Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Fouassin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Stéphane Fouassin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, perdre un proche est une épreuve intime, profondément bouleversante. Dans ces instants de fragilité, nos concitoyens attendent des services qui les apaisent, qui les soutiennent et qui les protègent – certainement pas des services qui leur compliquent la vie et encore moins des services qui prélèvent l’argent qui leur est dû.

Or certaines pratiques bancaires liées aux successions heurtent cette attente légitime. L’absurdité tarifaire, lorsqu’elle s’ajoute à la peine, devient une violence, et l’absence de cadre renforce ce sentiment d’injustice.

Depuis plusieurs années, nous avons engagé des réformes importantes pour protéger les plus fragiles en matière bancaire : je pense à l’élargissement des critères d’accès aux plafonnements de frais ou encore à la création d’un bouclier tarifaire. Mais un angle mort persistait : celui des frais bancaires liés aux successions.

Pourtant, l’enjeu est réel. En France, les frais atteignent en moyenne 300 euros par succession, soit trois fois plus qu’en Belgique ou en Italie. Pour une succession de 20 000 euros, ils peuvent atteindre plus de 500 euros.

À cela s’ajoutent des écarts vertigineux entre établissements et des pratiques incompréhensibles pour les familles endeuillées, qui n’ont ni la liberté de les choisir ni les outils pour les comprendre ou les contester. Les héritiers, souvent captifs et démunis, se retrouvent ainsi soumis à des tarifs qu’ils ne peuvent pas davantage anticiper que contester, dans l’un des moments les plus dramatiques de leur vie.

Le texte qui nous rassemble aujourd’hui apporte donc une réponse attendue, proportionnée et profondément juste. Il est le fruit d’un travail rigoureux, soutenu avec persévérance par Mme Christine Pirès Beaune et enrichi avec sérieux par notre collègue Hervé Maurey.

Il institue trois cas de gratuité, pour les successions les plus simples, pour les petits patrimoines et pour les comptes détenus par des mineurs.

Grâce aux apports de notre chambre, la proposition de loi prévoit également le plafonnement des frais applicables à 1 %, au maximum, du montant total des sommes détenues par le défunt et assure, entre autres, la mise en œuvre effective des nouvelles règles et leur contrôle par les agents de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Toutefois, au-delà de ces mesures concrètes, ce texte exprime une volonté politique : celle d’une République plus juste, plus lisible et plus protectrice, qui ne laisse pas les familles seules face à l’arbitraire tarifaire.

En adoptant cette proposition de loi, nous permettrons à davantage de familles d’accepter leur succession, nous réduirons le nombre de renonciations et nous désengorgerons certains services de l’État chargés des dossiers vacants ou déficitaires. Surtout, nous restaurerons un peu de clarté et de dignité là où l’opacité a trop longtemps régné.

Le groupe RDPI votera donc ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi quau banc des commissions. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 2021, l’association l’UFC-Que Choisir levait le voile sur un scandale aussi discret qu’inacceptable, celui des facturations à prix d’or appliquées par les banques au pécule des morts au moyen des frais bancaires sur les successions. Or, quatre ans plus tard, en France, la mort peut toujours se révéler lucrative pour les banques.

Si, dans d’autres pays européens, ces frais sont faibles, voire inexistants, en France les banques récupèrent une manne sur les successions d’environ 200 millions d’euros chaque année. À l’image de l’âme qui, dans la mythologie grecque, s’acquitte d’une obole auprès de Charon pour traverser le Styx, elles accompagnent elles aussi les familles dans leur deuil, moyennant rétribution. Il était temps pour le législateur de démanteler cette escroquerie en bande organisée !

Depuis 2017, le Gouvernement a tenté d’y mettre fin, mais les avancées ont été maigres, les établissements bancaires ne jouant pas le jeu – c’est le moins que l’on puisse dire. Pis, en 2024, l’UFC-Que Choisir révélait que ces frais avaient augmenté de 50 % en douze ans. En effet, en l’absence d’encadrement par la loi, tous les excès étaient permis et les frais pouvaient varier entre 80 euros et 527 euros. Comment justifier un tel écart ?

La proposition de loi que nous examinons vise à homogénéiser les pratiques, dans l’intérêt des familles endeuillées, et à réduire cette forme de double peine qu’elles subissent. En effet, si l’État ne peut pas ressusciter les morts, il peut créer les conditions d’un deuil digne et apaisé. C’est le sens de ce texte proposé par la députée Pirès Beaune et enrichi par le Sénat.

Grâce à cette proposition de loi, les héritiers, les parents de mineurs décédés et les proches d’un défunt dont les avoirs, sur l’ensemble des comptes, sont inférieurs à 5 909,95 euros – vous apprécierez la précision, mes chers collègues ! (Sourires.) – ne paieront plus de frais bancaires sur la succession. Dans les autres cas, l’introduction d’un système de double plafonnement permettra de limiter ces frais à 1 %, au maximum, du montant total des sommes détenues par le défunt sur ses comptes.

Ce texte pose des règles du jeu plus équilibrées : toutes les opérations liées aux successions bénéficieront désormais de ce régime, à l’exception des plans d’épargne en actions (PEA).

En un mot, le texte que nous examinons vise à créer un cadre juste et décent sur les frais bancaires liés aux successions. Aussi, mes chers collègues, je forme le vœu qu’il puisse être adopté conforme par notre assemblée.

L’attente est devenue insoutenable pour bon nombre de nos concitoyens. Le groupe RDSE votera donc en faveur de cette proposition de loi et de ses articles dans leur rédaction actuelle. (M. Marc Laménie applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à ce stade de la discussion, tout a été dit : je n’ai rien à ajouter sur ce chapitre, que l’on connaît bien et qui pourrait s’intituler « Le législateur, la mort et les héritiers »…

Je salue un travail parlementaire réussi entre Christine Pirès Beaune et Hervé Maurey. Mon groupe votera bien entendu le texte conforme.

Madame la ministre, je profite de ce débat pour revenir sur un sujet que j’avais évoqué auprès de Thomas Cazenave lors du premier examen de ce texte, il y a près d’un an, et qui touche également à des questions relatives à la morale et à la justice lors d’un décès. Il s’agit du recueil des fichiers de contrats obsèques conclus auprès de sociétés de pompes funèbres, dont les héritiers n’ont parfois pas connaissance, ce qui pose problème.

Votre prédécesseur au banc du Gouvernement m’avait expliqué que son ministère y travaillait. En effet, il arrive que des gens se prémunissent auprès de sociétés de pompes funèbres, confessionnelles ou non, puis qu’ils décèdent sans laisser de documents accessibles à leurs héritiers. Ceux-ci contractent donc auprès d’autres sociétés – voire des mêmes, qui se gardent bien évidemment de les prévenir qu’un contrat a été signé ou même que des avances ont déjà été versées…

Il y a là un véritable problème, qui a trait également à la protection des consommateurs, mais qui est connexe à celui que nous examinons aujourd’hui. J’ignore où en sont les travaux de votre ministère sur ce sujet.

Nous avons souvent affaire à des formes de non bis in idem, dans les conditions particulièrement désagréables propres au deuil qui ont été évoquées au sujet des frais bancaires. En outre, tout cela se produit dans un délai si bref que les familles ne peuvent s’informer de l’existence de contrats auprès des sociétés de pompes funèbres.

J’espère donc que votre ministère pourra apporter une réponse à ce problème urgent, car il faut mettre un terme à cette opacité.

Pour le reste, tout a été dit. Mon groupe votera avec enthousiasme cette proposition de loi, qui aurait pu faire l’objet d’une seule lecture, tant le texte, dans sa première version, était tout à fait pertinent. Voilà bien la preuve de l’utilité du Parlement, à un moment où celle-ci peut être débattue… (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les frais bancaires dits de succession sont la manifestation d’un modèle de rente – une rente sur la mort, une ponction qui est silencieuse, mais particulièrement douloureuse pour les ayants droit modestes. Ce modèle a prospéré précisément parce qu’il ne faisait pas de bruit et qu’il s’abritait derrière la technicité des opérations pour que sa pratique reste légitime.

Rappelons que 2024 a été une année record pour les banques françaises, avec plus de 28,6 milliards d’euros de bénéfices cumulés pour les cinq plus grandes d’entre elles. On nous parle de savoir-faire en matière d’investissement : parlons aussi du savoir-encaisser de ces établissements !

Aujourd’hui, les banques tirent une part croissante de leurs marges, non plus seulement de l’intermédiation, mais également des frais de gestion, des commissions et des prélèvements automatiques. Ces revenus d’interface, pour ne pas dire d’extorsion, forment un gain de près de 6,5 milliards d’euros chaque année.

En ce qui concerne les frais de succession, qui représentent une petite partie de ces frais, certaines banques facturent jusqu’à 450 euros pour le traitement d’un héritage de 15 000 euros. Dans ce modèle, le client est devenu à la fois déposant, débiteur, captif et, surtout, source de profit.

Ces pratiques n’ont pas seulement prospéré à l’abri du regard public. Elles ont bénéficié de la passivité et, parfois, de la complaisance de l’État. Souvenons-nous du bouclier bancaire annoncé en fanfare par Bruno Le Maire en 2022 : c’était une simple opération de com’, sans contrainte réelle, laissée à la discrétion des établissements. Pendant ce temps, les lobbys bancaires continuaient d’invoquer leurs contraintes opérationnelles pour bloquer toute régulation, comme ils le font encore aujourd’hui sur les CumCum, contre la volonté du Parlement.

M. Pascal Savoldelli. Nous sommes donc face à une économie où l’absence de régulation tente de faire système et où ce sont les classes populaires qui paient, en silence, le prix de la stabilité du bilan bancaire.

C’est pourquoi, malgré ses limites, cette proposition de loi est utile, nécessaire et juste. Elle instaure la gratuité pour les successions simples, plafonne les frais à 1 % pour les successions complexes et interdit tous les frais en dessous d’un certain seuil d’encours. Elle introduit des règles là où, jusqu’ici, régnait l’arbitraire.

Toutefois, nous devons aller plus loin. Le critère du contrat de crédit comme élément de complexité successorale, par exemple, est problématique. En 2024, quelque 42 % des ménages détenaient un crédit et 30 % un crédit immobilier, dont une majorité de primo-accédants.

La présence d’un crédit n’implique pas nécessairement une complexité dans le règlement de la succession : les contrats sont souvent couverts par des assurances, les échéances automatisées et les soldes connus. C’est pourquoi nous proposerons un amendement visant à supprimer cette mesure.

Mes chers collègues, cette proposition de loi est une avancée. Il nous faudra demain aller plus loin, en régulant les frais d’incidents bancaires, en interdisant les commissions d’intervention abusives, en plafonnant les frais de tenue de compte et, plus largement, en repensant le rapport entre les banques et l’intérêt général.

En effet, la banque repose sur un privilège fondamental : celui de créer de la monnaie par le crédit. Ce privilège impose des devoirs. Selon nous, ni l’extraction sans contrepartie ni le profit sans limites ne peuvent faire système.

Le groupe CRCE-K votera cette proposition de loi avec exigence, avec vigilance et avec l’ambition, demain, de voir débattue une loi-cadre de régulation bancaire à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Ghislaine Senée. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un texte visant à mettre un terme aux frais bancaires, trop souvent prohibitifs, qui pèsent sur les successions simples et de faible montant, ainsi que sur les fermetures de comptes de mineurs décédés.

À mon tour, je salue le travail de notre collègue Christine Pirès Beaune et du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, ainsi que celui de notre rapporteur au Sénat, Hervé Maurey.

J’estime particulièrement utiles la clarification du champ d’application de la proposition, opérée par voie d’amendement par la rédactrice de ce texte, ainsi que l’introduction par la Haute Assemblée du montant fixé par arrêté et indexé sur l’inflation.

En France, alors que la fermeture d’un compte est gratuite pour une personne vivante, elle est facturée en moyenne 233 euros pour une personne décédée. Ces frais ne sont pas réellement corrélés aux coûts réels des opérations bancaires. Et chacun s’accorde ici à reconnaître que faire payer 200 euros de frais pour la fermeture d’un compte crédité de seulement 500 euros est indécent et injuste. Dans l’océan des 11 milliards d’euros de frais bancaires prélevés par les banques commerciales, cela représente 150 millions d’euros.

Quand il s’agit de finances, on aime se comparer. Le résultat est implacable : nos voisins belges, italiens et espagnols appliquent des frais deux à trois fois inférieurs au niveau français, et ces frais sont même illégaux et interdits en Allemagne !

Après plusieurs décennies de dérégulation, on voit bien que les banques ne peuvent pas s’autoréguler en respectant le b.a.-ba de l’éthique et de la justice. En 2021, le Gouvernement français avait proposé d’arracher un accord aux banques sur ce sujet, pour éviter de passer par la voie législative ou réglementaire. Sans surprise, il ne s’est rien passé. Pis, certains établissements ont procédé à des augmentations significatives de leurs tarifs, jusqu’à 50 % sur un an, alors même que cette proposition de loi était discutée au Parlement.

Il est donc bel et bien impératif de légiférer. Le capitalisme financier, en plus d’être prédateur de ressources naturelles et sociales, n’épargne décidément jamais le corps social le plus modeste. Il réalise des profits disproportionnés au détriment des plus précaires, plus fortement affectés par ces frais prohibitifs que les plus aisés.

Ce texte concerne majoritairement des fratries, concernées par une succession non complexe, c’est-à-dire bien souvent sans patrimoine ou bien immobilier, qui ont perdu leur dernier parent, lequel ne possédait pas davantage que 5 909,95 euros sur l’ensemble de ses comptes bancaires.

Or 5 910 euros, c’est tout juste le montant qui peut être légalement prélevé sur le compte du défunt pour la prise en charge des frais d’obsèques. Aussi l’entrée en vigueur la plus rapide possible de cette proposition de loi est utile et indispensable, non seulement pour mettre fin à des frais bancaires abusifs et injustes, mais surtout parce qu’elle sera un gain manifeste pour les plus démunis d’entre nous, touchés par le décès d’un parent, auxquels elle offrira la possibilité de l’enterrer dignement.

C’est la raison pour laquelle le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutient l’adoption conforme de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – MM. Marc Laménie et Christian Bilhac applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Je souhaite répondre à Mme Nathalie Goulet.

Madame la sénatrice, vous étiez en effet intervenue auprès de Thomas Cazenave pour évoquer l’absence de recueil des contrats conclus avec les sociétés de pompes funèbres. Le sujet est en cours d’instruction par les services du ministère. Une suite sera probablement apportée à votre demande.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession
Article 2 (début)

Article 1er

(Non modifié)

I. – Le code monétaire et financier est ainsi modifié :

1° Après l’article L. 312-1-4, il est inséré un article L. 312-1-4-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 312-1-4-1. – Dans le cadre d’une succession, les opérations portant sur des comptes de dépôt, des comptes sur livret et, à l’exception des produits mentionnés aux sections 6, 6 bis, 6 ter et 7 ter du chapitre Ier du titre II du livre II, des produits d’épargne générale à régime fiscal spécifique du défunt ne font l’objet d’aucuns frais par l’établissement teneur desdits comptes et auprès duquel sont ouverts lesdits produits dans les cas suivants :

« 1° Lorsque l’héritier justifie de sa qualité d’héritier soit par la production d’un acte de notoriété, soit par la production de l’attestation prévue au cinquième alinéa de l’article L. 312-1-4 et que les opérations liées à la succession ne présentent pas de complexité manifeste tenant à l’absence d’héritiers mentionnés au 1° de l’article 734 du code civil, à la présence d’un contrat de crédit immobilier en cours à la date du décès, à la nature professionnelle du compte à clôturer, à la constitution de sûretés sur les comptes et les produits d’épargne à clôturer ou à l’existence d’éléments d’extranéité ;

« 2° Lorsque le montant total des soldes des comptes et de la valorisation des produits d’épargne est inférieur au montant fixé par l’arrêté mentionné au 2° de l’article L. 312-1-4 du présent code ;

« 3° Lorsque le détenteur des comptes et des produits d’épargne est mineur à la date du décès.

« Dans les autres cas, les opérations liées à la succession, au sens du premier alinéa du présent article, peuvent donner lieu au prélèvement de frais par l’établissement teneur desdits comptes et auprès duquel sont ouverts lesdits produits.

« Un décret, pris après avis du Comité consultatif de la législation et de la réglementation financières, détermine les conditions d’application du 1° et les modalités de plafonnement des frais pouvant être prélevés en application de l’avant-dernier alinéa, dans la limite de 1 % du montant total des soldes des comptes et de la valorisation des produits d’épargne du défunt mentionnés au premier alinéa et dans la limite d’un montant fixé par le même décret. » ;

2° Aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 317-1, après la référence : « L. 312-1-2, », est insérée la référence : « L. 312-1-4-1, ».

II. – Le I entre en vigueur six mois après la promulgation de la présente loi.

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par MM. Savoldelli, Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Supprimer les mots :

, à la présence d’un contrat de crédit immobilier en cours à la date du décès

La parole est à M. Pascal Savoldelli.

M. Pascal Savoldelli. Par cet amendement, nous proposons de supprimer la mention automatique du contrat de crédit immobilier parmi les critères de complexité successorale prévus par l’article 1er.

Soyons précis : il ne s’agit pas de nier que certains crédits peuvent poser des difficultés juridiques ou retarder le règlement d’une succession ni de faire d’un instrument de masse un facteur discriminant.

En 2024, selon la Fédération française bancaire, un tiers des ménages français détenaient un crédit immobilier, dont 52 % de primo-accédants. La souscription à un crédit immobilier est donc non plus un privilège ni même un signe de complexité patrimoniale, mais bien une composante banalisée des trajectoires résidentielles, notamment pour les classes moyennes et populaires.

La massification du crédit ne saurait être interprétée comme une complexification du patrimoine. En réalité, pour des millions de familles, souscrire un prêt, c’est avant tout accéder à un logement, c’est-à-dire à un bien d’usage, et non à un actif spéculatif. Dans ce cas, la propriété immobilière n’est ni un capital dormant ni un vecteur d’accumulation patrimoniale, en particulier pour les primo-accédants, qui s’engagent souvent à rembourser leurs crédits pendant vingt ou même trente ans.

Dès lors, ériger la simple présence d’un crédit comme un signal de complexité revient à commettre une erreur de catégorisation. Il ne nous paraît pas juste d’exposer des héritiers de milieux modestes à des frais supplémentaires au moment précis où leur vulnérabilité est maximale. Nous y voyons une sorte de double peine sociale : après avoir payé pour accéder à la propriété, il faut payer une nouvelle fois à la mort du parent propriétaire…

La justice successorale suppose de traiter différemment les patrimoines complexes et les trajectoires populaires. Le crédit n’est pas un luxe : c’est une nécessité économique façonnée par des décennies de désengagement de la puissance publique, notamment sur le logement social.

C’est pourquoi nous proposons de retirer ce critère.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Les critères d’appréciation de la complexité des opérations de succession, prévus pour délimiter le champ d’application du cas de gratuité correspondant aux successions les plus simples, ont fait l’objet de discussions approfondies entre les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu’avec les services du ministère de l’économie.

À ce titre, la rapporteure de l’Assemblée nationale souhaitait également inclure les contrats de crédit à la consommation dans les critères de complexité. Cet élément a été finalement écarté à la demande du rapporteur du Sénat.

Ainsi, le critère relatif à la présence d’un contrat de crédit a été restreint au seul contrat de crédit immobilier. Si la proportion des ménages détenant un contrat de crédit immobilier s’élève à 30 % de la population, elle n’est évidemment pas uniforme et décroît logiquement avec l’âge. Dès lors, la part des successions visées par un tel critère de complexité est très sensiblement inférieure.

Par ailleurs, nous souhaitons aujourd’hui mettre un terme à une discussion entamée il y a quatre ans.

Or l’adoption de cet amendement repousserait le vote définitif sur le texte de plusieurs mois, au mieux, en raison des délais de la navette parlementaire. Ce serait contradictoire avec l’objectif que nous nous sommes collectivement fixé, à savoir une adoption conforme de la présente proposition de loi en vue d’une mise en œuvre rapide du dispositif d’encadrement des frais bancaires de succession. Cependant, cela n’interdit pas des progrès par la suite.

La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. Les critères précisés à l’article 1er n’ont pas pour but de déterminer le champ de la gratuité pour l’étendre ou le restreindre artificiellement. Il s’agit d’assurer une tarification qui permette de couvrir une partie des frais réels engagés pour la réalisation d’opérations complexes, qui mobilisent fortement les services des banques chargés de la succession.

La présence d’un contrat de crédit immobilier n’est aucunement un luxe, vous l’avez dit. Il s’agit parfois d’une nécessité.

Cependant, lors d’une succession, un tel contrat peut exiger des traitements spécifiques dont la durée est difficilement maîtrisable, nécessitant maintes procédures faisant intervenir la banque, les héritiers et le notaire, pour mettre en place, par exemple, une gestion temporaire sur le crédit, avant d’accompagner la vente du bien et de liquider le crédit. Or ces opérations peuvent prendre un certain temps. Il semblait donc nécessaire d’inclure ces crédits dans la liste des opérations complexes.

C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Nous avions déposé cet amendement pour que le débat puisse avoir lieu. Madame la ministre, vous évoquez des frais relatifs à la complexification induite par les crédits immobiliers lors d’une succession. Or, vous le savez, ce n’est pas toujours le cas.

Les banques se contentent d’indiquer qu’une opération représente un coût important. Mais, je le répète, les frais bancaires, les frais de commission et les prélèvements automatiques représentent un gain de 6,5 milliards d’euros pour ces établissements. Il faut donc savoir raison garder !

Cet amendement visait à appliquer la gratuité dans ce cas précis. Cependant, je vais le retirer, pour garantir une adoption conforme et une mise en œuvre de la future loi dans les six mois, qui sera suivie d’un bilan. J’espère d’ailleurs que celui-ci sera bel et bien dressé, car il arrive que nous entendions parler d’évaluation et de bilan sans voir ni l’une ni l’autre par la suite…

Je retire donc mon amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 1 est retiré.

Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

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Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession
Article 2 (fin)

Article 2

(Non modifié)

Dans un délai d’un an à compter de la publication du décret prévu au dernier alinéa de l’article L. 312-1-4-1 du code monétaire et financier, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les effets de la présente loi sur l’évolution des frais appliqués dans le cadre des opérations liées à la clôture des comptes et des produits d’épargne du défunt ainsi que le nombre de personnes bénéficiant de la gratuité de ces frais. Ce rapport s’appuie notamment sur les travaux du Comité consultatif du secteur financier – (Adopté.)

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.) – (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)