Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code de commerce est ainsi modifié :

1° L’article L. 441-1 est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« …. – Pour l’application des conditions générales de vente, les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution ainsi que Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont considérées comme faisant partie intégrante du territoire national. Toute clause contractuelle, condition de vente ou pratique commerciale ayant directement ou indirectement pour effet de les assimiler à une zone d’exportation ou d’appliquer des conditions tarifaires discriminatoires par rapport à la France hexagonale est présumée abusive au sens de l’article L. 442-1 du présent code et, en conséquence, interdite. »

2° L’article L. 441-1-2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« …. – Pour l’application des conditions générales de vente, les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution ainsi que Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont considérées comme faisant partie intégrante du territoire national. Toute clause contractuelle, condition de vente ou pratique commerciale ayant directement ou indirectement pour effet de les assimiler à une zone d’exportation ou d’appliquer des conditions tarifaires discriminatoires par rapport à la France hexagonale est présumée abusive au sens de l’article L. 441-1-2 du présent code et, en conséquence, interdite. »

La parole est à M. Teva Rohfritsch.

M. Teva Rohfritsch. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Le sous-amendement n° 15, présenté par M. Ruel, est ainsi libellé :

Amendement n° 3, alinéa 5

Après les mots :

ainsi que

insérer les mots :

Saint-Pierre-et-Miquelon,

La parole est à M. Jean-Marc Ruel.

M. Jean-Marc Ruel. Cet amendement vise à inclure Saint-Pierre-et-Miquelon dans ce dispositif très intéressant pour l’ensemble de nos territoires ultramarins.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. Ces deux amendements et ce sous-amendement visent à étendre aux outre-mer les conditions générales de vente appliquées en métropole. Nous l’avons dit tout à l’heure, l’uniformisation des conditions générales de vente est un sujet fondamental.

Le dispositif proposé ici aurait des conséquences positives sur le pouvoir d’achat des Ultramarins, dès lors qu’il permettrait de réduire un certain nombre de coûts imposés aux distributeurs. Toutefois, il ne suffirait pas à éliminer les causes des écarts de prix entre la métropole et l’outre-mer.

C’est pourquoi la commission recommande plutôt l’adoption de l’amendement n° 10 rectifié, qui sera présenté dans un instant. En effet, il est mieux rédigé et ses dispositions renforceraient la lisibilité du dispositif. Pour une fois que M. Lurel propose quelque chose de simple, je puis qu’y être favorable ! (Rires.)

En conséquence, la commission sollicite le retrait des amendements nos 13 rectifié et 3 rectifié, ainsi que du sous-amendement n° 15.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Manuel Valls, ministre dÉtat. Sur le plan fiscal, les territoires ultramarins sont définis comme des zones d’exportation. Aussi, nous devons être attentifs à ne pas créer d’effets de bord juridiques en inscrivant dans la loi des formulations qui seraient en apparence positives, mais qui, en réalité, auraient des conséquences néfastes.

Les conditions générales de vente auxquelles se réfèrent les contrats ne doivent pas exclure les outre-mer. Au contraire, ils doivent tenir compte des spécificités et de l’éloignement de ces territoires. Il convient donc de retravailler l’incompatibilité de tout amendement avec le régime fiscal applicable.

L’amendement n° 10 rectifié, qui sera examiné dans un instant, est mieux rédigé de ce point de vue. En conséquence, tout comme la commission, le Gouvernement sollicite le retrait à son profit des amendements nos 13 rectifié et 3 rectifié, ainsi que du sous-amendement n° 15.

M. le président. Monsieur Lurel, l’amendement n° 13 rectifié est-il maintenu ?

M. Victorin Lurel. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. Monsieur Rohfritsch, l’amendement n° 3 rectifié est-il maintenu ?

M. Teva Rohfritsch. Puisque le ministre a donné son blanc-seing à l’adoption de l’amendement n° 10 rectifié, et compte tenu de l’esprit constructif de nos débats, je le retire également, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié est retiré et, en conséquence, le sous-amendement n° 15 n’a plus d’objet.

L’amendement n° 10 rectifié, présenté par MM. Lurel et Kanner, Mme Bélim, MM. Omar Oili, Stanzione et Montaugé, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 441-2 du code de commerce, il est inséré un article L. 441-2- … ainsi rédigé :

« Art. L. 441-2-… – Dans les collectivités relevant de l’article 3 de la Constitution et dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, les conditions générales de vente établies au niveau national entre un fournisseur, un distributeur ou un prestataire de services et définies dans la présente section s’appliquent de plein droit, de façon transparente et non discriminatoire. »

Cet amendement a été défendu.

Il a reçu un avis favorable de la commission et du Gouvernement.

Je le mets aux voix.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 3.

Article 4

Les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services – (Adopté.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme la présidente de la commission.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Ces débats l’ont montré, la vie chère est une réalité que le tout le monde entend combattre. Nous allons d’ailleurs le prouver en adoptant aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue Victorin Lurel. Celui-ci a travaillé en bonne intelligence avec Mme le rapporteur, malgré un dialogue musclé et « compétitif », comme il l’a lui-même affirmé lors de la discussion générale.

Je tiens, bien sûr, à saluer Mme le rapporteur, Évelyne Renaud-Garabedian.

M. Victorin Lurel. Nous la saluons nous aussi !

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Le rapport produit sur ce texte est le premier qu’elle a rédigé au nom de la commission des affaires économiques. Elle a réalisé un excellent travail, épaulée par les services de la commission.

Ce débat est important, même s’il a révélé quelques dissensions, comme c’est souvent le cas lorsque l’on discute des outre-mer. En effet, si cette proposition de loi prévoit des outils supplémentaires, ces derniers se révèlent insuffisants. Nous avons donc encore du travail à faire.

Nous poursuivrons nos efforts dans un esprit qui, je l’espère, sera toujours aussi constructif et positif. La délégation sénatoriale aux outre-mer, présidée par Micheline Jacques – je veux la remercier, ainsi que l’ensemble de nos collègues membres de la délégation – constituera également un bon cadre de réflexion.

Enfin, je tiens, une fois de plus, à remercier très sincèrement M. le ministre d’État de son engagement depuis qu’il a pris ses fonctions. En témoignent notamment ses déplacements outre-mer – Dieu sait s’il en a fait – et les échanges que nous avons eus lors de l’examen du projet de loi d’urgence pour Mayotte.

Nous aurons encore bien d’autres textes à examiner avec vous, monsieur le ministre d’État, pour continuer à œuvrer en faveur des outre-mer. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille, pour explication de vote.

Mme Solanges Nadille. Mes chers collègues, alors que nos débats sur ce texte prennent fin, je dois vous avouer ma déception. Je ne fais pas de gamineries, pour reprendre un terme qui a été employé : j’exprime la réalité des territoires. Ne trompons pas nos concitoyens ultramarins, même s’ils se trouvent à 8 000 kilomètres de l’Hexagone.

Monsieur Lurel, vous ajoutez une proposition de loi à un texte qui a été voté en 2012. Vous l’avez vous-même affirmé, celui-ci est resté au fond des tiroirs ; il a pris la poussière. En réalité, la présente proposition de loi ne vise qu’à l’appliquer, puisqu’il est resté ineffectif depuis une dizaine d’années.

Après les événements de Martinique, le directeur de cabinet du préfet s’est empressé de se rendre dans les supermarchés de Guadeloupe, afin de vérifier si le bouclier qualité-prix y était bien respecté.

Dans le premier supermarché, il a observé que c’était bien le cas. Mais dans le second, il s’est aperçu qu’on n’appliquait pas ce dispositif – catastrophe ! Mais cette inapplication de la loi, c’est tous les jours que nous la constatons, nous, monsieur Lurel ! Votre texte a donc de quoi en faire rire certains.

Au reste, je déplore l’absence dans cet hémicycle de la majorité de nos collègues ultramarins ; ils ont choisi de ne pas exprimer de position de vote aujourd’hui, sans doute pour ne pas déplaire à certains. Ce n’est pas respecter leurs engagements envers nos concitoyens d’outre-mer, de Guadeloupe et d’ailleurs.

Pour ma part, je prends mes responsabilités et j’affirme que je ne suis pas satisfaite par le présent texte.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Solanges Nadille. En 2009 déjà, en Guadeloupe, le Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP), ou collectif contre l’exploitation outrancière, tirait la sonnette d’alarme sur la vie chère en outre-mer. Voilà seize ans qu’il évoque ce problème et qu’il nous demande d’appliquer ses propositions. (M. Victorin Lurel sexclame.) Or le Parlement s’y refuse et préfère accumuler les textes inutiles. (Marques dimpatience sur diverses travées.)

Par ailleurs, vous nous demandez de faire preuve de mimétisme…

M. le président. Vous avez dépassé de plus de vingt secondes votre temps de parole, chère collègue. Je suis d’un naturel magnanime, mais je dois veiller à ce que chacun respecte le règlement.

Plus personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, GEST et Les Républicains. – M. Teva Rohfritsch applaudit également.)

5

Encadrement des loyers et amélioration de l’habitat dans les outre-mer

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la discussion de la proposition de loi expérimentant l’encadrement des loyers et améliorant l’habitat dans les outre-mer, présentée par Mme Audrey Bélim et plusieurs de ses collègues (proposition n° 198, texte de la commission n° 364, rapport n° 363).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Audrey Bélim, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Audrey Bélim, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de rendre de nouveau hommage aux victimes réunionnaises, après le passage du cyclone Garance sur notre île. J’adresse, en votre nom à tous, nos pensées émues à leurs familles et à leurs proches.

Je commencerai mes propos de la même manière que lorsque j’ai été invitée à m’exprimer devant la commission des affaires économiques : le Sénat s’honore toujours à exercer le rôle qui lui est dévolu par la Constitution, celui d’être la chambre des territoires.

Je souhaite à cet égard tout particulièrement remercier le président de notre groupe, Patrick Kanner, qui a souhaité consacrer une niche entière à des textes relatifs aux outre-mer.

La présente proposition de loi comporte deux mesures particulièrement attendues par nos territoires. Elle est le fruit d’un travail collectif et doit beaucoup à l’investissement des sénateurs de l’Hexagone et des outre-mer en faveur de l’adaptation des normes de construction dans les territoires ultramarins.

Ces dernières années, des jalons importants ont été posés. Le Sénat y a fortement contribué par ses travaux successifs. Je pense notamment au rapport fondateur, Le BTP au pied du mur normatif dans les outre-mer, rédigé en 2017 par Vivette Lopez, Karine Claireaux et Éric Doligé, ainsi qu’au rapport La Politique du logement dans les outre-mer, élaboré en 2021 par nos collègues Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel.

On peut également citer le livre blanc des Assises de la construction durable en outre-mer, préfacé par Micheline Jacques, fruit d’une collaboration entre les forces vives de chacun de nos territoires. Ce document établit une feuille de route claire et opérationnelle, que le présent texte propose de prolonger.

Dans cette préface, Micheline Jacques écrivait : « Les bouleversements géopolitiques récents, les enjeux climatiques et écologiques de réduction de l’empreinte carbone font de la nécessité de disposer de référentiels propres aux outre-mer une urgence, tant du point de vue des matériaux que des modes de construction. » Je souscris pleinement à ces propos.

Notre collègue Jacques avait d’ailleurs plaidé pour une telle adaptation lorsqu’elle était rapporteur du projet de loi d’urgence pour Mayotte. Sur ce point, je la soutiens entièrement. Nous avançons ensemble aujourd’hui vers ces référentiels de construction.

Je souhaite remercier également la présidente de la commission des affaires économiques, Mme Dominique Estrosi Sassone, experte du logement, comme chacun le sait, qui a examiné avec un œil bienveillant ce travail des filières socioprofessionnelles ultramarines.

Quant aux ministres Manuel Valls et Valérie Létard, ils se sont engagés à remédier concrètement à ce problème qui persiste depuis trop longtemps.

Manuel Valls a fait preuve d’un réel et remarquable investissement personnel. Nous avons pu échanger ensemble régulièrement, y compris lorsqu’il s’est rendu en Nouvelle-Calédonie. Je tenais à le souligner, car l’outre-mer est un ministère bien difficile, écartelé entre les urgences du présent et le besoin de construire l’avenir.

Je veux également saluer Valérie Létard, ministre déterminée, qui connaît parfaitement les enjeux du logement et de la construction. Nos échanges furent riches et précieux.

Enfin, permettez-moi de remercier le président Mathieu Darnaud, qui, comme nous le savons tous, est toujours particulièrement attentif aux outre-mer.

Nous avons sans doute, chacune et chacun, des divergences partisanes, mais nous nous rejoignons sur un sujet essentiel, celui de l’égalité des territoires. Nous partageons une conviction très simple : la République doit être partout chez elle, en Ardèche comme à La Réunion, dans les Alpes-Maritimes comme en Martinique, en Essonne comme en Guyane.

Je le disais, cette proposition de loi comporte deux mesures très attendues dans les outre-mer. L’article 1er prévoit l’expérimentation de l’encadrement des loyers dans les territoires d’outre-mer, que nous ont demandée de nombreuses collectivités.

Lors du lancement de l’expérimentation initiale dans l’Hexagone, les communes de nos territoires n’étaient pas classées en zone tendue et n’ont donc pas pu participer aux premières phases, contrairement à des villes comme Paris ou Montpellier.

Les chiffres sont incontestables : 80 % des foyers ultramarins sont éligibles au logement social. Pourtant, nombre d’entre eux n’ont d’autre choix que de se tourner massivement vers le parc locatif privé, tant la construction de logements, notamment sociaux, s’est effondrée ces dernières années.

L’Association des communes et des collectivités d’outre-mer (Accd’om) a distribué un questionnaire sur cette proposition de loi à l’ensemble des maires ultramarins. Le résultat est unanime : de Mayotte à la Guyane, en passant par la Guadeloupe, l’expérimentation dans les communes volontaires – j’insiste sur cet adjectif – est ardemment souhaitée. C’est à cette attente que le Sénat doit répondre aujourd’hui.

L’article 2, qui prévoyait de revoir la cartographie des quartiers prioritaires de la ville (QPV) dans les outre-mer, a été supprimé en commission. En effet, un décret a récemment élargi le nombre de QPV dans les outre-mer après le dépôt de la présente proposition de loi. J’espère que, ainsi, nous avons permis d’accélérer les délais de publication de ce texte attendu.

Si je ne suis pas entièrement satisfaite, j’accepte toutefois le compromis. C’est pourquoi je n’ai pas tenu à réintroduire cet article.

Enfin, l’article 3 prévoit d’autoriser l’adaptation des normes de construction dans les outre-mer. Grâce à une remarquable mobilisation du gouvernement et des eurodéputés français, le Parlement européen, en avril 2024, a exempté les outre-mer de l’obligation du marquage CE pour les matériaux de construction.

Nous devons être à la hauteur de ce vote historique, continuer à avancer et réaliser des progrès concrets sur ce sujet crucial dans notre hémicycle : la maison des territoires, c’est nous !

L’urgence est triple.

Elle est tout d’abord économique, car ces normes inadaptées freinent le développement des filières locales du BTP.

Elle est ensuite environnementale, car l’importation massive de matériaux suscite des émissions de gaz à effet de serre inadmissibles face à l’urgence climatique.

Elle est enfin et surtout sociale, car le surcoût lié à l’importation des matériaux pourrait être réduit en utilisant des ressources produites sur le territoire ou dans le bassin géographique.

Il s’agit d’intervenir directement sur le coût des loyers, donc d’agir, une fois encore, sur le pouvoir d’achat, c’est-à-dire sur le pouvoir de vivre.

Voici les propos qu’a tenus Manuel Valls à nos collègues députés, le 19 février dernier : « Pour réduire les prix, il nous faut rompre avec un modèle infantilisant, parfois ubuesque. Limitons les importations – très coûteuses – depuis l’Hexagone ou l’Union européenne à ce qui est strictement indispensable. Mayotte importe son bois de Lettonie, alors qu’il existe des alternatives en Afrique du Sud. » M. le ministre a indubitablement raison, hélas.

Pourtant, des solutions existent. À Mayotte, justement, la brique de terre comprimée (BTC), utilisée dans la construction du lycée des métiers du bâtiment (LMB), a démontré son excellence, résistant notamment au passage du cyclone Chido.

En outre, le référentiel de la construction en Nouvelle-Calédonie (RCNC) permet, depuis 2020, de réaliser des constructions de qualité et adaptées à l’archipel. La Nouvelle-Calédonie ajoute ainsi à son système normatif de référence des règles dont l’impact positif sur la qualité de la construction a été démontré. Ce peut être le cas des normes australiennes, parfois plus protectrices en matière anticyclonique. Le passage du cyclone Garance à La Réunion nous montre que nous pouvons encore progresser en matière d’adaptation de nos constructions.

L’Association des maires du département de La Réunion (AMDR) note que, dans l’est de l’île, 80 % des habitations ayant perdu leur toit datent de moins de quinze ans. Nos normes anticycloniques sont-elles bien adaptées ? Ne pourrions-nous pas nous inspirer de ce qui fonctionne ailleurs ?

Pour amplifier les initiatives prises à Mayotte, tout en nous inspirant de la dynamique néo-calédonienne, nous vous proposons de créer des comités relatifs aux produits de construction.

Ces comités seront chargés de contribuer à la nécessaire mise en œuvre de l’exemption de marquage CE, en tenant compte des besoins de la production, des spécificités et des contraintes locales. En outre, ils devront soutenir l’innovation locale dans le domaine des matériaux et des procédés de construction, donc définir des référentiels de construction adaptés aux contraintes climatiques, géographiques et culturelles locales, en tenant compte d’objectifs de construction durable et frugale.

Ces comités devront compter parmi leurs membres les acteurs locaux ; c’est une condition essentielle à leur fonctionnement. Devraient ainsi figurer parmi les représentants, de façon non exhaustive, les instances représentatives des filières locales de la construction et du bâtiment et travaux publics (BTP), les scientifiques et les experts locaux.

Ces comités ne doivent pas pouvoir valider l’utilisation de matériaux à la qualité fragile. Pour approuver, sur un plan technique, l’utilisation de tels matériaux et procédés, il faut des procédures rigoureuses associant les services de l’État et les instances nationales de normalisation concernées, comme le Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction du bâtiment (BNTEC), qui agit en délégation de l’Agence française de normalisation (Afnor). C’est une condition essentielle demandée par France Assureurs pour que le dispositif fonctionne.

Les travaux entrepris par le département de Mayotte pour recourir à la BTC ont été longs et coûteux, mais ils se sont révélés fructueux. Nous devrions permettre à la Guyane de s’inspirer de ces référentiels.

Étant donné l’important travail mené par l’ensemble des acteurs publics et privés dans le cadre des Assises de la construction durable en outre-mer, le dialogue et la concertation doivent présider à la rédaction des décrets d’application.

La consultation du Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique (CSCEE), ainsi que des acteurs des principaux bassins, est dès lors impérative sur les projets de décret. Rappelons que le dispositif envisagé, qui dépasse les clivages politiques, associe le BNTEC et le Conseil national de l’Ordre des architectes (CNOA).

L’adaptation urgente des normes de construction dans les outre-mer est souhaitée par 15 sénateurs ultramarins qui ont publié une tribune conjointe, hier, via le média Outremers 360°. Ces sénateurs représentent l’ensemble des bassins océaniques et des groupes politiques comptant des élus ultramarins.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Audrey Bélim, auteure de la proposition de loi. L’adaptation des normes dans les outre-mer est non plus une option, mais une nécessité. Elle permettra de créer des emplois locaux, de réduire notre empreinte carbone, de développer notre résilience face au changement climatique et de valoriser nos savoir-faire traditionnels.

Le Sénat est la maison des territoires ; il doit faire confiance aux élus et aux acteurs locaux. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – MM. Teva Rohfritsch, Philippe Grosvalet et Cédric Chevalier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Teva Rohfritsch applaudit également.)

Mme Micheline Jacques, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai, moi aussi, une pensée particulière pour nos compatriotes réunionnais, frappés par le cyclone Garance la semaine dernière.

Le bilan est lourd, trop lourd. Je sais, monsieur le ministre, que nous pouvons compter sur une action forte de l’État et des acteurs locaux pour venir en aide aux sinistrés le plus rapidement possible.

J’en viens à la proposition de loi de notre collègue Audrey Bélim, dont je sais l’engagement pour son territoire, particulièrement en ces moments difficiles. Ce texte vise à renforcer l’adaptation des normes en outre-mer dans trois domaines : le logement abordable, les QPV et les normes applicables aux produits de construction.

En commission, avec l’accord de Mme Bélim, nous avons resserré le texte autour du logement abordable, en permettant aux collectivités d’outre-mer qui le souhaitent de mettre en œuvre un dispositif d’encadrement des loyers. En effet, l’expérimentation actuelle d’encadrement des loyers, prévue par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite Élan, n’a pas été ouverte aux collectivités ultramarines.

Ainsi, les 48 communes bénéficiaires sont toutes situées dans l’Hexagone. À l’époque, aucune commune ultramarine n’entrait dans la catégorie des communes situées en zone tendue, éligibles au dispositif.

Ce n’est plus le cas depuis que la liste des communes situées en zone tendue a été actualisée en août 2023. Or, à cette date, le délai fixé par la loi Élan pour candidater à l’expérimentation d’encadrement des loyers était déjà échu. La commission a donc estimé légitime de donner aux collectivités d’outre-mer la possibilité de candidater à ce dispositif, comme ont pu le faire celles de l’Hexagone.

Une telle évolution s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la vie chère outre-mer, même si le poste le plus emblématique en la matière reste l’alimentation, avec des écarts de prix pouvant s’élever jusqu’à 40 % entre l’Hexagone et la Guadeloupe, par exemple.

Les loyers ne sont pas en reste : ils représentent une part très significative du budget des ménages, plus encore que dans l’Hexagone, compte tenu du moindre niveau de revenus de nos compatriotes ultramarins.

Bien évidemment, l’encadrement des loyers est un outil qui doit demeurer facultatif et être laissé aux mains des élus locaux. Il ne doit pas nous conduire à ménager notre soutien à l’investissement locatif, au développement du logement social et, plus largement, à la construction. On déplore tout de même un déficit de 110 000 logements dans les outre-mer !

Vraisemblablement, seules quelques collectivités seront concernées par l’expérimentation. Depuis l’actualisation du zonage de tension locative en août 2023, sont passées en zone tendue 38 communes ultramarines. Seules celles qui disposent d’un observatoire local des loyers (OLL) pourront en bénéficier, à savoir La Réunion et la communauté d’agglomération de Cap Excellence, en Guadeloupe.

Or ces observatoires sont le préalable à la mise en place d’un encadrement des loyers. La commission a donc renforcé le dispositif proposé par notre collègue Bélim, sans pour autant interférer dans l’expérimentation actuelle d’encadrement des loyers en métropole, qui arrive à échéance à la fin de l’année 2026.

La ministre du logement a diligenté une mission d’évaluation de cette expérimentation. Il est essentiel de ne pas la prolonger avant d’en avoir dressé le bilan. Nous avons ainsi créé une nouvelle expérimentation ad hoc dans les collectivités ultramarines, distincte de l’expérimentation actuelle.

Afin que le dispositif soit pleinement opérationnel, la durée de l’expérimentation et les délais de candidature des collectivités ont été calqués sur ceux qui ont été prévus lors de l’examen de la loi Élan. Cela permettra aux collectivités de disposer d’un temps suffisant pour constituer un dossier de candidature, attendre qu’il soit examiné et préparer la mise en place du dispositif.

L’article 2 visait à rendre moins restrictifs les critères utilisés pour délimiter les QPV dans les outre-mer. L’objectif était d’accroître le nombre de QPV dans les territoires ultramarins, mais il a été en grande partie atteint grâce à une réforme intervenue à la fin du mois de décembre 2024.

La nouvelle géographie prioritaire de la politique de la ville est désormais fondée sur des critères mieux harmonisés et moins restrictifs. Notamment, la méthode du carroyage, qui avait été très défavorable à La Réunion, à la Martinique et à la Guadeloupe, n’a pas été retenue. Cette nouvelle géographie inclut dorénavant 247 QPV ultramarins, contre 218 précédemment.

En accord avec Mme Bélim, la commission a supprimé l’article 2 pour tenir compte de cette réforme intervenue après le dépôt de la proposition de loi.

Enfin, l’article 3 concerne l’élaboration d’un marquage régions ultrapériphériques (RUP) dérogatoire au marquage CE dans le domaine de la construction, conformément à un règlement européen publié à la fin du mois de décembre 2024. Il s’agit d’une avancée substantielle, soutenue de longue date par les acteurs et, au Sénat, par la délégation aux outre-mer.

Nous pouvons nous réjouir qu’un travail collectif ait été accompli au service des territoires ultramarins. Il a trouvé un premier débouché en 2021, avec le rapport que Guillaume Gontard, Victorin Lurel et moi-même avons rédigé et dans lequel nous appelions déjà à promouvoir un marquage RUP.

Un pas important a été franchi en octobre 2024 avec la publication du livre blanc des Assises de la construction durable en outre-mer. Celui-ci a nécessité plus d’un an de concertations, preuve que ces sujets requièrent un travail de longue haleine.

En janvier 2025, l’entrée en vigueur partielle du nouveau règlement sur les produits de construction et l’exemption pour les régions ultrapériphériques qu’il contient est également une étape décisive.

Toutefois, la question des normes est aussi et peut-être même surtout celle des normes volontaires, qui doivent être partagées par l’ensemble des acteurs, permettant tout particulièrement de veiller à l’assurabilité des bâtiments. Les travaux de la délégation aux outre-mer l’ont montré dès 2017 ; je pense notamment au rapport sur les normes en matière de construction et d’équipements publics dans les outre-mer, élaboré par Éric Doligé, Karine Claireaux et Vivette Lopez.

Nous savons tous combien la question de l’assurabilité devient complexe dans les outre-mer, frappés régulièrement et durement par des phénomènes climatiques de plus en plus intenses.

En somme, si l’évolution du droit européen est une avancée très importante, les travaux pour aboutir concrètement sont toujours en cours. C’est la raison pour laquelle la commission a, avec l’accord de Mme Bélim, supprimé l’article 3.

Rappelons que la question de l’adaptation des normes aux spécificités ultramarines dépasse le seul secteur de la construction.

Tel est d’ailleurs l’objet de la proposition de résolution européenne présentée par Christian Cambon, Stéphane Demilly et Georges Patient. Ces derniers recommandent l’adoption d’un paquet RUP à l’échelon européen, pour lever les obstacles normatifs à l’insertion régionale des territoires ultramarins dans les secteurs de l’agroalimentaire, du traitement des déchets et de l’énergie.

Il est important d’organiser des concertations, même si cela prend du temps, de réfléchir à l’adaptation normative de façon large et, surtout, de laisser des marges d’organisation aux collectivités et aux acteurs locaux, qui ne devraient pas être systématiquement contraints de passer par un central. Sur ce point, on ne peut que déplorer l’échec des différents plans relatifs au logement, largement conçus et pilotés depuis Paris.

Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce que je souhaitais dire en introduction de nos débats. Je tiens encore une fois à remercier Audrey Bélim de nos échanges constructifs. Je salue sa disponibilité et son engagement en amont de l’examen de cette proposition de loi.

En tant que présidente de la délégation aux outre-mer, je me félicite que notre agenda parlementaire mette une fois de plus à l’honneur des problématiques ultramarines. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes GEST et SER.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. Manuel Valls, ministre dÉtat, ministre des outre-mer. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, chère Dominique Estrosi Sassone, madame le rapporteur, chère Micheline Jacques, madame la sénatrice Audrey Bélim, auteure de la proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, je m’associe à vos propos relatifs à la situation de La Réunion, où je me rendrai tout à l’heure, et, de manière plus générale, je souhaite saluer l’esprit qui règne au Sénat.

Comme nous avons pu le constater précédemment lors de l’examen de la proposition de loi de M. Victorin Lurel, et comme nous ne manquerons pas de l’observer dans le cadre de l’examen de la présente proposition de loi, cet esprit est propice à la construction d’un consensus, particulièrement nécessaire s’agissant des outre-mer.

La vie chère dans les outre-mer est souvent abordée au prisme des prix à la consommation. Si les écarts de prix avec la métropole sont immenses, pouvant atteindre jusqu’à 40 % dans l’alimentaire, le constat est le même en matière de logement. Selon l’Insee, en 2022, les loyers ultramarins étaient supérieurs aux loyers hexagonaux à raison de 3 % en Martinique et à La Réunion, de près de 5 % en Guadeloupe et de près de 10 % en Guyane.

Les loyers constituent une part bien plus significative du budget des ménages ultramarins que de celui des ménages hexagonaux, alors que les revenus sont souvent moins élevés dans les outre-mer.

Faciliter l’accès à un logement abordable, digne et répondant aux besoins des habitants et des territoires est donc l’un des leviers pour lutter contre la vie chère. C’est un combat que je suis résolu à mener.

L’enjeu que constitue l’accès au logement est toutefois beaucoup plus large, dans la mesure où il conditionne en grande partie la réussite de nos politiques publiques. Il y va donc de l’avenir de nos territoires.