Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.

Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi sur la profession d’infirmier est consensuelle, tant notre pays sait le rôle central joué par celles et ceux qui exercent ce métier : en témoignent les 146 cosignataires du texte à l’Assemblée nationale, provenant de huit groupes parlementaires différents, et son adoption unanime – fait assez rare pour être souligné. Cela ne doit pas nous interdire, tout aussi collectivement, de l’améliorer encore en répondant aux attentes des principaux intéressés, à savoir les infirmières et les infirmiers.

Au nombre de 637 000 dans notre pays, les infirmiers, le plus souvent des infirmières, constituent la première profession de santé. Ils connaissent une mutation profonde de leurs missions depuis des années, sans pourtant bénéficier de la reconnaissance équivalente et, surtout, d’une revalorisation de leurs rémunérations.

Le salaire des infirmières en France était inférieur en 2020 à celui de leurs homologues tchèques et polonaises. L’enjeu est donc important : il faut aller plus loin que les mesures du Ségur de la santé, en revalorisant tant les actes de ville, qui n’ont pas fait l’objet d’une revalorisation significative depuis 2009, que le point d’indice de la fonction publique hospitalière et en revoyant la grille hospitalière, désormais obsolète.

De surcroît, les politiques d’austérité et les difficultés que connaissent les Ehpad ont entraîné une dégradation généralisée des conditions de travail, qui a conduit à une pénurie de professionnels, renforçant la pression sur chacun d’entre eux ainsi que la perte de sens. Cette revalorisation indispensable doit être la prochaine étape, monsieur le ministre ; à défaut, l’espoir suscité par cette proposition de loi laissera place à l’amertume et à la colère.

Le présent texte permet de définir le métier et les missions d’infirmier dans toute leur étendue, de créer une consultation et un diagnostic infirmiers et d’autoriser la prescription par ces professionnels de certains produits de santé et examens médicaux. Il tend également à modifier les conditions d’exercice de la pratique avancée, qui connaît de nombreux freins depuis sa création en France en 2016, en l’ouvrant notamment aux services de protection maternelle et infantile, à la santé scolaire et à l’aide sociale à l’enfance.

Toutefois, la définition de la pratique avancée – les infirmiers sont nombreux à l’avoir souligné – reste très catégorielle. De surcroît, elle ne permet pas de reconnaître les infirmiers de spécialité qui exercent d’ores et déjà en pratique avancée, tels que les infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État, les infirmiers anesthésistes diplômés d’État ou encore les puériculteurs. Plutôt que d’autoriser ces infirmiers à la pratique avancée, avec le risque de dissoudre les professionnels de spécialité dans la catégorie des IPA, il serait plus judicieux de renforcer les spécialités en leur reconnaissant la pratique avancée. Je pense que nos débats en séance permettront d’avancer sur ce point.

Il est nécessaire aussi de reconnaître de nouvelles spécialités : infirmier de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, perfusionniste ou infirmier hygiéniste. Je pense aussi aux infirmiers psychiatriques : beaucoup d’acteurs de la santé mentale ont exprimé le grand regret que cette spécialité n’existe plus, lors des auditions menées par MM. Sol, Chasseing, et moi-même dans le cadre de la mission d’information sur l’état des lieux de la santé mentale depuis la crise du covid-19. Ces acteurs nous ont assuré, de manière très large, à quel point l’abandon de cette spécialité a été une grave erreur.

M. Jean Sol, rapporteur. C’est vrai.

Mme Céline Brulin. Malheureusement, les amendements visant à créer ou à recréer ces spécialités infirmières ont été retoqués au titre de l’article 40 de la Constitution.

Enfin, concernant les IPA, le Gouvernement ne pourra se passer d’interroger le modèle économique retenu et le coût de la formation, qui expliquent la trop faible montée en puissance de cette pratique. La logique de coordination et de complémentarité doit remplacer la logique de transfert des actes répétitifs délaissés par les médecins. Nous avons conscience des résistances, mais l’urgence est là.

Pour conclure, je tiens à évoquer l’accès aux études d’infirmier, pour lequel Parcoursup montre sa totale inadaptation, et les conditions de cette formation. Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), les étudiants en institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) étaient en 2021 trois fois plus nombreux à abandonner en première année qu’en 2013. Selon l’Enquête bien-être de 2025 de la Fédération nationale des étudiant.e.s en sciences infirmières, sept étudiants sur dix ont déjà pensé à arrêter la formation, à cause des conditions de stage dans 42 % des cas, de difficultés lors de la formation théorique ou en raison d’enjeux financiers.

Ces difficultés illustrent qu’un autre chantier doit commencer. En attendant, le groupe CRCE – K votera en faveur de ce texte, que nous améliorerons encore, j’en suis convaincue, en séance. (M. Daniel Chasseing applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Anne Souyris. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « toutes les femmes, ou du moins presque toutes les femmes, en Angleterre, à une époque quelconque de leur vie, sont appelées à veiller sur la santé de quelqu’un, soit enfants, soit adultes, malades, ou valétudinaires ; en un mot, toute femme est naturellement destinée à devenir garde-malade.

« Chaque jour, les notions de l’hygiène, l’art de soigner les malades, le secret de fortifier la constitution, de façon à prévenir les maladies, ou de les guérir, quand on n’a pu les prévenir, prennent une plus grande importance.

« Bien entendu que cette science, qu’il est de notre devoir d’acquérir, est entièrement distincte de la science médicale, qui appartient exclusivement à la profession de médecin. »

Ainsi écrivait la célèbre infirmière britannique Florence Nightingale en 1860, dans un ouvrage pionnier des soins infirmiers. Depuis cette définition d’un autre siècle, deux évolutions doivent attirer notre attention.

En premier lieu, la vision essentialiste de la femme comme « garde-malade » naturelle n’est bien heureusement plus d’actualité, même s’il reste encore beaucoup à faire pour mieux partager la charge du care entre les femmes et les hommes.

En second lieu, la nurse de Nightingale, terme traduit en français en 1862 par « garde-malade », s’est professionnalisée et est devenue infirmière ou infirmier.

Alors que chaque année le Sénat examine des propositions de loi relatives aux médecins, mon groupe regrette que les autres professions de santé ne bénéficient pas d’une telle reconnaissance. Je pense aux aides-soignantes, aux auxiliaires de vie, aux ambulanciers, aux kinésithérapeutes et, bien entendu, aux infirmières et infirmiers. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires accueille ainsi avec intérêt la proposition de loi sur la profession d’infirmier, même si, malheureusement, monsieur le ministre, je regrette que nous n’examinions pas un projet de loi.

Nous savons à quel point les infirmières et les infirmiers mènent un travail essentiel pour la santé de nos concitoyennes et concitoyens. Avec ce texte, nous reconnaissons en eux des acteurs majeurs de notre système de santé, les considérant non plus comme des auxiliaires des médecins, mais comme des professionnels à part entière, dotés de rôles propres et qui coopèrent dans leur domaine avec les autres professionnels du secteur. À ce titre, il est plus que temps de créer des passerelles entre les professions infirmières et médicales. Une note de législation comparée a été réalisée à ma demande sur ce sujet ; il me semble crucial de continuer un tel travail.

Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutient l’évolution des missions des infirmières et des infirmiers demandée par la profession, en particulier la création de consultations infirmières. Mais disons-le tout de suite : cette reconnaissance par la loi devra s’accompagner d’une reconnaissance salariale substantielle. Les principaux actes infirmiers en ville n’ont pas été revalorisés depuis 2009 quand la rémunération des intéressés à l’hôpital reste bien en dessous des standards internationaux : nous comptons sur le Gouvernement pour lancer une négociation salariale.

Je souhaite revenir sur trois enjeux, qui justifient les amendements que nous avons déposés sur ce texte.

D’abord, chacune et chacun doit devenir acteur de sa propre santé. À ce titre, les professionnels ont un rôle essentiel à jouer pour la démocratie sanitaire. Si cette proposition de loi entérine le rôle des infirmiers dans l’éducation thérapeutique, mon groupe proposera d’y associer les usagers du système de santé.

Ensuite, face au vieillissement de la population, nous devons reconnaître le travail des infirmiers en matière de prévention de la perte d’autonomie. Nous proposerons d’amender le texte en ce sens.

Enfin, les besoins de santé de la population imposent de reconnaître de nouvelles spécialités infirmières, avec une formation adaptée, en complément de la pratique avancée et des spécialités existantes. Je pense à l’exercice en milieu scolaire, à la santé au travail, à la santé environnementale et à la santé mentale. Alors que cette dernière a été reconnue grande cause nationale, mon groupe propose d’y consacrer de nouveau – j’y insiste – une spécialité infirmière spécifique. Ce n’est ni plus ni moins qu’une urgence de santé publique !

Pour conclure, je précise que le Sénat a déjà été largement alerté sur les enjeux de la formation infirmière. Nos débats nous permettront d’en discuter et j’attends de votre part, monsieur le ministre, une attention soutenue sur ce point. Il reste bien des questions à traiter pour la profession. Mon groupe espère que ce texte permettra de répondre utilement à certaines d’entre elles, dans l’attente d’un projet de loi. (MM. Yannick Jadot et Daniel Chasseing applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Le Houerou.

Mme Annie Le Houerou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier tout d’abord les rapporteurs, pour la qualité de leurs auditions, et celles et ceux qui y ont participé et dont certains se trouvent aujourd’hui en tribune.

Depuis plusieurs années maintenant, les propositions de loi se succèdent pour réorganiser à la marge notre système de soins. Cette approche incrémentale ou par superposition ne permet pas de répondre aux défis immenses auxquels fait face la santé dans notre pays. Devant les difficultés d’accès aux soins, au vieillissement de la population, à la hausse de la mortalité infantile et au malaise de nos soignants, en particulier à l’hôpital, le législateur ne peut se contenter de procéder par petites touches. Monsieur le ministre, les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain attendent du Gouvernement un projet de grande loi Santé, qui permette d’avoir une vision d’ensemble de notre système de soins et de le réorganiser en profondeur.

La présente proposition de loi vise à mieux reconnaître la profession d’infirmier. Piliers de notre système de soins dans le contexte si difficile que la France connaît, les infirmiers constituent la première profession paramédicale de notre pays, avec 600 000 professionnels, dont environ 20 % en libéral.

Sans doute faudrait-il plutôt parler d’infirmières, puisque 87 % des infirmiers sont des femmes. Chaque jour, elles et ils sont aux côtés des patients pour les soigner et les accompagner. Bien souvent, les infirmières sont les derniers professionnels de santé à se rendre encore au domicile des patients. Dans le cadre du vieillissement de la population et de la gestion de la perte d’autonomie, leur rôle est plus que jamais essentiel. Il nous faut donc les reconnaître et je tiens à saluer toutes les infirmières et tous les infirmiers de notre pays.

Cette proposition de loi apporte des évolutions attendues depuis plusieurs années par les intéressés.

Reconnaître la profession d’infirmier n’est pas simplement un enjeu abstrait : il y va de la pérennité de notre système de soins. Dans une étude de décembre dernier, la Drees montrait la progression plus rapide des besoins en soins infirmiers que des effectifs. Si nous n’agissons pas, il manquera 80 000 infirmières en 2050 pour couvrir les besoins de la population.

Reconnaître la profession c’est d’abord arrêter de la définir au travers d’un décret d’actes. La France est le seul pays à définir de façon aussi précise, par un acte administratif qui n’a pas été révisé depuis 2004, ce que peuvent ou ne peuvent pas faire les infirmières. Un tel mode de fonctionnement est inadapté aux évolutions du système de soins. Il faut réviser le cadre légal de la profession. Le texte que nous examinons tend à structurer cette dernière autour de missions socles et à acter un champ de compétences propres aux infirmiers – il faut le saluer.

Surtout, la proposition de loi leur permet d’effectuer des consultations infirmières et de poser des diagnostics infirmiers. La recherche en sciences infirmières est également consacrée. Il s’agit non pas d’empiéter sur l’activité des médecins, mais de reconnaître des compétences spécifiques que les infirmières mettent déjà en œuvre.

Le diagnostic infirmier existe dans le décret d’actes depuis 1993. Il s’agit pour l’infirmier non pas d’identifier une pathologie, mais d’analyser les besoins du patient et les risques auxquels il est confronté dans sa situation de santé. Ce diagnostic est bien délimité. Pratiqué depuis longtemps, il est temps de l’inscrire enfin dans la loi.

Quant à la consultation infirmière, elle se pratique déjà de façon informelle. La reconnaître, c’est permettre aux 600 000 infirmières et infirmiers de notre pays d’exercer pleinement leurs missions de prévention et d’éducation thérapeutique et de jouer leur rôle propre.

Depuis 2016, les infirmières ont la possibilité de se former pour exercer en pratique avancée, grâce à une formation de niveau master et à un champ de compétences élargi. Au travers du texte qui nous occupe, il est également proposé de permettre l’exercice en pratique avancée pour les infirmières spécialisées : infirmières anesthésistes diplômées d’État, infirmières de bloc opératoire diplômées d’État et puéricultrices. Cette évolution permettrait de reconnaître les compétences spécifiques de ces spécialités et de leur offrir une autonomie dans leur pratique.

Les infirmières spécialisées nous ont néanmoins fait part de la nécessité impérieuse de préserver la spécificité de leur métier et de leurs conditions de formation et d’exercice. Il nous faut leur permettre d’exercer avec un statut adapté à chacune de leurs spécialités. Pour ce qui concerne les puéricultrices, cela devra également passer, comme elles le demandent, par la réingénierie de leur formation, pour la porter à deux ans.

Reconnaître les infirmières passe aussi par une rémunération à la juste mesure de leurs compétences – la France se situe en effet dans le bas du classement des pays de l’OCDE en la matière – et des conditions d’exercice pérennes. Limités par le cadre d’une proposition de loi, nos collègues de l’Assemblée nationale ont inscrit dans le texte le principe de la tenue de négociations conventionnelles lors de la modification des compétences des infirmiers. C’est une première étape.

Surtout, il faudra s’intéresser aux conditions de travail. La crise du covid-19 a mis en lumière la forte pénibilité de ce métier, qui induit des ports de charges lourdes, des postures pénibles et, souvent, des horaires étendus. Selon une étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) de décembre dernier, 55 % des infirmières estiment ne pas pouvoir exercer jusqu’à la retraite. Lorsqu’elles arrivent à la retraite, elles sont 20 % à être en invalidité.

Le législateur doit avancer sur ces sujets, tant pour prévenir les facteurs de pénibilité que pour compenser ceux qui sont inhérents à la profession.

Les difficultés rencontrées par les infirmières sont aussi celles de notre système de soins. Nous le savons, la situation est grave : 87 % du territoire métropolitain est classé comme désert médical et 6 millions de nos concitoyens n’avaient plus de médecin traitant l’année dernière. À l’hôpital, les conditions de travail sont dégradées, le sous-effectif chronique et le manque de moyens constant.

S’il faut absolument reconnaître la profession d’infirmier, il faut également rester vigilant sur les compétences de chacun. Mon groupe ne souhaite pas placer les infirmiers dans une situation de risque moral et juridique en leur confiant des tâches qu’ils ne veulent pas assumer. L’accès direct ne doit pas être une rustine : il ne faut pas, face à la pénurie de personnel médical, remplacer les médecins par des infirmiers au risque de désorganiser les parcours de soins. Ce sont alors les patients qui en paieraient le prix. Il ne s’agit pas de mettre en place une médecine à deux vitesses.

La présente proposition de loi vise ainsi à inclure les infirmières dans la permanence des soins. Cette mesure peut être utile, à condition que cela se fasse en coordination avec un médecin. Surtout, cela ne permettra pas de régler la question de la faible implication des médecins dans cette mission de santé publique : seuls 38 % des généralistes y participent, contre 73 % en 2012.

Mon groupe est convaincu que la réponse aux difficultés actuelles se trouve dans l’exercice coordonné et pluriprofessionnel. Les centres de santé, les maisons de santé et les équipes de soins primaires, première étape de la coordination autour d’un projet de santé en équipe pluriprofessionnelle, sont les seuls à pouvoir rendre un temps médical de qualité aux patients. C’est dans ces structures que se trouve l’avenir de notre système de soins et dans ce cadre que doit s’organiser l’accès direct.

Les infirmières en pratique avancée ont parfaitement leur place à l’hôpital, en hémato-oncologie, en néphrologie pour le suivi de greffe et en médecine d’urgence. Elles sont pleinement à leur place également au sein d’une équipe pluriprofessionnelle en matière de santé mentale et de suivi des pathologies chroniques stabilisées. Elles permettent une véritable amélioration du suivi des patients et de la qualité des soins lorsqu’elles s’inscrivent dans un projet de santé coconstruit au sein d’une équipe. En revanche, nous sommes défavorables à l’exercice isolé en accès direct.

Enfin, nous proposons la création d’une quatrième année de formation pour les infirmiers. Cette année supplémentaire permettrait à la France de s’aligner sur les standards européens, qui exigent 4 600 heures de formation, contre 4 200 dans notre pays. La formation des infirmières françaises est déjà particulièrement dense et exigeante et connaît un fort taux d’abandon en cours de formation, passé de 11 % en moyenne entre 2013 et 2019 à 20 % actuellement.

Si mon groupe est convaincu de la nécessité de cette quatrième année, son articulation avec les diplômes de spécialités infirmières et la pratique avancée reste à préciser. Pour cette raison, nous nous limitons à demander un rapport sur cette quatrième année de formation.

Cette proposition de loi va dans le bon sens et marque une étape importante dans l’évolution de la profession. Mon groupe, tout en restant vigilant et en s’attachant à préserver la cohérence des parcours de soins, y sera favorable. (M. Bernard Jomier applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Demas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Demas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier nos rapporteurs, qui ont travaillé d’arrache-pied pour aboutir à un texte globalement équilibré, qui satisfait les principaux intéressés.

Notre modèle de santé, à bout de souffle, m’amène à souligner l’utilité de cette proposition de loi sur la profession d’infirmier, non seulement comme réponse aux défis immédiats de notre système, mais aussi comme fondation d’une vision à long terme pour faire face, dans les prochaines décennies, à un vieillissement sans précédent de notre population.

Dans tous nos territoires, l’urgence est palpable : multiplication des déserts médicaux, tensions liées à la pénurie de soignants. Au sein des hôpitaux, la profession d’infirmier subit, encore et toujours, un système qui rationalise à outrance, là où le temps compté est devenu le maître-mot ; or notre hôpital doit offrir à chaque soignant la possibilité de s’adapter en permanence à son patient.

Cette crise structurelle est aggravée par d’autres facteurs. Le volet de la formation ne contribue malheureusement pas à renforcer l’avenir de la profession. L’accès aux études en soins infirmiers, via Parcoursup, est inadapté et décourage les candidats. Les abandons en cours de cursus sont très préoccupants.

Dans mon département des Alpes-Maritimes, des centres hospitaliers et un grand nombre d’Ehpad, pour ne citer que ce type d’établissements, n’ont pas manqué de me signaler l’hémorragie d’étudiants qui aggravera la pénurie de soignants.

En nourrissant l’objectif de mieux reconnaître l’expertise du métier d’infirmier, son caractère désormais structurant dans le parcours de soins et les missions exercées, ce texte vise à apporter des améliorations au statut de la profession.

Nous franchissons ainsi une étape importante, qui en appelle nécessairement d’autres. La proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires de notre collègue Philippe Mouiller, que nous examinerons bientôt, s’inscrit dans cet esprit. Le Gouvernement s’en est d’ailleurs inspiré pour partie, ce qui ouvrira – je l’espère – d’autres débats, dont celui de l’épanouissement des soignants au travail.

Repenser les modèles d’organisation des soins, favoriser une véritable collaboration interprofessionnelle, où les compétences de chaque acteur sont pleinement reconnues et exploitées, sont les piliers d’une réforme structurelle dont notre système de santé a tant besoin pour répondre aux nouveaux usages et aux attentes des professionnels ainsi que pour garantir un parcours de soin de qualité, fluide, au plus près des patients.

Il est essentiel de nourrir une vision prospective de la profession d’infirmier, qui tienne compte de ces évolutions.

La digitalisation croissante de la santé, le développement de la télésanté, la prévention, l’éducation thérapeutique sont autant de domaines où les infirmiers ont un rôle majeur à jouer. Cela implique d’adapter leurs formations initiales et continues, d’encourager le tutorat, qui est malmené, ou encore de prendre des mesures incitatives afin d’encourager les étudiants à s’installer dans les déserts médicaux.

Ces derniers, monsieur le ministre, sont d’ailleurs tenus à bout de bras par des infirmiers libéraux – que je soutiens ! Je suis sensible à ceux qui exercent en zone rurale, au chevet des Français, maillons forts et indispensables du parcours de soin. Ce sujet fait partie de mes engagements les plus constants depuis le début de mon mandat.

Je suis d’ailleurs honorée de défendre, à l’occasion de l’examen de ce texte, un amendement visant à clarifier la définition de la notion d’agglomération dans le calcul des indemnités kilométriques, qui a reçu un avis favorable de la commission.

En somme, cette proposition de loi a le mérite de mettre des mots sur des situations de vie et des situations d’exercice importantes pour les infirmiers, qu’il s’agisse de l’autonomie ou de la reconnaissance et de la pénibilité de leur métier et de leurs compétences.

Il nous appartient désormais de soutenir ces professionnels de santé pour investir dans la santé de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la vie exige qu’on aille de l’avant, qu’en gardant du passé ce qu’il a de précieux, on persévère dans l’effort vers l’avenir ». Ces mots de Léonie Chaptal, grande figure de l’histoire infirmière, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, trouvent aujourd’hui un écho tout particulier.

Le texte de reconnaissance que nous nous apprêtons à adopter est fidèle à cet esprit : il consacre ce que la profession infirmière a construit de précieux au fil du temps et ouvre la voie à un avenir plus juste et plus clair pour les soignants comme pour les patients.

Le terme même d’« infirmier », du latin infirmus, « celui qui est faible, vulnérable », nous rappelle que cette profession est entièrement tournée vers la fragilité humaine. De la guerre de Crimée à la crise du covid, en passant par les hôpitaux de fortune de la Grande Guerre ou l’engagement dans la Résistance, les infirmiers ont toujours été là, en première ligne, aux côtés des plus vulnérables.

Pourtant, sur le plan législatif, leur reconnaissance était restée elle-même « vulnérable ». Ce texte vient y remédier : il vise ainsi à ériger enfin un socle législatif propre à la profession d’infirmier diplômé d’État, définie non plus seulement en regard d’autres professions médicales, mais comme regroupant des acteurs de santé à part entière.

L’article 1er vise à redéfinir les missions infirmières autour de cinq axes fondamentaux : les soins curatifs et palliatifs, la prévention, l’éducation thérapeutique, la coordination des parcours, la formation des pairs et la recherche en sciences infirmières.

Cette reconnaissance, unanimement attendue par la profession, est également accueillie avec enthousiasme par le Parlement. Je tiens à saluer ici le travail de nos rapporteurs, Jean Sol et Anne-Sophie Romagny, ainsi que celui de la députée Nicole Dubré-Chirat, à l’origine de cette proposition de loi.

Depuis Léonie Chaptal, et même depuis le cadre réglementaire posé en 2004, la profession a profondément évolué. Le texte acte une réalité déjà vécue par les infirmiers : une montée en compétences significative, assortie d’une autonomie accrue.

Celle-ci se traduit concrètement par trois avancées majeures : l’inscription dans la loi de la consultation infirmière, la reconnaissance du diagnostic infirmier et l’ouverture à une capacité de prescription autonome.

Les infirmiers en pratique avancée (IPA) voient également leur rôle consolidé, en particulier dans les soins de premier recours. L’article 1er bis vise à les intégrer explicitement aux côtés des médecins traitants, tout en précisant les conditions de l’accès direct, limité aux actes relevant du rôle propre de l’infirmier.

L’article 2, quant à lui, vise à étendre les lieux d’exercice des IPA en santé scolaire, en matière de protection maternelle et infantile ou en établissements d’accueil du jeune enfant tout en conservant un lien avec les médecins.

Soyons clairs : ces évolutions ne visent en aucun cas à concurrencer la profession médicale ; elles s’inscrivent dans une logique de coopération, non de compétition. Dans un contexte de désertification médicale, nous savons que médecins et infirmiers travaillent déjà main dans la main, au service des patients.

C’est pourquoi nous saluons également les clarifications apportées en commission. La notion parfois floue de complémentarité a été judicieusement remplacée par celle de coordination interprofessionnelle, plus juste, plus protectrice.