compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Guy Benarroche,

Mme Catherine Di Folco.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Mes chers collègues, je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun de vous à observer au cours de nos échanges l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.

impérieuse nécessité de reconnaître l’état de palestine et urgence d’un corridor humanitaire

M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Jean-Marc Vayssouze-Faure applaudit également.)

M. Akli Mellouli. Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, à Gaza, c’est l’humanité elle-même qui s’effondre ! Jamais dans l’histoire contemporaine un peuple n’a été aussi méthodiquement isolé, affamé, bombardé, privé d’accès aux soins et aux secours !

Gaza est aujourd’hui le théâtre d’une catastrophe humanitaire totale, sans précédent, qui a été rendue possible par l’inaction de la communauté internationale et le silence complice de nos grandes puissances !

C’est la première guerre moderne durant laquelle aucun couloir humanitaire n’a été mis en place, la première guerre moderne durant laquelle des blessés graves ne peuvent être évacués, la première guerre moderne durant laquelle des enfants meurent de faim à quelques mètres d’entrepôts pleins d’aide humanitaire volontairement bloquée, la première guerre moderne durant laquelle des médecins de retour du théâtre des opérations entament des grèves de la faim pour exiger un cessez-le-feu et un corridor humanitaire.

Cette réalité interroge notre conscience collective. Quand des femmes accouchent au sol, sans anesthésie, quand des chirurgiens opèrent à la lumière des téléphones portables, sans eau, sans médicaments, quand l’odeur de la mort remplace celle de la vie, ce n’est plus une guerre, mais un effondrement moral !

Il y a plus d’un an, dans cet hémicycle, je disais déjà qu’à Gaza on ne soignait plus, on amputait. Aujourd’hui, on n’ampute plus, on enterre !

Chaque jour qui passe sans cessez-le-feu, sans aide, sans voix pour crier son désarroi face à la réalité est une trahison de nos valeurs fondamentales et de la dignité humaine !

Dans ce contexte, il est temps de passer des discours aux actes. En effet, si, comme l’affirme le Président de la République, notre pays est opposé à toute annexion de Gaza et de la Cisjordanie, la France doit soutenir le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et reconnaître sans tarder l’État de Palestine, unique levier pour imposer enfin le respect du droit international et stopper le génocide.

Monsieur le ministre, notre pays compte-t-il prendre ses responsabilités ? Entend-il exiger un cessez-le-feu immédiat, l’ouverture d’un corridor humanitaire, le respect des décisions des instances internationales ? Enfin, quand reconnaîtrez-vous l’État de Palestine ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous auriez pu, dans le cadre de votre question, saluer la visite du Président de la République, hier, à El-Arich, à trente-cinq kilomètres de Gaza,…

M. Mickaël Vallet. Il en a parlé !

M. Jean-Noël Barrot, ministre. … pour apporter huit tonnes de fret humanitaire, se rendre au chevet des blessés palestiniens, qui sont aujourd’hui soignés en Égypte, et aller à la rencontre des acteurs humanitaires qui continuent courageusement de tenter d’apaiser les souffrances du peuple palestinien.

Vous auriez pu, dans le cadre de votre question, souligner la responsabilité très lourde, historique, du Hamas…

M. Laurent Burgoa. Très bien !

M. Jean-Noël Barrot, ministre. … quant à la situation dans laquelle se trouve plongé aujourd’hui le peuple palestinien. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

La France a bien fait passer les messages que vous souhaitez. Le Président de la République s’est ainsi entretenu avec les dirigeants des pays arabes pour qu’ils fassent pression sur le Hamas, afin que celui-ci relâche les otages encore retenus dans les tunnels de Gaza. Il s’est entretenu avec le Premier ministre israélien et le président américain pour obtenir que les hostilités puissent s’arrêter et que le cessez-le-feu entré en vigueur le 19 janvier dernier puisse reprendre. (Mme Raymonde Poncet Monge proteste.)

Au-delà de cette question, nous travaillons, comme vous le savez, avec l’Arabie saoudite à la préparation d’une conférence des Nations unies sur une solution à deux États, car nous considérons que c’est la seule option susceptible d’apporter la paix à Israël comme au peuple palestinien. Cela passera, le moment venu, par des reconnaissances collectives et croisées apportant à Israël comme à la Palestine des garanties en termes de sécurité, qui permettent aux deux peuples de vivre en paix et d’assurer la stabilité à l’ensemble de la région.

C’est dans cet esprit que nous agissons. C’est dans cet esprit que le Président de la République s’est rendu en Égypte ces deux derniers jours. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Akli Mellouli, pour la réplique.

M. Akli Mellouli. Monsieur le ministre, quand le droit s’efface devant la force, quand la dignité humaine devient une variable d’ajustement diplomatique, c’est tout l’ordre international qui vacille ! Soyez fidèles à ce que la France a longtemps été et à ce qu’elle devrait rester ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Mickaël Vallet applaudit également.)

situation économique de la france

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, « les mots “droits de douane” sont les plus beaux mots du dictionnaire ». C’est ce que déclarait Donald Trump dans ses meetings lorsqu’il était candidat à la présidence des États-Unis.

Or, depuis quelques jours, ces mots sont le pire cauchemar de bon nombre de nos entreprises françaises et suscitent la crainte de nombreux salariés et consommateurs, bien au-delà de la volatilité actuelle des cours de la bourse.

Et pour cause, dernière étape d’une surenchère permanente, le jour J a conduit à une augmentation des droits de douane vis-à-vis de cinquante-six pays, selon une règle de calcul tirée de ChatGPT… Ainsi, l’Union européenne écope de dix points additionnels, et les droits de douane qu’elle se verra imposer atteindront un taux moyen de 21,2 %.

Certes, près des deux tiers de nos échanges ont lieu au sein du marché européen, mais de nombreux secteurs seront affectés par cette hausse des droits de douane du fait de leur dépendance au marché américain : celui-ci absorbe, par exemple, 24 % des exportations du secteur des boissons – vins, spiritueux, eaux minérales.

Monsieur le ministre, quel plan le Gouvernement envisage-t-il de mettre en œuvre pour accompagner en urgence ces secteurs ? Au-delà de l’urgence, comment ne pas s’interroger sur l’impréparation de l’Europe ? Après tout, Donald Trump ne fait que ce qu’il avait annoncé ; comment ne pas le reconnaître ? Nous, Européens, quelles mesures de prévention et quelle riposte avons-nous préparées ?

Dans un monde plus dangereux à l’Est, moins amical à l’Ouest et, souvent, non coopératif au Sud, quand allons-nous sortir de l’univers des Bisounours ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, INDEP et RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Madame la présidente Estrosi Sassone, non, nous ne considérons pas que les mots « droits de douane » soient les plus beaux du dictionnaire, puisqu’ils sont synonymes d’impôts, notamment pour les classes moyennes, et à commencer par les classes moyennes américaines, qui vont considérablement s’appauvrir à la suite des annonces faites par le président Trump. D’ailleurs, il n’y a qu’à consulter les résultats des sondages d’opinion réalisés aujourd’hui aux États-Unis pour s’apercevoir que les Américains sont parfaitement conscients de l’impact que ces décisions désastreuses vont avoir sur leur pouvoir d’achat.

Face à cette situation, nous disons bien évidemment que ces décisions sont mauvaises et nous espérons vivement qu’elles puissent être revues. Nous disons également que nous ne les avons pas provoquées et que, si le président Trump ne revenait pas dessus, nous nous tenons prêts, en tant qu’Européens, à riposter en mobilisant toute la palette des instruments à notre disposition, qu’ils soient tarifaires ou non tarifaires.

C’est du reste tout l’enjeu de la première salve de contre-mesures qui ont été adoptées au niveau européen ce matin : des droits de douane de 25 % frapperont ainsi 22 milliards d’euros d’exportations américaines vers l’Europe. La Commission européenne a également engagé un travail qui conduira à l’application d’une deuxième salve de mesures.

En attendant, le Président de la République, avec le Premier ministre et plusieurs membres du Gouvernement, a réuni les filières concernées dès jeudi dernier. Hier, c’est le ministre de l’industrie qui a convoqué le Conseil national de l’industrie ; aujourd’hui, c’est le ministre de l’économie et des finances qui consultera l’ensemble des représentants des filières, ainsi que les syndicats, sur les effets attendus de ces décisions dévastatrices par l’ensemble des parties prenantes.

Vous le voyez, le Gouvernement est pleinement mobilisé aux côtés des filières pour préparer une réponse permettant de défendre les intérêts français et européens. Plus généralement, puisqu’il nous faut répondre en Européens – c’est la Commission européenne qui exerce cette compétence –, nous préconisons le calme, la détermination et l’unité. C’est dans cet esprit que nous échangeons avec nos interlocuteurs dans les capitales européennes et avec la Commission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour la réplique.

Mme Dominique Estrosi Sassone. L’Europe doit rester le pôle de stabilité qu’elle incarne aujourd’hui, mais elle doit aussi se faire respecter. Pour cela, il faut que nous puissions nous réarmer, redevenir acteurs de l’Histoire et de notre avenir.

Permettez-moi, pour finir, de vous informer que la commission des affaires économiques que je préside, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par Cédric Perrin, et la commission des affaires européennes, présidée par Jean-François Rapin, lanceront prochainement une mission d’information pour revoir les nouveaux paradigmes du commerce international. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)

tensions géopolitiques consécutives aux droits de douane américains

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Là où Donald Trump passe, le commerce trépasse ! (Marques dapprobation amusées sur diverses travées.) Depuis six heures ce matin, des droits de douane additionnels s’appliquent au monde entier ou presque. Pour la France, pour l’Union européenne, le tarif est de 20 % !

Cette guerre commerciale apporte une mauvaise réponse à un mauvais diagnostic.

Il s’agit d’un mauvais diagnostic, parce que le président Trump veut résorber de prétendus déficits commerciaux, alors qu’il ne prend en compte que les biens et pas les services, secteur dans lequel les États-Unis sont largement excédentaires.

Il s’agit d’une mauvaise réponse, parce que nos économies sont désormais totalement interdépendantes. À titre d’exemple, les entreprises françaises emploient 700 000 salariés aux États-Unis quand les entreprises américaines emploient 400 000 salariés en France.

Naturellement, les Américains seront en première ligne pour subir ce choc et perdre en pouvoir d’achat, mais les entrepreneurs français sont légitimement inquiets. La France exporte en effet pour 48 milliards d’euros aux États-Unis : du chablis bien sûr (Sourires.), du fromage, des produits de luxe, des cosmétiques, des produits pharmaceutiques…

Heureusement, l’Union européenne n’est plus l’idiot du village global, ouvert à tous les vents ; elle s’est armée et réarmée en matière commerciale.

Monsieur le ministre, plusieurs questions se posent. (M. Michel Savin ironise.) Comment ferez-vous en sorte de maintenir le dialogue avec cette administration déterminée, mais qui commence à se diviser ? Comment éviter que l’Union européenne ne devienne le déversoir des produits chinois, par exemple ? Comment accompagner nos entreprises à trouver de nouveaux débouchés ? Comment répliquer sans causer de nouveaux dommages collatéraux pour nos économies ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Éric Lombard, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le sénateur Jean-Baptiste Lemoyne, vous avez eu parfaitement raison de dire ce que vous venez de dire. Je vais tâcher de répondre à vos questions.

Tout d’abord, nous faisons en sorte de maintenir le fil du dialogue au niveau du Gouvernement, puisque Laurent Saint-Martin et moi-même échangeons régulièrement avec nos interlocuteurs américains ; je le fais moi-même avec Scott Bessent dans le cadre des réunions du G7, dont la prochaine aura lieu à Washington le 22 avril. Nous dialoguons aussi avec la Commission européenne, dont c’est d’ailleurs le mandat : Laurent Saint-Martin et moi-même parlons ainsi régulièrement avec Maros Sefcovic, lequel échange tout aussi fréquemment avec Howard Lutnick, l’actuel secrétaire au commerce des États-Unis.

Ensuite, nous comptons protéger l’Union européenne en préparant une réaction très vigoureuse. Mon collègue Jean-Noël Barrot a commencé à en parler : ce matin, nous avons décidé un premier paquet de mesures qui s’appliqueront à partir du 15 avril prochain et concerneront 22 milliards d’euros d’importations de produits depuis les États-Unis. Nous travaillons avec l’Union européenne à un deuxième paquet de mesures, qui portera non seulement sur les droits de douane, mais aussi sur d’autres sanctions ou règles que nous pourrons imposer en réponse aux annonces des Américains.

Un conseil des ministres des finances de l’Union européenne se réunira par ailleurs à Varsovie en fin de semaine. Nous y proportionnerons nos exigences, afin de permettre l’ouverture de négociations, car nous souhaitons naturellement aboutir à une baisse des droits de douane.

Vous avez évoqué la question des nouveaux débouchés. Les États-Unis ne représentent que 15 % du total de nos exportations et nous cherchons à augmenter nos parts de marché ailleurs. Dans le cadre des réunions dont Jean-Noël Barrot a parlé, nous cherchons à accompagner nos entreprises, afin qu’elles s’orientent vers de nouveaux marchés. C’est du reste la raison pour laquelle j’accompagnais le Président de la République en Égypte ces deux derniers jours.

Enfin, notre objectif est le retour au libre-échange. Pour cela, nous allons dialoguer sans limite et de façon très assidue avec les Américains et avec l’ensemble de nos partenaires dans le monde – il faut veiller aux équilibres mondiaux – pour que la situation puisse revenir à la normale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

situation de l’entreprise verney-carron

M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, permettez-moi d’associer mes trois collègues sénateurs de la Loire à ma question.

Monsieur le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie, Verney-Carron est le dernier fabricant français d’armes légères d’envergure industrielle. Cette entreprise située à Saint-Étienne – commune qui, au passage, fut baptisée par le passé Armeville… – se trouve aujourd’hui en grande difficulté et est menacée de liquidation judiciaire.

La ville de Saint-Étienne, par le biais d’un montage immobilier, a apporté son soutien à Verney-Carron pour un montant de 2 millions d’euros, mais il reste 1 million d’euros à trouver.

Ma question est simple : à l’heure où l’on parle quotidiennement de souveraineté, de réarmement et d’autonomie stratégique, comment se fait-il que l’État n’arrive pas à mobiliser et à injecter, directement ou indirectement, une telle somme dans une entreprise aussi stratégique ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Jean-Claude Tissot et Mme Cécile Cukierman applaudissent également.)

M. Emmanuel Capus. Excellent !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie.

M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie et de lénergie. Monsieur le sénateur Rochette, vous m’interrogez sur la situation de Verney-Carron. Comme vous le savez, mes équipes et moi-même suivons le dossier de cette entreprise historique de Saint-Étienne, qui compte environ soixante salariés.

Il s’agit d’une société spécialisée dans la fabrication d’armes de prestige pour le secteur de la chasse. Chacun le sait, elle s’inscrit dans une tradition locale très importante, celui de la production d’armes dans la région stéphanoise.

En revanche, je tiens à le préciser ici, aujourd’hui, l’entreprise n’a pas de contrat stratégique en lien avec nos enjeux nationaux de défense. (Mme Cécile Cukierman proteste.) De ce point de vue, les difficultés de Verney-Carron n’ont aucune implication directe sur notre souveraineté.

Mme Cécile Cukierman. Évidemment, on y a renoncé !

M. Marc Ferracci, ministre. Cela n’enlève évidemment rien aux compétences très spécifiques et précieuses de ses salariés. L’entreprise est en grande difficulté depuis plusieurs années, résultante d’une charge de travail insuffisante et des dettes très importantes qui se sont accumulées. Cela a conduit Verney-Carron à l’état de cessation de paiements et à l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.

Dans ce contexte, notre objectif est tout d’abord de trouver une solution pérenne. Concrètement, l’État soutient financièrement l’entreprise, afin de lui laisser le temps de trouver une réponse. Cela se traduit par le gel d’un passif public à hauteur de plus de 1 million d’euros, par l’application du régime d’activité partielle à 80 % des salariés et, enfin, par le déblocage ces derniers jours du versement du crédit d’impôt recherche.

Notre objectif est ensuite de trouver, avec l’administrateur judiciaire et l’entreprise, une solution de reprise qui lui assure un avenir. Les discussions sont en cours entre l’actionnaire et divers acteurs industriels. Je serai, avec Sébastien Lecornu, particulièrement vigilant à ce que la solution qui émerge soit la plus pertinente, c’est-à-dire la plus durable, pour les salariés, le maintien des savoir-faire et le territoire.

J’ai demandé à mes équipes de resserrer les liens entre mon ministère et vous, monsieur le sénateur, ainsi qu’avec l’ensemble des élus du territoire, pour que le dialogue soit le plus fluide et le plus transparent possible dans ce dossier. Vous pouvez compter sur notre mobilisation. (MM. François Patriat et Bernard Buis applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour la réplique.

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le ministre, j’ai envie de vous croire, d’autant que l’on n’a pas bien le choix…

Vous nous dites que Verney-Carron ne fournit pas d’armes à la défense. Soit, mais elle fournit le ministère de l’intérieur aujourd’hui ! Sans compter que, si elle ne fabrique pas d’armes pour notre défense, c’est parce que notre commande publique s’est détournée des entreprises françaises et qu’elle a préféré acheter allemand ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. Pierre Jean Rochette. Voilà le fond du sujet !

Les appels d’offres, c’est très bien, mais la prise en considération du seul critère du prix tue l’entreprise française. C’est ce qui se passe pour Verney-Carron. Nous espérons, bien entendu, un avenir meilleur pour cette entreprise.

Mme Cécile Cukierman. On a renoncé à notre souveraineté nationale !

M. Pierre Jean Rochette. Nous souhaitons, monsieur le ministre – et j’espère que vous allez vous engager pleinement sur ce dossier pour que l’entreprise et ses emplois restent à Saint-Étienne –, que Verney-Carron continue de fabriquer des armes à Saint-Étienne.

Que cette société soit reprise par une autre, d’accord, mais il faut que la nouvelle entreprise respecte les valeurs que notre pays défend et que notre fleuron ne tombe pas entre des mains hostiles. Cela m’apparaît d’une logique implacable, mais il n’est pas inutile de le préciser.

Monsieur le ministre, je vous le redis une dernière fois, parce que cela ne concerne pas que l’armement : la commande publique française pose problème aux entreprises françaises ; si, aujourd’hui, on ne fournit pas d’armes françaises à notre défense, c’est notamment parce que l’on a acheté à l’étranger. C’est une faiblesse qu’il faudra corriger à l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC, Les Républicains, SER et CRCE-K.)

Mme Cécile Cukierman. Exactement !

saint-pierre-et-miquelon face aux droits de douane américains

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ruel, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Marc Ruel. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé du commerce extérieur et des Français de l’étranger.

Monsieur le ministre, s’il nous fallait un exemple de l’absurdité des récentes décisions de Donald Trump, Saint-Pierre-et-Miquelon décrocherait sans doute la palme : un territoire de 6 000 habitants, répartis sur 242 kilomètres carrés, dont les exportations vers son voisin américain vont être frappées par des droits de douane de 50 %…

Cette mesure, aussi incohérente que brutale et visiblement dépassée, a surtout mis en lumière une réalité plus profonde : la vulnérabilité de mon archipel, isolé dans son bassin nord-atlantique.

Cette vulnérabilité est d’abord économique : ces tarifs douaniers étranglent nos circuits déjà fragiles, notamment la filière de la pêche. Ils renchérissent aussi le coût de la vie sur l’archipel, qui est totalement dépendant de l’acheminement maritime depuis l’Hexagone ou le Canada.

Ensuite, elle est structurelle : nos infrastructures de transport sont à bout de souffle. Les quais des ports d’État, à Saint-Pierre comme à Miquelon, menacent de s’effondrer. Et nous avons récemment appris, à l’Assemblée nationale, qu’aucun financement n’est prévu avant 2027…

Enfin, elle est géopolitique : notre positionnement stratégique est trop peu pris en compte. L’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et le Canada (Ceta) a été relancé, mais, en tant que pays et territoire d’outre-mer (PTOM), nous sommes exclus de ses bénéfices, alors même que nous sommes les plus proches voisins du Canada. En 2019, le Gouvernement avait promis un fonds d’innovation et de diversification pour en compenser les effets. Nous l’attendons toujours…

Monsieur le ministre, ma question est simple : après cet épisode, le Gouvernement entend-il redonner à Saint-Pierre-et-Miquelon son ambition et son rôle de plateforme géostratégique au service de la France et de l’Europe, et non en faire une prison d’où l’on ne pourra pas s’échapper, comme le souhaite Laurent Wauquiez, pour les individus faisant l’objet d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français) les plus dangereux ? (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et SER, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et UC.)

Mon intention est claire : faire de mon archipel une base avancée et non un nouvel Alcatraz ! (Bravo ! et applaudissements sur les mêmes travées.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon, décidément, le sort s’acharne !

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Il y a huit jours, c’est le président Trump qui, semblant oublier que Saint-Pierre-et-Miquelon est un territoire de notre République, décide que les États-Unis appliqueront double tarif, si je puis dire, au moment d’annoncer la hausse des droits de douane américains ; et, hier, ce sont des voix qui s’élèvent pour faire de l’archipel un centre de rétention administrative…

Il convient de rappeler que tous les territoires ultramarins sont membres à part entière de la République, fussent-ils dans l’Atlantique Nord, que Saint-Pierre-et-Miquelon en est donc un membre à part entière, et que chacun doit à Saint-Pierre-et-Miquelon le respect et la considération que l’on doit à tous les territoires de la République française. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Pourquoi n’est-ce pas le ministre de l’intérieur qui répond à notre collègue ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Pour commencer, je relève que, après les déclarations fracassantes dans le Bureau ovale, Saint-Pierre-et-Miquelon a été retiré du décret présidentiel introduisant les droits de douane que vous avez dénoncés.

Ensuite, je vous assure que tous les territoires de la République seront pris en compte dans les préconisations qui seront faites par la France à la Commission européenne, pour que celle-ci ajuste sa réponse et, éventuellement, sa réplique, avec, à l’esprit, la volonté d’obtenir le retrait de ces droits de douane et, en tout état de cause, celle de défendre les filières, comme l’évoquait à l’instant le ministre de l’économie et des finances.

Par ailleurs, et sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, ici, au Sénat, vous avez évoqué le Ceta : aujourd’hui, cet accord pourrait prendre une dimension différente au vu des récentes décisions prises par les États-Unis, le Canada étant un partenaire qui a exprimé son opposition à l’ouverture de cette guerre commerciale, dont tout le monde finira bien par sortir perdant.