Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d'abord remercier le Sénat d'avoir adopté ce texte, honorant ainsi un engagement pris auprès des agriculteurs il y a près d'un an.
Je voudrais remercier chacun d'entre vous d'avoir participé aux débats, particulièrement la présidente de la commission des affaires économiques, Dominique Estrosi Sassone, et les deux rapporteurs, Franck Menonville et Laurent Duplomb.
Nos débats ont été riches et intéressants ; chacun, où qu'il siège sur ces travées, a affirmé clairement ses positions, souvent au détriment de celles du Gouvernement… (Sourires.) Ainsi va la vie parlementaire ! Il nous faut respecter le Parlement et c'est ce que nous avons fait.
Je veux également avoir une pensée pour les députés qui ont travaillé sur ce texte – j'en faisais partie – et pour le ministre de l'agriculture qui en est à l'origine, Marc Fesneau.
Je crois que cette loi nous place sur le chemin du réarmement de notre puissance alimentaire, un sujet hautement régalien, et qu'elle est loin des caricatures que j'ai parfois entendues durant ces explications de vote. (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Je voudrais en rappeler quelques points essentiels : notre agriculture élevée au rang d'intérêt général majeur et notre potentiel agricole au rang d'intérêt fondamental pour la Nation ; les conférences de la souveraineté alimentaire ; la place des femmes en agriculture ; la régénération de l'enseignement agricole ; le diagnostic modulaire pour l'installation ; le droit à l'essai ; le guichet unique pour accueillir tout projet d'activité agricole ; la dépénalisation des atteintes involontaires et non définitives à l'environnement (Vives protestations sur les travées du groupe GEST.),…
M. Thomas Dossus. Une honte !
Mme Annie Genevard, ministre. … un dispositif qui existait dans le texte issu de l'Assemblée nationale et que vous avez souhaité prolonger ; l'importance de la haie.
À ce propos, je voudrais d'ailleurs dire à M. Salmon que 20 millions d'euros supplémentaires seront affectés à la replantation de haies.
M. Daniel Salmon. Bravo !
Mme Annie Genevard, ministre. Vous le voyez, nous ne sommes évidemment pas indifférents à la cause de l'environnement et, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire pendant nos débats, opposer agriculture et environnement est une impasse ! Vous ne m'entendrez jamais exprimer un tel point de vue. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.)
Il appartient maintenant aux rapporteurs et aux membres de la commission mixte paritaire de se mettre d'accord. Cette commission aura lieu ce soir et j'espère qu'elle aboutira avant minuit – pensons à Cendrillon ! Je ne voudrais pas, mesdames, messieurs les sénateurs, commencer le Salon de l'agriculture en disant aux agriculteurs que les parlementaires ne les ont pas entendus.
M. Mickaël Vallet. On avait bien compris…
Mme Annie Genevard, ministre. Je compte sur les parlementaires et leur sagesse pour pouvoir dire aux agriculteurs que cette loi les prend en considération et qu'elle les reconnaît dans leur rôle, qui est fondamental. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Je veux à mon tour remercier la présidente de la commission des affaires économiques et les rapporteurs, qui ont écouté tout le monde et se sont engagés pleinement. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures cinquante, sous la présidence de Mme Sylvie Robert.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Mise au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Carole Ciuntu.
Mme Marie-Carole Ciuntu. Lors du scrutin public n° 191 sur l'article 13 du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture, ma collègue Marie-Do Aeschlimann et moi-même aurions souhaité nous abstenir.
Lors du scrutin public n° 196 sur l'ensemble de ce projet de loi, Alain Chatillon souhaitait voter pour.
Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point. Elle figurera dans l'analyse politique des scrutins concernés.
5
Candidatures à une commission mixte paritaire et à une commission d'enquête
Mme la présidente. J'informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture ainsi qu'à la commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques économiques, patrimoniaux, fiscaux, écologiques et sanitaires associés.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.
6
Principe de laïcité dans le sport
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport, présentée par M. Michel Savin et plusieurs de ses collègues (proposition n° 376 [2023-2024], texte de la commission n° 668 [2023-2024], rapport n° 667 [2023-2024]). (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Savin, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à remercier les membres du groupe Les Républicains et son président, Mathieu Darnaud, d'avoir inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour. Je remercie également et félicite Stéphane Piednoir, notre rapporteur, de la qualité de son travail et de la bonne tenue des auditions qu'il a menées sur ce texte.
L'actualité ne nous le rappelle hélas ! que trop régulièrement : la conception française de la laïcité doit être protégée sans relâche contre ceux qui voudraient faire vaciller les valeurs de la République. Après nos écoles, ce sont maintenant nos enceintes sportives qui assistent, impuissantes, aux tentations communautaristes.
Je fais ainsi miens les propos du ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau, qui déclarait récemment que, pour lutter contre l'islamisme des Frères musulmans et leur entrisme, il fallait étendre le champ de la laïcité à d'autres espaces publics, par exemple aux compétitions sportives.
Si la laïcité garantit la liberté de conscience et la liberté religieuse de chacun, elle pose un cadre à l'exercice desdites libertés : ne pas troubler l'ordre public. Ce postulat fondamental n'étant pas toujours respecté, les acteurs du sport s'accordent sur la nécessité et l'urgence de renforcer certains dispositifs, afin d'assurer à tous une pratique sereine et pacifiée.
Concernant l'exercice du sport, depuis de nombreuses années, différents rapports et enquêtes se succèdent pour souligner la fragilité du sport face à la radicalisation et aux dérives contraires aux principes de la République. Pour ma part, j'ai la certitude que les valeurs de dépassement de soi, d'intégration et d'universalité inhérentes au sport permettront d'étendre son accès à tous, quelles que soient l'origine, la religion ou les convictions politiques.
Mme Mathilde Ollivier. C'est le contraire !
M. Michel Savin. Ces valeurs essentielles sont autant d'obstacles aux objectifs des architectes du séparatisme religieux et du prosélytisme. Il s'agit, pour ces derniers, de grignoter méticuleusement du terrain et d'éprouver en permanence les limites de nos principes républicains.
D'aucuns préfèrent se réfugier derrière l'idée selon laquelle ces faits demeurent marginaux. À ceux qui prônent la complaisance face à un phénomène apparemment secondaire, je répondrai d'abord qu'un peu, c'est déjà trop. Surtout, c'est la progression rampante de ce phénomène qui suscite l'inquiétude d'un nombre croissant d'acteurs des milieux sportifs.
Deux exemples parmi tant d'autres me viennent ainsi à l'esprit.
Le premier est celui d'une fédération française d'art martial, qui a fait remonter des situations préoccupantes de clubs où l'on demande que les filles soient voilées et pratiquent avec un entraîneur féminin, sans aucun contact visuel avec les garçons.
Le second est celui d'un match de basket féminin, dans le Tarn, annulé le 6 octobre 2024 en raison de la présence d'une joueuse voilée. Or, s'il est le plus médiatisé, l'exemple des « hijabeuses » n'est que le reflet de revendications qui prolifèrent.
Nous le constatons : une question se pose actuellement au sujet du port du voile, qui n'est pas explicitement interdit. Il ouvre cependant la porte à l'émergence de clubs sportifs communautaires promouvant ouvertement le port de signes religieux.
Dépassés par les pressions et les menaces dont ils sont l'objet, les dirigeants sportifs, les responsables associatifs et les élus locaux pâtissent d'un flou juridique. Celui-ci nourrit confusion et velléités séparatistes en laissant la place aux interprétations divergentes. Notre mobilisation doit être totale pour assurer leur protection.
Ainsi, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a permis d'apporter quelques réponses en la matière. Plusieurs propositions émanant du Sénat ont été adoptées et maintenues dans le texte définitif. Cependant, il est regrettable que tous les moyens n'aient pas été mis en œuvre afin d'assurer la neutralité dans la pratique sportive, ce qui provoque régulièrement des incidents ou des dérives.
Comme cela nous a été rappelé lors des auditions du rapporteur, certaines fédérations, confrontées à de telles problématiques, se retrouvent démunies face à l'absence de normes strictes et générales édictées par l'État.
Si chacun peut, au quotidien et dans le cadre de sa sphère privée, librement pratiquer sa religion, sur un terrain de sport et lors des compétitions, c'est la neutralité qui s'impose.
M. Thomas Dossus. C'est faux !
M. Michel Savin. Le Conseil d'État a reconnu aux fédérations sportives délégataires d'un service public la faculté d'interdire, au sein de leurs statuts, les signes religieux ostensibles sur le lieu et pendant la durée des matchs, afin de prévenir tout affrontement ou toute confrontation sans lien avec le sport. Force est de constater que cela ne suffit plus !
Il est donc temps de sanctuariser le domaine sportif, où la neutralité s'impose, et de réaffirmer haut et fort que la République prime la loi religieuse. Il faut donner un vrai soutien législatif aux fédérations.
À ceux qui prétendent que ce texte empêcherait certaines femmes de pratiquer une activité sportive, je réponds que les interdictions inscrites dans cette proposition de loi sont strictement limitées aux compétitions sportives organisées par une fédération sportive ayant une délégation de service public. Ces rencontres officielles sont également des moments de représentation pour un club, une ville, un territoire. Ce texte n'a donc pas de répercussions sur la pratique du quotidien.
Mme Mathilde Ollivier. Bien sûr que si ! (M. Thomas Dossus renchérit.)
M. Michel Savin. Cette proposition de loi vise également à donner des moyens législatifs aux élus locaux pour que les équipements sportifs ne soient pas détournés de leur destination.
Le service central de renseignement territorial surveille le monde sportif amateur français, où des événements inquiétants se produisent. Une note relève ainsi des prières sur des terrains de football à Perpignan, le rejet de la mixité dans certains clubs de sport, des pressions exercées sur les encadrants et des éducateurs fichés comme salafistes utilisant des tapis de prière dans les gymnases. Le phénomène découle, selon les auteurs de cette note, d'un repli communautaire observé dans plusieurs quartiers où les fondamentalistes religieux ciblent les jeunes, mêlant sport et pratique religieuse. En particulier, ils transforment les vestiaires et les gymnases en salle de prière.
Autre exemple : en novembre dernier, la préfecture de l'Hérault a demandé à la Fédération française de football d'adopter des mesures de suspension à titre conservatoire à l'encontre d'un club en raison de la tenue de rituels de prière accompagnés de musique religieuse, diffusée par les joueurs dans les vestiaires lors de l'avant-match. Il apparaît en effet anormal que ces équipements fassent l'objet d'une telle double utilisation.
Pratique religieuse ou pratique sportive : il faut choisir !
Mme Mathilde Ollivier. Mais non !
M. Michel Savin. Les prières au sein des équipements sportifs pendant les entraînements et les compétitions sont incompatibles avec la neutralité exigée par l'État dans le sport.
Enfin, il convient également de prévoir dans la loi l'application de la laïcité dans les règlements des piscines. En effet, le non-respect des règles communes rompt la promesse d'égalité entre les usagers et peut porter atteinte au bon fonctionnement du service public qu'est une piscine municipale.
Si certaines actions militantes appellent les femmes à exprimer leurs convictions religieuses au sein des piscines et des espaces de baignade publics, cette vision de la femme et de la liberté d'expression n'est pas celle que reconnaît et promeut la République française. Nous le voyons : ces actions sont délibérément provocatrices. Elles ne visent qu'à diviser, à polariser les opinions et à obliger chacun à prendre parti dans un conflit aux antipodes de la pratique sportive.
Mme Mathilde Ollivier. Cela, c'est vous qui le faites !
M. Michel Savin. Face à ces dérives, il est urgent de porter une réglementation claire et ambitieuse dans la loi. Il n'est en effet satisfaisant pour personne que ces questions liées à la pratique religieuse fassent l'objet d'interprétations juridiques différentes selon les lieux et les territoires. Ainsi, il est incompréhensible que le port du burkini soit interdit à Grenoble, mais autorisé à Rennes. L'absence de cadre législatif paralyse la prise de décision, expose les fédérations et limite les moyens de contrôle et les possibilités de sanction du non-respect de la neutralité dans le sport.
Ce texte traduit donc l'ambition de nous doter des instruments désormais nécessaires pour lutter contre le communautarisme et le prosélytisme, opérant un juste équilibre entre préservation des libertés individuelles et respect des principes qui unissent la République. Pour défendre les valeurs du sport au quotidien, il faut mener sans faiblesse et sans ambiguïté la lutte contre toute tentative de propagande religieuse ou politique, toute forme de radicalisation religieuse ou de repli communautaire.
Pour conclure, je le redis : ce texte n'a pas pour objet de combattre une religion (M. Thomas Dossus s'exclame.) ; elle entend combattre une idéologie politique qui défigure une religion, divise les individus et déchire une société. Tel est l'objet de ma proposition de loi, que je vous invite à adopter. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Daniel Chasseing et Stéphane Ravier applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Stéphane Piednoir, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Michel Savin traite d'un sujet essentiel : la laïcité, l'un des fondements de notre République, inscrite à l'article premier de notre Constitution.
La laïcité repose sur un équilibre entre la liberté de conscience dans la sphère privée et la neutralité dans la sphère publique. C'est ce modèle, si singulier à la France, que nous devons préserver, en particulier dans le domaine du sport. En effet, ce dernier est un espace de socialisation et de transmission des valeurs républicaines, un vecteur de l'apprentissage de la citoyenneté au même titre que l'école.
Ouvrons les yeux ! Alors que 58 % des licenciés sont âgés de moins de 20 ans, 6,3 millions d'entre eux ayant entre 1 et 13 ans, le sport joue un rôle central dans l'éducation au respect des règles communes et à l'égalité. Les valeurs fondamentales du sport sont des valeurs citoyennes. Les seules règles et les seules différences admissibles sur le terrain sont ainsi celles qu'induit le sport lui-même.
Nulle stigmatisation ne doit être permise. En particulier, les revendications politiques ou religieuses n'ont pas leur place dans le sport, comme le rappelle le 2 de la règle 50 de la Charte olympique : « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n'est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique. »
Les atteintes à la laïcité dans le sport ne sont pas un phénomène récent, mais elles ont trop longtemps été minimisées, occultées, voire encouragées. Nous ne devons plus renoncer à traiter ce sujet, sans quoi nous risquons le développement rampant d'un communautarisme contraire à nos valeurs.
Dès 2003, le rapport de Bernard Stasi sur l'application du principe de laïcité dans la République signalait l'émergence d'équipes qualifiées de « communautaires ». Son auteur regrettait, en outre, le recul de la pratique sportive féminine dans certains quartiers – déjà à l'époque ! Nous ne pouvons plus accepter cette seule alternative : se soumettre à la nouvelle règle érigée par quelques-uns ou s'exclure et laisser le champ libre au communautarisme.
L'émergence de cette problématique à l'école, à fin des années 1980, constitue un précédent. Or il aura fallu attendre quinze ans pour apporter une réponse claire, avec la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Qualifiée d'inopportune et d'inapplicable à l'époque, cette loi ne souffre plus, aujourd'hui, aucune contestation.
Pour paraphraser Jean Zay, selon qui « les écoles doivent rester l'asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas », le sport doit rester la citadelle imprenable sur laquelle les attaques à la laïcité se fracassent. Ainsi, il est le nouveau terrain d'expression de ce que nous appelons aujourd'hui le « séparatisme ». Ce phénomène est désormais largement documenté par plusieurs rapports parlementaires récents, notamment celui de la commission d'enquête du Sénat de 2020 sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre.
Les atteintes à la laïcité prennent des formes variées et ne sont évidemment pas toutes de même nature. Cependant, elles font l'objet d'un constat partagé par de nombreux acteurs, témoins de la progression inquiétante de comportements remettant en cause le vivre-ensemble et l'universalité du sport.
Ces atteintes sont, certes, difficiles à quantifier au sein des 360 000 associations sportives, mais quelques chiffres permettent néanmoins d'illustrer le phénomène. Ainsi, en cinq ans, 592 alertes ont été rapportées aux cellules de lutte contre l'islamisme et le repli communautaire (Clir).
Par ailleurs, en 2021, Roxana Maracineanu, alors ministre déléguée chargée des sports, déclarait que 127 associations sportives avaient été identifiées comme étant en relation avec une mouvance séparatiste. Parmi elles, 29 étaient tenues par l'islam radical. Pourtant, seulement cinq de ces clubs ont été fermés, ce qui en laisserait 122 ouverts, voire plus encore. Cela représente potentiellement 11 000 sportifs pratiquant dans des clubs en lien avec la mouvance séparatiste. Qui peut, aujourd'hui, s'accommoder d'un tel constat ?
Outre ces données, de nombreux témoignages de terrain font état d'évolutions préoccupantes : extension du port du voile, prières collectives dans les vestiaires et sur les terrains, demandes de modification de l'horaire des matchs, rejet de la mixité, ou encore refus de saluer l'adversaire. Les disciplines les plus touchées sont le football, les sports de combat, le tir à l'arc et la musculation.
Ces phénomènes sont difficilement quantifiables, mais les occulter serait désormais une faute. Nous ne pouvons pas, en tant qu'élus, rester indifférents aux multiples alertes qui nous sont adressées, lesquelles témoignent d'une érosion progressive du lien social.
Dans ce contexte, la proposition de loi de notre collègue Michel Savin est bienvenue. En effet, les outils existants sont insuffisants.
Tout d'abord, le contrat d'engagement républicain (CER), introduit par la loi du 24 août 2021, est intéressant, mais trop peu mobilisé. Loin d'être un véritable engagement, il est perçu dans les faits comme une simple formalité administrative, sans véritable portée contraignante, si bien qu'un seul retrait d'agrément a été effectué au titre du non-respect du CER.
Les services de l'État, notamment les préfectures et les services déconcentrés du ministère chargé des sports, manquent de moyens pour mettre en œuvre efficacement des contrôles, malgré une prise de conscience récente. Ainsi, en 2022-2023, seulement cent contrôles ont été effectués par le ministère sur la thématique de la laïcité, ayant permis d'identifier six cas de séparatisme. C'est peu, mais déjà trop !
Comme vous le savez, les services du ministère chargé des sports ont subi de fortes réductions d'effectifs au cours des dernières années. Ainsi, en son sein, 220 emplois sont aujourd'hui consacrés au contrôle des établissements d'activités physiques et sportives, toutes problématiques confondues – hygiène, sécurité, assurance, etc. Un faible nombre au regard de la quantité d'établissements à contrôler et de problématiques soulevées.
La jurisprudence a validé des extensions ciblées du principe de neutralité, désormais opposable dans certains cas aux usagers du service public pour permettre son bon fonctionnement, prévenir toute confrontation sans lien avec le sport et garantir l'égalité de traitement des usagers.
Ainsi, le Conseil d'État a validé cette approche en confirmant, dans sa décision du 29 juin 2023, l'interdiction par la Fédération française de football de « tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale » lors des compétitions. Le Conseil d'État affirme en outre, dans cette même décision, que des limitations à la liberté des licenciés sont possibles « si cela est nécessaire au bon fonctionnement du service public ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». Il y rappelle enfin l'obligation de neutralité des personnes sélectionnées dans les équipes de France, obligation réaffirmée en 2023 par la nouvelle ministre des sports, Mme Oudéa-Castéra, dans la perspective des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris.
Par ailleurs, dans une ordonnance du 21 juin 2022, le Conseil d'État a validé la suspension par le représentant de l'État du règlement intérieur des piscines de la ville de Grenoble, qui autorisait alors le port du burkini.
Ces décisions ont encouragé plusieurs fédérations à adopter des règlements interdisant le port ostensible de signes religieux ou politiques en compétition, notamment les fédérations françaises de football, de basketball et de volleyball. D'autres n'ont pas encore statué, mais des pressions s'exercent sur elles. Il est donc temps de fixer un cadre juridique commun qui protège l'ensemble des fédérations sportives. La cohérence globale du message que le législateur doit émettre est essentielle pour mettre fin à la confusion largement exploitée par ceux qui veulent détruire notre modèle républicain.
Ainsi, soixante-dix clubs franciliens de basket ont adressé l'an dernier une pétition à la Fédération française de basketball à la suite de l'interdiction, par celle-ci, du « port de tout équipement à connotation religieuse ou politique ». Des campagnes sont également relayées sur les réseaux sociaux.
Aujourd'hui, en effet, si les fédérations sportives ont la faculté de mettre en place des limitations, elles n'en ont pas l'obligation, ce qui crée la confusion. Rien ne peut justifier qu'un principe aussi fondamental que celui de la laïcité s'applique différemment d'une discipline à l'autre.
Je vous propose donc d'adopter la proposition de loi de Michel Savin, telle que la commission l'a modifiée.
Il s'agit tout d'abord, avec l'article 1er, d'empêcher le port de signes religieux ou politiques ostensibles dans les compétitions sportives. Le Sénat a déjà adopté une telle disposition à deux reprises, en 2021 puis en 2022.
Ensuite, le texte prévoit l'interdiction de tout exercice d'un culte dans les locaux mis à disposition par les collectivités territoriales en vue d'une pratique sportive, afin de ne pas dévoyer leur usage.
Enfin, il a pour objet de faire respecter les mêmes principes de neutralité et de laïcité dans les piscines et les espaces de baignade artificiels publics.
En commission, nous avons complété le texte afin de permettre la réalisation d'enquêtes administratives préalables à la délivrance de la carte professionnelle d'éducateur sportif. Des procédures similaires existent déjà dans d'autres domaines.
Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.
M. Stéphane Piednoir, rapporteur. En conclusion, cette proposition de loi vise à combler un vide juridique et à apporter une réponse adaptée, sans stigmatiser ni exclure, mais en rappelant, au contraire, que le sport est un espace d'unité et d'universalité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Laugier applaudit également.)
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Madame la présidente, monsieur le président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence de ma collègue Marie Barsacq, ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative, dont je me ferai le porte-parole.
L'été dernier, notre pays a accueilli les trente-troisièmes Jeux de l'ère moderne. Le succès des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris a transcendé tous les courants de pensée, les identités singulières et les particularismes. Nous avons su faire Nation.
Pendant un mois, la France a accueilli sur ses terrains et dans ses salles de sport près de 15 000 athlètes venus du monde entier pour faire vivre les valeurs d'effort et de travail, de dépassement de soi et d'abnégation, mais aussi de solidarité, de fraternité et d'entraide.
Le monde entier a pu suivre les exploits des sportifs et vibrer au son des hymnes nationaux. Nous avons partagé la joie des gagnants, mais aussi, car telle est la loi du sport, les larmes des perdants, pris dans l'élan d'une même passion, d'une même émotion, par-delà les différences.
Le sport est beau quand il nous unit, quand il nous réunit. Pendant ces jeux Olympiques et Paralympiques, les drapeaux étaient peut-être différents, mais c'est une même humanité qui a été célébrée. Les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris nous ont rappelés à cette vérité.
Au moment d'entamer l'examen de la proposition de loi du sénateur Michel Savin visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport, je souhaite que nous gardions cette vérité à l'esprit.
Les salles et les terrains de sport ne peuvent en aucun cas devenir de nouveaux espaces d'expression du séparatisme. Il nous faut réaffirmer notre conviction absolue que le sport doit rester un domaine de partage et de fraternité, et qu'il ne doit en aucun cas devenir le nouveau terrain de conquêtes passant par l'affirmation d'une différence religieuse.
Depuis les conclusions de la commission d'enquête sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre présidée par Nathalie Delattre, qui était alors sénatrice, et rapportée par Jacqueline Eustache-Brinio, nous savons qu'un nombre croissant d'associations et de clubs sportifs sont désormais le lieu d'un prosélytisme islamiste radical et de manifestations identitaires et religieuses.
Entre 2019 et 2024, 761 établissements d'activités physiques et sportives – 228 en 2023 et 183 en 2024 – ont été contrôlés en lien avec des signaux faibles de séparatisme. Ces nombreux contrôles ont abouti à la fermeture d'un peu plus d'une dizaine d'établissements.
En tout état de cause, ce prosélytisme et ce communautarisme sont d'autant plus difficiles à combattre qu'ils sont sournois et se parent parfois d'un discours se réclamant des droits fondamentaux et des libertés individuelles pour faire progresser un agenda séparatiste. Tel était bien l'objectif véritable des « hijabeuses » lorsqu'elles ont brandi le principe de non-discrimination pour s'affranchir des règles communes. C'est d'ailleurs le principe même de l'entrisme : faire reculer, étape par étape, petit à petit, les garde-fous de l'universalisme pour installer peu à peu une société communautarisée et divisée, une société dont nous ne voulons pas.
Ce n'est ni notre tradition ni notre histoire. Nos convictions républicaines sont solides.
L'entrisme menaçant partout notre cohésion nationale, c'est partout qu'il nous faut le combattre. Dans le sport comme dans d'autres domaines, la laïcité est un combat essentiel qui doit être mené partout et tout le temps.
Depuis quelques années, nous avons d'ailleurs renforcé notre arsenal législatif, nous dotant d'instruments utiles pour défendre partout les valeurs de notre République. Le vote de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a constitué un moment important de cette stratégie qui se veut globale.
Ce texte a tout d'abord permis au ministère des sports d'améliorer les capacités de détection par les services déconcentrés de l'État des signaux faibles du séparatisme, grâce notamment au déploiement de ciblages pertinents et d'un outil de contrôle adapté. En deux ans, cinquante-six agents supplémentaires ont été affectés à la lutte contre le séparatisme et contre les violences.
Cette loi a également permis la mise en place d'un réseau opérationnel s'appuyant sur des référents formés. En étroite relation avec les différentes fédérations, ces derniers exercent un rôle pivot dans la lutte contre le séparatisme.
Ce texte a enfin permis de faire du contrat de délégation un levier de lutte contre le séparatisme. Comme M. Savin l'a rappelé à juste titre, en encourageant les fédérations à se doter d'un référent prévention de la radicalisation, le ministère des sports accompagne et incite les fédérations à s'engager plus activement dans cette lutte.
La présente proposition de loi, que le Gouvernement soutient avec force, est une pierre opportunément ajoutée à l'édifice qu'ensemble nous construisons depuis des années contre toutes les formes de séparatisme.
Le Gouvernement vous propose d'y apporter quelques modifications rédactionnelles afin de rendre les articles 1er et 3 les plus opérationnels possible.
À l'article 1er, l'amendement n° 31 vise à préciser que l'interdiction du port de tout signe religieux ostentatoire s'applique aux compétitions sportives organisées par les fédérations délégataires de service public. C'est en effet au nom du service public que le principe de laïcité s'impose.
À l'article 3, qui codifie la décision du 21 juin 2022 rendue par le Conseil d'État concernant l'autorisation, par la ville de Grenoble, d'autoriser dans ses piscines le port de tenues non près du corps, c'est-à-dire du burkini, le Gouvernement propose, par l'amendement n° 32, une rédaction plus conforme à l'esprit et à la lettre de la décision de cette juridiction, et, partant, à nos principes constitutionnels.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le sport est un formidable levier d'émancipation et de développement de chacun. Les valeurs d'émancipation, d'intégration et d'inclusion qu'il porte sont une richesse qu'il nous revient de préserver avec fermeté.
Ces valeurs ne peuvent toutefois être transmises que dans un environnement serein, préservé de tout entrisme religieux et libre de toute barrière communautaire. C'est pour cela que nous devons défendre à tout prix le principe de laïcité, sur lequel se fonde notre fraternité civique.
La proposition de loi de M. Michel Savin répond – je le crois – à cette exigence. Sous réserve de l'adoption des amendements susvisés, le Gouvernement que j'ai l'honneur de représenter est donc tout à fait favorable à son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. - MM. Jean-Marie Vanlerenberghe et Claude Kern applaudissent également.)