M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de laccès aux soins. Madame la sénatrice Carrère-Gée, je vous remercie de rappeler tous les méfaits de la drogue en général, et du cannabis en particulier. Vous avez bien résumé les effets néfastes de la consommation de cannabis, notamment sur les fonctions cognitives supérieures.

Vous auriez pu ajouter que la consommation de cannabis accentue les risques de survenue d’accidents sur la voie publique, qui sont la première cause de mortalité et de traumatologie chez les jeunes.

En outre, la banalisation de l’usage de cannabis et le fait qu’il soit souvent coupé avec d’autres drogues aux effets encore plus importants peuvent constituer une porte d’entrée vers la consommation de drogues dures, notamment la cocaïne. (Mme Émilienne Poumirol proteste.) Outre-Atlantique, certains États des États-Unis et le Canada regrettent ainsi d’avoir légalisé le cannabis, car cela a entraîné une augmentation de la consommation de drogues dures.

Nous devons faire preuve d’une tolérance zéro vis-à-vis de la drogue en général. Si je dis oui au cannabis thérapeutique – comme vous le savez, j’ai renouvelé la lettre de couverture et prolongé les délais pour en évaluer les effets –, cela ne vaut certainement pas pour le cannabis dit récréatif, dont la consommation porte atteinte à la santé de nos jeunes de manière terrible, est accidentogène et ouvre la voie à l’usage de drogues encore plus dures.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée, pour la réplique.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Monsieur le ministre, vous engagez-vous à organiser une campagne de communication sur le sujet dans l’année ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de laccès aux soins. Nous avons en effet la volonté de réaliser une campagne de communication sur les dangers de la drogue. Nous avons d’ailleurs établi des axes de travail avec la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), pas plus tard que cet après-midi.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. C’est parfait, merci !

M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat.

M. Simon Uzenat. Nous le voyons bien au travers des diverses interventions, la question de la santé mentale n’est plus une bombe à retardement ; elle est désormais une bombe à fragmentation, dont les dépressurisations psychologiques se sont multipliées à la faveur de la crise sanitaire, qui a agi comme un accélérateur ou un amplificateur.

Il suffit pour s’en convaincre de constater que les maladies psychiatriques sont devenues les premières affections de longue durée chez les moins de 30 ans. À cet égard, nous pouvons regretter qu’il ait fallu attendre cinq ans pour faire de la santé mentale une grande cause nationale.

Entre 2020 et 2022, 24 % des établissements psychiatriques ont été contraints de fermer de 10 % à 30 % de leurs lits, contre 5 % avant 2020. Les professionnels parlent de point de rupture des capacités d’hospitalisation. Comme vous le savez, monsieur le ministre, très peu d’étudiants ayant réussi le concours de l’internat choisissent la psychiatrie. À l’heure actuelle, 23 % des postes de psychiatre à l’hôpital public sont vacants.

Si les causes sont diverses, les professionnels évoquent avec insistance la question de la responsabilité juridique. Quelle réponse pouvez-vous leur apporter ?

Il convient d’adopter une démarche globale et coordonnée sur le modèle de ce qui a été réalisé dans la lutte contre le cancer, pour laquelle un institut national spécifique a été créé. Quelle est votre position sur le sujet ?

Comme l’ont rappelé plusieurs de mes collègues, nous sommes tous concernés par la santé mentale. Il ne faut pas oublier que les personnes âgées sont, à côté des jeunes, les autres grandes victimes de ces dérèglements.

Pour mieux les prendre en charge, il est nécessaire que les équipes médicales évoluant dans le champ de la psychiatrie se coordonnent davantage avec les autres équipes médicales. Nous avons tous vécu des expériences personnelles au cours desquelles la dimension psychiatrique de la prise en charge médicale n’a pas été prise en considération ou l’a été insuffisamment.

Par ailleurs, le lien avec les proches est un sujet fondamental pour les patients majeurs. En effet, les troubles mentaux ont des incidences sur la vie de tous les proches des patients concernés.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de laccès aux soins. Monsieur le sénateur Uzenat, je regrette comme vous les fermetures de lits dont souffre actuellement la psychiatrie. Au risque de me répéter, je rappelle qu’il est fondamental de former plus de soignants pour en rouvrir un maximum.

Dans 40 % des cas, l’entrée dans un parcours de soins psychiatriques se fait par la voie des urgences. Nicole Dubré-Chirat et Sandrine Rousseau m’ont remis leur rapport d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques et j’espère bien traduire plusieurs de leurs recommandations par des mesures réglementaires.

Je souhaite également la présence d’un référent dans tous les services d’urgence de notre pays pour prendre en charge les patients psychiatriques, qu’il s’agisse d’un infirmier en pratique avancée ou d’un médecin. Nous savons bien que lorsque les flux entre malades organiques et psychiatriques s’entremêlent, cela complique la gestion du quotidien.

J’ai bien en tête la question de la responsabilité juridique. Si les étudiants ne choisissent pas la psychiatrie et disent en avoir peur, ce n’est pas seulement à cause des tableaux cliniques des malades. Ils pensent évidemment au risque de récidive d’un patient qu’ils auraient laissé sortir d’hospitalisation. Sachant que 30 % des détenus en France souffrent de troubles psychiatriques, nous mesurons bien le degré de responsabilité que représente la remise d’une autorisation de sortie ou d’un avis psychiatrique. Les groupes d’évaluation départementaux (GED), par exemple, demandent également la présence systématique d’un psychiatre en leur sein.

Le problème de la responsabilité juridique existe donc, et il faut pouvoir en parler et l’expliquer.

Vous proposez, si je comprends bien, de créer un institut national sur le modèle de l’Institut national du cancer (Inca). Je n’y suis pas vraiment favorable. L’heure n’est pas à la création de superstructures. Mon objectif est de restaurer l’attractivité de la psychiatrie. Nous devons donner envie à notre jeunesse de s’investir dans cette filière.

M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat, pour la réplique.

M. Simon Uzenat. Il faut bien sûr former plus de soignants, mais il faut aussi donner envie à nos jeunes internes de s’orienter vers la psychiatrie. Par ailleurs, vous évoquez une forme de saupoudrage de la prise en charge, monsieur le ministre, sur laquelle je vous invite à la prudence.

M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Monsieur le ministre, dans la mesure où je suis le treizième à m’exprimer, vous risquez de trouver quelques répétitions dans mon intervention. Ce sera donc le cas des deux premières phrases, mais non du reste… (Sourires.)

La santé mentale a été désignée comme grande cause nationale pour l’année 2025. Ce choix répond à un enjeu majeur de santé publique. En effet, un Français sur quatre sera concerné par un trouble mental au cours de sa vie. Cette grande cause nationale s’articule autour de quatre objectifs prioritaires : la déstigmatisation ; le développement de la prévention et du repérage précoce ; l’amélioration de l’accès aux soins partout sur le territoire français ; et l’accompagnement des personnes concernées.

Ces objectifs sont non seulement louables, mais indispensables. Il convient néanmoins de ne pas rester dans l’affichage et de les traduire par des actions concrètes.

Je pense tout d’abord au déploiement d’une force de premier recours pour dépister et prévenir les troubles psychiques dès le plus jeune âge.

Ensuite, il convient de développer de nouveaux métiers et de nouvelles compétences en santé mentale et en psychiatrie, afin de recentrer le temps médical sur les prises en charge des patients complexes. En effet, il est souhaitable de traiter la question de la santé mentale comme un enjeu de santé publique pouvant toucher chacun d’entre nous, comme nous l’avons fait il y a vingt ans pour le cancer.

Enfin, nous devons structurer un pilotage de la feuille de route de la psychiatrie et de la santé mentale, à l’échelle tant nationale que locale.

Monsieur le ministre, pour répondre à ces objectifs, que partagent une grande partie des professionnels de terrain, il nous faut déployer des dispositifs pour former les professionnels de santé, pour repérer les troubles, pour financer des postes, notamment d’IPA, d’assistants médicaux ou de coordonnateurs au sein des établissements, mais également pour sensibiliser les équipes de professionnels accueillant du public.

La création de maisons des enfants, sur le modèle des maisons des adolescents, est une bonne chose pour assurer des missions de premier accueil et de prévention. La structuration de l’offre de soins en santé mentale sur le territoire doit être pilotée par les agences régionales de santé, en lien avec les collectivités territoriales.

Monsieur le ministre, alors qu’un quart de l’année est déjà écoulé, ma question est simple : quelles mesures ont été adoptées ou, à tout le moins, proposées, pour que cette année de grande cause nationale pour la santé mentale soit dotée d’un contenu réel ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de laccès aux soins. Monsieur le sénateur Milon, je serai aussi indulgent à l’égard des répétitions que vous le serez, je l’espère, à l’égard des réponses de votre ministre, qui, après quatre heures d’audition sur la fin de vie, les questions d’actualité au Gouvernement et l’examen de la proposition de loi relative à la reconnaissance de la responsabilité de l’État et à l’indemnisation des victimes du chlordécone, est très heureux de répondre à la treizième question de la soirée… (Sourires.)

Nous avons concentré nos efforts sur le renforcement de la première ligne, en agissant massivement sur les déterminants de santé mentale. Je pense notamment à l’exposition aux violences sexuelles durant l’enfance, aux addictions, aux discriminations, à la précarité financière…

Nous allons consolider les maisons des adolescents, la médecine générale, les CPTS et le dispositif Mon soutien psy. De même, nous souhaitons renforcer l’offre de secteurs pivots, notamment la psychiatrie générale, et nous dotons les CMP pour enfants de près de 400 postes supplémentaires.

Tous ces sujets seront évoqués au cours de la réunion du comité interministériel sur la santé mentale que j’organiserai en juin prochain. Notre objectif est d’articuler la psychiatrie surspécialisée avec la psychiatrie de première ligne et les CMP, afin de fluidifier les parcours petit à petit. Je vous donne donc rendez-vous en juin.

Au reste, je vous rappelle que l’année n’a commencé qu’en mars, après l’adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Demas. « Elle a été déclarée grande cause nationale 2025. Les acteurs de la santé mentale attendaient cette reconnaissance depuis des années, mais ils ne sauront se contenter d’une déclaration d’intention. » Voilà les propos introductifs d’une tribune publiée dans un quotidien local à l’occasion du Forum national de la santé mentale, qui se tiendra en fin de semaine dans le département dont je suis élue, les Alpes-Maritimes.

Dire que le sujet est d’importance est un euphémisme : plus de 12 millions de Français souffrent de troubles psychiques et une tentative de suicide a lieu toutes les trois minutes… Si la santé mentale a été désignée grande cause nationale, ce n’est malheureusement pas sans raison. S’en préoccuper relève de l’urgence et de la nécessité, d’autant qu’il s’agit de notre premier poste de dépenses sociales.

La rapidité du diagnostic devient centrale au regard de l’errance des patients. Face à la pénurie de psychiatres et à la désertification médicale qui s’étend, c’est-à-dire, en somme, face à la saturation de notre système de santé, il nous faut optimiser la complémentarité entre tous les professionnels de santé mentale qui se trouvent en première ligne des consultations. Ce faisant, nous améliorerons le parcours de soins.

Monsieur le ministre, comment votre feuille de route prévoit-elle de remédier à la saturation des centres médico-psychologiques, qui manquent cruellement de moyens et de personnel, notamment pour s’occuper de notre jeunesse ?

Par ailleurs, le dispositif Mon soutien psy est parfois critiqué pour ses critères d’accès et de sélection, et il est jugé peu attractif pour les psychologues. Sera-t-il significativement amélioré ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de laccès aux soins. Madame la sénatrice Demas, je vous remercie de votre question. Nous nous retrouverons probablement à Cannes vendredi prochain à l’occasion de la deuxième édition du Psychodon, que je viendrai inaugurer. Ce sera un bon moment, car il est important de faire remonter du terrain des idées de patients et d’associations portant sur toutes les facettes de la santé mentale. C’est précisément l’engagement de l’organisateur de l’événement, Didier Meillerand.

Depuis trois ans, les consultations réalisées dans le cadre de Mon soutien psy sont remboursées. De plus, nous avons validé un accès direct au dispositif dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. J’ai également demandé un rapport sur les patients ayant bénéficié de ce parcours pour déterminer le taux de prise en charge médicale, le taux de guérison et le taux de suicide après ce cycle.

Selon les données de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), les patients utilisent rarement les douze séances qui leur sont remboursées. Ils s’arrêtent souvent avant la fin du cycle, au bout de six à huit séances.

Jusqu’à présent, plus de 500 000 patients ont été pris en charge par les 5 500 psychologues qui sont actuellement conventionnés. Comme je l’ai déjà indiqué, 500 nouveaux psychologues ont demandé un conventionnement au cours des deux derniers mois.

Comme vous, je souhaite renforcer les moyens des CMP, qui, je le répète, ont besoin non pas de moyens financiers, mais de personnel disponible.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas, pour la réplique.

Mme Patricia Demas. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, mais j’aurais aimé obtenir des éléments sur des moyens financiers supplémentaires, car ils sont le nerf de la guerre. Il me semble qu’un ordre de grandeur des moyens à notre disposition pour mettre en application des actions est un paramètre indispensable à toute feuille de route. Pouvez-vous nous donner un tel ordre de grandeur ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre. Puisque vous voulez des chiffres, madame la sénatrice, je peux vous dire qu’entre 2018 et 2026, 3,3 milliards d’euros supplémentaires auront été consacrés à la santé mentale.

M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas.

Mme Patricia Demas. La santé mentale est la grande cause nationale de 2025, mais elle doit le demeurer par la suite, car il s’agit d’un enjeu de société qui concerne toutes les générations et qui révèle les fractures de notre société, au-delà des fractures d’ordre psychique.

Monsieur le ministre, il faut fournir un effort collectif, en réunissant les forces vives de la Nation autour de cette cause, mais aussi un effort financier.

M. le président. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Somon. Ma question porte sur le rôle des structures locales et territoriales, ainsi que sur le rôle des élus, dans le pilotage d’une politique nationale de la psychiatrie et de la santé mentale.

La santé mentale est un enjeu majeur de notre époque. Au total, 12,5 millions de Français sont atteints de maladie mentale. Un jeune adulte sur deux présente des signes de dépression et l’on enregistre 6 000 suicides par an dans notre pays. Je le rappelle à mon tour, le suicide est la première cause de décès des 15-29 ans.

Avec plus de 23 milliards d’euros annuels, les dépenses remboursées au titre de la souffrance psychique et des maladies psychiatriques représentent le premier poste budgétaire de l’assurance maladie.

En 2021, les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie ont souligné la nécessité d’une approche holistique, articulée aux besoins des territoires.

Les structures locales – centres médico-psychologiques, hôpitaux de proximité ou encore associations de santé mentale – jouent un rôle essentiel dans l’accompagnement des patients, au plus près des réalités du terrain. Leurs équipes connaissent mieux que quiconque les besoins spécifiques des communautés qu’elles prennent en charge.

De leur côté, les élus locaux ont une responsabilité particulière. Ils sont les garants de la cohésion, du lien social et de la qualité de vie dans leur territoire. Ils ont le pouvoir d’impulser des dynamiques locales et de mobiliser les acteurs de santé. Ils peuvent plaider pour des moyens supplémentaires auprès des instances nationales, ce que nous faisons à notre tour ce soir.

Ce constat sanitaire appelle une meilleure articulation entre politique globale et déclinaisons territoriales. Ne serait-il donc pas envisageable de créer, sur le modèle du délégué interministériel à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement, au nombre desquels figure l’autisme, un délégué interministériel à la santé mentale ? Je relève à ce titre que toutes les agences régionales de santé ne disposent pas encore de référent psychiatrie et santé mentale.

En parallèle, il convient de renforcer les projets territoriaux de santé mentale (PTSM), en chargeant les antennes départementales des ARS de les animer.

En outre, je propose la création d’un centre expert pour la santé mentale dans chaque région, structure qui favoriserait l’inclusion des patients dans la recherche.

Enfin, un centre référent d’accompagnement pour les parcours des patients et la formation des professionnels pourrait garantir un diagnostic et une prise en charge précoces, gages de meilleurs résultats thérapeutiques. Je pense notamment aux 200 000 malades psychiatriques les plus sévères : dans leur cas, une prise en charge adaptée permet de réduire de 50 % le nombre de journées d’hospitalisation.

En résumé, il est urgent de redéfinir le rôle des structures locales et des élus dans le pilotage de la politique nationale de la psychiatrie. La santé mentale de nos concitoyens en dépend.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Laurent Somon. Faisons en sorte que chaque territoire dispose des moyens nécessaires pour répondre aux défis de la santé mentale.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de laccès aux soins. Monsieur le sénateur Somon, vous évoquez le rôle des élus locaux : l’appel de Nantes a permis à cinq associations nationales d’élus de s’engager, notamment l’AMF et Intercommunalités de France.

Vous m’interrogez sur l’organisation territoriale qu’il convient de privilégier en la matière. Le projet territorial de santé mentale apparaît finalement comme le plus efficace, à condition qu’il soit élaboré en lien avec les conseils locaux de santé mentale ; un certain nombre de ces structures ont déjà vu le jour.

Vous suggérez la création d’un délégué interministériel, mais, dans ce domaine, nous disposons déjà d’un délégué ministériel. Je me fais fort de présenter, lors d’un prochain conseil des ministres, l’ensemble des actions que nous allons mener avec lui, en lien avec les acteurs du monde économique, notamment au titre de la RSE, ceux de la politique de la ville et ceux de l’éducation nationale.

Le ministère de la santé doit coordonner son action avec les travaux menés par l’ensemble des autres ministères compétents pour mener à bien ces politiques publiques. La santé mentale doit, comme le handicap, avoir une place dans l’ensemble des politiques que nous menons.

Un certain nombre de centres experts existent, mais il convient effectivement de les développer. Cela étant, il me semble que vous êtes, comme beaucoup, adepte de la simplification : évitons de créer encore de nouvelles catégories de structures. Mieux vaut selon moi concentrer les moyens sur les professionnels de terrain, même si, sur l’ensemble de ces sujets, je reste ouvert à la discussion.

M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Anne Ventalon. Selon l’Organisation mondiale de la santé, 13 millions de Français présentent un trouble psychique. Plus d’un quart de la population française consomme aujourd’hui des anxiolytiques, antidépresseurs et autres médicaments psychotropes. Les troubles psychiques sont ainsi la première cause d’invalidité, la deuxième cause d’arrêt de maladie et, avec 23 milliards d’euros en 2023, le premier poste de dépenses du régime général de l’assurance maladie.

Ces chiffres doivent nous alerter, d’autant plus que la forte dégradation de la santé mentale constatée depuis le covid-19 et les confinements successifs frappe sans distinction de milieu social ou d’âge.

Il est urgent de repenser notre approche de la santé mentale : cette dernière est aussi importante que la santé physique. Je me réjouis donc que, dès octobre dernier, le Gouvernement ait fait d’elle la grande cause nationale de 2025.

Véritable enjeu de santé publique, la santé mentale est l’affaire de tous. Elle constitue, de surcroît, une préoccupation majeure des élus locaux, qui jouent un rôle central dans ce domaine. Leur champ d’action s’étend en effet aux crèches, aux écoles ou encore aux Ehpad.

Encouragées par les ARS, diverses collectivités territoriales travaillent ainsi à la mise en place d’un conseil local de santé mentale via une approche participative, regroupant toutes les parties prenantes afin de mener des actions concertées. Toutefois, le manque de psychiatres et notamment de pédopsychiatres se révèle lourd de conséquences, et les élus peinent à mettre en œuvre ces politiques locales.

Le manque de ressources adaptées pour les enfants présentant des besoins spécifiques, les délais d’attente dans les centres médico-psychologiques ou encore les limites du dispositif Mon soutien psy l’illustrent : l’accès aux soins en santé mentale reste très dégradé.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous répondre aux carences de la psychiatrie publique ? Surtout, comment mieux accompagner les collectivités territoriales dans le déploiement des conseils locaux de santé mentale et, ce faisant, faciliter la prévention ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de laccès aux soins. Madame la sénatrice Ventalon, votre question est la dernière de ce débat : c’est peut-être volontairement que vous m’invitez à récapituler le travail engagé ou à venir.

Il faut renforcer la territorialisation des actions de notre ministère en s’appuyant sur les élus locaux. Départements et communes prennent de nombreuses initiatives dans ce domaine, comme l’élaboration des projets territoriaux de santé mentale et la création des conseils locaux de santé mentale. Naturellement, il convient d’encourager ces démarches.

Il faut mettre l’accent sur la formation des professionnels de santé, en lien avec les régions dans le cas des paramédicaux et à l’échelle nationale pour les médecins.

Il convient aussi de renforcer l’attractivité des différents métiers, que ce soit à l’hôpital, en ville ou dans les centres médico-psychologiques.

L’effort de déstigmatisation, qui est tout aussi essentiel, suppose plus largement un travail de vulgarisation. Ériger la santé mentale en grande cause pour l’année 2025 permet déjà de parler de tous ces sujets. Le débat de ce soir en est la preuve.

Il s’agit évidemment de politiques de longue haleine et je n’ai pas de solution immédiate à vous proposer. Toutefois – j’en suis convaincu –, si nous déployons des moyens dignes de ce nom en faveur de la formation, si l’on traite les différents sujets en prenant soin d’adopter une approche transversale et interministérielle, nous pourrons avancer de manière collective, face à ces problèmes ô combien préoccupants.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Luc Fichet, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier tous les orateurs des groupes en saluant la qualité de leurs interventions.

Nous l’avons constaté tout au long de ce débat, la santé mentale est une réalité complexe et multidimensionnelle. Elle couvre un champ extrêmement vaste, allant de la souffrance psychosociale ordinaire jusqu’aux maladies psychiques avérées, parmi lesquelles la dépression, les psychoses, les troubles liés à l’anxiété, les addictions, les tendances suicidaires, les psychotraumatismes et les troubles autistiques.

De plus, ces affections prennent aujourd’hui des formes nouvelles, notamment la souffrance au travail et les troubles liés à l’éco-anxiété.

Les souffrances mentales sont très peu connues, reconnues et soutenues. Pourtant, elles irradient. Elles ont des répercussions sur les malades comme sur leur entourage, leurs environnements familial et professionnel. Elles provoquent des inquiétudes et des incompréhensions, qui augmentent encore les souffrances subies.

Chaque année, plus de 2 millions de Français sont pris en charge par les services psychiatriques. Les troubles liés à la santé mentale représentent la première source d’arrêt de travail prolongé et 25 % des causes d’invalidité en France.

Depuis la crise sanitaire, la santé mentale des Français s’est sensiblement dégradée. En 2022, selon une enquête de Santé publique France, 24 % de nos concitoyens présentaient un état anxieux, soit 11 points de plus qu’avant la pandémie. En parallèle, 17 % d’entre eux présentaient un état dépressif – soit une augmentation de 7 points – et une personne sur dix avait des pensées suicidaires, proportion en hausse de 6 points de pourcentage.

La détérioration de la santé mentale est particulièrement sensible chez les jeunes, d’où l’importance des « chèques psy », malgré des problèmes d’accès et de pertinence du dispositif. La limitation du nombre de séances d’analyse n’a pas de sens : le soin psychique demande du temps. Ce dispositif, tourné vers le secteur libéral, ne saurait compenser les défaillances observées dans le secteur public.

La fragilisation de la santé mentale touche davantage les femmes. Selon une étude de l’OMS, 38 % des salariées sont en situation de mal-être au travail, contre 22 % des salariés de sexe masculin ; les femmes cadres sont particulièrement concernées. Dans l’ensemble, les femmes sont surreprésentées dans les secteurs où la santé mentale est au plus bas : l’administration publique, la filière de l’hébergement et de la restauration, l’hébergement médico-social et l’action sociale.

La santé mentale est le parent pauvre de notre système de santé. Depuis des décennies, les établissements de psychiatrie subissent un sous-financement chronique : selon un rapport publié par l’Igas en 2017, 60 % des lits hospitaliers de psychiatrie ont été supprimés au cours des quarante dernières années, ce qui a eu pour conséquence d’augmenter la pression sur les hôpitaux publics.

L’offre de soins est toujours plus inégale selon les territoires. Certains d’entre eux sont devenus de véritables déserts médicaux, où il est impossible de trouver un professionnel de la santé mentale.

Les causes de cette situation sont connues : salaires insuffisants, dégradation des conditions de travail, insuffisance de l’offre de formation et vieillissement des professionnels en activité. Or, depuis 2017, ni le Président de la République ni ses gouvernements successifs n’ont mesuré l’urgence d’agir pour reconstruire notre système de santé mentale ; deux feuilles de route ont certes été publiées, mais elles sont insuffisantes.

La première, qui remonte à 2018, créait la délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie. Elle détaillait, de plus, un certain nombre de mesures en faveur de la prévention et de la réinsertion, ainsi que pour les dispositifs de soins aigus ; mais les moyens sont restés gravement insuffisants.

La seconde, qui date de 2021, devait être assortie d’importants financements. On nous promettait alors 1,9 milliard d’euros, mais lissés sur cinq ans. À ce titre, on recyclait de surcroît un certain nombre de mesures, comme la création d’un numéro national de prévention du suicide, le 3114. Surtout, les moyens étaient toujours insuffisants.

Le fait d’ériger la santé mentale en grande cause nationale pour 2025 relève du symbole, mais représente aussi un appel à la mobilisation de toute la société, afin d’attribuer de nouveaux moyens financiers à un secteur en crise. Néanmoins, l’augmentation des crédits ne suffit pas s’il n’y a pas de professionnels pour prendre en charge les malades.

La santé mentale doit être abordée sous toutes ses dimensions.

Il faut prendre conscience que, bien souvent, les souffrances mentales ne sont pas palpables pour l’entourage du malade. Or l’incompréhension exprimée par l’environnement familial ou professionnel est un facteur aggravant de la souffrance.

Il est primordial de mener une réflexion globale et de travailler à une approche pluriannuelle de la santé mentale, via un projet de loi de programmation dédié. Il faut à tout prix réfléchir à un autre accompagnement de la souffrance mentale, par des institutions parfaitement adaptées à l’accueil des malades. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)