agricole ne peut exister sans pluralisme. Aujourd’hui, les chambres d’agriculture sont dominées par un seul syndicat, la FNSEA et ses alliés.
M. Laurent Duplomb. Elle a gagné les élections !
M. Daniel Salmon. La Cour des comptes l’a rappelé dans son rapport de 2021 : sur cent deux chambres, quatre-vingt-dix-sept sont contrôlées par ce syndicat, alors qu’il ne représente que 55 % des voix du collège des exploitants agricoles.
M. Laurent Duplomb. C’est la proportionnelle !
M. Daniel Salmon. Cette surreprésentation est le fruit d’un mode de scrutin inéquitable, qui favorise la majorité en place et empêche l’émergence d’autres sensibilités. Pourtant, la diversité syndicale existe réellement dans le monde agricole. Elle doit pouvoir s’exprimer à travers un scrutin plus juste, fondé sur la proportionnelle, afin de refléter la pluralité des modèles agricoles et des aspirations des agriculteurs.
Cette absence de pluralisme a des conséquences bien concrètes. Les petits producteurs indépendants, les agriculteurs pratiquant des modèles alternatifs et même les salariés agricoles, pourtant plus nombreux que les exploitants, sont largement sous-représentés.
Or une chambre d’agriculture doit être un lieu d’échange et de construction collective, non le bastion des tenants d’une seule vision de l’agriculture.
Le verrouillage actuel des instances empêche une véritable prise en compte des préoccupations de tous, notamment celles des nouvelles générations d’agriculteurs, qui souhaitent concilier production et respect de l’environnement.
Un autre point fondamental est la place des coopératives agricoles dans la gouvernance des chambres d’agriculture. Il ne s’agit pas de nier leur rôle dans l’organisation du secteur, mais leur fonction première reste avant tout commerciale. Elles tirent l’essentiel de leurs revenus de la vente d’intrants, notamment de pesticides, et non, hélas ! de la simple collecte des productions agricoles. Dès lors, leur intégration sans contrepoids dans les instances de décision des chambres d’agriculture pose problème.
En somme, si cette proposition de loi met en lumière certains dysfonctionnements de la gouvernance agricole, elle n’y apporte pas de solutions concrètes. Pis, en revenant sur la séparation entre la vente et le conseil, elle risque d’aggraver les conflits d’intérêts au sein des chambres d’agriculture.
Si nous voulons réellement renforcer la démocratie agricole, il faut aller bien plus loin : réformer le mode de scrutin, garantir un véritable pluralisme, diversifier la composition des instances et assurer une répartition plus équitable des financements.
Nous disposons donc de cinq années pour remettre le métier sur l’ouvrage, afin que les prochaines élections des chambres d’agriculture puissent être l’occasion de mieux prendre en compte les attentes de la société et de favoriser une transition agricole en phase avec les enjeux actuels. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Christian Redon-Sarrazy. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’intitulé initial de ce texte traduisait de hautes ambitions : « Proposition de loi relative à l’exercice de la démocratie agricole. » Nous étions donc en droit d’attendre une réforme globale du système de représentation agricole.
Les paysans, et ils sont nombreux, qui déplorent de ne pas se sentir représentés ou d’être mal représentés au sein des instances agricoles devront malheureusement se contenter d’une adaptation, en lieu et place d’une réforme.
Dès lors, il est en effet plus juste d’intituler ce texte : « proposition de loi portant diverses mesures visant à adapter le fonctionnement des instances de gouvernance des chambres d’agriculture et de la mutualité sociale agricole », comme les députés l’ont rebaptisé.
Nous ne parlerons donc pas de démocratie agricole, pas plus que de l’épineuse question de la représentativité au sein des chambres d’agriculture.
Loin de témoigner de cette – fausse – ambition initiale, induite par un intitulé ronflant, ce texte demeure avant tout technique. Il est censé régler les dysfonctionnements du corps électoral de la MSA, acter le report plus que légitime des élections consulaires à Mayotte, compte tenu de la situation dramatique de l’île depuis le 14 décembre dernier, et proroger le dispositif dérogatoire autorisant le cumul au sein des chambres entre activités de conseil et activités de vente et de distribution de produits phytosanitaires.
On peut s’interroger sur la pertinence du calendrier : déposé et examiné en quinze jours à l’Assemblée nationale au mois de novembre dernier, ce texte arrive au Sénat en plein renouvellement consulaire. Ce calendrier précipité a semblé nécessaire au Gouvernement pour corriger et pérenniser certains dispositifs.
J’évoquerai à présent un article qui a fait débat chez les députés : l’article 1er. Celui-ci pérennise le dispositif transitoire permettant à un membre d’exécutif de chambre exerçant par ailleurs une activité de vente ou de distribution de pesticides de cumuler ces deux fonctions, sous réserve de ne participer ni aux travaux ni aux délibérations concernant l’activité de conseil à l’utilisation de ces produits.
Rappelons ici quelques faits. La loi Égalim de 2018 avait instauré un principe de séparation entre les activités de conseil et les activités de vente. Il est en effet légitime de vouloir éviter les conflits d’intérêts et de garantir l’indépendance et la qualité du conseil prodigué. La loi Égalim imposait donc aux administrateurs des coopératives, s’ils pouvaient toujours être élus au sein d’une chambre, de ne pas faire partie d’un exécutif.
Cette règle de non-cumul n’a cependant jamais été appliquée. Dès avril 2019, un processus dérogatoire a été mis en place par voie d’ordonnance, jusqu’au renouvellement des chambres d’agriculture au mois de janvier de cette année.
La porosité entre les deux fonctions a donc été rendue possible. La fin de cette dérogation entraînerait un déficit de candidats de 25 % à 40 % selon les départements et priverait donc de nombreuses coopératives de représentation au sein des chambres.
Certains considèrent comme une impérieuse nécessité la prolongation de ce dispositif. Nous ne nous y opposerons pas. D’autres en réclament un nouveau, reposant sur la création de certificats d’économies de produits phytosanitaires. Rien ne garantit cependant qu’il serait plus efficace que le dispositif actuel pour aider la France à maîtriser sa consommation de pesticides et limiter les effets de ces derniers sur la santé des humains et sur l’environnement.
Pour sa part, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain proposera, par voie d’amendements, d’ajouter quelques garde-fous au dispositif actuel.
Afin de limiter les conflits d’intérêts, cette autorisation de cumul est en effet conditionnée à la pratique du déport, qui interdit à un élu se trouvant en situation de cumul de participer aux travaux et aux délibérations concernant l’activité de conseil.
Comme l’a souligné très justement la rapporteure à l’Assemblée nationale, « la règle du déport doit être pleinement appliquée ». Mais de quelle façon ? Il n’existe à ce jour aucune mesure garantissant la bonne application de cette règle. Nous proposerons donc de créer des sanctions en cas de non-respect de l’interdiction de participer aux débats.
La plupart des autres articles ne nous paraissent pas poser de difficultés majeures. Je reviendrai toutefois sur deux d’entre eux.
Nous adhérons aux objectifs de l’article 1er bis A, introduit par la rapporteure, qui prévoit de renforcer les obligations de publication des travaux et des procès-verbaux des chambres d’agriculture. Cet article visant à accroître la transparence, il va dans le bon sens. Nous proposons également l’application de sanctions financières dans le cas où les procès-verbaux ne seraient pas publiés.
L’article 2 prévoit les dispositions relatives aux élections de la MSA, notamment les modalités à mettre en œuvre dans la métropole de Lyon.
Nous souhaitons réintroduire dans cet article une disposition qui a été supprimée en séance publique par les députés. Son second alinéa précisait initialement que les personnes n’étant pas à jour de cotisation auprès de la MSA ne pouvaient pas être candidats aux élections de l’instance.
S’il ne nous paraît pas indispensable d’être à jour de cotisation pour voter, sachant en outre que les vérifications de mise à jour de cotisation sont des opérations lourdes en termes logistiques, il est pour le moins curieux de ne pas respecter ce prérequis avant de vouloir intégrer la MSA.
Le nouvel article 4, qui rend obligatoire la constitution de listes paritaires pour les élections de la MSA, nous paraît également aller dans le bon sens, n’en déplaise à certains à l’Assemblée nationale et peut-être même ici, au Sénat, qui considèrent que faciliter la participation des femmes à ces instances serait une « complication » inutile…
Pour conclure, mes chers collègues, même si le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain déplore que le véritable débat sur la démocratie agricole n’ait pas lieu, ses membres soutiendront cette proposition de loi. Nous nous efforcerons de l’améliorer et d’y apporter des précisions, là où c’est possible. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)