Sécurité des professionnels de santé
Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé (proposition n° 430, texte de la commission n° 563, rapport n° 562).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd'hui autour d'un sujet grave et important : celui de la sécurité des soignants, pour laquelle l'actualité nous rappelle trop souvent, et avec force, l'urgence qu'il y a à agir.
L'Observatoire national des violences en santé (ONVS) dénombrait 23 498 agressions déclarées par des professionnels de santé en 2022, avec un nombre de plaintes déposées pour ce motif qui a augmenté de 44 %. Cela veut dire que, chaque jour, dans notre pays, 65 professionnels de santé sont agressés.
Ce chiffre est vertigineux, sans compter que cette statistique est, par nature, une sous-estimation, puisque tous les soignants touchés ne signalent pas forcément les actes dont ils ont été victimes.
Ces violences, qu'elles soient physiques, verbales ou numériques, sont inacceptables. Elles me heurtent profondément en tant que ministre de la santé, en tant que ministre de chacun des professionnels qui contribuent à la santé de notre population. Je n'accepterai jamais que ceux qui dédient leur vie aux autres puissent aller travailler la boule au ventre ou soient agressés.
Ces violences nous interrogent aussi collectivement en tant que société, face à des actes qui menacent directement celles et ceux qui nous soignent, qui nous sauvent, qui prennent soin de nous et de la santé des Français.
C'est un sujet sur lequel je me suis mobilisé de longue date en tant que médecin chef de pôle, qui a parfois craint pour ses équipes, et en tant qu'élu local, face à la détresse de certains professionnels de santé se sentant trop seuls ou démunis.
Je me suis également investi sur ce sujet avec conviction en tant que député, en soutenant notamment un certain nombre de propositions législatives.
Je me mobilise désormais en tant que ministre de la santé, d'autant que mon arrivée au ministère a été marquée par un drame. Dès les premiers jours de ma prise de fonction, au tout début du mois de janvier, je me suis rendu à Annemasse, au chevet de quatorze soignants qui venaient d'être agressés. J'ai alors pu constater combien cette communauté était bouleversée.
Lors de ce déplacement en Savoie, puis devant le comité de suivi dédié, que j'ai réuni dans la foulée, j'ai pris l'engagement solennel que, d'ici à septembre 2025, de nouvelles mesures seraient mises en place.
C'est d'ailleurs également l'un des engagements forts du pacte de lutte contre les déserts médicaux, que nous avons présenté, dans le Cantal, voilà quelques jours, avec le Premier ministre. Nous avons alors réaffirmé cette volonté de protection des soignants.
Mon objectif est de marquer un tournant décisif dans la lutte contre ces violences, avec un seul mot d'ordre : la tolérance zéro.
Ces actions s'inscrivent dans la continuité du plan ministériel pour la sécurité des professionnels de santé, lancé en septembre 2023 par Agnès Firmin-Le Bodo. Ce plan est le fruit d'un travail de fond et d'une large concertation de l'ensemble de l'écosystème.
Je pense notamment à l'excellent rapport du docteur Jean-Christophe Masseron, ancien président de SOS Médecins France, et de Mme Nathalie Nion, cadre supérieure de santé. Je pense aussi aux très nombreuses contributions des différents acteurs – ordres, syndicats, etc. – et de l'ensemble des soignants, qui ont considérablement enrichi les travaux de l'époque.
Je tiens à souligner combien les professionnels, tous ensemble, se sont saisis de cet enjeu, aussi bien en ville qu'à l'hôpital, qu'il s'agisse des médecins, des étudiants, des infirmiers ou des paramédicaux. Ils s'en sont saisis avec énergie et avec une détermination sans faille à faire bouger les lignes, qui m'inspire autant qu'elle m'oblige.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord évoquer les mesures qui nous permettront d'agir en amont des actes de violence.
Je pense, tout d'abord, à l'enveloppe de 25 millions d'euros par an allouée à la sécurisation des établissements de santé, que j'ai reconduite pour 2025.
Vous le savez, je ne suis pas un ministre qui aime beaucoup rester dans son bureau… Chaque semaine, je me déplace à travers le pays et dans nos établissements de santé, notamment pour juger de la bonne mise en œuvre de ces crédits. Les soignants sont unanimes pour me dire que ces dispositifs de sécurisation – portes blindées, fermetures à code, éclairages performants, alarmes – sont utiles, qu'ils fonctionnent et qu'ils les rassurent.
Pour continuer de toujours mieux prévenir les violences, nous travaillons, en ce moment même, à la création d'un réseau national des « référents sécurité » au sein de chaque agence régionale de santé (ARS), pour coordonner et structurer les actions de prévention et d'alerte au plus près du terrain.
Nous travaillons également à la poursuite de nos actions de communication et de sensibilisation, envers le grand public comme envers les soignants.
Nous travaillons, enfin, au renforcement de l'Observatoire national des violences en santé, dont la version 2.0 ne sera pas qu'une « chambre d'enregistrement » des faits de violences, mais constituera une véritable instance de suivi des cas, d'écoute et d'orientation des professionnels victimes, qui prendra également en compte le phénomène des violences sexistes et sexuelles (VSS).
De fait, les violences en santé, ce sont aussi les violences sexistes et sexuelles, qui ont trop longtemps fait l'objet d'une certaine omerta dans le monde de la santé et contre lesquelles la tolérance zéro que je prône est tout autant de mise.
J'ai ici une pensée pour les deux infirmières victimes, en mars dernier, en Guyane, d'une effroyable agression, qui a choqué toute la communauté soignante. Comme pour les victimes d'Annemasse et chaque fois qu'un drame se produit, je suis personnellement la situation qui m'est rapportée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai évoqué la sécurisation des hôpitaux, mais je n'oublie naturellement pas de prendre en compte l'exercice de ville et tous nos soignants libéraux.
Sur ce point, je compte beaucoup sur l'engagement des collectivités locales et des élus locaux, qui ont un rôle important à jouer, avec leurs polices municipales et avec les caméras de vidéoprotection.
Je veux notamment citer le dispositif des boutons d'alerte reliés aux forces de l'ordre, qui permettent aux soignants de donner directement et discrètement l'alerte en cas de danger – je l'ai moi-même mis en place dans ma région Auvergne-Rhône-Alpes et en tant que maire. Je sais que le dispositif fonctionne bien et se déploie dans des collectivités de plus en plus nombreuses, comme en Haute-Vienne ou en Guyane.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, tout sera mis en place pour renforcer la sécurité, prévenir, dissuader et éviter, au maximum, les agressions.
C'est indispensable, mais il faut également renforcer notre réponse pénale, quand, malheureusement, les violences viennent à se produire.
J'ai dit que mon mot d'ordre était la tolérance zéro. J'ajoute que mon objectif face aux auteurs est le « zéro impunité ». C'est une nécessité que je partage avec le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice, et que ce texte vient concrètement traduire dans notre droit.
Je veux prendre le temps de saluer ici l'engagement des parlementaires de tous bords qui se sont investis sur ce sujet, permettant de faire avancer ce texte important et attendu, qui a été très largement adopté par l'Assemblée nationale, où il a été défendu par le député Philippe Pradal.
Afin de ne laisser aucun répit aux auteurs de violences et de protéger les soignants qui en sont victimes, notre réponse pénale sera renforcée selon trois axes.
Premier axe, notre réponse sera d'abord renforcée grâce à des peines aggravées en cas de violences ou de vol en milieu de santé. Notre code pénal prévoit déjà des circonstances aggravantes en cas d'agression des professionnels de santé « dans l'exercice ou du fait de leurs fonctions ». Cette proposition de loi nous permet d'aller plus loin, en réprimant les violences contre tous les personnels et dans tous les secteurs de la santé.
Elle aggrave notamment les sanctions en cas de violences commises dans les locaux des hôpitaux ou des cliniques, ou contre le personnel non médical de ces établissements, par exemple, vis-à-vis des agents travaillant à l'accueil des urgences, à l'entrée des hôpitaux ou encore dans les services administratifs.
Bien entendu, les professionnels libéraux seront protégés au même titre, puisque ces sanctions renforcées ont été étendues aux violences commises dans l'enceinte ou contre le personnel de toutes les structures de ville – cabinets libéraux, maisons de naissance, pharmacies, centres de santé. Nous n'oublions pas non plus les établissements sociaux et médico-sociaux, comme les services de protection de l'enfance ou encore les Ehpad.
Deuxième axe, ce texte permettra de réprimer plus fermement les violences verbales et les insultes contre les soignants ou envers les personnels des structures médicales. C'est très important, car la tolérance zéro consiste à ne rien laisser passer.
Une insulte, qu'elle soit en face ou en ligne, n'est jamais anodine. Il faut briser la spirale de la violence dès ce premier stade. C'est pourquoi je défendrai un amendement, au nom du Gouvernement, visant à rétablir la création d'un délit d'outrage élargi à l'ensemble des professionnels qui concourent aux soins, qu'ils soient considérés ou non comme exerçant une « mission de service public ». C'est une mesure particulièrement attendue par la communauté des professionnels de santé.
Cette disposition va plus loin que la rédaction qui a été votée en commission des affaires sociales, laquelle permet bien de réprimer l'injure, mais laisse de côté la plus grande diversité d'actes malveillants couverts par le délit d'outrage.
Je sais aussi l'importante force symbolique de créer un délit spécifique et fermement réprimé pour ceux qui s'en prennent de telle manière à nos soignants.
Troisième axe, afin d'accompagner, de soutenir et de protéger les professionnels victimes, nous facilitons le dépôt de plainte, souvent ressenti comme une épreuve difficile par les personnels confrontés aux violences. Certains craignent également les représailles. Cette situation aboutit à de nombreux renoncements, laissant les actes et les auteurs impunis.
C'est inacceptable, raison pour laquelle le texte ouvre la possibilité à l'employeur d'un professionnel de santé ou d'un autre organisme de déposer plainte à sa place, avec son accord écrit, pour certaines infractions.
Seront concernés par ce nouveau dispositif les directions des établissements de santé et des secteurs médicaux et médico-sociaux – hôpitaux, cliniques, centres de santé, Ehpad –, ainsi que les employeurs des cabinets médicaux et paramédicaux, des pharmacies, des laboratoires de biologie médicale et des centres d'imagerie.
La question des libéraux, qui sont leur propre employeur, s'est naturellement posée et a été traitée. Pour ces professionnels, un décret viendra préciser les organismes représentatifs autorisés à porter plainte. Je veux vous assurer que je serai attentif à ce que ce décret fasse l'objet d'une concertation et soit publié rapidement après l'adoption définitive du texte.
L'idée est que la victime se sente soutenue et que le dépôt de plainte devienne un réflexe en cas d'agression. Afin de faciliter et de sécuriser encore plus ce dépôt de plainte, je travaille actuellement, avec le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice, à la mise en place d'un dispositif spécifique de visioplainte pour les soignants victimes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je terminerai par la citation qui figure en exergue du rapport que j'ai cité tout à l'heure : « Le danger, pour la vie, est de s'habituer à toutes les petites violences de la vie quotidienne, et de finir par trouver cela normal ».
Oui, il y a des actes de très grande violence, qui sont innommables et terrifiants, mais, je tiens à l'affirmer haut et fort, il n'y a pas de petite violence. Tout coup, toute menace, toute blessure, tout crachat, toute insulte envers un professionnel de santé ou envers ceux qui concourent aux soins est une attaque envers notre système de santé.
Grâce à ce texte, nous franchissons une étape supplémentaire dans notre ambition commune de ne laisser aucun répit à ceux qui s'en prennent aux soignants et de protéger, comme il se doit, ceux qui protègent et prennent soin de notre santé. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons, nos médecins se soumettent symboliquement au fameux serment d'Hippocrate, qui leur impose de nombreuses règles déontologiques, telles que le respect « de toute personne, sans discrimination », l'objectif de « tout faire pour soulager les souffrances » ou encore l'observation du secret professionnel.
Nous savons peut-être moins que ce texte du IVe siècle avant notre ère rappelle que les soignants, en contrepartie de ce dévouement pour autrui, attendent que les hommes et leurs confrères leur accordent leur estime s'ils sont fidèles à leurs promesses. Voilà donc au moins 2 500 ans que notre civilisation identifie comme l'un des piliers du vivre-ensemble la reconnaissance que la société doit à ceux qui donnent de leur temps et de leur énergie pour aider les autres !
Qu'elle paraît pourtant loin cette estime qu'Hippocrate appelait de ses vœux, au regard du sentiment, largement partagé par les professionnels de santé, d'une hausse des violences à leur encontre…
Malgré l'absence de données exhaustives, les chiffres récoltés à partir des signalements volontaires démontrent indubitablement que les professionnels de santé sont exposés à des actes de violence, qui, sans forcément suivre une hausse incontestable, atteignent des proportions que l'on ne saurait tolérer.
Les données de l'Observatoire national des violences en santé et de l'Observatoire de la sécurité des médecins, qui ne sont que partielles, permettent en effet de constater que les violences en santé constituent un phénomène courant et massif.
Ainsi, sur la période 2019-2023, environ 20 000 signalements d'actes de violence ont été effectués sur la plateforme de l'ONVS, qu'il s'agisse d'atteintes aux personnes ou aux biens. L'année 2024 est marquée par une hausse de 6,6 % par rapport à 2023, ce qui peut traduire à la fois une augmentation des violences et des progrès dans la systématisation de leur signalement.
Pour ce qui concerne les médecins, l'année 2023 se caractérise, sous les mêmes réserves, par une hausse de 27 % des signalements, avec 1 581 actes de violence signalés.
Bien que la situation puisse naturellement être améliorée, nous pouvons nous satisfaire d'un taux de réponse pénale élevé, autour de 90 %. Ce dernier résulte d'une volonté affirmée en dernier lieu par la circulaire de politique pénale générale du 27 janvier 2025, qui enjoint les parquets à une mobilisation particulière s'agissant des violences en santé.
Je souhaite, à ce titre, remercier MM. les ministres Gérald Darmanin et Yannick Neuder de leur engagement sur ce sujet.
Quant aux condamnations prononcées en première instance pour des faits de menace ou de violence contre les professionnels de santé, elles comportent, dans les trois quarts des cas, des peines d'emprisonnement. Elles sont cependant loin des quanta fixés par la loi pour les différentes infractions de menaces ou de violences, puisque la durée moyenne des peines fermes prononcées n'atteint pas sept mois.
C'est dans ce contexte de forte et légitime préoccupation des professionnels de santé que l'Assemblée nationale a adopté, en mars de l'année dernière, la proposition de loi déposée par le député Philippe Pradal, dont l'examen nous réunit aujourd'hui.
L'objet des trois articles initiaux du texte était de mettre en œuvre les mesures de nature législative du plan pour la sécurité des professionnels de santé, présenté en septembre 2023 par les anciens ministres Aurélien Rousseau et Agnès Firmin-Le Bodo.
Le texte transmis au Sénat vise trois objectifs principaux.
Le premier, porté par les articles 1er et 2, consiste à renforcer les sanctions contre les atteintes, qu'elles soient physiques ou verbales, aux personnels des structures de soins.
Pour ce faire, l'article 1er étend à l'ensemble des personnels des structures hospitalières, médicales, paramédicales et médico-sociales, quel que soit leur mode d'exercice, l'aggravation des sanctions prévues depuis plus de vingt ans pour les violences commises à l'encontre des professionnels de santé. Il étend par ailleurs le champ d'application des circonstances aggravantes retenues au cas de vol de matériel médical. L'article 2 procédait à une extension parallèle pour les outrages.
Le deuxième objectif, traduit par les articles 2 bis et 3, consiste à systématiser les dépôts de plainte après chaque incident. Il résulte de la constatation d'un « frein » au dépôt de plainte : moins d'un tiers des signalements de violences donnent lieu à l'engagement d'une procédure judiciaire par la victime.
Pour lever ce frein, l'article 2 bis tendait à octroyer aux soignants la possibilité, lors du dépôt de plainte, de déclarer comme domicile l'adresse de leur ordre professionnel. Dans une logique similaire à l'extension de la plainte pour autrui que nous avons récemment effectuée pour les transports publics, l'article 3 permet à l'employeur de porter plainte à la place d'un professionnel de santé ou d'un membre du personnel.
Enfin, le troisième objectif du texte, qui était porté par l'article 3 bis, visait à améliorer la connaissance et le suivi des violences en santé par la présentation annuelle au conseil de surveillance ou au conseil d'administration des divers établissements de soins d'un bilan des actes de violence commis au sein de l'établissement et des moyens mis en œuvre pour assurer la sécurité des personnels.
Malgré une adhésion pleine et entière à ces trois objectifs et un regard dans l'ensemble favorable au texte, la commission des lois a veillé à assurer un équilibre entre la volonté de répondre à l'émoi fort compréhensible des professionnels de santé et la qualité du droit. En effet – il est inutile de nous leurrer –, les mesures de ce texte ont une portée avant tout symbolique. Elles nous semblent toutefois nécessaires, sous réserve de leur bonne insertion dans notre droit, au vu de la détresse des professionnels de santé face à ces actes inacceptables.
Cette proposition de loi permet donc de réitérer le soutien des pouvoirs publics aux victimes de ces violences. Il va sans dire que, en dehors des cas de violences qui s'expliquent par des troubles cognitifs ou des pathologies, toute banalisation de la violence dans les lieux de soins doit être jugulée.
Bien sûr, la solution à apporter est aussi de nature financière, mais ce débat relève du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
La réponse à ces violences relève également d'une mobilisation judiciaire à la hauteur du sentiment de vulnérabilité des soignants. Sur ce volet, ce texte participe de l'objectif, que nous soutenons, d'une tolérance zéro à l'égard des violences.
Suivant ces lignes directrices, la commission a adopté six amendements pour sécuriser juridiquement les mesures qui lui sont apparues utiles et ne conserver que celles dont la plus-value législative était démontrée.
Sur le premier point, nous avons précisé, à l'article 1er, que le renforcement des sanctions vise les atteintes à toutes les personnes employées au sein des structures de soins, et non seulement à celles qui sont directement employées par ces structures.
L'infraction d'outrage paraissant inadaptée aux professionnels libéraux, nous avons réécrit l'article 2 en visant l'infraction d'injure sanctionnée par l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881. Cette modification entraînera un délai de prescription plus court, d'une durée d'un an, qui nous paraît raisonnable.
À l'article 3, nous avons notamment précisé que le dépôt de plainte par l'employeur ne sera pas possible lorsque les violences alléguées sont commises entre membres du service. En outre, nous avons confié aux ordres professionnels, qui nous ont fait part de leur volontarisme en la matière, la faculté de déposer plainte pour les professionnels libéraux.
Enfin, sur le second point, nous avons supprimé les articles 2 bis, 3 bis et 5. Il ne s'agit aucunement d'un désaccord sur les objectifs qu'ils traduisent : nous avons simplement constaté qu'ils étaient largement redondants avec l'état du droit.
En effet, l'article 2 bis était satisfait par l'article 10-2 du code de procédure pénale, qui permet déjà à tout plaignant de déclarer, avec son accord, l'adresse d'un tiers. De même, l'article 3 bis était en grande partie satisfait par des dispositions réglementaires, notamment celles qui prévoient que les données du rapport social unique relatives à la santé et à la sécurité doivent comporter des éléments sur les violences sur agent, notamment le nombre de ces actes et de victimes concernées.
À ce titre, je souhaite profiter de votre présence parmi nous, monsieur le ministre, pour vous inviter à mettre à jour la circulaire du 11 juillet 2005, qui fixe pour cible une « connaissance exhaustive » des actes de violence en santé, au travers de leur signalement systématique à l'ONVS.
La position de la commission des lois est celle d'un soutien sans faille aux professionnels de santé et aux personnes qui les entourent, lesquels espèrent beaucoup de ce texte. Ce soutien ne doit cependant pas se faire au prix d'un bavardage législatif : nos soignants méritent des mesures dont l'utilité et la qualité juridique sont avérées.
La commission vous invite à adopter le texte ainsi modifié. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 22 mai 2023, dans le service de la médecine du travail du centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims, où elle était infirmière, Carène Mézino, âgée de 37 ans, était poignardée à neuf reprises. Mère de deux jeunes enfants, elle a perdu la vie. Ce drame a profondément bouleversé la Nation.
Au-delà de l'émotion légitime qu'il a suscitée, cet acte odieux nous oblige à agir avec fermeté, clarté et responsabilité. Il nous faut apporter une réponse à un phénomène que nous ne pouvons plus ignorer : la recrudescence des violences envers les professionnels de santé.
M. le ministre l'a dit, plus de 19 000 actes de violence sont recensés chaque année. Ce chiffre glaçant, sans doute sous-estimé, est en constante progression.
Notre société souffre d'un mal rampant : la banalisation de la violence. Nos soignants, piliers du pacte républicain, en paient le prix fort. Alors qu'ils incarnent la bienveillance, le soin et la solidarité, ils se retrouvent en première ligne, parfois sans protection suffisante. Ce n'est pas acceptable.
Où est passé l'esprit du confinement, quand, chaque soir, la Nation applaudissait ses soignants ?
Où sont passés les élans de gratitude envers ces héros de l'ombre, qui ont tenu debout notre système de santé, au prix de leur propre épuisement, parfois de leur vie ?
Où est passé le défilé des soignants lors du 14 juillet 2020 ?
La France a une dette envers nos soignants. Cette dette grandit chaque jour. Elle se rembourse non pas seulement par des primes ponctuelles ou des hommages symboliques, mais aussi par des mesures concrètes, visibles et efficaces.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui va dans cette direction. Elle signe, enfin, un changement de paradigme. Elle reconnaît que les actes de violence envers les professionnels de santé ne peuvent plus être tolérés ni relativisés.
Ce texte va dans le bon sens. En alourdissant les peines pour violences commises dans les établissements de santé, en érigeant l'outrage aux soignants au rang de délit spécifique ou encore en permettant aux employeurs de se constituer partie civile, nous affirmons que la République défend ses serviteurs.
Oui, il faut soutenir toute initiative qui restaure l'autorité, protège les agents publics et assure la continuité du service public dans des conditions dignes. Le texte répond à cette triple exigence.
Enfin, cette proposition de loi est aussi un signal clair envoyé à celles et ceux qui, dans un excès de violence ou par mépris de l'ordre public, pensent pouvoir s'en prendre impunément aux soignants. Désormais, ils sauront que la République ne le tolérera plus.
Réfléchissons aussi, sans tabou, à une question essentielle, aussi délicate qu'inévitable : celle du conditionnement de l'accès aux soins pour les individus qui agressent volontairement ceux qui les dispensent. En effet, peut-on durablement accepter que la société, par le biais de la solidarité nationale, prenne intégralement en charge les soins de ceux qui, dans un même mouvement, bafouent les règles de cette solidarité, en portant atteinte à l'intégrité de ceux qui incarnent notre système de santé ?
Cette interrogation peut heurter certaines consciences. Elle bouscule sans doute nos réflexes humanistes, mais elle n'est ni cynique ni injuste.
Il s'agit non pas de remettre en cause le droit aux soins, mais de réaffirmer une exigence, selon laquelle les droits s'accompagnent de devoirs : devoirs de respect, de retenue et de reconnaissance envers ceux qui consacrent leur vie au service des autres. Si la République soigne, elle ne saurait rester impassible face à ceux qui transforment la main tendue en cible. C'est là une ligne de réflexion que nous devons oser tracer, avec lucidité et responsabilité.
Au nom de cette responsabilité, du respect dû à nos professionnels de santé et de la restauration de l'autorité républicaine, les sénateurs du groupe Les Républicains voteront ce texte, avec conviction. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi essentielle, qui traduit dans le droit certaines mesures du plan pour la sécurité des professionnels de santé, présenté en septembre 2023 par Aurélien Rousseau et Agnès Firmin-Le Bodo.
Ce texte répond à une réalité alarmante : l'exposition croissante de nos soignants à des violences, qu'elles soient verbales, physiques ou numériques.
Alors que, durant la crise du covid, ils recevaient les hommages de la société tout entière et étaient applaudis depuis les balcons, ces mêmes professionnels sont aujourd'hui confrontés à des agressions de plus en plus nombreuses.
En 2024, plus de 20 000 signalements ont été recensés par l'Observatoire national des violences en santé. Pour les médecins, les actes de violence ont augmenté de 27 % en un an. Ces chiffres, bien qu'incomplets, en raison d'un faible taux de signalement, révèlent une situation préoccupante et soulignent un paradoxe, qui nous interpelle : comment avons-nous pu en arriver là ?
Parmi les personnels en première ligne, les femmes sont souvent les premières victimes.
Celles et ceux qui nous soignent et nous accompagnent, parfois dans l'urgence, souvent dans la douleur, doivent être protégés, respectés et soutenus.
Je salue le travail rigoureux de notre collègue Anne-Sophie Patru, rapporteure de ce texte, qui a su enrichir la proposition tout en en garantissant la cohérence juridique. Dans le prolongement des dispositions adoptées à l'Assemblée nationale, qui ont élargi la protection à l'ensemble des structures liées aux soins, la commission des lois du Sénat a souhaité sanctuariser ces espaces en étendant les sanctions renforcées à tous les personnels qui y travaillent, qu'ils en soient des employés directs ou non.
Le texte prévoit également une meilleure prise en charge du dépôt de plainte. Il autorise désormais les directeurs d'établissement à déposer plainte au nom de leurs agents, sous réserve de leur accord. La commission a toutefois encadré cette possibilité, en l'excluant lorsque les violences sont commises entre membres du même service. Elle a par ailleurs ouvert cette faculté aux ordres professionnels, renforçant ainsi la protection des professionnels libéraux. Cette avancée est décisive pour briser le silence et lever les freins au signalement des violences.
Enfin, la commission a choisi de réécrire l'article 2, en remplaçant le délit d'outrage par l'infraction d'injure, plus adaptée à la situation juridique des professionnels de santé. Cette précision apporte une protection efficace, tout en instaurant un délai de prescription d'un an, que la commission a jugé raisonnable.
Certaines dispositions redondantes avec le droit en vigueur ont été supprimées, à raison. C'est notamment le cas de l'article sur la domiciliation des plaignants et de celui qui prévoyait un bilan annuel de sécurité, déjà prévu par la voie réglementaire.
Au-delà de la portée juridique du texte, c'est un signal politique fort que nous envoyons aujourd'hui, celui qu'il n'y aura pas de tolérance pour les violences envers les soignants.
Le groupe RDPI votera cette proposition de loi avec conviction, dans un esprit de responsabilité et de soutien envers celles et ceux qui, chaque jour, font vivre notre système de santé dans des conditions souvent difficiles.
Protéger nos soignants, c'est aussi protéger notre pacte social ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme la rapporteure et Mme Dominique Vérien applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.