M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.

M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes un certain nombre à regretter que nous n’examinions pas la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale l’année dernière sur ce sujet. Elle était certes perfectible, mais nous aurions pu l’améliorer au Sénat et ainsi gagner du temps dans la navette parlementaire.

Nous tenons à saluer vivement le travail de la rapporteure Nadège Havet, qui a dû œuvrer sur un sujet ô combien sensible.

Ce qu’il s’est passé aux Antilles apparaît aujourd’hui comme totalement inacceptable. Personne ne peut affirmer le contraire : utiliser pendant vingt ans un produit dont plusieurs rapports attestaient, dès l’origine, la dangerosité pour la santé humaine et l’environnement n’est pas excusable.

Aucun Guadeloupéen, aucun Martiniquais n’ignore ce qu’est le scandale du chlordécone, mais, pour nos autres compatriotes, de quoi parle-t-on exactement ?

Le chlordécone est un pesticide qui a été utilisé dans les bananeraies en Martinique et en Guadeloupe entre 1972 et 1993. Il permettait de lutter contre le charançon du bananier, qui sévissait alors dans les plantations.

D’une part, la terre, les nappes phréatiques et la chaîne alimentaire ont été contaminées par la molécule pour plusieurs siècles – on estime qu’elle y perdurera entre 600 et 700 ans. À l’heure où nous parlons, la population lui est toujours exposée quotidiennement.

D’autre part, l’impact sanitaire a été et est encore dramatique pour les populations. Il n’est pas seulement question des personnes qui, travaillant dans les bananeraies, ont été directement en contact avec le produit. Non, on parle de la quasi-intégralité des habitants : 92 % des Martiniquais et 95 % des Guadeloupéens, évidemment à des niveaux de contamination différents.

Quelles sont les conséquences probables de cette contamination ? Ce perturbateur endocrinien est cause de troubles neurologiques, d’infertilité, de cancers, etc. Ce sont d’ailleurs les Antilles qui détiennent le triste record du monde du taux de prévalence du cancer de la prostate : il y est plus de deux fois supérieur à celui que connaît l’Hexagone.

Les enfants exposés in utero au chlordécone sont exposés à des risques de pathologies du système nerveux, de leucémies et de malformations congénitales.

On parle donc bien de conséquences dramatiques pour des milliers de personnes, sur plusieurs générations.

On ne peut pas se dédouaner d’un phénomène qui relève non pas d’une catastrophe naturelle, mais bien d’une décision administrative, ou plutôt d’une succession de telles décisions. En effet, lorsqu’il a été autorisé pour la première fois en France en 1972, le chlordécone ne l’a été qu’à titre temporaire, pour une seule année. Cette autorisation a ensuite été renouvelée tous les ans. Même lorsque le produit a finalement été interdit en France, en 1990, une dérogation a encore été accordée pour les Antilles jusqu’en 1993 !

Même les États-Unis avaient interdit l’utilisation et la production du chlordécone dès 1976, précisément à cause de sa toxicité. En France, sa « grande persistance » et sa « toxicité » avaient été reconnues dès 1968, appréciation ensuite confirmée dans plusieurs rapports des années 1970 et 1980. Dans ces conditions, il serait difficile de ne pas comprendre et partager l’indignation et la colère des victimes.

À qui la faute ? À l’État ? Incontestablement, mais pas seulement. En effet, ce n’est certainement pas uniquement à l’État qu’a bénéficié l’usage du chlordécone aux Antilles pendant vingt ans. La responsabilité est évidemment partagée entre une multitude d’acteurs, y compris locaux.

C’est l’équilibre complexe auquel nous sommes régulièrement soumis dans le cadre de nos débats : la nécessité de préserver une économie, derrière laquelle se trouvent des emplois et des familles, l’avancée des connaissances scientifiques, et les éventuelles conséquences sur la santé et l’environnement.

La production de la banane aux Antilles est précaire. À l’instar de beaucoup de cultures hexagonales, elle est confrontée aux difficultés liées au climat, aux parasites, au non-renouvellement des générations d’exploitants et à la concurrence de producteurs étrangers qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes.

Il est, dans tous les cas, indispensable d’investir dans la recherche et l’innovation pour développer des techniques permettant des cultures toujours plus propres et durables, mais aussi – espérons ! – des techniques qui contribueront à la dépollution des sols et des eaux contaminés par le chlordécone.

Pour les victimes, qui sont des milliers de personnes, les préjudices sont évidemment réels ; quand le lien de causalité avec le chlordécone est établi, elles méritent réparation. Notre groupe, sur ce point, soutient l’esprit de ce texte. Surtout, ce scandale exige que les responsabilités – toutes les responsabilités – soient établies et reconnues.

M. le président. La parole est à Mme Annick Petrus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe RDPI. – M. Jean-François Longeot applaudit également.

Mme Annick Petrus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite d’abord saluer l’initiative de mon collègue Dominique Théophile. En déposant cette proposition de loi, il a porté haut la voix de celles et ceux que l’on n’a pas voulu entendre pendant trop longtemps. C’est un acte politique fort, un acte de justice, un acte d’espoir !

Je prends la parole aujourd’hui avec une émotion particulière, car le drame du chlordécone n’est pas un fait divers local : c’est un désastre sanitaire, écologique et humain qui a durablement marqué la Guadeloupe, la Martinique et, plus largement, la Caraïbe.

Le chlordécone, ce n’est pas une erreur : c’est un poison dont la toxicité était connue. Pourtant, son usage a été autorisé, prolongé, toléré. Ce n’est donc pas seulement une imprudence : c’est une faute !

Aujourd’hui encore, les terres sont polluées pour des siècles. L’eau, les aliments, les corps portent la trace d’une contamination invisible, mais omniprésente. Les enfants naissent avec l’angoisse héritée de leurs parents. Et, dans cette angoisse, il y a aussi le sentiment d’avoir été abandonné.

Face à cela, la reconnaissance de la responsabilité de l’État est essentielle, non pas pour raviver les blessures, mais à l’inverse pour commencer, enfin, à les panser. Elle est la condition de toute réparation, de toute réconciliation.

Je veux ici exprimer ma solidarité caribéenne. Même si Saint-Martin n’a pas connu l’usage du chlordécone, je me tiens aux côtés de nos frères et sœurs guadeloupéens et martiniquais. L’histoire de la Caraïbe est une histoire de combats communs et, dans ce combat-là, nous devons faire front ensemble.

Cette proposition de loi pose des bases nécessaires : reconnaissance, indemnisation, information, prévention. Elle ne réglera pas tout. Mais elle dit à ceux qui souffrent : la République vous voit, la République vous croit, la République vous doit !

Enfin, il nous reviendra de transformer ces paroles en actes : pour réparer, dans la mesure du possible, pour garantir que cela ne se reproduira plus et pour rendre enfin justice aux victimes de ce scandale environnemental et sanitaire.

Pour toutes ces raisons, je voterai sans réserve cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDPI, GEST et SER.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me permets d’intervenir dans cette discussion générale en tant que président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dont vous savez qu’il a été pionnier dans l’analyse approfondie de la pollution au chlordécone.

Un premier rapport, réalisé par notre ancienne collègue Catherine Procaccia et le président d’alors de l’Opecst, Jean-Yves Le Déaut, a été publié en 2009.

Ce rapport étudiait en détail les caractéristiques particulières de cette molécule, sa grande stabilité et ses faibles possibilités de dégradation, allant jusqu’à la qualifier d’« alien chimique ». Il montrait que le chlordécone avait été largement employé sur la planète, notamment – cela a déjà été rappelé à plusieurs reprises – pour lutter contre le charançon du bananier. Il relevait également que très peu de programmes de contrôle et de recherche avaient été mis en place après son interdiction.

Or la contamination des sols, des eaux fluviales, des nappes phréatiques et des milieux marins était une réalité persistante, nécessitant, d’une part, qu’une cartographie complète et détaillée de la pollution soit établie et, d’autre part, que des recherches soient activement menées sur les méthodes de dépollution.

Parallèlement, des études épidémiologiques commençaient seulement à se mettre en place pour suivre la santé des populations les plus exposées et évaluer, par exemple, la possibilité d’une plus forte prévalence du cancer de la prostate, ou de problèmes neurologiques chez les nouveau-nés.

Quatorze ans plus tard, en 2023, un nouveau rapport de Catherine Procaccia, dont je veux saluer ici l’engagement, a permis à l’Opecst de faire un point sur les avancées des connaissances scientifiques relatives à l’impact du chlordécone, mais aussi d’évaluer l’action de l’État en la matière dans les Antilles françaises.

En conclusion de ses travaux, Catherine Procaccia formulait vingt-quatre recommandations précises et opérationnelles. Je veux en rappeler quelques-unes devant vous aujourd’hui. Elle nous invitait à repenser la communication et à en faire une priorité, en la rendant plus transparente et plus proche des réalités socioculturelles des Antilles. En outre, elle recommandait d’améliorer la chlordéconémie et d’accroître la surveillance des aliments produits et consommés.

À l’Opecst, nous sommes convaincus que la mise en œuvre de ces recommandations aurait eu une vraie portée pour les populations de Guadeloupe et de Martinique.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaiterais que vous nous indiquiez si, au cours des dernières années, certaines de ces préconisations ont pu être mises en œuvre.

J’ai déposé plusieurs amendements sur cette proposition de loi. Deux d’entre eux, malheureusement, ont été déclarés irrecevables. Je voudrais les évoquer brièvement, car, certes, les populations de Guadeloupe et de Martinique sont les premières exposées à cette pollution, mais d’autres personnes qui ont séjourné pendant plusieurs années sont également susceptibles de souffrir d’une maladie liée à l’exposition au chlordécone. Il me semblait cohérent de le mentionner.

À l’inverse, la demande de réparation pour les ayants droit me semble aller trop loin.

Je voudrais vraiment assurer tous mes collègues de Guadeloupe et de Martinique, ainsi que nos concitoyens antillais, du soutien réel et complet que les membres de l’Opecst apportent à leur combat pour faire mieux prendre en compte les conséquences de la pollution au chlordécone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela fait bientôt vingt ans que la contamination des sols de la Guadeloupe et de la Martinique fait régulièrement l’objet de rapports et de discussions.

Il était temps que notre assemblée en débatte ; je félicite à cet égard notre collègue Dominique Théophile pour son initiative.

Ce sujet constitue un véritable traumatisme collectif local, qui se double d’une incompréhension de la population face aux tergiversations politiques, s’agissant tant de la reconnaissance de la responsabilité de l’État que de la prise en charge des victimes potentielles.

Ma conviction est qu’il y a des sujets qui ne doivent pas être discutés.

Concernant la pollution des sols, qui d’autre que l’État, autorité ayant délivré les autorisations d’exploitation, pourrait être responsable ? À l’origine de la contamination, on ne trouve ni un usage détourné du produit ni une mauvaise manipulation, mais bien l’autorisation, en Guadeloupe et en Martinique, de ce qui était interdit ailleurs.

Je comprends toutefois que Mme le rapporteur ait voulu laisser la porte ouverte à une voie judiciaire d’indemnisation, qui permettra d’explorer toutes les dimensions de ce sujet, en réponse à ce qui reste un besoin au sein de la population traumatisée.

Comment comprendre, en outre, que l’on puisse s’interroger sur la responsabilité de l’État alors que, par ailleurs, l’hypersécurité sanitaire et la culture française de la surtransposition des normes étouffent nos agriculteurs, qui demandent de desserrer l’étau normatif ?

Enfin, comment comprendre que, alors que l’on connaissait l’interdiction américaine du chlordécone, celui-ci ait été autorisé outre-mer ?

Le texte qui nous est présenté pose le principe de la reconnaissance de la responsabilité de l’État et ouvre la voie à une indemnisation des victimes.

Je ne peux qu’adhérer à ces deux grands principes ; je considère que le texte initial a ouvert des pistes et suscité un débat très large. Les travaux préparatoires de l’examen en séance ont cependant permis une exploration de l’ensemble de ces pistes, qui nous permettra d’aboutir à un texte équilibré rendant effective la mise en œuvre des dispositions envisagées.

Je veux souligner l’importance de ce travail de recentrage et de concrétisation, que nous devons aux populations.

Il est indéniable que la conscience de la contamination a été une source d’appréhension et d’anxiété pour certains publics. Pour autant, l’ériger en préjudice aboutirait à une procédure novatrice complexe, qui susciterait probablement, elle aussi, une forme de méfiance à l’égard des critères d’évaluation du caractère légitime ou non de l’anxiété de la population.

La connaissance scientifique et la recherche disposent encore de marges de progression certaines. Le rapport remis en 2023 par notre ancienne collègue Catherine Procaccia sur l’impact de l’utilisation du chlordécone aux Antilles souligne bien la nécessité à la fois de poursuivre les travaux et de rétablir la confiance de la population.

L’Histoire n’est rien d’autre qu’une biographie collective, et celle du chlordécone laissera, malheureusement, une empreinte durable sur les Antilles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi.

proposition de loi relative à la reconnaissance de la responsabilité de l’état et à l’indemnisation des victimes du chlordécone

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi relative à la reconnaissance de la responsabilité de l'État et à l'indemnisation des victimes du chlordécone
Article 1er (fin)

Article 1er

L’État reconnaît sa responsabilité dans les préjudices moraux et sanitaires subis par les populations de Guadeloupe et de Martinique résultant de l’autorisation de la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques à base de chlordécone et de leur usage prolongé comme insecticide agricole.

Il indemnise toutes les victimes de cette contamination dans les conditions fixées par la présente loi, que celle-ci ait eu lieu dans le cadre d’une activité professionnelle ou non.

L’État met en place une campagne de prévention sur l’ensemble du territoire national afin de mettre en avant l’existence de la chlordéconémie.

Il renforce également la prévention sanitaire de la population en mettant en place un dépistage systématique du cancer de la prostate à partir de quarante-cinq ans pour les populations de Guadeloupe et de Martinique.

M. le président. L’amendement n° 16 rectifié, présenté par Mme Havet, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Remplacer les mots :

préjudices moraux et

par le mot :

dommages

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Nadège Havet, rapporteure. Cet amendement vise à centrer l’alinéa 1 de cet article sur les dommages sanitaires subis par les populations de Guadeloupe et de Martinique.

La rédaction proposée, comme celle du texte initial, reconnaît la responsabilité de l’État, qui est indubitable, sans toutefois exclure la recherche future de coresponsabilités par les tribunaux saisis de demandes indemnitaires.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Yannick Neuder, ministre. Votre amendement, madame la rapporteure, a pour objet de recentrer la responsabilité de l’État sur les dommages sanitaires subis en lien avec les négligences fautives de l’État.

Soyons très clairs : l’indemnisation de ces négligences sanitaires comprend celle des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux dont l’État est responsable, dont le préjudice moral. Le juge administratif a reconnu la responsabilité de l’État pour avoir autorisé provisoirement la vente homologuée de produits à base de chlordécone et leur avoir accordé des dérogations d’utilisation.

Toutefois, comme l’a déclaré le Président de la République dès 2018 au Morne-Rouge, et comme cela a été confirmé par le juge administratif comme par le juge judiciaire, la pollution par le chlordécone est le fruit d’un aveuglement collectif qui a conduit à accepter cette situation, parce que l’État, les élus locaux et les acteurs économiques considéraient qu’arrêter le chlordécone, c’était menacer une partie des exploitations en Martinique comme en Guadeloupe.

Je suis donc favorable à cet amendement. Nous ne pourrons pas revenir en arrière, la priorité est d’aller de l’avant pour sortir du risque lié au chlordécone. Des solutions existent, cela prendra du temps, mais nous avons besoin de tout le monde.

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.

M. Victorin Lurel. J’avoue être assez estomaqué par la position de notre rapporteure et de M. le ministre : ils voudraient que l’on ne reconnaisse que le préjudice sanitaire, alors même qu’une cour administrative d’appel vient de reconnaître le préjudice d’anxiété !

Il y a quatre ans déjà, je plaidais ici pour que l’on procède de manière similaire à ce qui avait été fait pour l’amiante : une fois les textes législatifs adoptés en la matière, on avait pu, par arrêté, intégrer le préjudice d’anxiété à la liste des dommages couverts. Alors, vouloir aujourd’hui restreindre ainsi le champ de la responsabilité de l’État, cela me paraît tout à fait minimaliste.

Beaucoup de textes ont été proposés sur le chlordécone ; le dernier à avoir été adopté, par l’Assemblée nationale, est celui de notre collègue député Élie Califer, qui intégrait à son dispositif les préjudices sanitaires, moraux, écologiques et économiques. Notre collègue Dominique Théophile s’est montré tout à fait responsable et réaliste : il s’en est tenu aux préjudices moraux et sanitaires. Et voici que vous entendez restreindre le texte au seul préjudice sanitaire, au motif qu’il y aurait une sorte de responsabilité collective, partagée entre les utilisateurs du produit, ses producteurs et l’État, qui l’a autorisé.

Madame la rapporteure, ce n’était pas du provisoire : ces dérogations ont tellement duré que c’est devenu quelque chose de permanent. Pour ma part, j’habite dans une zone contaminée, je me fais analyser chaque année pour savoir quel est mon taux de contamination au chlordécone. Je ne demande pas d’indemnisation personnelle, mais on ne saurait réduire la réparation à une simple histoire de contamination individuelle ni ignorer qu’il y a des contaminations qui persistent dans les sols, que nos territoires subissent encore des préjudices environnementaux, sanitaires, ou bien économiques.

Ainsi, il y a des marins-pêcheurs qui ne peuvent pas aller pêcher comme il convient. Quand j’étais ministre des outre-mer, nous avions créé les brigades bleues pour leur venir en aide ; je regrette qu’elles n’existent pratiquement plus.

On ne peut donc pas être aussi minimaliste, aussi réducteur que le proposent la rapporteure et le ministre. J’estime que notre collègue Dominique Théophile a bien travaillé et j’invite notre assemblée à rejeter cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour explication de vote.

M. Yannick Jadot. J’avoue, monsieur le ministre, avoir été surpris, voire sidéré, en vous entendant employer, à deux reprises, l’expression « aveuglement collectif ». Celle-ci laisse entendre que, au moment de la décision, on ne savait pas : pris d’enthousiasme, on aurait distribué dérogations et autorisations. Mais la science s’était déjà prononcée, les alertes étaient déjà là !

Pour ma part, le cynisme, la cupidité, le mépris pour les populations antillaises, je n’appelle pas cela une forme d’« aveuglement collectif » : j’y vois un crime, un scandale d’État. Les responsabilités sont clairement établies.

Je vous demande donc, monsieur le ministre, d’arrêter de parler d’aveuglement collectif quand il s’agit de responsabilités prises en toute connaissance de cause, au mépris de la santé des Antillaises et des Antillais.

M. Victorin Lurel. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour explication de vote.

M. Jacques Fernique. Si la rédaction proposée dans cet amendement de la commission maintient à juste titre la reconnaissance de la responsabilité de l’État qui figurait dans la version initiale, elle en réduit en revanche le champ aux dommages sanitaires, en évacuant la responsabilité de l’État pour les préjudices moraux. Autrement dit, la reconnaissance du préjudice lourd d’anxiété disparaîtrait si nous adoptions cet amendement, ce qui serait un recul. C’est pourquoi nous nous y opposerons.

M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, pour explication de vote.

M. Dominique Théophile. Monsieur le ministre, madame la rapporteure, j’ai du mal à trouver les mots…

La rédaction de cet amendement implique que l’ensemble de l’article 1er serait remplacé par ce seul et unique alinéa, au détriment des alinéas 2, 3 et 4, relatifs à la prise en charge de l’indemnisation des victimes et à la mise en œuvre d’une campagne de prévention, même si je reconnais que d’autres amendements tendent à réintroduire ces dispositions ailleurs dans le texte.

Par ailleurs, le remplacement de la notion de « préjudices moraux » par celle de « dommages » enlèverait tout fondement à l’indemnisation du préjudice d’anxiété subi par les populations de Guadeloupe et de Martinique.

Selon nos estimations, cela pourrait conduire à supprimer près de 80 % des indemnisations versées aux personnes exposées, qui n’ont pas encore développé de pathologie, mais ont peur d’en développer.

Pourtant, et Victorin Lurel vient de le rappeler, la cour administrative d’appel de Paris a reconnu l’existence d’un préjudice d’anxiété relatif au chlordécone, dans un arrêt qu’elle a rendu récemment, après le dépôt de la proposition de loi, laquelle a été déposée en octobre dernier.

Il est donc impératif que cette mention ne disparaisse pas du texte, sans quoi celui-ci serait nettement moins-disant que la jurisprudence.

Mes chers collègues, si nous adoptions cet amendement, le tribunal aurait pris une décision en quelque sorte « supralégale ». Le fait est déjà jugé, de manière plus avantageuse que ce qui est proposé par cet amendement.

Mes chers collègues, pour être cohérent, et s’assurer que le texte concerne ceux qui sont concernés, qu’ils soient ou non déjà atteints de pathologies, sans créer de désordre, il faut accepter de conserver la rédaction initiale de l’article 1er.

Je le répète, le fait est déjà jugé. Le texte évite de prolonger davantage la situation. Sans quoi, nous n’aurons que partiellement réglé l’affaire.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Nadège Havet, rapporteure. Mon cher collègue, je vous précise que les alinéas 2, 3 et 4 ne sont pas visés par l’amendement n° 16 rectifié, qui ne tend à modifier que le premier alinéa de l’article 1er.

M. le président. La parole est à M. Frédéric Buval, pour explication de vote.

M. Frédéric Buval. Monsieur le président, en accord avec mon groupe, je souhaite déposer un sous-amendement à l’amendement n° 16 rectifié, pour rédiger ainsi le premier alinéa de l’article 1er : « L’État reconnaît sa responsabilité dans les dommages sanitaires subis par les populations de Guadeloupe et de Martinique du fait des autorisations provisoires de vente, des homologations et des autorisations d’utilisation à titre dérogatoire accordées à des produits phytopharmaceutiques à base de chlordécone et de leur usage prolongé comme insecticide agricole. »

M. le président. Monsieur Buval, pourriez-vous préciser l’imputation de votre sous-amendement à l’amendement n° 16 rectifié ?

M. Frédéric Buval. Par ce sous-amendement, nous souhaitons que soit reconnu le préjudice d’anxiété.

M. le président. Mon cher collègue, je vous prie d’excuser ces considérations techniques, mais pour déposer un sous-amendement, il faut que celui-ci modifie le texte de l’amendement en question ; vous ne pouvez pas déposer un sous-amendement ayant pour effet de contredire le sens de l’amendement auquel il s’applique.

Mme Nicole Bonnefoy. Il faut voter contre l’amendement de la commission !

M. Frédéric Buval. Nous demandons de rétablir la prise en compte du préjudice moral et sanitaire.

M. le président. Mon cher collègue, vous pouvez voter contre l’amendement n° 16 rectifié, mais non pas le sous-amender ainsi.

M. François Patriat. Je demande la parole, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. François Patriat.

M. François Patriat. Monsieur le président, compte tenu des difficultés que nous rencontrons, je demande une suspension de séance.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trois, est reprise à dix-huit heures sept.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Frédéric Buval, pour explication de vote sur l’amendement n° 16 rectifié.

M. Frédéric Buval. Monsieur le président, je renonce à déposer le sous-amendement dont il était question avant la suspension de séance.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre. Monsieur Jadot, précisons le sens des mots, pour éviter toute ambiguïté.

Le « préjudice d’anxiété », c’est la crainte de développer une maladie ; le « préjudice moral », c’est la douleur morale liée au fait d’être atteint d’une maladie. Ce n’est donc pas la même chose.

L’amendement n° 16 rectifié ne vise aucunement à supprimer les alinéas 2, 3 et 4, qui sont bien maintenus.

La suppression des mots « préjudices moraux » du premier alinéa n’implique pas que ceux-ci ne seront pas réparés. Les préjudices moraux subis par les victimes seront indemnisés, puisque le champ proposé par la rapporteure est plus large.

En outre, remplacer les termes « préjudices moraux et sanitaires » par ceux de « dommages sanitaires », ainsi que le propose la rapporteure, est plus correct d’un point de vue juridique.

L’État est reconnu responsable des dommages sanitaires à l’origine des préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, dont les préjudices moraux, qui seront donc réparés.

Pour synthétiser, nous reconnaissons les préjudices moraux, mais potentiellement nous ne reconnaissons pas les préjudices d’anxiété.