PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

4

Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Florennes.

Mme Isabelle Florennes. Lors du scrutin public n° 239 de la séance du 25 mars 2025, sur l’amendement n° 48 rectifié septies, Mme Jocelyne Antoine souhaitait voter contre.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.

5

Décès d’un ancien sénateur

Mme la présidente. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue François Trucy, qui fut sénateur du Var de 1986 à 2004.

6

Candidatures à deux commissions mixtes paritaires

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes et de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

7

Communication d’avis sur des projets de nomination

Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des finances a émis un avis favorable, par quatorze voix pour et aucune voix contre, à la nomination de Mme Florence Peybernès aux fonctions de présidente de la Haute Autorité de l’audit et la commission des lois a émis un avis favorable, par quinze voix pour et une voix contre, à la nomination de M. Vincent Mazauric aux fonctions de président de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

8

Candidatures à deux missions d’information

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation des dix-neuf membres de la mission d’information sur le thème : « Faciliter l’accès aux services publics : restaurer le lien de confiance entre les administrations et les administrés » ; et des vingt-trois membres de la mission d’information sur le thème : « 10 ans après la loi NOTRe et la loi Maptam, quel bilan pour l’intercommunalité ? ».

En application de l’article 21, alinéa 3 de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

9

Après l’article 4 (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à aménager le code de la justice pénale des mineurs et certains dispositifs relatifs à la responsabilité parentale
Article 4 bis (nouveau)

Restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents (projet n° 343, texte de la commission n° 464, rapport n° 463).

Dans la discussion des articles, nous sommes parvenus à l’article 4 bis.

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à aménager le code de la justice pénale des mineurs et certains dispositifs relatifs à la responsabilité parentale
Après l’article 4 bis

Article 4 bis (nouveau)

Le code de la justice pénale des mineurs est ainsi modifié :

1° Le dernier alinéa de l’article L. 112-15 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, le placement peut se poursuivre après la majorité de l’intéressé, sur décision spécialement motivée du juge, lorsqu’il a été prononcé à l’égard d’un mineur pour la poursuite ou l’instruction des infractions à caractère terroriste mentionnées au 1° de l’article 421-1 et aux articles 421-2-1, 421-5 et 421-6 du code pénal ou des infractions commises en bande organisée. » ;

2° Après le 3° de l’article L. 331-1, il est inséré un 4° ainsi rédigé :

« 4° Si la peine d’emprisonnement encourue est supérieure ou égale à cinq ans pour une infraction à caractère terroriste ou pour une infraction commise en bande organisée. » ;

3° L’avant-dernier alinéa de l’article L. 331-2 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Cette durée est portée à deux ans pour la poursuite ou l’instruction des infractions à caractère terroriste et des infractions commises en bande organisée. » ;

4° Après l’article L. 333-1, il est inséré un article L. 333-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 333-1-1. – Le mineur âgé d’au moins treize ans peut être assigné à résidence avec surveillance électronique par le juge des enfants, le tribunal pour enfants, le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention, dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles 137 et 142-5 à 142-13 du code de procédure pénale, lorsqu’il encourt une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à cinq ans pour des infractions à caractère terroriste ou pour une infraction commise en bande organisée. Ces juridictions statuent après avis du service de la protection judiciaire de la jeunesse ou du service pénitentiaire d’insertion et de probation si l’intéressé est majeur au moment de la décision.

« Il peut en outre être astreint aux obligations prévues aux 1° à 14° de l’article L. 331-2 du présent code.

« Les dispositions relatives au placement sous surveillance électronique mobile ne sont pas applicables. » ;

5° Après le 1° de l’article L. 334-4, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :

« 1° bis S’il encourt une peine correctionnelle d’emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans pour une infraction à caractère terroriste ou pour une infraction commise en bande organisée ; »

6° Après l’article L. 433-5, il est inséré un article L. 433-5-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 433-5-1. – La durée totale de détention provisoire mentionnée au 1° de l’article L. 433-2 est portée à trois mois pour l’instruction des délits mentionnés à l’article 421-2-1 du code pénal ou des délits commis en bande organisée.

« La durée totale de détention provisoire mentionnée au 2° de l’article L. 433-2 du présent code est portée à un an pour l’instruction des crimes prévus au 1° de l’article 421-1 et aux articles 421-5 et 421-6 du code pénal, ainsi que pour les crimes commis en bande organisée. » ;

7° L’article L. 433-6 est ainsi modifié :

a) Au début, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« La durée totale de détention provisoire mentionnée au 1° de l’article L. 433-2 est portée à un an pour l’instruction des délits à caractère terroriste, à l’exception du délit mentionné à l’article 421-2-1 du code pénal, ainsi que des délits commis en bande organisée. » ;

b) Après le mot : « instruction », la fin du premier alinéa est ainsi rédigée : « des délits mentionnés aux articles 421-2-1 et 421-2-6 du code pénal et des délits commis en bande organisée. » ;

c) Le second alinéa est complété par les mots : « et pour l’instruction des crimes commis en bande organisée ».

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L’amendement n° 47 est présenté par M. Brossat, Mme Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

L’amendement n° 54 est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Ian Brossat, pour présenter l’amendement n° 47.

M. Ian Brossat. Cet amendement vise à supprimer cet article, qui assimile les enfants de moins de 16 ans à des majeurs lorsque l’infraction est grave.

Pour nous, un enfant de 13 ans, par exemple, ne peut pas être considéré comme un adulte. Nous nous opposons à ce qu’un enfant soit placé en détention provisoire. Nous nous opposons à ce qu’un enfant soit placé sous surveillance électronique avec assignation à résidence. Nous nous opposons, enfin, à ce qu’un enfant soit placé en centre éducatif fermé (CEF) pour une durée de deux ans.

Comment ne pas imaginer les conséquences de telles mesures pour des enfants ? Et comment ne pas saisir que celles-ci seraient contre-productives pour eux, dont la maturité et le discernement ne peuvent être assimilés à ceux des adultes ?

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 54.

M. Guy Benarroche. Hier, tout au long de la soirée, je me suis félicité du travail du rapporteur, et je me désolais de voir que les arguments, pourtant bien étayés, qu’il avançait, n’aient pas été entendus par la majorité sénatoriale et par le Gouvernement.

Ian Brossat l’a rappelé, cet article 4 bis a pour objet d’aggraver la procédure et le régime de détention provisoire applicables aux mineurs de 13 à 16 ans ayant commis des infractions en bande organisée ou des infractions en lien avec le terrorisme.

Pour avoir été un membre actif de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, je peux vous dire que les mineurs qui sont enrôlés dans les réseaux entre 13 et 16 ans sont des délinquants, bien entendu, mais aussi les victimes des trafiquants – vous le savez bien. Ils peuvent très facilement tomber dans la radicalisation, en ce qui concerne le terrorisme, ou dans le narcotrafic, en ce qui concerne les stupéfiants.

Il ne faut pas nier le caractère systémique des causes de la délinquance juvénile. Les jeunes qui font partie de réseaux de narcotrafic sont confrontés au quotidien à des problèmes de déscolarisation, de précarité, de dette, de rejet parental, de mal-logement, de défaillance éducative, et à l’absence de perspectives sociales et professionnelles.

Au lieu de renforcer les mesures répressives à l’égard de ces mineurs et d’allonger pour eux la détention provisoire, il serait plus adapté de prévoir une politique d’accompagnement. À l’heure où le plan social pour une réconciliation nationale n’est plus mis en œuvre, il convient de s’interroger sur les perspectives d’avenir pour ces personnes vulnérables. Nous savons bien que les réseaux vont chercher les personnes les plus précaires, et notamment, aussi, les jeunes majeurs sortis de l’aide sociale à l’enfance (ASE), qui sont également des cibles de choix.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Il est clair que cet article concerne des cas exceptionnels, une minorité de jeunes très dangereux. Ces dispositions ont été votées par le Sénat, je le rappelle, lors de l’examen de la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, déposée par François-Noël Buffet. Nous sommes face à des personnes qui, quoique très jeunes, ont entrepris une démarche de radicalisation, et qui doivent donc faire l’objet d’une surveillance renforcée.

J’ai eu à plaider pour la famille du père Hamel. L’un des assassins était un mineur qui avait été placé sous contrôle judiciaire et portait un bracelet électronique, sur lequel la surveillance s’était relâchée.

Ces mesures ne concerneront, je le reconnais et le redis, qu’un nombre très restreint de mineurs, mais elles sont nécessaires compte tenu de la spécificité du crime de terrorisme et du crime en bande organisée. La procédure pénale est toujours une affaire de proportion, mais, en l’espèce, nous en sommes à un stade où, malheureusement, nous avons dépassé le cadre de la prévention et de la réinsertion du mineur : nous en sommes à l’obligation de surveillance, pour la sûreté et la sécurité.

La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre dÉtat, garde des sceaux, ministre de la justice. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

M. Guy Benarroche. Je comprends bien votre explication, monsieur le rapporteur. Mais en ce qui concerne le narcotrafic, l’ensemble du travail, transpartisan, de la commission d’enquête, ainsi que les auditions menées en préparation de l’examen de la présente proposition de loi, ont montré que, si ces jeunes sont effectivement des délinquants, ils sont aussi les premières victimes, des victimes choisies, ciblées parce qu’en situation précaire.

Et quand je parle de situation précaire, il s’agit d’une précarité croissante : cela touche des enfants de plus en plus jeunes, qui peuvent être des mineurs non accompagnés (MNA), des personnes sans papiers ou vivant dans la rue. Et, sincèrement, d’après ce que nous avons pu observer dans le cadre de la commission d’enquête, je ne crois pas que l’aggravation de leur surveillance ou le fait de les placer sous un contrôle accru puisse résoudre le problème auquel nous faisons face.

Ces jeunes sont remplaçables à souhait, en effet. Ceux qui deviennent trop dangereux ou trop surveillés sont exfiltrés du réseau, qu’ils ont parfois rejoint contre leur gré. Au départ, il y a peut-être l’attrait de l’argent facile. Mais très vite, cela bascule vers la menace, voire des violences physiques, et dans certains cas, cela peut aller jusqu’à l’homicide. Le même jeune, une fois entré dans ce cycle, devient une cible potentielle du réseau. La solution, au-delà de toutes les actions préventives que nous devons renforcer en amont, réside davantage dans l’exfiltration de ces jeunes des réseaux qui les exploitent que dans leur mise sous surveillance permanente dans l’attente d’un éventuel jugement.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Francis Szpiner, rapporteur. Je pense exactement le contraire. Cet article répond d’ailleurs à une recommandation de la commission d’enquête. Certaines mesures coercitives et de surveillance constituent une protection pour le mineur vis-à-vis des bandes.

Si vous le laissez dans la nature, dans le meilleur des cas, il continue, et il continue à être exploité par les organisations criminelles. Une sanction ou une mesure de surveillance, c’est aussi, j’y insiste, une protection pour le mineur.

Je m’en tiens donc à l’avis défavorable exprimé sur ces amendements.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 47 et 54.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 4 bis.

(Larticle 4 bis est adopté.)

Article 4 bis (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi visant à aménager le code de la justice pénale des mineurs et certains dispositifs relatifs à la responsabilité parentale
Article 5

Après l’article 4 bis

Mme la présidente. L’amendement n° 50 rectifié septies, présenté par Mmes Carrère-Gée et Belrhiti, MM. Bruyen, Burgoa et Daubresse, Mmes Dumont, Evren et Garnier, M. Karoutchi, Mmes Lassarade et Lavarde, MM. Lefèvre et H. Leroy, Mmes M. Mercier et Micouleau, MM. Naturel, Reynaud et Anglars, Mmes Gruny, Imbert et P. Martin, M. Panunzi, Mme Puissat, MM. Sol, Saury, Rojouan, P. Vidal, Somon et Delia, Mmes Bellurot et Ciuntu, MM. Husson et Paccaud, Mmes Valente Le Hir et Josende, MM. Meignen et Rapin, Mme Berthet, MM. Brisson et Sido et Mme Aeschlimann, est ainsi libellé :

Après l’article 4 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L.121-2 du code de la justice pénale des mineurs, il est inséré un article L.121-2-… ainsi rédigé :

« Art. L.121-2-. – Par dérogation à la seconde phrase du premier alinéa de l’article 132-19 du code pénal, le tribunal pour enfants peut prononcer une peine d’emprisonnement ferme d’une durée inférieure ou égale à un mois afin de réaliser dans le même temps une évaluation socio-psychologique du mineur, de mettre en place de premières mesures éducatives et de le protéger sans délai contre un risque d’entrée dans la délinquance. Le tribunal se prononce par une décision spécialement motivée qui mentionne notamment les facteurs constitutifs du risque précité.

« Le tribunal peut, à défaut de prononcer une peine d’emprisonnement, prononcer un placement du mineur pour la même durée et les mêmes motifs dans un centre mentionné à l’article L.113-7.

« Au regard de sa très courte durée, la peine mentionnée au premier alinéa ne peut être aménagée. »

La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Cet amendement vise à autoriser le juge, lorsque la gravité des faits et la personnalité du mineur peuvent le rendre utile, à prononcer d’ultracourtes peines d’emprisonnement ou le placement dans un CEF.

La refonte du droit des peines opérée par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, dite loi Belloubet, a interdit le prononcé de peines inférieures ou égales à un mois. Cette contrainte, appliquée systématiquement aux mineurs, assujettit malheureusement leur régime pénal à celui des majeurs et le prive de sa spécificité.

En empêchant le juge de proportionner la peine à de toutes premières fautes commises par le mineur, cette réforme prive la justice, en pratique, de toute possibilité de sanction dans de très nombreux cas de délinquance ordinaire. Une justice qui ne peut pas du tout punir, c’est la porte ouverte à l’escalade délinquante, cela peut être la voie toute tracée vers de futures longues ou très longues peines, les faits commis étant de plus en plus graves.

Pouvoir prononcer d’ultracourtes peines renforcerait le principe d’individualisation de la peine. Pour certains mineurs, une ultracourte peine, c’est une mesure protectrice qui permet de les soustraire à un environnement criminogène, mais aussi – et c’est essentiel pour les mineurs – de réaliser une évaluation approfondie de leur situation personnelle et de mettre en place, sans attendre, des mesures éducatives.

En effet, un bref passage en prison ou dans un CEF pourra donner la possibilité d’évaluer l’ensemble des problématiques sous-jacentes auxquelles le mineur est confronté. Est-il en danger ? Présente-t-il des troubles médicaux ou psychologiques nécessitant une prise en charge ? Est-il victime de chantage, de violence parentale ou d’une influence délétère dans son environnement ?

Il est donc souhaitable de confier au juge la possibilité, s’il l’estime utile, de prononcer de courtes et ultracourtes peines, par une décision spéciale et motivée, afin de garantir une justice adaptée aux besoins des mineurs comme à la gravité des faits commis.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Francis Szpiner, rapporteur. Voyons concrètement comment cela pourrait se dérouler, si vous le permettez, ma chère collègue.

Prenons le cas d’une situation qualifiée de « très grave », bien que cette notion reste floue. Supposons qu’un mineur soit présenté devant le juge. Deux options se dessinent : soit il s’agit d’une comparution immédiate, et le juge prononce une peine d’un mois de prison ; soit il n’y a pas d’audience immédiate, et il y a une césure. Dans ce dernier cas, quelques mois s’écoulent, des enquêtes sont menées pour approfondir la situation, et ensuite seulement le juge pourrait prononcer une courte peine.

Mais cela pose un problème majeur : les courtes peines de prison sont interdites par le code pénal, et cette interdiction s’applique indistinctement aux majeurs et aux mineurs. Il ne serait pas constitutionnellement possible – les cavaliers législatifs sont interdits –, au travers de cet amendement à une proposition de loi sur la justice des mineurs, d’introduire une différenciation des peines entre majeurs et mineurs. Ce serait d’ailleurs au détriment des mineurs, qui se retrouveraient dans une situation aggravée par rapport aux adultes, puisqu’un majeur ne peut pas faire l’objet d’une courte peine.

Par ailleurs, une fois la peine prononcée, le juge perdrait toute latitude pour mettre en œuvre des mesures éducatives ou procéder à une évaluation. Il ne pourrait intervenir que dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve, un dispositif qui existe déjà.

Pour toutes ces raisons, à la fois pratiques et constitutionnelles, j’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

Le Sénat a constitué une mission d’information sur l’exécution des peines, confiée à Elsa Schalck, Dominique Vérien et Laurence Harribey, dont les conclusions n’ont pas encore été rendues. Comme je l’ai déjà souligné, si l’on souhaite aborder les problèmes liés à la justice des mineurs, il faut le faire de manière globale, en prenant en compte aussi bien les procédures que l’exécution des peines.

En tentant de greffer cette mesure sur une proposition de loi qui reste limitée dans sa portée, on encourt un risque d’inconstitutionnalité.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre dÉtat, garde des sceaux, ministre de la justice. Je partage en grande partie l’analyse de M. le rapporteur. La question des courtes peines se pose en effet, qu’il s’agisse des mineurs ou des majeurs, madame la sénatrice. Ce que vous évoquez ici, ce sont d’ultracourtes peines, ce qui relève d’un débat encore différent. Actuellement, ce type de peines n’existe pas dans notre système, mais cela résulte d’une volonté collective. En effet, depuis des décennies, quels que soient les gouvernements ou les majorités, avec Rachida Dati, Christiane Taubira ou Nicole Belloubet, des dispositions ont été adoptées pour empêcher les courtes peines.

Faut-il réintroduire des peines très courtes, d’une semaine, quinze jours, trois semaines, un mois ? Cela mérite réflexion. Notre système actuel fonctionne-t-il bien ? Non, il ne fonctionne pas de manière optimale. Les récidives sont nombreuses, et nous devons repenser nos approches en matière d’incarcération.

Mais un système comportant d’ultracourtes peines fonctionne-t-il mieux ? On ne le sait pas. L’exemple le plus souvent cité est celui des Pays-Bas. Je m’y suis donc intéressé de près. Le pays ne compte que 9 000 détenus, ce qui est différent de la situation en France. De plus, un tiers des sanctions y consiste en des travaux d’intérêt général (TIG) ab initio, alors que, en France, la proportion est inférieure à 3 %, si ma mémoire est bonne. Depuis trois mois, j’ai également lu toute la littérature sur ce modèle néerlandais. Or ce que l’on y observe est loin d’être concluant : les résultats sont partagés, voire plutôt négatifs.

Je ne fais pas partie de ceux qui balaient d’un revers de main la question des courtes peines, mais il faut reconnaître qu’il n’est pas évident qu’elles soient réellement efficaces. Ce point doit donc être étudié sérieusement. D’ailleurs, une proposition de loi visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme a été déposée à l’Assemblée nationale par Loïc Kervran. Portée par le groupe Horizons & Indépendants, elle doit y être examinée la semaine prochaine. Peut-être arrivera-t-elle ensuite au Sénat, ce qui nous permettra de rouvrir ce débat.

Mais, à ce stade, il ne me semble pas opportun de trancher la question des courtes peines lors de l’examen d’un texte qui ne concerne que les mineurs. Si l’on doit ouvrir cette réflexion, il faudrait le faire de manière plus large, en envisageant une réforme touchant aussi les majeurs.

Un autre problème, si votre amendement était adopté, madame la sénatrice, serait celui des capacités d’accueil de ces mineurs condamnés à quelques jours, quelques semaines, un mois d’emprisonnement. À mon arrivée au ministère, le nombre de places en CEF était de 650, et ceux-ci ont un taux d’occupation de 70 % ou 80 %. Nous allons inaugurer quatre nouveaux centres cette année, et une quinzaine d’autres d’ici à 2027, mais ces centres accueillent chacun seulement douze jeunes. Ce n’est pas la maille qui nous permettra d’absorber un afflux supplémentaire – votre amendement prévoyant soit l’incarcération en prison soit le placement en CEF.

Quant aux prisons pour mineurs, elles sont elles aussi quasiment saturées. J’espère que cette proposition de loi sera adoptée, mais il serait malhonnête de ma part de prétendre que nous pourrions appliquer votre proposition immédiatement. Si cet amendement était adopté, nous n’aurions pas les moyens matériels de le mettre en œuvre.

Je voudrais dire à l’ensemble des parlementaires ici présents que très peu d’élus, courageux, acceptent ou réclament la création de lieux de détention sur leur territoire, y compris des CEF pour mineurs. En réalité, la plupart des élus, quelle que soit leur appartenance politique – qu’ils soient de la majorité, de l’extrême droite, de la gauche ou de l’extrême gauche – signent des pétitions pour éviter l’implantation de tels centres sur leur territoire.

Donc, avec ce type d’amendement, j’aimerais que l’on me propose aussi des lieux où l’on pourrait installer des structures pour accueillir ces mineurs. À l’heure actuelle, je n’en ai pas. Je le dis franchement, et je le regrette personnellement. Mais en l’état, si nous voulons faire correctement la loi, je ne vois pas où nous pourrions incarcérer des mineurs condamnés à des peines d’un mois.

Par ailleurs, les mineurs qui se retrouvent en prison y sont souvent pour des faits criminels.

M. Francis Szpiner, rapporteur. C’est de la préventive…

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Imaginons toutefois qu’ils y soient placés pour des délits : dans la majorité des cas, cela relève de la détention provisoire, en effet, pour une durée moyenne de quatre mois.

Cela signifie qu’il y a beaucoup de mineurs qui purgent des peines inférieures à quatre mois. Et d’ailleurs, il suffit de visiter, comme vous le faites en tant que parlementaires, des établissements de détention pour mineurs. Vous y verrez de jeunes détenus pour des périodes de trois semaines, un mois, un mois et demi, deux mois, avant d’être éventuellement transférés en CEF.

Selon un chiffre qui date de 2011, 75 % des mineurs incarcérés récidivent après leur libération. Cela révèle, d’ailleurs, un autre problème majeur du ministère de la justice : l’absence d’évaluations suffisantes sur l’efficacité des incarcérations, la récidive et l’impact des peines. C’est une difficulté que je vais tenter de résoudre.

C’est un fait : pour les mineurs, la prison n’est pas quelque chose qui leur apprend la vie. Au contraire, elle semble plutôt les pousser vers la délinquance. J’ai d’ailleurs commandé un rapport sur les CEF, que je suis prêt à communiquer à votre commission des lois, comme je l’ai indiqué à la présidente Jourda. Ceux-ci peuvent avoir des effets positifs, à condition que les jeunes y soient bien encadrés, que les centres soient bien dirigés, et qu’ils disposent d’agents de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) bien formés. Mais ce n’est pas non plus une réussite absolue.

Même dans ces centres, l’organisation n’est pas optimale. Ainsi, un mineur placé en CEF n’a accès qu’à huit heures de cours par semaine, soit quatre fois moins que ce qu’il recevrait dans le cadre de l’éducation nationale. De plus, il n’existe pas de statut spécifique pour les enseignants intervenant dans ces centres. Si un mineur est placé en CEF en mai, il ne bénéficiera souvent d’aucun cours avant septembre, et ce alors qu’un séjour en CEF est en général limité à six mois, renouvelables, mais rarement prolongés. En résumé, que ce soit en prison ou en CEF, notre organisation collective est loin d’être optimale.

Pour toutes ces raisons, même si le débat sur les courtes ou ultracourtes peines est intéressant, je ne peux pas émettre un avis favorable sur cet amendement.

D’abord, parce que, concrètement, je le redis, je ne saurais pas où placer ces mineurs.

Ensuite, comme l’a rappelé très justement M. le rapporteur, parce qu’une telle mesure poserait sans doute un problème de constitutionnalité. Et surtout, il me semble absurde d’introduire de courtes peines uniquement pour les mineurs, sans les étendre aux adultes, alors que le sujet mérite un débat plus large.

Enfin, parce que nous voyons bien que le véritable défi réside dans la prévention de la récidive. Ce texte prévoit d’ailleurs des sanctions immédiates si l’assistance éducative n’est pas respectée, ce qui est un point essentiel. Car aujourd’hui, l’un des problèmes est que, en cas de non-respect de l’assistance éducative, aucune sanction n’existe. Ce qui doit être instauré, c’est un mécanisme dans lequel assistance éducative et sanction seraient liées. Si l’assistance éducative est refusée, alors des mesures comme le placement en CEF, la privation de liberté ou encore un couvre-feu doivent s’appliquer.