Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a forcément quelque chose de troublant à voir ceux qui soignent devoir apprendre à se défendre de leurs patients.

Hélas, les chiffres parlent d'eux-mêmes. En 2023, plus de 1 500 incidents impliquant des médecins ont été recensés par le Conseil national de l'ordre, soit 27 % de plus qu'en 2022, et près de trois fois plus qu'il y a vingt ans.

Dans les établissements de santé, les actes de violence déclarés ont explosé, pour atteindre près de 20 000 faits par an.

Ces chiffres sont probablement sous-évalués, tant le réflexe de signalement reste encore rare dans la profession.

Derrière les statistiques, il y a des vies brisées, des vocations détruites et une peur quotidienne qui porte atteinte à l'engagement de nos soignants. En mai dernier, l'assassinat de Carène Mézino, infirmière au CHU de Reims, l'a rappelé avec une violence inouïe. Plus récemment, le mois dernier, en Moselle, un patient en désaccord avec sa prise en charge a menacé de mort son généraliste et dégradé son cabinet médical.

Ce phénomène n'épargne aucun pays. En Espagne, au Portugal, en Allemagne, au Royaume-Uni, les agressions se comptent par milliers chaque année. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), plus d'un tiers des soignants dans le monde seraient confrontés à des violences physiques au cours de leur carrière.

Face à cette réalité, le texte déposé par le député Philippe Pradal constitue une réponse. À cet égard, je salue d'ores et déjà le travail de notre rapporteure, Anne-Sophie Patru.

Avant cette proposition de loi, nous avions déjà bénéficié des éclairages ministériels lors de la présentation d'un plan pour la sécurité des professionnels de santé en septembre 2023.

Trois axes s'en dégageaient : il s'agissait de mieux sensibiliser le public et former les soignants, de mieux prévenir les violences et sécuriser l'exercice des professionnels, et, enfin, de renforcer les dispositifs de déclaration des violences et l'accompagnement des victimes.

En complément, cette proposition de loi intègre la question des sanctions des auteurs de faits de violences.

En premier lieu, il nous est proposé une aggravation des peines encourues pour des faits de vol et de violences commis dans les locaux des établissements de santé ou à l'encontre des personnels de ces établissements. Le texte initial a été enrichi, puisqu'il vise désormais également, par exemple, les cabinets d'exercice libéral d'une profession de santé, les maisons de naissance, les officines de pharmacie ou encore les laboratoires de biologie médicale.

Nous ne pouvons qu'être favorables à un tel dispositif, même si nous savons aussi que l'aggravation des peines suffit rarement à endiguer les phénomènes qu'elles sanctionnent. C'est un réflexe facile, mais peu souvent efficace.

En deuxième lieu, le texte issu de l'Assemblée nationale proposait une extension du délit d'outrage aux professionnels de santé et une extension des circonstances aggravantes en cas de commission du délit dans un établissement de santé.

Notre rapporteure propose de substituer au délit d'outrage celui d'injure. Or il apparaît que le régime juridique de l'injure est plus favorable à l'auteur des faits et défavorable à la victime, par exemple en matière de prescription, mais également dans la qualification de l'infraction par le juge. Aussi, bien que je ne sois pas juriste, je ne suis pas convaincue par cette substitution. Nous proposerons donc, par voie d'amendement, de revenir à la version antérieure du texte et de rétablir le délit d'outrage.

En troisième lieu, il est proposé d'ouvrir le droit, pour l'employeur, de porter plainte pour violences à la place d'un professionnel de santé ou d'un membre du personnel d'un établissement de santé. Nous soutenons vivement ce dispositif. Je l'ai dit, les chiffres sont probablement sous-évalués, tant le réflexe de signalement reste encore rare dans la profession. Par conséquent, tout mécanisme qui participera à renforcer l'engagement des poursuites doit être soutenu.

Je me réjouis de l'initiative de notre rapporteure, qui a proposé d'ouvrir la faculté de déposer plainte pour les professionnels libéraux aux ordres professionnels et, plus largement, aux organismes représentatifs lorsque la profession n'est pas organisée en ordre.

Plusieurs articles ont été supprimés par notre commission. Toutefois, ces suppressions ne constituent en rien des renoncements. Je pense en particulier à l'article 2 bis, qui prévoyait la possibilité de déclarer une adresse professionnelle comme domicile dans une procédure pénale. Un tel mécanisme existant déjà dans le droit actuel, un surajout n'était pas nécessaire.

Pour conclure, il est indéniable que ce texte ne réglera pas, à lui seul, l'ensemble des difficultés rencontrées par les professionnels de santé. Cependant, il représente une avancée concrète et lisible.

Aussi, mes chers collègues, les membres du groupe RDSE le voteront unanimement.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, restaurer la sécurité dans le milieu de la santé et renforcer les mesures pénales, telle est l'ambition de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.

Il est devenu impératif de déployer des mesures concrètes pour enrayer les violences croissantes à l'encontre des professionnels de santé.

Ces actes, en nette augmentation ces dernières années, traduisent une dégradation alarmante des conditions d'exercice dans le secteur.

Selon le rapport de l'Observatoire national des violences en santé, en 2023, environ 20 000 signalements d'actes de violence ont été effectués par des professionnels de santé ou par les établissements concernés. En 2024, ce chiffre était en hausse de 6,6 %.

Ce seul constat devrait nous inquiéter et nous interpeller, surtout quand on sait que près de la moitié des faits signalés concernent des agressions physiques ou des menaces avec arme, et que leurs conséquences sont parfois dramatiques.

Ainsi, l'agression au couteau survenue le 22 mai 2023 au CHU de Reims, qui a coûté la vie à une infirmière, a marqué un tournant tragique et symbolique. Elle a mis en évidence notre échec et notre impuissance à protéger les soignants et à sanctionner fermement leurs agresseurs.

Pourtant, et c'est un constat que nous faisons régulièrement sur d'autres sujets, le code pénal est déjà en mesure de sanctionner. Toutefois, l'appareil judiciaire ne suit malheureusement pas toujours, ce qui nourrit un sentiment d'impunité chez les auteurs et de laxisme de la justice chez les victimes. Cette impression est d'ailleurs tellement intériorisée par les victimes que moins d'un tiers d'entre elles portent plainte.

Permettez-moi d'illustrer mon propos par un exemple très concret. Récemment, l'un de mes proches, médecin dans un centre de santé en région parisienne, a été agressé pour avoir refusé de délivrer un arrêt de travail, estimant que l'état du patient ne justifiait pas une telle prescription. À la suite de cette agression, son supérieur l'a fortement encouragé à ne pas contester les demandes des patients, même si celles-ci étaient injustifiées d'un point de vue médical. Et, par crainte pour sa propre sécurité, ce médecin n'a pas osé porter plainte.

Vous imaginerez aisément la perte de sens pour celui qui a choisi de consacrer sa vie professionnelle au service des autres et qui se trouve aujourd'hui menacé pour le simple fait d'exercer son métier de médecin…

Bien entendu, ce cas, qui illustre bien le sujet qui nous réunit aujourd'hui, n'est pas isolé. L'autorité médicale n'est plus respectée, et les patients, qui se comportent, pour certains, en clients, n'hésitent plus à se montrer violents face à un refus.

Malheureusement, ce constat peut aussi s'étendre à notre société tout entière, qui fait de plus en plus face à des comportements individualistes de personnes incapables de supporter la contrainte ou la frustration et ne connaissent d'autre réponse que la violence.

J'en reviens au travail de notre rapporteure, Anne-Sophie Patru, dont je salue le premier rapport. Celui-ci s'inscrit dans l'esprit de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale le 14 mars 2024, qu'il complète et renforce.

Par cette position, notre rapporteure réaffirme, à juste titre, que les agressions à l'encontre des soignants sont inacceptables, car elles contribuent non seulement à fragiliser ces professionnels, mais aussi à entamer leur confiance dans la capacité du système judiciaire à les protéger efficacement.

Par ses amendements, notre rapporteure a veillé à renforcer la sécurité juridique des dispositions retenues et s'est attachée à ne conserver que les mesures dont l'utilité concrète et la plus-value législative étaient avérées.

Cependant, il s'agit ici d'un texte largement symbolique, qui ne résoudra pas à lui seul la situation. Comme bien souvent, une vraie réponse porterait sur les moyens de notre justice et de nos forces de l'ordre. Mais, dans un contexte où ces métiers, indispensables au bon fonctionnement de notre société, sont de plus en plus exposés à des actes de violence, il est bienvenu que le Parlement se tienne aux côtés des victimes.

Et, si ce texte peut encourager les professionnels de santé à déposer plainte, tout en rétablissant le respect que l'on doit à cette fonction, il aura déjà rempli une part importante de sa mission…

Le groupe Union Centriste votera donc ce texte, dans l'espoir qu'il ouvre la voie à des avancées supplémentaires, efficaces et pérennes pour garantir aux personnels soignants un environnement de travail serein et respectueux de leur mission et de leur engagement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, disons-le d'emblée : les violences à l'encontre des agents du service public sont inacceptables.

Plus particulièrement, les violences commises contre des agents du service public de santé, dont la mission consiste à soigner les malades, sont intolérables.

Ce texte propose de renforcer les sanctions pénales encourues par les auteurs de violences pour améliorer la sécurité des professionnels de santé. Permettez-nous de douter de l'efficacité d'un tel dispositif !

D'une part, les auteurs des violences sont majoritairement des personnes souffrant de troubles psychiatriques et des personnes âgées considérées comme irresponsables pénalement. (Marques d'ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)

D'autre part, les violences contre les professionnels sont, le plus souvent, la conséquence des dysfonctionnements du service public de santé et des années d'austérité qui ont désorganisé et désarmé les services.

Les violences sont donc avant tout l'expression d'un mécontentement à l'encontre d'une dégradation de la qualité des soins et de l'accueil et de la pénurie de soignants.

Ces actes ne sont pas légitimes, je le répète, et nous les condamnons fermement, mais ils s'expliquent : quand 15 % des patients passent plus de huit heures à attendre aux urgences, car il n'y a plus de médecin généraliste ni de permanence médicale les soirs et les week-ends, il arrive que les personnes les plus fragiles perdent contrôle.

Rappelons que le rapport sur les violences à l'encontre des professionnels de santé de Jean-Christophe Masseron et de Nathalie Nion, qui a précédé le plan pour la sécurité des professionnels de santé, présenté en septembre 2023, préconisait d'agir en priorité sur les déterminants de la violence, en améliorant les conditions d'accueil des patients et de leurs proches.

Madame la rapporteure, vous proposez d'adopter une position de « soutien sans faille aux professionnels de santé et aux personnes qui les entourent ». Nous partageons cet objectif, mais ce texte ne changera malheureusement rien aux violences commises à leur encontre.

La création de circonstances aggravantes n'est que du « bavardage législatif », pour reprendre votre formule. Si l'on ne change pas de logiciel, si l'on continue à réduire chaque année les dépenses des hôpitaux, les infirmières et les aides-soignantes continueront à se faire agresser par des patients excédés dans les services psychiatriques, dans les Ehpad et aux urgences !

De notre point de vue, la seule avancée, dans ce texte, est le renforcement de l'accompagnement des victimes. En permettant à l'employeur de déposer plainte à la place de la personne agressée, nous faisons un pas de plus dans la protection fonctionnelle des soignants.

Notre groupe avait d'ailleurs déposé un amendement qui reprenait la proposition de loi de mon collègue Pierre Ouzoulias visant à améliorer la protection fonctionnelle accordée aux agents publics, mais cet amendement a été jugé irrecevable, ce que je regrette.

Néanmoins, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky s'abstiendra sur ce texte, afin d'adresser un message de soutien aux professionnels de santé victimes de violences. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Anne Souyris. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque jour, en moyenne, 65 professionnels de santé sont victimes d'agressions physiques ou verbales.

Au total, 37 % des professionnels hospitaliers déclarent avoir été victimes de violences en 2022. Deux infirmiers sur trois sont concernés.

Bien sûr, ces chiffres doivent nous alerter. Rappelons, sans aucune nuance, qu'il n'est jamais permis, tolérable ni acceptable de s'en prendre aux professionnels de santé.

Mme Anne Souyris. Quand bien même l'accès aux soins de nos concitoyens est plus difficile chaque jour, nous condamnons toute violence, tant verbale que physique, et nous apportons notre entier soutien à l'ensemble de celles et ceux qui subissent ces violences, qu'il s'agisse de professionnels de santé ou de patients.

Ainsi, le groupe Écologiste – Solidarités et Territoires partage l'objectif de cette proposition de loi : renforcer la sécurité des professionnels de santé.

Quel dommage cependant que ce texte se cantonne à aggraver les peines encourues pour des violences commises dans les établissements et contre les professionnels de santé ! Nous savons bien que l'aggravation des peines n'a pas d'effet dissuasif sur les auteurs de violences.

Bien d'autres mesures, qui, elles, auraient été efficaces, avaient été identifiées par le Gouvernement dans le plan interministériel pour la sécurité des professionnels de santé, présenté par Aurélien Rousseau et Agnès Firmin-Le Bodo, que je salue. En effet, à l'issue d'un long travail, Jean-Christophe Masseron, alors président de SOS Médecins, et Nathalie Nion, cadre de santé à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), avaient présenté des recommandations, qui avaient ensuite fait l'objet de 42 mesures planifiées par le Gouvernement.

Ce plan proposait, entre autres, d'augmenter la sécurité des bâtiments en aménageant l'espace des établissements de santé pour prévenir les violences et en améliorant la gestion de flux des patients.

Il suggérait également de financer des dispositifs d'alerte pour les professionnels les plus exposés, notamment pour ceux qui sont les plus isolés, en ville et à l'hôpital.

Il invitait, en outre, à renforcer les relations entre les établissements et professionnels de santé et les services de police ou de gendarmerie compétents.

Pourquoi ces mesures utiles sont-elles absentes de cette proposition de loi ?

Rappelons, par ailleurs, que, sur les 23 489 professionnels victimes de violences en 2022, 53 % indiquaient que le motif invoqué par l'auteur de violences était un reproche relatif à la prise en charge. En outre, 22,9 % des signalements concernaient un service de psychiatrie, et 13 % un service d'urgence. Or ces services souffrent énormément de la crise de notre système de santé : sous-effectifs chroniques, sous-investissements, délais de prise en charge significatifs…

Sans que cela justifie en aucun cas les violences commises dans ces unités, cette situation doit nous conduire à y renforcer la sécurité, et non pas uniquement à répondre ex post aux actes de violence au travers d'une pénalisation soutenue.

Enfin, je déplore que la commission ait supprimé les articles visant à ce que les professionnels de santé puissent déclarer comme domicile l'adresse de l'ordre professionnel au tableau duquel ils sont inscrits, et à ce que le conseil de surveillance d'un établissement de santé dispose d'un bilan annuel des actes de violence commis au sein de l'établissement.

Sous prétexte de lutter contre l'inflation législative, la commission a jugé ces deux articles superfétatoires. Quel dommage ! Ils constituaient un angle intéressant dans le renforcement de la sécurité des professionnels et des établissements et auraient mérité, à ce titre, un travail d'amendement plutôt qu'une simple suppression.

Pour conclure, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires condamne fermement les violences commises à l'encontre des professionnels de santé, mais il ne saurait se satisfaire de la seule réponse pénale proposée dans ce texte, car elle est insuffisante et inefficace pour prévenir les actes de violence – c'est véritablement un cataplasme sur une jambe de bois.

Nous regrettons qu'aucune réponse ne soit ici apportée aux causes qui amènent les auteurs de ces actes inacceptables à les commettre. Ces individus agissant avec impulsivité, quelle conséquence aura sur eux l'aggravation des peines ? Les professionnels de santé seront-ils davantage protégés ? Les patients psychiatriques seront-ils moins agressifs ? Il est difficile d'y croire...

Je vous invite donc, monsieur le ministre, à remettre sur le métier le plan interministériel présenté il y a un an et à nous présenter un point d'étape à ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Émilienne Poumirol et Silvana Silvani applaudissent également.)

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures,

est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Anne Chain-Larché.)

PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Hussein Bourgi.

M. Hussein Bourgi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord saluer notre collègue rapporteure de cette proposition de loi, Anne-Sophie Patru, qui se livre pour la première fois à cet exercice. Je tiens à lui adresser mes compliments les plus chaleureux pour son travail, qui est de très bonne facture.

Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. Merci !

M. Hussein Bourgi. Depuis plusieurs années, notre pays est confronté à une recrudescence de la violence. Aucun territoire, aucun secteur d'activité, aucun citoyen n'est à l'abri.

Ce fléau touche tout le monde, y compris les professions que l'on pensait préservées de ce mal : les enseignants, les forces de l'ordre, les sapeurs-pompiers, les professionnels de santé, les journalistes et même les élus – nous en avons eu une nouvelle illustration le week-end dernier.

En septembre 2023, le Gouvernement annonçait un plan national pour la sécurité des professionnels de santé, décliné en 42 mesures et trois axes : sensibiliser le public et former les soignants ; prévenir les violences et sécuriser l'exercice des professionnels ; déclarer les agressions et accompagner les victimes.

La présente proposition de loi, qui en est inspirée, vise donc à lutter contre les violences subies par les professionnels de santé sur leur lieu de travail et dans l'exercice de leurs fonctions.

Comme le souligne l'Observatoire national des violences en santé, pour l'année 2021, ce sont près de 20 000 actes de violence qui ont été recensés : plus de 50 % d'entre eux sont des violences physiques ou des menaces avec une arme, et près de 30 % des insultes et des injures, les autres étant des dégradations.

Ces 20 000 actes ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Quid de toutes les violences pour lesquelles aucune plainte n'est déposée ?

Plus grave encore, une étude récente révélait qu'un professionnel de santé sur trois était, au moins une fois pendant sa carrière, victime de violences dans l'exercice de ses fonctions. Si les données communiquées par l'ONVS indiquent que tous les services sont la cible de violences, de heurts et d'incivilités, elles révèlent que certaines unités sont davantage touchées : les services des urgences, ceux de psychiatrie et de gériatrie.

L'Observatoire met également en lumière une tendance que l'on observe depuis plusieurs années : dans plus de 90 % des cas recensés, les auteurs de violences sont des patients ou des visiteurs et accompagnateurs, donc des proches des patients.

Si les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain partagent les inquiétudes des auteurs de cette proposition de loi et adhèrent aux orientations proposées, nous nous questionnons sur le caractère incomplet des dispositifs proposés.

En effet, ce texte comporte des réponses principalement répressives, certes souhaitables et utiles – nous les soutiendrons et les voterons –, mais dont on peut légitimement se demander si elles seront suffisantes. Rien n'est moins sûr.

L'article 1er vise à aggraver les peines applicables aux violences commises sur tout personnel d'établissement de santé ou dans les locaux d'un établissement de santé, ainsi que celles qui sont encourues en cas de vol de matériel dans ces établissements.

L'article 2, modifié par la commission des lois, vient renforcer la répression des injures adressées au personnel soignant.

Et, pour faire face à la faiblesse du taux de déclaration des violences subies par les personnels soignants salariés en établissement, liée notamment à la peur de représailles, l'article 3 donne à l'employeur d'un professionnel de santé la possibilité de se constituer partie civile et de déposer plainte, avec l'accord de la victime.

Si nous y sommes plutôt favorables sur le principe, nous considérons que ces dispositions d'ordre principalement pénal sont de nature à susciter certaines questions quant à leur efficacité. Nous devons en effet nous interroger sur ce réflexe, bien trop récurrent ces dernières années, qui consiste à systématiquement répondre à l'augmentation des violences dans la société par une augmentation du quantum des peines.

Mes chers collègues, j'ai par moments le sentiment que nous cédons à la facilité. Or, nous le savons, la facilité est rarement gage d'efficacité !

J'illustrerai mes questionnements en citant le docteur Jean-Christophe Masseron : « La dissuasion par le droit pénal n'est pas démontrable, car les auteurs de violences n'ont pas forcément tous conscience de la gravité de leurs actes dans l'instant. » Venant d'un professionnel de terrain, ces propos doivent nous interpeller et nous faire réfléchir.

Ainsi, c'est se tromper que de faire croire et de croire soi-même qu'un alourdissement des sanctions pénales suffira à mettre un terme aux violences envers les praticiens de santé.

Je rappelle ce que vous savez toutes et tous déjà : les principaux éléments déclencheurs de heurts en milieu hospitalier découlent des conditions de la prise en charge du patient, des refus de soins et des temps d'attente excessifs, notamment aux urgences.

Pour autant, cela n'excuse aucunement les violences insupportables dont les soignants font l'objet. Je tiens à le dire : nous nous tenons et nous tiendrons toujours aux côtés des professionnels de santé dans ce combat, et nous soutiendrons chacune des mesures garantissant leur sécurité.

Toutefois, il semble important de comprendre le contexte dans lequel prospèrent ces situations, afin de les anticiper et de les contrer avec davantage d'efficacité.

Bien souvent, ces violences sont le reflet de la dégradation de la qualité des soins et de la pénurie de soignants. Nous le savons toutes et tous, nos hôpitaux publics, qui furent longtemps les vaisseaux amiraux de l'offre de soins, sont aujourd'hui exsangues. Que le texte ne tienne pas compte de ce paramètre est, à notre sens, une erreur.

Monsieur le ministre, lorsque vous êtes venu au CHU de Montpellier, vous avez été accueilli par son personnel, à côté duquel se tenaient des vigiles… Il y a quelques années, lorsque l'on se rendait dans un centre hospitalier, on était accueilli par un agent hospitalier ! Aujourd'hui, la première personne que l'on y rencontre, dès l'entrée, est un vigile dont le rôle est de réguler les tensions et les conflits. Voilà qui est significatif de l'insécurité et de la tension permanente qui règnent dans ces lieux, où l'on est censé soigner, accueillir et apaiser, mais qui sont parfois devenus particulièrement anxiogènes. Cela ne facilite ni les actes médicaux ni la prise en charge des patients, et ne permet pas de diminuer les tensions.

Il semble évident qu'une meilleure prise en charge des patients et une réduction des temps d'attente en milieu hospitalier seraient de nature à baisser considérablement les tensions entre les patients et leurs proches, d'un côté, et les personnels de santé, de l'autre.

Il s'agit d'ailleurs d'une préoccupation majeure pour les soignants, qu'ils expriment depuis plusieurs années en nous alertant sur le manque de temps et de moyens humains. Ces réalités concourent à la dégradation de la qualité de vie au travail et des soins administrés aux patients.

L'appauvrissement progressif du service public de la santé est réel et doit nous inquiéter. Les indicateurs actuels sont alarmants : burn-out généralisé des soignants, dégradation de l'état de santé de notre population, accélération des fermetures de lits et de maternités – comme à Ganges, dans l'Hérault –, baisse de la qualité des soins dans les Ehpad et les crèches... Il est temps d'agir !

L'ensemble du personnel soignant – tous ceux que nous avons applaudis pendant la crise du covid, que nous avons souhaité revaloriser au travers du Ségur de la santé, qui guérissent nos enfants et prennent soin de nos anciens – mérite mieux, c'est-à-dire des salaires décents, des effectifs accrus, des conditions de travail dignes et sereines permettant d'assurer leur sécurité. Ce n'est pas du luxe !

Des solutions peuvent faire consensus au sein de notre Haute Assemblée. J'enjoins donc mes collègues, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent, à ne pas se limiter et à ne pas penser cette thématique sous le seul prisme d'un exercice de répression pénale.

La lutte contre la violence en milieu hospitalier passera indéniablement également par des dispositifs humains et matériels suffisants. Je suis certain que nous pourrons avoir des échanges constructifs sur les moyens des soignants, leur formation, mais aussi sur les méthodes susceptibles d'endiguer les phénomènes de violences à leur endroit. C'est à cette condition que la santé publique et privée à la française demeurera une source de fierté pour chacune et chacun d'entre nous, et une source de confiance pour nos concitoyennes et nos concitoyens, qui nous regardent, qui comptent sur nous et auxquels le service public de la santé et leur médecin généraliste inspirent encore espoir et confiance.

À défaut d'apporter ces réponses ce soir, monsieur le ministre, nous aurons d'autres occasions de renforcer et de consolider l'offre de soins, qu'elle soit publique ou privée. Nous travaillerons main dans la main avec vous, tout au long de l'année 2025, pour y parvenir. L'intérêt général et l'intérêt supérieur du pays le commandent ! (Mme la rapporteure applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos concitoyens ne supportent plus de voir l'insécurité se répandre dans notre pays et nous demandent plus de fermeté pour mieux les protéger. Nous avons répondu à cet appel en adoptant définitivement la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. C'est encore ce que nous avons fait en adoptant des mesures destinées à endiguer la délinquance de notre jeunesse.

Les défis sont immenses, et nous ne devons pas relâcher nos efforts. La violence n'a pas sa place dans notre société ; elle est contraire à nos principes démocratiques. Brisant la vie des victimes, elle met à mal notre pacte républicain.

C'est d'autant plus vrai lorsqu'elle prend pour cible les piliers de notre société. Au contact de nos territoires et de nos élus, nous savons à quel point ces derniers peuvent être visés par des attaques intolérables. Agresser un élu, c'est porter atteinte à son mandat et, finalement, à notre démocratie.

Les professionnels de la justice, tout comme les membres des forces de l'ordre, protègent nos concitoyens et nos institutions. Ils risquent parfois leur vie pour accomplir leur mission.

Je veux redire ici tout le soutien du groupe Les Indépendants – République et Territoires aux agents pénitentiaires ainsi qu'à leurs familles. Il y a quelques semaines, ils ont subi des dégradations et des menaces inacceptables. Force doit rester à la loi : les coupables devront être sévèrement punis.

La protection de ces personnels passe notamment par une aggravation des peines encourues par ceux qui les agressent.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à mieux protéger les professionnels de santé.

Alors que les personnels de santé ont tout mis en œuvre pour protéger nos concitoyens durant la pandémie de covid, alors que notre pays fait face à un manque chronique de médecins et que nous étudions toutes les solutions pour résoudre le problème des déserts médicaux, force est de constater que les soignants sont la cible d'agressions de plus en plus nombreuses.

Ils subissent le plus souvent des atteintes à l'intégrité physique ainsi que des menaces avec arme. Les injures sont également très fréquentes. Les métiers du soin sont en train de devenir des métiers à risque.

Il ne s'agit malheureusement pas de cas isolés. Les témoignages de professionnels agressés dans l'exercice de leurs fonctions se multiplient, que ce soit dans les hôpitaux, les cabinets médicaux ou lors d'interventions à domicile. Ces violences touchent aussi bien les médecins que les infirmiers, les aides-soignants ou les agents d'accueil. Certains en viennent à modifier leurs horaires, voire à renoncer à exercer dans certains territoires.

Cette situation renforce une autre difficulté majeure : plus les conditions de travail se détériorent, plus l'attractivité des métiers de santé recule, ce qui aggrave encore la pénurie que nous connaissons.

Il est donc impératif d'agir vite et fort. L'État ne peut pas rester spectateur face à cette dérive. Nous devons affirmer clairement que toute agression contre un soignant est une attaque contre notre pacte social.

Nous ne pouvons pas accepter que celles et ceux qui nous soignent ne soient pas mieux protégés. Il nous faut sanctuariser la santé des Français. C'est tout l'objet de la proposition de loi que nous examinons et que la ministre Agnès Firmin-Le Bodo a soutenue l'année dernière.

Grâce à ce texte, les infractions de violences volontaires, mais aussi de vol, seront punies plus sévèrement en cas de commission au sein d'établissements de santé ou à l'encontre de leurs employés.

La violence psychologique n'est pas davantage acceptable ; nous n'acceptons pas sa banalisation. Le délit d'injure sera donc, lui aussi, plus lourdement puni.

Cependant, aggraver les peines ne suffit pas si nous ne facilitons pas les poursuites. Le texte ouvre ainsi à l'employeur la faculté de déposer plainte, à condition toutefois de recueillir l'accord de l'employé victime. Il nous semble que cette mesure permettra des poursuites plus systématiques, sans pour autant méconnaître les droits de la partie civile.

Nous devons afficher la plus grande fermeté en la matière.

Je veux, à cet égard, saluer le travail de la justice. Le taux de réponse pénale s'agissant de ces affaires est excellent, puisqu'il dépasse les 90 %.

Ainsi, je me félicite de la condamnation à trois mois et six mois de prison ferme prononcée par le tribunal de Thonon-les-Bains à l'encontre des auteurs de l'agression commise à l'encontre de plusieurs soignants aux urgences de l'hôpital privé d'Annemasse. Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, de vous être rendu sur place pour soutenir les personnels en ces moments difficiles.

En revanche, les victimes sont encore trop peu nombreuses – moins d'un tiers – à donner des suites judiciaires à leur agression. Nous souhaitons que cela devienne plus systématique : la peur doit changer de camp.

Notre collègue Daniel Chasseing, médecin, a déposé deux amendements que nous vous proposons d'adopter. Il s'agit de permettre aux professionnels de santé de conserver l'anonymat lorsqu'ils effectuent un signalement de violences intrafamiliales. De même, un tel dispositif serait utile concernant les violences sur mineurs.

Voilà qui permettrait de lever les obstacles à ces signalements qui constituent, bien souvent, l'une des rares possibilités de faire cesser le calvaire des victimes. En effet, par crainte de représailles, de nombreux cas de violences ne font pas l'objet de signalement. Nous avons l'occasion de changer cela.

Ce texte traduit une prise de conscience, mais il envoie aussi un message : la République soutient et protège les personnels soignants, elle ne tolérera aucune agression à leur encontre.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera à l'unanimité en faveur de l'adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Khalifé Khalifé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Khalifé Khalifé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne pensais pas, quand je suivais mes études médicales, et encore moins lorsque j'effectuais ma longue carrière hospitalière, que les parlementaires seraient un jour obligés de légiférer pour renforcer la sécurité des professionnels de santé.