M. Jean-Jacques Lozach. Nous entendons, nous aussi, être les avocats intransigeants de la laïcité et des valeurs républicaines, et nous entendons défendre cette position dans tous les domaines de la vie publique et non simplement dans le sport. Car on pourrait très bien légiférer demain sur d’autres secteurs de la vie associative que le secteur sportif.
Pour ce qui est du constat, un certain nombre de chiffres ont été cités : je pense notamment aux 120 clubs régulièrement évoqués, essentiellement d’ailleurs dans le football et les sports de combat. Bien évidemment, il s’agit de 120 clubs de trop – je ne dis donc pas qu’il n’y a pas ici ou là quelques problèmes –, mais il convient tout de même de relativiser les chiffres.
Après tout, ces 120 clubs ne représentent que 0,08 % des 160 000 clubs sportifs recensés en France. Je rappelle aussi que les signalements enregistrés ne donnent pratiquement jamais lieu à la fermeture des établissements concernés ; le risque est donc proche de zéro…
En revanche, ce qui, à l’évidence, pose problème, c’est la mise en œuvre de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République et, en particulier, l’application du contrat d’engagement républicain. Les difficultés sont notamment d’ordre financier pour les ministères concernés, en particulier les services du ministre des sports et ceux du ministre de l’intérieur.
Je note tout de même que le mouvement sportif en général, que ce soit le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), qui est la structure faîtière de ce mouvement, ou les fédérations sportives, qui sont pourtant promptes à nous saisir dès la moindre difficulté, n’est pas demandeur d’un nouveau texte de loi.
Les clubs concernés sont justement en train de s’emparer de ce contrat d’engagement républicain, et il me semble qu’il aurait été plus judicieux – je parle au conditionnel, puisqu’il n’y a pas eu d’étude d’impact sur la présente proposition de loi – d’attendre une véritable évaluation de la loi du 24 août 2021 que de chercher à le compléter.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 4 est présenté par Mme S. Robert, M. Kanner, Mmes Monier et Brossel, M. Chantrel, Mme Daniel, MM. Lozach, Ros, Ziane et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 9 est présenté par Mmes Ollivier et de Marco, MM. Benarroche, G. Blanc, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
L’amendement n° 28 rectifié quinquies est présenté par MM. Ouzoulias et Bacchi, Mme Apourceau-Poly, MM. Barros et Corbisez, Mme Cukierman, M. Gay, Mme Gréaume, M. Lahellec et Mmes Silvani et Varaillas.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Sylvie Robert, pour présenter l’amendement n° 4.
Mme Sylvie Robert. Notre amendement vise à supprimer l’article 1er. En effet, il convient selon nous de préserver le droit en vigueur, qui garantit le respect du principe de laïcité au sein du mouvement sportif, en faisant une distinction entre les usagers et les agents du service public et assimilés et en appréhendant les risques pour l’ordre public ou de nature sanitaire, tout en tenant compte – j’y insiste – de la proportionnalité de la réponse apportée entre ces différents risques et le respect des libertés constitutionnelles d’expression, de pensée et d’exercice de sa religion.
La loi de 1905 et la jurisprudence du Conseil d’État sont extrêmement claires. La dérogation introduite par la loi de 2004 pour les élèves de notre pays, catégorie d’usagers particulière, extrêmement influençables du fait de leur âge, est amplement suffisante.
Nous le savons bien, mes chers collègues, une fois de plus, vous visez une religion et le port du voile. L’application de votre dispositif aurait pour effet d’exclure encore davantage une certaine catégorie de la population, d’empêcher aussi de nombreuses jeunes filles – il faut le dire – de pratiquer le sport de haut niveau, pourtant facteur essentiel d’intégration, car le sport a aussi cette fonction.
Enfin, il relève non pas du législateur, mais du pouvoir réglementaire des fédérations, dans le cadre de l’exercice de leur mission de service public, d’édicter de telles interdictions du port de signes manifestant ostensiblement une appartenance. Certaines associations l’ont déjà fait, cela a été dit.
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour présenter l’amendement n° 9.
Mme Mathilde Ollivier. Cet amendement tend, tout comme le précédent, à supprimer l’article 1er.
Le groupe écologiste s’oppose en effet à l’interdiction générale et absolue du port de signes religieux pour l’ensemble des pratiquants de compétitions sportives, principalement au niveau amateur.
Nous défendons encore et toujours une vision fidèle aux principes fondamentaux de notre République et, plus particulièrement, à l’esprit de la loi de 1905. Cette loi, qui régit la séparation des Églises et de l’État, impose un principe de neutralité aux agents du service public et non à ses usagers. Il s’agit d’un principe constant et clair, confirmé à maintes reprises par le juge administratif.
En réalité, l’interdiction absolue du port de signes religieux dans le sport ne résoudrait aucun problème ; il en créerait même de nouveaux. Elle alimenterait la stigmatisation et les tensions au lieu de favoriser un climat de respect et de tolérance. Le sport ne doit pas exclure.
Fidèles à notre engagement en faveur des libertés individuelles et du vivre ensemble, nous demandons la suppression de cet article. Avec ce texte, mes chers collègues, vous ne faites pas en sorte que le principe de laïcité s’applique, vous y ajoutez des exceptions.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour présenter l’amendement n° 28 rectifié quinquies.
M. Pierre Ouzoulias. À ce stade du débat, j’aimerais rendre hommage à Marie-George Buffet et au travail exemplaire que celle-ci a accompli dans ce domaine. En tant que ministre des sports, elle avait coutume d’employer une formule forte : le sport était, selon elle, le lieu d’apprentissage de « la » règle unique, règle à laquelle on ne pouvait pas déroger, pour quelque motif que ce soit.
Comme je l’ai dit lors de mon intervention en discussion générale, nous ne sommes pas satisfaits de la rédaction actuelle de cet article 1er. En effet, en l’état il ne s’agit de rien de moins que d’une transposition de la loi de 2004, qui s’applique aux lieux d’enseignement mais qui, à notre avis, ne correspond pas tout à fait à la pratique sportive.
En effet, les signes et les tenues ne sont pas les seuls à poser problème : il y a aussi les gestes, les démonstrations qui, eux, ne sont pas visés par le dispositif de cet article. J’ai en tête, bien entendu, l’exemple d’un joueur de football – je suis désolé que cela tombe toujours sur le même sport, mais dans le mien,…
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Il est rugbyman !
M. Pierre Ouzoulias. … il y a moins de problèmes. Il s’agit d’un joueur de l’équipe nationale turque qui, après avoir célébré son but sur le terrain en faisant référence aux « Loups gris », l’extrême droite turque, a été suspendu deux matchs. C’était une décision juste ; il fallait le faire et je regrette que l’article 1er ne nous permette pas d’en faire autant.
Il existe évidemment d’autres signes à proscrire : d’abord, les signes nazis, dont on constate malheureusement une recrudescence ; ensuite, je suis désolé de vous le dire, mes chers collègues (L’orateur porte son regarde vers la partie droite de l’hémicycle.), mais je pense aussi, même si je ne les mets pas au même niveau, aux signes de croix que font certains joueurs en entrant sur la pelouse, lesquels n’ont pas non plus lieu d’être, à mon sens, sur un terrain.
Je vise, et c’est probablement ce qui nous distingue les uns des autres, toutes les expressions religieuses, quelles qu’elles soient, d’où qu’elles viennent. C’est la raison pour laquelle nous sommes opposés à la rédaction actuelle de cet article, même si je garde l’espoir que nous puissions y revenir ultérieurement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Piednoir, rapporteur. La commission est défavorable à ces trois amendements identiques de suppression de l’article 1er. J’ajoute, et je le dis une bonne fois pour toutes, qu’elle sera évidemment défavorable à l’ensemble des amendements de suppression des articles de cette proposition de loi, puisque leur adoption reviendrait à « écraser » des dispositions qui ont été mûrement réfléchies et travaillées.
Je tiens par ailleurs à opposer plusieurs arguments aux intervenants que nous venons d’entendre.
Pourquoi mettre sur le même plan le sport et l’école ? C’est parce que toutes les auditions que nous avons menées confirment que ce sont les deux vecteurs principaux de séparatisme. Madame Ollivier, j’étais enseignant en 2004, au moment du vote de la loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues religieux dans les établissements scolaires. J’ai entendu exactement les mêmes arguments que ceux que vous avez avancés,…
M. Max Brisson. Très juste !
M. Stéphane Piednoir, rapporteur. … à savoir que ce type de mesures allait poser plus de problèmes qu’il n’en résoudrait !
Mme Evelyne Corbière Naminzo. C’est le cas !
M. Stéphane Piednoir, rapporteur. À l’époque, on fermait les yeux sur un phénomène qui n’en était qu’à ses débuts ; il fallait prendre le taureau par les cornes, et c’est ce que le gouvernement d’alors a fait.
Marie-George Buffet a été auditionnée dans le cadre de nos travaux. À cette occasion, elle s’est dite très favorable à la présente proposition de loi. Elle ne l’aurait peut-être pas été en 1997, à l’époque où elle est devenue ministre des sports, mais elle s’est forgé une conviction depuis lors en examinant un certain nombre de cas concrets. Je précise que j’évoque une audition qui s’est déroulée voilà quelque temps déjà, puisque, je vous le rappelle, nous devions examiner ce texte il y a huit mois.
En ce qui concerne la différence entre usagers et agents du service public, j’indique que le sujet a été tranché en 2004 pour les écoles, puisque, les concernant, on met sur le même plan les mineurs et les majeurs. En effet, quand le principe de laïcité s’applique dans un lycée, il concerne en effet essentiellement des mineurs, mais également quelques majeurs : je pense notamment à une partie des lycéens de terminale, aux élèves de BTS (brevet de technicien supérieur) ou aux élèves des classes préparatoires, qui ont souvent atteint leur majorité.
Le principe de neutralité s’applique donc à l’ensemble de la population susceptible d’être exposée à des problèmes de séparatisme au sein d’une classe, au sein d’un établissement. C’est ainsi que le débat a été tranché en 2004 ; il l’a été difficilement, mais il l’a été.
Pourquoi les associations sportives ? Nous aborderons ce débat tout à l’heure à l’occasion de l’examen de l’un de vos amendements. C’est simple : les fédérations sont délégataires d’une mission de service public. (Mme Mathilde Ollivier s’exclame.) C’est à ce titre que l’on est en droit de leur imposer les mêmes exigences que celles qui s’imposent à l’école de la République. Voilà pourquoi nous mettons les fédérations sportives au même niveau que les écoles.
Imaginez qu’en 2004 nous ayons décidé qu’une simple possibilité d’interdire le port du voile serait accordée aux écoles : croyez-vous que cela aurait été satisfaisant ? Non, nous avons préféré basculer vers une obligation générale, car il fallait une harmonisation.
Contrairement à ce que j’ai entendu, notre initiative législative répond à la demande de nombreuses fédérations sportives : lors de son audition par la commission, le président du CNOSF nous a ainsi demandé de lui fournir des instruments juridiques pour harmoniser les pratiques et de lui offrir enfin la possibilité de présenter une position cohérente à l’ensemble des fédérations sportives de notre pays.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Nous soutenons le principe de l’article 1er.
Je rappelle par ailleurs que le Conseil d’État a estimé que les fédérations sportives étaient chargées d’assurer le bon fonctionnement du service public, dont la gestion leur est confiée, et peuvent à ce titre imposer à leurs joueurs une obligation de neutralité des tenues lors des compétitions et manifestations sportives.
Enfin, comme le rapporteur vient de le dire, cet article vise à répondre à une demande des fédérations elles-mêmes, qui, à la suite des décisions du Conseil d’État, ont appelé de leurs vœux une harmonisation et une clarification du droit, afin de pouvoir agir dans un cadre juridique pleinement sécurisé – on le comprend bien – et dans un cadre législatif parfaitement clair, ce qui nous paraît évident.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous sommes favorables à l’article 1er et demandons le retrait des trois amendements identiques nos 4, 9 et 28 rectifié quinquies au profit de l’amendement n° 31 du Gouvernement. À défaut, nous y serons défavorables.
M. le président. La parole est à M. Alexandre Ouizille, pour explication de vote.
M. Alexandre Ouizille. Je prends la parole pour soutenir l’amendement de suppression de ma collègue Sylvie Robert.
À quelles conditions aurions-nous pu vous suivre, mes chers collègues de droite ? Cela aurait été envisageable si vous aviez cherché à appliquer avec force l’article 31 de la loi de 1905, qui vise à lutter contre les pressions. Ça, c’est dans la loi de 1905 ! Cela aurait été également concevable si vous aviez tenu compte de ce qu’a révélé l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR), laquelle cite un certain nombre de cas de figure dans lesquels une telle pression s’exerce dans les clubs.
En revanche, nous ne pouvons pas vous suivre lorsque vous remettez en cause les principes issus de la loi de 1905.
M. Olivier Paccaud. Et que faites-vous des pressions, alors ?
M. Alexandre Ouizille. Or c’est bien le cas avec cette proposition de loi, qui a quelque chose de véritablement orwellien.
Vous avez choisi de vous placer sur le terrain de la liberté de conscience, mais vous êtes en train de tout mélanger…
M. Olivier Paccaud. Pas du tout !
M. Alexandre Ouizille. Il ne faut pas confondre neutralité de l’État, qu’il faut distinguer de la neutralité de l’espace public – c’est une méprise que j’ai entendue tout à l’heure de la bouche d’un orateur s’exprimant à la tribune –, et liberté de conscience, principe sur lequel repose cet article 1er. En mélangeant tout, vous mettez ces principes en danger.
Je souhaite également revenir sur la loi de 2004, évoquée à plusieurs reprises. Je vous rappelle que cette loi a été prise sur le fondement de la liberté de conscience, non pas pour neutraliser l’école, mais pour protéger la liberté de conscience de jeunes esprits en formation. C’est uniquement sur ce fondement que cette loi a été élaborée et votée !
Or le champ de l’article 1er n’est pas circonscrit aux jeunes esprits en formation ; il concerne absolument tout le monde !
M. Olivier Paccaud. Et c’est tant mieux !
M. Alexandre Ouizille. Vous vous inscrivez ainsi dans une logique où la liberté de conscience des adultes, laquelle justifie que le voile ne soit pas interdit à l’université et que l’on ne neutralise pas progressivement l’intégralité de l’espace public, est également visée.
Dans ces conditions, pourquoi s’arrêter au sport ? Pourquoi ne pas étendre cette règle aux manifestations culturelles ou à la rue comme le propose Mme Le Pen ?
M. Stéphane Ravier. Bonne idée !
M. Alexandre Ouizille. Vous vous engagez là dans une voie, qui n’est plus celle de la laïcité de 1905. Nous nous devons de vous le rappeler !
Lutter contre la pression tous les jours, oui, aucun problème. Faire ce que vous êtes en train de faire, en revanche, est dangereux pour la République ! (Applaudissements sur des travées des groupes SER et sur les travées du groupe GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, pour explication de vote.
M. Akli Mellouli. Je perçois ce qui m’apparaît comme une confusion : en effet, le texte dont nous discutons concerne tout sauf la laïcité. La loi de 1905 énonce des choses simples, en particulier la règle selon laquelle la loi protège la foi tant que la foi ne fait pas la loi.
En l’occurrence, vous voulez interdire toute tenue qui ne serait pas neutre : est-ce à dire que les sportifs devront tous jouer en blanc ou en noir ? Parce que les couleurs des clubs sont loin d’être neutres, elles correspondent toujours à un choix. Quitte à donner dans l’absurde, autant imaginer tout et son contraire… (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues, il faut savoir raison garder : légiférer, pourquoi pas, mais pas au nom de principes fallacieux. La laïcité, cela a été rappelé lorsqu’on a invoqué la loi de 1905, vise à lutter contre le prosélytisme. Or, en l’occurrence, il n’y a aucun prosélytisme dans le sport.
M. Olivier Paccaud. Si, justement !
M. Akli Mellouli. Vous avez souligné que les fédérations sportives vous avaient interpellés à ce sujet. Moi, j’ai eu l’occasion de lire les pétitions de certains acteurs sportifs ou de fédérations, qui disent l’inverse. On ne peut donc pas vous suivre sur ce terrain : il est mouvant et ouvre la porte à un certain nombre de dérives qui n’honorent ni la République ni le principe d’égalité.
En 1905, alors que la question des tenues vestimentaires était soulevée, le débat a été tranché. Jaurès et Briand ont très bien expliqué que, dans l’espace public, on pouvait parfaitement mettre en avant sa pratique religieuse. La laïcité n’est pas le déni de la religion ; c’est le respect des uns et des autres et le ciment du vivre ensemble. Dès lors que l’on utilise celle-ci pour stigmatiser des individus, elle perd cette fonction et est dénaturée. (M. Thomas Dossus applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, pour explication de vote.
Mme Mathilde Ollivier. Je veux revenir sur un point spécifique, le caractère ostentatoire des signes et tenues à interdire. Pourriez-vous, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, définir précisément ce que vous considérez comme ostentatoire ?
Dans l’histoire, le sport et la religion ont toujours cohabité : à Auxerre, par exemple, l’abbé Deschamps a laissé son nom au stade de football de la ville. Les couleurs bleue et blanche du maillot de l’équipe font également référence à la patronne du club, Marie. Votre loi interdira-t-elle demain le maillot de ce club ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Ravier. Arrêtons avec la haine de soi !
Mme Mathilde Ollivier. Après la mort de George Floyd et le mouvement Black Lives Matter – « les vies des Noirs comptent » -, de nombreux joueurs ont posé un genou au sol pour exprimer leur soutien aux luttes contre les discriminations.
M. Stéphane Ravier. C’est caricatural !
Mme Mathilde Ollivier. Ces joueurs ont fait passer un message positif aux jeunes et aux moins jeunes : il faut lutter ensemble contre les discriminations. Alors, que répondez-vous à cela, vous qui mettez en avant le principe de neutralité au travers de cet article ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. J’interviens pour apporter un peu de diversité aux points de vue exprimés et faire en sorte que la partie droite de l’hémicycle puisse à nouveau prendre la parole sur ce texte.
Personnellement, j’aimerais bien que l’on sache raison garder. Mais on a tout de même entendu certains dire que nous mettions la République en danger avec ce texte !
M. Akli Mellouli. Oui, vous mettez en danger les valeurs de la République !
M. Max Brisson. En affirmant de telles choses, pensez-vous vraiment raison garder ? (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Je souhaite rappeler deux ou trois choses simples.
D’abord, nous ne cherchons pas à stigmatiser telle ou telle religion ; nous cherchons à rappeler des principes.
M. Akli Mellouli. Si vous le dites, cela doit être vrai…
M. Max Brisson. Ensuite, je pense aussi, à l’occasion de ce débat, à toutes les jeunes filles qui essaient de lutter contre une sorte de mainmise, de soumission.
M. Akli Mellouli. Justement, laissez-les faire du sport !
M. Max Brisson. Il faut penser à elles ! Il faut aussi qu’on les aide ! Nous sommes pour que la puissance publique aide ces jeunes filles, comme l’a d’ailleurs très bien rappelé Pierre Ouzoulias tout à l’heure.
À cet égard, j’estime que la législation doit évoluer pour s’adapter au temps présent. Je veux bien que l’on parle de la loi de 1905, mais l’époque a changé. (Exclamations sur les travées des groupes GEST et SER.)
C’est d’ailleurs ce qui nous distingue : moi, je préfère être du côté de ceux qui protègent les jeunes filles qui veulent rester émancipées ; en cela même, je suis du côté de ceux qui sont restés fidèles à l’idéal de ceux qui ont combattu pour la laïcité.
M. Thomas Dossus. Cela n’a rien à voir avec le texte !
M. Max Brisson. Car, aujourd’hui, ceux qui sont fidèles à cet idéal, ce sont les jeunes filles qui refusent de se soumettre à certains diktats imposés par leur milieu, qui sont de nature religieuse.
M. Pierre Jean Rochette. Absolument !
M. Max Brisson. Nous sommes plus fidèles aux grands principes des pères fondateurs de la laïcité que vous ne l’êtes aujourd’hui sur les travées de gauche. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. Thomas Dossus. Ce n’est pas vous qui parliez de liberté de conscience ?
M. Max Brisson. Quant au sport, j’ai toujours pensé qu’il constituait, comme l’école, un espace imposant une neutralité particulière. J’aurai donc quelque fierté, si la proposition de loi de Michel Savin est votée et si, désormais, le sport est, comme l’école, le lieu d’une laïcité singulière. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Adel Ziane, pour explication de vote.
M. Adel Ziane. Il me semble que l’on touche là au cœur de ce débat.
J’ai entendu l’une de nos collègues dire à la tribune qu’il ne s’agissait, au travers de ce texte, de stigmatiser personne.
Or, à écouter les échanges qui ont lieu depuis quelques instants, on se rend compte que les jeunes filles dont on parle seront amenées, à cause de ce texte, à sortir de l’espace public. Peut-être n’était-ce pas le but, mais leur exclusion constitue l’un des dommages collatéraux de ce texte. Et j’en parle en connaissance de cause.
L’un des points qui m’ont le plus interpellé dans le cadre des travaux qu’a conduits la commission, c’est la manière dont les éducateurs ont été traités. En effet, ces acteurs majeurs de la prévention n’ont pas été auditionnés ; or ils ne font pas remonter de difficultés insurmontables depuis le terrain…
La deuxième personnalité morale, si je puis dire, que nous aurions pu entendre, ce sont les pratiquantes elles-mêmes. Qu’attendent-elles lorsqu’elles se rendent sur un terrain, pratiquent une activité sportive dans un club de football – je pense par exemple au département dont je suis lu, la Seine-Saint-Denis – ou de rugby ? Elles veulent pouvoir fréquenter des lieux de socialisation : elles y échangent, elles y travaillent, elles y discutent, elles s’y forment, tout en participant à des matchs.
Ce texte sur la laïcité fera finalement d’elles des dommages collatéraux, qui devront sortir de l’espace public. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est en tout cas ainsi, mes chers collègues, que cela est interprété dans un grand nombre de clubs !
M. Mathieu Darnaud. L’interprétation, ce n’est pas la réalité !
M. Adel Ziane. Peut-être serait-il nécessaire d’apporter une interprétation différente des choses.
Enfin, et ce sera mon dernier point, nous ne versons pas dans l’angélisme lorsque nous évoquons les remontées du terrain. La principale difficulté à laquelle nous sommes confrontés est de trouver l’équilibre qui nous permet, au travers de la laïcité, de faire cohabiter des populations, des individus qui ont envie de trouver des espaces communs au sein de l’espace public ou dans les lieux sportifs pour vivre ensemble.
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour explication de vote.
M. Pierre Jean Rochette. Ce débat est très intéressant. Le sport, c’est avant tout l’égalité. Je n’ai pas été un grand sportif – peut-être que cela se voit (Sourires.) –, mais j’ai tout de même pratiqué le rugby pendant quelques années. J’avais d’abord pratiqué le football, mais on m’a redirigé vers le rugby en me disant que ce serait plus adapté. (Nouveaux sourires.)
On ne saurait faire croire que les choses n’ont pas changé durant les vingt à trente dernières années, car c’est complètement faux. On a l’impression, en entendant certaines interventions, qu’il n’y aurait pas de prosélytisme, que tout cela serait pure invention ; je le répète, c’est faux ! Et cela existe aussi dans les clubs de sport ! (Marques d’assentiment sur des travées du groupe Les Républicains.)
Ce qui faisait la vraie force du sport, c’est que nous étions tous logés à la même enseigne : nous prenions tous notre douche ensemble, nous étions tous à égalité, les riches, les pauvres, les intelligents et les benêts !
M. Jacques Grosperrin. C’est cela !
M. Pierre Jean Rochette. Les principes religieux ont cassé cela. Des phénomènes d’ostracisation existent désormais, jusque dans le sport, à l’encontre des personnes n’appartenant pas à la mouvance dominante. Refuser de voir cela, c’est se voiler la face sur l’état de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Toute considération politique exclue, afin de ne pas pervertir le débat, il faut regarder les choses telles qu’elles sont, regarder la réalité des faits, et parler avec les dirigeants associatifs et les éducateurs du monde sportif, qui sont confrontés au quotidien à ces sujets. Or ils ne nous disent pas qu’il n’y a pas de problème ! Ce n’est pas vrai !
Il convient de dépassionner le débat et de porter sur les faits un regard sincère, en n’occultant pas la réalité ni la vérité. Or la vérité, c’est qu’il y a un problème et que la laïcité n’est plus respectée dans le sport. Je suis d’accord avec les interventions de mes collègues siégeant à la droite de cet hémicycle. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Lozach. Cet article ne concerne que certains types de compétitions sportives. Or il y a un paradoxe, pour ne pas dire une carence, car les compétitions qui remportent aujourd’hui le plus grand succès et qui comptent le plus grand nombre de participants échappent au périmètre de l’article, car elles sont organisées non pas par les fédérations sportives, mais par des entreprises privées. Il s’agit d’un manque évident du texte.
En outre, je suis gêné par la tournure que prend ce débat et qui semble devoir durer, car elle néglige le principal apport du sport à notre vie sociale, à savoir sa capacité à intégrer, à insérer des populations très diverses. Je tenais à le rappeler, ne serait-ce que pour contrebalancer les propos qui occultent cet aspect très positif de la pratique sportive.
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, pour explication de vote.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Permettez-moi de rappeler que lorsque la loi de 1905 a été adoptée, les catholiques n’étaient pas spécialement ravis…
M. Pierre Ouzoulias. Pour le moins !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Pour autant, ils se sont adaptés, ils n’ont pas contesté, ils sont rentrés dans le rang et ils n’ont pas fait la révolution ! (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)
Comme cela vient d’être dit, nous assistons à une remise en cause des règles communes. Or la France ne peut fonctionner sans règles communes ! Il ne s’agit aucunement, comme le prétend notre collègue de Seine-Saint-Denis, de stigmatiser de jeunes filles ! La vie est faite de choix et le refus des règles communes en est un. Si l’on n’accepte pas la règle commune, on assume son choix.
La France de 2025 n’est ni la France de 2004 ni la France des années 1980, c’est une France qui subit de toute part une forme d’entrisme, qui sépare et qui clive.
M. Yannick Jadot. Oh là là !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C’est vrai, il y a dans ce débat un clivage droite-gauche, mais il fut un temps où j’avais des potes de gauche qui soutenaient la laïcité. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus, peut-être sont-ils morts…
M. Pierre Ouzoulias. Nous sommes là !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Où sont passés les grands « laïcs » de gauche, qui soutenaient la laïcité ? Désormais, la gauche défend une laïcité « ouverte », « adaptée » et que sais-je encore… Non ! La laïcité ne supporte aucun adjectif ! La laïcité est une, unique, et doit être respectée partout sur le territoire.
M. Pierre Ouzoulias. Même en Alsace-Moselle !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Quand on fait des choix différents, on les assume ! Et ce n’est stigmatiser personne que de dire cela ! Nous disons seulement : « Assumez vos choix, assumez vos modes de vie, mais pas sur le dos de l’unité de la France, pas contre la laïcité ! »