M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour la réplique.
Mme Sylvie Robert. J’ai lié la question de la transparence à celle du droit d’auteur parce que, tant que les ayants droit n’auront pas accès aux données, on ne pourra reconnaître le droit d’auteur. Or la France a une responsabilité en la matière, une exigence : la défense du droit d’auteur par Beaumarchais fait partie intrinsèque de notre histoire culturelle. Il faut donc que notre pays soit exigeant et que la volonté politique soit vraiment au rendez-vous.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. Je vous rejoins sur ce point, madame la sénatrice. Nous étudions actuellement plusieurs possibilités, ce que nous poursuivrons avec la consultation.
Je tiens à rappeler que le droit d’auteur n’est pas extraterritorial. Nos exigences doivent donc en tenir compte. Comme l’a souligné Mme Catherine Morin-Desailly, notre préoccupation est de ne pas reproduire les erreurs du passé, donc de ne pas tomber dans une dépendance technologique vis-à-vis d’entités extra-européennes. Nous voulons garder nos acteurs ici, raison pour laquelle trouver cet équilibre est absolument fondamental.
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.
M. Pierre Jean Rochette. Madame la ministre, la course mondiale à l’intelligence artificielle se joue non seulement sur le terrain de l’innovation technologique, mais aussi, et peut-être surtout, sur celui de son adoption à grande échelle par les entreprises, les administrations et les citoyens.
Si les États-Unis et la Chine sont en tête de la compétition en matière de recherche et de développement, de récentes analyses soulignent que la capacité à diffuser et à intégrer l’intelligence artificielle dans les usages quotidiens est un facteur tout aussi déterminant pour activer ce levier de croissance.
La Chine, longtemps perçue comme peu efficace en matière de mise en œuvre technologique, semble rattraper très rapidement son retard : plus de 50 % de ses entreprises utiliseraient déjà l’intelligence artificielle, contre un tiers aux États-Unis. Le secteur public, la consommation individuelle ou encore l’industrie manufacturière emploieraient désormais ces outils à grande échelle.
Face à ces constats, il semble crucial de s’interroger sur la situation de la France, du point de vue de la maturité de l’intelligence artificielle comme de ses usages dans notre société.
Disposons-nous, madame la ministre, d’indicateurs clairs et récents permettant de mesurer l’adoption réelle de l’intelligence artificielle au quotidien par nos entreprises, nos collectivités territoriales, nos administrations et nos concitoyens ? Quels usages en sont-ils faits ? Quelles sont les mesures de la stratégie nationale pour l’intelligence artificielle, destinées à encourager son utilisation de l’IA dans tous les pans de la société ?
Madame la ministre, il conviendrait de se pencher sur l’usage de l’intelligence artificielle par les collectivités locales, ainsi que sur l’utilisation des données au travers des logiciels proposés à ces dernières, notamment les mairies. Dans la mesure où il s’agit d’une question de souveraineté, nous nous devons d’accompagner nos collectivités locales : l’intelligence artificielle, qui pourrait s’avérer être un réel atout, est aussi un gisement de données à surveiller.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l’intelligence artificielle et du numérique. Vous avez raison, monsieur le sénateur : la priorité de cette troisième phase de la stratégie nationale pour l’intelligence artificielle est bien l’adoption. Quand bien même nous aurions les meilleurs laboratoires de recherche et les meilleures entreprises du monde, si nous n’utilisons pas l’intelligence artificielle, nous n’aurons ni les gains de compétitivité ni les améliorations pour les usagers, les agents et les employés que cette technologie permet. Je souscris donc tout à fait à vos propos.
Comment procéder ? Pour ce qui concerne l’administration, sous l’égide du Premier ministre, avec le comité interministériel de l’intelligence artificielle, nous avons demandé à chaque ministère de préciser de quelle façon ils utilisent l’intelligence artificielle, les cas d’usage rencontrés et la manière dont leur utilisation de l’outil pourrait changer d’échelle. Tous les ministères nous remettront ces feuilles de route lors de la prochaine édition de VivaTech, dans un peu plus d’un mois, à l’occasion de laquelle nous réunirons de nouveau le comité interministériel de l’intelligence artificielle.
Les ministères reçoivent l’appui de la direction interministérielle du numérique (Dinum), afin de bénéficier d’un conseil technologique. Les cas d’usage, c’est très bien, mais l’objectif reste un déploiement à grande échelle.
La question des collectivités se pose bel et bien. Nous travaillons avec toutes les associations qui les représentent, dont France urbaine et les Interconnectés, pour que le travail effectué au niveau de l’État soit diffusé auprès des collectivités. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous souhaitons avancer dans le cadre du plan du comité interministériel.
Quant aux entreprises, pour ce qui est de suivre la diffusion de l’intelligence artificielle, nous disposons de certains sondages selon lesquels 5 % des petites et moyennes entreprises utilisent l’intelligence artificielle aujourd’hui, alors que ce taux atteint 35 % pour les grandes entreprises.
Nous nous sommes aussi rapprochés des chambres de commerce et d’industrie (CCI) afin d’accompagner 20 000 entreprises – les plus petites comme les plus grandes – dès cette année dans l’utilisation de l’intelligence artificielle. Ainsi, j’ai participé à un événement la semaine dernière, avec la CCI de Paris, qui dispense formations et assistance pour accélérer l’adoption de l’intelligence artificielle.
Quant au dispositif IA Booster France 2030, financé par l’État, il vise à accompagner les plus petites entreprises.
Enfin, nous travaillons sur un observatoire, un portail, qui permettra à chaque entreprise de trouver, en fonction de ses cas d’usage, les solutions les plus pertinentes.
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize.
M. Patrick Chaize. Madame la ministre, dans le contexte actuel où l’intelligence artificielle joue un rôle de plus en plus central dans de nombreux aspects de notre vie quotidienne, comment pouvons-nous assurer une gouvernance efficace et éthique de l’IA ?
Quelles sont les principales problématiques à prendre en compte, telles que la transparence des algorithmes, la protection des données personnelles et la responsabilité des entreprises qui développent ces technologies ?
Par ailleurs, quelles réglementations pourraient être mises en place pour minimiser les risques liés aux biais algorithmiques et à l’automatisation des décisions ? Comment impliquer les divers acteurs de la société, y compris les gouvernements, les entreprises et les citoyens dans ce processus de gouvernance ?
Enfin, comment pouvons-nous trouver un équilibre entre innovation technologique et protection des droits des individus ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l’intelligence artificielle et du numérique. Sur la question de la régulation, nous avons déjà abordé à plusieurs reprises le règlement pour l’intelligence artificielle. Je n’y reviens donc pas.
J’aborderai le sujet de la gouvernance un peu plus en détail. Au niveau français, nous nous appuyons sur l’Inesia, que j’ai précédemment mentionné. Cet institut d’évaluation nous donne accès à des travaux de recherche de qualité pour comprendre l’intelligence artificielle, les modèles et ses différents usages. Nous sommes également en contact avec les citoyens au travers des cafés IA, dispositif que nous avons lancé avec le Conseil national du numérique (CNNum), représentation structurée de ce mouvement citoyen, ainsi que les conseillers numériques, pour rester au plus près du terrain et répondre aux interrogations de chacun.
Bien sûr, nous travaillons également à l’implémentation du règlement sur l’intelligence artificielle et à la définition des administrations qui seront chargées de la mise en œuvre de ses dispositions. Vous aurez davantage de visibilité sur ce sujet très prochainement.
Quant à la question internationale – car la gouvernance, selon nous, doit être internationale –, elle était aussi l’objet du sommet pour l’action sur l’IA.
Il s’agit non seulement d’accélérer la feuille de route nationale, mais aussi d’encourager une dynamique internationale. Nous avons réaffirmé notre soutien au partenariat mondial pour l’intelligence artificielle (PMIA), désormais adossé à l’OCDE. Ce partenariat regroupe plus de soixante pays et a pour objet de définir une gouvernance mondiale, qui s’appuie sur ses centres de recherche d’expertise, présents en France, au Canada et au Japon, afin d’avancer collectivement, de façon internationale, sur ces questions. Ce projet très important a été lancé, en 2018, par le Président de la République française et par le Premier ministre canadien d’alors, Justin Trudeau. Nous continuons de soutenir fortement ce dispositif.
M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Madame la ministre, ma question porte sur un enjeu de plus en plus central : comment concilier la montée en puissance de l’intelligence artificielle avec celle du réchauffement climatique ?
Nous assistons, depuis quelques mois, à une explosion de l’usage des intelligences artificielles génératives, notamment par le grand public. Qu’il s’agisse de création d’images, de textes ou de contenus divers, la production automatisée atteint des volumes impressionnants. Ainsi, vous n’avez pu manquer les créations numériques que sont les avatars personnalisés, appelés starter packs, dont plus de 750 millions d’exemplaires ont été générés à travers le monde.
Or chaque génération d’image ou de contenu, comme vous le savez, consomme de l’énergie, de l’eau, mobilise des ressources informatiques considérables et contribue, à son échelle, à l’empreinte carbone du numérique. Dans le cas précis d’un starter pack, cela équivaut à trois à cinq litres d’eau, sans compter l’électricité consommée pour charger les appareils connectés ou encore les ressources préalablement dépensées pour entraîner et perfectionner l’IA.
Cette frénésie d’usages pose une question : dans quelle mesure cette consommation est-elle soutenable à long terme, alors que notre société s’efforce de maîtriser sa consommation énergétique ? Il est donc important d’encourager des usages responsables et prioritaires de l’IA, en privilégiant son utilité concrète et en renforçant la sensibilisation aux bonnes pratiques.
Mais l’intelligence artificielle est aussi, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, un allié précieux dans la lutte contre le réchauffement climatique, en facilitant, par exemple, l’optimisation énergétique des bâtiments, la gestion intelligente des réseaux, la modélisation du changement climatique ou encore la détection des pollutions. Des applications vertueuses de l’IA peuvent bien évidemment être trouvées et développées.
Ce constat se retrouve dans le dernier rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese) intitulé Impacts de l’intelligence artificielle : risques et opportunités pour l’environnement, dans le manifeste des intercommunalités de France sur l’IA, dans les axes stratégiques définis par le Mouvement des entreprises de France (Medef) pour le développement de l’intelligence artificielle ainsi qu’au cœur des sept principes de l’IA de confiance établis par le Conseil d’État dans un rapport paru en 2022.
Madame la ministre, quelles actions le Gouvernement prévoit-il pour promouvoir une utilisation utile et responsable de l’IA et en faire un outil au service de la transition écologique ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l’intelligence artificielle et du numérique. Je vous remercie de cette question, monsieur le sénateur, la deuxième sur ce sujet, dont nous voyons l’importance qu’il revêt pour nos concitoyens, dont vous vous faites le relais. C’est une bonne chose, car cela illustre ce que nous entendons par une IA à la française, une IA durable. J’y reviendrai dans un instant.
Cela étant, je souhaiterais que nous prenions un peu de recul, même si cette question fondamentale doit nous occuper. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle ne représente que 0,1 % de la consommation énergétique. Ainsi, quand des astronautes, par exemple, refusent de créer un starter pack parce que cela utilise de l’énergie, je les invite à s’interroger sur la consommation d’un vol en fusée…
Cela étant dit, il faut prendre conscience des usages de l’intelligence artificielle. Le risque le plus important, c’est que la population n’ose pas utiliser l’IA et freine son adoption, alors que nous voyons bien à quel point cette technologie va transformer tous les métiers, notre façon d’apprendre, notre façon d’interagir, d’échanger.
Dans ce contexte, nous devons faire de l’écologie notre alliée, ce qui est possible en France, car nous avons une énergie bas-carbone parmi les plus compétitives au monde. La réponse française à ce défi est donc par nature plus écologique, et l’écologie devient alors une amie de l’économie de l’IA dans la mesure où un plus petit modèle est aussi plus économique.
Tout le monde a donc à y gagner si nous investissons non seulement dans un entraînement des IA en France, avec notre énergie décarbonée, mais aussi dans le sens de plus petits modèles, qui susciteront un meilleur retour sur investissement pour les entreprises. Ce processus est réellement gagnant-gagnant.
En outre, comme vous l’avez très justement dit, monsieur le sénateur, l’IA peut nous permettre d’accélérer dans notre réponse à des défis fondamentaux de la transition écologique. J’ai ainsi rencontré des chercheurs qui ont gagné plusieurs années dans leur projet de développement de matériaux remplaçant le plastique. Voilà aussi ce que permet l’IA.
Nous devons donc trouver le juste équilibre. La prise de conscience, c’est très bien, c’est formidable, c’est ce qui fait que nous sommes très fiers d’être européens, mais nous voulons aussi répondre à ces défis sans freiner l’adoption de l’IA et, surtout, en accélérant la recherche de solutions.
M. le président. La parole est à M. David Ros.
M. David Ros. Madame la ministre, nous sommes tous convaincus que le sujet dont nous débattons ce soir, organisé à la demande de l’Opecst, dont je salue le président, Stéphane Piednoir, à savoir les enjeux de l’intelligence artificielle, est essentiel pour l’avenir de notre pays, et ce à de nombreux égards.
Comme l’a rappelé M. Piednoir, le rapport de nos collègues Corinne Narassiguin et Patrick Chaize avait déjà soulevé de nombreuses questions.
Ma collègue Sylvie Robert vous a interpellée, madame la ministre, sur les problématiques relatives aux droits d’auteur, qui inquiètent le monde culturel. Mon collègue Adel Ziane vous questionnera quant à lui sur les enjeux de souveraineté.
Je souhaitais, pour ma part, évoquer la formation et la recherche. Lors des questions d’actualité au Gouvernement du 12 février dernier, j’ai interrogé Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur le déploiement de l’IA dans le système éducatif français.
Pourriez-vous nous faire part, madame la ministre, du bilan des expérimentations en cours depuis la rentrée scolaire et des intentions ou directives opérationnelles pour la rentrée 2026 ? La création et l’usage de logiciels d’apprentissage développés et contrôlés par les autorités françaises me semblent primordiaux afin d’assurer une formation adaptée conforme à notre volonté d’assurer, à terme, une souveraineté nationale.
De plus, madame la ministre, d’autres projets sont-ils susceptibles d’être mis en œuvre, que ce soit pendant le temps scolaire ou hors du temps scolaire ?
De manière plus générale, ne serait-il pas essentiel de favoriser l’émergence de pôles de formation, de recherche et de développement, en particulier à proximité et en relation avec des centres de données numériques, afin de favoriser pleinement une souveraineté numérique pour les générations à venir ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l’intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question sur l’éducation, qui est, comme je l’ai dit précédemment, absolument fondamentale si l’on veut favoriser l’accessibilité de l’intelligence artificielle, éviter une fracture numérique et, surtout, former l’esprit critique de nos jeunes sur l’utilisation de cette technologie.
Voilà deux ans, l’éducation nationale a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour les outils d’intelligence artificielle destinés aux jeunes, qui a permis de rassembler un certain nombre de solutions. C’est par exemple le cas de l’entreprise Nolej, que j’ai eu la chance de visiter. Celle-ci a d’ailleurs été élue meilleure start-up mondiale dans le domaine des technologies éducatives (EdTech), parmi plus de 7 000 candidats. Ses outils permettent de transformer les supports de cours pour les rendre plus ludiques, suscitant ainsi un intérêt accru de la part des élèves.
Nous avons recensé toutes ces solutions et Mme la ministre Élisabeth Borne a fait le bilan des premiers usages, jugé très positif. C’est pourquoi le ministère lancera à l’été prochain, sur le même modèle, un appel à manifestation d’intérêt pour les professeurs, afin de recenser les meilleures solutions pour outiller ces derniers avec l’intelligence artificielle afin de les aider à adapter leurs cours et leurs méthodes pédagogiques. L’objectif est d’être prêts dès la rentrée 2025, comme cela a été annoncé par Mme la ministre Élisabeth Borne, pour que les élèves de quatrième et de seconde aient accès à des cours sur l’intelligence artificielle.
M. le président. La parole est à M. David Ros, pour la réplique.
M. David Ros. Je vous remercie, madame la ministre, de votre réponse. Celle-ci reprend un grand nombre des préoccupations qui sont au cœur d’une proposition de loi que j’ai déposée. J’espère que nous aurons l’occasion, dans cet hémicycle, d’approfondir ces sujets et, à terme, d’assurer à notre pays une souveraineté numérique, une véritable IA et une indépendance assumée.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Madame la ministre, sauf à courir le risque de dégâts potentiellement irréversibles, des décisions sur l’IA générative s’imposent à très court terme, avant même l’entrée en vigueur du règlement européen sur ce sujet.
Je pense tout d’abord aux risques pour la démocratie et la confiance des rapports sociaux. Des images produites par IA, sont diffusées et reprises des milliers, voire des millions de fois sur les réseaux sociaux, le plus souvent depuis des comptes anonymes, dans un but de manipulation des esprits. Quantité de faux documents circulent aussi, avec une explosion des tromperies, par exemple à l’embauche, avec de faux diplômes et de fausses preuves d’expérience, ainsi qu’une fraude massive aux assurances, avec des sinistres fictifs.
L’article 50 de l’AI Act imposera aux fournisseurs de système d’IA que les productions soient « marquées dans un format lisible par machine et identifiables comme ayant été générées ou manipulées par une IA ». Certes, mais identifiables par qui ?
Madame la ministre, il est impératif que les fournisseurs d’IA et les modèles d’IA à usage général apposent systématiquement, j’y insiste, un marquage général dans un coin de l’image ou du document. Il convient, en outre, que ce logo soit immédiatement visible par des yeux humains et non pas seulement par des machines.
Le plus tôt possible, plateformes et réseaux sociaux devront également se mettre en situation de détecter et d’afficher comme telles les publications issues de l’IA. Linkedin a récemment annoncé vouloir s’engager dans cette voie : il convient de tous les encourager à faire de même.
Un autre risque majeur concerne la santé, avec la diffusion très rapide d’outils d’IA extra-européens permettant d’effectuer la synthèse de consultations médicales et de produire un récapitulatif du dossier médical. Or ceux-ci ne respectent aucunement l’obligation d’un contrôle humain régulier par un professionnel de santé français. Ils peuvent permettre une exfiltration rapide de nos données de santé hors d’Europe et induire la perte de contrôle sur l’avenir de notre système de santé.
Sur ce sujet également, quelles décisions comptez-vous prendre, madame la ministre, sans attendre l’entrée en vigueur de toutes les dispositions du règlement sur l’IA, pour faire respecter de strictes conditions de souveraineté et de contrôle humain ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l’intelligence artificielle et du numérique. Votre première question, madame la sénatrice, concerne la transparence.
Vous avez raison, nous avons décidé, en tant qu’Européens, avec l’article 50 du règlement sur l’intelligence artificielle, d’exiger des obligations de transparence des contenus générés par l’IA.
À l’époque, la France avait activement soutenu l’inclusion de ces mesures dans l’article 50 ; aujourd’hui, nous suivons avec attention l’élaboration des lignes directrices dudit article. Lors de la rédaction du règlement sur l’intelligence artificielle, les solutions techniques de marquage n’étaient pas encore complètement définies. Il a donc fallu se laisser la liberté de faire évoluer la réglementation au même rythme que la technologie.
Nous avons ainsi fait le choix, en Europe, de nous doter d’un cadre réglementaire dès le début de la diffusion massive de cette innovation. Il faut donc que ce cadre soit adapté. J’ai observé la mise en œuvre d’un certain nombre de solutions, notamment aux États-Unis, à l’instar de celle qui est en cours de développement par Adobe.
Dans le cadre de ces lignes directrices, la mise en application de cette obligation prévue par l’article 50 est absolument fondamentale pour susciter la confiance autour de l’utilisation de cette technologie. À mon sens, le marquage fera bientôt l’objet d’une définition. Cependant, cela ne suffira pas : il faut aussi que nous nous dotions de capacités de détection et d’anticipation.
C’est ce que nous faisons avec le pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN), rattaché à trois ministères, qui est un appui à la régulation du numérique. Celui-ci nous permet, au moyen d’expertises techniques développées par l’État, de créer des modèles de détection. J’ai pu constater l’état d’avancement de ses travaux, qui seront absolument fondamentaux pour étayer la définition du marquage et la détection, et donc créer cette confiance.
Quant à la question de la santé, elle est liée au règlement général sur la protection des données (RGPD), au-delà même du règlement sur l’intelligence artificielle et de la protection des données personnelles. Avec les services du ministère de la santé, je m’efforcerai de vous apporter des réponses plus précises, madame la sénatrice. Il reste que, selon le RGPD, les cas que vous avez mentionnés ne sont pas autorisés. Nous y serons donc vigilants.
Dans les processus d’innovation, on trouve toujours des entreprises qui mordent sur la ligne. Cependant, notre réglementation sur la protection des données et sur l’intelligence artificielle est très claire et elle sera respectée.
M. le président. La parole est à M. Adel Ziane.
M. Adel Ziane. Madame la ministre, les promesses, tout comme les risques, de l’intelligence artificielle sont immenses. Pour ma part, je souhaite vous alerter sur le danger de notre décrochage technologique.
Dans la course mondiale à l’intelligence artificielle, la France et l’Europe prennent du retard. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le Conseil national du numérique, dont le président, Gilles Babinet, mentionne un « déclassement » en cours « absolument certain ».
Face aux colosses américains, comme OpenAI, Microsoft et Google, ainsi qu’aux ambitions fortes de la Chine, notre continent n’a, à l’heure actuelle, ni la puissance de frappe financière ni la stratégie industrielle cohérente nécessaires pour peser. J’en veux pour preuve, par exemple, l’avance américaine et l’annonce du projet Stargate par la Maison-Blanche, doté de 500 milliards de dollars, qui devrait nous alerter.
Pourtant, en France, notre recherche publique continue de manquer de moyens et de nombreux talents, malgré tout, partent faire carrière dans les laboratoires de la Silicon Valley.
Alors certes, madame la ministre, les 109 milliards d’euros d’investissements annoncés en France sont à saluer, mais ce plan reste fragmenté et sans vision européenne coordonnée face aux empires industriels américains et chinois.
Il convient de souligner le fait que l’Europe a mis en place un cadre de régulation. Mais celui-ci doit maintenant s’accompagner d’une véritable ambition industrielle. À défaut, nous resterons les consommateurs des technologies des autres.
Nous ne sommes qu’au commencement d’une révolution technologique comparable à celle de l’électricité ou d’internet et l’IA est amenée à bouleverser notre économie, notre manière de produire, de soigner, d’apprendre. C’est donc avant tout, j’y insiste, un enjeu de souveraineté, de démocratie, de civilisation.
Si une IA souveraine peut poser des défis – éthiques, politiques, environnementaux – qui ont été précédemment évoqués, elle reste toutefois à portée de débat démocratique, de régulation publique et de contrôle citoyen. À l’inverse, une IA conçue ailleurs – nous le voyons avec les Gafam –, selon d’autres intérêts, s’impose à nous.
De fait, notre dépendance technologique annonce non pas un simple retard, mais une dépossession politique, au sujet de laquelle je voulais vous alerter. Dès lors, madame la ministre, quelle stratégie de rupture la France, avec ses partenaires européens, compte-t-elle adopter pour sortir de cette dépendance ? En somme, à quand un véritable Airbus de l’intelligence artificielle, capable de structurer une ambition collective, souveraine et durable ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée de l’intelligence artificielle et du numérique. Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir posé cette question. Voilà un moment déjà que nous débattons et la question de la compétitivité, et finalement celle de l’enjeu de cette course à l’intelligence artificielle, n’avait pas encore été évoquée.
Or c’est bien ce point qui doit nous occuper avant tout, car toutes les autres questions auxquelles nous avons tenté de répondre jusqu’ici en dépendent.
En effet, une réponse européenne est seule à même d’aboutir à une IA fidèle à nos valeurs, une IA plus frugale, une IA à disposition des jeunes, pour leur éducation.
En revanche, et là nos avis divergent quelque peu, je ne pense pas que nous soyons dans une situation de décrochage : en témoignent les différents index qui nous placent en troisième ou en quatrième position à l’échelle mondiale.
À cet égard, le projet américain Stargate, d’un montant de 500 milliards d’euros, est certes très significatif. Mais le projet de 109 milliards d’euros que nous avons annoncé lors du sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle est du même ordre de grandeur si on le rapporte à la population française. Ainsi, la France n’a pas à rougir de ses investissements en matière d’infrastructures, qui constituent l’un des piliers de la stratégie de développement de l’intelligence artificielle.
Je l’ai dit tout à l’heure, la recherche est l’un de nos atouts les plus fondamentaux. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de réinvestir dans ce domaine. Nous avons ainsi déployé neuf clusters d’IA sur l’ensemble du territoire, pour un montant de 360 millions d’euros. Ils sont destinés à former 100 000 personnes par an d’ici à 2030.
Nous ferons toujours de la recherche une priorité de notre action.
Par ailleurs, vous regrettez le manque de coordination de la réponse à l’échelle européenne. Là encore, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vos propos : le sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle a été justement l’occasion pour l’Europe de réaffirmer sa stratégie InvestEU, d’un montant de 200 milliards d’euros. Elle sera déployée sur toute la chaîne de valeur, des gigafactories à la diffusion de l’IA dans l’industrie.
En outre, il y a deux semaines, l’Union européenne a dévoilé le plan AI Continent, dans le cadre duquel un certain nombre d’acteurs seront consultés pour renforcer la coordination à l’échelon européen sur les gigaprojets.
Bref, il ne s’agit pas que de régulation : il y a des moyens, une vision et une ambition d’innovation.