M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 266 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l'adoption | 100 |
Contre | 243 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, d'une motion n° 3.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi tendant à confier à l'Office français de l'immigration et de l'intégration certaines tâches d'accueil et d'information des personnes retenues (n° 594, 2024-2025).
La parole est à M. Guy Benarroche, pour la motion.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté est aussi symptomatique qu'inexcusable.
Il relève de la dynamique que nous dénonçons depuis des mois : un pacte de gouvernement laissant les ministres utiliser régulièrement des propositions de loi, sans étude d'impact, pour imposer médiatiquement des thèmes aussi inutiles que dangereux. Telle est la raison d'être de ce texte, qui justifie l'exclusion des associations intervenant auprès des personnes retenues en arguant que ces missions devraient être confiées à l'Ofii, afin d'éviter que lesdites associations n'agissent de manière militante, en opposition à la politique du Gouvernement, ainsi que pour des raisons de rationalité budgétaire.
Les associations sont donc accusées d'être juge et partie, d'aller contre la bonne tenue des comptes de l'État et, surtout, de suivre, au travers de leur action dans les CRA, un agenda politique opposé à celui du Gouvernement.
Tous ces arguments fallacieux sont repris dans cette proposition de loi. L'un des passages les plus édifiants de l'exposé des motifs est la dénonciation de l'action légale et encadrée des associations comme entraînant une « massification des recours, de nature à entraver la politique mise en œuvre en matière de lutte contre l'immigration illégale ».
Mais de quoi parlez-vous, mes chers collègues ? Souhaitez-vous limiter le recours effectif au droit ? Ces actions légales et légitimes contreviendraient-elles, selon vous, à l'action du Gouvernement ?
L'on ne saurait reprocher aux associations ce mouvement volontaire systématique de massification des recours. Une personne qui souhaite contester une décision exerce son droit. Les associations remplissent alors pleinement les missions qui leur sont attribuées contractuellement. Refuser d'aider une personne à former un recours constituerait une obstruction à l'exercice de ses droits.
Je sais que la notion d'État de droit est mise à mal actuellement, mais pour tous les justiciables, étrangers comme nationaux, simple citoyen ou ancien Président de la République, les recours sont un outil du droit à la disposition de tous.
Comment accepter que seules votre volonté et votre appréciation, dénuées de tout fondement, puissent qualifier un recours d'abusif ? Avez-vous un seuil chiffré de recours pour définir la massification ?
Vous justifiez le changement de droit occasionné par ce texte par les difficultés liées au nombre de recours. Mais vous ne mentionnez ni le nombre de décisions attaquées et annulées, parce qu'injustifiées au regard du droit et de la situation du demandeur, ni la complexité grandissante du droit des étrangers, ni les moyens insuffisants des tribunaux.
N'observe-t-on pas plutôt, monsieur le ministre d'État, une massification des obligations de quitter le territoire français, prises de manière automatique sans examen individuel ? Est-ce cela, la politique du Gouvernement contre l'immigration illégale ?
En 2024, environ 44 % des personnes enfermées ont été libérées par un juge : 30 % par un juge judiciaire, 10 % par une cour d'appel et 4 % par un tribunal administratif. Ces statistiques démontrent l'utilité pour les personnes retenues de contester les mesures prises à leur encontre, souvent entachées d'illégalité et d'irrégularité. Par ailleurs, le nombre important de libérations ordonnées par les juridictions ne saurait être reproché aux associations, les décisions de justice n'étant pas de leur ressort.
Ce ne sont pas les recours qui sapent la politique du Gouvernement, ce sont ses propres décisions irrégulières ou insuffisantes. Quant à l'effectivité des décisions d'éloignement, il s'agit avant tout d'une question de diplomatie, comme notre groupe n'a cessé de le répéter.
Un autre point au cœur du discours du ministre, et inscrit au sein de l'exposé des motifs de la proposition de loi, est la neutralité du soutien apporté par les associations. Dès le mois d'octobre 2024, le ministre de l'intérieur déclarait : « Je considère que le conseil juridique et social aux personnes retenues dans les CRA relève de l'Ofii, et non des associations qui sont juge et partie. »
En janvier 2025, avec la même cohérence, il écrivait : « Qu'une association ait un agenda politique, veuille promouvoir une politique d'accueil massif de l'immigration, c'est son choix. Ce qui est choquant, c'est quand ces associations profitent des financements de l'État pour promouvoir d'autres politiques publiques que celles que l'État veut défendre. »
De fait, le soutien des associations correspond légalement à l'assistance à l'accès effectif au droit pour les personnes retenues. Il leur est contractuellement imposé dans le cadre du marché public que chacune de ces associations a remporté. Je ne saurais croire que le discours qui confond subventions des associations et financement à la suite d'un marché public soit volontaire et prémédité.
Votre discours est gênant et dogmatique. Il rappelle les attaques inexcusables dont ont été la cible certains avocats qui, eux aussi, sont accusés de militantisme dans l'exercice de leur mission. Il rappelle les méthodes exécrables du média d'extrême droite Frontières, lequel a publié en janvier 2025 une liste d'une soixantaine d'avocats, les accusant d'être complices des personnes en situation irrégulière cherchant à obtenir un titre de séjour.
L'ancien vice-président du Conseil d'État, Jean-Marc Sauvé, le dit bien : « Le droit est une arme de la démocratie. Dans l'équilibre des pouvoirs propres à ce régime, la force du droit est de contenir la puissance du politique pour l'empêcher de devenir arbitraire. » Faire valoir les droits d'une personne ne devient un acte politique que face aux dérives systémiques abusives de l'État.
Parlons maintenant d'impartialité et de conflit d'intérêts. Par ce texte, vous actez de facto l'incapacité des associations à faire la différence entre, d'une part, leur plaidoyer et leur liberté d'expression et, d'autre part, leurs actions au sein des CRA. Selon vous, l'un empêcherait l'accomplissement de l'autre.
Une association, peu importent ses idées, est-elle forcément disqualifiée pour apporter ses compétences techniques dans l'exercice des missions qui lui sont confiées – par vous, qui plus est –, sans discontinuité depuis des années et selon les procédures très encadrées des marchés publics ?
Comment justifier alors le fait de confier des missions d'information et d'aide au recours effectif à l'Ofii ? Cet organisme dépend du ministère de l'intérieur, qui édicte la politique de lutte contre l'immigration illégale. Dans le même temps, il effectuerait ses missions au sein des CRA en toute objectivité, contrairement aux associations. Il s'agit là d'un conflit d'intérêts institutionnel, qui mettra obligatoirement l'Ofii et tous ses agents devant des injonctions contradictoires.
Cette proposition de loi, qu'elle le veuille ou non, introduit également une confusion entre information et accès effectif au droit. Ce sont pourtant deux notions différentes : l'analyse juridique de la situation des personnes retenues et les conseils individuels personnalisés ne sont pas la même chose que la mise à disposition de brochures.
L'article L. 744-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) dispose que « [l]'étranger maintenu en rétention bénéficie d'actions d'accueil, d'information et de soutien, pour permettre l'exercice effectif de ses droits et préparer son départ, selon des modalités définies par décret en Conseil d'État. »
Par un arrêt du 3 juin 2009, le Conseil d'État a réaffirmé la nécessité de garantir l'accès effectif au droit, lequel ne se limite pas à une simple information : « le décret prévoit que la convention passée entre le ministre chargé de l'immigration et la ou les personnes morales sélectionnées doit permettre l'exercice effectif de leurs droits par les étrangers et précise que la mission confiée par la convention ne se limite pas à l'information des étrangers mais comprend également l'aide à l'exercice de leurs droits ».
L'accompagnement des associations et leur présence six jours sur sept dans les CRA sont précieux, au-delà des informations qu'elles apportent. Les délais sont parfois courts pour contester les décisions : quarante-huit heures pour les mesures d'éloignement, quatre jours pour les mesures d'enfermement.
Le fantasme d'une course au recours, voulu et souhaité par les associations, est vraiment indécent. Allez visiter les CRA, les zones d'attente et les lieux de rétention administratifs, avant de communiquer. Parlez au personnel de tous les lieux de rétention.
Les associations intervenant dans les CRA aident les étrangers à faire valoir leurs droits lorsqu'elles souhaitent porter plainte. Ils ont parfois besoin de solliciter le médecin de l'Ofii d'une demande de protection contre l'éloignement, en raison de leur état de santé. Ils peuvent également souhaiter saisir certaines autorités administratives indépendantes (AAI) ou, à titre exceptionnel, des juridictions : demande de mainlevée de la rétention administrative, saisine du juge des référés, recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, etc.
Les procédures des droits des étrangers sont de plus en plus complexes. Une expertise acquise, des formations adéquates et des compétences spécifiques permettent seules de garantir l'accès effectif au droit.
Du reste, notre groupe dénonce avec véhémence l'interprétation que fait la présente proposition de loi de la position de la Cour des comptes sur la présence des associations. Jamais il n'a été sous-entendu, chiffré ou démontré que leur intervention emportait un coût excessif pour le budget de l'immigration. Le texte prévoit de faire assurer par les avocats les missions relevant de l'assistance juridique que l'Ofii ne peut pas et ne sait pas accomplir. Comme d'habitude, rien n'est chiffré !
Les CRA sont donc amenés à se multiplier, si la vision des derniers gouvernements successifs perdure et si les financements jusque-là absents sont enfin alloués. Or ils ne peuvent être perçus comme un lieu de punition, sans droits.
Cette vision perturbée du rôle de la rétention administrative entretient une confusion avec l'incarcération punitive, ce qui nous gêne au plus haut point. Nous assistons depuis de trop nombreuses années à un détournement de la rétention, aujourd'hui utilisée comme élément de politique sécuritaire.
Les associations, telles que la Cimade, interviennent dans les CRA depuis les années 1980, initialement à la demande du ministère des affaires sociales. Leurs actions ne sont pas plus militantes que celles d'un médecin qui critiquerait une caisse d'assurance maladie, mais qui respecterait ses missions de soignant hospitalier.
Ce sont les libertés de conscience et d'expression, parfois si chères à vos yeux, qui sont mises en cause par cette proposition de loi. Elles sont pourtant au fondement même de notre démocratie. Une association qui respecte la loi, mais qui serait en désaccord avec le Gouvernement, ne pourrait pas exercer ses compétences, dites-vous. C'est grave, non ?
Ce texte illustre une nouvelle fois votre acharnement contre les étrangers, souvent précaires et perçus comme des dangers.
Notre groupe rejette ce texte, cette vision, cette atteinte au droit qui blesse notre démocratie. Nous dénonçons les fondements sur lesquels il est bâti : ils sont, au mieux, non renseignés ; au pire, mensongers.
Notre groupe condamne cette volonté de ne pas respecter l'équilibre de nos institutions et de présenter des propositions de loi sans étude d'impact, pour satisfaire les ambitions court-termistes de certains membres du Gouvernement et flatter de prétendus courants d'opinion. (Marques d'impatience et exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Veuillez conclure !
M. Roger Karoutchi. Votre temps est largement écoulé !
M. Guy Benarroche. Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à voter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. David Margueritte, rapporteur. Monsieur Benarroche, vous affirmez que 44 % des personnes enfermées en 2024 ont été libérées par un juge. Ce pourcentage correspond en réalité au nombre d'étrangers non éloignés qui sont sortis d'un centre de rétention. Le nombre de personnes enfermées qui ont été libérées est plutôt de 17 %.
Vous avez raison, le droit des étrangers est de plus en plus complexe. Il s'agit d'ailleurs d'une raison supplémentaire pour confier pleinement la mission d'assistance aux avocats. (M. le ministre d'État opine.)
Je ne reviendrai pas sur vos propos concernant l'existence d'un conflit d'intérêts. Je vous renvoie à la réponse que j'ai faite à M. Brossat voilà quelques instants sur la neutralité du service public – encore une fois, il s'agit de confier à l'Ofii des tâches d'information – et la massification des recours.
Je le répète, les recours devant le juge judiciaire ont augmenté de 30 % en deux ans. Cette évolution est tout à fait spectaculaire et s'accompagne d'une trajectoire similaire concernant les procédures d'éloignement et le contentieux porté devant le juge administratif. Je n'exposerai pas de nouveau l'argumentaire que j'ai développé précédemment.
Pour l'ensemble de ces raisons, et parce qu'elle souhaite que le débat se tienne, la commission émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Carole Ciuntu, pour explication de vote.
Mme Marie-Carole Ciuntu. Nous pouvons ne pas avoir le même avis, chers collègues. Toutefois, depuis le début de ce débat, vous avez peu d'arguments factuels à nous opposer. (Mme Corinne Narassiguin proteste.)
Monsieur Brossat, je vous invite à citer les propos que nous avons réellement tenus ; ils sont d'ailleurs faciles à vérifier. En ce qui me concerne, je n'ai jamais affirmé dans Paris Match les mots que vous me prêtez !
M. Ian Brossat. Je sais lire, comme vous !
Mme Marie-Carole Ciuntu. Il est totalement inutile d'inventer des propos pour essayer d'apporter de l'eau à votre moulin. Même les mots que vous avez cités ne me paraissent pas discréditer la suite de nos échanges.
J'ai écouté attentivement l'intervention de M. Benarroche. Il estime que le travail des associations est indispensable et qu'elles seules sont capables d'intervenir au sein des CRA. Ainsi, ni l'Ofii, ni les avocats, ni l'État ne seraient dignes de confiance.
Vous nous reprochez d'être les seuls, de ce côté de l'hémicycle, à faire de la politique, contrairement à vous. Pourtant, votre démarche est totalement politique et n'a rien de juridique !
M. Guy Benarroche. Rien de juridique dans ce texte non plus…
Mme Marie-Carole Ciuntu. Je ne sais que vous répondre, sinon que je suis du même avis que le rapporteur et le ministre. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 3, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 267 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l'adoption | 100 |
Contre | 243 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Sophie Briante Guillemont. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, l'article L. 744-9 du Ceseda dispose que « [l]'étranger maintenu en rétention bénéficie d'actions d'accueil, d'information et de soutien, pour permettre l'exercice effectif de ses droits et préparer son départ ».
Intuitivement, sans connaître dans le détail le droit des étrangers, on pourrait parfaitement se dire que cette mission est assurée par un organisme public, tel que l'Ofii. Ce n'est pas le cas et cette proposition de loi, juridiquement améliorée en commission, traite précisément de ce sujet.
Dans le système actuel, ce sont les associations, choisies dans le cadre d'un marché public, qui assurent la première partie de l'information, analysent la situation personnelle du demandeur, le conseillent juridiquement, rédigent le recours et, le cas échéant, la demande d'aide juridictionnelle.
Puis, ces associations passent le relais à l'avocat, qui se charge surtout de représenter son client devant les juridictions compétentes avec, il est vrai, une maîtrise inégale des dossiers. Sa rémunération peut être couverte par l'AJ depuis la loi du 10 juillet 1991.
Dans le texte issu des travaux de la commission des lois, le système proposé est tout autre. Les associations disparaissent et il reviendrait désormais à l'Ofii de donner le premier degré d'information sur leurs droits aux personnes retenues au sein des CRA.
L'Ofii est déjà présent dans les centres de rétention administrative. Distribuer aux personnes retenues une documentation basique sur leurs droits, en plusieurs langues, ne semble pas une charge très lourde. La direction de l'Ofii a d'ailleurs assuré au rapporteur qu'elle était prête à le faire.
Après cette phase d'information, nous passerions directement à la mise en relation avec l'avocat. Celui-ci ferait alors l'analyse particulière et personnelle de la situation, rédigerait les recours potentiels et représenterait son client devant le juge. C'est là que le système proposé devient problématique.
Le rapporteur a commencé par relever la faiblesse actuelle de l'aide juridictionnelle. Il faudrait donc avant tout savoir si le Gouvernement est prêt à la revaloriser.
En effet, aucun avocat, s'il n'a pas une conviction profonde de l'intérêt de ce qu'il réalise – donc s'il n'est pas lui-même un peu militant –, ne voudra assurer le conseil et la défense d'une personne retenue administrativement, car ce n'est pas intéressant sur le plan financier.
Surtout, ce texte me pose vraiment problème en ce qu'il traduit une profonde méconnaissance du fonctionnement concret de l'accès au droit.
Le droit des étrangers est un contentieux aride, technique et particulier. Pour le maîtriser correctement, il faut avoir de la pratique. A minima, il faudrait inclure le droit des étrangers dans la formation obligatoire des avocats et demander à chacun de faire des stages dans des permanences juridiques.
Ceux qui possèdent l'expertise technique aujourd'hui, ce sont non pas les avocats, sauf pour une minorité d'entre eux, mais les associations. Ce sont elles qui, depuis des dizaines d'années, ont développé cette expertise qui appelle une disponibilité et une présence très importante.
Cette proposition de loi, qui ne repose sur aucune étude d'impact, part du principe que les associations conseillent mal et qu'elles sont à l'origine de l'augmentation massive du nombre de recours contre les OQTF : c'est faux !
Les membres de ces associations sont des juristes. Ainsi, ils ont bien plus tendance à conseiller correctement la personne retenue en fonction des chances qu'aura le recours d'aboutir et sont beaucoup plus réticents à former un recours inutile, tout simplement parce qu'ils connaissent mieux la matière.
Pour évaluer la qualité du travail des associations, il faut se référer à un chiffre important, celui du taux d'acceptation des recours introduits contre une décision de l'administration. Je ne reviendrai pas sur ce sujet, qui a déjà été évoqué. On ne peut pas dire que les associations fassent n'importe quoi : les chiffres montrent au contraire que leur intervention est pertinente.
Le système adopté par la commission des lois respecte en théorie les droits de la défense des étrangers en situation irrégulière, mais pas en pratique.
Évincer du jour au lendemain les associations qui disposent d'une expertise en droit des étrangers provoquerait un bouleversement immense. La date choisie pour reporter l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions, soit le 1er janvier 2026, ne saurait suffire ni pour former à temps tous les avocats ni pour que les juristes des associations passent leur certificat d'aptitude à la profession d'avocat (Capa).
Pour les comptes publics, il n'est pas du tout certain que cette formule soit plus économique, bien au contraire. Je vous invite à regarder la rémunération des intervenants des associations ; dans certains cas, ils sont simplement bénévoles.
Je comprends que l'on s'interroge sur la place des associations, mais la réalité est qu'on ne peut pas faire sans elles aujourd'hui.
Par ailleurs, penser que les membres de ces associations sont tous des militants politiques est une grave erreur. Veillons à ne pas faire de généralisations : ce sont surtout des personnes confrontées tous les jours au désespoir d'êtres humains, qui, pour partie, n'ont commis aucun délit, si ce n'est de vouloir vivre en France.
Aujourd'hui, un quart des personnes retenues au sein des CRA sortent directement de prison. Mais quid du trouble à l'ordre public que vous évoquiez, monsieur le ministre ? J'aimerais que vous puissiez apporter des détails sur ce sujet, qui demeure pour le moins flou.
Les personnes qui interviennent au sein des CRA méritent toute notre considération.
Adopter cette proposition de loi, c'est, à l'heure actuelle, accepter un considérable recul de l'accès au droit des étrangers en France. Parce que mon groupe est profondément humaniste et républicain, il ne la votera pas ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST, SER et CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d'abord féliciter l'auteure de la proposition de loi, qui est aussi rapporteure spéciale de la commission des finances. Pour rappel, le rapport de la Cour des comptes, qui sert en partie à étayer le présent texte, a été élaboré à la demande de notre commission des finances, après les observations particulièrement pertinentes de Mme Ciuntu.
Je tiens également à adresser mes sincères félicitations au rapporteur de la commission des lois. La valeur n'attend pas le nombre des semaines dans cet hémicycle. Je vois dans son travail un signe d'efficacité de notre Basse-Normandie. (Sourires.)
Passons au fond du texte. La proposition de loi qui nous est ici présentée ne supprime aucun droit. Elle vise simplement à transférer un certain nombre d'opérations et de missions à l'Ofii. La description qui en a été faite par certains de nos collègues ne semble pas conforme au texte.
Celui-ci constitue un premier pas vers une amélioration des conditions de lisibilité. La Cour des comptes a mis en lumière un certain nombre de dérives. Elle rappelle ainsi que l'assistance juridique est définie dans un cahier des clauses techniques particulières, issue d'un marché public national piloté par la direction générale des étrangers en France (DGEF). L'assistance juridique porte sur l'analyse de la situation de la personne retenue, le conseil et l'orientation, l'aide à la rédaction des demandes et des recours et la mise en contact avec des avocats.
La réalité est plus confuse, comme l'a rappelé le rapporteur. Les avocats interviennent de moins en moins au sein des CRA, en particulier au moment de la rédaction des recours. Il n'est pas rare qu'ils se présentent devant une juridiction avec des recours prédigérés, sans même en avoir pris connaissance.
Le rapporteur a également évoqué des recours formés pour le compte d'étrangers retenus, sans que ceux-ci en aient été informés.
M. Guy Benarroche. C'est faux !
Mme Nathalie Goulet. Je ne dis pas que c'est systématiquement le cas, mais ce sont des choses qui arrivent. (M. Guy Benarroche proteste.) Nous ne serons pas d'accord sur ce texte clivant, cher collègue : we agree to disagree.
Je compte sur mon groupe, qui est profondément républicain et humaniste, et absolument en accord avec le texte proposé. (Mme Marie-Carole Ciuntu applaudit.)
Nous préférons que les gens dangereux soient renvoyés dans leur pays, que les CRA soient bien utilisés et que les missions concernées soient transférées à l'Ofii. C'est notre choix et c'est celui de la proposition de loi qui vous est soumise avec une force tranquille, sans énervement ni excès. J'y insiste, le texte ne va pas plus loin qu'un transfert de mission : vous ne pouvez lui reprocher d'en faire davantage.
Le rapporteur comme la Cour des comptes relèvent des manquements à l'obligation de neutralité. Nous en avions d'ailleurs parlé lors du débat budgétaire. Le 2 décembre dernier, j'avais déposé des amendements visant à diminuer les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », dans l'espoir que les missions des associations soient mieux contrôlées.
La commission des lois devait lancer une mission flash sur cette question. Il n'y a aucun problème à vouloir contrôler l'argent public quand il est confié à des associations.
Les chiffres sont tout de même impressionnants : plus de 1 milliard d'euros sont alloués aux associations et l'aide juridictionnelle représente un coût total de 7 millions d'euros.
M. Guy Benarroche. Le milliard d'euros, c'est avec l'hébergement !
Mme Nathalie Goulet. Il n'est pas question de supprimer cette aide, cher collègue. Encore une fois, nous ne serons pas d'accord sur ce texte, que je continuerai de soutenir.
Je profiterai du temps qu'il me reste pour parler de phénomènes connexes, dont celui du trafic d'êtres humains et de migrants, qui est devenu un véritable business. Le montant du blanchiment d'argent en ce domaine est désormais compris entre 5 milliards et 7 milliards d'euros.
Le 7 février dernier, le ministre de l'intérieur et le ministre des comptes publics ont signé avec Tracfin un accord pour contrôler et mieux suivre les filières de blanchiment d'argent. C'est une action extrêmement importante, qui s'effectuera en amont du dispositif que nous sommes en train d'examiner.
En effet, si nous asséchons les filières, moins d'individus se trouveront en situation irrégulière et nous aurons réglé un certain nombre de questions.
J'appelle votre attention sur l'arrestation, il y a quelques semaines, à la frontière entre la Pologne et l'Allemagne, de passeurs syriens, afghans et iraniens. Elle a permis de remonter la filière et de déterminer la provenance des fonds servant à alimenter ce trafic. Sur les 531 millions d'euros ainsi identifiés, 31 millions d'euros ont été versés au Hezbollah et 10 millions au Djihad islamique.
Je ne vais pas passer le reste de mon intervention à radoter et à invoquer éternellement les mêmes chiffres. Je vous propose de travailler sur les questions d'asile et d'immigration – nous pourrons ainsi assécher les filières d'immigration irrégulières, qui sont extrêmement importantes – et de poursuivre l'action engagée avec Tracfin.
En outre, il conviendrait que la commission des lois lance la mission flash que nous avions demandée, en complément du rapport de la commission des finances.
Il ne nous a pas échappé que la Cour des comptes, dans un excès de pudeur, ou par manque de moyens, n'a pas fait l'évaluation de la performance des programmes. Ainsi, il faudrait que nous complétions le rapport de la Cour, qui est un pur état des lieux, par un rapport sur la performance des associations. Nous serons ainsi encore plus contents de voter ce texte ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marianne Margaté.