Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Communication relative à des commissions mixtes paritaires
Souveraineté énergétique de la France
Déclaration du Gouvernement suivie d'un débat
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
candidatures à une commission mixte paritaire
Personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982
Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission
proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982
Intitulé de la proposition de loi
Sécurité des professionnels de santé
Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission
PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché
proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé
nomination de membres d'une commission mixte paritaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Jean-Michel Arnaud,
M. Bernard Buis.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
Communication relative à des commissions mixtes paritaires
M. le président. J'informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées d'élaborer respectivement un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi renforçant la lutte contre les fraudes aux aides publiques et un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à aménager le code de la justice pénale des mineurs et certains dispositifs relatifs à la responsabilité parentale sont chacune parvenues à l'adoption d'un texte commun.
3
Souveraineté énergétique de la France
Déclaration du Gouvernement suivie d'un débat
M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la souveraineté énergétique de la France.
La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, INDEP et Les Républicains.)
M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout le monde le sent bien : la question de la souveraineté énergétique est celle-là même de notre indépendance.
Pour dire les choses crûment, aujourd'hui, nous sommes dans une situation de dépendance : 60 % de l'énergie que nous consommons en France provient de sources fossiles, des hydrocarbures que nous importons. Ainsi, 40 % est issue du pétrole, et 20 % du gaz.
Cela pose, bien évidemment, des problèmes très préoccupants pour notre pays.
Cela pose un problème géopolitique, tout d'abord, car cette dépendance et cette vulnérabilité stratégique vis-à-vis de pays producteurs de pétrole et de gaz sont particulièrement sensibles. Il suffit d'énoncer des États comme l'Arabie Saoudite, la Russie ou les États-Unis pour mesurer à quel point, ces dernières années, cette dépendance a été à l'origine d'une difficulté politique pour notre pays.
Cela pose un problème écologique, ensuite, car ces quelque 1 000 térawattheures – soit 1 000 milliards de kilowattheures – provoquent l'émission de 280 millions de tonnes de CO2. Cette situation est en contradiction avec les engagements que nous avons pris en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En effet, nous nous sommes fixé pour objectif d'atteindre la neutralité carbone en 2050, c'est-à-dire l'équilibre entre les émissions de CO2 et l'absorption de carbone par la nature et par les technologies de capture, lorsque ces dernières existeront.
Cela pose un problème financier, enfin. Voilà trois semaines, j'ai exposé devant nos compatriotes l'état de nos finances publiques, notamment la gravité de notre déficit commercial. Ce dernier s'élève aujourd'hui à 100 milliards d'euros par an. Sur ce montant, le poste consacré aux hydrocarbures en représente près de la moitié.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C'est vrai !
M. François Bayrou, Premier ministre. Cette situation nous place dans un état d'urgence énergétique. Il y a une bonne nouvelle, toutefois : il existe une stratégie pour sortir de cette impasse, parce que nous disposons d'une partie des ressources requises et que la France maîtrise une proportion importante des technologies nécessaires.
La question qui se pose maintenant est celle de l'équilibre de notre politique énergétique.
Différentes sources d'énergie existent. Lesquelles mobiliser ? Quelle combinaison trouver entre celles-ci ? Comment ce mix énergétique doit-il être composé et équilibré ? C'est là que commence notre débat. (Marques d'approbation sur des travées du groupe Les Républicains.)
Permettez-moi cependant, avant d'entrer dans le vif du sujet, de dire un mot sur la méthode adoptée par le Gouvernement dans l'élaboration de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).
La précédente programmation pluriannuelle de l'énergie date d'avril 2020. Nous arrivons au terme du délai de cinq ans que la loi fixe pour sa révision. Au-delà de la loi, ce sont les faits qui imposent de la réexaminer, car la perspective sous-tendant le texte de 2020 est absolument renversée par l'actuel état du monde et les nécessités nouvelles auxquelles nous devons faire face.
Comment continuer comme si de rien n'était et être crédibles, si nous sommes sous l'empire d'un texte datant de 2020 qui prévoyait de fermer quatorze réacteurs nucléaires, alors que, selon les analyses plus récentes qui ont suivi le discours du Président de la République à Belfort du mois de février 2022, il convient d'en créer quatorze nouveaux ? Mesurons-nous à quel point le monde a changé en cinq années ?
La commission d'enquête sénatoriale portant sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050 a d'ailleurs très bien souligné la nécessité de la relance du nucléaire dans les conclusions qu'elle a rendues au mois de juillet dernier.
Nous devons assurer notre propre équilibre énergétique. Le travail en ce sens sera éclairé par l'avis des autorités prévues par la loi. Nous entendons y ajouter l'avis d'instances compétentes, par exemple celui de l'Académie des sciences. Cet équilibre doit également être défini avec les forces politiques, sociales et économiques de notre pays. Trois concertations ont eu lieu en 2023, en 2024 et au début de l'année 2025.
Maintenant, c'est la voix de la représentation nationale que le Gouvernement écoutera attentivement et dont il souhaite examiner les affirmations. C'est pourquoi, lundi 28 avril, un débat s'est tenu à l'Assemblée nationale, au cours duquel toutes les sensibilités se sont exprimées. Cet après-midi, c'est vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement entendra. Sachez que le Gouvernement s'engage à prendre en compte et à analyser chaque avis et chaque observation qui seront formulés.
C'est pourquoi j'ai également annoncé le lancement d'un groupe de travail parlementaire sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, lequel mènera les auditions nécessaires et les études complémentaires. J'ai ainsi fait appel au sénateur Daniel Gremillet et au député Antoine Armand, qui ont fait preuve de leur engagement et de leur connaissance du dossier, ainsi que de leur attachement à la souveraineté énergétique de la France.
C'est pourquoi la publication du décret interviendra après l'examen par l'Assemblée nationale de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie du sénateur Gremillet.
Je veux saluer, depuis cette tribune, le travail mené au sein de la Haute Assemblée, lequel a permis d'aboutir à un texte qui prévoit une programmation ambitieuse, mais réaliste pour notre pays, avec pour horizon l'objectif de souveraineté et de neutralité carbone.
Dans le débat qui se tient cet après-midi, le Gouvernement n'a rien à imposer. Cette programmation pluriannuelle de l'énergie n'est pas écrite à l'avance. Toutes les analyses seront prises en compte avant sa rédaction finale. Tel était votre souhait, monsieur le président.
Ce que veut avant tout le Gouvernement, c'est un retour à la raison énergétique et budgétaire, démarche qui s'appuiera sur la science et les faits. Nous ne pouvons nous permettre de mauvais placements. Les choix d'investissement de la puissance publique doivent être réfléchis, s'inscrire dans une stratégie claire et durable et dépendre des critères essentiels exposés par le Président de la République lors de son discours de Belfort : nous devons disposer d'une énergie abondante, compétitive, décarbonée et souveraine, c'est-à-dire dont nous maîtriserons la production sur notre sol.
J'en reviens au fait initial : nous sommes, hélas ! dépendants des énergies fossiles. Pour sortir de cette dépendance, trois moyens se présentent à nous.
Tout d'abord, partout où c'est possible, nous devons encourager l'efficacité et la sobriété énergétiques. Le kilowattheure le plus sobre et le moins cher, c'est le kilowattheure économisé. Ainsi, la programmation pluriannuelle de l'énergie vise à une diminution de la consommation en énergie finale, laquelle pourrait atteindre 38 térawattheures par an sur la période 2024-2030. Comment atteindre une telle réduction, sinon d'abord grâce à une meilleure efficacité énergétique ?
Ensuite, le cheminement vers une énergie plus décarbonée passe par une large électrification des usages, qui concerne tant les foyers que les équipements de mobilité, sans oublier la réindustrialisation.
Enfin, il est des domaines que nous n'explorons pas ou pas assez. Je pense à la chaleur renouvelable issue de la biomasse, c'est-à-dire la transformation de matière organique en énergie. J'insiste également sur la géothermie, gisement inépuisable et potentiellement gratuit d'énergie, une fois les investissements amortis, qui permet de réaliser dans les logements équipés 80 % d'économies d'énergie pour le chauffage et 90 % pour la climatisation. Avec l'évolution du climat, il est plausible que nous ayons besoin des deux.
Le Gouvernement a donc la volonté d'accélérer le déploiement de ce mode de production non polluant. Je rappelle que, sur une demande que je lui ai adressée alors que j'avais la responsabilité du Haut-Commissariat au plan, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a estimé à 100 térawattheures annuels le potentiel d'économies de gaz accessible en quinze à vingt ans grâce à la géothermie de surface. Cela équivaut environ – j'ai conscience de l'immensité de ce chiffre –, si nous sommes volontairement optimistes, à 20 % de la production de nos centrales nucléaires.
C'est un trésor sur lequel nous sommes assis ou plutôt sur lequel nous sommes debout. Si j'ai moi-même proposé des études, lorsque j'étais à la tête du Haut-Commissariat au plan, nous n'avons pas été seuls dans ce combat. Ainsi, le sénateur Rémi Cardon a publié l'année dernière une note sur la réindustrialisation pour la Fondation Jean-Jaurès. Il y encourage le développement de cette énergie, qui permet de répondre « tout autant à l'enjeu de la territorialisation de notre industrie qu'à celui de la transition énergétique indispensable pour les années à venir » : « aucune autre vision territorialisée de la réindustrialisation ne saurait mieux s'incarner qu'à travers la géothermie ». Il va sans dire que je partage totalement cette vision.
Pour que cette chance puisse être saisie, des conditions doivent être remplies. Au mois de juin prochain, le Gouvernement formulera des propositions pour développer la filière française dans tous les domaines, à commencer par le forage, car nous avons depuis très longtemps perdu l'habitude de former des foreurs en nombre suffisant. La production et l'installation de pompes à chaleur sont aussi concernées.
Surtout, la clé de ce développement consiste à trouver les modèles de financement efficaces facilitant l'installation de pompes à chaleur dans les foyers français à des coûts moins prohibitifs. En effet, le modèle de prêt que nous préconiserons sera étalé dans le temps.
Toutes ces actions complémentaires permettront de réduire notre dépendance aux énergies fossiles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous mesurez la logique de cette dynamique d'électrification de nos usages : la consommation d'électricité décarbonée prendra progressivement la place de l'utilisation du gaz ou du pétrole.
Certes, la consommation d'électricité a triplé de 1973 à 2010, mais elle ne représente aujourd'hui que 27 % de l'énergie finale consommée. L'Académie des sciences a très justement noté une stagnation, depuis 2010, de notre consommation d'électricité, autour de 450 térawattheures annuels.
L'électrification des usages est un objectif que le Gouvernement poursuit activement. Elle concerne notre industrie, nos transports et le bâtiment.
Dans le secteur industriel, des trajectoires sont ainsi engagées pour décarboner les cinquante sites les plus émetteurs de dioxyde de carbone, avec un soutien public fort via France 2030. Tout le monde l'a en tête : une électricité compétitive, reflétant les coûts du nucléaire existant, est bénéfique aux industriels. Toutefois, il est aussi dans l'intérêt d'EDF d'encourager cette demande d'électricité en base, particulièrement adaptée à son outil de production nucléaire. Nous estimons que tout notre pays bénéficiera de ce grand accord gagnant-gagnant, essentiel pour notre stratégie de réindustrialisation.
Dans le secteur des transports, le bonus et le leasing social, ainsi que les incitations financières à électrifier les flottes d'entreprise, doivent stimuler la demande de véhicules électriques fabriqués en Europe.
Dans le domaine du bâtiment, grâce à MaPrimeRénov' et aux certificats d'économies d'énergie (CEE), le Gouvernement encourage, partout où cela est techniquement possible, le passage aux pompes à chaleur, d'autant que ces dernières sont souvent fabriquées en France.
Si le développement de la production devait toutefois être plus rapide que la croissance de la demande française, l'exportation continuera de fournir un débouché à l'énergie produite. Nous ne cherchons pas à surproduire, mais la surproduction est un mal moindre que la sous-production, surtout pour un pays comme le nôtre, qui connaît une balance commerciale très déficitaire.
Chaque source d'électricité doit donc être jugée à l'aune des critères que j'ai mentionnés, en toute transparence et en toute objectivité : électricité souveraine, électricité abondante, électricité compétitive, électricité décarbonée. Si ces quatre conditions sont remplies, il faut investir ; dans le cas contraire, nous ne devons pas hésiter à remettre en cause nos choix.
À cet égard, je note une convergence entre les orientations du Gouvernement et celles qui sont développées dans la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie de Daniel Gremillet, adoptée par le Sénat le 16 octobre dernier. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Fabien Gay s'exclame.)
L'une de nos convictions communes est que le socle de notre mix électrique doit être la production d'énergie nucléaire, grâce à laquelle la France est aujourd'hui une véritable puissance électrique et la première exportatrice d'électricité en Europe en 2023.
Décarbonée, souveraine, abondante, compétitive : l'énergie nucléaire remplit tous les critères annoncés.
Il s'agit d'une énergie décarbonée. C'est parce que nous disposons du nucléaire que notre système électrique actuel a l'un des taux d'émission de CO2 par kilowattheure d'électricité les plus bas au monde : 21,3 grammes, contre 350 pour nos voisins allemands, qui se sont privés de l'atout nucléaire.
Il s'agit d'une énergie souveraine. La France a développé, dans le domaine du nucléaire, une filière industrielle nationale complète, qui lui permet de maîtriser la conception et la construction de ses propres installations de production d'électricité, d'enrichissement d'uranium et de fabrication du combustible, en passant par le recyclage. Le nucléaire permet à la France d'être, dans ce secteur, indépendante, ce qui est une force considérable pour notre souveraineté énergétique.
Nous savons bien que nous n'avons plus de mines actives sur notre sol, mais nous disposons de stocks importants d'uranium, nous garantissant des années de disponibilité du combustible. Le conseil de politique nucléaire présidé à la mi-mars par le Président de la République a également validé une stratégie de développement des activités minières d'Orano.
Il s'agit, enfin, d'une énergie compétitive. Le coût complet de l'électricité nucléaire a ainsi été estimé par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) à environ 60 euros par mégawattheure, ce qui est particulièrement avantageux par rapport aux autres moyens de production, et qui explique que notre électricité soit moins chère qu'ailleurs en Europe.
Au regard de ces caractéristiques, il est juste que nous investissions dans cette filière. Il est juste que le choix d'une véritable relance du nucléaire, déterminée et continue ait été fait.
Pour autant, nous ne pouvons nous reposer sur les investissements réalisés, si judicieusement, dans les années 1970, dans le cadre du plan Messmer. Ce dernier a permis de doter la France de réacteurs nucléaires en un temps record et d'assurer à notre pays son indépendance énergétique.
Nous devons prendre conscience du fait que, si nous ne faisons rien, un abîme dangereux risquerait de s'ouvrir sous nos pieds. En effet, l'essentiel de notre parc ayant été mis en service entre 1980 et 1995, ses capacités de production pourraient s'arrêter d'ici à 2040, si nous étions négligents. Le risque serait alors celui de ce que les observateurs appellent l'effet falaise : une chute brutale de la production d'électricité en quelques mois.
Afin de lisser cet effet falaise, nous devons tout mettre en œuvre pour prolonger, en toute sécurité, le fonctionnement de notre parc nucléaire. De nombreux experts évoquent une durée de soixante ans, voire davantage, en respectant toutes les exigences de sûreté, lesquelles, de surcroît, sont constamment renforcées.
Il nous faut aussi préparer l'avenir et investir dans le nouveau nucléaire français. Le Gouvernement soutient donc fermement le développement du programme EPR2 (Evolutionary Power Reactor 2), qui vise à construire six nouveaux réacteurs de forte puissance, pour une première mise en service d'ici à 2038. Certes, ces réacteurs seront plus coûteux que les réacteurs existants déjà amortis, mais ils devraient produire une électricité à un prix maximal de 100 euros le mégawattheure.
M. Fabien Gay. Vraiment, 100 euros ?
M. François Bayrou, Premier ministre. Ce programme est la priorité d'EDF pour les années à venir. Nous en connaissons bien l'enjeu : il s'agit de démontrer la maîtrise industrielle de l'entreprise, afin d'envisager la construction de nouveaux réacteurs. Il en est prévu quatorze au total d'ici à 2050, dont le coût unitaire devrait baisser grâce à l'effet de série.
Nous devons également envisager de repousser la frontière technologique du nucléaire, en encourageant le développement des projets français de petits réacteurs nucléaires et en progressant dans la fermeture du cycle nucléaire. Cela passe notamment par le développement d'installations de traitement-recyclage et de réacteurs de quatrième génération à neutrons rapides, ainsi que l'a décidé le dernier conseil de politique nucléaire. Grâce à ce nouveau nucléaire, nous avons l'espoir d'annuler environ la moitié de l'effet falaise d'ici à 2050.
Le récent accident qui a touché l'ensemble de la péninsule ibérique a montré une chose, du moins si l'on écoute attentivement les experts les plus pertinents de notre système de distribution : il est dangereux de concentrer l'ensemble de la consommation sur une seule source d'énergie.
M. Guillaume Gontard. Exactement !
M. François Bayrou, Premier ministre. Notre meilleure garantie, c'est un équilibre qui comprend les énergies renouvelables, particulièrement celles qui sont immédiatement pilotables. En particulier, je rappelle les vertus de l'hydroélectricité, laquelle permet de mobiliser instantanément des puissances considérables et qui dispose de la capacité de stockage la plus significative.
Mme Cécile Cukierman. Oui. C'est pourquoi nous luttons contre la privatisation de l'hydroélectricité !
M. François Bayrou, Premier ministre. Ainsi, ces sources d'énergie renouvelable méritent un soutien raisonné. Cet équilibre est une garantie. Le mix électrique qui nous paraît le plus à même d'assurer à la France une indépendance énergétique suppose d'associer à notre première orientation, pronucléaire, celle du soutien raisonné aux énergies renouvelables, qui est aussi affirmé dans la proposition de loi de M. Daniel Gremillet récemment adoptée par le Sénat.
Par soutien raisonné, j'entends un soutien progressif, suivant certaines conditions, qui correspondent aux quatre critères précédemment énoncés.
Une énergie décarbonée ? Cela suppose de prendre en compte dans le bilan objectif le carbone émis lors de la fabrication des équipements nécessaires à la production de l'énergie.
Une énergie abondante ? La question qui se pose est plutôt celle de la disponibilité de ces énergies, qui sont intermittentes, donc difficilement pilotables. Pour certaines énergies renouvelables, comme le solaire, les pics de production ne correspondent pas aux pics de consommation. Ainsi, l'énergie solaire est surtout produite à la mi-journée, à un moment où la consommation est plus faible. Pour traiter ce problème, il faut accentuer la flexibilité de nos usages et déplacer la demande vers les heures méridiennes, ce que permettra l'évolution prochaine des heures creuses. Il faut également développer les capacités de stockage. En outre, nous devons prendre en compte, comme l'a souligné M. Jean-François Longeot dans le récent courrier qu'il m'a adressé, le repowering, qui permet d'augmenter la capacité des installations existantes.
Les énergies renouvelables sont-elles souveraines et compétitives ? J'aimerais ici soulever toutes les questions qui demeurent et auxquelles notre débat doit, je crois, apporter des réponses.
Tout d'abord, force est de constater que, pour le moment, nous ne maîtrisons pas la filière photovoltaïque.
Mme Cécile Cukierman. Et pour cause !
M. François Bayrou, Premier ministre. Nous importons aujourd'hui la quasi-totalité de nos panneaux photovoltaïques, à 85 % en provenance de Chine, de sorte que notre déficit commercial dans ce domaine est de 1,1 milliard d'euros en 2024.
M. Fabien Gay. Eh voilà !
M. François Bayrou, Premier ministre. Le Gouvernement souhaite accompagner les projets de gigafactories, pour localiser en France la production d'une partie des panneaux solaires que nous installons. Ces projets, qui doivent encore être consolidés, sont essentiels pour que notre politique énergétique aille de pair avec notre politique industrielle.
J'en viens à la compétitivité. L'énergie photovoltaïque nous revient à environ 100 euros le mégawattheure, lorsqu'elle est installée sur toitures.
Elle pourrait être très compétitive si l'on disposait de grandes installations au sol, dans des endroits très ensoleillés. C'est le cas en Espagne, où le prix de l'énergie descend jusqu'à 40 euros le mégawattheure.
Une question ne peut être éludée : sommes-nous prêts à accepter l'artificialisation de très grandes surfaces afin de développer, dans les régions qui s'y prêteraient, une production massive d'énergie solaire très bon marché ? (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)
L'éolien constitue l'autre grande source d'électricité renouvelable intermittente. L'éolien terrestre est doté d'équipements principalement importés. Son coût de revient est assez compétitif, entre 80 et 90 euros le mégawattheure. Toutefois, son acceptabilité diminue à mesure que le nombre d'éoliennes augmente.
C'est pourquoi le développement de cette source d'énergie ne peut être que mesuré, toujours selon les recommandations de M. Longeot, en privilégiant l'augmentation de la puissance des champs éoliens existants.
Contrairement à ses voisins de la mer du Nord, la France a accusé un certain retard dans le développement de la filière de l'éolien en mer. Cela lui offre l'avantage un peu paradoxal de ne pas avoir à essuyer les plâtres, si j'ose dire.
Aujourd'hui, une filière industrielle est en train de se développer, non seulement avec la fabrication de turbines, notamment au Havre, de pales d'éoliennes à Cherbourg et de sous-stations électriques à Saint-Nazaire, mais aussi avec un projet d'usine de câble sous-marin, conduit par Réseau de transport d'électricité (RTE), et des investissements importants dans plusieurs ports français.
L'éolien en mer produit-il une énergie compétitive ? Oui, si l'on parle d'éolien en mer posé. En se fondant sur les coûts constatés lors des derniers appels d'offres, son coût total est compris entre 70 et 80 euros le mégawattheure, en intégrant le coût du raccordement.
Si elle est très adaptée à la mer du Nord, qui est peu profonde, cette technologie l'est beaucoup moins pour nos autres façades maritimes, surtout si, pour des raisons d'acceptabilité, nous souhaitons éloigner les éoliennes de la côte. Dans ce cas, la technologie de l'éolien flottant peut être envisagée, mais elle est plus risquée et plus coûteuse – de l'ordre de 150 euros le mégawattheure, raccordement compris.
C'est un domaine dans lequel la France se situe à la frontière technologique. Nous avons donc besoin d'avancer avec mesure.
Je l'ai dit, je souhaite que ce débat n'élude aucune question et serve à exprimer la vérité la plus simple. La coexistence à long terme des énergies renouvelables et du nucléaire dans notre mix électrique est une question que nous devons traiter.
La semaine dernière, de nombreux députés ont exprimé des inquiétudes sur ce sujet. Je répondrai à trois d'entre elles.
Premièrement, les énergies renouvelables risquent-elles de déstabiliser le système de production ?
Le nucléaire a pris une part importante au sein de notre mix électrique à partir des années 1980. De ce fait, sa modulation est une réalité ancienne à laquelle nous sommes habitués. Elle permet de suivre les variations de la consommation au sein d'une même journée.
Si nous électrifions davantage nos usages et réussissons notre réindustrialisation, la demande électrique augmentera et le nucléaire devra beaucoup moins moduler à la baisse. Cela limitera les effets de concurrence entre les énergies renouvelables et le nucléaire.
J'ajoute quelques mots sur le blackout intervenu la semaine dernière dans la péninsule ibérique. Une analyse provisoire nous permet de penser que la situation de la France n'est pas absolument comparable à celle de l'Espagne.
Tout d'abord, la part des énergies renouvelables dans notre mix électrique est bien moindre : 27%, contre 52 % en Espagne en 2023.
Ensuite, le nucléaire est le socle de notre mix électrique et a vocation à le rester. En outre, nous avons l'énergie hydroélectrique pour atout.
Enfin, notre situation géographique nous permet de bénéficier de plus grandes et utiles interconnexions.
Pour ces raisons, nous sommes structurellement moins à risque ; je le dis toutefois avec prudence. Il n'empêche que nous continuerons à veiller à la sécurité et à la continuité de notre approvisionnement électrique.
Deuxièmement, le prix des énergies renouvelables risque-t-il d'augmenter la facture d'électricité des Français ?
Nous devons comparer ce qui est comparable et considérer les coûts complets, c'est-à-dire les coûts de production, auxquels s'ajoutent les besoins en flexibilité et les coûts d'adaptation du réseau. C'est ce que je me suis efforcé à faire devant vous pour chaque source d'énergie que j'ai mentionnée, mesdames, messieurs les sénateurs.
Le coût complet de l'électricité renouvelable, intégrant le coût du soutien public, doit être un élément déterminant dans chacune de nos décisions. Nous devons déployer les filières les plus compétitives, tout en poursuivant le développement des filières en devenir, afin de rester à la frontière technologique.
Troisièmement, le coût des énergies renouvelables pour la collectivité s'élève-t-il à 300 milliards d'euros, comme nous avons pu l'entendre ?
Il faut ici être mesuré et critique, au vrai sens du terme, c'est-à-dire distinguer précisément les éléments dont nous parlons. Ce montant inclut tout d'abord les coûts des réseaux jusqu'en 2040, soit 100 milliards d'euros pour les réseaux de transport et 100 milliards d'euros pour les réseaux de distribution, dont une partie minoritaire concerne l'adaptation du réseau au changement climatique, la modernisation de lignes installées il y a parfois cent ans et le raccordement de nouveaux clients. Je pense notamment aux nouveaux réacteurs nucléaires ou aux data centers, qui sont extrêmement gourmands en énergie.
Les 100 milliards d'euros restants correspondent à une estimation maximaliste du coût du soutien public jusqu'en 2060, par le biais du mécanisme de tarif d'achat garanti de l'électricité. Si le prix de marché est inférieur au prix de référence, l'État paie la différence ; à l'inverse, si le prix de marché est supérieur, les producteurs reversent des recettes à l'État.
La programmation annuelle de l'énergie, telle qu'elle est actuellement envisagée, retient un scénario de prix médian, selon lequel le coût du soutien public à la production d'énergie éolienne et photovoltaïque devrait être compris entre 31 milliards et 50 milliards d'euros.
Étant donné la difficulté à prévoir l'évolution des prix de l'électricité, nous devons, dans un souci de vérité, envisager plusieurs scénarios possibles. Si les prix sont bas, le soutien public pourrait avoisiner les 100 milliards d'euros. En revanche, si les prix sont élevés, l'État empocherait 42 milliards d'euros.
Quoi qu'il en soit, je serai attentif à ce que la programmation annuelle de l'énergie, dans sa version finale, optimise le coût des énergies renouvelables pour la collectivité. Je pense que des améliorations sont possibles sur ce point.
Au sein du mix d'énergies renouvelables, je n'oublie pas nos barrages hydroélectriques, sources – au sens littéral du terme – d'énergie, qui nous permettent d'injecter rapidement de grandes quantités d'électricité.
Il est nécessaire de relancer les investissements dans cette énergie particulièrement vertueuse, ce qui suppose de sortir du contentieux avec la Commission européenne qui nous paralyse depuis plus de quinze ans.
L'hydroélectricité est, à ce jour, le moyen le plus efficace pour stocker de grandes quantités d'électricité. C'est une énergie souveraine qui permet d'assurer entre 10 % et 15 % de notre production électrique, en fonction des années et de la météo, et dont la flexibilité est essentielle au bon fonctionnement de notre système électrique.
Je dirai un mot enfin de l'hydrogène, méthode de stockage direct d'électricité non dépendante des réseaux. Le 15 avril dernier, l'État a présenté sa nouvelle stratégie nationale, qui prend en compte la réalité du temps de développement des électrolyseurs.
Cette stratégie met l'accent sur le développement de l'hydrogène dans l'industrie et les mobilités lourdes, avec des dispositifs de soutien pour décarboner les usages dans ces secteurs. Le développement des biogaz, des biocarburants et des carburants de synthèse doit permettre d'atteindre le même objectif.
Enfin, nous devons tenir compte de la dernière source d'électricité dont nous disposons : les énergies fossiles. Il faut regarder avec lucidité la situation actuelle, même si nous n'aurons plus à parler de cette source d'énergie à l'avenir.
Notez que ces énergies restent marginales dans notre mix électrique, puisqu'elles ne représentent que 3,7 % de notre production totale d'électricité.
La France doit mettre à l'arrêt l'ensemble de ses centrales à charbon d'ici à 2027, conformément à l'engagement pris par le Président de la République de sortir notre pays de la dépendance aux énergies fossiles d'ici à 2050.
Dans cette perspective, le Gouvernement a soutenu la loi visant à convertir des centrales à charbon vers des combustibles moins émetteurs en dioxyde de carbone pour permettre une transition écologique plus juste socialement, qui permet la conversion au gaz de la centrale à charbon de Saint-Avold.
Il convient désormais de traduire cette avancée dans la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie. En effet, le gaz émet deux à trois fois moins de CO2 que le charbon pour produire la même quantité d'énergie, et encore moins si l'on recourt au biogaz issu de la biomasse.
Les quatorze centrales à gaz dont nous disposons n'ont pas vocation à beaucoup fonctionner dans l'année, mais, en complément des barrages hydroélectriques, elles constituent des moyens de production très flexibles et utiles pour absorber les variations de la demande ou de l'offre d'électricité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans notre réflexion sur la souveraineté énergétique de notre pays, deux mots doivent guider nos analyses : prospective et perspective. Il s'agit en effet de voir les choses dans l'espace et dans le temps.
C'est bien ce que le Gouvernement a cherché à faire. Dans la présente déclaration, vous avez entendu les orientations qui sont les nôtres, vous avez entendu une parole fondée sur des faits et des données précises et rigoureuses, vous avez aussi entendu les interrogations qui demeurent.
S'ouvre maintenant le débat.
Je veux réaffirmer, ici, que nous serons très attentifs aux arguments avancés par tous ceux qui interviendront, car c'est d'arguments fondés sur des faits et des données objectives que nous avons besoin. Si des éléments nous ont échappé, nous les intégrerons à notre raisonnement sans hésiter.
Les choix que le Parlement et le Gouvernement prendront de manière coresponsable engageront pour des décennies l'avenir de notre pays, sur l'un des principaux socles de notre équilibre économique, écologique et social.
Ces décisions lourdes méritent d'être éclairées par un débat honnête et exigeant, guidé par la raison et le sens de l'intérêt général. (Applaudissements sur les traves des groupes UC, RDSE, RDPI, INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, il est heureux que la programmation énergétique soit de nouveau inscrite à l'agenda.
Lors de sa déclaration de politique générale, le 1er octobre 2024, le Premier ministre Michel Barnier avait annoncé la reprise immédiate des travaux de programmation en la matière, de même que la relance de l'énergie nucléaire, filière industrielle d'excellence.
Dans votre déclaration de politique générale, le 14 janvier 2025, monsieur le Premier ministre, vous avez confirmé la reprise de ces travaux et la relance de cette filière. Le 28 avril dernier, vous avez annoncé l'examen par l'Assemblée nationale de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, d'ici à la fin du mois de juin – pour rappel, ce texte a largement été adopté au Sénat, le 16 octobre 2024 –, ainsi que la publication du décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, d'ici à la fin du mois de septembre prochain.
Un groupe de travail, conduit par le député Antoine Armand et moi-même, rendra ses conclusions sur ce décret prochainement.
Ce sont de bonnes nouvelles, de réelles avancées dont nous nous félicitons. Le « socle commun » démontre ainsi sa capacité à avancer, à débattre, à légiférer sur le sujet ô combien sensible de l'énergie.
Je me réjouis que le Gouvernement ait clairement choisi la voie parlementaire en proposant un débat sur le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie et la poursuite de l'examen de la proposition de loi sénatoriale précitée.
Je suis convaincu qu'un débat public rationnel, reposant sur la science et valorisant la technique, nous permettra de définir ensemble la trajectoire industrielle nécessaire à notre souveraineté et transition énergétiques.
En tant que législateurs, il est de notre responsabilité de définir notre cap à l'issue d'une délibération parlementaire, garante de l'intérêt général et de la légitimité démocratique.
La commission des affaires économiques – mais aussi le Sénat dans son ensemble – a plaidé de façon constante à la fois pour actualiser notre programmation énergétique et pour légiférer sur ce sujet.
C'est elle qui a fixé le principe d'une loi quinquennale sur l'énergie, lors du vote de la loi relative à l'énergie et au climat, dite Énergie-climat, en 2019.
C'est également elle qui a fait adopter la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, déposée notamment par Dominique Estrosi Sassone, Bruno Retailleau et moi-même.
Ce texte a été largement coconstruit avec le Gouvernement – en témoigne l'adoption de onze amendements sénatoriaux. La ministre Olga Givernet l'a pleinement soutenu, en levant symboliquement le gage.
Cette proposition de loi fait aujourd'hui l'objet d'échanges tout aussi constructifs avec le ministre Marc Ferracci. Alors que le Gouvernement s'apprête à l'inscrire à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale, je tiens à saluer l'engagement du Premier ministre et du ministre chargé de l'industrie et de l'énergie, ainsi que de leurs cabinets et services respectifs.
Ce texte est crucial pour conférer au nouveau décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie la sécurité juridique nécessaire.
Légiférer est une obligation légale, car l'article L. 100-1 A du code de l'énergie dispose qu'une loi de programmation prévaut sur le décret sur la programmation pluriannuelle. De plus, nos objectifs énergétiques nationaux ne sont pas à jour par rapport aux objectifs européens fixés par les directives et les règlements du paquet Ajustement à l'objectif 55, en 2021.
Il faut donc s'atteler à un exercice de transposition, en choisissant toujours les options les moins créatrices de normes et les plus protectrices de nos intérêts.
Légiférer est aussi une nécessité économique. En effet, la réussite de notre souveraineté et de notre transition énergétique suppose un État stratège, une programmation claire, des normes adaptées et des moyens suffisants.
La filière du nucléaire a besoin d'une assise législative et d'une légitimité politique pour mettre sa relance à l'abri des accroches contentieuses et des soubresauts politiques. On a trop souvent reproché au plan Messmer, qui faisait suite au premier choc pétrolier, d'avoir été pris par décret, de manière technocratique.
La filière des énergies renouvelables est aussi demandeuse d'une assise législative, pour diversifier la production ou modérer la consommation.
En fin de compte, je me réjouis que cette proposition de loi bénéficie d'un accueil très favorable au sein du secteur de l'énergie, qu'il s'agisse des filières économiques du nucléaire et du renouvelable ou des acteurs institutionnels – la Commission de régulation de l'énergie (CRE), le Médiateur national de l'énergie (MNE) et Réseau de transport d'électricité (RTE).
Le secteur de l'énergie n'a jamais été aussi stratégique. Face au protectionnisme américain et au bellicisme russe, qui exposent chaque jour la France et l'Europe à un risque de guerre économique, maîtriser notre approvisionnement énergétique est crucial. Cela suppose un véritable changement de perspective, à la fois des politiques publiques et des mentalités collectives.
Tout d'abord, il faut sortir d'une logique décroissante. Pendant trop longtemps, nous avons négligé, par idéologie ou par facilité, notre outil productif. Reconnaissons-le, la fermeture prématurée de la centrale nucléaire de Fessenheim ou des quatre dernières centrales à charbon a constitué une cruelle erreur.
Plus encore, il faut sortir d'une logique oppositionnelle. Cessons d'opposer l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables. En vérité, nous avons besoin de toutes les énergies décarbonées, à court terme, pour passer les pics de consommation hivernaux et, à long terme, pour réussir notre réindustrialisation et notre décarbonation.
Par ailleurs, arrêtons d'opposer le marché national et le marché européen de l'électricité. En effet, notre pays est, de très loin, le premier exportateur européen en la matière. Bien sûr, nous devons défendre avec force la définition de notre mix énergétique, qui relève de notre seule compétence nationale, et non de décisions bruxelloises – j'insiste sur ce point.
L'utilité de nos centrales nucléaires et la pérennité de nos concessions hydroélectriques doivent être pleinement reconnues par la législation européenne.
Je constate qu'il n'y a pas de fatalité et que les choses progressent depuis la création de l'Alliance européenne du nucléaire. À l'inverse, prétendre s'affranchir du marché européen de l'électricité n'est ni possible ni souhaitable.
Enfin, il faut sortir d'une logique attentiste. Trois ans après le discours de Belfort, en 2022, la construction des six EPR2 annoncés, voire des huit autres réacteurs envisagés, demeure encore abstraite. En effet, elle ne figure ni dans le cadre législatif ni dans le cadre réglementaire.
Il faut dire que, dans cette période d'instabilité gouvernementale, quatre Premiers ministres, quatre ministres de l'énergie et trois présidents-directeurs généraux d'EDF se sont succédé !
Nous avons aujourd'hui l'occasion unique de corriger le tir en inscrivant le nouveau nucléaire dans le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie et, surtout, dans la proposition de loi sénatoriale.
Sur le fond, ces deux textes sont totalement complémentaires. En effet, la plupart des objectifs convergent parfaitement, pour notre plus grande satisfaction.
Cependant, sur plusieurs points, le décret est parfois trop en retrait par rapport à la proposition de loi. Je pense notamment à l'énergie nucléaire, à l'hydroélectricité, aux bioénergies ou encore à la rénovation et à l'efficacité énergétiques.
Je l'ai dit, l'énergie nucléaire est cruciale pour offrir au pays une énergie pilotable, accessible, indépendante et décarbonée. Le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie confirme la construction de six EPR2 et du petit réacteur modulaire (SMR) Nuward (Nuclear forward). En revanche, il n'évoque que l'étude de huit autres EPR2.
De son côté, la proposition de loi prévoit d'engager la construction de six EPR2 d'ici à 2026 et de huit EPR2 et du SMR Nuward d'ici à 2030, puis de tendre à une capacité totale de 27 gigawatts pour le nouveau nucléaire d'ici à 2050.
Son objectif est de cranter a minima le scénario N03 envisagé par RTE, c'est-à-dire le plus nucléarisé, pour conserver un mix aux deux tiers nucléaire en 2030 et largement majoritaire en 2050.
La nécessité de préserver un mix fortement nucléarisé a bien été mise en évidence par la commission d'enquête portant sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050, conduite sous l'égide de nos collègues Vincent Delahaye et Franck Montaugé. C'est un constat que je tiens à saluer.
À l'évidence, la recherche est cruciale si nous voulons trouver de nouvelles voies pour diversifier la production et modérer la consommation d'énergie. C'est tout particulièrement le cas dans le secteur du nucléaire, industrie innovante qui s'inscrit dans le temps long.
Le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie évoque la mise au point de deux prototypes de petits réacteurs modulaires ou innovants d'ici à 2030 et la définition d'une feuille de route du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) sur les réacteurs à neutrons rapides (RNR) d'ici à 2026.
Je regrette que ce décret ne reprenne pas l'objectif d'une capacité de 4 gigawatts pour les petits réacteurs modulaires d'ici à 2050, issu du scénario N03. En outre, il est moins ambitieux que l'actuelle programmation pluriannuelle de l'énergie concernant les RNR, laquelle prévoit explicitement de maintenir « la perspective d'un éventuel déploiement industriel d'un parc de tels réacteurs ».
Le besoin de dynamiser la recherche et l'innovation dans le secteur du nucléaire a bien été rappelé par le rapport sur le développement des réacteurs nucléaires innovants en France, conduit au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) par notre collègue Stéphane Piednoir. Je partage les recommandations qui y sont formulées.
Outre l'énergie nucléaire, le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie fixe également des objectifs en matière d'énergies renouvelables et d'hydrogène, nucléaire comme renouvelable.
Concernant l'hydroélectricité, il évoque la résolution pour le renouvellement des concessions hydroélectriques. C'est une bonne chose. Il faudrait pourtant être plus explicite à la fois pour le groupe EDF, qui attend un dispositif robuste pour préserver ses concessions d'une ouverture à la concurrence, et pour la Compagnie nationale du Rhône (CNR), dont la concession a été prolongée pour vingt ans par la loi du 28 février 2022 relative à l'aménagement du Rhône, votée à l'unanimité, et qui semble ne demander aucune évolution.
Par ailleurs, le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie évoque une capacité additionnelle de 2,8 gigawatts d'ici à 2035 en matière d'hydroélectricité. Je souhaite que soit repris le chiffrage global de 29 gigawatts d'ici à 2035, proposé par la filière.
Les bioénergies sont essentielles pour décarboner, notamment les secteurs les plus difficiles à électrifier, comme l'industrie ou les transports. Concernant les biocarburants, le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit d'orienter progressivement les consommateurs vers les secteurs qui auront durablement peu d'alternatives.
Je propose que le décret autorise le recours aux biocarburants pour les automobiles, dès lors qu'un parc thermique continuera d'exister pendant encore de nombreuses années. Il faut aussi penser à nos concitoyens, qui n'auront pas les moyens d'acquérir un véhicule électrique, en dépit de la nécessité de décarboner les transports.
M. Laurent Burgoa. Très bien !
M. Daniel Gremillet. Pour ce qui est du biogaz, le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie fixe un objectif de 15 % dans la consommation de gaz d'ici à 2030. Je suggère de retenir l'objectif encore plus ambitieux de 20 %, suggéré par la filière.
Enfin, l'hydrogène, nucléaire ou renouvelable, est lui aussi particulièrement intéressant pour décarboner les secteurs de l'industrie ou des transports, difficiles à électrifier. Le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie fixe un objectif de 4,5 gigawatts d'ici à 2030, très en deçà de la proposition de loi sénatoriale et de l'ancienne stratégie nationale de l'hydrogène décarboné, qui visent toutes deux un objectif de 6,5 gigawatts.
Cela envoie un très mauvais signal à la filière, qui attend la mise en œuvre concrète du mécanisme de soutien public introduit par la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et Résilience. Vous le savez, la bataille pour l'hydrogène se joue dans le monde entier.
J'en viens à la rénovation et l'efficacité énergétiques. Le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie évoque 600 000 rénovations énergétiques par an d'ici à 2030 et un minimum de 825 térawattheures d'économies par an, contre 900 000 rénovations et 1 250 térawattheures dans la proposition de loi sénatoriale.
Une plus grande cohérence et une plus grande ambition peuvent donc être recherchées sur ces sujets.
Le décret sur la programmation pluriannuelle de l'énergie me semble positif. C'est la raison pour laquelle je le soutiens pleinement, à condition qu'il soit conforté par la proposition de loi sénatoriale et qu'il soit ajusté sur les différents points que j'ai indiqués.
Je suis convaincu que nous avons la capacité et l'opportunité d'aboutir enfin sur ce long chantier de la programmation énergétique. Il est crucial, pour notre souveraineté et notre transition énergétique que nous disposions rapidement d'un cadre législatif et règlementaire cohérent et robuste. C'est ce que les entreprises et les collectivités attendent pour mener concrètement leurs projets.
Une fois ce chantier programmatique achevé, il nous faudra relever d'autres défis qui obèrent encore les perspectives d'investissement dans le secteur de l'énergie.
Le premier défi est d'ordre financier. Il s'agit de la nouvelle régulation du nucléaire, qui doit offrir des recettes suffisantes au groupe EDF, tout en maintenant un prix de l'électricité abordable pour les consommateurs et supportable pour notre économie.
Le second défi est d'ordre juridique. Il s'agit de la résolution du contentieux sur les concessions hydroélectriques, sujet sur lequel mes collègues Patrick Chauvet, Jean-Jacques Michau, Fabien Gay et moi-même menons une mission d'information.
Je ne doute pas de la détermination du Gouvernement sur ces différents dossiers. Il trouvera au Sénat, notamment auprès du groupe Les Républicains, un allié exigeant, convaincu de la nécessité d'avancer pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, il y a quelques années, par un raccourci révélant bien le sens des enjeux, le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, affirmait : « L'énergie, c'est l'industrie de l'industrie. »
Oui, l'énergie est fondamentale pour l'avenir de la France en Europe et dans le monde, pour les conditions de vie et le pouvoir d'achat de tous les Français. Le sujet du débat proposé aujourd'hui est ou devrait être au cœur de la stratégie française en matière d'énergie et de climat.
Depuis la loi Énergie-climat, adoptée en 2019, cette stratégie, traduite dans une loi de programmation quinquennale, devait permettre une adaptation au changement climatique via le plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), assurer la décarbonation via la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) actualisée et définir une politique de l'énergie via la progression annuelle de l'énergie.
À ce jour, au-delà de quelques consultations publiques, aucun des sujets majeurs pour la souveraineté nationale n'a été soumis au vote du Parlement. L'obligation est pourtant claire, comme en témoigne cet extrait du code de l'énergie : « une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d'action de la politique énergétique nationale pour répondre à l'urgence écologique et climatique. » Cette loi précise les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de réduction de la consommation énergétique finale, de développement des énergies renouvelables, de diversification du mix de production de l'électricité et les priorités en matière de rénovation énergétique dans le bâtiment. Sont également fixés les objectifs permettant aux départements d'outre-mer d'atteindre l'autonomie énergétique ou de la maintenir.
Cette loi doit être révisée tous les cinq ans ; si elle avait existé, sa dernière révision aurait dû être votée avant le 1er juillet 2023. Il n'en a rien été et la proposition de loi votée au Sénat n'aborde pas tous ces sujets fondamentaux.
Depuis 2022, sur toutes les travées de cette assemblée, nous demandons le respect du code de l'énergie et la discussion approfondie de la politique énergétique de la France par la représentation nationale. Pour son volet énergie, la troisième version de la programmation pluriannuelle de l'énergie, prise par décret, aurait donc dû résulter de la loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC), discutée et votée préalablement par le Parlement.
En 2024, le Président de la République a dissous l'Assemblée nationale. Depuis lors, aucun gouvernement n'a souhaité engager ce débat parlementaire, pourtant capital pour l'avenir de notre pays. La troisième version de la programmation pluriannuelle de l'énergie devrait donc être promulguée sans véritable débat parlementaire préalable.
Jusqu'à présent, le Gouvernement nous demande de prendre acte de cette nouvelle version de la programmation pluriannuelle de l'énergie, sur laquelle de nombreux acteurs ont pu s'exprimer en faisant des propositions, à l'exception des parlementaires ès qualités.
Jusqu'à présent, l'exécutif ne s'est conformé ni à la lettre ni à l'esprit de la Constitution. Nous nous trouvons dans une situation flagrante de déni démocratique et de contournement des institutions de la République. La loi doit être appliquée, en premier lieu par l'État ; les institutions de la République, en l'occurrence le Parlement, doivent être respectées.
M. Fabien Gay. Très bien !
M. Franck Montaugé. Dès lors, comment faut-il comprendre cette soudaine proposition de débat sur la souveraineté énergétique de la France, en application de l'article 50-1 de la Constitution ? Ce débat ne permet pas de discuter sur le fond de la loi de programmation sur l'énergie et le climat prévue par les textes en vigueur ; en outre, contrairement à une loi débattue et votée en bonne et due forme législative, il n'oblige en rien le Gouvernement.
Nous demandons de nouveau au Président de la République et au Gouvernement de soumettre au Parlement un projet de loi de programmation sur l'énergie et le climat.
Je me permets de rappeler ici les propos de celui qui deviendra ministre de l'économie, Antoine Armand : « La construction de cette loi énergétique doit être un temps fort de société. Pour redonner toute sa place au Parlement […], cette loi de programmation devrait être mise en cohérence avec le temps énergétique, qui est un temps de l'industrie et de la souveraineté ». On ne saurait mieux dire !
À ce projet doit être jointe une robuste étude d'impact permettant de faire le point sur les résultats climatiques et énergétiques de la France. Nous ne disposons de rien de tel.
Au-delà des dépenses déjà réalisées ou engagées, dont un récapitulatif fiable serait utile, les projections doivent mettre en exergue les efforts financiers qui seront nécessaires dans les années à venir pour l'ensemble des acteurs de la société, notamment les collectivités territoriales.
Dans le cadre du débat d'aujourd'hui, il est utile de s'interroger sur le sens à donner au concept de « souveraineté énergétique ». Toutes les énergies sont en réalité soumises à des formes de dépendance plus ou moins fortes. Ne nous voilons pas la face : nous sommes vulnérables et nous le resterons.
Dès lors, le rôle de l'État est de tenir compte des risques de vulnérabilité de notre système énergétique, à l'égard des aléas externes, géopolitiques notamment, comme de ceux que le système génère pour lui-même.
Cette problématique doit être prise en compte dans une loi de programmation sur l'énergie et le climat fixant nos objectifs climatiques, énergétiques et industriels à moyen et à long terme, sur un horizon de vingt à trente ans. Elle doit prévoir les moyens financiers nécessaires, comme le fait le rapport Pisani-Mahfouz, lequel pose très bien les enjeux et les problématiques de financement de l'action.
Le défaut d'une telle démarche programmatique dans les années 1980-1990 nous a certainement coûté très cher. Je pense ici à la filière industrielle nucléaire, dont les enjeux stratégiques ont été laissés de côté, comme à celle des énergies renouvelables, dont la dimension productive nationale en matière de construction n'a jamais représenté un objectif politique majeur.
Dans le cadre de ses prérogatives, le Parlement doit aussi, systématiquement et régulièrement, évaluer la mise en œuvre et l'efficience des politiques publiques en matière d'énergie et de climat. Face aux vulnérabilités de notre système énergétique, l'État doit se doter des moyens permettant de sécuriser les approvisionnements des chaînes de valeurs énergétiques et de réduire nos dépendances actuelles.
Au-delà de ce que font aujourd'hui le service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse), les délégations interministérielles au nouveau nucléaire et aux approvisionnements en minerais et métaux stratégiques, ainsi que l'Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles (Ofremi), je vous demande, monsieur le Premier ministre, ce que vous prévoyez de faire pour diminuer nos vulnérabilités, dans un contexte budgétaire public très dégradé.
L'étude de référence de RTE intitulée Futurs énergétiques 2050 met en exergue la problématique de la sécurité d'approvisionnement en métaux nécessaires à la transition du système énergétique. Une politique spécifique doit en résulter et le Parlement devrait être impliqué dans ce processus sous des formes appropriées, eu égard aux enjeux stratégiques concernés.
Je souhaite ici rappeler les positions de principe du groupe SER sur le mix énergétique et sa mise en œuvre. Au préalable, il convient d'être aussi clair que possible sur les hypothèses de consommation nationale à moyen et à long terme. L'électrification des usages – transport, bâtiment, industrie et économie en général – concernera des volumes d'électricité susceptibles de varier sensiblement selon l'efficacité réelle des process, outre les comportements effectifs de sobriété des consommateurs.
Par exemple, au-delà de la décarbonation de l'existant, la profondeur de la réindustrialisation emportera un effet direct sur le niveau de la consommation d'électricité.
À ce propos, l'actualité d'ArcelorMittal et de très nombreuses autres entreprises françaises de toutes tailles, avec son cortège de licenciements et d'emplois supprimés, fait obligation au Gouvernement de nous communiquer ses projections en matière d'industries nouvelles sur le sol français et ses projets pour répondre aux nombreuses défaillances en cours.
Monsieur le ministre, quelles sont vos projections de solde industriel et d'emplois à court, à moyen et à long terme ?
Les décisions concernant le mix énergétique se prennent pour quarante ans, cinquante ans, voire plus. Les dépenses afférentes doivent être optimisées, a fortiori dans un contexte budgétaire et de dette dégradé pour longtemps. En ce qui concerne tant l'efficacité des processus que la sobriété des usages, quels sont vos plans d'action par secteur et les moyens financiers que vous y affectez ?
Nous ne disposons pas d'une visibilité suffisante sur l'impact projeté des politiques publiques en matière de rénovation thermique des bâtiments, des politiques de l'habitat en général, de la façon de travailler et de commercer, de la mobilité et de la transition écologique des activités industrielles.
Au regard du rythme de progression de la décarbonation, ne faudrait-il pas que RTE propose un scénario de moindre consommation d'électricité, peut-être plus réaliste ? Quelles sont les trajectoires de consommation que vous avez à l'esprit et quelle composition de mix en déduisez-vous ?
Vos prédécesseurs n'ont jamais souhaité se référer explicitement aux scénarios de mix à horizon 2050 de RTE. Pourtant, les décisions annoncées dans le discours de Belfort et les déploiements projetés des énergies renouvelables sont proches du scénario N03 à 50 % de nucléaire et 50 % d'énergies renouvelables. On constate par ailleurs que c'est le scénario de moindres coûts complets de production, de réseaux de transport et de distribution, ainsi que de flexibilités.
Quelle est votre projection des différents modes de production à l'horizon 2060 ?
Comment prenez-vous en compte les risques et les incertitudes relatifs aux choix technologiques que vous avez retenus ?
En tout état de cause, nous souhaitons que les coûts complets des différents moyens de production soient objectivement pris en compte dans la formation des prix et des tarifs. Pour nous, deux principes doivent être absolument respectés.
D'une part, la rémunération des producteurs doit couvrir leurs coûts complets, c'est-à-dire les coûts moyens actualisés, les coûts système – de secours et de stockage – et les coûts des externalités, positives ou négatives. Les tarifs de rachat doivent être fixés en conséquence.
D'autre part, les tarifs réglementés doivent être protégés et, pour certains d'entre eux, réintroduits. Ils doivent refléter les coûts complets du mégawattheure produit.
Monsieur le ministre, comment l'État compte-t-il arbitrer ce différend, dont nous comprenons qu'il a constitué un motif de non-reconduction de M. Rémont à la tête de l'entreprise, en plus de la question de la participation de l'État au financement des investissements d'EDF ?
Au-delà des accords européens de principe et de la mise en œuvre des CFD (Contracts for Difference), des PPA (Power Purchase Agreement), des contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN) et autres contrats à terme sur lesquels nous souhaitons obtenir un point de situation, il est temps, dans l'intérêt de la France et de l'Europe, que les prix du gaz et de l'électricité soient décorrélés.
Passer d'une dépendance à la Russie à une dépendance aux États-Unis ne saurait constituer une option pérenne. Quelles sont aujourd'hui vos pistes de travail, par exemple en matière de biogaz, de biomasse ou d'autres procédés ?
Nous attendons également encore du Gouvernement qu'il obtienne au plus tôt de la Commission européenne la mise en œuvre du statut de quasi-régie pour les concessions hydrauliques.
Nous souhaitons enfin que soit portée une attention particulière à la production hydrolienne, dont l'impact territorial est fort là où elle existe déjà.
Vous l'avez compris, de nombreuses questions fondamentales ne trouvent pas de réponse dans les démarches actuelles. Ne tardez pas à soumettre au Parlement un projet de loi de programmation sur l'énergie et le climat, nous vous le demandons. Prendre prétexte du contexte politique n'est pas à la hauteur des défis de souveraineté énergétique que notre pays doit relever sans plus attendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marianne Margaté et M. Fabien Gay applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Patrick Chauvet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, c'est peu dire que ce débat était attendu. Nous ne pouvons que nous réjouir qu'il ait lieu et en remercier le Gouvernement.
Sur le fond, nous sommes aujourd'hui invités à nous exprimer sur l'avenir de la souveraineté énergétique de notre pays. Cet intitulé ne doit pas nous faire perdre de vue l'essentiel, c'est-à-dire le pays que nous voulons en 2050.
Si, à cette date, la France est désindustrialisée, désarmée et devenue une colonie numérique, même un système énergétique réduit à la portion congrue suffira à reconquérir notre souveraineté énergétique : quand on ne produit plus rien, il est moins difficile d'atteindre la neutralité carbone !
Le corollaire de ce constat est que nous avons besoin d'un cap clairement défini, dont on ne peut dévier à chaque bourrasque économique ou politique et pour lequel nous devons anticiper les besoins. Celles qui nous sont proposées sont-elles réalistes, si l'on veut réindustrialiser et réarmer ? Cela n'est malheureusement pas certain.
Notre stratégie énergétique repose en effet sur deux piliers : une réduction considérable de la consommation d'énergie et une augmentation non moins considérable de la production d'énergie décarbonée.
Poursuivre la tendance dans les proportions requises par la programmation pluriannuelle de l'énergie paraît très volontariste. Dans un monde en croissance, cela ne peut reposer que sur de l'efficacité et non sur de la sobriété. Toute notre stratégie est en réalité fondée sur les gains attendus de l'électrification des usages. C'est là que l'objectif de consommation rencontre l'objectif de production.
Il va nous falloir beaucoup d'électricité, à la fois pour réduire la consommation et pour satisfaire les besoins. Pourtant, la programmation proposée pourrait nous confronter à un paradoxe. Avec les projections opérées dans la programmation pluriannuelle de l'énergie envisagée, il semble que nous surévaluions nos besoins de moyen terme, c'est-à-dire pour la période de 2025 à 2035, et que nous sous-évaluions au contraire nos besoins pour la période de 2035 à 2050.
Ces deux périodes correspondent à des natures d'équipements énergétiques différentes : énergies renouvelables (EnR) pour la première période, arrivée en service des nouvelles capacités nucléaires pour la seconde.
Concernant les EnR, les ambitions de la programmation pluriannuelle de l'énergie sont impressionnantes, mais nous ne savons comment juger de ces objectifs.
En prenant en compte le paramètre clé de l'acceptation sociale, nous ne voyons pas comment ceux-ci pourraient être atteints. Les résistances aux projets d'énergie renouvelable se multiplient aujourd'hui sur le territoire. Les porteurs de projets éoliens rencontrent des difficultés pour obtenir des autorisations en raison des risques de contentieux, tandis que l'instabilité du cadre réglementaire nuit au développement du photovoltaïque.
Le renouvellement des installations est crucial pour faire face à cet enjeu. Avant d'en développer de nouvelles, souvent mal acceptées socialement, il est possible d'augmenter la capacité de celles qui existent, comme les éoliennes et les centrales nucléaires. Cependant, si le renouvellement permet d'atteindre les objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie, il pourrait aussi provoquer une surcapacité en EnR si la demande ne suivait pas la production qui semble se profiler.
RTE a récemment lancé l'alerte en évoquant une « situation extrêmement tendue ». L'électricité produite est trop abondante par rapport à la demande et ce déséquilibre pourrait s'aggraver si l'électrification des usages ne progressait pas aussi vite que les investissements.
Cela pose une vraie question : comment construire un système durable si la demande ne suit pas l'offre ? Le déséquilibre entre la montée des EnR et la demande réelle d'électricité pourrait donner lieu à de graves problèmes entre 2035 et 2050.
Cette deuxième période, appuyée sur le nucléaire, repose sur une inconnue majeure : la prolongation des réacteurs actuels. Nous ignorons encore si celle-ci sera possible aussi longtemps.
Si ce n'est pas le cas, même le nombre maximal d'EPR prévus serait insuffisant, nous laissant avec un mix dominé par les énergies renouvelables, face à de sérieux enjeux de pilotabilité et de sécurité d'approvisionnement. Il est donc essentiel de clarifier dès maintenant le potentiel de prolongation des réacteurs.
L'autre inconnue majeure relative au programme des EPR concerne l'opérateur chargé de le mettre en œuvre, à savoir EDF. Posons la question de but en blanc : cette entreprise publique est-elle en capacité de mener à bien cette mission ? Il s'agit là d'une question clé et EDF doit apporter la démonstration de sa capacité.
Pour en revenir à l'articulation entre la première période EnR et la seconde période nucléaire, même si les réacteurs actuels peuvent être prolongés, une surcapacité d'EnR issue de la première période ferait courir le risque que les capacités nucléaires deviennent une variable d'ajustement des EnR. Pour reprendre les termes du Haut-Commissaire à l'énergie atomique, le risque est de « payer deux parcs entiers, utilisés à moitié ».
Face à ces interrogations stratégiques, le groupe Union Centriste affirme plusieurs convictions.
Notre première conviction est que le mix énergétique doit être équilibré, fondé sur la complémentarité entre énergies renouvelables et nucléaire. Il ne s'agit pas d'une posture, c'est la conclusion du scénario N03 de RTE, reprise à l'article 3 de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie déposée par Daniel Gremillet.
Notre deuxième conviction est ancrée dans la vérité suivante : face aux impératifs d'électrification, de décarbonation, de réindustrialisation et de réarmement, une part minimale du nucléaire dans notre mix énergétique s'impose comme un socle stratégique. C'est pourquoi nous en appelons à lancer rapidement le programme EPR de deuxième génération. Il s'agit non plus d'une option, mais bien d'une nécessité ; or nous sommes déjà en retard pour une entrée en service en 2035.
Notre troisième conviction est que ce socle nucléaire ne peut pas devenir une variable d'ajustement. Si nous triplons la part des renouvelables intermittents, sans pilotage coordonné, comme le prévoit la programmation pluriannuelle de l'énergie, nous risquons de devoir moduler sans cesse la production nucléaire, au prix d'une inefficacité économique majeure. Cette crainte est d'autant plus fondée que le parc nucléaire actuel est techniquement capable de fournir davantage d'électricité.
Notre quatrième conviction fondamentale, qui s'appuie sur les travaux de la commission d'enquête portant sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050, concerne la question des coûts.
Pour garantir la sincérité du débat public, il est impératif d'adopter une approche fondée sur les coûts complets du système électrique, incluant notamment les investissements massifs dans les réseaux. Pourtant, les EnR posent un problème majeur de réseau : les coûts de production d'électricité sont différents des coûts de raccordement au réseau. Cela provoque des difficultés importantes pour les collectivités, lesquelles possèdent, par le biais des syndicats d'énergie, les réseaux électriques, dont la qualité a un impact direct sur celle de l'aménagement du territoire.
Le risque est donc grand, en surévaluant nos objectifs de développement des EnR et en sous-estimant l'investissement en réseau correspondant, à la fois de créer des déserts énergétiques, comme il en existe en matière médicale, et de préparer une bombe financière à retardement pour les collectivités.
Ces dernières ont donc besoin de la plus grande transparence sur les coûts des réseaux induits par cette programmation et de l'assurance que les soutiens financiers à l'électrification, par exemple via le compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (Facé), augmenteront en parallèle à l'électrification des usages.
À cette problématique du coût de réseau s'ajoute celle du coût du programme EPR2.
Selon la programmation pluriannuelle de l'énergie, entre 2025 et 2060, le soutien public aux filières renouvelables pourrait représenter de 98 milliards à 135 milliards d'euros, dans un scénario de prix bas. Pour agir de la manière la plus efficace possible, la commission d'enquête sénatoriale proposait une méthode d'objectivation des choix énergétiques. Il s'agissait de mettre en regard le coût complet de production de telle ou telle source d'énergie, sa capacité de décarbonation et son impact économique.
L'application de ces critères commanderait de réduire aujourd'hui nos ambitions en matière d'EnR, comme nous y invite d'ailleurs la présidente de la CRE, et d'accélérer le lancement d'EPR2, faute de quoi la variable d'ajustement sera le prix.
En 2023, les prix de l'électricité ont augmenté de 14 % pour les ménages et de 57 % pour les entreprises. Depuis la fin de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), les tensions tarifaires s'accentuent. À cette situation s'ajoute le niveau élevé de la fiscalité énergétique. Demain, les coûts de réseau liés à la montée en puissance des EnR finiront par peser sur le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe), lequel sera mécaniquement répercuté sur les factures.
Dans ces conditions, sans une maîtrise des coûts des réseaux, donc une montée en puissance beaucoup plus progressive des EnR, les prix ne pourront pas être contenus et la réforme risque de ne pas être acceptée socialement ; sans révision de sa fiscalité, la facture d'électricité elle-même ne sera pas maîtrisée.
La commission d'enquête sénatoriale recommande une réduction ciblée de cette fiscalité via trois leviers : une accise différenciée selon la consommation, une TVA réduite sur la consommation de base, la substitution d'une dotation budgétaire à la contribution tarifaire d'acheminement.
Nous soutenons cette approche. Il faut réduire la fiscalité sur l'électricité pour encourager l'électrification des usages, tout en supprimant progressivement les dépenses fiscales brunes qui coûtent entre 7,6 milliards et 19 milliards d'euros par an et entrent en contradiction avec nos objectifs climatiques.
Mes chers collègues, la souveraineté énergétique doit être construite sur une programmation réaliste, un pilotage rigoureux, un effort de transparence, une maîtrise des coûts et une adhésion citoyenne. Le système énergétique de 2050, donc la France de demain, se décide aujourd'hui. Soyons à la hauteur de ce rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Louault, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Vincent Louault. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, l'énergie est au cœur du combat existentiel que mènent notre pays et notre continent européen. Vous l'avez indiqué, monsieur le Premier ministre. Permettez-moi de vous répondre et d'abonder en ce sens.
Depuis plusieurs mois, mes collègues parlementaires, des experts, des anciens des filières électriques et de réseau, tous, nous alertons – en vain. Rien ne bouge et nul ne semble disposé à nous entendre. Au royaume de France, les technocrates sont apparemment plus puissants que les politiques !
Néanmoins, certaines fenêtres paraissent s'entrouvrir. En ce 6 mai, le décret en question n'est toujours pas signé. Je vous en remercie, car cela n'allait pas de soi pour tous les observateurs.
Je vous remercie de l'écoute que vous m'avez accordée à Matignon, comme de celle dont on fait preuve les conseillers de l'Élysée. Enfin, je vous suis reconnaissant pour ce début de rectification, cette inflexion de trajectoire concernant les EnR intermittentes. Vous m'avez également rassuré, il y a quelques instants, concernant le nucléaire. Il est temps, car ce délai est mortifère pour l'ensemble de notre économie, que l'absence de vision et de stratégie met en danger.
En somme, nos industriels sont en attente d'une trajectoire de prix définie politiquement, et non dictée par les marchés, par les traders, issue d'un monde inconnu et sans lendemain. Ils ont besoin d'électrons 365 jours par an, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à un prix avoisinant celui qui est pratiqué sur les autres continents. En effet, à la différence du pétrole, il n'existe pas de cours mondial de l'électricité : celle-ci est difficilement transportable et stockable.
Il nous incombe donc aujourd'hui de rebâtir ce qui a été sabordé.
Sabordé, en premier lieu, par les antinucléaires, à l'instar de Mme Voynet, qui va jusqu'à solliciter une invitation à votre table pour vous exposer sa position, car elle seule, bien entendu, aurait tout compris ! (Exclamations amusées sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. Excellent !
M. Vincent Louault. Sabordé, également, par d'autres opposants au nucléaire, plus subtils, mais souvent faibles sur le sujet. Certains d'entre eux sont d'ailleurs encore là !
M. Yannick Jadot. On arrive ! Patientez ! (Sourires.)
M. Vincent Louault. Monsieur le Premier ministre, j'ose espérer qu'avec vous nous retrouverons enfin un peu de bon sens – je n'irai pas jusqu'à dire paysan (M. Yannick Jadot rit.) – concernant la programmation pluriannuelle de l'énergie.
Premièrement, la programmation pluriannuelle de l'énergie constitue la feuille de route ultime des lobbyistes des EnR, sans réelle décarbonation.
Deuxièmement, elle représente l'aboutissement des tenants de la décroissance, au point que l'on pourrait se demander si l'objectif n'est pas de provoquer la révolte, tant les factures d'électricité augmenteront sous l'effet de cette politique.
Troisièmement, elle implique de produire des électrons intermittents, alors que nous avons assez d'électricité et que l'augmentation promise de la consommation ne se matérialise pas.
Quatrièmement, elle manque totalement sa cible principale : la décarbonation nécessaire de nos usages. Sur ce point, c'est le néant.
Pour faire court, nous doublons nos capacités de production d'électricité intermittente, en priant pour que cela se passe bien, tout en devant simultanément garantir la stabilité grâce à l'inertie de notre parc nucléaire et à notre précieuse hydroélectricité. Je ne comprends pas : nous marchons sur la tête !
Tout cela nous coûte en outre un « pognon de dingue », que tout le monde nous a plus ou moins dissimulé. Aveuglées par la hausse inédite et artificielle du prix de l'électricité ces dernières années, nos têtes bien-pensantes ont malheureusement commis une erreur majeure, celle de croire que l'électricité se maintiendrait éternellement au-dessus de 100 euros le mégawattheure, à la manière de simples paysans qui, voyant le prix du blé exploser, s'imaginent que celui-ci demeurera toujours aussi élevé.
À ce tarif, toutes les formes d'énergie, tous les électrons, jusqu'aux plus farfelus, deviennent rentables. Pendant ce temps, les autres continents se dotent de moyens concrets pour atteindre un prix objectif de l'électricité inférieur à 50 euros le mégawattheure, alors que nous maintenons des prix très élevés.
Dès lors, la conséquence d'un objectif pourtant nécessaire de prix bas est l'augmentation des charges de service public de l'énergie, qui atteindront12 milliards d'euros en 2035, monsieur le Premier ministre. Je vous invite à consulter la page 194 de la programmation pluriannuelle de l'énergie à ce sujet.
Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, rendez-vous compte : 12 milliards d'euros, alors même qu'il faudra mobiliser 40 milliards dans les mois à venir ! Cela représente le coût d'un EPR – et je m'adresse ici au président d'EDF, M. Fontana, qui nous écoute certainement. C'est également près de 400 euros supplémentaires chaque année sur chaque compteur en France, pour chaque foyer français, alloués à l'intermittence de notre énergie.
Monsieur le ministre chargé de l'industrie et de l'énergie, imaginez l'utilisation qui pourrait être faite de ces 12 milliards d'euros pour la décarbonation de notre industrie !
Ainsi, je vous demande solennellement, une fois de plus, au Sénat, devant les Français, de mettre un terme à cette programmation pluriannuelle de l'énergie intermittente folle, fondée sur deux mensonges.
Le premier mensonge a trait à sa capacité à garantir des prix bas. Le dernier marché de la CRE sur l'éolien en mer aboutit à environ 90 euros le mégawattheure, sans compter une partie des coûts de raccordement estimée à 20 euros le mégawattheure.
Le second mensonge porte sur sa capacité à préserver une industrie naissante, plutôt une pseudo-industrie logistique en France.
Nous allons agrandir un port, une chaîne de montage, avec des turbines provenant intégralement, pour les derniers marchés, de Corée du Sud, des mâts allemands et des panneaux photovoltaïques chinois. (Mme Sonia de La Provôté applaudit.) Au Havre, en effet, il s'agit d'une usine d'assemblage de pales d'éoliennes, sans moteurs : c'est un jeu de mikado, en aucun cas une véritable industrie comparable à celle du nucléaire.
M. Jean-François Husson. C'est un vrai sujet !
M. Vincent Louault. Nous sommes donc sur le point d'entériner 10 milliards d'euros de dépenses annuelles en pure perte. Peut-être serait-il temps d'envisager des économies ? Nous aurons l'occasion d'en débattre lors de l'examen du budget pour 2026, car, pour ma part, je n'ai pas oublié la ligne 320 de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) ! (M. Jean-François Husson sourit.)
J'entends les éléments de langage intégralement dictés par ladite DGEC répétés à l'envi, comme « l'épée de Damoclès » que représenterait l'échéance de 2038 – cette fable selon laquelle une production insuffisante d'énergie renouvelable à cette date nous exposerait à un risque de pénurie électrique, les EPR n'étant pas encore opérationnels.
L'on omet cependant un détail scientifiquement établi : la durée de vie des cuves de nos centrales nucléaires, unique composant non remplaçable, s'allonge. Par conséquent, il est tout à fait envisageable d'atteindre soixante, soixante-dix, voire quatre-vingts ans d'exploitation. L'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) nous le confirmera le moment venu.
Permettez-moi de rappeler ce jalon historique : c'est bien l'excellence de nos ingénieurs dans la construction de nos barrages hydrauliques au sortir de la guerre qui a rendu possible l'édification du programme nucléaire Messmer jusque dans les années 1990. Nous sommes dans le fossé entre les deux époques : depuis les années 1990, nous n'avons plus rien fait !
Aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, l'enjeu réside dans la création de notre outil industriel nucléaire. Telle est la véritable réindustrialisation.
En l'état actuel des choses, cette programmation pluriannuelle de l'énergie nous conduira plutôt à payer trois fois : une première fois pour accroître les capacités des énergies intermittentes via le budget de l'État – 12 milliards en 2035 – ; une deuxième fois pour investir dans le nucléaire, indispensable au maintien de la stabilité du système, surtout en l'absence de vent ou de soleil (M. Bruno Sido acquiesce.) – 100 milliards d'euros – ; une troisième fois pour financer des subventions destinées à préserver la vitalité de notre économie face à une hausse inéluctable du prix de l'électricité, dans un contexte mondial où la Chine et les États-Unis produisent de l'électricité à 30 dollars le mégawattheure.
Dès lors, monsieur le Premier ministre, je vous exhorte à ne rien céder et à être fort.
Soyez fort pour décréter un moratoire sur tous les projets d'EnR. Pourquoi ? Parce que 30 gigawatts sont déjà en attente d'approbation à la CRE, ce qui équivaut à la moitié de la puissance nucléaire de ce pays. Vous évoquiez la modération, monsieur le Premier ministre, mais la CRE m'inquiète : ces projets sont prêts à être lancés.
Soyez fort pour appliquer les mêmes règles à l'éolien et au photovoltaïque : produire, oui, mais pour l'autoconsommation, avec des consommateurs identifiés et un modèle économique viable.
Soyez fort pour que tous les acteurs contribuent à l'équilibre du réseau et assument leur surproduction, sans quoi nous connaîtrons le sort des Espagnols.
Soyez fort, enfin, pour faire de la décarbonation de nos usages l'unique objectif.
Vous l'avez rappelé à juste titre, l'énergie est au cœur du combat existentiel que mènent notre pays et notre continent européen. Cependant, si la programmation pluriannuelle de l'énergie n'est pas lourdement remaniée, ce combat sera vain et la guerre perdue d'avance ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, le XIXe siècle a vu naître l'électricité avec la révolution industrielle. Le XXe siècle a été celui du nucléaire et de la mondialisation. Le XXIe siècle sera celui des énergies décarbonées et de la reconquête de notre souveraineté.
La guerre en Ukraine a mis en lumière la fragilité de notre approvisionnement énergétique. Elle a aussi rappelé que, dans un monde globalisé, assurer notre avenir passe par le renforcement de notre souveraineté énergétique.
Reste que la souveraineté ne se décrète pas. Elle se construit dans la durée au travers de choix stratégiques, cohérents, susceptibles de résister aux cycles politiques et aux aléas économiques.
Monsieur le Premier ministre, le groupe RDPI prend acte des orientations que vous venez d'exprimer. La volonté de renforcer notre indépendance énergétique tout en maintenant l'objectif de neutralité carbone fixe un cap clair.
Il nous appartient désormais de concrétiser ce cap, territoire par territoire, avec méthode et cohérence.
Depuis 2022, notre stratégie pour une France souveraine repose sur deux jambes : la sobriété et la décarbonation.
La sobriété, la première jambe, doit être envisagée non pas comme une contrainte, mais comme un levier structurant de notre autonomie énergétique. Il ne s'agit pas simplement de consommer moins, il faut consommer mieux.
Mieux isoler nos logements, c'est préserver le pouvoir d'achat des Français. Moderniser l'éclairage public, c'est soulager les budgets communaux. Développer les mobilités partagées, c'est désenclaver sans polluer. Autant de chantiers qui mobilisent nos artisans et nos collectivités locales.
Si nous renforçons les outils d'accompagnement, notamment dans les zones rurales, pour que le chauffage au fioul appartienne au passé, si la sobriété devient un automatisme collectif, notre pays gagnera également en souveraineté sans attendre la mise en service d'un réacteur ou la pose d'un mât éolien.
Nous voulons une souveraineté créatrice d'emplois, de cohésion et de résilience locale.
La décarbonation de notre production d'énergie, la seconde jambe, est aussi vitale qu'essentielle.
En la matière, le discours de Belfort, prononcé au mois de février 2022 par le Président de la République, a constitué un véritable tournant. En assumant une relance de la filière nucléaire, la France a décidé d'investir pour l'avenir dans une énergie pilotable, stable et bas-carbone. Une énergie qui, au-delà de notre autonomie stratégique, garantit une certaine continuité historique pour notre pays.
Depuis les années 1950 jusqu'au plan Messmer de 1974, en passant par l'abandon de la filière graphite-gaz au profit des réacteurs à eau pressurisée, la France a bâti une filière nucléaire civile parmi les plus avancées du monde.
Aujourd'hui encore, 65 % de notre électricité provient du nucléaire. Loin d'être un héritage figé, l'énergie nucléaire est un socle pour l'avenir.
Avec une lucidité dont nous pouvons être fiers, nous avons donc choisi de relancer le nucléaire, un cap qui se concrétise par le développement de nouveaux réacteurs EPR2 et de SMR plus flexibles et adaptés à des usages territorialisés.
Le site nucléaire du Tricastin, dans le département dont je suis élu, la Drôme, prend pleinement part à cette dynamique et serait fier d'accueillir une paire d'EPR2.
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous donner des précisions sur le nombre de nouvelles installations prévues, sur les échéances à venir, ainsi que sur les sites d'implantation ?
La relance du nucléaire est une fierté, mais également une responsabilité, car la souveraineté se joue aussi sur notre capacité à mobiliser les compétences et à former les jeunes afin d'accompagner les filières industrielles au plus près du terrain.
Si le nucléaire doit occuper une place essentielle dans notre mix énergétique, l'objectif de neutralité carbone sera également atteint grâce aux énergies renouvelables.
Il y a deux ans, le Parlement s'est d'ailleurs prononcé en faveur de cette stratégie en adoptant la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables et la loi du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.
Ces deux textes sont essentiels, mais ils nous imposent d'être vigilants, car cette accélération doit s'accompagner d'une concertation territoriale sincère et d'un équilibre entre ambition décarbonée et respect d'une dynamique locale. C'est un enjeu démocratique autant qu'énergique.
Mes chers collègues, pour bâtir une souveraineté durable, nous devons construire un mix raisonné, fondé sur la complémentarité. Opposer nucléaire et énergies renouvelables n'a pas de sens.
Parce que le nucléaire permet de pallier l'intermittence de certaines énergies renouvelables, coupler les deux nous garantira sécurité d'approvisionnement et atteinte de nos objectifs climatiques.
De ce fait, développer encore davantage certaines énergies renouvelables nous semble indispensable. Lesquelles et dans quelles proportions ? La production d'énergie de l'éolien offshore est plus régulière que celle de l'éolien terrestre ; en outre, l'éolien offshore participe à la diversification de notre mix tout en valorisant notre façade maritime. Monsieur le Premier ministre, comment le Gouvernement envisage-t-il de développer peut-être encore davantage les parcs éoliens offshore ?
Je souhaite m'arrêter sur l'hydroélectricité, énergie souvent oubliée dans nos débats, alors qu'elle présente pourtant d'indéniables atouts.
Dans la Drôme comme dans de nombreux territoires, nous avons des moulins et de petits barrages, souvent laissés à l'abandon, qui pourraient produire une électricité propre, locale et pilotable.
Force est toutefois de constater que la législation actuelle demeure complexe, voire dissuasive parfois. De nombreux porteurs de projets se heurtent à des procédures lourdes, souvent déconnectées de la réalité du terrain. À l'heure où nous cherchons à diversifier nos sources d'énergie, n'est-il pas temps d'accorder à l'hydroélectricité toute sa place dans notre planification ?
Il s'agit non pas d'opposer les énergies entre elles, mais de mieux les articuler. À ce titre, l'hydroélectricité mérite à mes yeux une plus grande place dans le débat national, avec une vision, un cadre rénové et des moyens adaptés.
Il est de plus urgent de mettre un terme au conflit juridique qui oppose depuis plus de quinze ans la France et la Commission européenne à propos des concessions hydroélectriques.
Enfin, mes chers collègues, pour que la France soit souveraine, quelle place devons-nous allouer aux énergies du futur dans notre mix énergétique ?
Parmi ces énergies, l'hydrogène occupe une place croissante, notamment pour la mobilité lourde. Environ 40 % du réseau ferroviaire français n'est pas encore électrifié, souvent sur les petites lignes.
Pour sortir du diesel, des solutions concrètes telles que les trains à hydrogène, les trains à batteries et les systèmes bi-modes existent pourtant. Ces dispositifs innovants sont d'ores et déjà testés et en partie déployés. Il serait pertinent d'accélérer leur intégration dans nos territoires, en particulier dans des zones peu denses où l'électrification des lignes n'est pas toujours économiquement viable.
Je pense aussi au train à hydrogène Coradia iLint, commercialisé par Alstom, dont la technologie est cours de perfectionnement.
Des trains à batteries sont également développés, notamment pour les dessertes régionales.
Ce sont autant de solutions qui pourraient remplacer le diesel.
Le transport fluvial pourrait aussi bénéficier de nouvelles technologies de propulsion. Sur le Rhône, où le transport fluvial a progressé de 8,6 % entre 2023 et 2024, les innovations technologiques pourraient nous aider à émettre moins de gaz à effet de serre. Encore faut-il structurer toute une filière de production, de stockage et de distribution adaptée aux usages locaux.
Mes chers collègues, la souveraineté énergétique est non pas un objectif technique, mais un choix politique. Le groupe RDPI partage les objectifs du Gouvernement que sont l'indépendance, la neutralité carbone et l'innovation.
Pour qu'ils soient atteints, veillons à ce que chaque territoire ait les moyens d'agir. Veillons à ce que toutes les énergies trouvent leur juste place dans cette grande œuvre collective que doit être la programmation pluriannuelle de l'énergie.
Nous avons les ressources et, surtout, les talents nécessaires. Restons donc cohérents dans nos choix. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour débattre de la souveraineté énergétique de la France, plutôt – disons-le franchement – pour tenter de rattraper un immobilisme politique orchestré par les derniers gouvernements qui naviguent à vue, entre compromissions, reculades et une absence de vision stratégique de long terme doublée d'un déni démocratique inacceptable.
La programmation pluriannuelle de l'énergie 2025-2035, censée fixer la trajectoire de notre avenir énergétique, a en effet été retardée depuis maintenant trois ans. Toutes les excuses ont été trouvées et utilisées pour retarder la présentation d'un texte et la tenue d'un débat, puis d'un vote.
Pendant ce temps, on a amusé le Parlement avec des textes dépourvus de vision stratégique et de cohérence entre eux, visant à accélérer des projets qui étaient à l'arrêt. Votre méthode, c'est de rester au point mort, mais d'appuyer fort sur l'accélérateur, monsieur le Premier ministre. Comme dans une voiture, cela fait du bruit, le moteur ronfle, cela crée de l'agitation, mais on n'avance pas d'un mètre. (Sourires sur les travées des groupes CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Fabien Gay. Après quatre ans de concertation, la mobilisation de 50 000 citoyens et la consultation d'experts et d'industriels, vous vous présentez devant le Parlement pour un débat sans vote, en nous disant que vous allez prendre un décret, que vous repoussez finalement après l'été, et en nous annonçant l'examen d'une proposition de loi sénatoriale qui ne s'accompagne d'aucune étude d'impact.
Comble du déni démocratique, nous apprenons à présent par voie de presse qu'un groupe de travail constitué de deux parlementaires de la majorité gouvernementale sera chargé de faire des propositions et de corriger le décret que vous prendrez peut-être un jour, monsieur le Premier ministre.
Nous vous demandons donc solennellement de renoncer à cette méthode qui est une pantalonnade, de travailler à un projet de loi et de le soumettre au vote. Un texte légitimé par le vote du Parlement aura bien plus de force qu'un texte élaboré en catimini. Tous les républicains et démocrates sincères de notre Parlement devraient rejoindre une telle demande. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
M. Bruno Sido. On vous rejoint !
M. Fabien Gay. Mes chers collègues, l'énergie est non pas une marchandise, mais un bien commun ! Il est impératif de la sortir du secteur marchand et de revenir sur une libéralisation qui a fait gonfler les prix artificiellement sous l'effet du trading et du comportement des requins du secteur.
La souveraineté énergétique suppose par définition le contrôle collectif des ressources, des infrastructures et des choix d'avenir. L'énergie, c'est le sang qui irrigue notre économie, nos industries et nos foyers. Par essence, le marché ne connaît ni le long terme ni l'intérêt général. Il ne planifie pas, il ne sécurise pas, il ne protège pas : il spécule. Il n'investit pas : il optimise jusqu'à épuisement.
Pour notre part, nous sommes partisans d'un mix énergétique et nous n'opposerons jamais les EnR et le nucléaire. L'urgence est de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, qui pèsent encore à hauteur de 40 % de notre mix énergétique. L'électrification des usages dans tous les domaines – le chauffage, les modes de déplacement et la décarbonation de nos industries – devrait être la priorité.
Cela demande des moyens, des politiques publiques non pas à la petite semaine qui, dès l'année suivante, rabotent les primes annuelles tout juste votées, mais de long terme. Cela suppose aussi de ne pas faire peser cette transition, ou plutôt cette révolution énergétique, sur les plus faibles d'entre nous.
À rebours d'une telle trajectoire, vous amputez chaque année toutes les politiques publiques – rabot de 700 millions d'euros sur MaPrimeRénov', fin de la prime à la conversion –, alors que vous préparez la mise en place des zones à faibles émissions (ZFE) pour 2026, qui, comme vous le savez, constituera le scandale démocratique de l'année qui arrive.
J'en viens aux investissements dans la production électrique, et tout d'abord dans le nucléaire, que, pour notre part, nous avons toujours soutenu : six, voire, d'ici à 2050, quatorze EPR2, ces petits réacteurs modulaires dont personne ne connaît la faisabilité.
Et après ? Où sont les études d'impact ? Où est l'avis du Conseil d'État ? Oui à la relance du nucléaire, mais en étant attentifs à la ressource en eau qui se rarifie et à l'avenir des déchets.
De plus, la construction de six EPR2 coûtera au bas mot 67 milliards d'euros. Qui va payer ? Certes, le Président de la République peut limoger les PDG d'EDF les uns après les autres, mais la question reste entière. Qui devra investir ? EDF, déjà exsangue, saigné par des années de spéculation, de dérégulation et par l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) ou bien les Français, déjà écrasés par l'explosion des tarifs qui se traduit dans leurs factures ?
Vous restez muet sur ce sujet central, monsieur le Premier ministre. Où sont les 20 milliards d'euros promis par l'État ? Pour l'instant, nulle part !
Nous avons par ailleurs besoin d'investissements dans les énergies renouvelables que sont les énergies éolienne, solaire et hydraulique, car le nouveau nucléaire n'adviendra pas avant 2038. Ces investissements ne doivent toutefois pas être consentis selon une logique de financiarisation par laquelle des multinationales viendraient planter des éoliennes pour maximiser leurs profits, au mépris des territoires et des citoyens.
Où est la planification écologique que vous nous vendez à chaque discours ? Pourquoi ne sont jamais évoqués le coût des raccordements ou encore la folie des prix garantis, dont je rappelle qu'ils représentent 4 milliards d'euros cette année et 10 milliards d'euros à l'horizon 2030 ? Même quand il ne produit pas, le secteur est payé à ne rien faire !
M. Vincent Louault. Bravo !
M. Fabien Gay. Vous occultez par ailleurs la question de notre totale dépendance aux panneaux solaires chinois. Très bien ! Pour autant, que faisons-nous pour remédier à cette situation ? Rien ! Vous restez les bras ballants.
Pas un mot, enfin, sur les tarifs réglementés, sur le futur prix de l'énergie ni sur la protection nouvelle des consommateurs dans la jungle que vos politiques ont créée.
J'annonce que le groupe CRCE-K déposera dans les prochaines semaines une grande proposition de loi travaillée avec des associations, des syndicats et des organismes pour mieux protéger les usagers.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Fabien Gay. Le prix des factures n'a que trop augmenté, pour les industriels comme pour les ménages : 72 % en quatre ans pour l'électricité et 99 % pour le gaz. Avec le dispositif qui va remplacer l'Arenh, ce sont au minimum 10 % d'augmentation qui attendent des usagers au 1er février 2026, puisque 100 % de l'énergie sera vendue au prix de 70 euros le mégawattheure, quand les deux tiers de l'énergie sont aujourd'hui vendus au prix de 42 euros le mégawattheure.
Il faut donc d'urgence changer le mode de calcul des tarifs réglementés de vente (TRV) et, surtout, s'attaquer aux taxes qui comptent pour plus d'un tiers de la facture. L'énergie est l'un des seuls biens dont le prix est relevé par la taxation d'une taxe, puisque la TVA s'ajoute aux trois taxes spécifiques qui lui sont appliquées.
M. Bruno Sido. C'est vrai !
M. Fabien Gay. Aujourd'hui, mes chers collègues, 12 millions de nos concitoyens vivent dans la précarité énergétique et ne parviennent pas à se chauffer. Reconnaissons que l'électricité est un bien de première nécessité et appliquons une TVA à 5,5 %.
Nous sommes à la croisée des chemins et l'heure est aux choix courageux, monsieur le Premier ministre.
Le premier de ces choix consisterait à refuser la mise en concurrence des centrales hydrauliques imposée par la directive européenne du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession, dite Concessions. Dans le cadre du groupe de travail à venir, je m'opposerai avec les membres de mon groupe à la création d'un Arenh de l'hydroélectricité. Les installations hydroélectriques doivent rester dans le domaine public et être régies par le régime d'autorisation.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Fabien Gay. Un autre choix fort serait la création d'un grand service public sous forme d'établissement public industriel et commercial (Épic) par la nationalisation d'EDF, d'Engie et de TotalEnergies, comme nous le proposons depuis des années.
M. Stéphane Piednoir. Cela finit mal ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Cécile Cukierman. Il ne faudra pas alors pleurer sur les collectivités !
M. Fabien Gay. Oui, soixante-dix-neuf ans après Marcel Paul, il nous faut une nouvelle loi de nationalisation ayant un projet ambitieux pour la France et répondant aux besoins sociaux et environnementaux de nos entreprises, des salariés des industries électriques et gazières (IEG) et des usagers.
N'ayez crainte, monsieur le Premier ministre : déposez un projet de loi. Nous en débattrons et nous voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, ce débat est le symbole d'un contexte politique difficile dans lequel chaque camp se retranche dans ses clivages et où l'intérêt général est oublié sur fond de majorité relative et de dogmatisme énergétique.
Les faits sont délaissés, la raison est ignorée et le calendrier nous échappe, alors qu'il y a un an déjà, dans son rapport annuel qui regroupe des textes essentiels à notre trajectoire énergétique et climatique, le Haut Conseil pour le climat s'alarmait des « dérives de calendrier ».
Notre souveraineté énergétique dépend de nos divergences et tergiversations. Dois-je toutefois rappeler, mes chers collègues, qu'il n'est pas de souveraineté sans souveraineté énergétique ?
La France et l'Europe le redécouvrent à leurs dépens : toute puissance exige des sources adéquates d'énergie ; or nulle puissance n'est aussi grande et malléable que celle que confère l'énergie abondante, à condition bien sûr d'en maîtriser l'accès.
Il est à ce titre essentiel que la troisième programmation pluriannuelle de l'énergie soit mise en œuvre et soutenue malgré les incertitudes géopolitiques et économiques actuelles, qui ne doivent pas limiter l'action climatique.
Je vous encourage donc à maintenir un cap clair et ambitieux et à poursuivre résolument les efforts en faveur de la décarbonation et de l'adaptation au changement climatique, monsieur le Premier ministre.
La continuité de l'action publique est essentielle aux acteurs du secteur. Le financement de la transition énergétique doit être cohérent avec l'évolution des besoins d'investissement. Il ne doit en aucun cas constituer une variable d'ajustement budgétaire.
Pour reconquérir notre souveraineté économique et tenir ses objectifs climatiques, nous ne devons plus dépendre d'énergies fossiles largement épuisées sur notre territoire : il nous faut miser sur les sources d'énergie que nous pouvons contrôler localement, les renouvelables et le nucléaire.
Souveraineté et décarbonation constituent par conséquent un seul et même défi. Pour le relever, nous devons regarder en face les limites à notre puissance. Pour des raisons à la fois physiques et industrielles, nos sources domestiques d'énergie bas-carbone ne sauraient à elles seules maintenir la puissance économique mobilisée aujourd'hui grâce aux énergies fossiles.
Pour le climat comme pour notre indépendance stratégique, nous n'avons donc d'autre choix que de réorganiser nos fonctions économiques vitales – industrie, agriculture, transports, services, etc. –, de façon que celles-ci soient aussi peu consommatrices que possible en charbon, en pétrole et en gaz, car – rappelons-le – le kilowattheure le moins émetteur de gaz à effet de serre est le kilowattheure économisé.
Conjuguer électrification des usages, efficacité et sobriété permettra de stopper la catastrophe climatique et de renforcer notre souveraineté énergétique, tout en échappant aux contraintes croissantes qui ont commencé à s'exercer sur notre accès aux énergies fossiles.
Cette équation contraignante nous oblige à avoir un discours de vérité envers les Français et à peser chaque denier public. Nous ne pouvons pas nous permettre de faire de mauvais placements. Devant l'Assemblée nationale, vous avez indiqué que les choix d'investissement devaient être réfléchis, inscrits dans une stratégie claire et durable et réalisés en fonction de critères essentiels, monsieur le Premier ministre. Permettez-moi de m'interroger sur l'atteinte de ces objectifs, alors que près de 550 millions d'euros de crédits initialement alloués à la mission « Écologie, développement et mobilité durables » ont été supprimés.
Les tendances ne sont pas encourageantes : nos émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 1,8 % en 2024, soit bien moins que la réduction de 5,8 % de l'année précédente, déjà insuffisante pour que notre pays tienne ses futurs objectifs de décarbonation.
Ce constat en appelle un autre, celui de notre retard vis-à-vis de nos objectifs de décarbonation dans un certain nombre de secteurs, en premier lieu dans le bâtiment et les transports.
Il nous faut certes concilier la décarbonation de notre économie avec le contexte très contraint de nos finances publiques, qui ne nous laisse qu'une marge de manœuvre restreinte.
Reposant à 71 % sur les énergies fossiles, notre économie présente un risque élevé de dépendance.
Oui, décarboner la production et l'utilisation de biens et de services est la clé pour réduire la vulnérabilité de la France aux crises énergétiques. Nous devons pour ce faire adopter une approche visant à minimiser les risques pesant sur l'évolution du système énergétique et maximiser nos choix. C'est pourquoi il nous faut soutenir le déploiement à la fois des énergies renouvelables, du nucléaire, de la chaleur bas-carbone et de la biomasse.
Se priver de l'une de ces filières reviendrait à mettre davantage de pression sur les autres, alors même que les risques de déploiement exigés sont déjà très ambitieux.
Cela réduirait aussi la robustesse générale de notre trajectoire de décarbonation en nous rendant plus vulnérables à un aléa qui toucherait l'une des filières restantes. Nous prémunir d'un tel risque est d'autant plus crucial que les limites, incertitudes et vulnérabilités sont nombreuses : le lancement du nouveau nucléaire, l'EPR2, n'est pas prévu avant la fin de la décennie 2030 et les rythmes de déploiement de l'éolien et du photovoltaïque ne sont pas garantis. Le groupe RDSE, l'a clairement rappelé au mois d'octobre dernier lors de l'examen de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie.
Je dirai quelques mots de l'énergie hydroélectrique, énergie qui me tient à cœur et qui peine à être davantage développée sur notre territoire, la pression écologique rendant difficile la création de nouvelles ressources.
Il faut relancer les investissements dans cette énergie vertueuse de manière à améliorer nos capacités de stockage hydrauliques, car celles-ci sont essentielles à la flexibilité de notre système électrique.
Par ailleurs, comment en finir avec le contentieux qui nous paralyse à l'échelon européen ? Il est urgent de conserver la gestion de nos barrages et de les soustraire définitivement aux logiques de concurrence.
Je rappelle enfin que, sans sobriété et sans effort d'efficacité susceptible de réduire notre demande totale en énergie, la souveraineté énergétique de notre pays et nos objectifs de décarbonation ne pourront pas être atteints, que ce soit à court, moyen ou long termes.
Le scénario du plan de transformation de l'économie française est clair : la consommation totale d'énergie de la France devra être divisée par deux d'ici à 2050 pour assurer l'approvisionnement de l'ensemble des secteurs. Le financement des objectifs nationaux des différents volets de notre politique énergétique manque pourtant de perspective.
À rebours des objectifs annoncés en matière d'électrification des usages, on constate cette année une baisse des incitations économiques en faveur les énergies décarbonées.
Autre élément, les acteurs économiques de la filière ont fortement déploré l'instabilité normative qui a prévalu au cours des dernières années. Ces acteurs sont prêts à s'engager davantage dans la transition écologique, mais ils ont besoin pour cela d'une action publique plus lisible.
L'équation est certes complexe, puisqu'il nous faut tenir l'échéance européenne de réduction des gaz à effet de serre fixée à 2030, alors que le nouveau nucléaire ne verra le jour qu'à l'horizon 2035. Je m'interroge donc sur le bon équilibre à construire. J'espère que vous nous apporterez la solution miracle, monsieur le Premier ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Monique de Marco applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Yannick Jadot. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, un débat, mais pas de vote.
Juste un débat pour adapter notre système énergétique au plus grand défi du siècle, celui du dérèglement climatique.
Juste un débat pour tirer les leçons de la guerre en Ukraine, de nos dépendances aux énergies fossiles, trop souvent devenues complaisance vis-à-vis de régimes totalitaires et corrompus.
Juste un débat, alors que les investissements dont nous parlons se comptent en centaines de milliards d'euros, engagent nos infrastructures jusqu'à la fin du siècle et dessinent nos modes de production, de consommation, de transport.
Monsieur le Premier ministre, il y a quelques jours, évoquant la situation financière du pays, vous avez employé cette formule : « La vérité permet d'agir. » Ce qui vaut pour le budget vaut pour notre avenir énergétique.
Il y a bien sûr un parc nucléaire existant à entretenir, à sécuriser, probablement jusqu'au milieu du siècle. Toutefois, l'urgence climatique et la raison économique que vous avez évoquées exigent de rééquilibrer notre mix par des politiques puissantes de sobriété et d'efficacité énergétique, d'une part, de déploiement massif des énergies renouvelables d'autre part.
Vous avez parlé de raison, mais reconnaissons que, quand il est question de nucléaire dans cet hémicycle, la raison ne prévaut pas toujours. En effet, le nouveau nucléaire que vous défendez n'est plus simplement un moyen de produire de l'électricité. C'est un projet de société, un mythe, une foi. L'examen des faits est pourtant sans appel.
Vous voulez construire six plus huit EPR2. Parlons d'abord du budget et de la facture annoncée des six premiers EPR2 : 51 milliards d'euros en 2020 et 67 milliards d'euros l'année dernière. On parle aujourd'hui de 100 milliards d'euros pour six EPR, soit 16 milliards d'euros l'unité, alors que la conception n'est pas encore terminée !
Cela n'a rien de surprenant, me direz-vous, quand la Cour des comptes estime que le coût de l'EPR de Flamanville est passé de 3 milliards à 23 milliards d'euros, et celui des deux EPR de Hinkley Point, de 22 milliards à 40 milliards d'euros. Excusez du peu !
Monsieur le Premier ministre, vous avez saisi la Cour des comptes pour connaître la vérité sur les retraites. Pourquoi ne pas vous inspirer du rapport de la Cour des comptes intitulé La filière EPR : une dynamique nouvelle, des risques persistants ? La Cour des comptes est très précise. Elle recommande « de retenir la décision finale d'investissement du programme EPR2 jusqu'à la sécurisation de son financement et l'avancement des études de conception détaillées ».
Telle est, à ce stade, la préconisation de la Cour des comptes sur le programme EPR2 que vous défendez, alors qu'il n'est ni finançable ni rentable.
Vous ne pouvez pas vous faire le chantre de la responsabilité budgétaire et engager les finances publiques du pays dans une telle déroute budgétaire pour produire une électricité dont le coût excédera in fine 100 euros le mégawattheure. À la fin, par leurs impôts et par leurs factures, ce sont les Français qui paieront.
J'en viens aux délais.
La programmation pluriannuelle de l'énergie couvre la prochaine décennie. L'urgence climatique est là. Notre pays s'est déjà réchauffé de 2 degrés Celsius. Notre addiction aux énergies fossiles nous a coûté plus de 60 milliards d'euros d'importations l'année dernière. Le pouvoir d'achat des Français est en berne.
Il nous faut donc agir vite et fort. Si les énergies renouvelables sont immédiatement disponibles, dans le meilleur des cas, aucun EPR2 ne verra le jour avant 2040.
Une fois encore, l'expérience devrait nous éclairer : douze ans de retard pour Flamanville, quatorze ans de retard pour l'EPR finlandais, déjà sept ans de retard pour Hinkley Point.
Décidément, le nouveau nucléaire, c'est trop tard et c'est trop cher !
Limoger le patron d'EDF ne rendra pas les EPR2 plus finançables ou plus rentables.
Pourquoi mettre tous nos œufs dans le même panier s'il est percé ?
Par nostalgie gaulliste ? Je l'entends.
Par adoration ? Un réacteur nucléaire reste une grosse cocotte-minute, certes très perfectionnée, mais une cocotte-minute tout de même. De là à l'adorer…
Par foi ? Dans ce cas, ce n'est plus de la foi : cela frise le créationnisme, reconnaissons-le ! Comme vous l'avez dit vous-même, monsieur le Premier ministre, en matière d'énergie comme en matière de laïcité, la foi ne doit pas faire la loi ! (Sourires.)
Comment un pro-européen comme vous – vous avez encore assuré la semaine dernière, dans ce même hémicycle, qu'il fallait s'inspirer de l'Europe à propos du scrutin proportionnel – peut-il ignorer à ce point que la quasi-totalité des nouvelles capacités installées de production électrique en Europe reposent désormais sur les énergies renouvelables ? Voilà la réalité du monde dans lequel nous vivons ! C'est dans cette voie que se déploient partout le génie de l'innovation et les compétences ; c'est dans ce champ que se jouent la compétition économique mondiale, la création d'emplois et que s'élaborent la résilience et la souveraineté des économies de demain.
Monsieur le Premier ministre, malgré votre discours, votre action est en train de briser toutes les dynamiques de transition. En sabordant les budgets de la rénovation thermique des logements, vous ne laissez pas seulement des millions de familles étouffer l'été et grelotter l'hiver, parce qu'elles ne peuvent pas payer leurs factures. En sapant les budgets de l'électrification automobile et des transports collectifs, vous ne condamnez pas seulement les automobilistes au piège de l'instabilité des prix des carburants. Vous fragilisez également – et c'est aussi grave – des filières entières d'artisans, d'industriels, de services et vous abandonnez les centaines de milliers d'emplois qui les font vivre.
Parlons maintenant souveraineté, car c'est un beau sujet, cette souveraineté que vous brandissez comme un étendard, mais dont cette programmation pluriannuelle de l'énergie sape un à un les fondements.
En freinant l'électrification de notre économie, faute de nouveau nucléaire disponible avant au moins quinze ans, vous alimentez notre dépendance au pétrole du Golfe et d'ailleurs, au gaz de Poutine et au gaz de schiste de Trump, à l'uranium du Kazakhstan et de l'Ouzbékistan, et ce au prix d'une facture exorbitante, celle de nos importations.
Pendant ce temps, malheureusement, en France, les usines de fabrication de panneaux photovoltaïques et d'éoliennes ferment, faute de volonté politique et d'action européenne à la hauteur du dumping chinois. Les filières sont de fait menacées par la procrastination permanente et l'absence d'objectifs quantifiés précis.
Monsieur le Premier ministre, le seul fait que l'extrême droite soutienne le tout-nucléaire en assumant pleinement son climato-scepticisme et qu'elle multiplie les mensonges grossiers à propos du coût des énergies renouvelables devrait vous alerter. La complaisance de ses partisans vis-à-vis de Poutine et de Trump en fait les premiers fossoyeurs de notre souveraineté. Ne les écoutez pas !
Monsieur le Premier ministre, je m'adresse aussi au responsable politique de centre droit que vous êtes. Vous voyez bien que l'extrême droite et, malheureusement, une partie de la droite s'attaquent simultanément à l'État de droit et à l'agenda climatique. Ce n'est pas un hasard !
Dans cet hémicycle et ailleurs, si vous et le centre droit vous laissez embarquer dans cette dérive, ce sont la démocratie et l'habitabilité de notre pays qui seront menacées. C'est la bascule illibérale qui s'enclenchera.
Nos voisins allemands, gouvernés aujourd'hui par le centre droit – cela vient tout juste d'être confirmé –, ont choisi de lancer un plan de décarbonation de 100 milliards d'euros. Voilà qui devrait vous inspirer !
Nos émissions de gaz à effet de serre repartent à la hausse. Il y a urgence à investir utilement, à investir pour nos compatriotes, afin d'économiser l'énergie. Sobriété, efficacité, énergies renouvelables, sécurité du parc existant, souveraineté : voilà ce qui devrait guider votre feuille de route pour un mix énergétique responsable.
Monsieur le Premier ministre, pour reprendre votre formule, c'est bien sur votre action que nous jugerons votre vérité ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme Mélanie Vogel. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
M. Joshua Hochart. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, il en est de la politique énergétique comme des réseaux électriques : tout est question d'équilibre.
Tout est en effet question d'équilibre dans le cadre d'une politique qui est sans doute aujourd'hui l'une des plus importantes, si ce n'est l'une des plus vitales. Vous l'avez rappelé, monsieur le Premier ministre, le dernier débat de ce type au Parlement portait sur la situation en Ukraine. Nous l'avons vu, dans cette guerre affreuse, l'atteinte aux infrastructures électriques, la dépendance à des flux extérieurs de partenaires d'hier, qui peuvent devenir les adversaires de demain, et la trop grande fragilité de nos systèmes d'approvisionnement sont désormais une question de souveraineté, voire de sécurité nationale.
La France, elle, avait justement su trouver cet équilibre.
De toutes les fautes commises ces vingt dernières années, le sabordage conscient de notre parc électronucléaire est sans doute l'une des plus graves. La France pouvait se targuer de disposer du modèle énergétique le plus propre du monde occidental et des prix parmi les plus compétitifs pour nos ménages et nos entreprises. Depuis 2007, pourtant, les prix de l'énergie ont doublé.
Votre attachement servile au mécanisme européen de fixation des prix de l'électricité a précipité le pays dans une spirale inflationniste et une crise économique insensée, dont nous ne sommes sortis que par l'affaissement complet de nos comptes publics.
Tout est question d'équilibre, car, contrairement aux discours habituels, le Rassemblement national ne propose pas que notre modèle repose sur notre seul parc électronucléaire.
Certes, celui-ci doit être considérablement renforcé. À ce titre, nous avons été les seuls – avec, il faut le dire, la majorité sénatoriale – à proposer un plan pérenne de développement du nucléaire. Nous devrions ainsi tout mettre en œuvre pour gagner au moins 10 gigawatts de puissance nouvelle d'ici à 2035, doubler le parc actuel d'ici à 2050 et investir massivement dans les technologies de l'avenir comme le sont, non seulement les réacteurs nucléaires de quatrième génération, mais aussi les petits réacteurs modulaires, ainsi que la fusion nucléaire. Dans cette course technologique, la France peut se vanter d'être en tête.
Par ailleurs, nous ne nous opposons pas par principe aux énergies renouvelables. À cet égard, nous avons été les seuls ou presque à défendre la propriété publique de nos barrages, le développement de l'hydrogène ou la valorisation de la biomasse. Nous nous opposons à des technologies inefficaces, polluantes et dangereuses, comme le sont l'éolien ou encore le solaire.
Il me faut aussi évoquer la situation en Espagne et au Portugal. Les premiers rapports d'experts, embarrassés, mais forcés de le constater, concluent qu'un dysfonctionnement majeur dans le système de production électrique non pilotable de ces prétendues énergies renouvelables est bien à l'origine du chaos qui a frappé toute la péninsule ibérique. (Marques de désapprobation sur les travées du groupe GEST.)
Monsieur le Premier ministre, nous saluons votre décision de remettre l'ouvrage sur le métier. En l'état, cette programmation pluriannuelle de l'énergie était inacceptable : elle favorisait des énergies dont l'inefficacité et la nocivité ne cessent d'être démontrées, sans pour autant offrir à la France les moyens de redevenir le paradis énergétique qu'elle était, des moyens qui conditionnent plus que jamais notre réindustrialisation et notre prospérité.
Face à la décroissance, aux lubies faussement écologistes et aux forces de l'abandon, vous nous trouverez toujours du côté de la puissance et de la grandeur de la France !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie et de l'énergie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il me soit permis, avant de répondre aux différents orateurs des groupes politiques, de les remercier de leur participation à ce débat.
Ce débat est en effet utile : il nous donne l'opportunité de confronter nos convictions et, surtout, comme le Premier ministre l'a souligné, de faire évoluer la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), puisque c'est l'engagement que nous avons pris. Il ne s'agit donc pas d'un débat pour débattre. Au contraire, ce débat contribuera à faire évoluer la stratégie que nous défendrons et vient compléter un certain nombre de consultations qui ont eu lieu ces dernières années autour de la programmation pluriannuelle de l'énergie.
Pour ma part, je souhaite que le caractère documenté et factuel des propos de la plupart des intervenants demeure le fil conducteur de nos échanges. Je tâcherai de m'y tenir tout au long de mes réponses.
Il m'appartient de rappeler d'abord un principe qui guide la stratégie énergétique de ce gouvernement – je vous rassure, je n'ai évidemment pas l'intention de refaire le discours liminaire du Premier ministre (Sourires.) –, celui qui vise à sortir d'une forme de dépendance vis-à-vis des énergies fossiles.
Je ne reviens pas sur le coût des énergies fossiles, qui pèse aujourd'hui entre 60 milliards et 70 milliards d'euros par an dans notre balance commerciale. C'est même parfois beaucoup plus, lorsque certains pays, comme la Russie, en viennent à utiliser le gaz comme une arme de guerre. Cette situation a conduit à une dépense supplémentaire de quelques dizaines de milliards d'euros pour protéger les Français via le bouclier énergétique.
Cette dépendance est extrêmement coûteuse. Elle nous empêche notamment de prétendre à une véritable souveraineté énergétique. C'est donc fondamentalement sur cet objectif de réduction de notre dépendance que se fonde notre action : nous avons l'ambition de rendre notre système énergétique résilient. Il s'agit de pouvoir faire face aux crises et aux ruptures d'approvisionnement, de le rendre pilotable en parvenant à gérer les variations de notre consommation – l'enjeu est particulièrement prégnant pour ce qui est de l'électricité – et de le rendre compétitif. La compétitivité, qu'un grand nombre d'orateurs ont évoquée, est l'un des enjeux absolument essentiels qui doit guider notre stratégie énergétique.
Ce débat va se poursuivre. Le Premier ministre s'y est engagé. Les analyses qui résulteront de nos échanges seront prises en compte dans la future programmation pluriannuelle de l'énergie. La proposition de loi de Daniel Gremillet devrait être examinée à l'Assemblée nationale vers la mi-juin ; la discussion à laquelle donnera lieu pèsera évidemment sur nos conclusions. En outre, le groupe de travail animé par le même sénateur Daniel Gremillet et le député Antoine Armand contribuera aux évolutions à venir.
J'en viens maintenant aux éléments de réponse que je souhaite apporter aux uns et aux autres.
Monsieur Gremillet, vous avez souligné la nécessité d'adapter les objectifs figurant dans la programmation pluriannuelle de l'énergie. Nous partageons cette idée : nous avons en effet besoin de souplesse et d'agilité. Cela étant, vous le savez, ces objectifs ont déjà été adaptés dans le cadre de la version de la programmation pluriannuelle de l'énergie que nous avons soumise à la consultation publique à la fin de l'année 2024.
À titre d'exemple, les objectifs en termes de capacités de production photovoltaïque installées, qui atteignaient entre 75 et 100 mégawatts, sont désormais compris entre 65 et 90 mégawatts. C'est dire si nous sommes ouverts à votre idée, monsieur le sénateur : nous l'avons déjà mise en œuvre.
Dans cette même veine a été introduit dans le dernier projet de programmation pluriannuelle de l'énergie le principe d'un suivi de l'électrification de notre pays. Cela rejoint d'ailleurs un certain nombre de remarques qui ont été formulées : il faut que les usages progressent au même rythme que les capacités installées, ce qui suppose un suivi très fin, quantitatif, des consommations électriques et du processus d'électrification. Il convient véritablement de tenir compte de ces usages.
Vous avez également appelé à sortir d'une logique de décroissance. Comme cela a été souligné par un certain nombre d'orateurs, la programmation pluriannuelle de l'énergie ne participe aucunement d'une telle logique. Certes, l'objectif de consommation énergétique globale baisse entre 2022 et 2035, passant de 1 509 térawattheures à environ 1 100 térawattheures en 2035, mais cette réduction ne traduit absolument pas une quelconque volonté de limiter la production, l'activité ou l'emploi. Nous nous inscrivons en réalité dans une logique qui repose sur les principes de sobriété et d'efficacité énergétiques. Il me semble important de le rappeler, parce que le terme décroissance semble relever d'une conception qui ne correspond pas à ce qui figure dans la future programmation pluriannuelle de l'énergie.
Vous avez insisté sur la nécessité de ne pas opposer les énergies renouvelables (EnR) et le nucléaire. La proposition de loi que vous défendez, monsieur Gremillet – j'en profite pour vous en remercier au nom du Gouvernement –, a fait l'objet de nombreux échanges, qui contribueront à trouver l'équilibre que nous recherchons, au carrefour des principes de pilotabilité, de résilience et de compétitivité que j'évoquais.
Vous avez affirmé que la construction des EPR était de l'ordre du discours. Sur ce point, je suis un peu moins d'accord avec vous.
Vous le savez, le conseil de politique nucléaire que le Président de la République a présidé il y a quelques semaines a pris des décisions qui s'inscrivent dans le prolongement des décisions actées lors de précédentes réunions de ce même conseil, en particulier la décision d'accélérer le processus de fabrication des six EPR2 (Evolutionary Power Reactor 2) et celle de confirmer la recherche d'un certain nombre de solutions autour des SMR (Small Modular Reactor) et des petits réacteurs modulables, notamment les réacteurs à neutrons rapides qui offrent des potentialités très importantes.
Sachez également que le schéma de financement de ce nouveau nucléaire, plus particulièrement de ces six EPR, sera finalisé très bientôt en lien avec la direction d'EDF et qu'il fera l'objet dans la foulée d'une notification pour approbation auprès de la Commission européenne au titre du régime des aides d'État.
Vous avez appelé de vos vœux une augmentation de 26 gigawatts à 29 gigawatts de la capacité installée d'hydroélectricité. Cette hausse, vous le savez comme moi, dépend non pas de la construction de nouvelles installations, mais d'investissements supplémentaires dans les installations existantes.
Comme l'ont indiqué plusieurs de vos collègues, pour réaliser ces investissements, nous avons besoin de sécuriser le cadre juridique relatif aux installations hydroélectriques, donc de régler le contentieux avec l'Union européenne. Ce n'est qu'une fois que ce contentieux – pour lequel nous attendons les conclusions de la mission d'information consacrée aux modes de gestion et d'exploitation des installations hydroélectriques, menées par Mme Battistel et M. Bolo – aura été tranché que nous pourrons lancer les investissements dont je viens de parler.
Sur la stratégie hydrogène que j'ai eu l'honneur d'annoncer il y a quelques semaines, nous avons là encore une divergence de vues, à tout le moins une interprétation différente. Vous estimez que cette stratégie serait très décevante pour la filière hydrogène. Ce n'est pas l'impression que j'ai eue : la filière voulait de la visibilité, elle a donc plutôt bien perçu l'annonce de cette stratégie – je pense du reste qu'en discutant avec ses divers acteurs vous avez eu le même son de cloche que moi.
Certes, les objectifs en termes de capacités installées de production d'hydrogène ont été revus à la baisse, mais cela résulte d'une analyse fine du modèle économique de la filière, des usages actuels, dont certains n'ont pas trouvé leur modèle économique – je pense en particulier aux véhicules légers. C'est bien cette réflexion qui nous a amenés à réévaluer notre stratégie.
Monsieur Montaugé, je vous remercie de votre intervention. Vous avez avancé l'idée, comme l'ont fait d'autres sénateurs, que la méthode globale retenue par le Gouvernement, et pas simplement l'adoption de la programmation pluriannuelle de l'énergie par décret, constituerait un déni démocratique. Je me permets tout de même de vous faire remarquer que cette adoption par décret est prévue par la loi ; certes, une loi de programmation était prévue, mais les circonstances n'ont pas permis de l'adopter dans les temps.
La programmation pluriannuelle de l'énergie est compatible dans ses objectifs, malgré quelques nuances, avec la proposition de loi qui sera prochainement examinée à l'Assemblée nationale, M. Daniel Gremillet l'a d'ailleurs souligné. Cela signifie qu'il y a eu un débat et un vote, puisque vous avez vous-même eu l'occasion, ici, dans cet hémicycle, d'amender le texte.
Certes, il ne s'agit pas d'un projet de loi, mais je ne peux pas laisser dire qu'il n'y a pas eu et qu'il n'y aura pas de débat avec vote autour de ce projet de programmation pluriannuelle de l'énergie. Le Premier ministre s'y est engagé : les modifications qui seront décidées, à la lumière de nos échanges d'aujourd'hui, de ceux qui ont eu lieu la semaine dernière à l'Assemblée nationale et au regard des discussions qui se dérouleront lors de l'examen de la proposition de loi Gremillet seront pris en compte. À mon sens, une telle méthode laisse toute sa place au débat démocratique, puisque nous ne nous contentons pas d'un débat sans vote. Il était important, là encore, de le rappeler.
Vous l'avez souligné, toutes les énergies induisent une dépendance. Il est vrai qu'il existe une dépendance du nucléaire, celle qui résulte de l'approvisionnement en combustibles nucléaires, en particulier en uranium. Vous avez abordé, au registre des dépendances, un sujet un peu plus vaste, celui de la dépendance du secteur des énergies renouvelables, dans sa version industrielle, vis-à-vis des métaux rares – c'est le cas du lithium, du graphite, de tout ce qui entre dans la composition des batteries, et j'en passe.
Sur ces sujets, le conseil de politique nucléaire a mis en avant un principe très clair, celui de la diversification des sources d'approvisionnement d'Orano en matière de combustibles. Cela fait désormais partie de la stratégie nucléaire de la France que de sécuriser les approvisionnements, tout comme de les diversifier. C'est un élément important sur lequel je tiens à insister.
Le problème de dépendance sera résolu aussi par la technologie et la science. Je pense en particulier à la recherche autour de ce que l'on appelle la fermeture du cycle nucléaire, c'est-à-dire la réutilisation du combustible nucléaire usé. Évidemment, nous n'y sommes pas encore, mais le conseil de politique nucléaire a réaffirmé son soutien à un certain nombre de projets de recherche, en particulier autour des réacteurs à neutrons rapides, qui doivent permettre de fermer ce cycle.
Ce n'est qu'une promesse à ce stade, mais vous me permettrez de la considérer comme assez formidable, puisque cette avancée nous permettrait de ne plus dépendre de sources d'approvisionnement externes et de recycler le combustible nucléaire. C'est ce que nous promet l'avenir. Je ne suis pas moi-même chercheur dans le nucléaire, mais je peux vous dire que les chercheurs dans ce domaine y croient. Je pense par conséquent qu'il faut soutenir ces initiatives.
Nous avons établi une stratégie de sécurisation des métaux précieux ou rares, qui passe par la diversification des approvisionnements. J'ai réaffirmé cette stratégie lorsqu'il y a quelques semaines j'ai lancé un inventaire des ressources minérales au cours de ma visite du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) à Orléans. Il s'agit de diversifier nos approvisionnements pour tout ce qui ne se trouve pas sur notre territoire, mais aussi de relancer un inventaire minier pour ce qui s'y trouve ! Nous disposons de gisements de tungstène ou de lithium, par exemple, qui pourraient offrir des potentialités qu'il nous faut explorer. C'est ce que nous sommes en train de faire. J'espère que nous trouverons de nouveaux gisements, dans les trois prochaines années.
Enfin, combattre la dépendance passe aussi par le recyclage des matériaux. La structuration de la filière industrielle du recyclage des métaux, des batteries relève également de cette stratégie. Il ne me semblait pas inutile de vous apporter toutes ces précisions, monsieur Montaugé.
Vous m'avez également interpellé sur des sujets qui concernent notre politique industrielle et non pas le sujet qui nous réunit aujourd'hui. Même si nous aurons l'occasion d'en débattre plus longuement, je tiens à vous dire qu'il serait préférable d'inverser la logique que vous promouvez, celle qui consisterait à calibrer notre politique et notre trajectoire énergétiques en fonction d'hypothèses relatives à l'évolution de l'emploi industriel ou de l'activité industrielle ; il faut au contraire partir du principe que la création ou le maintien d'emplois industriels, la création d'activité dépendent de notre capacité à garantir des prix de l'énergie compétitifs à nos industriels. On le voit bien avec le groupe Arcelor, j'en ai discuté avec ses dirigeants il y a peu de temps.
Pour moi, je le redis, il faut inverser la logique et cesser de fonder notre stratégie sur des projections industrielles, qui sont comme toujours très difficiles à établir. Il faut au contraire créer les conditions, notamment au regard des prix de l'énergie, d'un développement de l'emploi dans notre pays.
Enfin, vous m'avez interpellé sur le scénario de Réseau de transport d'électricité (RTE) que je reprendrais à mon compte pour la trajectoire de la programmation pluriannuelle de l'énergie. C'est précisément l'objet de ce débat et des débats qui auront lieu autour de la proposition de loi de Daniel Gremillet, à savoir déterminer s'il faut s'arrimer à ce scénario ou plutôt l'adapter. Pour ma part, je ne veux pas préempter ce débat.
Monsieur Chauvet, vous avez insisté sur le fait que la trajectoire qui figure dans ce projet de programmation pluriannuelle de l'énergie est une trajectoire volontariste en termes d'électrification. Certains ont des doutes, au regard du constat d'une stagnation de notre consommation d'électricité depuis un certain nombre d'années, qui a été rappelé par le Premier ministre et par d'autres.
Cette stratégie d'électrification se déploie à travers trois grands axes.
Le premier axe est la décarbonation de l'industrie au sens large. Je pense aux milliards d'euros que nous dépensons au titre du plan France 2030 et de la compensation carbone pour accompagner nos industriels électro-intensifs dans cette voie. Comme vous le savez, l'État s'est engagé, si d'aventure des investissements étaient consentis, à financer la décarbonation du groupe Arcelor pour un montant avoisinant les 850 millions d'euros.
J'aurais aussi pu évoquer toutes les initiatives qui concernent les data centers. Un data center de grande puissance, d'un gigawatt par exemple, représente 8 térawattheures de consommation annuelle. Si l'on veut faire progresser la consommation d'électricité dans notre pays, installons des data centers et concrétisons les projets d'investissement qui ont été annoncés, notamment par le Président de la République lors du Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle. C'est un élément essentiel.
Le deuxième axe consiste à financer les efforts d'investissement dans le domaine des mobilités. Nous maintenons un bonus que les Allemands ont supprimé. Certes, le maintien de ce bonus se fait moyennant une baisse de crédits – vous connaissez notre situation budgétaire –, mais nous le maintenons tout de même.
Nous maintenons aussi le leasing social selon des modalités de financement différentes. Nous incitons notamment à l'électrification des flottes professionnelles pour renforcer la demande de véhicules électriques. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, le Gouvernement a déposé un amendement qui tend à créer une incitation fiscale pour les entreprises qui électrifient leurs flottes. Un véhicule neuf sur deux vendu aujourd'hui en France est ainsi acheté par une flotte d'entreprises. Il y a là un levier considérable d'électrification ; nous nous engageons fortement sur ce sujet.
Le troisième axe est le logement. Nous soutenons la filière des pompes à chaleur et le basculement des énergies fossiles vers d'autres sources d'énergie – pas forcément de l'électricité d'ailleurs, c'est peut-être de la chaleur renouvelable. Nous allons continuer à le faire.
Monsieur Chauvet, vous avez parlé de la faible acceptation sociale des EnR. Il n'a échappé à personne qu'un certain nombre de projets d'énergies renouvelables étaient source de conflits. Je fais miens vos propos sur la nécessité de s'appuyer sur les infrastructures existantes – éoliennes, installations photovoltaïques… – pour les rendre plus performantes, sans artificialiser davantage les sols. De ce point de vue, ces dispositifs seraient évidemment très vertueux.
L'expérience que j'ai acquise en tant que ministre chargé de l'industrie et de l'énergie me laisse penser que l'acceptabilité sociale des EnR repose aussi sur notre capacité à démonter qu'il y a derrière ces énergies un vivier d'emplois industriels dans nos territoires. Je le constate tous les jours : si l'emploi industriel se maintient et que les sites industriels continuent d'ouvrir, c'est principalement le fait des industries vertes et des industries liées aux énergies renouvelables. Cette réalité devrait convaincre nos concitoyens, notamment les élus locaux et tous les Français qui sont sensibles à cette préoccupation.
Vous avez souligné le risque d'un déséquilibre à terme entre nos capacités de production d'EnR et la demande – cela rejoint les échanges que l'on vient d'avoir sur l'électricité. En réalité, notre pays a besoin de conserver des marges de production de capacités ; au fond, cela n'est pas un problème, dès lors que nous disposons de débouchés naturels via nos exportations. Le Premier ministre l'a du reste indiqué, en 2024, nous avons exporté 90 térawattheures nets.
Enfin, vous appelez de vos vœux un lancement rapide des nouveaux EPR. Comme je l'ai dit, le schéma de financement de ces réacteurs sera très prochainement finalisé, puis notifié à la Commission européenne. Sachez que la fabrication des composants des EPR2 a déjà commencé. L'usine Framatome du Creusot, que j'ai visitée il y a quelques mois, produit les cuves des futurs EPR.
En réalité, la filière s'est déjà mise en mouvement. Elle a déjà élaboré un plan de gestion de ses ressources humaines : 100 000 recrutements dans la filière nucléaire seront nécessaires dans les dix prochaines années pour assurer le programme du nouveau nucléaire. La filière est prête, mais, j'y insiste, la décision d'investir ne sera prise que dans les prochains mois sur le fondement des échanges qui auront eu lieu avec la Commission européenne.
Monsieur Louault, vous avez évidemment raison de rappeler que nos industriels ont besoin de bénéficier de prix compétitifs.
À cet égard, un certain nombre de dispositifs existent déjà pour soutenir les industriels, en particulier, les industriels les plus électro-intensifs. Le taux d'accise applicable à ces derniers, c'est-à-dire aux industriels dont le processus de production implique plus de 6 euros de valeur ajoutée par kilowattheure, ainsi qu'à ceux qui sont les plus exposés à la concurrence internationale, s'élève à 50 centimes d'euros par mégawattheure, contre un taux moyen qui atteint plus de 30 euros par mégawattheure. Certains dispositifs en vigueur permettent donc déjà de soutenir fortement ces industriels électro-intensifs, même si, comme vous, je pense qu'il faut aller plus loin.
Vous avez mentionné les contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN), contrats en cours de négociation entre EDF et nos industriels. Au regard du contexte actuel, je suis confiant dans notre capacité à signer un volume significatif de contrats avec les industriels électro-intensifs avant le 1er janvier 2026, puisque c'est le terme prévu de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh).
Le parcours de Bernard Fontana, qui est désormais président-directeur général du groupe EDF, témoigne de sa sensibilité aux enjeux des industriels, notamment à la nécessité pour eux de lutter à armes égales dans la compétition internationale. Nous verrons bien ce qu'il adviendra – je ne préjuge évidemment pas ce qui sera signé ou annoncé –, mais nous aurons l'occasion d'en dresser le bilan et je tiendrai au courant la représentation nationale de l'évolution de ce dossier.
J'ai cru comprendre, dans vos propos, que la trajectoire de la programmation pluriannuelle de l'énergie suivrait une courbe décroissante. Je m'inscris en faux contre cette analyse, qui découle très directement des chiffres globaux de la consommation énergétique. Encore une fois, c'est en renforçant notre efficacité et notre sobriété que l'on pourra consommer moins, certainement pas en désindustrialisant le pays. C'est le ministre chargé de l'industrie et de l'énergie qui vous le dit.
Le débat sur les contributions au service public de l'électricité (CSPE), dont vous avez parlé, est à mon sens nécessaire.
Je rappelle que les hypothèses relatives au coût de ces fameuses charges de service public qui figurent dans la programmation pluriannuelle de l'énergie dépendent, par nature, du niveau des prix de marché. Chacun le sait, il est très difficile de prévoir l'évolution de ces prix à horizon aussi lointain. Néanmoins, par souci de transparence, nous nous sommes livrés à cet exercice.
Je rappelle également que les CSPE peuvent coûter de l'argent à l'État lorsque les prix de marché sont inférieurs à celui qui est prévu dans les contrats signés, mais qu'elles peuvent aussi lui en rapporter. C'était le cas en 2022-2023 : 6 milliards d'euros sont alors entrés dans les caisses.
M. Yannick Jadot. Exactement !
M. Marc Ferracci, ministre. Vous rétorquerez qu'il s'agissait d'une situation exceptionnelle, mais, par principe, notre modèle économique doit aussi permettre de pallier ce type de situation.
M. Yannick Jadot. Eh oui !
M. Marc Ferracci, ministre. Ce principe, qui consiste à compenser dans un sens et dans l'autre, est également celui sur lequel repose notre plan de financement du nouveau nucléaire, qui est assumé par EDF dans le cadre d'un contrat pour différence. Il serait donc délicat de critiquer ce principe lorsqu'il s'applique aux EnR et de l'approuver quand il concerne le financement du nouveau nucléaire.
M. Vincent Louault. Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Marc Ferracci, ministre. C'est vrai, monsieur le sénateur, mais je me permets de faire ce parallèle, parce que le principe est le même.
Pour en finir avec cette question de la compétitivité et des prix des différentes sources d'énergie, qui, vous avez eu raison de le dire, est un critère essentiel, je tiens à souligner qu'un certain nombre d'EnR sont aujourd'hui d'ores et déjà compétitives, y compris vis-à-vis du nucléaire existant. Je ne parle même pas du nouveau nucléaire, qui coûtera plus cher, puisque les six EPR2 coûtent plus cher que les réacteurs actuellement en service.
M. Yannick Jadot. Très bien !
M. Marc Ferracci, ministre. Je vous donne un exemple : l'appel d'offre pour l'éolien en mer posé, signé en 2023 et figurant sous le numéro 4, a fixé le prix du mégawattheure à 45 euros pour les contrats à venir.
M. Yannick Jadot. Exactement !
M. Yannick Jadot. Très bien !
M. Marc Ferracci, ministre. Certes, ce n'est pas le cas de toutes les EnR. M. le Premier ministre l'a souligné lui-même : il faudra du temps pour que l'éolien posé atteigne la maturité technologique ; en outre, les coûts de raccordement sont plus élevés. Toutefois, il ne faut pas mettre toutes les solutions énergétiques dans le même panier, si vous m'autorisez cette expression. Nous devons étudier en détail ce que permettent les unes et les autres.
Enfin, monsieur le sénateur, je tiens à revenir sur un de vos propos qui me laisse très circonspect.
On peut tout à fait prolonger la durée de vie de nos réacteurs existants de soixante, soixante-dix ou quatre-vingts ans, comme vous le suggérez. À vous entendre, l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) elle-même le confirmera bientôt. Je rappelle que la prolongation des réacteurs existants, annoncée par le Président de la République, suppose un processus de sécurisation extrêmement rigoureux : à chaque visite décennale, EDF leur consacre une analyse spécifique, laquelle doit ensuite être validée par l'ASNR.
Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs et, pour ma part, je ne tenterai jamais d'anticiper les conclusions de l'ASNR. (M. Yannick Jadot acquiesce.) Peut-être ira-t-elle dans le sens que vous évoquez ; peut-être estimera-t-elle aussi, au regard des multiples contraintes dont il faut tenir compte, qu'elles soient technologiques ou industrielles – je pense en particulier aux contraintes de gestion du combustible –, que la prudence doit l'emporter.
J'en suis sincèrement convaincu : le volontarisme, si puissant soit-il, ne saurait nous dispenser des précautions qui s'imposent en la matière. Je suis volontariste et je soutiens le programme grand carénage. Pour autant, j'y insiste, nous devons suivre un certain nombre de procédures, destinées avant tout à assurer la sécurité – c'est tout le sens des avis de l'ASNR.
Monsieur Buis, je partage pleinement l'idée que la souveraineté passe par la décarbonisation. J'ai rappelé au début de mon propos ce que nous coûtaient les énergies fossiles, je n'y reviens pas.
Vous m'avez posé des questions précises, en particulier au sujet des huit nouveaux EPR (European Pressurized Reactors) qui pourraient faire l'objet d'une décision d'ici à la fin de l'année 2026.
Le processus d'instruction de ces EPR2 est en cours. Au total, douze sites sont envisagés. Je ne peux évidemment pas communiquer à ce titre, pour des raisons que vous comprenez bien. Je précise toutefois que cinq d'entre eux ont déjà fait l'objet, de la part d'EDF, d'une étude reposant sur de nombreux critères, notamment l'hydrogéologie, la gestion des déchets ou encore la viabilité du site pour accueillir un EPR2.
Le Président de la République l'a rappelé lors du conseil de politique nucléaire : le choix sera arrêté d'ici à la fin 2026, lorsque la décision finale d'investissement pour les six premiers EPR sera annoncée, c'est-à-dire lors du lancement formel des chantiers.
Vous m'interrogez également sur les moyens de développer l'éolien offshore. Pour ce faire, il existe une solution simple et rapide, à savoir publier le décret de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). C'est en effet la condition nécessaire au lancement des futurs appels d'offre. L'un d'eux est d'ailleurs prêt : il ne demande qu'à être mis en œuvre. Toutefois, pour le lancer, nous avons besoin du cadre juridique de la PPE, donc de la publication de ce décret.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vos collègues députés ont peut-être plus insisté que vous sur ce point : il est impératif de maximiser l'empreinte industrielle.
Derrière les EnR comme derrière le nucléaire – j'ai déjà pris soin de le relever –, il y a des filières industrielles et des créations d'emploi. Ces filières industrielles nous demandent aujourd'hui de leur donner de la visibilité. Nous devons prendre en compte l'empreinte industrielle et, plus largement, le développement industriel de nos territoires. Une fois franchies les différentes étapes que j'ai évoquées et que le débat démocratique impose, il sera d'autant plus important d'assurer la publication du décret de la PPE, notamment pour l'éolien en mer.
Monsieur Buis, vous insistez sur la nécessité d'accorder toute sa place à l'hydroélectricité. Nous sommes évidemment d'accord avec vous sur ce point. Nous attendons les conclusions de la mission d'information Bolo-Battistel, à l'Assemblée nationale, ainsi que de la mission lancée par la commission des affaires économiques du Sénat : ces travaux ne manqueront pas de nourrir nos réflexions sur le cadre juridique des concessions.
Quant à notre stratégie relative à l'hydrogène, elle ne fait pas l'impasse sur les mobilités lourdes, mais elle identifie à ce titre des modes de transport probablement dotés d'un modèle économique plus solide que d'autres. (M. Bernard Buis acquiesce.) En particulier, les expérimentations menées dans le domaine ferroviaire ne me semblent aujourd'hui pas forcément à la hauteur d'autres usages de l'hydrogène.
M. Gay déplore ce qu'il appelle un « déni démocratique », observant que l'on attend la programmation pluriannuelle de l'énergie depuis maintenant trois ans. Je ne reviens pas sur les circonstances politiques, qui, de fait, ne sauraient tout expliquer. Toutefois, je rappelle qu'une consultation a été menée, il l'a d'ailleurs évoquée, à laquelle 50 000 citoyens ont participé ; des débats ont eu lieu et, sur ce sujet, une proposition de loi a été déposée.
Selon lui, le groupe de travail Armand-Gremillet serait même le « comble du déni démocratique ». Pour moi qui suis un ancien parlementaire, il est tout de même surprenant d'entendre de tels propos, alors même que cet organe est composé de députés et de sénateurs. Vous l'aurez compris, je n'approuve pas cette vision des choses.
En revanche, je me range à l'analyse de M. Gay quand il insiste sur l'urgence à sortir des énergies fossiles : il s'agit là d'un point de convergence entre nous. M. Gay affirme que ces énergies représentent 40 % de notre mix énergétique : la part est même de 60 %. Il est évident que nous devons limiter notre dépendance.
En revanche, M. Gay avance à tort que, si les EnR ne produisent pas au titre des contrats signés, elles sont « payées à ne rien faire ». Non ! Les EnR n'ont aucun intérêt à rester improductives : si elles ne produisent pas, elles ne sont pas payées. (M. Jean-Pierre Corbisez proteste.) Il est très important de le rappeler.
M. Gay critique également le coup de rabot dont a fait l'objet MaPrimeRénov'. Ce dispositif a bien été amputé d'une partie de ses crédits, du fait du contexte budgétaire, mais il n'en continue pas moins. Je rappelle tout de même qu'il a été créé, puis prolongé par les majorités qui se sont succédé depuis 2017. Sa mise en œuvre remonte plus précisément au 1er janvier 2020. Jusqu'alors, aucun gouvernement ne s'était engagé de manière si résolue dans la rénovation thermique des logements.
De même, selon M. Gay, rien n'est fait pour contrer le photovoltaïque chinois : ce n'est pas vrai. Aujourd'hui, deux usines produisent des panneaux photovoltaïques en France. De plus – M. le Premier ministre l'a rappelé –, plusieurs projets de gigafactories de panneaux photovoltaïques sont en train de consolider leur modèle économique. Elles verront le jour avec le soutien de l'État.
Notre stratégie ne consiste pas à produire tous les panneaux dont nous avons besoin. Notre but est d'assurer une forme de résilience quant à la production de panneaux, pour toutes nos installations photovoltaïques. Il est important de le rappeler.
Enfin, je me dois de répondre à une affirmation qui ne correspond à aucune donnée statistique ni à aucun des éléments factuels dont je dispose : à en croire M. Gay, les prix de l'électricité augmenteront de 10 % en 2026.
Les simulations dont nous disposons, sur la base du schéma qui va prendre la suite de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), n'annoncent absolument pas d'augmentation des prix. Les tarifs réglementés de vente de l'électricité (TVRE) ont même baissé de 15 % le 1er février dernier. Je serais heureux que M. Gay m'indique ses sources, car, à mon sens, une telle affirmation ne repose sur rien.
Madame Carrère, vous le savez, j'estime comme vous qu'il est nécessaire de sortir de la dépendance énergétique. En outre, vous insistez avec raison sur un impératif majeur : en la matière, nous devons « peser chaque denier public » – je reprends les termes que vous avez employés.
Cet effort est indispensable pour décarboner : il convient de maximiser la dépense publique au regard du coût d'abattement. Combien coûte l'abattement d'une tonne de CO2 ? Voilà un critère très concret, très précis, qui doit guider nos décisions.
À ce titre, je prêche pour ma paroisse en tant que ministre chargé de l'énergie : au regard du coût d'abattement, un euro dépensé pour la décarbonation de l'énergie est mieux employé que dans beaucoup d'autres secteurs. Il faut évidemment tenir compte de ce critère.
En parallèle, vous soulignez qu'il faut minimiser les risques : je ne peux que partager vos propos, notamment à la lumière de l'épisode espagnol. À cet égard, nous ne disposons pour l'heure d'aucune piste ou d'aucun élément d'enquête probant…
M. Yannick Jadot. Exactement !
M. Marc Ferracci, ministre. J'y reviendrai dans un instant.
La diversification des sources relève de l'évidence. On l'a vu en 2022 et 2023 : lorsque notre parc nucléaire a connu de grandes difficultés du fait de la corrosion sous contrainte (CSC), les EnR et l'importation d'électricité ont pris le relais. Il est évident que la flexibilité et la diversification des sources d'énergie sont des solutions.
Enfin, je répète, nous avons l'ambition de relancer les investissements dans l'hydroélectricité. Pour cela, il faut sécuriser le cadre juridique et résoudre le contentieux avec l'Union européenne.
Monsieur Jadot, j'ai la faiblesse de croire que notre discussion d'aujourd'hui n'est pas « juste un débat ». (Mme Mélanie Vogel s'exclame.)
Vous soulignez la nécessité de prendre en compte le contexte géopolitique, en citant la guerre en Ukraine : je partage tout à fait ces propos, à l'instar de M. le Premier ministre. Ces crises renforcent, à nos yeux, la nécessité de sortir de la dépendance aux énergies fossiles et, plus largement, de toute forme de dépendance énergétique. Le contexte que nous connaissons ne remet pas en question cette stratégie ; au contraire, il la renforce. J'en suis profondément convaincu.
Vous avez évoqué le coût des EPR2.
Notre schéma de financement, qui fait l'objet d'un certain nombre de réflexions, sera bientôt notifié à la Commission européenne. Le coût de ce programme est estimé non pas à 100 milliards d'euros, mais à 67 milliards d'euros. Même si sommes bien placés pour savoir que les programmes peuvent évoluer , c'est l'hypothèse de travail que nous prenons pour base aujourd'hui. Ce montant sera officialisé lors de la notification ; il est important de le souligner.
À vous entendre et vous l'avez dit à plusieurs reprises, le nouveau nucléaire ne serait pas finançable. Je conteste ces propos en suivant, en quelque sorte, un raisonnement par l'absurde.
Nous proposerons à la Commission européenne un schéma de financement équilibré, avec deux composantes.
D'une part, pour la phase de construction, nous prévoyons un prêt bonifié de l'État à EDF, dont le quantum précis reste à déterminer et qui représentera plus de 50 % de l'ensemble – ce choix a été retenu pour d'autres schémas nucléaires, comme le projet de Dukovany, en République tchèque.
D'autre part, pour la phase d'exploitation, nous envisageons un contrat pour différence, que j'ai évoqué en répondant à M. Louault.
Le schéma de financement existe ; il a été tracé noir sur blanc, négocié avec EDF, puis validé. Je ne peux donc pas vous laisser dire que le nouveau nucléaire n'est pas finançable. On peut bien sûr débattre de son coût plus ou moins élevé, en abordant la compétitivité relative des différentes sources d'énergie. Reste que, pour ce qui est de notre capacité à financer le nouveau nucléaire, vos propos ne correspondent pas à la réalité.
En parallèle, vous semblez laisser croire que les EnR représentent la quasi-totalité des capacités qui se développent actuellement en Europe. La France n'est pas seule, en Europe, à investir dans le nucléaire.
Je suis à la tête d'une alliance des pays du nucléaire négociée il y a maintenant deux ans par Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de la transition énergétique, qui réunit aujourd'hui une dizaine de pays. Certains d'entre eux disposent d'ores et déjà de réacteurs dans leur territoire, tandis que d'autres envisagent d'en construire ; tous en tout cas défendent le nucléaire et la neutralité technologique à l'échelle européenne, c'est-à-dire le fait que le nucléaire puisse être financé au même titre que les énergies renouvelables.
Dans ce domaine, la France n'est donc absolument pas isolée en Europe. (M. Yannick Jadot s'exclame.) Je le souligne, même si ce n'est pas ce que vous avez dit. On observe aussi une dynamique en faveur du nucléaire sur notre continent (Marques d'ironie sur les travées du groupe GEST.), il est important de le répéter.
Selon vous, nous freinerions l'électrification. Je ne reviendrai pas sur toutes les mesures permettant de soutenir ce vaste chantier, malgré les contraintes budgétaires avec lesquelles nous devons composer, contraintes que vous connaissez et que nous assumons.
Enfin, je ne peux pas vous laisser dire que l'agenda climatique est attaqué.
La France – vous le savez mieux que quiconque ici – est à l'origine des accords de Paris. Nous défendons l'agenda issu de ces accords. Nous défendons en particulier l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 et nous continuerons de le défendre. Pour autant, et cet élément a toute son importance pour le Gouvernement, nos objectifs de décarbonation doivent être rendus compatibles avec une politique industrielle ambitieuse (M. Yannick Jadot acquiesce.), en particulier à l'échelle européenne.
Notre politique industrielle ne saurait être mise au rebut. C'est le message que j'ai transmis à tous les commissaires européens que j'ai rencontrés, quels que soient leurs domaines d'attribution.
Notre agenda climatique demeure, mais il doit être assorti d'initiatives ambitieuses à l'échelle européenne, qu'il s'agisse de protections commerciales ou de soutien à l'industrie. Pour ma part, je continuerai de défendre ce point de vue.
Enfin, je répondrai à M. Hochart sur la panne espagnole. À l'en croire, les premiers rapports des experts en Espagne et au Portugal tendent à montrer que l'origine de cette panne tient au mix énergétique espagnol, qui, comme chacun le sait, repose plus que d'autres sur les renouvelables.
Après m'être entretenu hier avec mon homologue espagnole, Sara Aagesen Muñoz, après avoir mené de longs échanges avec les représentants de Réseau de transport d'électricité (RTE) quant aux premières analyses fournies par cet acteur, je peux vous l'assurer : aujourd'hui, il est impossible d'affirmer quoi que ce soit sur l'origine de cette panne. Je ne peux donc privilégier aucune interprétation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir m'excuser si j'ai été trop long et, au nom du Gouvernement, je tiens à remercier très chaleureusement l'ensemble des participants à ce débat. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
(M. Pierre Ouzoulias remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
vice-président
M. le président. Nous en avons fini avec la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la souveraineté énergétique de la France.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures dix-huit, est reprise à dix-sept heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
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candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi autorisant la ratification de la résolution LP.3(4) portant amendement de l'article 6 du protocole de Londres de 1996 à la convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets et autres matières ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.
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Personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982
Adoption en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 (proposition n° 403 [2023-2024], texte de la commission n° 565, rapport n° 564).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le devoir de mémoire n'est pas un exercice de confort. C'est une exigence de vérité, c'est un acte de justice et c'est bien un devoir d'histoire.
L'histoire qui nous rassemble aujourd'hui, c'est d'abord une histoire effacée, une histoire trop longtemps étouffée, une histoire trop longtemps tue par ceux qui l'ont subie, tant la peur, la honte et l'invisibilité leur ôtaient le pouvoir de parler.
Même aujourd'hui, malgré des travaux essentiels menés depuis les années 1990, l'histoire de la répression de l'homosexualité en France demeure méconnue, d'autant plus que l'histoire qui nous rassemble aujourd'hui est celle d'un mythe : le mythe d'une France pionnière, patrie des Lumières et modèle de tolérance, qui, en 1791, supprime le crime de sodomie, lequel pouvait conduire les condamnés au bûcher.
De fait, en France, l'homosexualité reste longtemps marginalisée, stigmatisée et poursuivie, parce que l'ordre moral ne change pas et que, très vite, le droit se reconfigure pour continuer à punir, sans le dire de manière explicite.
Pendant un siècle et demi, la répression se déguise. On ne légifère pas spécifiquement contre l'homosexualité : on l'encadre au travers d'autres infractions – outrage public à la pudeur, excitation de mineurs à la débauche, atteinte aux bonnes mœurs, vagabondage, racolage ou encore proxénétisme. Derrière des termes génériques, derrière une légalité de façade, le ciblage est systématique.
L'outrage public à la pudeur devient l'un des principaux outils de répression : dans la plupart des cas, l'outrage n'a rien de public et la pudeur offensée est celle d'un ordre établi profondément réactionnaire. Souvent, c'est la police elle-même qui provoque l'infraction.
Assez vite, on réclame une législation plus explicite, et ces demandes finissent par être entendues.
En 1942, un cap est franchi. Un projet amorcé sous la IIIe République est mis en œuvre par le régime de Vichy : un texte à valeur législative introduit pour la première fois dans le code pénal des dispositions explicitement discriminatoires envers les homosexuels.
La loi du 6 août 1942 institue en effet une majorité sexuelle différenciée selon l'orientation sexuelle – 13 ans pour les hétérosexuels, 21 ans pour les homosexuels. Le but est clair : faciliter les condamnations et, dans le contexte de Vichy, permettre les internements, les déportations et l'extermination. Toutefois, les changements politiques ne mettent pas fin à la répression.
À la Libération, ce texte n'est pas abrogé. Au contraire, il est confirmé par l'ordonnance du 8 février 1945. À en croire l'exposé des motifs qui l'accompagne, « cette réforme, inspirée par le souci de prévenir la corruption des mineurs, ne saurait, en son principe, appeler aucune critique ».
Cette continuité s'enracine dans une société d'après-guerre saturée d'obsessions, qui valorise la virilité, redoute le désordre, efface le rôle des résistants homosexuels et des résistantes lesbiennes. C'est dans une atmosphère de croisade morale face à la « démocratisation de l'homosexualité » que le député Paul Mirguet obtient, en 1960, le classement de l'homosexualité dans la liste des « fléaux sociaux » contre lesquels le Gouvernement est habilité à prendre des mesures.
Ainsi, l'ordonnance du 25 novembre 1960 introduit une circonstance aggravante pour l'outrage à la pudeur lorsqu'il est commis entre personnes de même sexe : si l'outrage est homosexuel, les peines sont doublées.
Au-delà de cette architecture répressive, l'histoire qui nous rassemble aujourd'hui, c'est l'histoire de milliers de vies, profondément et durablement marquées par la répression de l'homosexualité.
C'est l'histoire de ceux dont le seul délit était d'aimer quelqu'un du même sexe,
Ceux que le régime de Vichy a traqués,
Ceux qui ont été pourchassés, arrêtés et marqués d'un triangle rose,
Ceux qui ont été internés, déportés, puis exterminés,
Ceux dont la mémoire a longtemps été ignorée,
Ceux que la République a continué de poursuivre,
Ceux qui étaient ouvriers du bâtiment, manœuvres agricoles, soudeurs, manutentionnaires, cuisiniers, garçons de salle, coiffeurs, mécaniciens, étudiants, vendeurs, maîtres-nageurs ou porteurs de valises,
Ceux qui étaient tous les autres,
Ceux qui aimaient en cachette, dans des lieux de fortune, parce que c'était ça ou rien,
Ceux que l'on guettait, suivait, piégeait, provoquait,
Ceux que l'on arrêtait par descente et que l'on embarquait dans les paniers à salade,
Ceux à qui on « cassait la gueule »,
Ceux qui entendaient au commissariat : « Écoutez, vous êtes pédé, vous l'avez bien cherché »,
Ceux à qui on demandait au tribunal : « Monsieur, vous êtes bien un inverti ? »,
Ceux dont l'employeur était informé avant l'avocat,
Ceux dont on publiait le nom dans le journal local en guise de seconde sentence,
Ceux que l'on contrôlait chaque semaine dans les mêmes rues,
Ceux que l'on tutoyait, que l'on insultait et que l'on rabaissait,
Ceux dont la vie a été détruite sans jugement,
Ceux qui ont connu les interpellations sans suite et les gardes à vue humiliantes,
Ceux qui passaient six mois en préventive et qui étaient condamnés à du sursis,
Ceux que la police surveillait à distance,
Ceux que l'on fichait,
Ceux que l'on faisait chanter,
Ceux que l'on faisait vivre sous la menace permanente,
Ceux qui ont perdu leur emploi parce qu'un supérieur avait « découvert »,
Ceux que le propriétaire a mis à la porte sur une simple rumeur,
Ceux dont la famille a rompu tout lien après une dénonciation,
Ceux qui ne voyaient d'autre issue que le suicide,
Ceux qui ont grandi dans la honte, dans la peur ou dans le silence,
Ceux que « la société tenait pour des malades, des délinquants, des gens à soigner, des gens à chasser »,
Ceux qui ont donc appris à ne pas parler, à ne pas montrer, à ne pas exister,
Ceux qui rasaient les murs et qui baissaient les yeux,
Ceux qui ont aimé sans jamais le dire,
Ceux qui ont désiré sans jamais le montrer,
Ceux qui ont construit leur vie contre eux-mêmes,
Ceux qui ont inventé des histoires et trouvé des alibis,
Celles que l'on n'a pas accusées parce que, pour le patriarcat, une femme sans homme, cela n'existe pas,
Ceux qui ont entendu mille fois que leur vie était une déviance, un scandale ou une faute, que leur inclination était « contre-nature »,
Ceux qui ont fini par croire que c'était peut-être vrai,
Ceux que l'on a voulu « guérir »,
Ceux que l'on a détruits sous prétexte de les « soigner ».
Ce sont toutes ces vies et toutes les autres qu'il nous faut aujourd'hui reconnaître.
Dans cette nuit épaisse, certains ont dit non.
C'est grâce à eux que l'histoire bascule, car l'histoire qui nous rassemble aujourd'hui, c'est celle de la dépénalisation.
Dans le sillage de mai 68 et des émeutes de Stonewall, à New York, en juin 1969, une génération s'éveille, des groupes se créent et des idées circulent.
On clame, pour les homosexuels, un droit fondamental : celui de ne plus être traités comme des délinquants. On exige l'égalité, on réclame la justice.
Le 25 juin 1977, à Paris, 400 personnes marchent de la place de la République à la place des Fêtes à l'appel du groupe de libération homosexuel (GLH) et du mouvement de libération des femmes (MLF). La rue devient un espace de visibilité et la contestation s'invite aussi dans les tribunaux.
Les mouvements s'affirment, les voix se multiplient et les résistances s'organisent.
Pendant ce temps, au Parlement, quelques personnages politiques tentent de briser le mur.
Le sénateur Henri Caillavet dépose, en 1978, une proposition de loi pour supprimer les dispositions discriminatoires du code pénal. Ce texte est rejeté, mais il fissure déjà l'édifice.
Le 19 novembre 1980, un premier pas est franchi : l'Assemblée nationale vote l'abrogation des dispositions introduites par l'ordonnance du 25 novembre 1960.
L'héritage de Vichy résiste encore, jusqu'au printemps de 1981.
Le 4 avril de cette année, 10 000 manifestants marchent à Paris pour « les droits et libertés des homosexuels et des lesbiennes ».
Après le 10 mai, un nouveau chapitre commence. Sous l'autorité de Gaston Defferre, nouveau ministre de l'intérieur, Maurice Grimaud ordonne à la police de cesser toute discrimination. Edmond Hervé, ministre de la santé, annonce le retrait officiel de la France de la classification de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui assimilait l'homosexualité à un trouble mental, classification à laquelle la France avait souscrit en 1968.
Au mois d'août suivant, Robert Badinter, garde des sceaux, fait adopter une loi d'amnistie couvrant les délits prévus et réprimés et adresse une circulaire aux parquets : les poursuites doivent cesser.
Le dénouement est proche. Il viendra le 4 août 1982. Ce jour-là, l'article 331-2 du code pénal est enfin abrogé.
Au cours des débats parlementaires, Robert Badinter a déclaré : « Cette discrimination et cette répression sont incompatibles avec les principes d'un grand pays de liberté comme le nôtre ». Pour sa part, Gisèle Halimi a pris soin d'ajouter : « La “norme” sexuelle ne se définit pas », la seule condition est « de ne blesser, de n'agresser ou de ne violenter personne ». Ils avaient raison.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'histoire qui nous rassemble aujourd'hui, c'est enfin l'histoire d'une responsabilité, qui – il faut le dire – est d'abord la responsabilité historique de l'État.
C'est l'État qui, par ses lois, ses tribunaux, sa police et sa médecine, a organisé pendant des décennies la répression.
L'homophobie n'a pas simplement été tolérée. Elle a été légitimée, institutionnalisée, orchestrée. L'État n'a pas seulement laissé faire : il a condamné, il a persécuté. Il a infligé la honte, provoqué la peur, brisé des trajectoires, arraché des destins, au nom d'une certaine idée de la morale publique et de l'ordre social.
L'homophobie a été une politique. Cette responsabilité ne peut être ni esquivée ni diluée. Elle doit être dite, pleinement, car assumer cette responsabilité, c'est refuser l'oubli. C'est dire à celles et ceux qui ont été condamnés, à celles et ceux qui ont souffert que la République regarde son passé sans détourner les yeux, que la Nation leur demande pardon.
Je veux ici saluer le travail remarquable du Sénat, qui honore le devoir de mémoire de notre démocratie au travers de cette proposition de loi portée par Hussein Bourgi.
Je veux aussi rendre hommage à celles et à ceux – historiens, chercheurs, artistes, militants de la mémoire –, qui, avec exigence, rigueur et courage, font émerger des vérités trop longtemps tues. Sans leur travail, sans leur obstination, il n'y aurait ni connaissance, ni reconnaissance, ni transmission.
Mais cette histoire n'appelle pas seulement un regard vers hier. Elle nous oblige aujourd'hui. Elle engage notre responsabilité collective.
Nous avons malheureusement appris que l'histoire ne progressait pas toujours en ligne droite, qu'il suffisait d'un souffle, d'un silence, d'une indifférence qu'on laisse prospérer pour que l'égalité vacille. Et nous voyons aujourd'hui ce souffle se lever. Nous voyons la violence se réarmer, le soupçon se reformuler, la haine se redéployer.
En France, les discours et les attaques qui visent aujourd'hui les personnes LGBT, les campagnes contre la supposée « théorie du genre », qui, je le répète, n'existe pas, et les programmes d'éducation à la vie affective et à la sexualité reprennent des rhétoriques anciennes et sournoises. Ils brandissent le spectre de la menace, de la subversion sociale : c'est le même poison, simplement versé dans de nouvelles coupes.
Partout dans le monde, en Europe même, les droits LGBT+ sont attaqués.
Le mois dernier, en Pologne, à l'occasion du Conseil de l'Union européenne qui réunissait les ministres européens de l'égalité, et après l'adoption d'une disposition anti-LGBT par la Hongrie, j'ai réaffirmé la position de la France : le respect des libertés et des droits humains ne souffre aucune exception. Pas de pause, pas de relativisme, pas d'accommodement : ils s'appliquent partout, tout le temps et pour tout le monde.
C'est pourquoi la reconnaissance de la responsabilité de l'État dans la répression des homosexuels n'est pas simplement un acte de mémoire.
Ce que nous devons aux générations passées, c'est la vigilance : celle qui refuse l'effacement, le relativisme et le retour en arrière. Ce que nous devons aux générations futures, c'est l'espérance : celle qui croit en une humanité plus libre, plus juste et plus digne. Et entre les deux se tient notre devoir : l'engagement, un engagement international afin de continuer de mener le combat pour la dépénalisation universelle de l'homosexualité, un engagement européen et national à consolider ce qui a été arraché de haute lutte et à enclencher de nouveaux progrès.
C'est dans cet esprit que, le 26 mai prochain, je présiderai le comité de suivi du plan national pour l'égalité, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+. Nous ferons un point d'étape lucide. Former, prévenir, protéger, accompagner, sanctionner : nous ne relâcherons aucun levier.
Je veux dire ici toute ma reconnaissance aux associations, aux centres LGBT, aux militantes et aux militants qui, au quotidien, dans l'Hexagone et dans nos outre-mer, sont les vigies et les éclaireurs de cette action. Ils sont des partenaires indispensables et exigeants des pouvoirs publics et recevront toujours mon soutien plein et entier.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, face à la haine, la République ne reculera pas. Face à l'indifférence, la République ne cédera rien. En effet, ce que nous défendons, c'est l'universalité de l'émancipation. C'est le droit, pour chaque être humain, d'être qui il est, d'aimer sans peur, de vivre sans honte, d'exister sans masque. Et cela, ce n'est pas négociable ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis en deuxième lecture de la proposition de loi visant à porter réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité déposée par notre excellent collègue Hussein Bourgi à l'été 2022 – une initiative bienvenue !
Le texte, qui a été adopté à l'unanimité par le Sénat, puis, le 6 mars 2024, par l'Assemblée nationale – avec des modifications –, revient aujourd'hui devant nous.
Que dit cette proposition de loi ? Elle constate que notre pays a appliqué, pendant de longues années, des dispositions discriminatoires. En effet, tombaient sous le coup du code pénal les seules relations entre personnes du même sexe, dès lors que l'une d'elles était mineure au plan civil, quand bien même elle était majeure au plan sexuel et que ces relations étaient consenties ; les relations entre personnes hétérosexuelles n'étaient pas concernées.
Les recherches menées ont montré que, jusqu'à l'abrogation de ces dispositions discriminatoires en 1982, plus de 10 000 personnes ont été condamnées sur leur fondement et que des peines d'emprisonnement ont été prononcées dans de nombreux cas.
Ces dispositions pouvaient aussi être combinées avec l'outrage public à la pudeur pour permettre une répression qui relevait souvent de l'arbitraire : les comportements prétendument outrageants, impudiques ou publics n'étaient pas appréciés de la même manière selon qu'ils concernaient un couple homosexuel ou un couple hétérosexuel.
En première lecture, le Sénat a adhéré au dispositif prévu dans la proposition de loi, affirmant avec force que les homosexuels avaient été victimes d'une discrimination légale – c'est le premier point du texte.
Cependant se posait la question de la date à partir de laquelle devait être mise en œuvre cette responsabilité. Notre collègue Hussein Bourgi avait prévu une période allant de 1942 à 1982, qui couvrait donc non seulement les lois de la République, mais aussi celles du régime de Vichy.
Je le dis avec force : la République n'a pas à s'excuser de ce qu'a fait l'État français. Vichy n'était pas la République. Vichy était une situation de non-droit. La France légitime était la France libre à Londres. Dès lors, je vois mal comment la République pourrait s'excuser pour les crimes de Vichy ! (M. Clément Pernot applaudit.)
Ce qui s'est passé de 1942 à 1945 procédait d'une position idéologique du régime de Vichy, lequel traquait les homosexuels en appliquant des dispositions mettant en œuvre une politique globale de répression par l'État à leur encontre.
Je rappelle, en outre, que la recherche sociologique elle-même distingue ces deux périodes, qui ne sont pas comparables.
C'est pourquoi la commission a estimé qu'il fallait modifier l'intitulé du texte et son article 1er pour ne retenir que la période allant de 1945 à 1982. La République ne peut s'excuser que de ses fautes ; elle ne peut pas s'excuser des fautes de Vichy.
M. Yannick Jadot. C'était l'État français !
M. Francis Szpiner, rapporteur. Chacun ici sait d'où je viens. Je n'oublie pas le discours du Vél' d'Hiv prononcé par Jacques Chirac : c'était un magnifique discours.
M. Hussein Bourgi. Tout à fait !
M. Yannick Jadot. En effet !
M. Francis Szpiner, rapporteur. Je vous remercie, monsieur Jadot, de saluer, une fois n'est pas coutume, ce qu'a fait Jacques Chirac… Comme quoi, tout arrive dans cet hémicycle ! (Sourires.)
Cette reconnaissance que la France de Vichy a participé à la politique d'extermination ne signifie en aucun cas que la République doit endosser les crimes de Vichy.
Le deuxième point figurant de la proposition de loi, point que ni le Sénat ni l'Assemblée nationale n'a retenu, était la création du délit de négationnisme, qui visait à réprimer la négation de la déportation des homosexuels de France pendant la Seconde Guerre mondiale.
Cette innovation soulevait, sans que ce soit – je le pense – la volonté des auteurs de la proposition de loi, des risques juridiques majeurs, parce qu'elle était susceptible de déstabiliser des contentieux en cours.
En effet, si nous les avions adoptées, ces dispositions auraient permis à ceux qui étaient d'ores et déjà poursuivis d'affirmer que, puisqu'il avait été nécessaire de voter une loi, leurs propos ne pouvaient être condamnés sur d'autres fondements.
Or ces dispositions que nous avons supprimées sont déjà, à mon sens, couvertes par l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Voilà pourquoi ni le Sénat ni l'Assemblée nationale n'ont retenu cette mesure : c'est un point d'accord dont je me réjouis.
Le troisième et dernier point de la proposition de loi de notre collègue Hussein Bourgi visait à la mise en place d'un régime de réparation financière au bénéfice des personnes condamnées sur le fondement des dispositions discriminatoires que j'ai évoquées.
Je ne m'attarderai pas sur les parts forfaitaire et variable, non plus que sur le comité Théodule chargé d'examiner les dossiers, afin de me concentrer sur l'essentiel.
Les exemples de réparations financières qui ont eu lieu ont été minoritaires à l'étranger, et ils concernent des pays où l'on est manifestement allé au-delà de ce qui s'est passé en France, puisqu'il s'agit de l'Allemagne, qui, au-delà du Reich nazi, a organisé une répression massive des homosexuels, ou de l'Espagne sous le régime franquiste. L'immense majorité des États se sont contentés d'une reconnaissance symbolique, ce qui n'est déjà pas rien.
Je rappelle que, dans notre pays, la loi d'amnistie de 1981 a effacé les condamnations et que l'ensemble des personnes précédemment condamnées pour homosexualité ont par la suite été considérées comme ne l'ayant pas été.
La proposition de loi prévoit d'indemniser les conséquences les plus directes de l'application de la loi pénale. Or, en réalité, quand bien même ce texte aurait été adopté plus tôt, personne n'aurait pu attaquer l'État en réparation devant le tribunal administratif ou le Conseil d'État ! De fait, les délais de prescription ne peuvent être allongés à l'excès. La période concernée couvre des faits qui se seraient produits, pour les plus anciens, il y a quatre-vingts ans, et, pour les plus récents – ceux de 1981 –, à quarante-cinq ans. On ne peut pas dire que la prescription n'existe plus, même en matière de responsabilité de l'État.
Les auteurs de la proposition de loi souhaitent et proposent que l'État indemnise des dommages découlant de l'application par les juges d'une loi qui, bien que moralement condamnable, était régulière à l'époque, ce pour quoi il n'y a pas de précédent en France.
De fait, dans la seule loi d'indemnisation qui a précédemment été votée, à savoir celle qui visait à réparer les préjudices subis par les Harkis, la réparation qui était due à ces derniers résultait non pas de l'application d'une loi pénale irrégulière, mais de circonstances de fait citées dans cette loi : « l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie » et des « privations et […] des atteintes aux libertés individuelles » qu'ils avaient subies. On ne peut pas transposer ce que la République a fait aux Harkis avec la discrimination qu'elle a fait subir aux homosexuels.
Par ailleurs, une telle mesure ouvrirait la voie, et j'attire l'attention du Sénat sur ce point, au déclenchement d'une série de contentieux.
Je prends l'exemple de l'interruption volontaire de grossesse (IVG). L'Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès ont inscrit dans la Constitution la liberté pour la femme d'avoir recours à l'IVG. Si, demain, la République s'excusait auprès des femmes de la répression abominable qu'elles ont subie, cela ouvrirait-il la voie à réparation en vertu d'une loi appliquée régulièrement par des juges, laquelle a été fort heureusement abandonnée et n'appartient plus qu'à un passé révolu ?
Toute condamnation d'une loi, vingt, trente ou quarante ans après son adoption, en raison d'une évolution heureuse de la société, ouvrira-t-elle droit à réparation ?
En raison du principe de la prescription et de la reconnaissance de la régularité de l'application par les juges de la loi remise en cause, nous ne pouvons pas, à mon sens, adhérer au principe de la réparation. Voilà pourquoi je suis en désaccord, sur ce point, avec le texte qui a été voté par l'Assemblée nationale et avec votre proposition, monsieur Bourgi.
La République doit s'excuser d'une législation indiscutablement discriminatoire, qui a conduit à des situations terribles. Comme l'ont montré les auditions que nous avons menées, la publicité donnée aux affaires et l'état des mœurs, au-delà de la répression, ont rendu le quotidien des gens atroce.
À cet égard, la réparation morale votée par nos deux assemblées est, à mon sens, une décision heureuse, qui doit mettre fin à cette période. Néanmoins, aller au-delà m'apparaît déraisonnable sur le plan juridique.
Cela n'enlève rien à ce qui a été subi et que nous condamnons. Comme l'a rappelé tout à l'heure Mme la ministre, la reconnaissance solennelle par la République de cette discrimination est aussi un message que notre pays envoie à ceux qui, actuellement, en Europe, essaient de revenir sur les droits des homosexuels. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Cédric Chevalier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Cédric Chevalier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 1791, la France faisait figure de pionnière en dépénalisant l'homosexualité, s'érigeant ainsi parmi les Nations les plus progressistes de son temps.
Mais cette avancée a été mise entre parenthèses, broyée, stoppée brutalement de 1940 à 1944, avec le rétablissement, par le régime de Vichy, des infractions pénales spécifiques visant l'homosexualité. Fait regrettable, à la Libération, alors que la majorité des textes vichystes ont été annulés, l'ordonnance du 8 février 1945 a maintenu cette répression. Pire encore, en 1960, la législation fut durcie, renforçant l'interdiction des relations homosexuelles.
Ce n'est qu'avec la loi du 4 août 1982 que la France abrogea enfin le second alinéa de l'article 331 du code pénal, mettant un terme définitif à la pénalisation de l'homosexualité.
Nous ne pouvons que déplorer que notre code pénal ait, pendant si longtemps, comporté des dispositions discriminatoires, conduisant à des condamnations profondément injustes. Oui, la répression judiciaire des personnes homosexuelles fut une injustice indigne de notre République. Nul, ici, ne saurait le contester.
C'est dans le contexte de la commémoration des quarante ans de cette loi fondatrice que notre collègue Hussein Bourgi a pris, en 2022, une initiative, que je tiens à saluer : celle de déposer la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture.
Le texte initial visait un double objectif : reconnaître publiquement les souffrances – c'est peu dire… – infligées à nos concitoyens en raison de leur orientation sexuelle ; engager une démarche de réparation.
Néanmoins, la proposition de loi transmise par l'Assemblée nationale soulève plusieurs difficultés juridiques, qu'il nous faut examiner avec rigueur.
Le premier point concerne la période retenue, à savoir de 1942 à 1982. Bien que les discriminations aient été réelles, il nous paraît nécessaire de distinguer les persécutions de nature totalitaire commises sous Vichy, d'une part, et les lois discriminatoires qui ont perduré après 1945, d'autre part. C'est pourquoi je partage pleinement la position de notre commission des lois, qui a choisi de recentrer le texte sur la période allant de 1945 à 1982.
Le second obstacle porte sur la question de la réparation financière. Comme l'ont souligné les débats précédents, une telle mesure viendrait heurter le principe de prescription. D'un point de vue constitutionnel, il semble difficile de justifier une indemnisation fondée directement sur une loi pénale. De surcroît, la grande majorité des pays qui ont réhabilité les personnes condamnées pour homosexualité ont fait le choix de ne pas instaurer de mécanisme de compensation financière.
Avant de conclure, je tiens à remercier notre rapporteur, Francis Szpiner, pour la qualité de son travail et la clarté de son analyse juridique – comme d'habitude, dirais-je.
Madame la ministre, mes chers collègues, ce texte porte une charge symbolique forte. Il vient dire haut et fort que la République reconnaît la répression dont ont été victimes des milliers de personnes du seul fait de leur orientation sexuelle.
Profondément attachés à cette reconnaissance, mais soucieux de lever les obstacles juridiques qui l'entourent, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront en faveur de cette proposition de loi, telle que réécrite en un article unique par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. le rapporteur, M. Clément Pernot et Mme Patricia Schillinger applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui revêt une portée historique et symbolique importante : elle vise à reconnaître la responsabilité de la République dans la persistance de discriminations pénales subies par les personnes homosexuelles entre 1942 ou 1945 – je reviendrai sur ce point ultérieurement – et 1982.
Notre pays, qui s'était montré précurseur en dépénalisant l'homosexualité dès 1791, a vu cet acquis remis en cause sous le régime de l'État français instauré en 1940, avec l'introduction d'infractions pénales spécifiques visant les relations entre personnes de même sexe.
Après la Libération, la République n'est pas revenue immédiatement sur ces dispositions discriminatoires, qu'elle a maintenues, prolongeant ainsi l'injustice.
Selon les recherches disponibles, entre 1945 et 1982, de 10 000 à 50 000 personnes – quasi exclusivement des hommes – ont été condamnées à des peines d'emprisonnement ferme dans plus de 90 % des cas.
Ces dispositions, aujourd'hui abrogées, ont laissé des blessures profondes, individuelles et collectives. La commission des lois de notre assemblée a estimé qu'il était indispensable d'affirmer, avec clarté et sans ambiguïté, la réalité du caractère discriminatoire de cette législation.
Reconnaître les erreurs du passé est un devoir de mémoire. C'est aussi un acte de fidélité à nos principes fondamentaux : la liberté, l'égalité et la dignité humaine.
Toutefois, cette reconnaissance doit s'inscrire dans le respect de nos principes juridiques.
À cet égard, le dispositif d'indemnisation financière prévu par la proposition de loi soulève de sérieuses difficultés de droit et serait fragile sur le plan constitutionnel. De même, la création d'un nouveau délit spécifique de contestation de la déportation des homosexuels n'est pas nécessaire : l'arsenal juridique actuel permet déjà de sanctionner de tels actes.
Mes chers collègues, je veux aussi rappeler que ce texte a fait l'objet de deux désaccords fondamentaux entre les deux chambres du Parlement.
L'Assemblée nationale a souhaité inscrire une reconnaissance plus large, au nom de la Nation, couvrant la période 1942-1982, et établir un mécanisme de réparation financière. La Haute Assemblée, fidèle à sa tradition d'exigence juridique, a préféré une reconnaissance solennelle par la République, limitée à la période où celle-ci exerçait effectivement l'autorité, dans le respect strict de nos principes constitutionnels.
La République ne saurait être tenue pour responsable des actes du régime de l'État français de Vichy entre 1942 et 1944. Dès le 9 août 1944, par l'ordonnance relative au rétablissement de la légalité républicaine, le gouvernement provisoire du général de Gaulle a affirmé que la République n'avait jamais cessé d'exister, et que tous les actes de Vichy étaient nuls et non avenus. Il serait donc juridiquement et historiquement inexact de faire porter à la République française la responsabilité des actes d'un régime qu'elle a elle-même déclaré illégitime.
Cependant, si la législation discriminatoire a été instaurée sous le régime de l'État français en 1942, il est bien de la responsabilité de la République française que de l'avoir maintenue après 1945, au mépris de ses principes d'égalité et de respect des droits fondamentaux.
C'est la raison pour laquelle la reconnaissance que nous posons aujourd'hui concerne précisément la période à compter de 1945, lorsque la République, en ayant laissé perdurer ces textes, a failli à son devoir de protéger pleinement tous ses citoyens.
C'est dans cette logique que notre assemblée a confirmé la reconnaissance de la violation du droit au respect de la vie privée, tout en supprimant toute référence à un mécanisme de réparation financière, conformément à nos principes de droit public et aux décisions du Conseil d'État en matière de responsabilité de l'État.
Notre Haute Assemblée a ainsi supprimé l'article 3, qui instaurait ce mécanisme de réparation financière. Cette suppression est motivée par des raisons juridiques solides : l'intervention de l'amnistie en 1981, les règles de prescription en matière de responsabilité de l'État, et l'impossibilité de transposer sans précaution les expériences étrangères.
En France, la tradition juridique repose sur l'effacement des condamnations injustes et la reconnaissance symbolique, et non sur une indemnisation systématique. C'est pourquoi nous avons estimé que la reconnaissance devait primer sur la réparation financière.
Comme elle l'a fait pour de nombreuses autres blessures de son histoire, notamment en reconnaissant les insuffisances dans la restitution des œuvres d'art spoliées sous l'Occupation, la République montre aujourd'hui sa capacité à regarder lucidement son passé : non pour s'accuser indûment, mais pour être davantage fidèle à ses valeurs fondamentales.
Je veux saluer ici le travail patient des historiens, des associations et de la société civile, qui ont permis de faire émerger cette part d'ombre de notre histoire collective, ainsi que celui de notre rapporteur.
Mes chers collègues, il est grand temps que la France dise à celles et ceux qui ont souffert de ces lois injustes : « Vous n'étiez coupables de rien. » Que cette reconnaissance soit un jalon supplémentaire vers une République toujours plus fidèle à sa promesse d'égalité ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (M. Cédric Chevalier applaudit.)
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture vise un objectif aussi nécessaire qu'incontestable : la reconnaissance de la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle dont ont été victimes, entre 1945 et 1982, des milliers de personnes condamnées, sur la base de dispositions pénales aujourd'hui abrogées.
Cette discrimination, qui fut légalement instituée, a constitué une entrave durable à nos valeurs fondamentales. Pendant près de quarante ans, des lois contraires à l'esprit de la République ont bouleversé des vies, brisé des trajectoires, assigné au silence et à la honte nombre de nos concitoyens.
Le présent texte vise à réparer symboliquement ces fautes, à les reconnaître et à les dénoncer.
Nous saluons l'initiative de notre collègue Hussein Bourgi, dont la proposition de loi s'inscrit pleinement dans la lutte contre l'homophobie et les discriminations liées à l'orientation sexuelle, une lutte que nous devons, aujourd'hui encore, continuer de mener, tant les violences et les actes de rejet à l'égard des personnes LGBT+ sont une réalité dans notre pays. À toutes celles et à tous ceux qui en sont encore victimes aujourd'hui, nous réaffirmons notre solidarité républicaine et notre détermination à faire reculer toutes les formes de discrimination.
Il aura fallu quarante ans pour que la République revienne sur les dispositions iniques issues du régime de Vichy, maintenues après la Libération. Ce rappel historique est essentiel : l'homosexualité, dépénalisée dès 1791 à la faveur de la Révolution, a de nouveau été criminalisée en 1942, avant que l'infraction ne soit enfin abrogée par la loi du 4 août 1982, sous l'impulsion de Robert Badinter.
Cette proposition de loi transcende les clivages politiques. Elle a été cosignée, ici, par des sénateurs représentant toutes les sensibilités. Et, à l'Assemblée nationale comme dans notre chambre, un large consensus s'est exprimé autour de son objectif central : la reconnaissance des souffrances endurées et de la responsabilité de la Nation.
Des divergences sont toutefois apparues lors de l'examen du texte, et d'abord sur la période visée : l'Assemblée nationale a souhaité inclure le régime de Vichy, que le Sénat avait choisi d'exclure. En outre, elle a réintroduit le volet de la réparation financière, que le Sénat avait écarté, en soulevant les difficultés juridiques et probatoires que poserait sa mise en œuvre.
Si ces deux points feront certainement l'objet d'un dialogue approfondi entre nos chambres au fil de la navette, ces dernières se sont en revanche accordées pour supprimer l'article relatif à la création d'un nouveau délit de négation de la déportation des personnes homosexuelles. Cette suppression ne remet aucunement en cause la gravité de propos qui contesteraient ces faits ; elle est juridiquement cohérente, car le droit actuel permet déjà de sanctionner de telles remises en cause au titre de la contestation de crimes contre l'humanité.
Mes chers collègues, ce texte ne répare pas tout. Il ne pourra jamais effacer les humiliations, les ruptures, les violences infligées. Mais il dit clairement que la République reconnaît une faute, assume son histoire, et choisit de transmettre autre chose à ses enfants que le silence.
Nous formons le vœu que, au terme de la navette parlementaire, un consensus puisse être trouvé autour d'un texte qui reconnaisse sans ambiguïté la responsabilité de la République, dans une rédaction équilibrée qui allie sécurité juridique et fidélité à l'objectif visé.
Cette proposition de loi est un signal fort, attendu, nécessaire, et c'est pourquoi le groupe RDPI votera en sa faveur. (M. Cédric Chevalier applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont.
Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 6 août 1942, le régime de Vichy instaurait une différence de majorité sexuelle entre les personnes hétérosexuelles et homosexuelles, renforçant la répression à l'égard de ces dernières.
Cette réforme discriminatoire a été introduite sous Vichy, mais elle était, en réalité, dans les cartons – ou plutôt dans les couloirs – de la Chancellerie depuis plusieurs années, dès le gouvernement Daladier.
Aussi ne peut-on aborder ce texte sans rappeler que les dispositions législatives dont nous discutons s'inscrivent dans une certaine continuité.
Certes, l'infraction de sodomie a été abrogée en 1791, ce qui a, sur le papier, placé la France parmi les pays plutôt « libéraux », mais cela ne nous a pas empêchés d'user et d'abuser de toutes les contorsions juridiques et policières pour réprimer et ficher les homosexuels, notamment au travers de deux infractions : l'outrage public à la pudeur et l'attentat à la pudeur.
Il ne vous aura pas échappé que, entre 1791 et 1942, la France a connu de nombreux régimes politiques – de la royauté aux empires, en passant par la République – qui ont discriminé les homosexuels bien avant juillet 1940. Tous ont chassé les « antiphysiques », dénoncé les « pédérastes » et stigmatisé des « amours antinaturelles ».
En ce sens, la loi de 1942 ne vient pas marquer une rupture. Elle s'inscrit dans une tradition, nationale et internationale, de répression.
Alors que, à la Libération, la plupart des lois prises par Vichy sont abrogées, il est indiqué dans l'exposé des motifs de l'ordonnance du 8 février 1945 que la loi « du 6 août 1942 […], inspirée par le souci de prévenir la corruption des mineurs, ne saurait, en son principe, appeler aucune critique. » Tout est dit !
En outre, après la guerre, notre histoire retiendra bien plus les collabos homosexuels que les résistants gays, poursuivant ainsi la discrimination. Il faudra attendre 1982, la proposition de loi du député Forni et le rôle essentiel de Gisèle Halimi et Robert Badinter pour qu'il en soit autrement.
Aussi me semble-t-il fondamental que nous reconnaissions collectivement que c'est bien la Nation française qui a discriminé les homosexuels. C'est pourquoi je tiens à saluer chaleureusement notre collègue Hussein Bourgi pour cette proposition de loi, qu'il défend pour la deuxième fois dans cet hémicycle.
L'article 1er, qui reconnaît la responsabilité de la France dans la discrimination des homosexuels, a de nouveau été remanié en commission pour le rétablir dans la version intransigeante du rapporteur. Il me semble néanmoins important de conserver le terme de « Nation », plutôt que d'y substituer celui de « République », de façon à faire porter la reconnaissance sur une période commençant dès 1942.
Le terme de « Nation » est loin d'être juridiquement nul ; il a déjà été utilisé dans la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis, et il est cité à plusieurs reprises dans la Constitution. Si Vichy n'était pas la République, Vichy était bien la France, et refuser de reconnaître la responsabilité de l'État français pour les actes commis au cours de cette période constitue un incommensurable recul.
Dans la continuité des propos tenus par Jacques Chirac en 1995, le Conseil d'État a reconnu, via son fameux arrêt dit Papon, que l'État pouvait être condamné à indemniser les victimes des agissements de l'administration du régime de Vichy. Rien dans la jurisprudence administrative ne s'oppose donc à la création, encore moins si c'est par la loi, d'un régime spécifique d'indemnisation.
En adoptant la rédaction de la commission, nous adopterions un texte vidé de sa substance et n'ayant pas une once de normativité, un texte qui a amené nos collègues de l'Assemblée nationale à dire que, cette fois-ci, nous avions fait preuve non pas de sagesse, mais de frilosité, alors même que cette proposition de loi est d'origine sénatoriale.
Certes, il est tout à fait possible de reconnaître ses torts sans les réparer, comme nous l'avons fait voilà quelques semaines à peine, mais il est faux que le contraire pose des difficultés insurmontables. C'est pourquoi le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen se déclare favorable au dispositif indemnitaire initialement proposé.
Nous souhaitons également un texte ambitieux, à la hauteur des discriminations subies.
J'y suis d'autant plus favorable que les condamnations pour homosexualité ne se sont pas contentées de se traduire par des amendes ou des peines de prison ; elles s'accompagnaient souvent d'une exclusion des cercles personnel, familial, professionnel.
Pour toutes ces raisons, mais aussi parce que l'homophobie est encore bien présente au sein de notre société, mon groupe est favorable à la rédaction du texte issue des travaux de l'Assemblée nationale. Je voterai donc les amendements visant à son rétablissement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Michel Arnaud. « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. » Vous aurez tous reconnu, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
À lui seul, cet article porte les idéaux universalistes de la Révolution française, les idéaux qui font de la France un refuge pour tous les combattants de la liberté. C'est par cette aspiration à éclairer les peuples du monde que nos aïeux ont posé les bases juridiques de l'État moderne, avec des avancées successives pour les droits humains : divorce par consentement mutuel en 1793, première abolition de l'esclavage en 1794 et, bien sûr, première dépénalisation, en 1791, de l'homosexualité – plus précisément, du crime de sodomie, qui était jusque-là puni par le feu.
Premier pays au monde à légiférer en ce sens, la France réintroduisit la répression pénale de l'homosexualité par une loi du 6 août 1942. Le gouvernement vichyste, ouvertement homophobe, pénalisa les relations entre personnes de même sexe dès lors que l'une d'entre elles avait entre 13 et 21 ans. La Libération et le rétablissement de l'ordre républicain ne modifièrent qu'à la marge cette infraction discriminatoire, qui resta malheureusement en vigueur jusqu'en 1982.
À cette discrimination s'ajoutait une seconde infraction, prévue à l'article 330 du code pénal, qui réprimait tout outrage public à la pudeur lorsque celui-ci « consiste en un acte contre nature avec un individu de même sexe. » Le choix des mots en dit long sur l'époque, que nous espérons tous révolue…
Durant quatre décennies, nous avons eu affaire à une discrimination pénalement acceptée. Dès 1978, et c'est à l'honneur de notre Haute Assemblée, le Sénat avait adopté une mesure visant à abroger le délit d'homosexualité, mais celle-ci a fait l'objet d'un désaccord avec l'Assemblée nationale. Il fallut donc attendre la loi du 4 août 1982 précitée pour que l'homosexualité soit officiellement dépénalisée en France.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture a été adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture, après remaniement, le 6 mars 2024.
Son article 1er vise à reconnaître la responsabilité de la République française du fait d'infractions pénalisant l'homosexualité. Notre groupe, l'Union Centriste, soutient naturellement cette mesure avec force.
Pour reprendre les mots de M. le rapporteur, « le législateur s'est fourvoyé » en adoptant une discrimination sur le fondement de l'orientation sexuelle. Il s'agit d'un fait indiscutable, qui, je n'en doute pas, fait aujourd'hui l'unanimité dans notre hémicycle. En aucun cas, notre République ne peut réprimer un individu pour ce qu'il est : en démocratie, en République, tout citoyen répond de ses actes, et non de son identité, de sa religion ou de son orientation sexuelle. Ainsi, durant quatre décennies, la France a laissé subsister ce que le garde des sceaux de l'époque, Robert Badinter, qualifiait de « pesanteur d'une époque odieuse de notre histoire ».
Toutefois, le groupe Union Centriste a adopté, en commission, les amendements proposés par le rapporteur visant à recentrer la proposition de loi sur la période concernée. L'article 1er reconnaît ainsi explicitement la responsabilité de la République française dans les mesures discriminatoires et attentatoires au droit au respect de la vie privée à l'égard des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982.
Le Sénat et l'Assemblée nationale ont également trouvé un accord pour la suppression de l'article 2, qui visait à créer un délit réprimant la contestation ou la minoration outrancière de la déportation des personnes homosexuelles depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale.
Si l'intention des auteurs de cet article était louable, l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse couvre déjà, cela a été rappelé, la déportation des homosexuels. Comme le rapporteur l'a souligné, l'autonomisation de ce délit perturberait les contentieux en cours. Je rappelle que, en l'état du droit, un individu qui exprimerait publiquement toute contestation de l'existence de crimes contre l'humanité ou toute négation, minoration ou banalisation de ces crimes encourt déjà une peine maximale d'un an de prison et de 45 000 euros d'amende.
Aux articles 3 et 4, les députés ont rétabli le principe d'une réparation financière des personnes condamnées pour homosexualité.
Si la reconnaissance de la responsabilité de la République française doit s'accompagner d'un perpétuel travail d'information et de sensibilisation, la mise en place d'un mécanisme de compensation financière semble juridiquement contestable. En effet, le droit à une réparation financière s'avère incompatible avec l'amnistie prononcée le 4 août 1981 en raison des règles de prescription, mais également au regard de la jurisprudence du Conseil d'État en matière de la responsabilité de l'État du fait des lois.
En outre, de très nombreux pays n'ont pas mis en place de dispositif de réparation. Je considère que la France peut s'inscrire dans le même cadre et la même orientation.
L'examen de cette proposition de loi nous rappelle la nécessité de tirer collectivement les enseignements du passé pour les transmettre aux générations futures. La loi permet à la République de se confronter à ses responsabilités passées, mais c'est bien l'éducation et la transmission qui évitent à une Nation d'oublier son histoire. L'impérieuse nécessité de la lutte contre l'homophobie et contre toute forme d'exclusion est l'apanage de notre République ; défendons-le !
Je remercie Hussein Bourgi de son engagement personnel, mais je remercie également toutes les associations et tous les citoyens qui, par leur combat de chaque jour, que ce soit au Parlement, auprès des sénateurs et des députés, dans la presse ou tout simplement dans l'action quotidienne, ont permis la tenue de ce débat.
Je tiens, en outre, à souligner la nécessité d'honorer la mémoire de nos concitoyens victimes d'homophobie, ainsi que le respect que nous devons à toutes les personnes qui ont souffert de ces discriminations et de ces violences tout au long de ces années.
Le groupe Union Centriste votera évidemment en faveur de la version réécrite par le rapporteur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du GEST.)
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cher Hussein Bourgi, auteur de cette proposition de loi, il est des textes qui sont plus que des actes législatifs, des textes qui interrogent notre mémoire collective. Celui-ci en fait partie.
Cette proposition de loi ne parle d'ailleurs pas seulement du passé ; elle parle du présent, elle dit ce que la République reconnaît, assume, répare et transmet à celles et ceux qui viendront après nous.
De quoi parlons-nous exactement ? Entre 1942 et 1982, des milliers d'hommes ont été condamnés, harcelés, rejetés pour une seule raison, leur homosexualité, pour avoir aimé, pour avoir été eux-mêmes. La loi de 1942, promulguée sous le régime de Vichy, a institué cette répression ; elle a été renforcée en 1960 par l'amendement Mirguet, qui réprimait l'homosexualité, la qualifiant de « fléau social ».
Ces temps-là paraissent lointains. Je fais partie d'une génération, née dans les années 1980, qui n'a connu que des progrès en matière d'égalité des droits et qui a bénéficié de la disparition progressive des discriminations liées à l'orientation sexuelle. Je pense bien évidemment à la dépénalisation de l'homosexualité, en 1982 ; à l'institution du pacte civil de solidarité (Pacs), en 2000 ; au vote du mariage pour tous, en 2013.
Ces progrès ne doivent pas pour autant nous empêcher de regarder notre passé en face, avec lucidité, et de tâcher de le réparer. À cela, trois raisons.
D'abord, les avancées gagnées, conquises, au cours des quarante dernières années sont le fruit de combats menés par des femmes et par des hommes qui ont vécu, souvent douloureusement, ces discriminations et ces humiliations.
Ensuite, ces évolutions législatives ne sont pas gravées dans le marbre et peuvent toujours être remises en cause ; des forces réactionnaires sont encore à l'œuvre pour nous faire revenir en arrière. On voit d'ailleurs fleurir des gouvernements, en Europe, mais aussi outre-Atlantique, qui, de fait, remettent en cause les avancées obtenues dans ce domaine. Songeons, par exemple, en Europe, à la Hongrie, à Orban, à l'interdiction de la marche des fiertés.
Enfin, en France même, ces évolutions législatives, ces réformes importantes n'ont pas totalement fait disparaître les discriminations qui pèsent sur les personnes LGBT. Ces discriminations, ces violences persistent ; elles sont souvent douloureuses, dangereuses.
Ce combat contre l'homophobie, contre la « LGBT-phobie » n'est pas derrière nous, et nous ne le mènerons convenablement qu'à la condition de regarder notre passé en face, de nous rappeler que, dans cette affaire, ce n'est pas simplement l'État de manière abstraite qui est en cause : ce sont des majorités politiques, des parlementaires qui ont adopté des lois discriminatoires. Il nous faut regarder tout cela en face, avec lucidité.
Regarder notre passé en face, tâcher de le réparer, tel est l'objet de ce texte, dont nous soutenons la version initiale, celle qui permet à la fois une reconnaissance symbolique et une réparation pour les victimes de cette homophobie d'État.
C'est la raison pour laquelle nous avons déposé des amendements visant à revenir au texte proposé initialement par Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est, dans notre histoire, comme dans celle de toutes les grandes nations, face au gouffre inexcusable et « incomblable » entre ce que nous voulons être – la grande nation des droits humains et des Lumières – et ce que nous avons fait, face à cette insoluble dissonance, des moments où il n'y a d'autre option digne, si l'on veut formuler une promesse crédible pour le présent et l'avenir, que l'aveu de nos fautes.
C'est à cela que servent les lois mémorielles, à dire solennellement que nous avons eu tort et que, à la lumière des valeurs que nous revendiquons aujourd'hui, nous n'aurions collectivement jamais dû admettre de faire ce que nous avons fait, et à promettre ainsi à toutes celles et à tous ceux qui viennent que plus jamais cela n'arrivera.
Alors que les textes contre les droits fondamentaux s'enchaînent souvent dans cet hémicycle, alors que nous avons voté ici voilà quelques mois un texte qui, s'il était définitivement adopté, ferait de la France le pays le plus répressif d'Europe en matière d'accès aux soins des mineurs trans, je me réjouis que nous examinions aujourd'hui, grâce à Hussein Bourgi et à nos collègues socialistes, que je remercie, un texte qui, à l'inverse, réhabilite les personnes que la France a persécutées.
Face aux offensives de l'Internationale réactionnaire qui, de Washington à Moscou, de Buenos Aires à Budapest, de Téhéran à Rome, prend partout dans le monde les personnes LGBT pour cibles, il est nécessaire que la France réaffirme, dans cette grande bataille mondiale que nous sommes contraints de mener, pour la liberté, l'égalité, la dignité, la diversité et l'humanité pleine et entière de chacune et de chacun, où elle se trouve.
La loi de Vichy de 1942, amorcée sous la IIIe République et que la France a choisi de faire sienne à la Libération, a inventé un crime sans victime, en déclarant les homosexuels coupables d'être. Ces derniers ont été persécutés, emprisonnés, fichés, déportés, traqués pour la simple et unique raison qu'ils existaient.
C'est une tache qui fait honte à la France, et cette tache s'étend incontestablement depuis 1942. Éluder la période du régime de Vichy, c'est abandonner une partie des victimes et, ainsi, entretenir leur souffrance. En effet, si nous n'endossons pas cette responsabilité, qui le fera ?
Vous affirmez, monsieur le rapporteur, que Vichy n'est pas la France.
M. Francis Szpiner, rapporteur. Oui !
Mme Mélanie Vogel. Mais la réalité, c'est que les lois discriminatoires issues de la IIIe République, promulguées sous Vichy, ont été volontairement maintenues après la Libération.
M. Francis Szpiner, rapporteur. Oui, la République est responsable !
Mme Mélanie Vogel. La République a prolongé l'œuvre de Vichy ; elle l'a renforcée, elle l'a faite sienne. Elle en porte donc la responsabilité.
Et il serait honteux de rater l'occasion d'adopter définitivement ce texte au prétexte que l'on voudrait s'exonérer de la mémoire de Vichy, comme il serait indigne de le faire encore traîner, au prétexte que l'on refuse d'aller au bout de la démarche consistant à réparer la faute reconnue, y compris financièrement, comme cela s'est fait dans d'autres cas, notamment celui des harkis – ni plus ni moins.
M. Francis Szpiner, rapporteur. Cela n'a rien à voir !
Mme Mélanie Vogel. Je veux conclure en abordant un autre sujet.
S'il est essentiel d'affirmer collectivement la honte que nous avons aujourd'hui de ce que nous avons fait il y a quatre-vingts ans, il est tout aussi indispensable de cesser de faire aujourd'hui ce qui nous fera honte dans quatre-vingts ans.
En France, il a fallu attendre 2010 pour que le transsexualisme soit retiré des affections psychiatriques, 2013 pour que le mariage cesse d'être homophobe, 2016 pour que les stérilisations forcées des personnes trans cessent, 2021 pour que l'accès à la procréation médicalement assistée (PMA) cesse d'être lesbophobe, 2022 pour que les thérapies de conversion soient interdites.
Et, en 2025, une personne trans ne peut toujours pas être reconnue pour qui elle est sans l'aval d'un juge ni accéder à la PMA, et des enfants intersexes sont toujours mutilés !
Dans quatre-vingts ans, il y aura des lois pour demander pardon à toutes les victimes de LGBT-phobie en France, et je peux vous dire que les héritiers et les héritières de la proposition de loi de Jacqueline Eustache-Brinio les voteront !
Alors, gagnons du temps, réduisons dès maintenant le poids de la honte de demain et instaurons l'égalité aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, GEST et UC.)
M. Hussein Bourgi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite commencer en remerciant tous ceux et toutes celles qui ont pris la parole depuis le début de cette séance de leurs propos, de leur sollicitude et de leur bienveillance.
Lorsque j'ai déposé cette proposition de loi, le 6 août 2022, son équilibre reposait sur deux pieds, la reconnaissance et la réparation, et elle visait une période bornée dans le temps : 1942-1982.
Lors de son examen en première lecture, le rapporteur de la commission des lois, mon ami Francis Szpiner, avait argué de difficultés juridiques pour expurger le texte de sa dimension réparatrice. C'est donc un texte déséquilibré, adopté à l'unanimité par le Sénat, qui a été transmis à l'Assemblée nationale.
Or quelle ne fut pas ma surprise, ô combien agréable, de constater que les difficultés juridiques et probatoires soulevées au Sénat n'avaient pas été considérées comme insurmontables par l'Assemblée nationale dans sa pluralité ! Nos collègues députés de droite, auxquels je veux rendre hommage, ont eux-mêmes su passer au-dessus de ces difficultés. C'est ainsi que l'Assemblée nationale a rétabli, à l'unanimité, les dispositions du texte relatives à la réparation, rendant à celui-ci son équilibre initial.
Ce qui avait fait débat entre nous en première lecture, c'était le bornage dans le temps, à savoir la période 1942-1982. Vichy, était-ce la France ? Je croyais, mais peut-être suis-je naïf, que ce débat, qui a animé pendant très longtemps notre pays – Philippe Séguin, auquel je rends hommage, disait que Vichy n'était pas la France –, avait été tranché par le président de la République Jacques Chirac, lors de son discours du Vél' d'Hiv', en juillet 1995.
M. Francis Szpiner, rapporteur. Non !
M. Hussein Bourgi. Aujourd'hui, il n'y a plus en France un historien, un homme ou une femme politique digne de ce nom qui remette en cause ce discours ! Tous, à gauche comme à droite, se réfèrent à ce discours comme à un discours fondateur de la République française. De fait, une France forte, c'est une France qui sait regarder son passé avec lucidité et reconnaître ses erreurs.
J'ai, sur ce sujet, un désaccord persistant avec notre collègue rapporteur Francis Szpiner et avec la majorité sénatoriale. Il existe, en effet, à mes yeux, un continuum entre les deux périodes : même si c'est malheureux, triste, regrettable, les textes du régime de Vichy n'ont pas été abrogés à la Libération, puisque l'ordonnance précitée du 8 février 1945, signée par le garde des sceaux, François de Menthon, consistait tout simplement à reprendre à son compte les dispositifs mis en place sous ce régime. C'est une réalité qui s'impose à nous, qui fait mal, qui dérange, mais avec laquelle nous devons tous composer.
Je souhaite par ailleurs aborder la question de la réparation. Il a précédemment été question de clémence. Mes chers collègues, la clémence est une manière d'absoudre quelqu'un de son erreur ; l'amnistie en est une forme. La clémence consiste à absoudre celui qui a commis une erreur.
Pour ma part, je ne me reconnais pas dans l'amnistie. Nous souhaitons aller plus loin : reconnaître un tort, c'est le réparer.
Il y a un lien de causalité entre les deux notions, qui a toujours existé chez celles et ceux qui appliquent le droit au quotidien, en particulier les magistrats. Lorsque l'on recourt aux tribunaux pour faire reconnaître un préjudice que l'on a subi, dès lors que la matérialité de celui-ci est établie, le juge accorde très logiquement une réparation. Ce lien de causalité, qui s'impose à celles et ceux qui appliquent le droit, doit également s'imposer à celles et ceux qui font le droit, c'est-à-dire à nous, les législateurs.
C'est ce lien de causalité que je défends. Cette logique juridique a été appliquée, à très juste titre, pour nos compatriotes harkis, en réparation des mauvais traitements qui leur ont été infligés au lendemain de la guerre d'Algérie, mais elle a aussi été appliquée dans de très nombreux pays.
Un certain nombre d'orateurs ont cité les exemples de l'Allemagne et de l'Espagne. Je vous invite, mes chers collègues, à élargir l'horizon sur lequel vous fixez vos regards. D'autres pays, dont certains sont proches de nous, comme l'Autriche, qui l'a fait très récemment, et d'autres sont beaucoup plus éloignés, à l'instar du Canada, ont opéré le même choix : la reconnaissance et la réparation.
Je ne vois donc pas ce qui fait obstacle à ce que cette proposition de loi soit adoptée dans sa rédaction initiale. Nous déposerons des amendements pour la rétablir.
Avant de conclure, je veux inviter chacun de vous, mes chers collègues, à voter en conscience et en responsabilité, en pensant au regard que les historiens, mais aussi les Françaises et les Français, poseront sur nos arguments et nos débats, demain, après-demain, dans dix, vingt ou trente ans. Je vous invite à vous prononcer en ayant à l'esprit ce qu'est la France, ce que sont son histoire, ses principes fondateurs et ses valeurs fondatrices.
Quand il est question de la dignité des personnes, nous n'avons pas le droit de nous dérober, de minauder, de mégoter. Quand nous traitons de la dignité des personnes, je me réfère souvent à cette belle formule du général de Gaulle : je considère que nos réflexions, nos travaux, nos arguments et nos votes doivent s'appuyer sur « une certaine idée de la France ».
Mes chers collègues, la France est belle quand elle est fraternelle ; la France est courageuse quand elle est généreuse ; la France est forte quand elle est lucide, quand elle regarde son passé avec courage ! Alors, ce soir, soyons fraternels, soyons lucides, soyons courageux ! Votons la reconnaissance, votons la réparation.
Ainsi, nous serons peut-être au rendez-vous que l'histoire nous donne aujourd'hui. Ainsi, chacun et chacune d'entre nous pourra, dans quelques semaines, dans quelques mois, dans quelques années, se prévaloir de cette petite, toute petite pierre qu'il aura apportée à l'histoire de ce grand, de ce beau, de ce vieux pays qui s'appelle la France et que nous aimons toutes et tous. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et UC. – Mmes Sophie Briante Guillemont et Patricia Schillinger applaudissent également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982
Article 1er
La République française reconnaît sa responsabilité du fait de l'application des dispositions pénales suivantes à compter du 8 février 1945, qui ont constitué une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et une violation du droit au respect de la vie privée :
1° A (Supprimé)
1° Le deuxième alinéa de l'article 330 et le troisième alinéa de l'article 331 du code pénal, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs ;
2° Le deuxième alinéa de l'article 331 du code pénal, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 82-683 du 4 août 1982 abrogeant le deuxième alinéa de l'article 331 du code pénal ;
3° (Supprimé)
Elle reconnaît que ces dispositions ont été source de souffrances et de traumatismes pour les personnes condamnées, de manière discriminatoire, sur leur fondement.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 1 est présenté par M. Bourgi, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron, Mme Narassiguin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L'amendement n° 4 est présenté par M. Brossat, Mme Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
L'amendement n° 10 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
La Nation reconnaît que l'application par l'État des dispositions pénales suivantes a constitué une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et une violation du droit au respect de la vie privée :
1° Le 1° de l'article 334 du code pénal dans sa rédaction résultant de la loi n° 744 du 6 août 1942 modifiant l'article 334 du code pénal, s'agissant des dispositions relatives aux actes qualifiés d'impudiques ou de contre nature commis avec une personne de même sexe ;
2° Le deuxième alinéa de l'article 330 et le troisième alinéa de l'article 331 du code pénal, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs ;
3° Le deuxième alinéa de l'article 331 du code pénal, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 82-683 du 4 août 1982 abrogeant le deuxième alinéa de l'article 331 du code pénal ;
Elle ouvre aux personnes condamnées sur le fondement de ces dispositions le bénéfice d'une réparation dans les conditions prévues à l'article 3 de la présente loi.
La parole est à M. Hussein Bourgi, pour présenter l'amendement n° 1.
M. Hussein Bourgi. Cet amendement a trait au bornage dans le temps auquel procède cette proposition de loi.
Comme je viens de l'expliquer à la tribune, il n'y a pas lieu, selon moi, de faire de rupture entre 1942 et 1945, puisque les textes qui étaient en vigueur depuis le 6 août 1942 le sont, hélas ! restés à la Libération, ce que je déplore, le garde des sceaux du Gouvernement provisoire, François de Menthon, les ayant repris à son compte.
Il existe donc un continuum en matière législative et juridique dans la répression de l'homosexualité, les mêmes textes étant restés en vigueur entre 1942 et 1982, en passant par 1945 et 1960. Cette réalité s'impose à tous.
Je propose donc d'en revenir au bornage initial, à savoir 1942 à 1982.
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour présenter l'amendement n° 4.
M. Ian Brossat. Au travers de cet amendement, nous proposons de rétablir l'article 1er dans sa rédaction initiale, tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale.
Ce n'est pas un détail. Il s'agit d'affirmer avec clarté une vérité que la République a trop longtemps ignorée : le fait que, entre 1942 et 1982, la France a réprimé des citoyens en raison de leur orientation sexuelle.
Le choix de la période 1942-1982 est pleinement justifié. Il s'appuie sur une continuité historique et juridique incontestable : en 1942, sous le régime de Vichy, une loi introduit une distinction pénale fondée sur l'orientation sexuelle et, de fait, ce texte est maintenu dans le code pénal par l'ordonnance du 8 février 1945, signée par François de Menthon, alors ministre de la justice du Gouvernement provisoire de la République française.
Ainsi, de Vichy à la République, la même logique répressive a perduré, et il nous paraît cohérent de réintroduire cet élément, afin de revenir à la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l'amendement n° 10.
Mme Mélanie Vogel. Cet amendement tend à rétablir la rédaction initiale de l'article 1er pour ce qui concerne la référence temporelle et la question des réparations financières.
Comme l'ont expliqué mes collègues, la loi promulguée en 1942 n'est pas née en 1942 : elle est issue de la IIIe République ; elle n'a pas disparu en 1945 : elle a été consciemment, volontairement, maintenue par la République et a même été renforcée, avant d'être finalement abandonnée en 1982.
Il n'y a donc aucune justification historique, morale ou juridique à effacer de notre responsabilité collective, en tant que Nation, la période allant de 1942 à 1945, durant laquelle les personnes ont été victimes exactement des mêmes dispositions, de la même logique.
Enfin, cet amendement vise aussi à mentionner la possibilité de réparations financières. Cela a été dit, c'est une conséquence logique de la reconnaissance d'un préjudice que de proposer la réparation de celui-ci. Quand on reconnaît un préjudice sans le réparer, on ne le reconnaît pas totalement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Francis Szpiner, rapporteur. Il est indiqué, dans l'exposé des motifs de l'amendement n° 10 : « lors de l'examen en première lecture, le rapporteur estimait que, "Pour des raisons de morale politique, la République ne peut endosser la responsabilité des crimes de Vichy". Mais alors à qui revient-il d'endosser cette responsabilité ? »
C'est très simple : la condamnation du régime de Vichy a été unanime. Tout ce qui a été fait par Vichy, la France libre l'a condamné, combattu. Je ne vois donc pas pourquoi ceux qui se sont battus contre Vichy, qui ont été arrêtés, emprisonnés, torturés devraient endosser la responsabilité d'un régime criminel.
Je suis désolé, mais, quand j'entends un certain nombre de collègues citer le général de Gaulle et Jacques Chirac, je me dis qu'ils n'ont pas la même mémoire que moi ! Je me rappelle, pour ma part, combien, en son temps, ce dernier a été vilipendé. Vous me permettrez donc de considérer que je suis peut-être un meilleur interprète de sa pensée… (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
Jacques Chirac a reconnu la responsabilité de la France et de l'État français, non de la République. Dès lors, je maintiens que la République n'a pas à s'excuser des actes d'un régime totalitaire monstrueux qu'elle a combattu les armes à la main.
Comme l'a rappelé l'orateur de l'Union Centriste, la France légitime était à Londres, le régime de Vichy était nul et non avenu, et la France l'a condamné, puisqu'elle a finalement choisi la voie de la Libération, derrière le général de Gaulle. Vouloir refuser d'endosser les crimes de Vichy est un devoir pour tout républicain.
Avis défavorable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Le Gouvernement souhaite garder la rédaction issue des travaux de la commission des lois du Sénat.
En premier lieu, pour ce qui concerne le bornage dans le temps, comme l'ont très clairement affirmé l'ensemble des orateurs, personne ne nie les discriminations et les souffrances qui ont été infligées aux personnes homosexuelles sous le régime de Vichy. Personne !
La République française a-t-elle pour autant à répondre des actes commis pendant cette période ? Le Gouvernement considère qu'elle n'a pas à le faire, justement parce que Vichy n'était pas la République. Il ne faut pas prendre le risque d'introduire de la confusion. J'y insiste : entre 1942 et 1945, le régime n'était pas la République. Nous devons l'assumer et l'affirmer très clairement pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté en la matière.
Cette distinction ne signifie évidemment pas que l'on nie, que l'on méconnaît ou que l'on n'assume pas la violence et le caractère insupportable des souffrances d'alors – d'ailleurs, ces souffrances existaient avant 1942 ; elle signifie que la République n'en est pas responsable, tout simplement parce qu'elle n'était pas constituée durant cette période.
En second lieu, la réparation étant une question davantage juridique, nous l'écartons pour des raisons juridiques. Selon moi, elle n'est pas comparable à, par exemple, celle de la réparation à destination des harkis, qui a été évoquée. Il ne faut pas comparer ce qui n'a pas à être comparé.
Au-delà, les arguments juridiques qui s'opposent à une telle reconnaissance ne sont pas de la même nature. Je vais les développer une fois pour toutes – j'éviterai d'y revenir dans la suite du débat.
Sur le plan juridique, on considère que la réparation financière ne peut valablement découler de l'application directe d'une loi pénale – en l'occurrence, on ne supprime pas de norme pénale, pas plus que l'on n'en crée.
Par ailleurs, elle pose une double difficulté.
D'abord, comment articuler cette réparation avec l'amnistie telle qu'elle a été prononcée en 1980 ? En effet, cette dernière a effacé les condamnations qui avaient été prononcées. Comment réparer les préjudices liés à des condamnations qui ne sont plus ? Encore une fois, il ne s'agit pas de nier les souffrances – il me semble que je l'ai très clairement indiqué.
Ensuite, comment articuler réparation et prescription ? Nous avons discuté des règles en la matière il y a quelques semaines au Sénat. En l'état actuel du droit, la prescription s'applique à partir d'un délai de trente ans : comment ouvrir un droit à réparation au-delà ?
Pour conclure, il y a deux sujets différents : la réaffirmation, d'un point de vue historique, juridique et moral, que, non, Vichy n'était pas la République française, donc que celle-ci n'a pas à reconnaître des actes commis à une époque où elle n'était pas ; la question, plus juridique, de la réparation.
Le Gouvernement sollicite le retrait de ces amendements identiques ; à défaut, l'avis sera défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour explication de vote.
Mme Anne Souyris. La mesure instaurée par Vichy afin de distinguer entre personnes hétérosexuelles et personnes homosexuelles concernant l'âge de la majorité sexuelle marque le début d'une pénalisation explicite et ciblée de l'homosexualité en droit français, qui s'est prolongée, bien après la Libération, jusqu'en 1982.
Vichy n'était pas la France, répète à l'envi M. Szpiner. Mais répéter n'est pas vérité ! La République n'a pas abrogé les lois de Vichy relatives à la répression de l'homosexualité. Elle les a, au contraire, validées, appliquées et prolongées pendant près de quarante ans, jusqu'en 1982. On ne peut donc pas faire comme si la République n'avait rien à voir avec cette histoire, car elle a assumé l'héritage de Vichy en le pérennisant.
« Cette réforme, inspirée par le souci de prévenir la corruption des mineurs, ne saurait, en son principe, appeler aucune critique », pouvons-nous lire dans l'exposé des motifs de l'ordonnance du 8 février 1945 signée par Charles de Gaulle. La République ne peut pas prétendre réparer les conséquences d'un système qu'elle a elle-même entretenu tout en refusant d'en reconnaître l'origine : il est urgent qu'elle reconnaisse cette filiation pour pouvoir s'en désolidariser pleinement.
Si nous voulions aller plus loin, il faudrait même pointer du doigt que cette disposition du code pénal instaurée sous Vichy est elle-même héritée de la IIIe République… En matière de répression de l'homosexualité, il existe donc une forme de continuité entre la République et Vichy. J'y reviendrai à l'occasion de l'examen d'un amendement.
La loi permettant une distinction entre personnes hétérosexuelles et personnes homosexuelles concernant l'âge de la majorité sexuelle était en fait quasiment prête déjà sous la IIIe République. La seule raison qui empêcha son application est un simple problème de calendrier : après une interpellation parlementaire du sénateur du Bas-Rhin Joseph Sigrist, Édouard Daladier, président du Conseil, a demandé, le 29 novembre 1939, que l'on soumette à sa signature une loi-décret reprenant les conclusions du rapport Medan.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1, 4 et 10.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par Mme Souyris, M. Brossat, Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mme Senée, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Rédiger ainsi le début de cet alinéa :
La Nation reconnaît sa responsabilité quant à l'application par l'État des dispositions pénales suivantes, qui ont constitué une discrimination…
II. – Compléter cet article par neuf alinéas ainsi rédigés :
La Nation reconnaît également sa responsabilité quant à l'application de certaines dispositions pénales susceptibles de constituer une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle en visant les comportements homosexuels, à savoir les dispositions suivantes :
1° L'article 330 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 80-1 041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs ;
2° L'alinéa 1 de l'article 334 du code pénal, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 92-1 336 du 16 décembre 1992 relative à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal ;
3° Les articles 270 et 271 du code pénal, dans leur rédaction antérieure au décret-loi du 30 octobre 1935 relatif à la protection de l'enfance ;
4° L'article 287 du code pénal, dans sa rédaction antérieure au décret-loi n° 57-399 du 15 mars 1957 modifiant les articles 283 à 290 du code pénal ;
5° L'article 28 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans sa version antérieure au décret du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité française abrogeant l'article 28 de la loi du 29 juillet 1881 ;
6° Les articles 110 à 126 inclus du décret du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité française ;
7° La loi 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse ;
Elle reconnaît que ces dispositions ont pu être détournées pour pénaliser des actes et comportements homosexuels, même si cela n'était pas leur but premier et explicite.
La parole est à Mme Anne Souyris.
Mme Anne Souyris. Nous demandons non pas de réécrire l'histoire, mais de regarder le passé en face.
À cet égard, réduire la pénalisation de l'homosexualité à deux dispositions du code pénal est erroné. Croire en une telle réduction serait une illusion ou, pire, un mensonge.
La pénalisation était bien plus profonde, diffuse et sournoise, car cette discrimination s'est construite sur l'invisibilité. Elle s'est déployée dans les marges, dans les silences du droit, dans des textes prétendument neutres que l'on a détournés : outrage à la pudeur, excitation de mineurs à la débauche, vagabondage, outrage aux bonnes mœurs.
L'outrage public à la pudeur n'a pas attendu 1960 pour permettre de réprimer l'homosexualité : loin d'introduire une rupture, l'aggravation de 1960 n'a fait qu'accroître une peine pour mieux la réprimer.
L'excitation à la débauche, sous couvert de protéger les mineurs, a été dévoyée pour réprimer des relations homosexuelles consenties.
La lutte contre le vagabondage a été utilisée comme outil de contrôle des corps, des désirs et des lieux de sociabilité homosexuelle, donc comme outil de régulation de l'espace public pour cette population indésirable.
La censure des publications dites « contraires aux bonnes mœurs » a permis de faire taire les voix, d'effacer les récits et de criminaliser les existences homosexuelles, tout cela sans jamais en dire le nom. Tel fut le génie noir de cette répression : punir sans nommer, traquer sans accuser, condamner sans assumer.
On ne peut parler ni de mémoire ni de reconnaissance si l'on se contente de condamner ce qui fut explicitement homophobe. Il faut aussi regarder comment le droit commun, la norme sociale et les institutions ont été détournés pour produire de la discrimination et de la souffrance. Reconnaître que d'autres dispositifs ont servi à criminaliser l'homosexualité revient à donner une place aux invisibles dans notre récit national et à reconnaître la violence d'État, même lorsqu'elle se dissimulait derrière des habits de neutralité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Francis Szpiner, rapporteur. Cet amendement tend à intégrer sept dispositions pénales à la proposition de loi, et à préciser que la Nation « reconnaît que ces dispositions ont pu être détournées pour pénaliser des actes et comportements homosexuels, même si cela n'était pas leur but premier et explicite. »
Il est donc demandé au Sénat d'intégrer des dispositions législatives qui, en tant que telles, n'étaient pas destinées à pénaliser les comportements homosexuels, mais qui ont pu conduire à une pénalisation se fondant sur une jurisprudence et sur une interprétation qui remontent à plus d'un siècle – l'objet de votre amendement cite même, madame la sénatrice, un arrêt de la cour d'appel de Bourges de 1905.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 15, présenté par Mmes Souyris et M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mme Senée, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Elle reconnaît également que l'État a permis d'exercer, de manière systématique et hors de tout fondement légal explicite, une politique policière de surveillance, de fichage, d'interpellation, d'humiliation et de harcèlement à l'encontre des personnes homosexuelles.
La parole est à Mme Anne Souyris.
Mme Anne Souyris. « Pédé 1 » et « pédé 2 » : voilà comment sont étiquetés, dans les archives de la préfecture de police, les registres des plus de 1 200 personnes arrêtées, rien que pour la décennie 1840-1850, pour outrage public à la pudeur par la police des mœurs.
Il y a des vérités que la République tarde à dire. Il y a des pratiques que nos mémoires ont reléguées aux marges de notre histoire officielle, alors même qu'elles ont structuré l'existence quotidienne de milliers de nos concitoyens durant des siècles.
Par cet amendement, nous proposons d'ajouter au texte la reconnaissance d'une vérité simple, mais essentielle : l'État a permis, souvent en dehors de tout fondement légal explicite, une politique policière systématique de surveillance, de fichage, d'interpellation, d'humiliation et de harcèlement des personnes homosexuelles. La police n'a pas été qu'un simple exécutant ; elle a été, dans de nombreux cas, le cœur de l'outil répressif. Avec l'accord tacite des gouvernements, elle a contourné des dispositifs, provoqué des délits qu'elle réprimait, fiché des identités, quadrillé et harcelé les lieux de drague homosexuelle, traqué les corps et les gestes, construit des carrières sur l'humiliation des autres.
Cet amendement vise à reconnaître cette part d'ombre, non pour l'agiter comme un drapeau de culpabilité, mais pour rendre justice et pour que l'histoire soit dite en entier.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Francis Szpiner, rapporteur. Nous sommes loin du projet initial de notre collègue Bourgi ! Il est en effet proposé au Sénat d'ajouter au texte un alinéa selon lequel la République française reconnaît « que l'État a permis d'exercer, de manière systématique et hors de tout fondement légal explicite, une politique policière de surveillance », à une période qui n'est pas précisée.
Il appartiendra aux historiens de mener un jour des enquêtes documentées, en dehors de toute passion politique et avec la rigueur qui s'impose à ce métier.
Mais le Sénat ne saurait, dans le cadre du présent texte, écrire que l'État a appliqué une telle politique « de manière systématique », sans savoir quand ni où.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.
M. Hussein Bourgi. Je veux éclairer mes collègues sur le contexte des faits évoqués dans cet amendement.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, sous le régime de Vichy, des services de police étaient spécialisés dans la surveillance de quelques catégories d'établissements et de personnes. Les établissements visés étaient les salles de jeux et les débits de boissons, et les personnes concernées étaient les homosexuels, dans leurs lieux de rencontre, et les prostituées. Cela a, hélas ! été étudié, documenté et prouvé. On trouvait des fichiers en ce sens dans toutes les préfectures.
Puisque la brigade dite mondaine de la police surveillait les débits de boissons, les salles de jeux, clandestines ou déclarées, les prostituées et les lieux de rencontre pour homosexuels, je comprends l'esprit de cet amendement, que je défends.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
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Article 3
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 2 est présenté par M. Bourgi, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron, Mme Narassiguin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L'amendement n° 6 est présenté par M. Brossat, Mme Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
L'amendement n° 11 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Les personnes condamnées sur le fondement des dispositions pénales mentionnées à l'article 1er ont droit au bénéfice des mesures suivantes :
1° Une allocation forfaitaire fixe de 10 000 euros ;
2° Une allocation de 150 euros par jour de privation de liberté ;
3° Le remboursement du montant de l'amende dont elles se sont, le cas échéant, acquittées en application de leur condamnation, actualisé dans des conditions fixées par décret.
La parole est à M. Hussein Bourgi, pour présenter l'amendement n° 2.
M. Hussein Bourgi. J'ai déjà évoqué l'importance de la réparation. À mon sens, il s'agit d'une question de cohérence : dès lors que la matérialité d'un préjudice est reconnue, il faut que ce dernier soit réparé.
J'entends les collègues et Mme la ministre exprimer leur hostilité à ce principe, en en évoquant la complexité et les difficultés.
J'aimerais bien qu'ils nous donnent des explications un peu plus détaillées. En effet, il se trouve que j'ai interrogé un certain nombre de juristes spécialisés en matière de responsabilités civile et pénale et que ces derniers n'ont pas du tout la même appréciation : à leurs yeux, cette difficulté n'en est pas une, raison pour laquelle j'insiste sur l'importance de réparation.
Je l'affirme, mes chers collègues : n'adopter que le volet du texte relatif à la reconnaissance serait une manière de se donner bonne conscience. Ce serait d'une violence symbolique inouïe pour les quelques personnes encore en vie, qui sont d'un âge avancé – elles nous regardent, nous écoutent, et je les salue. Une loi qui aurait simplement pour objet et pour finalité de reconnaître la responsabilité de la France dans ce qu'il s'est passé et qui ne reconnaîtrait pas la qualité de victime de ces personnes serait une loi inaboutie, déséquilibrée et – je le répète – symboliquement violente, comme me l'a assuré une nouvelle fois au téléphone cet après-midi l'une de ces personnes auxquelles je pense.
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour présenter l'amendement n° 6.
M. Ian Brossat. Comme Hussein Bourgi vient de l'indiquer, cet amendement vise à réintroduire la notion de réparation.
Il s'agit d'assortir la reconnaissance par l'État des discriminations, des humiliations et des violences vécues par les homosexuels de réparations individuelles, à destination des personnes qui ont subi les condamnations.
D'une certaine manière, reconnaître sans réparer revient à reconnaître à moitié. Mon groupe souhaite donc aller au bout de la démarche.
J'entends les propos de Mme la ministre, qui propose d'en rester à la rédaction issue de la commission des lois. Ils me paraissent correspondre à des arguties juridiques infondées. Honnêtement, de la part d'un gouvernement qui nous pousse régulièrement à voter des lois dont il sait pertinemment qu'elles ne tiennent pas la route et qu'elles seront censurées par le Conseil constitutionnel quelques semaines plus tard, l'argument me paraît à géométrie variable.
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l'amendement n° 11.
Mme Mélanie Vogel. L'amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Francis Szpiner, rapporteur. Monsieur Bourgi, l'amnistie n'est pas la clémence : celle-ci est la décision d'appliquer à une faute une peine mesurée, quand celle-là est l'effacement de la condamnation.
Vous parlez de responsabilité pénale et de responsabilité civile. La responsabilité pénale résulte d'une infraction ; en l'occurrence, l'État n'en a commis aucune. La responsabilité civile est susceptible de résulter d'une faute, mais l'application de la loi par les juges peut-elle en constituer une au sens civil ? La réponse est non.
Vous mentionnez les survivants qui écoutent ces débats : je le répète, tout le monde est conscient de la monstruosité de la répression pendant des années, une répression accompagnée de drames, d'opprobre social et de mise en pâture par la presse quotidienne régionale rendant compte des dossiers. L'affirmation d'une reconnaissance par la République de la discrimination revient donc à reconnaître le statut des victimes.
Vous assurez que la reconnaissance sans la réparation serait une reconnaissance à moitié. Je ne suis pas d'accord, et il ne s'agit pas là d'arguties juridiques.
En effet, le premier problème qui se pose est celui de la prescription. Souhaitons-nous vivre dans un monde où cette dernière serait abolie ? Comme je le dis toujours aux étudiants pour leur expliquer ce qu'est la prescription, il faut que, à un moment donné, Javert ne puisse plus poursuivre Jean Valjean. Pour l'heure, que vous souhaitiez ou non l'abolir, la prescription existe. Or, au travers de ces amendements, tous les délais de prescription prévus dans le droit sont dépassés.
En deuxième lieu, il peut arriver que la société se fourvoie – cela arrivera encore, puisque la société évolue – et adopte un comportement criminel. Madame Souyris, vous citez M. de Menthon, mais le gouvernement du général de Gaulle comprenait des socialistes, des communistes et des membres du Mouvement républicain populaire (MRP) : cela montre bien que l'aveuglement était collectif !
Je reprends mon exemple de tout à l'heure : accorderez-vous, demain, aux femmes condamnées pour avortement le droit à demander réparation, sur le fondement d'une loi que nous avons votée et dont les dispositions ne sont pas, aujourd'hui – du moins l'espéré-je, moi qui ai voté en sa faveur – considérées comme anormales ?
En troisième lieu, la situation des harkis n'a strictement rien à voir…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Francis Szpiner, rapporteur. En bref, avis défavorable, monsieur le président !
M. le président. Je vous sentais parti pour une plaidoirie, maître Szpiner… (Sourires.)
M. Yannick Jadot. Merci Jean Valjean !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Pour revenir sur l'interpellation du sénateur Ian Brossat, je ne veux pas laisser croire qu'il y aurait la moindre ambiguïté dans les intentions du Gouvernement – et, d'ailleurs, d'une majorité de sénateurs, de la présidente de la commission des lois et de M. le rapporteur. Il n'y a aucune ambiguïté de notre part sur la reconnaissance, ni dans nos prises de parole ni dans la loi que le Sénat – je l'espère – votera à nouveau à l'unanimité.
Cependant, une question se pose : est-il opportun d'ouvrir droit à réparation, en posant un principe général à destination de l'ensemble de celles et de ceux qui auraient malheureusement et injustement été condamnés ? Le cas échéant, quelle serait la manière de procéder qui aurait du sens juridiquement ?
Le rôle du Gouvernement est de signaler les insuffisances et les risques juridiques, sans quoi vous seriez le premier, monsieur Brossat, à me le signifier. D'ailleurs, vous n'avez pas cité précisément les textes auxquels vous avez fait référence.
M. Ian Brossat. Pourtant, il y en a un paquet !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. Je serais très heureuse d'en discuter avec vous à une autre occasion. Quoi qu'il en soit, c'est notre rôle de mentionner les fragilités juridiques qui pourraient exister.
J'y insiste, je ne veux laisser penser à quiconque regarderait ces débats que la manière dont nous tous et nous toutes réaffirmons collectivement dans cet hémicycle la responsabilité de la République française souffrirait la moindre ambiguïté. En témoigne l'engagement du Gouvernement en faveur de cette proposition de loi.
J'émets un avis défavorable sur ces amendements identiques.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2, 6 et 11.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 3 demeure supprimé.
Article 4
(Supprimé)
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M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 3 est présenté par M. Bourgi, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron, Mme Narassiguin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L'amendement n° 12 est présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Il est institué auprès du Premier ministre une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982. Cette commission est chargée de statuer sur les demandes présentées sur le fondement de l'article 3.
Cette commission est également chargée de contribuer au recueil et à la transmission de la mémoire des discriminations subies par les personnes homosexuelles du fait de l'application des dispositions mentionnées aux 1° A à 2° de l'article 1er.
II. – La commission mentionnée au I du présent article comprend :
1° Deux députés et deux sénateurs ;
2° Un membre du Conseil d'État et un magistrat de la Cour de cassation ;
3° Trois représentants de l'État, désignés par le Premier ministre ;
4° Trois personnalités qualifiées, issues du monde universitaire et associatif, désignées par le Premier ministre en raison de leurs connaissances dans le domaine de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale ou de leurs engagements dans la lutte contre les discriminations subies en raison de l'orientation sexuelle.
III. – Un décret précise le fonctionnement de la commission mentionnée au I, ses attributions, les conditions de son indépendance dans l'exercice de ses missions, les modalités de présentation et d'instruction des demandes de réparation ainsi que les conditions dans lesquelles les personnes concernées peuvent être entendues.
La parole est à M. Hussein Bourgi, pour présenter l'amendement n° 3.
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour présenter l'amendement n° 12.
Mme Mélanie Vogel. Il est défendu.
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par M. Brossat, Mme Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Il est institué auprès du Premier ministre une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982. Cette commission est chargée de statuer sur les demandes présentées sur le fondement de l'article 3.
II. – La commission mentionnée au I comprend :
1° Deux députés et deux sénateurs ;
2° Un membre du Conseil d'État et un magistrat de la Cour de cassation ;
3° Trois représentants de l'État, désignés par le Premier ministre ;
4° Trois personnalités qualifiées, issues du monde universitaire et associatif, désignées par le Premier ministre en raison de leurs connaissances dans le domaine de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale ou de leurs engagements dans la lutte contre les discriminations subies en raison de l'orientation sexuelle.
III. – Un décret précise le fonctionnement de la commission mentionnée au I, ses attributions, les conditions de son indépendance dans l'exercice de ses missions, les modalités de présentation et d'instruction des demandes de réparation ainsi que les conditions dans lesquelles les personnes concernées peuvent être entendues.
IV. – La perte de recettes résultant pour l'État du I est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
La parole est à M. Ian Brossat.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Francis Szpiner, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris, pour explication de vote.
Mme Anne Souyris. Je profite de l'examen de cet article pour introduire dans le débat la notion, qui en est actuellement absente, de réparation collective, couplée à la réparation individuelle en discussion.
Ian Brossat et moi avons déposé un amendement en ce sens, déclaré irrecevable. Pourtant, les conséquences de la répression furent elles aussi collectives. En effet, cette erreur symbolique a touché non seulement ceux qui furent arrêtés ou condamnés, mais aussi tous ceux qui ont vécu sous cette menace diffuse et qui ont vu leur vie façonnée par la crainte, la honte, la culpabilité et le sentiment d'anormalité induit par la répression.
Le principe de réparation collective prend la forme d'un engagement à ne pas oublier. Il s'inscrit dans une perspective de justice historique, d'éducation et de transmission. Il vise à faire œuvre de mémoire autant que de réparation, en finançant des archives LGBT, des centres de documentation et des projets culturels et pédagogiques qui permettront aux générations futures de savoir.
Nos voisins allemands, avec la création du fonds Magnus Hirschfeld, ont montré qu'il était possible d'articuler réparations individuelle et collective, connaissance et engagement dans la lutte contre les discriminations contemporaines, non pas pour solder le passé, mais pour garantir qu'il ne revienne plus jamais. Il s'agit de regarder la réalité en face.
Même M. le rapporteur l'admet dans ses travaux : les dispositifs de réparation ont souvent été, malgré leur intention, limités, presque dérisoires. Regardons l'Allemagne : le nombre de personnes ayant demandé réparation après l'abrogation du paragraphe 175 du code pénal y a été faible. De fait, beaucoup des concernés étaient déjà morts, et la honte ainsi que, pour de nombreux hommes gays, l'épidémie du sida avaient fait leur œuvre. La réparation est donc arrivée trop tard pour de nombreuses personnes. Quand elle est trop tardive, elle devient silencieuse. C'est une réparation sans réparer, une mémoire sans témoin.
Aussi, par notre amendement, nous voudrions commencer à réparer.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 et 12.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 13, présenté par Mme M. Vogel, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982
La parole est à Mme Mélanie Vogel.
Mme Mélanie Vogel. Il s'agit d'un amendement de coordination avec les amendements précédents, qui ont été rejetés.
Par conséquent, je le retire.
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.
M. Hussein Bourgi. En premier lieu, la comparaison avec les femmes qui ont été condamnées à la suite d'un avortement n'a pas lieu d'être. Avorter est un acte, alors qu'être homosexuel est un élément intrinsèque de l'identité. Il n'est pas possible de mettre ces deux situations sur un pied d'égalité !
En second lieu, madame la ministre, votre discours m'a donné le sentiment que vous incarniez la fameuse maxime du « en même temps » : vous faites des déclarations d'amour aux personnes concernées et aux associations qui les soutiennent tout en ayant du mal à franchir le cap du passage aux actes et aux preuves d'amour… Les associations que vous recevrez dans quelques jours auront l'occasion de vous le signifier.
Toujours est-il que je m'en remets maintenant à la sagesse de l'Assemblée nationale, qui, une fois n'est pas coutume, rétablira – je l'espère – la version initiale d'une proposition de loi du Sénat. Aujourd'hui, nous voterons sans doute le texte à l'unanimité, aussi insatisfaisant soit-il, mais le combat se poursuivra devant les députés, que nous retrouverons en commission mixte paritaire (CMP).
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi, dont la commission a ainsi rédigé l'intitulé : proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 265 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 340 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures,
est reprise à dix-neuf heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Sécurité des professionnels de santé
Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé (proposition n° 430, texte de la commission n° 563, rapport n° 562).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd'hui autour d'un sujet grave et important : celui de la sécurité des soignants, au sujet duquel l'actualité nous rappelle trop souvent, et avec force, l'urgence qu'il y a à agir.
L'Observatoire national des violences en santé (ONVS) dénombrait 23 498 agressions déclarées par des professionnels de santé en 2022, avec un nombre de plaintes déposées pour ce motif qui a augmenté de 44 %. Cela veut dire que, chaque jour, dans notre pays, 65 professionnels de santé sont agressés.
Ce chiffre est vertigineux, sans compter que cette statistique est, par nature, une sous-estimation, puisque tous les soignants touchés ne signalent pas forcément les actes dont ils ont été victimes.
Ces violences, qu'elles soient physiques, verbales ou numériques, sont inacceptables. Elles me heurtent profondément en tant que ministre de la santé, en tant que ministre de chacun des professionnels qui contribuent à la santé de notre population. Je n'accepterai jamais que ceux qui dédient leur vie aux autres puissent aller travailler la boule au ventre ou soient agressés.
Ces violences nous interrogent aussi collectivement en tant que société, face à des actes qui menacent directement celles et ceux qui nous soignent, qui nous sauvent, qui prennent soin de nous et de la santé des Français.
C'est un sujet sur lequel je me suis mobilisé de longue date en tant que médecin chef de pôle, qui a parfois craint pour ses équipes, et en tant qu'élu local, face à la détresse de certains professionnels de santé se sentant trop seuls ou démunis.
Je me suis également investi sur ce sujet avec conviction en tant que député, en soutenant notamment un certain nombre de propositions législatives.
Je me mobilise désormais en tant que ministre de la santé, d'autant que mon arrivée au ministère a été marquée par un drame. Dès les premiers jours de ma prise de fonction, au tout début du mois de janvier, je me suis rendu à Annemasse, au chevet de quatorze soignants qui venaient d'être agressés. J'ai alors pu constater combien cette communauté était bouleversée.
Lors de ce déplacement en Savoie, puis devant le comité de suivi dédié, que j'ai réuni dans la foulée, j'ai pris l'engagement solennel que, d'ici à septembre 2025, de nouvelles mesures seraient mises en place.
C'est d'ailleurs également l'un des engagements forts du pacte de lutte contre les déserts médicaux, que nous avons présenté, dans le Cantal, voilà quelques jours, avec le Premier ministre. Nous avons alors réaffirmé cette volonté de protection des soignants.
Mon objectif est de marquer un tournant décisif dans la lutte contre ces violences, avec un seul mot d'ordre : la tolérance zéro.
Ces actions s'inscrivent dans la continuité du plan ministériel pour la sécurité des professionnels de santé, lancé en septembre 2023 par Agnès Firmin-Le Bodo. Ce plan est le fruit d'un travail de fond et d'une large concertation de l'ensemble de l'écosystème.
Je pense notamment à l'excellent rapport du docteur Jean-Christophe Masseron, ancien président de SOS Médecins France, et de Mme Nathalie Nion, cadre supérieure de santé. Je pense aussi aux très nombreuses contributions des différents acteurs – ordres, syndicats, etc. – et de l'ensemble des soignants, qui ont considérablement enrichi les travaux de l'époque.
Je tiens à souligner combien les professionnels, tous ensemble, se sont saisis de cet enjeu, aussi bien en ville qu'à l'hôpital, qu'il s'agisse des médecins, des étudiants, des infirmiers ou des paramédicaux. Ils s'en sont saisis avec énergie et avec une détermination sans faille à faire bouger les lignes, qui m'inspire autant qu'elle m'oblige.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord évoquer les mesures qui nous permettront d'agir en amont des actes de violence.
Je pense, tout d'abord, à l'enveloppe de 25 millions d'euros par an allouée à la sécurisation des établissements de santé, que j'ai reconduite pour 2025.
Vous le savez, je ne suis pas un ministre qui aime beaucoup rester dans son bureau… Chaque semaine, je me déplace à travers le pays et dans nos établissements de santé, notamment pour juger de la bonne mise en œuvre de ces crédits. Les soignants sont unanimes pour me dire que ces dispositifs de sécurisation – portes blindées, fermetures à code, éclairages performants, alarmes – sont utiles, qu'ils fonctionnent et qu'ils les rassurent.
Pour continuer de toujours mieux prévenir les violences, nous travaillons, en ce moment même, à la création d'un réseau national des « référents sécurité » au sein de chaque agence régionale de santé (ARS), pour coordonner et structurer les actions de prévention et d'alerte au plus près du terrain.
Nous travaillons également à la poursuite de nos actions de communication et de sensibilisation, envers le grand public comme envers les soignants.
Nous travaillons, enfin, au renforcement de l'Observatoire national des violences en santé, dont la version 2.0 ne sera pas qu'une « chambre d'enregistrement » des faits de violences, mais constituera une véritable instance de suivi des cas, d'écoute et d'orientation des professionnels victimes, qui prendra également en compte le phénomène des violences sexistes et sexuelles (VSS).
Oui, les violences en santé, ce sont aussi les violences sexistes et sexuelles, qui ont trop longtemps fait l'objet d'une certaine omerta dans le monde de la santé et contre lesquelles la tolérance zéro que je prône est tout autant de mise.
J'ai ici une pensée pour les deux infirmières victimes, en Guyane, en mars dernier, d'une effroyable agression, qui a choqué toute la communauté soignante. Comme pour les victimes d'Annemasse et à chaque fois qu'un drame se produit, je suis personnellement chaque situation qui m'est rapportée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai évoqué la sécurisation des hôpitaux, mais je n'oublie naturellement pas de prendre en compte l'exercice de ville et tous nos soignants libéraux.
Sur ce point, je compte beaucoup sur l'engagement des collectivités locales et des élus locaux, qui ont un rôle important à jouer en ce sens, avec leurs polices municipales et avec les caméras de vidéoprotection.
Je voudrais notamment citer le dispositif des boutons d'alerte, reliés aux forces de l'ordre, qui permettent aux soignants de donner directement et discrètement l'alerte en cas de danger – je l'ai moi-même mis en place dans ma région Auvergne-Rhône-Alpes et en tant que maire. Je sais que le dispositif fonctionne bien et se déploie dans de plus en plus de collectivités, comme en Haute-Vienne ou en Guyane.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, tout sera mis en place pour renforcer la sécurité, prévenir, dissuader et éviter, au maximum, les agressions. C'est indispensable, mais il faut également renforcer notre réponse pénale, quand, malheureusement, les violences viennent à se produire.
J'ai dit que mon mot d'ordre était la « tolérance zéro ». J'ajoute que mon objectif face aux auteurs est le « zéro impunité ». C'est une nécessité que je partage avec le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice, et que ce texte vient concrètement traduire dans notre droit.
Je veux prendre le temps de saluer ici l'engagement des parlementaires de tous bords qui se sont investis sur ce sujet, permettant de faire avancer ce texte important et attendu, qui a été très largement adopté par l'Assemblée nationale, où il a été défendu par le député Philippe Pradal.
Afin de ne laisser aucun répit aux auteurs de violences et de protéger les soignants qui en sont victimes, notre réponse pénale sera renforcée selon trois axes.
Premier axe, notre réponse sera d'abord renforcée grâce à des peines aggravées en cas de violences ou de vol en milieu de santé. Notre code pénal prévoit déjà des circonstances aggravantes en cas d'agression des professionnels de santé « dans l'exercice ou du fait de leurs fonctions ». Cette proposition de loi nous permet d'aller plus loin, en réprimant les violences contre tous les personnels et dans tous les secteurs de la santé.
Elle aggrave notamment les sanctions en cas de violences commises dans les locaux des hôpitaux ou des cliniques, ou contre le personnel non médical de ces établissements, par exemple, vis-à-vis des agents travaillant à l'accueil des urgences, à l'entrée des hôpitaux ou encore dans les services administratifs.
Bien entendu, les professionnels libéraux seront protégés au même titre, puisque ces sanctions renforcées ont été étendues aux violences commises dans l'enceinte ou contre le personnel de toutes les structures de ville – cabinets libéraux, maisons de naissance, pharmacies, centres de santé. Nous n'oublions pas non plus les établissements sociaux et médico-sociaux, comme les services de protection de l'enfance ou encore les Ehpad.
Deuxième axe, ce texte permettra de réprimer plus fermement les violences verbales et les insultes contre les soignants ou envers les personnels des structures médicales. C'est très important, car la « tolérance zéro » consiste à ne rien laisser passer.
Une insulte, qu'elle soit en face ou en ligne, n'est jamais anodine. Il faut briser la spirale de la violence dès ce premier stade. C'est pourquoi je défendrai un amendement, au nom du Gouvernement, visant à rétablir la création d'un délit d'outrage élargi à l'ensemble des professionnels qui concourent aux soins, qu'ils soient considérés ou non comme exerçant une « mission de service public ». C'est une mesure particulièrement attendue par la communauté des professionnels de santé.
Cette disposition va plus loin que la rédaction qui a été votée en commission des affaires sociales, laquelle permet bien de réprimer l'injure, mais laisse de côté la plus grande diversité d'actes malveillants couverts par le délit d'outrage.
Je sais aussi l'importante force symbolique de créer un délit spécifique et fermement réprimé pour ceux qui s'en prennent de telle manière à nos soignants.
Troisième axe, afin d'accompagner, de soutenir et de protéger les professionnels victimes, nous facilitons, enfin, le dépôt de plainte, souvent ressenti comme une épreuve difficile par les personnels confrontés aux violences. Certains craignent également les représailles. Cette situation aboutit à de nombreux renoncements, laissant les actes et les auteurs impunis : c'est inacceptable.
C'est pourquoi le texte ouvre la possibilité à l'employeur d'un professionnel de santé ou d'un autre organisme de déposer plainte à sa place, avec son accord écrit, pour certaines infractions.
Seront concernés par ce nouveau dispositif les directions des établissements de santé et des secteurs médicaux et médico-sociaux – hôpitaux, cliniques, centres de santé, Ehpad –, ainsi que les employeurs des cabinets médicaux et paramédicaux, des pharmacies, des laboratoires de biologie médicale et des centres d'imagerie.
La question des libéraux, qui sont leur propre employeur, s'est naturellement posée et a été traitée. Pour ces professionnels, un décret viendra préciser les organismes représentatifs autorisés à porter plainte. Je veux vous assurer que je serai attentif à ce que ce décret soit concerté et à ce qu'il soit publié rapidement après l'adoption définitive du texte.
L'idée est que la victime se sente soutenue et que le dépôt de plainte devienne un réflexe en cas d'agression. C'est pourquoi, afin de faciliter et de sécuriser encore plus ce dépôt de plainte, je travaille actuellement avec le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice à la mise en place d'un dispositif spécifique de visioplainte pour les soignants victimes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je terminerai en empruntant la citation qui figure en exergue du rapport que j'ai cité plus tôt dans mon propos : « Le danger, pour la vie, est de s'habituer à toutes les petites violences de la vie quotidienne, et de finir par trouver cela normal ».
Oui, il y a des actes de très grande violence, qui sont innommables et terrifiants, mais, je tiens à l'affirmer haut et fort, il n'y a pas de petite violence. Tout coup, toute menace, toute blessure, tout crachat, toute insulte envers un professionnel de santé ou envers ceux qui concourent aux soins est une attaque envers notre système de santé.
Grâce à ce texte, nous franchissons une étape supplémentaire dans notre ambition commune de ne laisser aucun répit à ceux qui s'en prennent aux soignants et de protéger, comme il se doit, ceux qui protègent et prennent soin de notre santé. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons, nos médecins se soumettent symboliquement au fameux serment d'Hippocrate, qui leur impose de nombreuses règles déontologiques, telles que le respect « de toute personne, sans discrimination », l'objectif de « tout faire pour soulager les souffrances » ou encore l'observation du secret professionnel.
Nous savons peut-être moins que, en contrepartie de ce dévouement pour autrui, ce texte du IVe siècle avant notre ère rappelle que les soignants attendent que les hommes et leurs confrères leur accordent leur estime s'ils sont fidèles à leurs promesses.
Voilà donc au moins 2 500 ans que notre civilisation identifie comme l'un des piliers du vivre-ensemble la reconnaissance que la société doit à ceux qui donnent de leur temps et de leur énergie pour aider les autres.
Qu'elle paraît pourtant loin cette estime qu'Hippocrate appelait de ses vœux, au regard du sentiment, largement partagé par les professionnels de santé, d'une hausse des violences à leur encontre !
Malgré l'absence de données exhaustives, les chiffres récoltés à partir des signalements volontaires démontrent indubitablement que les professionnels de santé sont exposés à des actes de violence, qui, sans forcément suivre une hausse incontestable, atteignent des proportions que l'on ne saurait tolérer.
Les données de l'Observatoire national des violences en santé et de l'Observatoire de la sécurité des médecins, qui ne sont que partielles, permettent en effet de constater que les violences en santé constituent un phénomène courant et massif.
Ainsi, sur la période 2019-2023, environ 20 000 signalements d'actes de violence ont été effectués sur la plateforme de l'ONVS, qu'il s'agisse d'atteintes aux personnes ou aux biens. L'année 2024 enregistre une hausse de 6,6 % par rapport à 2023, ce qui peut traduire une augmentation à la fois des violences, mais aussi des progrès dans la systématisation de leur signalement.
Pour ce qui concerne les médecins, l'année 2023 se caractérise, sous les mêmes réserves, par une hausse de 27 % des signalements, avec 1 581 actes de violence signalés.
Bien que la situation puisse naturellement être améliorée, nous pouvons nous satisfaire d'un taux de réponse pénale élevé, autour de 90 %. Ce dernier résulte d'une volonté affirmée en dernier lieu par la circulaire de politique pénale générale du 27 janvier 2025, qui enjoint les parquets à une mobilisation particulière s'agissant des violences en santé.
Je souhaite, à ce titre, remercier MM. les ministres Gérald Darmanin et Yannick Neuder pour leur engagement sur ce sujet.
Quant aux condamnations prononcées en première instance pour des faits de menace ou de violence contre les professionnels de santé, elles comportent, dans les trois quarts des cas, des peines d'emprisonnement. Elles sont cependant loin des quanta fixés par la loi pour les différentes infractions de menaces ou de violences, puisque la durée moyenne des peines fermes prononcées n'atteint pas sept mois.
C'est dans ce contexte de forte et légitime préoccupation des professionnels de santé que l'Assemblée nationale a adopté, en mars de l'année dernière, la proposition de loi déposée par le député Philippe Pradal, dont l'examen nous réunit aujourd'hui.
Les trois articles initiaux du texte visaient à mettre en œuvre les mesures de nature législative du plan pour la sécurité des professionnels de santé, présenté en septembre 2023 par les anciens ministres Aurélien Rousseau et Agnès Firmin-Le Bodo.
Le texte transmis au Sénat vise trois objectifs principaux.
Le premier objectif, porté par les articles 1er et 2, consiste à renforcer les sanctions contre les atteintes, qu'elles soient physiques ou verbales, aux personnels des structures de soins.
Pour ce faire, l'article 1er étend à l'ensemble des personnels des structures hospitalières, médicales, paramédicales et médico-sociales, quel que soit leur mode d'exercice, l'aggravation des sanctions prévues depuis plus de vingt ans pour les violences commises à l'encontre des professionnels de santé. Il étend, par ailleurs, le champ d'application des circonstances aggravantes retenues en cas de vol de matériel médical. L'article 2 procédait à une extension parallèle pour les outrages.
Le deuxième objectif, porté par les articles 2 bis et 3, consiste à systématiser les dépôts de plainte après chaque incident. Il résulte de la constatation d'un « frein » au dépôt de plainte. En effet, moins d'un tiers des signalements de violences donnent lieu à l'engagement d'une procédure judiciaire par la victime.
Pour lever ce frein, l'article 2 bis tendait à octroyer aux soignants la possibilité de déclarer comme domicile l'adresse de leur ordre professionnel lors du dépôt de plainte. Dans une logique similaire à l'extension de la plainte pour autrui que nous avons récemment effectuée pour les transports publics, l'article 3 permet à l'employeur de porter plainte à la place d'un professionnel de santé ou d'un membre du personnel.
Enfin, le troisième objectif du texte, qui était porté par l'article 3 bis, visait à améliorer la connaissance et le suivi des violences en santé par la présentation annuelle au conseil de surveillance ou au conseil d'administration des divers établissements de soins d'un bilan des actes de violence commis au sein de l'établissement et des moyens mis en œuvre pour assurer la sécurité des personnels.
Malgré une adhésion pleine et entière à ces trois objectifs et un regard dans l'ensemble favorable au texte, la commission des lois a veillé à assurer un équilibre entre la volonté de répondre à l'émoi fort compréhensible des professionnels de santé et la qualité du droit.
En effet, il est inutile de nous leurrer, les mesures de ce texte ont une portée avant tout symbolique. Elles nous semblent toutefois nécessaires, sous réserve de leur bonne insertion dans notre droit, au vu de la détresse des professionnels de santé face à ces actes inacceptables.
Cette proposition de loi permet donc de réitérer le soutien des pouvoirs publics aux victimes de ces violences. Il va sans dire que, en dehors des cas de violences qui s'expliquent par des troubles cognitifs ou des pathologies, toute banalisation de la violence dans les lieux de soins doit être jugulée.
Bien sûr, la solution à apporter est aussi de nature financière, mais ce débat relève du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
La réponse à ces violences relève également d'une mobilisation judiciaire à la hauteur du sentiment de vulnérabilité des soignants. Sur ce volet, ce texte participe de l'objectif, que nous soutenons, d'une tolérance zéro à l'égard des violences.
Suivant ces lignes directrices, la commission a adopté six amendements, pour sécuriser juridiquement les mesures qui lui sont apparues utiles et ne conserver que celles dont la plus-value législative était démontrée.
Sur le premier point, nous avons précisé, à l'article 1er, que le renforcement des sanctions vise les atteintes à toutes les personnes employées au sein des structures de soins, et non seulement à celles qui sont directement employées par ces structures.
L'infraction d'outrage paraissant inadaptée aux professionnels libéraux, nous avons réécrit l'article 2 en visant l'infraction d'injure, sanctionnée par l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881. Cette modification entraînera un délai de prescription plus court, d'une durée d'un an, qui nous paraît raisonnable.
À l'article 3, nous avons notamment précisé que le dépôt de plainte par l'employeur ne sera pas possible lorsque les violences alléguées sont commises entre membres du service. En outre, nous avons confié aux ordres professionnels, qui nous ont fait part de leur volontarisme en la matière, la faculté de déposer plainte pour les professionnels libéraux.
Enfin, sur le second point, nous avons supprimé les articles 2 bis, 3 bis et 5. Il ne s'agit aucunement d'un désaccord sur les objectifs qu'ils traduisent : nous avons simplement constaté qu'ils étaient largement redondants avec l'état du droit.
L'article 2 bis était en effet satisfait par l'article 10-2 du code de procédure pénale, qui permet déjà à tout plaignant de déclarer, avec son accord, l'adresse d'un tiers. De même, l'article 3 bis était en grande partie satisfait par des dispositions réglementaires, notamment celles qui prévoient que les données du rapport social unique relatives à la santé et à la sécurité doivent comporter des éléments sur les violences sur agent, notamment le nombre de ces actes et de victimes concernées.
À ce titre, je souhaite profiter de votre présence parmi nous, monsieur le ministre, pour vous inviter à mettre à jour la circulaire du 11 juillet 2005, qui fixe pour cible une « connaissance exhaustive » des actes de violence en santé, au travers de leur signalement systématique à l'ONVS.
La position de la commission des lois est celle d'un soutien sans faille aux professionnels de santé et aux personnes qui les entourent, lesquels espèrent beaucoup de ce texte. Ce soutien ne doit cependant pas se faire au prix d'un bavardage législatif : nos soignants méritent des mesures dont l'utilité et la qualité juridique sont avérées.
La commission vous invite à adopter le texte ainsi modifié. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 22 mai 2023, dans le service de la médecine du travail du centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims, où elle était infirmière, Carène Mézino, âgée de 37 ans, était poignardée à neuf reprises. Mère de deux jeunes enfants, elle a perdu la vie. Ce drame a profondément bouleversé la Nation.
Au-delà de l'émotion légitime qu'il a suscitée, cet acte odieux nous oblige à agir avec fermeté, clarté et responsabilité. Il nous faut apporter une réponse à un phénomène que nous ne pouvons plus ignorer : la recrudescence des violences envers les professionnels de santé.
M. le ministre l'a dit, plus de 19 000 actes de violence sont recensés chaque année. Ce chiffre glaçant, sans doute sous-estimé, est en constante progression.
Notre société souffre d'un mal rampant : la banalisation de la violence. Nos soignants, piliers du pacte républicain, en paient le prix fort. Alors qu'ils incarnent la bienveillance, le soin et la solidarité, ils se retrouvent en première ligne, parfois sans protection suffisante. Cela n'est pas acceptable.
Où est passé l'esprit du confinement, quand, chaque soir, la Nation applaudissait ses soignants ?
Où sont passés les élans de gratitude envers ces héros de l'ombre, qui ont tenu debout notre système de santé, au prix de leur propre épuisement, parfois de leur vie ?
Où est passé le défilé des soignants lors du 14 juillet 2020 ?
La France a une dette envers nos soignants. Cette dette grandit chaque jour. Elle se rembourse non pas seulement par des primes ponctuelles ou des hommages symboliques, mais aussi par des mesures concrètes, visibles et efficaces.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui va dans ce sens. Elle signe, enfin, un changement de paradigme. Elle reconnaît que les actes de violence envers les professionnels de santé ne peuvent plus être tolérés ni relativisés.
Ce texte va dans le bon sens. En alourdissant les peines pour violences commises dans les établissements de santé, en érigeant l'outrage aux soignants au rang de délit spécifique ou encore en permettant aux employeurs de se constituer partie civile, nous affirmons que la République défend ses serviteurs.
Oui, il faut soutenir toute initiative qui restaure l'autorité, protège les agents publics et assure la continuité du service public dans des conditions dignes. Le texte répond à cette triple exigence.
Enfin, cette proposition de loi est aussi un signal clair envoyé à celles et ceux qui, dans un excès de violence ou par mépris de l'ordre public, pensent pouvoir s'en prendre impunément aux soignants. Désormais, ils sauront que la République ne le tolérera plus.
Réfléchissons aussi, sans tabou, à une question essentielle, aussi délicate qu'inévitable : celle du conditionnement de l'accès aux soins pour les individus qui agressent volontairement ceux qui les dispensent. En effet, peut-on durablement accepter que la société, par le biais de la solidarité nationale, prenne intégralement en charge les soins de ceux qui, dans un même mouvement, bafouent les règles de cette solidarité, en portant atteinte à l'intégrité de ceux qui incarnent notre système de santé ?
Cette interrogation peut heurter certaines consciences. Elle bouscule sans doute nos réflexes humanistes, mais elle n'est ni cynique ni injuste.
Il s'agit non pas de remettre en cause le droit aux soins, mais de réaffirmer une exigence, selon laquelle les droits s'accompagnent de devoirs : devoirs de respect, de retenue et de reconnaissance envers ceux qui consacrent leur vie au service des autres. Si la République soigne, elle ne saurait rester impassible face à ceux qui transforment la main tendue en cible. C'est là une ligne de réflexion que nous devons oser tracer, avec lucidité et responsabilité.
Au nom de cette responsabilité, du respect dû à nos professionnels de santé et de la restauration de l'autorité républicaine, les sénateurs du groupe Les Républicains voteront ce texte, avec conviction. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi essentielle, qui traduit dans le droit certaines mesures du plan pour la sécurité des professionnels de santé, présenté en septembre 2023 par Aurélien Rousseau et Agnès Firmin-Le Bodo.
Ce texte répond à une réalité alarmante : l'exposition croissante de nos soignants à des violences, qu'elles soient verbales, physiques ou numériques.
Alors que, durant la crise du covid, ils recevaient les hommages de la société tout entière et étaient applaudis depuis les balcons, ces mêmes professionnels sont aujourd'hui confrontés à des agressions de plus en plus nombreuses.
En 2024, plus de 20 000 signalements ont été recensés par l'Observatoire national des violences en santé. Pour les médecins, les actes de violence ont augmenté de 27 % en un an. Ces chiffres, bien qu'incomplets, en raison d'un faible taux de signalement, révèlent une situation préoccupante et soulignent un paradoxe, qui nous interpelle : comment avons-nous pu en arriver là ?
Parmi les personnels en première ligne, les femmes sont souvent les premières victimes. Celles et ceux qui nous soignent et nous accompagnent, parfois dans l'urgence, souvent dans la douleur, doivent être protégés, respectés et soutenus.
Je salue le travail rigoureux de notre collègue Anne-Sophie Patru, rapporteure de ce texte, qui a su enrichir la proposition tout en en garantissant la cohérence juridique. Dans le prolongement des dispositions adoptées à l'Assemblée nationale, qui ont élargi la protection à l'ensemble des structures liées aux soins, la commission des lois du Sénat a souhaité sanctuariser ces espaces en étendant les sanctions renforcées à tous les personnels qui y travaillent, qu'ils en soient des employés directs ou non.
Le texte prévoit également une meilleure prise en charge du dépôt de plainte. Il autorise désormais les directeurs d'établissement à déposer plainte au nom de leurs agents, sous réserve de leur accord. La commission a toutefois encadré cette possibilité, en l'excluant lorsque les violences sont commises entre membres du même service. Elle a par ailleurs ouvert cette faculté aux ordres professionnels, renforçant ainsi la protection des professionnels libéraux. Cette avancée est décisive pour briser le silence et lever les freins au signalement des violences.
Enfin, la commission a choisi de réécrire l'article 2, en remplaçant le délit d'outrage par l'infraction d'injure, plus adaptée à la situation juridique des professionnels de santé. Cette précision apporte une protection efficace, tout en instaurant un délai de prescription d'un an, que la commission a jugé raisonnable.
Certaines dispositions redondantes avec le droit en vigueur ont été supprimées avec justesse. C'est notamment le cas de l'article sur la domiciliation des plaignants et de celui relatif au bilan annuel de sécurité, déjà prévu par la voie réglementaire.
Au-delà de la portée juridique du texte, c'est un signal politique fort que nous envoyons aujourd'hui : il n'y aura pas de tolérance pour les violences envers les soignants.
Le groupe RDPI votera cette proposition de loi avec conviction, dans un esprit de responsabilité et de soutien envers celles et ceux qui, chaque jour, font vivre notre système de santé dans des conditions souvent difficiles.
Protéger nos soignants, c'est aussi protéger notre pacte social. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme la rapporteure et Mme Dominique Vérien applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a forcément quelque chose de troublant à voir ceux qui soignent devoir apprendre à se défendre de leurs patients.
Hélas, les chiffres parlent d'eux-mêmes. En 2023, plus de 1 500 incidents impliquant des médecins ont été recensés par le Conseil national de l'ordre, soit 27 % de plus qu'en 2022, et près de trois fois plus qu'il y a vingt ans.
Dans les établissements de santé, les actes de violence déclarés ont explosé, pour atteindre près de 20 000 faits par an.
Ces chiffres sont probablement sous-évalués, tant le réflexe de signalement reste encore rare dans la profession.
Derrière les statistiques, il y a des vies brisées, des vocations détruites et une peur quotidienne qui porte atteinte à l'engagement de nos soignants. En mai dernier, l'assassinat de Carène Mézino, infirmière au CHU de Reims, l'a rappelé avec une violence inouïe. Plus récemment, le mois dernier, en Moselle, un patient en désaccord sur sa prise en charge a menacé de mort son généraliste et dégradé son cabinet médical.
Ce phénomène n'épargne aucun pays. En Espagne, au Portugal, en Allemagne, au Royaume-Uni, les agressions se comptent par milliers chaque année. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), plus d'un tiers des soignants dans le monde seraient confrontés à des violences physiques au cours de leur carrière.
Face à cette réalité, le texte déposé par le député Philippe Pradal constitue une réponse. Je salue d'ores et déjà le travail de notre rapporteure, Anne-Sophie Patru.
Avant cette proposition de loi, nous avions déjà bénéficié des éclairages ministériels avec la remise d'un plan pour la sécurité des professionnels de santé en septembre 2023.
Trois axes s'en dégageaient : il s'agissait de mieux sensibiliser le public et former les soignants, de mieux prévenir les violences et sécuriser l'exercice des professionnels, et, enfin, de renforcer les dispositifs de déclaration des violences et l'accompagnement des victimes. En complément, cette proposition de loi intègre la question des sanctions des auteurs de faits de violences.
En premier lieu, il nous est proposé une aggravation des peines encourues pour des faits de vol et de violences commis dans les locaux des établissements de santé ou à l'encontre des personnels de ces établissements. Le texte initial a été enrichi, puisqu'il vise désormais également, par exemple, les cabinets d'exercice libéral d'une profession de santé, les maisons de naissance, les officines de pharmacie ou encore les laboratoires de biologie médicale.
Nous ne pouvons qu'être favorables à un tel dispositif, même si nous savons aussi que l'aggravation des peines suffit rarement à endiguer les phénomènes qu'elles sanctionnent. C'est un réflexe facile, mais peu souvent efficace.
En deuxième lieu, le texte issu de l'Assemblée nationale proposait une extension du délit d'outrage aux professionnels de santé et une extension des circonstances aggravantes lorsque le délit est commis dans un établissement de santé.
Notre rapporteure propose de substituer au délit d'outrage celui d'injure. Or il apparaît que le régime juridique de l'injure est plus favorable à l'auteur des faits, au détriment de la victime, par exemple en matière de prescription, mais également dans la qualification de l'infraction par le juge. Aussi, bien que je ne sois pas juriste, je ne suis pas convaincue par cette substitution. Nous proposerons donc, par voie d'amendement, de revenir à la version antérieure du texte et de rétablir le délit d'outrage.
En troisième lieu, il est proposé d'ouvrir le droit, pour l'employeur, de porter plainte pour violences à la place d'un professionnel de santé ou d'un membre du personnel d'un établissement de santé. Nous soutenons vivement ce dispositif.
Je l'ai dit, les chiffres sont probablement sous-évalués, tant le réflexe de signalement reste encore rare dans la profession. Par conséquent, tout mécanisme qui participera à renforcer l'engagement des poursuites doit être soutenu.
Je me réjouis de l'initiative de notre rapporteure, qui a proposé d'ouvrir la faculté de déposer plainte pour les professionnels libéraux aux ordres professionnels et, plus largement, aux organismes représentatifs lorsque la profession n'est pas organisée en ordre.
Plusieurs articles ont été supprimés par notre commission. Toutefois, ces suppressions ne constituent en rien des renoncements. Je pense en particulier à l'article 2 bis, qui prévoyait la possibilité de déclarer une adresse professionnelle comme domicile dans une procédure pénale. Un tel mécanisme existant déjà dans le droit actuel, un surajout n'était pas nécessaire.
Pour conclure, il est indéniable que ce texte ne réglera pas, à lui seul, l'ensemble des difficultés rencontrées par les professionnels de santé. Cependant, il représente une avancée concrète et lisible.
Aussi, mes chers collègues, les membres du groupe RDSE le voteront unanimement.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, restaurer la sécurité dans le milieu de la santé et renforcer les mesures pénales, telle est l'ambition de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Il est devenu impératif de déployer des mesures concrètes pour enrayer les violences croissantes à l'encontre des professionnels de santé.
Ces actes, en nette augmentation ces dernières années, traduisent une dégradation alarmante des conditions d'exercice dans le secteur.
Selon le rapport de l'Observatoire national des violences en santé, en 2023, environ 20 000 signalements d'actes de violence ont été effectués par des professionnels de santé ou par les établissements concernés. En 2024, ce chiffre était en hausse de 6,6 %.
Ce seul constat devrait nous inquiéter et nous interpeller, d'autant plus quand on sait que près de la moitié des faits signalés concernent des agressions physiques ou des menaces avec arme, et que leurs conséquences sont parfois dramatiques.
Ainsi, l'agression au couteau survenue le 22 mai 2023 au CHU de Reims, qui a coûté la vie à une infirmière, a marqué un tournant tragique et symbolique. Elle a mis en évidence notre échec et notre impuissance à protéger les soignants et à sanctionner fermement leurs agresseurs.
Pourtant, et c'est un constat que nous faisons régulièrement sur d'autres sujets, le code pénal est déjà en mesure de sanctionner. Mais, malheureusement, l'appareil judiciaire ne suit pas toujours, ce qui nourrit un sentiment d'impunité chez les auteurs et de laxisme de la justice chez les victimes. Cette impression est d'ailleurs tellement intériorisée par les victimes que moins d'un tiers d'entre elles portent plainte.
Permettez-moi d'illustrer mon propos par un exemple très concret. Récemment, l'un de mes proches, médecin dans un centre de santé en région parisienne, a été agressé pour avoir refusé de délivrer un arrêt de travail, estimant que l'état du patient ne justifiait pas une telle prescription.
À la suite de cette agression, son supérieur l'a fortement encouragé à ne pas contester les demandes des patients, même si celles-ci étaient injustifiées d'un point de vue médical. Et ; par crainte pour sa propre sécurité, ce médecin n'a pas osé porter plainte.
Vous imaginerez aisément la perte de sens pour celui qui a choisi de consacrer sa vie professionnelle au service des autres et qui se trouve aujourd'hui menacé pour le simple fait d'exercer son métier de médecin…
Bien entendu, ce cas, qui illustre bien le sujet qui nous réunit aujourd'hui, n'est pas isolé. L'autorité médicale n'est plus respectée, et les patients, qui se comportent, pour certains, en clients, n'hésitent plus à se montrer violents face à un refus.
Malheureusement, ce constat peut aussi s'étendre à notre société tout entière, qui fait de plus en plus face à des comportements individualistes de personnes incapables de supporter la contrainte ou la frustration et ne connaissent d'autre réponse que la violence.
J'en reviens au travail de notre rapporteure, Anne-Sophie Patru, dont je salue le premier rapport. Celui-ci s'inscrit dans l'esprit de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale le 14 mars 2024, qu'elle complète et renforce.
En adoptant cette position, notre rapporteure réaffirme, à juste titre, que les agressions à l'encontre des soignants sont inacceptables, car elles contribuent non seulement à fragiliser ces professionnels, mais aussi à entamer leur confiance dans la capacité du système judiciaire à les protéger efficacement.
Par ses amendements, notre rapporteure a veillé à renforcer la sécurité juridique des dispositions retenues et s'est attachée à ne conserver que les mesures dont l'utilité concrète et la plus-value législative étaient avérées.
Cependant, il s'agit ici d'un texte largement symbolique, qui ne résoudra pas à lui seul la situation. Comme bien souvent, une vraie réponse porterait sur les moyens de notre justice et de nos forces de l'ordre. Mais, dans un contexte où ces métiers, indispensables au bon fonctionnement de notre société, sont de plus en plus exposés à des actes de violence, il est bienvenu que le Parlement se tienne aux côtés des victimes.
Et, si ce texte peut encourager les professionnels de santé à déposer plainte tout en rétablissant le respect que l'on doit à cette fonction, alors il aura déjà rempli une part importante de sa mission.
Le groupe centriste votera donc ce texte, dans l'espoir qu'il ouvre la voie à des avancées supplémentaires, efficaces et pérennes pour garantir aux personnels soignants un environnement de travail serein et respectueux de leur mission et de leur engagement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Silvana Silvani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, disons-le d'emblée : les violences à l'encontre des agents du service public sont inacceptables.
Plus particulièrement, les violences commises contre des agents du service public de santé, dont la mission consiste à soigner les malades, sont intolérables.
Ce texte propose de renforcer les sanctions pénales encourues par les auteurs de violences pour améliorer la sécurité des professionnels de santé. Permettez-nous de douter de l'efficacité d'un tel dispositif !
D'une part, les auteurs des violences sont majoritairement des personnes souffrant de troubles psychiatriques et des personnes âgées considérées comme irresponsables pénalement. (Marques d'ironie sur les travées du groupe Les Républicains.)
D'autre part, les violences contre les professionnels sont, le plus souvent, la conséquence des dysfonctionnements du service public de santé et des années d'austérité qui ont désorganisé et désarmé les services.
Les violences sont donc avant tout l'expression d'un mécontentement à l'encontre d'une dégradation de la qualité des soins et de l'accueil et de la pénurie de soignants.
Ces actes ne sont pas légitimes, je le répète, et nous les condamnons fermement, mais ils s'expliquent : quand 15 % des patients passent plus de huit heures à attendre aux urgences, car il n'y a plus de médecins généralistes ni de permanences médicales les soirs et les week-ends, il arrive que les personnes les plus fragiles perdent contrôle.
Rappelons ici que le rapport sur les violences à l'encontre des professionnels de santé de Jean-Christophe Masseron et de Nathalie Nion, qui a précédé le plan pour la sécurité des professionnels de santé présenté en septembre 2023, préconisait d'agir en priorité sur les déterminants de la violence, en améliorant les conditions d'accueil des patients et de leurs proches.
Madame la rapporteure, vous proposez d'adopter une position de « soutien sans faille aux professionnels de santé et aux personnes qui les entourent ». Nous partageons cet objectif, mais ce texte ne changera malheureusement rien aux violences commises à leur encontre.
La création de circonstances aggravantes n'est que du « bavardage législatif », pour reprendre votre formule. Si l'on ne change pas de logiciel, si l'on continue à réduire chaque année les dépenses des hôpitaux, les infirmières et les aides-soignantes continueront à se faire agresser par des patients excédés dans les services psychiatriques, dans les Ehpad et aux urgences.
De notre point de vue, la seule avancée, dans ce texte, est le renforcement de l'accompagnement des victimes. En permettant à l'employeur de déposer plainte à la place de la personne agressée, nous faisons un pas de plus dans la protection fonctionnelle des soignants.
Notre groupe avait d'ailleurs déposé un amendement qui reprenait la proposition de loi de mon collègue Pierre Ouzoulias visant à améliorer la protection fonctionnelle accordée aux agents publics, mais cet amendement a été jugé irrecevable, ce que je regrette.
Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky s'abstiendra néanmoins sur ce texte, afin d'adresser un message de soutien aux professionnels de santé victimes de violences. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Souyris. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Anne Souyris. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque jour, en moyenne, 65 professionnels de santé sont victimes d'agressions physiques ou verbales.
Au total, 37 % des professionnels hospitaliers déclarent avoir été victimes de violences en 2022. Deux infirmiers sur trois sont concernés.
Bien sûr, ces chiffres doivent nous alerter. Rappelons, sans aucune nuance, qu'il n'est jamais permis, tolérable ni acceptable de s'en prendre aux professionnels de santé.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
Mme Anne Souyris. Quand bien même l'accès aux soins de nos concitoyens est plus difficile chaque jour, nous condamnons toute violence, tant verbale que physique, et nous apportons notre entier soutien à l'ensemble de celles et ceux qui subissent ces violences, qu'il s'agisse de professionnels de santé ou de patients.
Ainsi, le groupe Écologiste – Solidarités et Territoires partage l'objectif de cette proposition de loi : renforcer la sécurité des professionnels de santé.
Cependant, quel dommage que ce texte se cantonne à aggraver les peines encourues pour des violences commises dans les établissements et contre les professionnels de santé ! Nous savons bien que l'aggravation des peines n'a pas d'effet dissuasif sur les auteurs de violences.
En revanche, bien d'autres mesures efficaces avaient été identifiées par le Gouvernement dans le plan interministériel pour la sécurité des professionnels de santé, présenté par Aurélien Rousseau et Agnès Firmin-Le Bodo, que je salue.
À l'issue d'un long travail, Jean-Christophe Masseron, alors président de SOS Médecins, et Nathalie Nion, cadre de santé à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), avaient présenté des recommandations, qui avaient ensuite fait l'objet de 42 mesures planifiées par le Gouvernement.
Ce plan proposait, entre autres, d'augmenter la sécurité des bâtiments en aménageant l'espace des établissements de santé pour prévenir les violences, en améliorant la gestion de flux des patients.
Il suggérait également de financer des dispositifs d'alerte pour les professionnels les plus exposés, notamment pour ceux qui sont les plus isolés, en ville et à l'hôpital.
Il invitait, en outre, à renforcer les relations entre les établissements et professionnels de santé et les services de police ou de gendarmerie compétents.
Pourquoi ces mesures utiles sont-elles absentes de cette proposition de loi ?
Rappelons, par ailleurs, que, sur les 23 489 professionnels victimes de violences en 2022, 53 % indiquaient que le motif invoqué par l'auteur de violences était un reproche relatif à la prise en charge. En outre, 22,9 % des signalements concernaient un service de psychiatrie, et 13 % un service d'urgence. Or ces services souffrent énormément de la crise de notre système de santé : sous-effectifs chroniques, sous-investissements, délais de prise en charge significatifs…
Sans que cela justifie en aucun cas les violences commises dans ces unités, cette situation doit nous conduire à y renforcer la sécurité, et non pas uniquement à répondre ex post aux actes de violence au travers d'une pénalisation soutenue.
Enfin, je déplore que la commission ait supprimé les articles visant à ce que les professionnels de santé puissent déclarer comme domicile l'adresse de l'ordre professionnel au tableau duquel ils sont inscrits, et à ce que le conseil de surveillance d'un établissement de santé dispose d'un bilan annuel des actes de violence commis au sein de l'établissement.
Sous prétexte de lutter contre l'inflation législative, la commission a jugé ces deux articles superfétatoires. Quel dommage ! Ils constituaient un angle intéressant dans le renforcement de la sécurité des professionnels et des établissements et auraient mérité, à ce titre, un travail d'amendement plutôt qu'une simple suppression.
Pour conclure, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires condamne fermement les violences commises à l'encontre des professionnels de santé, mais il ne saurait se satisfaire de la seule réponse pénale proposée dans ce texte, car elle est insuffisante et inefficace pour prévenir les actes de violence – c'est véritablement un cataplasme sur une jambe de bois !
Nous regrettons qu'aucune réponse ne soit ici apportée aux causes qui amènent les auteurs de ces actes inacceptables à les commettre. Ces individus agissant avec impulsivité, quelle conséquence aura sur eux l'aggravation des peines ? Les professionnels de santé seront-ils davantage protégés ? Les patients psychiatriques seront-ils moins agressifs ? Il est difficile d'y croire...
Je vous invite donc, monsieur le ministre, à remettre sur le métier le plan interministériel présenté il y a un an et à nous présenter un point d'étape à ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mmes Émilienne Poumirol et Silvana Silvani applaudissent également.)
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures,
est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Anne Chain-Larché.)
PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord saluer notre collègue rapporteure de cette proposition de loi, Anne-Sophie Patru, laquelle se livre pour la première fois à cet exercice. Je tiens donc à lui adresser mes compliments les plus chaleureux pour son travail, qui est de très bonne facture.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. Merci !
M. Hussein Bourgi. Depuis plusieurs années, notre pays est confronté à une recrudescence de la violence. Aucun territoire, aucun secteur d'activité, aucun citoyen n'est à l'abri !
Ce fléau touche tout le monde, y compris les professions que l'on pensait préservées de ce mal : les enseignants, les forces de l'ordre, les sapeurs-pompiers, les professionnels de santé, les journalistes, et même les élus – pour ces derniers, nous en avons eu une nouvelle illustration le week-end dernier.
En septembre 2023, le Gouvernement annonçait un plan national pour la sécurité des professionnels de santé, décliné en 42 mesures et trois axes : sensibiliser le public et former les soignants ; prévenir les violences et sécuriser l'exercice des professionnels ; déclarer les agressions et accompagner les victimes.
La présente proposition de loi, qui en est inspirée, vise donc à lutter contre les violences subies par les professionnels de santé sur leur lieu de travail et dans l'exercice de leurs fonctions.
Comme le souligne l'Observatoire national des violences en santé, pour l'année 2021, ce sont près de 20 000 actes de violence qui ont été recensés : plus de 50 % d'entre eux sont des violences physiques ou des menaces avec une arme, et près de 30 % des insultes et des injures, les autres étant des dégradations.
Ces 20 000 actes ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Quid de toutes les violences pour lesquelles aucune plainte n'est déposée ?
Plus grave encore, une étude récente révélait qu'un professionnel de santé sur trois était, au moins une fois pendant sa carrière, victime de violences dans l'exercice de ses fonctions. Si les données communiquées par l'ONVS indiquent que tous les services sont la cible de violences, de heurts et d'incivilités, elles révèlent que certaines unités sont davantage touchées : les services des urgences, ceux de psychiatrie et de gériatrie sont les plus exposés.
L'Observatoire met également en lumière une tendance que l'on observe depuis plusieurs années : dans plus de 90 % des cas recensés, les auteurs de violences sont des patients ou des visiteurs et accompagnateurs, donc des proches des patients.
Aussi, si nous partageons, au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, les inquiétudes des auteurs de cette proposition de loi et adhérons aux orientations proposées, nous nous questionnons sur le caractère incomplet des dispositifs proposés.
En effet, ce texte comporte des réponses principalement répressives, certes souhaitables et utiles – nous les soutiendrons et les voterons –, on peut légitimement se demander si elles seront suffisantes. Rien n'est moins sûr.
La proposition de loi vise, à l'article 1er, à aggraver les peines applicables aux violences commises sur tout personnel d'établissement de santé ou dans les locaux d'un établissement de santé, ainsi que celles qui sont encourues en cas de vol de matériel dans ces établissements.
L'article 2, modifié par la commission des lois, vient renforcer la répression des injures adressées au personnel soignant.
Et, pour faire face à la faiblesse du taux de déclaration des violences subies par les personnels soignants salariés en établissement, laquelle est notamment liée à la peur de représailles, l'article 3 donne à l'employeur d'un professionnel de santé la possibilité de se constituer partie civile et de déposer plainte, avec l'accord de la victime.
Si nous y sommes plutôt favorables sur le principe, nous considérons que ces dispositions d'ordre principalement pénal sont de nature à susciter certaines questions quant à leur efficacité. Nous devons en effet nous interroger sur ce réflexe, bien trop récurrent ces dernières années, qui consiste à systématiquement répondre à l'augmentation des violences dans la société par une augmentation du quantum des peines.
Mes chers collègues, j'ai par moments le sentiment que nous cédons à la facilité. Or, nous le savons, la facilité est rarement gage d'efficacité !
J'illustrerai mes questionnements en citant le docteur Jean-Christophe Masseron : « La dissuasion par le droit pénal n'est pas démontrable, car les auteurs de violences n'ont pas forcément tous conscience de la gravité de leurs actes dans l'instant. » Venant d'un professionnel de terrain, ces propos doivent nous interpeller et nous faire réfléchir.
Ainsi, c'est se tromper que de faire croire, et de croire soi-même qu'un alourdissement des sanctions pénales suffira à mettre un terme aux violences envers les praticiens de santé.
Je rappelle ce que vous savez toutes et tous déjà : les principaux éléments déclencheurs de heurts en milieu hospitalier découlent des conditions de la prise en charge du patient, des refus de soins et des temps d'attente excessifs, notamment aux urgences.
Pour autant, cela n'excuse aucunement les violences insupportables dont les soignants font l'objet. Je tiens à le dire : nous nous tenons et nous tiendrons toujours aux côtés des professionnels de santé dans ce combat, et nous soutiendrons chacune des mesures garantissant leur sécurité.
Toutefois, il semble important de comprendre le contexte dans lequel prospèrent ces situations, afin de les anticiper et de les contrer avec davantage d'efficacité.
Bien souvent, ces violences sont le reflet de la dégradation de la qualité des soins et de la pénurie de soignants. Nous le savons toutes et tous, nos hôpitaux publics, qui furent longtemps les vaisseaux amiraux de l'offre de soins, sont aujourd'hui exsangues. Que le texte ne tienne pas compte de ce paramètre est, à notre sens, une erreur.
Monsieur le ministre, lorsque vous êtes venu au CHU de Montpellier, vous avez été accueilli par son personnel, à côté duquel se tenaient des vigiles… Il y a quelques années, lorsque l'on se rendait dans un centre hospitalier, on était accueilli par un agent hospitalier ! Aujourd'hui, la première personne que l'on y rencontre, dès l'entrée, est un vigile dont le rôle est de réguler les tensions et les conflits. Voilà qui est significatif de l'insécurité et de la tension permanente qui règnent dans ces lieux où l'on est censé soigner, accueillir et apaiser, et qui sont parfois devenus particulièrement anxiogènes ! Cela ne facilite ni les actes médicaux ni la prise en charge des patients, et ne permet pas de diminuer les tensions.
Il semble évident qu'une meilleure prise en charge des patients et une réduction des temps d'attente en milieu hospitalier seraient de nature à baisser considérablement les tensions entre les patients et leurs proches, d'un côté, et les personnels de santé, de l'autre.
Il s'agit d'ailleurs d'une préoccupation majeure pour les soignants, qu'ils expriment depuis plusieurs années en nous alertant sur le manque de temps et de moyens humains. Ces réalités concourent à la dégradation de la qualité de vie au travail et de celle des soins administrés aux patients.
L'appauvrissement progressif du service public de la santé est réel et doit nous inquiéter. Les indicateurs actuels sont alarmants : burn-out généralisé des soignants, dégradation de l'état de santé de notre population, accélération des fermetures de lits et de maternités – comme à Ganges, dans l'Hérault –, baisse de la qualité des soins dans les Ehpad et les crèches... Il est temps d'agir !
L'ensemble du personnel soignant – tous ceux que nous avons applaudis pendant la crise du covid, que nous avons souhaité revaloriser au travers du Ségur de la santé, qui guérissent nos enfants et prennent soin de nos anciens – mérite mieux, c'est-à-dire des salaires décents, des effectifs accrus, des conditions de travail dignes et sereines permettant d'assurer leur sécurité. Ce n'est pas du luxe !
Des solutions peuvent faire consensus au sein de notre Haute Assemblée. J'enjoins donc mes collègues, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent, à ne pas se limiter et à ne pas penser cette thématique sous le seul prisme d'un exercice de répression pénale.
La lutte contre la violence en milieu hospitalier passera indéniablement également par des dispositifs humains et matériels suffisants. Je suis certain que nous pourrons avoir des échanges constructifs sur les moyens des soignants, leur formation, mais aussi sur les méthodes susceptibles d'endiguer les phénomènes de violences à leur endroit. C'est à cette condition que la santé publique et privée à la française demeurera une source de fierté pour chacune et chacun d'entre nous, et une source de confiance pour nos concitoyennes et nos concitoyens, qui nous regardent, qui comptent sur nous et auxquels le service public de la santé et leur médecin généraliste inspirent encore espoir et confiance.
À défaut d'apporter ces réponses ce soir, monsieur le ministre, nous aurons d'autres occasions de renforcer et de consolider l'offre de soins, qu'elle soit publique ou privée. Nous travaillerons ainsi main dans la main avec vous, tout au long de l'année 2025, pour y parvenir. L'intérêt général et l'intérêt supérieur du pays le commandent ! (Mme la rapporteure applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos concitoyens ne supportent plus de voir l'insécurité se répandre dans notre pays et nous demandent plus de fermeté pour mieux les protéger. Nous avons répondu à cet appel en adoptant définitivement la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. C'est encore ce que nous avons fait en adoptant des mesures destinées à endiguer la délinquance de notre jeunesse.
Les défis sont immenses, et nous ne devons pas relâcher nos efforts. La violence n'a pas sa place dans notre société ; elle est contraire à nos principes démocratiques. Brisant la vie des victimes, elle met à mal notre pacte républicain. C'est d'autant plus vrai lorsqu'elle prend pour cible les piliers de notre société. Au contact de nos territoires et de nos élus, nous savons à quel point ces derniers peuvent être visés par des attaques intolérables. Agresser un élu, c'est porter atteinte à son mandat et, finalement, à notre démocratie.
Les professionnels de la justice, tout comme les membres des forces de l'ordre, protègent nos concitoyens et nos institutions. Ils risquent parfois leur vie pour accomplir leur mission.
Je veux redire ici tout le soutien du groupe Les Indépendants – République et Territoires aux agents pénitentiaires ainsi qu'à leurs familles. Il y a quelques semaines, ils ont subi des dégradations et des menaces inacceptables. Force doit rester à la loi : les coupables devront être sévèrement punis.
La protection de ces personnels passe notamment par une aggravation des peines encourues par ceux qui les agressent.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à mieux protéger les professionnels de santé.
Alors que les personnels de santé ont tout mis en œuvre pour protéger nos concitoyens durant la pandémie de covid, alors que notre pays fait face à un manque chronique de médecins et que nous étudions toutes les solutions pour résoudre le problème des déserts médicaux, force est de constater que les soignants sont la cible d'agressions de plus en plus nombreuses.
Ils subissent le plus souvent des atteintes à l'intégrité physique ainsi que des menaces avec arme. Les injures sont également très fréquentes. Les métiers du soin sont en train de devenir des métiers à risque.
Il ne s'agit malheureusement pas de cas isolés. Les témoignages de professionnels agressés dans l'exercice de leurs fonctions se multiplient, que ce soit dans les hôpitaux, les cabinets médicaux ou lors d'interventions à domicile. Ces violences touchent aussi bien les médecins que les infirmiers, les aides-soignants ou les agents d'accueil. Certains en viennent à modifier leurs horaires, voire à renoncer à exercer dans certains territoires.
Cette situation renforce une autre difficulté majeure concernant ces professions : plus les conditions de travail se détériorent, plus l'attractivité des métiers de santé recule, aggravant encore la pénurie que nous connaissons.
Il est donc impératif d'agir vite et fort. L'État ne peut pas rester spectateur face à cette dérive. Nous devons affirmer clairement que toute agression contre un soignant est une attaque contre notre pacte social.
Nous ne pouvons pas accepter que celles et ceux qui nous soignent ne soient pas mieux protégés. Il nous faut sanctuariser la santé des Français. C'est tout l'objet de la proposition de loi que nous examinons et que la ministre Agnès Firmin-Le Bodo avait soutenue en 2024.
Grâce à ce texte, les infractions de violences volontaires, mais aussi de vol, seront punies plus sévèrement en cas de commission au sein d'établissements de santé ou à l'encontre de leurs employés.
La violence psychologique n'est pas davantage acceptable et nous n'acceptons pas sa banalisation. Le délit d'injure sera donc, lui aussi, plus lourdement puni.
Cependant, aggraver les peines ne suffit pas si nous ne facilitons pas les poursuites. Le texte ouvre ainsi à l'employeur la faculté de déposer plainte, à condition toutefois de recueillir l'accord de l'employé victime. Il nous semble que cette mesure permettra des poursuites plus systématiques, sans pour autant méconnaître les droits de la partie civile.
Nous devons afficher la plus grande fermeté en la matière.
Je veux, à cet égard, saluer le travail de la justice. Le taux de réponse pénale s'agissant de ces affaires est excellent, puisqu'il dépasse les 90 %.
Ainsi, je me félicite de la condamnation à trois et six mois de prison ferme prononcée par le tribunal de Thonon-les-Bains à l'encontre des auteurs de l'agression commise à l'encontre de plusieurs soignants aux urgences de l'hôpital privé d'Annemasse. Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, de vous être rendu sur place pour soutenir les personnels en ces moments difficiles.
En revanche, les victimes sont encore trop peu nombreuses – moins d'un tiers – à donner des suites judiciaires à leur agression. Nous souhaitons que cela devienne plus systématique : la peur doit changer de camp.
Notre collègue Daniel Chasseing, médecin, a déposé deux amendements que nous vous proposons d'adopter. Il s'agit de permettre aux professionnels de santé de conserver l'anonymat lorsqu'ils effectuent un signalement de violences intrafamiliales. De même, un tel dispositif serait utile concernant les violences sur mineurs.
Voilà qui permettrait de lever les obstacles à ces signalements qui constituent, bien souvent, l'une des rares possibilités de faire cesser le calvaire des victimes. En effet, par crainte de représailles, de nombreux cas de violences ne font pas l'objet de signalement. Nous avons l'occasion de changer cela.
Ce texte traduit une prise de conscience, mais il envoie aussi un message : la République soutient et protège les personnels soignants, elle ne tolérera aucune agression à leur encontre.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera à l'unanimité en faveur de l'adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Khalifé Khalifé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Khalifé Khalifé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne pensais pas, quand je suivais mes études médicales, et encore moins lorsque j'effectuais ma longue carrière hospitalière, que les parlementaires seraient un jour obligés de légiférer pour renforcer la sécurité des professionnels de santé.
Je n'imaginais pas non plus que le respect accordé à celles et à ceux qui, par leur dévouement, leur éthique et leur présence, souvent dans les moments les plus difficiles de la vie, serait un jour remplacé par des actes de violence, comme ceux que nous rencontrons de plus en plus aujourd'hui.
Oui, mes chers collègues, la défiance envers l'autorité sous toutes ses formes est non seulement davantage assumée, mais elle s'attaque à ce que l'on considérait encore récemment comme « l'autorité médicale ».
Comme cela a été rappelé, toutes les données statistiques montrent clairement une augmentation importante des coups et blessures volontaires, ainsi que des violences de type sexuel envers les soignants, qui sont deux fois plus touchés par ces phénomènes que le reste de la population.
Malgré les politiques de prévention mises en œuvre depuis une quinzaine d'années, l'Observatoire national des violences en milieu de santé recense plusieurs dizaines de milliers d'atteintes aux personnes et plus de 5 000 atteintes aux biens chaque année. Et encore, ces chiffres ne reflètent malheureusement pas la réalité, car les faits restent encore trop souvent tus.
Ces violences ne sont plus des actes isolés, mais elles sont devenues une réalité quotidienne pour nombre de nos concitoyens engagés dans le soin et concernent tous nos soignants, quels que soient leurs lieu et mode d'exercice.
Les conséquences de ces violences sont majeures et constituent, à l'échelle de la victime, un traumatisme profond. À l'échelle d'une équipe soignante, elles affectent durablement la dynamique collective. Lutter efficacement contre ces agressions relève donc d'un enjeu crucial, à la fois pour la santé des professionnels, mais aussi pour l'attractivité de ces métiers, déjà frappés par une crise profonde. Elles sont souvent une cause d'abandon des études, de reconversion professionnelle, d'éloignement du territoire concerné et, par la suite, stigmatisé, et enfin, de départ anticipé à la retraite.
Face à ce constat, il devient urgent de créer les conditions nécessaires pour garantir la santé physique et psychique des soignants, afin qu'ils puissent exercer leur mission dans une atmosphère apaisée et sécurisée, et dans un environnement adapté et protégé.
Jamais je n'aurais imaginé, disais-je, devoir prononcer de tels propos. Mais face à la violence sans limite que nous connaissons dans notre société, il ne peut y avoir de résignation, et encore moins d'indifférence. C'est pourquoi cette proposition de loi, dont je salue l'auteur, ainsi que la rapporteure pour son excellent travail, traduit une ambition claire : réaffirmer la protection de celles et de ceux qui protègent les autres.
Le texte que nous examinons aujourd'hui contient trois volets d'avancées concrètes, dont je tiens à souligner l'importance. Le premier concerne la prévention sous toutes ses formes : celle de la violence proprement dite, l'apprentissage de la manière dont on peut y faire face et la gérer et l'accompagnement des victimes, afin de leur permettre de se reconstruire.
À ce propos, monsieur le ministre, je souhaitais insister sur l'importance croissante des maisons des soignants, disséminées sur le territoire, qui nous aident à affronter toutes ces difficultés.
Le deuxième volet est celui de la sécurisation des lieux de soins. Ainsi, des moyens seront destinés aux établissements, pour la mise en œuvre de mesures concrètes : entre autres, renforcement des moyens de sécurité, réaménagement des espaces et surtout, afin de fluidifier les rapports, coordination avec les forces locales de la justice et de la police.
J'insiste monsieur le ministre, sur un point particulier. Ainsi, outre les cabinets libéraux et l'hôpital, que vous avez mentionnés, j'attire votre attention sur la sécurisation des pharmacies, de plus en plus vandalisées, comme les événements récents le montrent encore. Je souhaitais également vous sensibiliser à la fragilité de nos hôpitaux psychiatriques, intrinsèquement vulnérables, et au sein desquels l'on retrouve énormément de deal et de narcotrafic, sources de violence et de difficultés, tant avec les personnels que les patients. Nous présenterons un amendement sur ce sujet.
Enfin, le troisième volet est celui de la fermeté pénale, déjà mentionnée.
Ce texte, mes chers collègues, apporte non seulement une réponse technique, mais aussi la confirmation que la République se tient aux côtés de ses soignants. Monsieur le ministre, je m'associe à vous pour saluer ce travail et l'ensemble des personnes qui y ont contribué.
Mes chers collègues, en votant ce texte, nous manifestons notre volonté de réduire toute forme de violence. En effet, la grandeur d'une société se mesure aussi à la manière dont elle prend soin de ceux qui la soignent. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains. – Mmes Véronique Guillotin et Corinne Bourcier applaudissent également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé
Article 1er
Le code pénal est ainsi modifié :
1° A Au 4° bis des articles 222-8 et 222-10, après le mot : « santé », sont insérés les mots : « ou un membre du personnel exerçant au sein d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un laboratoire de biologie médicale ou d'un établissement ou d'un service social ou médico-social » ;
1° Les articles 222-12 et 222-13 sont ainsi modifiés :
a) Au 4° bis, après le mot : « santé », sont insérés les mots : « ou un membre du personnel exerçant au sein d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un laboratoire de biologie médicale ou d'un établissement ou d'un service social ou médico-social » ;
b) (Supprimé)
c) Après le 11°, il est inséré un 11° bis ainsi rédigé :
« 11° bis Dans un établissement de santé, un centre de santé, une maison de santé, une maison de naissance, un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, une officine de pharmacie, un laboratoire de biologie médicale ou un établissement ou un service social ou médico-social ; »
2° À la fin du 5° de l'article 311-4, les mots : « destiné à prodiguer des soins de premiers secours » sont remplacés par les mots : « médical ou paramédical ou lorsqu'il est commis dans un établissement de santé ».
Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 15 rectifié ter est présenté par Mme Bourcier, M. Capus, Mme L. Darcos et MM. A. Marc, Chasseing, Rochette, Brault et Chevalier.
L'amendement n° 32 rectifié bis est présenté par Mme Imbert.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéas 2 et 4
Remplacer les mots :
d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un laboratoire de biologie médicale ou d'un établissement ou d'un service social ou médico-social
par les mots :
d'un lieu d'exercice d'un professionnel de santé
II. – Alinéa 7
Remplacer les mots
établissement de santé, un centre de santé, une maison de santé, une maison de naissance, un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, une officine de pharmacie, un laboratoire de biologie médicale ou un établissement ou un service social ou médico-social
par les mots :
lieu d'exercice d'un professionnel de santé
La parole est à Mme Corinne Bourcier, pour présenter l'amendement n° 15 rectifié ter.
Mme Corinne Bourcier. La rédaction retenue, qui comprend une liste établie à l'article 1er, peut présenter le risque de la non-prise en compte de certaines structures. Pour la pharmacie, c'est par exemple le cas des établissements de distribution en gros ou des locaux des prestataires dispensateurs d'oxygène à domicile. Une notion plus globale, telle que celle des lieux d'exercice des professionnels de santé, semble présenter moins de risques qu'une liste limitative.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour présenter l'amendement n° 32 rectifié bis.
Mme Corinne Imbert. Il est défendu.
Mme la présidente. Les trois amendements suivants sont également identiques.
L'amendement n° 1 rectifié octies est présenté par Mme Aeschlimann, M. Panunzi, Mmes Noël et Josende, MM. Daubresse, Somon et Burgoa, Mmes Lavarde, Estrosi Sassone, Gosselin, Belrhiti, Bellurot, Ventalon, Garnier, Billon, Joseph, Muller-Bronn et Drexler, MM. Bouchet et Margueritte, Mmes Dumont, Berthet, Canayer et Romagny, M. Genet et Mme Gruny.
L'amendement n° 4 rectifié octies est présenté par Mme Jacquemet, M. Laugier, Mmes Morin-Desailly, Guidez et de La Provôté, MM. J.M. Arnaud et Duffourg, Mmes Saint-Pé et Herzog, M. Canévet, Mmes Loisier et Housseau, MM. S. Demilly, Fargeot, Delcros et Parigi, Mme Florennes, MM. Levi, Pillefer, Henno, Dhersin et L. Hervé, Mmes Perrot et Devésa, MM. Longeot et Menonville, Mme Vermeillet et MM. Chauvet et Courtial.
L'amendement n° 25 est présenté par Mmes Schillinger et Ramia, MM. Rohfritsch, Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, M. Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 2 et 4
Après le mot :
pharmacie,
insérer les mots :
d'un prestataire de santé à domicile,
La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour présenter l'amendement n° 1 rectifié octies.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Il s'agit, par cet amendement, de prendre en compte, en élargissant le champ d'application du texte, un certain nombre de professionnels et d'auxiliaires de santé qui interviennent au domicile des patients. Plus de 20 000 personnes sont concernées.
Il serait dommage de les tenir à l'écart de la protection particulière que cet excellent texte reconnaît aux professionnels de santé intervenant dans un établissement de santé. Elle a d'ailleurs été étendue, grâce au travail remarquable de la rapporteure de la commission des lois, à d'autres lieux d'exercice de la santé.
Nous entendons ainsi couvrir tous les professionnels intervenant à domicile. En outre, nous savons que, avec le vieillissement de la population, un nombre croissant de personnes seront appelées à recevoir des soins chez elles. Il convient donc de protéger ces professionnels, d'autant que l'isolement dû à l'éloignement d'une structure collective aggrave leur vulnérabilité. Ils sont parfois en vis-à-vis direct avec des patients présentant des troubles divers et des difficultés de comportement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Jacquemet, pour présenter l'amendement n° 4 rectifié octies.
Mme Annick Jacquemet. Si la présente proposition de loi vise à répondre à la montée des violences physiques et verbales à l'encontre des professionnels de santé, le personnel des prestataires de santé à domicile (PSAD) n'est pas mentionné à l'article 1er, dans sa formulation actuelle. Pourtant, ce dernier est souvent en première ligne face à la montée des violences.
D'ailleurs, le dernier rapport de l'Observatoire national des violences en milieu de santé recense de nombreux signalements de violences subies par des professionnels intervenant au domicile des patients. Il y est notamment mentionné que « l'appréhension [des soignants] est d'autant plus forte lorsque les soins sont dispensés au domicile du patient, le soignant étant à la fois dans un contexte isolé, et par ailleurs le patient/accompagnant pouvant se sentir en situation de force, étant à son domicile ».
Voilà pourquoi, à l'instar des autres acteurs de la santé à domicile, il importe de prévoir la protection du personnel des prestataires de santé à domicile face aux violences qu'ils peuvent subir dans l'exercice de leur métier.
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour présenter l'amendement n° 25.
Mme Patricia Schillinger. Il est défendu.
Mme la présidente. L'amendement n° 27, présenté par Mme Florennes, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
ou d'un dispositif d'appui à la coordination (DAC) des parcours de santé complexes mentionnés à l'article L. 6327-1 du code de la santé publique
La parole est à Mme Isabelle Florennes.
Mme Isabelle Florennes. Cet amendement vise à étendre le dispositif de l'article 1er aux agents travaillant dans les dispositifs d'appui à la coordination (DAC), créés par la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé. En raison de leur mission, ils font face à des personnes cumulant diverses difficultés et aux besoins de santé complexes. Dans ce contexte, ils sont susceptibles d'être victimes de violences verbales et physiques.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. Les auteurs des amendements identiques nos 15 rectifié ter et 32 rectifié bis, qui tendent au remplacement de l'énumération des lieux d'exercice par une formulation unique, ont le mérite de tenter de surmonter les difficultés liées à l'énumération.
Cependant, la formulation retenue, à savoir le « lieu d'exercice d'un professionnel de santé », est en pratique imprécise. Elle est particulièrement large, puisqu'il suffit qu'un professionnel de santé exerce à un moment donné dans un lieu, même ponctuellement, pour que les peines soient aggravées. En outre, la notion même de lieu est floue : s'agit-il d'une pièce, de plusieurs pièces, comme l'infirmerie d'une école, ou d'un bâtiment entier ?
À l'inverse, cette rédaction ne protégera pas les personnels non soignants qui mettent en place les dispositifs médicaux des PSAD. Ainsi, l'imprécision de la formulation pose un problème au regard du principe de légalité des délits et des peines. En effet, selon qu'un professionnel de santé est appelé ou non à exercer dans un lieu qui peut avoir une autre vocation principale que le soin, les peines seront différentes.
Dès lors, même si nous souscrivons à l'objectif d'une rédaction plus satisfaisante, celle qui est proposée ne peut être retenue. La commission émet donc un avis défavorable sur les amendements identiques nos 15 rectifié ter et 32 rectifié bis.
Sur l'ajout des prestataires de santé à domicile à l'énumération des personnes protégées, la rédaction des amendements identiques nos 1 rectifié octies, 4 rectifié octies et 25 montre, elle aussi, la difficulté à trouver la formulation juridiquement adéquate pour protéger l'ensemble des personnels qui ne sont pas soignants, mais qui interviennent dans les structures ou services de soins, ce qui est bien l'objet de la proposition de loi.
Je rappelle que c'est depuis la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure qu'il existe des sanctions renforcées punissant les violences à l'encontre des professionnels de santé. Ceux-ci sont donc déjà protégés, et c'est des autres professionnels qu'il est question dans cet article 1er. Au regard de cette difficulté, la commission demande l'avis du Gouvernement sur ces trois amendements.
Enfin, sur l'amendement n° 27, nous demandons également l'avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. Nous demandons le retrait des amendements identiques nos 15 rectifié ter et 32 rectifié bis et, à défaut, émettrons un avis défavorable. En effet, avec l'extension de la cible, on risque de créer une rupture d'égalité, ce qui crée une fragilité juridique.
Sur les amendements identiques nos 1 rectifié octies, 4 rectifié octies et 25, l'avis est favorable. J'entends les arguments de leurs auteures, qui souhaitent protéger l'ensemble des professionnels de santé. En effet, pour nombre de ces derniers, le domicile est un lieu d'exercice, sans qu'il soit question d'opposer les professionnels des secteurs sanitaire et médico-social. Tous les inclure serait donc une bonne mesure, puisqu'ils exercent dans un lieu où ils peuvent être particulièrement exposés.
Quant à l'amendement n° 27, j'en demande le retrait ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable. En effet, il est important de poser une limite au champ de l'aggravation des sanctions pénales prévues par l'article 1er. Or si les dispositifs d'appui à la coordination étaient inscrits dans la loi, cela soulèverait la question de la prise en compte de tous les professionnels exerçant dans des services publics se rattachant à la prise en charge sanitaire, voire à l'accompagnement social des usagers. La cible s'en trouverait grandement élargie, au risque, là encore, d'une fragilité juridique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Florennes, pour explication de vote.
Mme Isabelle Florennes. Monsieur le ministre, vous évoquez un champ trop large par rapport aux services publics. Je souhaitais confirmer cette précision relative aux dispositifs d'appui à la coordination.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. Chaque professionnel de santé intervenant au sein d'un DAC est déjà protégé aux termes de la proposition de loi que nous sommes en train d'examiner, de manière individuelle. De même, on ne protège pas un hôpital ou une clinique, une structure ou un lieu d'exercice, mais bien les professionnels de santé.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 15 rectifié ter et 32 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 rectifié octies, 4 rectifié octies et 25.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. Madame Florennes, l'amendement n° 27 est-il maintenu ?
Mme Isabelle Florennes. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 27 est retiré.
Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. V. Louault, Chasseing, Chevalier et Rochette, Mme Bourcier et MM. Laménie, A. Marc et Capus, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 7
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après le 3° de l'article 222-28 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Lorsqu'elle est commise par ou sur un professionnel de santé durant son exercice ; »
La parole est à Mme Corinne Bourcier.
Mme Corinne Bourcier. Les professionnels de santé, dont la mission est de soigner, sont majoritairement des femmes. Ces soignantes sont plus exposées aux agressions que leurs confrères.
Par ailleurs, les patients relèvent de la position de particulière vulnérabilité définie au 3° de l'article 222-24 du code pénal, laquelle aggrave le viol. Cependant, le délit d'agression sexuelle n'est pas explicitement concerné. Cela justifie une aggravation du délit d'agression sexuelle commis dans le cadre de la relation entre le soignant et le soigné.
Mme la présidente. L'amendement n° 22 rectifié, présenté par MM. Bourgi et Durain, Mmes de La Gontrie et Harribey, M. Chaillou, Mmes Narassiguin et Linkenheld, MM. Kerrouche, Roiron, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 7
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après le 3° de l'article 222-28 du code pénal, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Lorsqu'elle est commise sur un professionnel de santé durant son exercice ; »
La parole est à M. Hussein Bourgi.
M. Hussein Bourgi. Dans le prolongement des propos de notre collègue, je souhaite mentionner deux tabous qui se superposent.
Le premier tabou, c'est celui de la violence dont nous parlons aujourd'hui, depuis le milieu de l'après-midi. Le second tabou, c'est celui des violences à connotation sexuelle qui surviennent dans le milieu hospitalier.
En effet, ces dernières ne sont pas souvent évoquées. Bien souvent, ce sont des jeunes femmes, des internes, parfois des agents de catégorie C qui se posent la question du poids de leur parole : seront-elles crues lorsqu'elles expliqueront qu'un patient s'est livré à une agression sexuelle ? Voilà la raison pour laquelle cette réalité est insuffisamment documentée et connue.
Il suffit de siéger dans les conseils de surveillance des hôpitaux, comme le font nombre de nos collègues ici présents, d'écouter ce que nous disent les syndicats, de circuler dans ces services pour que la parole se libère. C'est notamment le cas à l'occasion des journées du 8 mars ou du 25 novembre, au cours desquelles sont mises en avant les violences faites aux femmes et la manière de les prévenir et de les combattre.
Voilà la raison pour laquelle nous vous proposons, par cet amendement, de nommer les choses et d'aggraver les sanctions. Personne, fût-il un patient, n'a le droit de toucher le corps d'une femme qui est là pour le soigner, n'a le droit de toucher le corps d'une femme qui est là pour lui changer ses pansements, n'a le droit, tout simplement, de commettre ces agressions sexuelles. Il y va du respect de la dignité de chaque soignant et de chaque femme, car les victimes sont souvent, malheureusement, des femmes.
En effet, selon certaines études, 54 % des femmes qui interviennent dans le domaine de la santé, dans les secteurs hospitalier ou médico-social, sont confrontées au moins une fois pendant leur carrière à ce genre d'infraction, qu'il faut absolument nommer et sanctionner plus gravement qu'actuellement.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. L'amendement n° 6 rectifié vise à établir une circonstance aggravante en cas d'agression sexuelle par ou sur un professionnel de santé durant l'exercice de son métier. Ainsi, cet amendement a une portée double, puisqu'il crée une circonstance aggravante quand une agression sexuelle est commise sur un soignant, mais aussi lorsque le soignant est l'auteur de l'agression.
On voit l'importance de ce sujet dans l'actualité, mais ce dispositif soulève en droit plusieurs questions, dont celle de l'articulation avec le 3° de l'article 222-28 du code pénal, qui réprime les agressions sexuelles commises « par une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions ». Pour cette raison, la commission des lois émet un avis défavorable.
En revanche, l'amendement n° 22 rectifié, de M. Bourgi, a été rectifié par son auteur, réduisant le champ de la circonstance aggravante aux agressions commises sur un professionnel de santé. À titre personnel, j'émets donc un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. J'entends les propos de Mme la rapporteure. Cependant, compte tenu du contexte, des travaux du comité de pilotage contre les violences sexistes et sexuelles qui se réunit régulièrement, je m'en remets à la sagesse du Sénat sur ces deux amendements, dont je comprends l'esprit.
Mme la présidente. En conséquence, l'amendement n° 22 rectifié n'a plus d'objet.
Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 13 rectifié bis est présenté par Mme Bourcier, M. Capus, Mme L. Darcos et MM. A. Marc, Chasseing, Rochette, Brault et Chevalier.
L'amendement n° 30 rectifié bis est présenté par Mme Imbert.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 8
Remplacer les mots :
ou paramédical ou lorsqu'il est commis dans un établissement de santé
par les mots :
, paramédical, ou tout produit de santé défini aux articles L. 5111-1 et suivant du code de la santé publique ou lorsqu'il est commis au préjudice d'un professionnel de santé, à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions
La parole est à Mme Corinne Bourcier, pour présenter l'amendement n° 13 rectifié bis.
Mme Corinne Bourcier. L'article 1er vise à aggraver les peines relatives aux vols de matériel médical ou paramédical ou lorsqu'ils sont commis dans un établissement de santé.
Cet amendement étend cette aggravation à tous les produits de santé : médicaments, dispositifs médicaux, etc. En effet, des vols de médicaments chez les grossistes répartiteurs sont régulièrement rapportés. Notamment, en novembre 2023, 2 millions d'euros de médicaments ont été volés à la pharmacie centrale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).
En outre, l'amendement étend le dispositif de l'article à tous les vols commis au préjudice d'un professionnel de santé dans l'exercice de ses fonctions, s'agissant par exemple de blocs d'ordonnances ou encore de tampons professionnels, afin de ne pas se limiter aux vols commis dans les établissements de santé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour présenter l'amendement n° 30 rectifié bis.
Mme Corinne Imbert. Il est défendu.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. Ces amendements ont pour objet l'élargissement des sanctions renforcées pour le vol de produits de santé, sujet d'actualité.
Cependant, tel qu'il est modifié par ces amendements, le dispositif de l'alinéa 8 de l'article 1er ne porterait plus que sur les vols commis au préjudice d'un professionnel de santé. Ceux qui ont lieu au détriment d'un établissement ne seraient donc plus couverts.
Afin de surmonter ces difficultés de rédaction, je vous propose que nous nous penchions de nouveau sur le sujet d'ici à la réunion de la commission mixte paritaire. La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. J'entends, madame la rapporteure, que la rédaction peut être améliorée d'ici à la réunion de la commission mixte paritaire. Cependant, je suis également sensible aux arguments de Mmes les sénatrices Bourcier et Imbert, ayant moi-même subi le vol d'ordonnanciers et de tampons. J'émets donc un avis favorable sur ces deux amendements. Il convient d'être vigilant sur ces sujets.
Monsieur le sénateur Khalifé Khalifé, moi non plus, pendant mes études de médecine, je ne pensais pas être amené, un jour, à défendre dans un hémicycle les professionnels de santé contre les agressions.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13 rectifié bis et 30 rectifié bis.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Après l'article 1er
Mme la présidente. L'amendement n° 18 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Laménie et Rochette, Mme L. Darcos, M. Brault, Mme Bourcier, MM. Chevalier, Capus, Grand, Khalifé et H. Leroy, Mme F. Gerbaud, M. Maurey, Mmes Evren et Richer, MM. Somon et Menonville, Mmes Jacquemet et Aeschlimann, M. Milon, Mme Perrot et M. Belin, est ainsi libellé :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les 2°, 2° bis et 3° de l'article 226-14 du code pénal sont complétés par une phrase ainsi rédigée : « Le professionnel de santé n'est pas obligé d'informer la famille ou les titulaires de l'autorité parentale ou le tuteur légal du signalement ; ».
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Cet amendement tend à ce que, lorsque le professionnel de santé procède à un signalement de violences ou de blessures sur des mineurs ou personnes vulnérables, il ne soit pas obligé d'en informer la famille, les titulaires de l'autorité parentale ou le tuteur légal. Cela facilitera les signalements.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. Les modalités d'information des familles sont déjà prévues par le droit, notamment l'article L. 226-2-2 du code de l'action sociale et des familles. Ce dernier précise que c'est l'intérêt de l'enfant qui détermine l'information des parents ou des représentants légaux.
Une disposition générale rendant l'information facultative ne paraît donc pas adaptée à la sensibilité des principes à concilier. La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. Comme vient de l'indiquer Mme la rapporteure Patru, cet amendement est satisfait, monsieur Chasseing. J'en demande le retrait ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Chasseing, l'amendement n° 18 rectifié est-il maintenu ?
M. Daniel Chasseing. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 18 rectifié est retiré.
L'amendement n° 17 rectifié, présenté par MM. Chasseing, Laménie et Rochette, Mme L. Darcos, M. Brault, Mme Bourcier, MM. Chevalier, Capus, Grand, Khalifé et H. Leroy, Mme F. Gerbaud, M. Maurey, Mmes Evren et Richer, MM. Somon et Menonville, Mmes Jacquemet et Aeschlimann, M. Milon, Mme Perrot et M. Belin, est ainsi libellé :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après l'article 226-14 du code pénal, il est inséré un article 226-14-… ainsi rédigé :
« Art. 226-14-…. – L'anonymat du professionnel de santé signalant une suspicion ou un constat de violences intrafamiliales, est garanti à toutes les étapes de la procédure, sauf s'il consent expressément à lever son anonymat après accord du juge. »
« Le refus ou la levée de l'anonymat doit être porté à la connaissance du professionnel concerné, qui peut demander à être entendu par le juge. »
II. – Un décret en Conseil d'État détermine les modalités de mise en œuvre du présent article, notamment les conditions techniques et procédurales garantissant l'anonymat effectif du professionnel.
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Les violences intrafamiliales sont un problème majeur et les professionnels de santé sont souvent les premiers témoins des violences subies par les femmes, les enfants ou les personnes vulnérables. La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a ainsi renforcé leur rôle en les autorisant à signaler des faits de violence, même sans l'accord de la victime, lorsque la vie de celle-ci est en danger immédiat.
Cependant, de nombreux praticiens hésitent encore à effectuer des signalements, craignant des représailles physiques ou judiciaires de la part de l'auteur des violences ou de son entourage. Dans leur tentative de protéger autrui, ils se retrouvent parfois accusés, et ce malgré l'article 226-14 du code pénal.
Il est donc essentiel de garantir l'anonymat des professionnels de santé lors de ces signalements, pour leur permettre d'agir en toute sécurité. Cette mesure est souhaitée par de nombreux médecins et professionnels de santé.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. La loi du 30 juillet 2020 permet à un professionnel de santé d'envoyer au procureur de la République un signalement en cas de danger immédiat ou d'emprise concernant une victime de violences intrafamiliales. Il s'agit d'une dérogation à la déontologie applicable aux médecins et d'un acte volontaire accompli de façon consciente.
Les modalités de traitement de ce signalement peuvent faire l'objet d'un accord entre le procureur de la République et le conseil départemental de l'ordre dont relève le professionnel.
Le présent amendement vise à favoriser ces démarches en garantissant l'anonymat du professionnel de santé. Cela ne paraît pas compatible avec les principes fondateurs du procès pénal, qui implique de connaître l'origine d'une accusation.
Surtout, la nature même de la dénonciation rend difficile le maintien de l'anonymat lorsqu'il s'agit de constater des coups et blessures ou un phénomène d'emprise. Le travail avec les procureurs à l'échelon départemental nous semble préférable.
Pour l'ensemble de ces raisons, la commission émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. Bien que je comprenne l'intention des signataires de cet amendement, j'émettrai le même avis que Mme la rapporteure, pour les mêmes raisons. Je suis davantage médecin que juriste, mais je peux toutefois affirmer que le dispositif proposé est incompatible avec l'exercice effectif des droits de la défense, à savoir connaître l'accusation portée contre soi, permettre d'être confronté et appeler des témoins à décharge.
Par ailleurs, d'un point de vue opérationnel, cet amendement soulève des difficultés sur le plan technique et pratique. En effet, il est difficile pour le ministère public de n'avoir aucun témoin à citer pour soutenir une accusation.
En conséquence, le Gouvernement sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Il peut arriver qu'un praticien éprouve un doute ou qu'il ait peur d'éventuelles représailles. Dans ces conditions, il préfère parfois s'abstenir d'adresser un signalement au procureur. Il faudrait donc, sur le plan pénal, qu'il puisse conserver son anonymat. Voilà pourquoi je maintiens mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. Je partage complètement vos propos, mais, comme l'a rappelé Mme la rapporteure, la loi du 30 juillet 2020 permet déjà aux professionnels de santé d'adresser un signalement au procureur de la République. Pour avoir rencontré beaucoup de professionnels, je peux vous assurer qu'il s'agit d'une pratique courante. Le dispositif en place semble donc fonctionner.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 17 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 2
I. – (Supprimé)
II (nouveau). – La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifiée :
1° Après le quatrième alinéa de l'article 33, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Sera punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende l'injure commise dans les mêmes conditions envers un membre du personnel exerçant au sein d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un laboratoire de biologie médicale ou d'un établissement ou d'un service social ou médico-social. » ;
2° Au premier alinéa de l'article 65-3, les mots : « et quatrième » sont remplacés par les mots : « à cinquième ».
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 24 rectifié bis est présenté par M. Masset, Mme Guillotin, M. Bilhac, Mme Pantel, MM. Cabanel et Fialaire, Mme Jouve et MM. Laouedj, Grosvalet et Gold.
L'amendement n° 34 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
L'article 433-5 du code pénal est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après le mot : « public », sont insérés les mots : « , à un professionnel de santé ou à un membre du personnel d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un prestataire de santé à domicile, d'un laboratoire de biologie médicale, d'un établissement ou d'un service social ou médico-social » ;
2° Au troisième alinéa, après le mot : « intérieur », sont insérés les mots : « d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un laboratoire de biologie médicale, d'un établissement ou d'un service social ou médico-social, du domicile du patient ou ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour présenter l'amendement n° 24 rectifié bis.
Mme Véronique Guillotin. Cet amendement vise à rétablir le délit d'outrage, tel qu'il figurait dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, afin de protéger les professionnels de santé. La rédaction issue des travaux de la commission des lois du Sénat substitue à cette infraction celle d'injure, ce qui restreint à la fois le champ des comportements visés et la réponse pénale applicable.
L'injure suppose un caractère public, ce qui exclut une grande partie des propos ou comportements violents adressés dans l'intimité des soins. En outre, son régime juridique est moins protecteur puisqu'il implique un dépôt de plainte obligatoire, un délai de prescription court et une qualification matérielle plus complexe.
Ainsi, le rétablissement du délit d'outrage permet de mieux couvrir les atteintes dont sont victimes les soignants. Il corrige également une inégalité entre les professionnels qui exercent dans le secteur privé, aujourd'hui exclu du champ de l'outrage, et ceux qui relèvent du service public.
Enfin, cet amendement tient compte des travaux de notre commission, en élargissant le dispositif initial aux personnels de soutien qui participent directement aux soins.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour présenter l'amendement n° 34.
M. Yannick Neuder, ministre. Nous sommes totalement favorables à cette proposition ; d'ailleurs, c'est le Gouvernement qui avait déposé cet amendement le premier, avant que vous ne vous en empariez, madame la sénatrice.
Le délit d'outrage semble plus adapté à la situation que vous décrivez. Le Gouvernement et la rapporteure n'ont pas la même analyse de ces problèmes sur le plan juridique, comme en témoignent les discussions que nous avons eues sur ce sujet.
Nous tenons au délit d'outrage, car il répond particulièrement à la demande de nos soignants. Le présent dispositif doit être marquant, significatif, entendu, compris par la communauté des professionnels de santé, qui attend cette proposition de loi avec beaucoup d'impatience.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont également identiques.
L'amendement n° 12 rectifié ter est présenté par Mme Bourcier, M. Capus, Mme L. Darcos et MM. A. Marc, Chasseing, Rochette, Brault et Chevalier.
L'amendement n° 29 rectifié bis est présenté par Mme Imbert.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
L'article 433-5 du code pénal est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après les mots : « service public », sont insérés les mots : « ou à un professionnel de santé » ;
2° Au troisième alinéa, après le mot : « intérieur », sont insérés les mots : « d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un laboratoire de biologie médicale, d'un établissement ou d'un service social ou médico-social ou ».
La parole est à Mme Corinne Bourcier, pour présenter l'amendement n° 12 rectifié ter.
Mme Corinne Bourcier. L'article 2, dans sa nouvelle rédaction, ne mentionne plus le délit d'outrage à un professionnel de santé, au profit d'une aggravation des peines lorsqu'un professionnel fait l'objet d'une injure, ce qui ne semble pas approprié.
En effet, l'outrage a un périmètre plus large que l'injure. L'article 2, en l'état, ne permettrait plus de poursuivre certains comportements : les paroles, les gestes, les écrits, les images et les envois portant atteinte à la dignité et au respect.
Par ailleurs, cette nouvelle rédaction n'ajoutera pas grand-chose au droit en vigueur. En effet, le professionnel de santé peut déjà déposer plainte pour injure, alors qu'il ne le peut pas pour outrage, sauf s'il est agent public, ce qui crée un traitement inéquitable au détriment des professionnels du secteur privé. Enfin, cette nouvelle rédaction entraînera plus de difficultés procédurales que le droit commun.
En conséquence, le présent amendement tend à revenir à la version antérieure de l'article 2, afin de créer un délit d'outrage aux professionnels de santé, qui, encore une fois, paraît plus adapté.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour présenter l'amendement n° 29 rectifié bis.
Mme Corinne Imbert. Il est défendu.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. Ces amendements sont contraires à la position de la commission des lois, qui considère que l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 répond mieux aux besoins de l'ensemble des professionnels du soin. Celui-ci précise bien que « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure ».
Selon nous, le champ de cette infraction est plus large que celui de l'outrage et correspond à de plus nombreuses situations. La différence essentielle entre l'injure et l'outrage est que celui-ci constitue une infraction visant les personnes chargées d'une mission de service public, ce qui n'est pas le cas de tous les professionnels de santé et des personnels qui travaillent avec eux. Le délit d'outrage pourrait donc exclure de nombreux professionnels du soin.
Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques nos 12 rectifié ter et 29 rectifié bis ?
M. Yannick Neuder, ministre. Le Gouvernement demande qu'ils soient retirés, au profit des amendements identiques nos 24 rectifié bis et 34, car, comme je le lis sur les lèvres de Mme Imbert, qui m'a déjà soufflé la réponse, ils renferment un dispositif plus large et concernent un plus grand nombre de professionnels de santé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour explication de vote.
Mme Corinne Imbert. Je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 29 rectifié bis est retiré.
La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Si je comprends bien, la commission a choisi l'injure, qui permet, entre autres, de couvrir les médecins libéraux, alors que l'outrage ne s'applique qu'aux praticiens exerçant en milieu hospitalier. Or les médecins libéraux font partie des professionnels qui sont régulièrement agressés. Ainsi, préfère-t-on s'en tenir à l'outrage, ou doit-on retenir un délit plus large, qui permet d'inclure l'ensemble des professionnels de santé ? J'aimerais que M. le ministre apporte des précisions sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. Le délit d'outrage couvre bien les hospitaliers et les libéraux, madame Vérien ; notre dispositif ne pose donc aucun problème. Nous préférons le délit d'outrage, car il semble plus adapté et assure une répression plus forte par rapport à la situation ici évoquée.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. Je précise que le dispositif voulu par le Gouvernement n'est pas opérant en l'état actuel du droit. Je maintiens donc l'avis défavorable qui a été émis par la commission des lois.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 24 rectifié bis et 34.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, l'article 2 est ainsi rédigé et l'amendement n° 12 rectifié ter et les amendements identiques nos 16 rectifié ter et 33 rectifié bis n'ont plus d'objet.
Après l'article 2
Mme la présidente. L'amendement n° 7 rectifié, présenté par MM. V. Louault, Chasseing, Chevalier et Rochette, Mme Bourcier et MM. Laménie, A. Marc et Capus, est ainsi libellé :
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 222-18-3 du code pénal, il est inséré un article 222-18-… ainsi rédigé :
« Art. 222-18-… – Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende le fait d'user de menaces ou de violences ou de commettre tout autre acte d'intimidation à l'égard de tout professionnel soumis à un code de déontologie afin d'amener celui-ci à contrevenir aux règles déontologiques qui régissent son exercice professionnel. »
La parole est à Mme Corinne Bourcier.
Mme Corinne Bourcier. Un tiers des motifs d'agression correspondent à des menaces subies par les professionnels de santé visant à obtenir des actes indus au regard de la déontologie. Cette situation place le professionnel face au dilemme profond consistant à choisir entre sa sécurité et les règles éthiques qui déterminent sa pratique et engagent sa responsabilité professionnelle.
Cette intimidation constitue donc une agression, non seulement contre le professionnel, mais aussi contre la valeur essentielle de cette déontologie dans l'organisation de la société.
La protection pénale contre le préjudice particulier d'ordre moral qui touche des professions impliquées dans la conservation des droits fondamentaux de la personne, causé par ce délit de menace, n'est actuellement pas assurée par l'article 222-18 du code pénal.
Elle se limite ainsi au préjudice qui est subi par les seules personnes définies comme participant à une mission de service public, aux termes de l'article 433-3-1 du même code.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. Ce dispositif a été conçu par l'association Médecins pour demain, dont la commission a reçu les membres. Leurs propos étaient assez touchants ; ils nous ont notamment expliqué avoir le sentiment, face à ce genre de menaces, de devoir choisir entre le serment d'Hippocrate ou la vie.
Cela étant, la commission sollicite le retrait de cet amendement, car il est satisfait par l'article 433-3 du code pénal, qui punit « de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende le fait d'user de menaces, de violences ou de commettre tout autre acte d'intimidation pour obtenir [d'un professionnel de santé qu'il] accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ».
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Corinne Bourcier. Je retire mon amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L'amendement n° 7 rectifié est retiré.
Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 14 rectifié ter est présenté par Mme Bourcier, M. Capus, Mme L. Darcos et MM. A. Marc, Chasseing, Rochette, Brault et Chevalier.
L'amendement n° 31 rectifié bis est présenté par Mme Imbert.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au dernier alinéa de l'article L. 4233-1 du code de la santé publique, après le mot : « menaces », sont insérés les mots : « , d'outrages ».
La parole est à Mme Corinne Bourcier, pour présenter l'amendement n° 14 rectifié ter.
Mme Corinne Bourcier. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour présenter l'amendement n° 31 rectifié bis.
Mme Corinne Imbert. Il est défendu également.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. La commission est défavorable à ces amendements, pour deux raisons. En premier lieu, par cohérence avec la position qu'elle a adoptée vis-à-vis des amendements déposés à l'article 2, elle estime que le délit d'outrage est moins adapté au cas des professionnels que le délit d'injure.
En second lieu, ces amendements ne visent à étendre la faculté de se constituer partie civile, en cas d'outrage commis à l'encontre d'un professionnel de santé, qu'au Conseil national de l'ordre des pharmaciens (Cnop). Cela créerait une grave distorsion entre les ordres professionnels.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. Je vous assure que nous modifierons le texte pour retenir le délit d'outrage. Sur ces amendements, je m'en remets à la sagesse du Sénat, bien que je rejoigne l'argument de la rapporteure sur l'effet de distorsion entre les ordres professionnels.
Nous souhaitons que tous les professionnels de santé puissent bénéficier d'une anonymisation du dépôt de plainte, afin d'éviter les représailles. Si le professionnel de santé exerce dans un établissement, on demandera à celui-ci de se substituer au professionnel. Or, si ce n'est pas un praticien hospitalier ou un professionnel exerçant au sein d'un établissement médico-social, il faut trouver le bon substitut.
Doit-il s'agir des unions régionales des professionnels de santé (URPS) ou des ordres professionnels ? Quoi qu'il en soit, il faut choisir une solution qui convient à tout le monde, pour bien enclencher le dépôt de plainte, éviter les représailles et ainsi protéger le professionnel de santé.
Nous devons retravailler ce sujet, car il faut que nous parvenions à un dispositif uniforme, afin que la protection du soignant ne dépende pas de son appartenance à tel ordre à telle profession.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 14 rectifié ter et 31 rectifié bis.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 2.
Article 2 bis
(Supprimé)
Mme la présidente. L'amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. V. Louault, Chasseing, Chevalier et Rochette, Mme Bourcier et MM. Laménie, A. Marc et Capus, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au 9° de l'article 10-2, après le mot : « public », sont insérés les mots : « ou un professionnel de santé » ;
2° Au deuxième alinéa de l'article 89, après le mot « public », sont insérés les mots : « ou un professionnel de santé ».
La parole est à Mme Corinne Bourcier.
Mme Corinne Bourcier. Il s'agit d'un amendement déposé par notre collègue Vincent Louault. Seul un médecin sur deux porte plainte à la suite d'une agression physique commise par un patient. Parmi les réticences à cette démarche, il y a la crainte de représailles de l'agresseur ou de son entourage à l'égard du soignant ou de l'un de ses proches. L'impunité qui en résulte contrecarre l'effet dissuasif des lois pénales aggravant les infractions en cause.
L'article 2 bis de la présente proposition de loi avait pour objet de lever une part de ces craintes, en évitant que l'adresse du domicile du soignant n'apparaisse dans la procédure. Le texte optait ainsi pour une déclaration d'adresse de l'ordre professionnel.
La commission des lois, sur avis de la rapporteure, a estimé que le dispositif prévu par le texte engendrait des complications qui risquaient de neutraliser l'effet attendu. Il n'empêche que, en l'état actuel du droit, aucune simplification, pourtant nécessaire, n'est menée pour que les poursuites pénales soient engagées à hauteur des faits signalés.
Cet amendement vise à réécrire l'article 2 bis, en donnant aux professionnels de santé le droit de ne donner que leur adresse professionnelle, souvent connue de l'auteur de l'infraction, dont bénéficient déjà les agents de l'État.
Il est extrêmement important de ne pas révéler son adresse. Lorsque je travaillais au sein d'un établissement bancaire, mes collègues et moi-même ne donnions jamais notre adresse personnelle lorsque nous étions victimes d'une agression.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. Cet amendement, qui a été lui aussi proposé par l'association Médecins pour demain, soulève plusieurs difficultés. En premier lieu, il est entièrement satisfait pour ce qui concerne l'ensemble des professionnels de santé exerçant dans un établissement public.
En effet, le 9° de l'article 10-2 du code de procédure pénale prévoit que « lorsque la victime est une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public et que l'infraction a été commise en raison de ses fonctions ou de sa mission, elle est informée qu'elle peut déclarer, sans cet accord, son adresse professionnelle ».
Concernant les professionnels de santé qui exercent au sein des établissements privés, ils peuvent déjà, en l'état actuel du droit, déclarer l'adresse de leur ordre ou de leur avocat, s'ils ne souhaitent pas que leur adresse personnelle soit connue. Cette déclaration d'adresse nécessite l'accord du tiers concerné, tout simplement pour s'assurer que celui-ci s'appliquera à transmettre toutes les informations au plaignant, comme les convocations.
On estime que cet accord n'est pas nécessaire pour le service public, car l'employeur public a pour charge d'assurer la protection fonctionnelle de ses agents, donc de leur transmettre toutes les informations nécessaires s'ils déclarent leur adresse professionnelle lors du dépôt de plainte.
Cette garantie n'existe pas pour les employeurs privés. C'est pourquoi il est nécessaire de maintenir le droit en vigueur, qui impose l'accord du tiers dont le plaignant déclare l'adresse.
Enfin, cet amendement ouvrirait la voie à une extension de la déclaration d'adresse professionnelle à toutes les professions ayant un contact même approximatif avec le public. Cette évolution ne semble pas souhaitable eu égard au droit à un procès équitable, car les autres professions seraient désavantagées.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. Nous n'avons pas la même analyse que Mme la rapporteure. Cet amendement vise à compléter le droit existant pour ouvrir aux professionnels de santé la possibilité de déclarer leur adresse professionnelle lors d'un dépôt de plainte.
Je partage le souci de ses auteurs de faciliter le dépôt de plainte, en permettant aux professionnels de ne pas révéler leur adresse personnelle, ce qui limite la peur des représailles. C'était l'un des objectifs de l'article 2 bis, dans sa version adoptée à l'Assemblée nationale. Or il a été supprimé par la commission des lois du Sénat, en raison de certaines redondances avec le droit existant.
L'article 10-2 du code de procédure pénale est mieux-disant que l'article 2 bis pour les seuls professionnels des établissements publics chargés d'une mission de service public, car il permet la déclaration de l'adresse professionnelle sans autorisation du procureur ou du juge d'instruction.
En revanche, les autres professionnels ne sont pas explicitement couverts par le droit en vigueur. Cet amendement est donc tout à fait pertinent en ce qui les concerne. En conséquence, le Gouvernement émet un avis favorable.
Mme Corinne Bourcier. Merci !
Mme la présidente. En conséquence, l'article 2 bis demeure supprimé.
Article 3
I. – (Supprimé)
II. – Après l'article 15-3-3 du code de procédure pénale, il est inséré un article 15-3-4 ainsi rédigé :
« Art. 15-3-4. – Sans préjudice du second alinéa de l'article 433-3-1 du code pénal, lorsqu'il a connaissance de faits susceptibles de constituer l'une des infractions prévues aux articles 222-1, 222-9 à 222-13, 222-15, 222-16, 222-17, 222-18, 322-1, 322-3 et 433-3 du même code et lorsque cette infraction est commise à l'encontre d'un professionnel de santé ou d'un membre du personnel exerçant au sein d'un établissement de santé, d'un centre de santé, d'une maison de santé, d'une maison de naissance, d'un cabinet d'exercice libéral d'une profession de santé, d'une officine de pharmacie, d'un laboratoire de biologie médicale ou d'un établissement ou d'un service social ou médico-social, à l'occasion de l'exercice ou en raison de ses fonctions, l'employeur, après avoir recueilli le consentement écrit de la victime, peut déposer plainte. Le présent alinéa n'est pas applicable lorsque les faits sont commis entre professionnels de santé ou membres du personnel.
« Le présent article ne dispense pas l'employeur du respect des obligations prévues au second alinéa de l'article 40 du présent code.
« Il ne donne pas à l'employeur la qualité de victime.
« Pour l'application du présent article aux professionnels de santé exerçant à titre libéral, un décret précise les modalités selon lesquelles les ordres professionnels peuvent porter plainte pour les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes ou pédicures-podologues qui en font expressément la demande. Le même décret détermine l'organisme représentatif autorisé à porter plainte pour les autres professionnels libéraux mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique. »
III (nouveau). – Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Le I de l'article L. 4312-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le conseil départemental ou interdépartemental autorise son président à ester en justice. Il peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession d'infirmier, y compris en cas de menaces ou de violences commises en raison de l'appartenance à cette profession. » ;
2° Après le troisième alinéa de l'article L. 4321-18, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Il peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession de masseur-kinésithérapeute, y compris en cas de menaces ou de violences commises en raison de l'appartenance à cette profession. »
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements identiques.
L'amendement n° 2 rectifié septies est présenté par Mme Aeschlimann, M. Panunzi, Mme Josende, MM. Daubresse, Somon et Burgoa, Mmes Lavarde, Estrosi Sassone, Gosselin, Belrhiti, Bellurot, Ventalon, Garnier, Noël, Billon, Joseph, Muller-Bronn et Drexler, MM. Bouchet et Margueritte, Mmes Dumont, Berthet, Canayer et Romagny, M. Genet et Mme Gruny.
L'amendement n° 5 rectifié octies est présenté par Mme Jacquemet, M. Laugier, Mmes Morin-Desailly, Guidez et de La Provôté, MM. J.M. Arnaud et Duffourg, Mmes Saint-Pé et Herzog, M. Canévet, Mmes Loisier et Housseau, MM. S. Demilly, Fargeot et Parigi, Mme Florennes, MM. Levi, Pillefer, Henno, Dhersin et L. Hervé, Mmes Perrot et Devésa, MM. Longeot et Menonville, Mme Vermeillet et MM. Chauvet et Courtial.
L'amendement n° 19 rectifié bis est présenté par MM. Chasseing, Laménie, Rochette, Brault, Chevalier, Capus, Grand, Khalifé et H. Leroy, Mme F. Gerbaud, M. Maurey, Mmes Evren et Richer et M. Milon.
L'amendement n° 26 est présenté par Mmes Schillinger et Ramia, MM. Rohfritsch, Patriat, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, M. Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Après le mot :
pharmacie,
insérer les mots :
d'un prestataire de santé à domicile,
La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour présenter l'amendement n° 2 rectifié septies.
Mme Marie-Do Aeschlimann. L'article 3 de la présente proposition de loi ouvre la possibilité à l'employeur d'un professionnel de santé ou d'un membre du personnel ayant subi des violences, ou ayant été informé des infractions prévues par le texte, de déposer plainte en lieu et place de l'intéressé, après avoir recueilli son consentement.
À l'instar des dispositifs que nous avons votés à l'article 1er, cet amendement vise à permettre aux personnels qui interviennent à domicile de confier à leur employeur le soin de déposer plainte en leur nom.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Jacquemet, pour présenter l'amendement n° 5 rectifié octies.
Mme Annick Jacquemet. Ma collègue Aeschlimann a très bien présenté les enjeux. J'ajouterai que, devant l'augmentation des violences, certains employeurs sont obligés d'envoyer deux personnels soignants au domicile, alors qu'un seul suffirait. Il est nécessaire de prendre des mesures qui permettraient aux employeurs de porter plainte à la place de leurs salariés, avec leur accord.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour présenter l'amendement n° 19 rectifié bis.
M. Daniel Chasseing. L'article 3, dans sa rédaction actuelle, ne mentionne pas les auxiliaires de santé de proximité que sont les prestataires de santé à domicile (PSAD). Il s'agit souvent de personnels chargés de la mise en place de dispositifs médicaux – respirateurs, sources d'oxygène, appareils de traitement de l'apnée du sommeil – et de l'accompagnement thérapeutique des patients.
Parfois, les PSAD doivent soutenir et accompagner les salariés victimes d'agression. Ainsi, comme pour les autres acteurs de santé à domicile, il semble nécessaire de permettre aux employeurs de déposer plainte à la place des victimes, après avoir recueilli leur accord.
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour présenter l'amendement n° 26.
Mme Patricia Schillinger. Il est défendu.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. Conformément à l'argumentaire qui a été développé lors de l'examen de l'article 1er, la commission sollicite l'avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. Par cohérence avec la position d'élargissement des dispositions du présent texte aux professionnels et aux prestataires de santé à domicile, le Gouvernement émet un avis favorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 rectifié septies, 5 rectifié octies, 19 rectifié bis et 26.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 11 rectifié ter est présenté par Mme Bourcier, M. Capus, Mme L. Darcos et MM. A. Marc, Chasseing, Rochette, Brault et Chevalier.
L'amendement n° 28 rectifié bis est présenté par Mme Imbert.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 3
Remplacer les mots :
déposer plainte
par les mots :
adresser un signalement auprès du procureur de la République compétent
II. – Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
III. – Alinéa 6
Rédiger ainsi cet alinéa :
« En l'absence de dépôt de plainte et sous réserve de l'accord préalable du professionnel de santé, son ordre professionnel peut adresser un signalement auprès du procureur de la République compétent. »
La parole est à Mme Corinne Bourcier, pour présenter l'amendement n° 11 rectifié ter.
Mme Corinne Bourcier. L'article 3, qui prévoit le dépôt de plainte par un tiers – employeur, ordre ou organisme représentatif déterminé par décret –, en lieu et place de la victime, pose problème pour les raisons suivantes.
Il n'existe aucune disposition similaire permettant à un tiers de déposer plainte à la place d'une victime directe disposant de la capacité juridique, à l'exclusion des mineurs ou des majeurs incapables.
La plainte constitue un droit fondamental que la personne doit pouvoir exercer en son nom propre. La rédaction actuelle ne précise pas à qui incombe la mise en œuvre des droits de la victime, donc l'étendue de la responsabilité des ordres professionnels dans le suivi de la procédure.
Cette immixtion soulève des questions sur plusieurs points, à commencer par le recueil des informations nécessaires au dépôt de plainte et au bon déroulé de l'enquête. Ce recueil doit se faire directement auprès de la victime par un enquêteur formé. Or le tiers n'est ni victime ni témoin et ne connaîtra pas le détail de l'agression. En outre, il lui faudra s'assurer que les informations portées à sa connaissance sont suffisamment circonstanciées, pour le préserver d'une plainte en dénonciation calomnieuse.
Par ailleurs, qu'en est-il de l'exercice des droits tout au long de la procédure ? La victime doit être informée en temps réel de la date de l'audience correctionnelle, en vue de préparer le procès et de se constituer partie civile pour demander réparation de son préjudice. Par ailleurs, cette mesure créerait une différence de traitement par les ordres entre les professionnels de santé salariés et libéraux.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour présenter l'amendement n° 28 rectifié bis.
Mme Corinne Imbert. Il est défendu.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont également identiques.
L'amendement n° 10 rectifié sexies est présenté par Mmes Estrosi Sassone et Di Folco, MM. P. Vidal, Delia, Bacci et Daubresse, Mmes Joseph et Lassarade, MM. Bonnus, Bouchet et Klinger, Mmes Dumont et Richer, MM. Cuypers et Husson, Mmes Gruny et Demas, MM. Grosperrin et Belin, Mme Josende, MM. Piednoir et C. Vial, Mme Bellamy, MM. Rapin, Brisson, Burgoa et J.B. Blanc, Mmes Chain-Larché, Ventalon, Aeschlimann et Canayer, M. Chaize, Mme Drexler, M. Cambon, Mmes F. Gerbaud et Garnier, MM. Pernot, Perrin et Rietmann, Mme Eustache-Brinio et MM. Duplomb, J.M. Boyer, Sido et Genet.
L'amendement n° 23 est présenté par MM. Bourgi et Durain, Mmes de La Gontrie et Harribey, M. Chaillou, Mmes Narassiguin et Linkenheld, MM. Kerrouche, Roiron, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 6
Après les mots :
ordres professionnels
insérer les mots :
ou les unions régionales de professionnels de santé
La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann, pour présenter l'amendement n° 10 rectifié sexies.
Mme Marie-Do Aeschlimann. Il est défendu.
Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour présenter l'amendement n° 23.
M. Hussein Bourgi. Cet amendement vise à permettre aux unions régionales des professionnels de santé (URPS) de déposer plainte au nom d'un professionnel de santé victime d'une infraction ou d'une agression.
Comme vous le savez, le texte de la proposition de loi offre cette possibilité aux ordres départementaux. Cependant, les courriers, que nous avons vraisemblablement tous reçus, témoignent de positions divergentes parmi les ordres : certains y sont favorables, d'autres s'y opposent.
Afin de ne pas priver un professionnel de santé d'accompagnement lorsque son ordre y est hostile, cet amendement tend à proposer une solution de rechange. Sur la base du volontariat et avec l'accord du professionnel concerné, une URPS pourrait l'aider, l'assister et déposer plainte en son nom.
Le conseil de l'ordre, lorsqu'il l'estime nécessaire, peut saisir cette possibilité ; dans le cas contraire, la victime disposerait d'une autre option : l'URPS. Ces unions ne nous ont pas fait part, dans leurs courriers, des mêmes objections que certains conseils de l'ordre.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. Les amendements identiques nos 11 rectifié ter et 28 rectifié bis de Mmes les sénatrices Bourcier et Imbert visent à supprimer la faculté, pour l'employeur ou pour l'ordre, de déposer plainte au nom du professionnel de santé agressé, une proposition émanant du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, dont nous n'avons eu connaissance qu'après son audition.
Je n'y ai pas souscrit, car elle me semble résulter d'un postulat erroné selon lequel notre législation ne prévoirait aucun cas dans lequel la plainte pour autrui serait permise.
Or il s'agit au contraire d'une procédure en expansion, autorisée depuis plusieurs années pour les agents publics ayant reçu des menaces ou subi des violences dans l'exercice de leurs fonctions de service public. De plus, le législateur l'a récemment étendue aux agents des services publics de transport dans la loi du 28 avril 2025 relative au renforcement de la sûreté dans les transports, dite loi Tabarot.
Les difficultés juridiques soulevées par le Conseil national de l'ordre des pharmaciens me semblent donc infondées, d'autant plus que l'article 17 du code de procédure pénale permet déjà aux officiers de police judiciaire de recueillir les dénonciations, y compris celles qui émanent d'un employeur ou d'un ordre. Ces amendements me semblent donc satisfaits par l'état du droit.
Par ailleurs, je tiens à préciser que l'article 3 n'ouvre qu'une faculté de dépôt de plainte pour les ordres, et non une obligation. Si le Conseil national de l'ordre des pharmaciens ne souhaite pas en faire usage, il reste libre de s'en abstenir.
Enfin, j'appelle votre attention sur la forte demande des professionnels de santé d'être mieux accompagnés dans le dépôt de plainte, ce que permet précisément cet article 3.
L'avis de la commission est donc très défavorable sur ces amendements identiques nos 11 rectifié ter et 28 rectifié bis.
Concernant les amendements identiques nos 10 rectifié sexies et 23, la commission a choisi de confier aux ordres professionnels la faculté de déposer plainte pour les libéraux, d'une part, parce que les ordres y sont très favorables et peuvent déjà se constituer partie civile lorsqu'un de leurs membres est engagé dans une procédure judiciaire, y compris s'il fait l'objet d'une procédure disciplinaire ; d'autre part, parce que le dépôt de plainte ne correspond pas aux missions des URPS et risquerait, ainsi que l'Union nationale des professions de santé (UNPS) nous l'a indiqué par courrier, « de parasiter et diluer davantage leur rôle principal ».
L'avis de la commission est donc également défavorable sur ces amendements nos 10 rectifié sexies et 23.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. S'agissant des amendements nos 11 rectifié ter et 28 rectifié bis, mon avis rejoint celui de Mme la rapporteure, il est défavorable.
En revanche, les amendements nos 10 rectifié sexies et 23 visent à permettre le dépôt de plainte par les URPS, en plus des ordres professionnels, en lieu et place du professionnel de santé concerné. Cette disposition se justifie, car elle permet de pallier le fait que tous les professionnels de santé ne relèvent pas d'un ordre.
Pour autant, cette position peut interroger au regard de la mission première des ordres, qui est de veiller aux principes de moralité, de probité et de compétence indispensables à l'exercice de la profession qu'ils représentent.
L'avis du Gouvernement est donc favorable, mais seulement parce que tous les professionnels de santé ne relèvent pas d'un ordre. Cet avis ne signifie pas pour autant qu'il faille en créer quand il n'en existe pas, mais vise uniquement à répondre de manière appropriée à la question qui nous est posée. Cette position pourrait toutefois encore évoluer.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 11 rectifié quater et 28 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 10 rectifié sexies et 23.
(Les amendements sont adoptés.)
Mme la présidente. L'amendement n° 9 rectifié, présenté par M. Khalifé, Mme Dumas, MM. Cambon et E. Blanc, Mmes Canayer et Garnier, MM. Karoutchi et Belin, Mmes Imbert et Evren, MM. Milon, Delia et Saury, Mmes Jacquemet et Berthet, M. Naturel, Mme Gruny, MM. Menonville et Burgoa, Mme Josende, MM. A. Marc, Levi et Laménie, Mmes Dumont, Valente Le Hir et Belrhiti, M. Chasseing, Mmes Malet, Sollogoub, Joseph et Goy-Chavent et MM. Somon, Fialaire, Piednoir, H. Leroy et J.P. Vogel, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« …. – Une attention particulière est portée à la prévention des risques liés au trafic de stupéfiants dans les établissements de santé, en particulier les établissements psychiatriques, qui peuvent être exposés à des situations de vulnérabilité accrue. Des actions de sensibilisation, de coordination avec les forces de sécurité intérieure et de sécurisation des locaux peuvent être engagées à cette fin. »
La parole est à M. Khalifé Khalifé.
M. Khalifé Khalifé. Lors de la discussion générale, j'ai évoqué la fréquence du narcotrafic dans les hôpitaux, en particulier dans les hôpitaux psychiatriques, lesquels accueillent des personnes vulnérables. Ce narcotrafic et les séances de deal qui l'accompagnent sont à l'origine de nombreuses dérives et violences.
Cet amendement vise essentiellement à prévenir ces violences liées au narcotrafic et à renforcer la sécurité au sein des établissements hospitaliers.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. La portée normative de cet amendement nous semble nulle (Exclamations amusées.) ; nous considérons donc qu'il s'agit d'un amendement d'appel.
Dans le cas contraire, je rappelle que le Conseil constitutionnel, depuis une décision de 2005, déclare contraire à la Constitution toute disposition dépourvue de portée normative.
Je laisse M. le ministre répondre sur le fond au sujet de la prévention des risques liés au trafic de stupéfiants dans les établissements de santé ; pour ce qui concerne la commission, l'avis est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. Je remercie Mme la rapporteure ! (Sourires.)
Je comprends parfaitement l'esprit de cette proposition, cependant, sans reprendre les termes de Mme la rapporteure, on ne peut que constater une certaine difficulté à asseoir pleinement cet amendement dans un cadre juridique. Il subsiste donc un problème de portée. Peut-être pourrions-nous retravailler ce point en vue de la commission mixte paritaire ?
J'ai donc très envie d'émettre un avis de sagesse en considération de l'esprit de l'amendement. Néanmoins, nous sommes dans une enceinte législative et il est impératif que les dispositions que nous acceptons aient une portée juridique.
Par conséquent, je me vois dans l'obligation d'émettre un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Une précision sémantique : le fait que la portée normative de l'amendement soit nulle ne signifie nullement que l'intention elle-même l'était, et encore moins le sénateur qui l'a portée ! (Sourires.)
Je tenais à le souligner, car j'ai perçu une certaine surprise dans cet hémicycle. Bien évidemment, cela ne préjuge en rien de la qualité de l'intention, que nous partageons tous, mes chers collègues.
Mme la présidente. La parole est à M. Khalifé Khalifé, pour explication de vote.
M. Khalifé Khalifé. Je rassure Mme la présidente de la commission et Mme la rapporteure, et je remercie M. le ministre d'avoir pris des gants dans sa réponse.
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission. Des gants chirurgicaux !
M. Khalifé Khalifé. Soyez assurées que je ne suis nullement vexé, d'autant plus que j'ai cru comprendre que la commission des lois avait rapporté un texte sur le narcotrafic. J'aurais donc aimé bénéficier de vos éclairages, afin que mon amendement soit moins nul que vous ne l'avez jugé ! (Murmures.)
Je le maintiens néanmoins, compte tenu de l'importance, à tout le moins médicale, sinon juridique, du sujet. S'il devait être voté, je compte sur la commission mixte paritaire pour trancher.
Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.
M. Hussein Bourgi. Je tiens à souligner l'importance de cet amendement.
Nous savons tous que dans ces unités psychiatriques réside un public vulnérable, captif et convoité par les trafiquants, qu'ils soient petits ou grands, qui gravitent autour de ces établissements, parfois pour vendre aux patients quelques médicaments aux vertus particulières, qui viennent annihiler tous les efforts déployés par l'équipe hospitalière et soignante pour accompagner ces personnes.
C'est la raison pour laquelle, malgré la légèreté de nos échanges, je tiens à insister sur la gravité du sujet. Je remercie notre collègue Khalifé Khalifé de l'avoir porté dans le débat ce soir.
Je m'en remets à M. le ministre afin qu'une formulation adéquate, ou à tout le moins une traduction concrète dans les politiques publiques mises en œuvre, puisse être retenue pour l'avenir.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Canalès, pour explication de vote.
Mme Marion Canalès. Je souhaite également remercier notre collègue de cet amendement. Il a rappelé que nous avons voté un texte sur le narcotrafic auquel il faudra bien donner une suite, laquelle devra comporter un volet consacré à la prévention et à la réduction des risques.
Le consommateur ne peut être appréhendé uniquement sous l'angle de la sanction ; il convient également de prendre en compte la réduction des risques, y compris pour les professionnels de santé qui y sont confrontés dans ce cadre.
Cet amendement me semble donc utile pour rappeler qu'une suite sera donnée à ce texte, sous l'angle de la prévention.
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour explication de vote.
Mme Frédérique Puissat. Je tiens simplement à dire que j'entends les propos tenus, y compris la proposition de M. le ministre de retravailler le sujet. Il est vrai que, au vu des enjeux du narcotrafic, nous sommes tous très favorables à ce type de prise de position.
Je comprends également qu'il ne soit pas aisé de donner une traduction opérationnelle à cet amendement, et je saisis bien le sens des propos du rapporteur à cet égard.
Cela étant, si cet amendement n'était pas voté, comment pourrions-nous le retravailler en commission mixte paritaire ? C'est là que réside la difficulté : il faudrait que nous puissions le voter. Si Mme le rapporteur et M. le ministre émettent un avis défavorable, il sera difficile de le retravailler en commission mixte paritaire. Nous devrions donc nous accorder sur la méthode.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de sécuriser les établissements, mais nous pouvons également tous convenir que cela ne relève pas de la loi.
C'est pourquoi il est inutile d'envisager de rediscuter d'un tel amendement d'ici à la réunion de la commission mixte paritaire : nous n'avons pas besoin de faire évoluer la loi à ce sujet. Il s'agit simplement d'une question réglementaire, monsieur le ministre.
Si vous estimez que c'est effectivement utile, engagez-vous à aider les établissements en ce sens, cela me semble être la bonne réponse à nous apporter et cela serait plus efficace que de nous consacrer d'ici à la réunion de la commission mixte paritaire à un amendement qui n'aura pas sa place dans la loi, car le sujet n'est clairement pas législatif.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. Nous avons tous compris la portée de cet amendement, et je crois que M. le sénateur Khalifé a bien résumé ses enjeux. D'un point de vue médical, nous aurions grande envie d'émettre un avis de sagesse. Pour autant, cette proposition ne correspond pas tout à fait à l'objet de ce texte.
Pour répondre à la dernière intervention, concernant les aspects réglementaires et les moyens destinés à protéger les établissements, je rappelle que 25 millions d'euros ont été affectés à ce sujet et que cette enveloppe a été renouvelée dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025.
Je veille, à chacun de mes déplacements, à m'assurer que ces fonds parviennent bien aux établissements. La protection est donc assurée à un bon niveau et ces montants seront reconduits, car elle doit être permanente. Sur le plan médical, les mesures nécessaires sont donc prises.
S'agissant du narcotrafic, qui nous concerne tous, je lancerai, au titre du ministère de la santé, une campagne de prévention. Le ministre de l'intérieur en avait lancé une sur le volet répression ; je le ferai à mon tour afin de communiquer sur le mésusage et la dangerosité de la drogue. Telles sont les actions envisagées sur le plan médical.
Même si je comprends la proposition de Mme la sénatrice Puissat, je ne change pas d'avis sur l'amendement et j'y reste défavorable, en raison de son absence de portée juridique, qu'a rappelée Mme la présidente de la commission des lois.
Pour autant, rien n'interdit au Sénat de le voter pour nous permettre de le retravailler en commission mixte paritaire.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Après l'article 3
Mme la présidente. L'amendement n° 35, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Les deuxième et troisième alinéas de l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« La collectivité publique est également tenue de protéger l'agent public qui, mis en cause pénalement à raison de tels faits, ne fait pas l'objet des poursuites mentionnées à l'alinéa précédent ou qui fait l'objet de mesures alternatives à ces poursuites, dans tous les cas où le code de procédure pénale lui reconnaît le droit à l'assistance d'un avocat. »
II. – La seconde phrase du quatrième alinéa de l'article L. 4123-10 du code de la défense est ainsi rédigée : « L'État est également tenu de protéger le militaire qui, mis en cause pénalement à raison de tels faits, ne fait pas l'objet de poursuites pénales ou qui fait l'objet de mesures alternatives à ces poursuites, dans tous les cas où le code de procédure pénale lui reconnaît le droit à l'assistance d'un avocat. »
III. – Le troisième alinéa de l'article L. 113-1 du code de la sécurité intérieure est ainsi rédigé :
« La protection prévue au second alinéa de l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique et à la seconde phrase du quatrième alinéa de l'article L. 4123-10 du code de la défense bénéficie également aux personnes mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article. »
La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. Cet amendement, de nature très juridique, porte sur la protection fonctionnelle.
Dans sa décision du 4 juillet 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les deux derniers alinéas de l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique. Il a jugé injustifiée la différence de traitement entre les agents placés en garde à vue, qui peuvent bénéficier de la protection fonctionnelle, et ceux qui sont entendus sous le régime de l'audition libre, qui n'en bénéficient pas.
Pour ce faire, le Conseil s'est fondé sur les travaux préparatoires de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, au cours desquels le législateur avait entendu accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle aux agents publics mis en cause pénalement, y compris lorsqu'ils ne font pas l'objet de poursuites pénales, dans tous les cas où leur est reconnu le droit à l'assistance d'un avocat.
Le présent amendement tire pleinement les conséquences de cette décision en étendant la protection fonctionnelle à tous les cas où un agent public peut solliciter l'assistance d'un avocat en application du code de procédure pénale, c'est-à-dire également avant l'éventuelle mise en mouvement de l'action publique.
Outre l'audition libre, cet amendement vise ainsi les cas mentionnés dans le code de procédure pénale, tels que la procédure de recueil d'observations prévue à l'article 77-2, l'opération de reconstitution d'une infraction ou encore l'identification des suspects prévue à l'article 61-3, ainsi que toutes les mesures alternatives aux poursuites, telles que la composition pénale ou la transaction pénale.
Par cohérence, il tend, de surcroît, à modifier la seconde phrase du quatrième alinéa de l'article L. 4123-10 du code de la défense et le troisième alinéa de l'article L. 113-1 du code de la sécurité intérieure, afin que les militaires et certaines catégories de personnel concourant à la sécurité intérieure – policiers nationaux et municipaux, gendarmes, sapeurs-pompiers professionnels – bénéficient du même niveau de protection fonctionnelle.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. La commission n'a pas émis d'avis, car cet amendement a été déposé trop tardivement.
Pour autant, il s'agit de régler une problématique constitutionnelle. J'y suis donc favorable à titre personnel.
Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.
M. Hussein Bourgi. Je soutiens cet amendement empreint de bon sens.
Depuis cette décision du Conseil constitutionnel, des interrogations se font jour au sein des directions des ressources humaines de nombreuses collectivités dans lesquelles des agents ont bénéficié de cette protection fonctionnelle, aujourd'hui remise en cause.
L'amendement du Gouvernement est donc particulièrement bienvenu et je le soutiens avec force, car il viendrait résoudre un certain nombre de situations pendantes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Di Folco, pour explication de vote.
Mme Catherine Di Folco. Je me pose simplement une question : ne s'agirait-il pas d'un cavalier législatif ? Très franchement, je ne vois pas son rapport avec le texte examiné.
Certes, je suis d'accord avec la finalité de cette disposition, mais nous devons nous poser la question : nous sommes en train de débattre de la sécurité des professionnels de santé ; or cet amendement porte sur le champ de la fonction publique en général et traite de la protection fonctionnelle.
À mon sens, il s'agit d'un cavalier législatif.
Mme la présidente. Je souhaite recueillir à ce sujet l'avis de la commission.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. La décision en cause concerne l'ensemble de la profession hospitalière. À ce titre, cet amendement nous semble bien entrer dans le champ de cette proposition de loi. Si nous n'adoptons pas cet amendement, les dispositions concernées disparaîtraient au 1er juillet.
Mme Catherine Di Folco. Du moment que cela vient du Gouvernement…
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 3.
Article 3 bis
(Supprimé)
Article 4
(Non modifié)
I. – Après le mot : « loi », la fin de l'article 711-1 du code pénal est ainsi rédigée : « n° … du … visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. »
II. – Le début du premier alinéa de l'article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé : « Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé, en Nouvelle-Calédonie… (le reste sans changement). – (Adopté.)
Article 5
(Supprimé)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous avons achevé l'examen des articles de ce texte.
Les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble de la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé se dérouleront mardi 13 mai, à quatorze heures trente.
La suite de la discussion est renvoyée à cette prochaine séance.
7
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 7 mai 2025 :
À quinze heures :
Questions d'actualité au Gouvernement.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinq.)
nomination de membres d'une commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi autorisant la ratification de la résolution LP.3(4) portant amendement de l'article 6 du protocole de Londres de 1996 à la convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets et autres matières a été publiée conformément à l'article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s'étant manifestée dans le délai d'une heure prévu par l'article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :
Titulaires : MM. Cédric Perrin, Philippe Folliot, Ronan Le Gleut, Philippe Paul, Jérôme Darras, Mickaël Vallet et Stéphane Fouassin ;
Suppléants : Mme Catherine Dumas, MM. Thierry Meignen, François Bonneau, Rachid Temal, Mme Michelle Gréaume, MM. Jean-Pierre Grand et André Guiol.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER