Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour explication de vote.

Mme Laurence Harribey. Je souscris entièrement aux propos du rapporteur sur le plan juridique, ainsi qu’à ceux de M. le garde des sceaux concernant l’expérience que nous tirons des CEF et la problématique des très courtes peines.

Nous menons effectivement un travail sur ce sujet, avec mes collègues Elsa Schalck et Dominique Vérien, mais nous n’en sommes encore qu’au début de nos auditions.

Ce qui en ressort déjà, c’est que personne n’est véritablement d’accord sur la question des ultracourtes peines, et que leur efficacité est douteuse, notamment pour les mineurs. D’une part, il faudrait envisager un alignement avec les adultes. D’autre part, chez les mineurs, ces peines très courtes semblent empêcher un véritable travail de prise en charge. Tous les professionnels que nous avons entendus s’accordent à dire que pour qu’un suivi puisse réellement commencer dans un CEF il faut au moins six mois.

La seule justification possible pour des peines ultracourtes serait l’idée d’un choc carcéral. Mais, sur ce point également, de nombreuses réserves ont été exprimées. Nous allons d’ailleurs nous rendre aux Pays-Bas pour étudier ces questions.

En tout état de cause, comme l’a souligné M. le rapporteur, cette question des courtes peines doit être envisagée de manière beaucoup plus globale. Si nous décidions de mettre en place ce type de mesures, il faudra impérativement qu’elles s’inscrivent dans un véritable processus d’accompagnement. Et ces peines ultracourtes ne résoudront pas, à elles seules, les difficultés que rencontrent les CEF.

Le rapport de la Cour des comptes est très critique sur ces établissements, dont le coût est, par ailleurs, élevé, monsieur le garde des sceaux.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Sept millions d’euros…

Mme Laurence Harribey. Ces structures sont loin d’être une solution évidente et, si leur efficacité reste à prouver, il serait peut-être préférable d’envisager des dispositifs alternatifs.

Nous ne voterons donc pas cet amendement ; je demande à ma collègue Marie-Claire Carrère-Gée de nous laisser le temps de travailler sur ces questions, afin d’élaborer une vision plus globale.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour explication de vote.

Mme Marie-Do Aeschlimann. Je tiens à exprimer mon soutien à cet amendement présenté par notre collègue Marie-Claire Carrère-Gée. Je pense que c’est un amendement pertinent.

Certes, le dispositif des ultracourtes peines n’est pas la panacée, mais il a au moins le mérite de soulever une problématique importante : il faut mettre une butée, à un moment donné, à des actes déviants ou délinquants répétés. Il arrive qu’un mineur en situation de perdition accumule un certain nombre de comportements problématiques, sans que ces derniers soient réprimés de manière adéquate. Lorsqu’il finit par être enfermé, c’est souvent dans des conditions qui n’offrent pas forcément des perspectives positives.

Je souhaiterais par ailleurs dire à M. le ministre d’État que je suis quelque peu embarrassée par la façon dont il prend les choses, et par son argument selon lequel on ne sait pas où placer ces jeunes. J’entends bien qu’il y a une difficulté matérielle et logistique à les accueillir dans de bonnes conditions. Mais cela ne devrait pas nous empêcher d’étudier sérieusement cette option.

J’aimerais également rappeler que l’enjeu principal ne réside pas uniquement dans la question de l’enfermement. Ce qui importe, c’est la qualité de l’accompagnement éducatif qui est proposé à ces jeunes. À mon sens, plus nous intervenons tôt, plus nous leur offrons rapidement un dispositif éducatif en parallèle, même dans le cadre d’une peine ultracourte, et plus nous augmentons nos chances de les amener à prendre conscience de la gravité et de l’illégalité de leur comportement. L’objectif, bien sûr, est de les accompagner vers le droit chemin.

Cette solution n’est pas parfaite, sans doute. Mais force est de constater que les solutions actuellement en place ne donnent pas de meilleurs résultats. Comme l’a justement rappelé M. le ministre d’État, les CEF présentent également leurs limites, notamment en raison d’un nombre insuffisant d’heures de formation. Autrement dit, les dispositifs actuels ne sont pas non plus pleinement satisfaisants. Dans ces conditions, pourquoi ne pas essayer une autre voie ? C’est dans cet esprit que je remercie notre collègue pour cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Akli Mellouli, pour explication de vote.

M. Akli Mellouli. Ma collègue Laurence Harribey a déjà avancé un certain nombre d’arguments contre cet amendement. Pour ma part, je tiens à revenir sur une contradiction.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez évoqué le modèle hollandais, ce qui est effectivement une bonne idée, car ce pays mise beaucoup sur les peines alternatives. Si cela pouvait nous inspirer, notamment en ce qui concerne le développement du TIG, aussi bien pour les jeunes que pour les adultes, ce serait une piste intéressante pour l’avenir.

Cependant, vous nous dites ici qu’on ne peut pas faire une exception pour les mineurs parce qu’il faudrait aligner les dispositifs sur ceux des adultes. Le rapporteur a raison sur ce point. Comme il n’existe pas de solution parfaite, vous parlez, madame Aeschlimann, de tenter l’expérience avec eux, comme si cela n’avait pas d’importance. Sauf que nous parlons ici de vies humaines. Si la prison formait les citoyens de demain, cela se saurait ! Si les CEF fonctionnaient correctement, cela se saurait aussi.

Plutôt que d’améliorer ces dispositifs pour qu’ils fonctionnent réellement, ou de miser davantage sur des alternatives éducatives et préventives, on se réfugie dans le tout-répressif. Ce débat montre que nous sommes enfermés dans un dogme, et non dans une réflexion de fond qui pourrait faire avancer les choses.

Nous savons tous que cette solution n’apportera rien de concret. Tous les éducateurs le disent, les professionnels de l’administration pénitentiaire aussi. Lorsque l’on visite les prisons pour mineurs, ce qui frappe, c’est surtout l’absence de suivi. La vraie question, ce n’est pas de savoir comment les enfermer, mais dans quelles conditions ils vont sortir. Voilà ce sur quoi nous devrions nous concentrer ! (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Si une solution n’est pas prête, si elle n’est pas pensée en profondeur, alors ne l’appliquons pas. Nous ne sommes pas ici pour jouer aux apprentis sorciers. Nous sommes là pour élaborer des dispositifs qui transforment réellement notre société. Les difficultés existent, mais elles sont aussi d’ordre social. Et si nous ne prenons pas ces aspects en compte, si nous restons dans une logique dogmatique, alors ce texte ne sera qu’une énième loi, qui ne réglera pas les vrais problèmes. Et cela fera monter les fachos, qui auront beau jeu de dire que nous n’allons pas assez loin ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Mes chers collègues, je ne sais pas trop comment il faudrait qu’un certain nombre de choses vous soient dites. Le ministre de la justice a été ministre de l’intérieur, et il parvient bien, dans sa réflexion, à associer ses fonctions intérieures à sa fonction actuelle. Or il nous dit qu’il ne saurait pas comment faire. On ne peut pas soupçonner le ministre de la justice actuel d’être un opposant politique à votre camp. On ne peut pas le soupçonner de vous lâcher toujours en pleine campagne quand vous proposez des mesures qui correspondent à votre philosophie de la politique pénale, carcérale et sécuritaire…

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. L’enquête le dira ! (Sourires.)

Mme Laurence Rossignol. Lorsque le rapporteur vous dit que votre mesure n’est pas applicable, vous ne l’entendez pas non plus. L’une de nos collègues a dit : « Peut-être, mais cela permet de poser le problème. » Soyons sérieux !

Nous sommes ici non pas pour voter des propositions de loi « proclamatoires » ou pour engager un débat de société, mais pour réformer le code pénal. De plus, le problème du traitement des mineurs délinquants est clairement posé et nous cherchons des solutions.

Madame Aeschlimann, vous qui réclamez des dispositions supplémentaires, savez-vous combien de mesures éducatives sont en attente ? Savez-vous que certains des mineurs auteurs impliqués dans les drames que vous évoquez attendaient de voir un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse depuis six mois ? Ils n’en ont pas vu, car plus de 4 000 mesures éducatives sont en attente aujourd’hui !

La solution exclusivement carcérale que vous proposez reviendrait à prendre acte de l’état, que nous déplorons tous, de la protection judiciaire de la jeunesse. Elle ne ferait que dégrader plus encore la prise en charge des mineurs auteurs.

Croyez-nous, nous sommes tout autant que vous préoccupés par le sort de ces jeunes et par les problèmes qu’ils posent à la société. Il n’y a pas vous d’un côté, qui vous préoccupez de la sécurité publique, et nous de l’autre, qui ne nous intéresserions qu’aux enfants.

Mme Marie-Do Aeschlimann. Nous n’avons pas de leçons à recevoir !

Mme Laurence Rossignol. Nous en recevons tous les jours !

Mme la présidente. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour explication de vote.

M. Marc-Philippe Daubresse. Mes chers collègues, nous allons évidemment maintenir et voter cet amendement.

J’ai évoqué hier un cas concret. En tant que maire – je l’ai été pendant vingt-neuf ans – j’ai mis en place – chacun pourra le vérifier –, avec des collègues de différents mouvements politiques d’ailleurs, des politiques de prévention très importantes.

J’ai constaté à maintes reprises, et sous plusieurs gouvernements, qu’il y avait un gros problème. Bien sûr que, pour les mineurs, il faut privilégier les mesures éducatives plutôt que la répression. Le problème, c’est que les politiques prévoyant des mesures éducatives destinées à prévenir les risques de récidive ou de multirécidive ne fonctionnent pas.

Certes, on pourrait discuter de la question des moyens, mais c’est un autre sujet.

M. Francis Szpiner, rapporteur. C’est tout de même un sujet.

M. Marc-Philippe Daubresse. Revenons sur le cas du jeune que j’ai évoqué hier. Il a commencé à faire du trafic de drogue à l’âge de 14 ou 15 ans – aujourd’hui, il débuterait sans doute dès 12 ou 13 ans – ; il gangrène un quartier, est pris dans un engrenage et commet des cambriolages, des car-jackings et des home-jackings en série. Trente-cinq fois de suite, il est pris en flagrant délit et rappelé à l’ordre. Trente-cinq fois, on lui a dit : « Tu ne dois plus le faire, mon petit ! » (Mais non ! sur des travées du groupe SER.).

M. Guy Benarroche. C’est une fable !

M. Marc-Philippe Daubresse. Quelles mesures éducatives et préventives sont prises pour accompagner ce rappel à l’ordre ?

La trente-sixième fois, ce jeune est condamné à un séjour en centre éducatif fermé. Il sort du tribunal tranquillement, en disant : « De toute manière, j’en ai rien à faire ! » Après cela, on ne l’a plus revu pendant quinze jours.

Lorsqu’il a atteint ses dix-huit ans, il est de nouveau passé au tribunal, qui l’a condamné à juste titre à une peine d’emprisonnement. Il a passé un an et demi en prison, ce qui n’est pas une courte peine, mais le fait est qu’on ne l’a plus revu faire du trafic dans le quartier.

Je ne dis pas que les courtes peines marchent ou qu’elles ne marchent pas, je dis qu’il faut tester cette forme de répression, qui doit être, je suis d’accord, assortie d’une mesure éducative. (Mme Laurence Rossignol sexclame.)

Je le répète : nous maintiendrons cet amendement et nous le voterons.

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Nous sommes tous d’accord, me semble-t-il, pour que l’on applique des sanctions aux mineurs.

Mme Laurence Rossignol. Mais bien sûr !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Il ne m’a pas semblé qu’il y avait un désaccord sur ce point, que ce soit lors de nos débats sur la proposition de loi initiale ou de ceux sur la proposition de loi telle qu’elle a été modifiée par M. le rapporteur.

À la question de savoir si la politique pénale visant à prévenir la violence des mineurs fonctionne, la réponse est non. Vous avez parfaitement raison sur ce point, et je suis le premier à le dire. (Exclamations.) Je ne vais tout de même pas me faire traiter de gauchiste au Sénat !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Ce serait très particulier. (Sourires.)

J’ai moi-même été maire, monsieur Daubresse – même si j’ai moins d’expérience que vous –, d’une commune dont vous connaissez les difficultés. J’ai réfléchi également à ce qui conduit des mineurs, quel que soit leur âge, vers une forme de délinquance extrêmement violente. Aussi, je me demande si une incarcération ou un séjour d’un mois dans un centre éducatif fermé sont vraiment des solutions, compte tenu du fonctionnement actuel de ces établissements.

M. Marc-Philippe Daubresse. Vous n’avez donc pas la réponse !

Mme Laurence Rossignol. C’est une bonne question !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Madame Aeschlimann, en tant que chef d’une administration, mon travail sera de veiller, si cette loi est votée, à ce qu’elle soit appliquée. Constitutionnellement, je suis en effet chargé de l’application des lois de la République.

Or l’amendement que vous vous apprêtez à voter est inapplicable ; la faute à qui ?

Depuis Albin Chalandon – excellent député du Nord, monsieur le sénateur du Nord ! –, on s’y prend très mal en France pour construire des prisons.

M. Marc-Philippe Daubresse. C’était en 1986, monsieur le ministre.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. En effet. Ce siècle avait quatre ans puisque je suis né en 1982 ! Cela ne vous aura pas échappé… (Sourires.)

Depuis lors, on n’a pas construit, quel que soit le Gouvernement, de places de prison en grand nombre. C’est bien qu’il y a une raison. Au ministère de la justice – et je le déplore –, on met sept ans pour construire une prison.

Je suis prêt à discuter des courtes peines, même si je ne dispose d’aucune documentation scientifique sur ce sujet. Je constate d’ailleurs que vous n’en citez pas non plus. Toutefois, avant d’envisager d’incarcérer des mineurs dans des lieux privatifs de liberté extrêmement difficiles – encore une fois, je n’écarte pas cette option, j’indique simplement que j’ignore si elle fonctionne –, il faut savoir que les prisons sont déjà pleines de gens placés en détention provisoire, notamment en matière criminelle.

Que voulez-vous que je fasse ? Que je sorte ces personnes de prison pour y mettre à leur place de jeunes délinquants condamnés à de courtes peines ? Voulez-vous que nous sortions des mineurs du système éducatif pour les placer en centre de détention ou dans des centres éducatifs fermés ?

Je l’ai dit tout à l’heure, mais vous ne m’écoutiez pas, que ces jeunes ont huit heures de cours par semaine, soit cinq fois moins qu’à l’école. Un gamin qui serait incarcéré au mois de mai pour les motifs que vous évoquez n’aurait pas cours, car il n’y a pas de professeurs dans les prisons entre le mois de mai et le mois d’octobre.

M. Marc-Philippe Daubresse. Il faut changer tout cela !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Bien sûr qu’il faut changer tout cela, mais je ne suis en poste que depuis trois mois !

Le fait est qu’il n’existe pas de statut du professeur en centre de détention. Alors le temps qu’on en crée un… Si on voulait construire des choses ensemble, on pourrait prévoir dans le texte une date d’entrée en vigueur d’un tel statut, essayer de comprendre les problèmes auxquels je fais face, qui sont les nôtres à tous.

Avec cette proposition de loi, vous cherchez à remédier aux défaillances de l’existant, mais le texte voté par l’Assemblée nationale apporte de nombreuses réponses aux problèmes que vous soulevez, monsieur le sénateur Daubresse.

Prenons le cas d’un gamin impliqué dans un trafic de drogue dans la commune de Tourcoing ou de Lambersart, qui serait interpellé et présenté à la justice. Imaginons que, dans un premier temps, une mesure éducative soit prononcée. Aujourd’hui, si cette mesure éducative n’est pas respectée, il ne se passe rien. Ce texte comble cette lacune : il prévoit que si la mesure éducative n’est pas respectée, une sanction est prise, par exemple un séjour en centre éducatif fermé.

La sanction peut également être l’instauration d’un couvre-feu – j’espère que vous voterez l’amendement du Gouvernement qui tend à le prévoir – à la sortie des cours ou de l’apprentissage et les week-ends, sur le modèle de ce qui se fait en Espagne. Une telle sanction n’existe pas aujourd’hui en France.

En Espagne, on applique une mesure de privation de liberté à domicile – on peut aussi imaginer un placement extérieur – et si ce couvre-feu est violé, alors la sanction est plus sévère.

Chacun élève ses enfants comme il le peut. Quand on en a, on adapte les grandes idées que l’on avait avant d’en avoir.

Mme Laurence Rossignol. Cela rend modeste. (Sourires.)

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Cela rend modeste, en effet.

Quand on élève des enfants et qu’on leur inflige des sanctions, on essaie de les proportionner à la faute qu’ils ont commise. Évidemment, une sanction doit être appliquée très vite. Ce n’est pas en posant le même interdit dix-huit fois sans qu’il soit suivi d’effet que l’on inculque des règles à ses enfants.

Cela étant, il y a une différence entre un « ne fais pas cela ! » suivi d’une sanction proportionnée et un « ne fais pas cela ! », suivi d’un « tu vas passer trois semaines, tout seul, enfermé dans ta chambre ! ». Quand on envoie un petit enfant au coin, c’est pour quelques minutes, le temps qu’il comprenne.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Nous proposons justement des sanctions proportionnées.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Un mois de prison pour un mineur, ce n’est pas une sanction proportionnée !

En ce qui me concerne, je propose des mesures mieux proportionnées : d’une part, l’application d’une sanction si la mesure éducative n’est pas respectée, comme un placement en centre éducatif fermé ; d’autre part, un couvre-feu et un placement en centre éducatif si cette sanction n’est pas respectée.

En revanche, il ne me paraît pas souhaitable d’instaurer pour les mineurs de courtes peines de prison qui n’existent pas pour les majeurs.

On sait que 75 % des mineurs passés par la prison récidivent. Et encore, ce taux est-il celui de 2011 – la droite était alors aux responsabilités, ce qui montre bien qu’il existe une difficulté de manière générale avec les mineurs –, cela doit être pire aujourd’hui, pour les raisons que vous avez évoquées, monsieur le sénateur Daubresse. On peut penser que quasiment 100 % de ces mineurs sont des réitérants.

Nous pouvons, bien sûr, réfléchir à la création de lieux d’incarcération spécifiques pour les mineurs, proposant notamment un suivi éducatif, sur le modèle des régiments du service militaire adapté (RSMA) qui existent outre-mer. Pourquoi ne pas prévoir également un encadrement militaire, par les établissements pour l’insertion dans l’emploi (Epide) par exemple ?

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. J’y suis en tout cas favorable., car ça marche ! On sera peut-être en désaccord avec la gauche sur ce point, mais ça marche.

En revanche, je m’oppose à la mise en place de courtes peines de prison d’un mois pour les mineurs. Où les mettrait-on ? À Fleury-Mérogis ? Dans le Nord-Pas-de-Calais ? Très franchement, pensez-vous réellement que ce soit des lieux pour des mineurs ? Réservons-les aux personnes placées en détention provisoire, dans l’attente de leur jugement pour des actes criminels. Ce ne serait pas bien légiférer que de voter cet amendement.

Encore une fois, je veux bien débattre de ce sujet, mais se pose la question des moyens, du lieu, du type de détention et de l’accompagnement éducatif qu’il conviendrait de mettre en œuvre. Sur ce dernier point, qui relève non pas du ministère de la justice, mais du ministère de l’éducation nationale, nous sommes défaillants.

Les dispositions du texte que nous proposons répondent à votre demande de sanctions. Aussi je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’adopter cet amendement d’appel – nous avons répondu à votre appel –, cet amendement étant du reste inconstitutionnel. (Mme Laurence Rossignol sourit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Francis Szpiner, rapporteur. Toute personne de bonne foi comprend que vous allez voter une mesure que vous savez inapplicable, indépendamment de son caractère anticonstitutionnel.

M. Marc-Philippe Daubresse. On n’en sait rien !

M. Francis Szpiner, rapporteur. J’ai bien compris qu’un certain nombre d’entre vous étaient particulièrement sensibles à l’opinion. Vous allez donc expliquer à l’opinion que vous avez voté une loi tout en sachant qu’elle ne sera pas applicable ? Et vous prétendriez malgré tout avoir bien légiféré ? Tout cela me paraît aberrant.

Encore une fois, la courte peine n’est un tabou ni pour moi ni pour quiconque s’intéresse à la justice des mineurs. (Mme Laurence Harribey acquiesce.)

Je le répète : une mission d’information est en cours. Comme vient de le rappeler le garde des sceaux, certaines initiatives pourraient éventuellement conduire à envisager la mise en œuvre de courtes peines de prison, d’une durée d’un mois comme tend à le prévoir cet amendement.

L’instaurer ainsi, de but en blanc, au détour d’un amendement sur une telle proposition de loi ne m’apparaît pas raisonnable. Une loi qui n’est pas appliquée n’est pas une bonne loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.

M. Olivier Paccaud. Je vais essayer de faire preuve de bonne foi, monsieur le rapporteur, comme chacun d’entre nous, me semble-t-il.

M. Francis Szpiner, rapporteur. C’est une présomption.

M. Olivier Paccaud. Ce n’est pas une présomption. Vos propos, je vous l’avoue, m’ont quelque peu choqué.

Ce débat est par trop caricatural. S’il est normal de s’exprimer avec passion, notre ami Mellouli, avec celle qui le caractérise, est allé un peu loin en parlant de « fachos ».

M. Akli Mellouli. Je n’ai traité personne de facho !

M. Olivier Paccaud. Je pense que vous regrettez de l’avoir dit.

M. Akli Mellouli. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit !

M. Olivier Paccaud. Excusez-moi, je ne vous ai pas interrompu, mon cher collègue. Le mot est sorti de votre bouche, dont acte. (Mme Mathilde Ollivier et M. Akli Mellouli sexclament.)

Ce débat suscite trop de passion. Il m’arrive, certes, à moi aussi de m’exprimer avec passion…

J’ai cosigné l’amendement de Marie-Claire Carrère-Gée et je le voterai.

Ce qui me gêne dans le raisonnement de M. le ministre, que nous apprécions beaucoup par ailleurs, c’est qu’il dise que cette loi est inapplicable parce que nous n’avons pas les moyens de la faire appliquer. Or de nombreuses lois ont été votées alors que les moyens manquaient initialement. Je pourrai en citer beaucoup, mais je n’évoquerai qu’un seul dispositif, qui va vous surprendre : le dédoublement des classes de CP.

En 2017, quand il a été décidé d’accueillir douze élèves par classe, on nous a dit dans beaucoup endroits que cela ne serait pas possible, faute de salles de classe en nombre suffisant. Finalement, cela s’est fait ! (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.) Certes, cela a pris du temps.

C’est vrai que la prise en charge des mineurs en milieu carcéral et dans des centres éducatifs fermés aurait un coût – je fais la différence avec le dédoublement des classes –, mais…

M. Francis Szpiner, rapporteur. En effet.

M. Olivier Paccaud. … si l’on se mettait à ne plus adopter des dispositions législatives au motif qu’on ne peut pas matériellement les mettre en œuvre aujourd’hui, on ne ferait plus rien !

Monsieur le rapporteur, vous nous avez expliqué – c’est la base de votre raisonnement – qu’il y avait une différence entre les mineurs et les majeurs, en invoquant l’ordonnance de 1945.

Mme la présidente. Votre temps de parole est écoulé, monsieur Paccaud.

M. Olivier Paccaud. Je conclus, madame la présidente.

L’amendement de Mme Carrère-Gée tend justement à différencier les mineurs des majeurs. Il va donc dans votre sens. Votre position me semble donc incohérente.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

M. Guy Benarroche. Monsieur Paccaud, je ne reprendrai pas les termes de M. le rapporteur qui vous ont choqué. Personnellement, ils ne m’ont pas choqué. Disons que vous avez l’écoute sélective…

M. le rapporteur et M. le garde des sceaux ont développé des arguments multiples et variés, parmi lesquels l’anticonstitutionnalité de la mesure et les difficultés qu’il y aurait à l’appliquer dans les conditions actuelles. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je ne fais que reprendre les arguments qui ont été avancés, mes chers collègues !

Il a été dit aussi que ce type de mesure n’avait pas fait la preuve de son efficacité là où elle est appliquée ; l’expérience démontrerait même plutôt le contraire.

M. le garde des sceaux a par ailleurs avancé un argument essentiel : dans certains milieux, enfermer un gosse de treize ans pendant un mois ne garantit aucun suivi, aucune possibilité de réinsertion. Au contraire, cela augmenterait les risques de le voir récidiver et de s’enfoncer dans la délinquance.

D’autres arguments ont été avancés, notamment par Mme Harribey. Enfin, une mission d’information du Sénat travaille sur cette question.

Je ne comprends donc pas votre position, chers collègues. Votre seul argument est que ce n’est pas parce qu’une mesure n’est pas applicable qu’il ne faut pas légiférer. Sur ce point, on peut considérer que vous n’avez pas totalement tort.

Peut-être pensez-vous, comme notre collègue Daubresse, que le rapporteur a juridiquement raison, mais que nous faisons de la politique et qu’une loi doit être avant tout politique.

Peut-être considérez-vous que nous participons ici à un meeting politique et que nous devons faire passer un certain nombre de messages à l’opinion publique, ou encore que nous ne sommes pas ici pour élaborer une loi réfléchie et applicable. Or c’est tout de même l’objectif premier de la commission des lois et du Sénat !

Sauf à penser que nous sommes ici uniquement pour élaborer une stratégie politique, vous devriez comprendre que les multiples arguments qui ont été développés ne permettent pas aujourd’hui de voter cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier, pour explication de vote.

Mme Marie Mercier. Il est extrêmement gênant de voir des jeunes en prison. Nous en voyons et nous continuerons d’en voir. Cela étant, parce qu’on se rend compte que quelque chose ne fonctionne pas dans notre justice, nous essayons d’inventer autre chose.

Bien sûr, il ne faut pas que ces jeunes restent en prison ou qu’ils y retournent, mais il faudrait surtout qu’ils n’y entrent pas ! (Mme Michelle Gréaume sexclame.) Le problème, à la base, c’est l’éducation.

Je conçois que les ultra-courtes peines, d’une durée inférieure à un mois, que nous proposons par cet amendement puissent susciter de la gêne. Il ne s’agit toutefois évidemment pas d’envoyer des mineurs à Bois-d’Arcy, à Fleury-Mérogis ou aux Baumettes !