Sommaire
Présidence de Mme Sylvie Robert
Secrétaires :
M. Fabien Genet, Mme Véronique Guillotin.
1. Professionnels de santé des services d’incendie et de secours. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
Mme Françoise Dumont, rapporteure de la commission des lois
Texte élaboré par la commission
Amendement n° 2 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 1 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme Françoise Dumont, rapporteure
2. Accueil et information des personnes retenues. – Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme Marie-Carole Ciuntu, auteure de la proposition de loi
M. David Margueritte, rapporteur de la commission des lois
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 4 de Mme Corinne Narassiguin. – Rejet.
Amendement n° 11 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption de l’article.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Suspension et reprise de la séance
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Renvoi de la suite de la discussion.
Suspension et reprise de la séance
3. Amélioration de l’accès aux soins dans les territoires. – Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. Philippe Mouiller, auteur de la proposition de loi
Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
4. Accueil et information des personnes retenues. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. Bruno Belin, vice-président de la commission des finances
La proposition de loi est déclarée recevable.
Adoption, par scrutin public n° 268, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet
5. Amélioration de l’accès aux soins dans les territoires. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 90 rectifié bis de Mme Annie Le Houerou. – Rejet.
Amendement n° 55 de Mme Céline Brulin. – Rejet.
Amendement n° 117 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 120 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 28 rectifié de M. Daniel Chasseing. – Retrait.
Amendement n° 7 rectifié de Mme Laurence Muller-Bronn. – Rejet.
Amendement n° 78 rectifié bis de Mme Anne-Sophie Romagny. – Adoption.
Amendement n° 83 rectifié de M. Bernard Jomier. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 6 rectifié de Mme Laurence Muller-Bronn. – Rejet.
Amendement n° 91 rectifié de Mme Annie Le Houerou. – Rectification.
Amendement n° 91 rectifié bis de Mme Annie Le Houerou. – Rejet.
Amendement n° 36 rectifié de M. Daniel Chasseing. – Retrait.
Amendement n° 49 rectifié de M. Vincent Louault. – Rejet.
Amendement n° 121 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 103 rectifié bis de M. Jean-Luc Fichet. – Rejet par scrutin public n° 269.
Amendement n° 68 de Mme Céline Brulin. – Rejet par scrutin public n° 270.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Sylvie Robert
vice-présidente
Secrétaires :
M. Fabien Genet,
Mme Véronique Guillotin.
1
Professionnels de santé des services d’incendie et de secours
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à l’organisation et aux missions des professionnels de santé, vétérinaires, psychothérapeutes et psychologues professionnels et volontaires des services d’incendie et de secours (proposition n° 413, texte de la commission n° 579, rapport n° 578).
La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.
La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, chère Muriel Jourda, madame la rapporteure, chère Françoise Dumont, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de commencer l’examen de ce texte, mes premières pensées, vous l’imaginez bien, vont au sapeur-pompier volontaire qui a été grièvement blessé samedi dernier à Évian-les-Bains, ainsi qu’à ses collègues qui ont été agressés dimanche soir à Saint-Cergues en Haute-Savoie.
Je condamne avec la plus grande fermeté ces actes de violence inacceptables et je veux vous assurer de mon engagement, aux côtés de l’ensemble du Gouvernement, pour ne laisser aucun répit à ceux qui s’en prennent à ceux qui nous protègent, viennent à notre secours et prennent soin de nous.
Mesdames, messieurs les sénateurs, un objectif commun nous rassemble autour de ce texte : reconnaître l’action essentielle menée partout en France par les services d’incendie et de secours, notamment – tel est du reste l’objet de ce texte – par les professionnels de santé qui s’y engagent.
Permettez-moi de saluer le travail parlementaire transpartisan qui a été mené sur ce texte, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.
Je pense tout d’abord aux échanges extrêmement constructifs que nous avons eus avec son auteur et rapporteur à l’Assemblée nationale, le député Jean-Carles Grelier, pour préciser et affiner les dispositions initiales de la proposition de loi, travail que nous avons parachevé au Sénat en commission des lois la semaine dernière. Je tiens à souligner la qualité de nos échanges et à remercier la rapporteure Françoise Dumont de son engagement.
Au terme de ce travail, le présent texte constitue un progrès pour les professionnels de santé sapeurs-pompiers. Il reconnaît en effet leur exercice polyvalent, ainsi que, surtout, le cadre spécifique de la médecine d’urgence, qui doit être préservé.
Un important travail d’écoute a également été mené, pour prendre en compte le point de vue et les aspirations des pompiers, des urgentistes, des médecins et des infirmiers. Le Sénat a non seulement une expertise très fine des sujets, mais, dans un esprit de coopération, il se montre toujours très attentif à la recherche d’équilibres.
Je salue également votre choix de la procédure de législation en commission, qui nous permet d’aboutir rapidement, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je m’en réjouis, car, comme vous l’aurez compris, je souscris pleinement aux dispositions de ce texte. Celui-ci est d’autant plus important que le développement des missions de secours d’urgence aux personnes exercées par les sapeurs-pompiers a renforcé leurs liens avec le système de santé, tout particulièrement avec les services des urgences. Ces missions de secours aux personnes sont aujourd’hui devenues prédominantes, si bien qu’elles constituent plus de 80 % de l’activité quotidienne des sapeurs-pompiers.
Dans le respect des missions, des compétences et des périmètres de chacun, je suis donc résolument attaché à construire, avec les « blancs » comme avec les « rouges », les déterminants d’une collaboration toujours plus efficace et fluide au service de la santé et de la sécurité de nos concitoyens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’aborde ce texte en tant que ministre de la santé, mais aussi et surtout en tant que ministre des professionnels de santé, y compris de ceux qui exercent au sein des Sdis, les services départementaux d’incendie et de secours.
Cette proposition de loi permet de reconnaître et de valoriser les soignants et les médecins, mais aussi tous les autres professionnels de santé qui s’engagent dans le corps des sapeurs-pompiers. L’inscription dans la loi d’une telle reconnaissance me paraît salutaire.
En tant qu’élu local, j’ai eu l’occasion de participer à de nombreuses cérémonies de la Sainte-Barbe et de rendre hommage au courage et au dévouement des pompiers. Je suis heureux de le faire aujourd’hui en tant que ministre de la santé.
En effet, l’on entend parfois qu’il existerait de fortes tensions entre les « blancs » et les « rouges ». Ce que je constate, ce dont vous êtes les premiers témoins dans vos départements et ce que le travail sur cette proposition de loi a montré, c’est toutefois que, dans la grande majorité de territoires, cette articulation s’opère bien, les sapeurs-pompiers et les urgentistes travaillant en bonne intelligence et en pleine coopération.
La réalité, je tiens à le souligner, est d’abord celle-ci : le métier de pompier, comme les métiers des soignants, est fait d’engagement et d’altruisme. Il est guidé par un objectif que, sur l’ensemble des travées de cet hémicycle, vous partagez avec moi, mesdames, messieurs les sénateurs, à savoir venir en aide et porter secours, au quotidien, à toutes celles et à tous ceux qui en ont besoin.
Je souhaite donc que ce texte soit avant tout le vecteur d’une meilleure articulation entre les professionnels des services d’aide médicale urgente (Samu) et ceux du secours et de l’aide aux personnes que sont les Sdis. Il doit nous permettre d’avancer en précisant et en clarifiant les déterminants de la coopération entre les Sdis et les Samu.
Comme je l’ai indiqué d’emblée, ce travail doit être mené dans le respect des missions, des compétences et des périmètres de chacun. C’est du reste à cette seule condition que la coordination entre Sdis et Samu, entre pompiers et urgentistes, sera véritablement efficace au service de nos concitoyens.
En commission, vous m’avez interrogé sur l’instauration du numéro unique d’urgence, le 112, pour remplacer le 15, le 18 et le 17.
Dans ma région Auvergne-Rhône-Alpes, comme dans d’autres, l’expérimentation prévue par la loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, se met en place, non sans difficulté. Le ministère de la santé s’est pleinement mobilisé pour tester et évaluer différents scénarios dont nous devons désormais tirer tous les enseignements, notamment en termes de limites opérationnelles constatées sur le terrain.
Si je suis évidemment favorable à une plus grande collaboration entre les Samu et les Sdis, notamment au travers de plateformes communes, j’estime que ces rapprochements ne doivent jamais s’opérer au prix de l’efficacité de la réponse apportée aux patients et aux victimes.
Le numéro unique est une idée séduisante sur le papier, mais elle impose une rupture organisationnelle majeure. Sur ce sujet, comme sur tous les autres, je n’ai pas de position idéologique. Le cœur de notre responsabilité, c’est de garantir une réponse rapide, adaptée et sécurisée à chaque appel urgent.
Or, force est de le constater, les conditions ne sont pas réunies aujourd’hui pour aller beaucoup plus loin sur ce sujet. Il faut poursuivre les expérimentations. Je souhaite que l’on avance là où c’est utile et faisable, c’est-à-dire sur les plateformes communes, notamment colocalisées, qui réunissent pompiers et urgentistes, ou encore sur l’interconnexion sans fusion des systèmes d’appels.
Sans attendre la fin de l’expérimentation prévue par la loi Matras, il nous faut lancer une mission d’évaluation relative aux plateformes communes existantes, afin de lever tous les freins au développement de ces dernières.
Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de m’arrêter un instant pour rendre hommage aux urgentistes et aux professionnels des urgences, comme j’ai rendu hommage aux sapeurs-pompiers soignants. Je tiens à saluer leur rôle, au quotidien, dans les services d’urgence, ainsi que leur mobilisation dans la gestion des tensions hospitalières, notamment hivernales ; cette année encore, les services d’urgence ont été en première ligne au cours de cette période.
Nous aurons encore besoin de leur engagement durant la période sensible de l’été, qui se profile avec le retour des beaux jours. Les services commencent déjà à l’anticiper.
Ces tensions affectent aussi les sapeurs-pompiers, qui font face parfois à des temps d’attente anormalement longs aux urgences lorsqu’ils y amènent un patient.
Je me réjouis donc que le travail effectué en bonne intelligence sur ce texte ait notamment permis de clarifier et d’expliciter les possibilités d’exercice pluriel des médecins des Sdis en matière de soins, de médecine d’aptitude et de médecine du travail, dans la limite des compétences acquises par la formation ou dans le cadre de coopérations entre professionnels de santé.
En tant que ministre d’un écosystème de métiers aussi riche que divers, je veille à prendre en compte de telles limites, car il ne faut jamais opposer les professions entre elles. Nous devons au contraire nous attacher à faire progresser chacune dans son champ d’expertise comme dans ses missions communes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous savez comme moi combien nous avons besoin, dans nos territoires, de la mobilisation de l’ensemble de nos acteurs. C’est à cette seule condition que nous pourrons garantir à chacun de nos concitoyens qui en a besoin une réponse efficace et coordonnée, le jour comme la nuit.
Je le répète sans cesse, il faut travailler ensemble : la ville avec l’hôpital, tous les soignants les uns avec les autres et les services d’urgence avec les services d’incendie et de secours. En tant que ministre, en tant que praticien hospitalier et en tant qu’élu local, je souhaite que nous puissions adopter ce texte, que j’envisage comme un véritable catalyseur de l’engagement des professionnels du secours sur le terrain.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Françoise Dumont, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’aborder la discussion du texte qui nous réunit ce jour, je souhaite exprimer toute ma solidarité et adresser tous mes vœux de bon rétablissement au sapeur-pompier volontaire grièvement blessé à la suite d’une attaque innommable samedi dernier en Haute-Savoie.
Je ne doute pas que l’ensemble de cet hémicycle se joint à moi pour l’assurer, ainsi que sa famille et ses collègues de la caserne d’Évian-les-Bains, de notre plus sincère soutien.
Triste hasard du calendrier, nous sommes réunis cette après-midi pour examiner la proposition de loi de notre collègue député Jean-Carles Grelier relative aux conditions d’exercice des professionnels de santé dans les services d’incendie et de secours. Adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 6 mars dernier, ce texte a été modifié, puis adopté par la commission des lois de notre assemblée la semaine dernière, selon la procédure de législation en commission.
Il n’est nul besoin de rappeler que l’amélioration des conditions de travail des sapeurs-pompiers constitue un point d’attention particulier de notre assemblée, comme en atteste l’adoption, il y a tout juste deux mois, de la proposition de nos collègues Émilienne Poumirol et Anne-Marie Nédélec visant à garantir le suivi de l’exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.
Quelque 13 000 sapeurs-pompiers exercent aujourd’hui les fonctions de médecin, de pharmacien, d’infirmiers ou encore de psychologues dans nos Sdis. Parmi eux, les médecins des sapeurs-pompiers sont amenés à exercer des missions plurielles, parmi lesquelles les soins aux victimes et aux sapeurs-pompiers, la médecine d’aptitude aux sapeurs-pompiers, ainsi que la médecine de prévention pour l’ensemble des agents des Sdis.
Les dispositions législatives et réglementaires en vigueur, ainsi que les obligations déontologiques imposées par l’ordre des médecins s’opposent pourtant à l’exercice cumulatif, par un même médecin et à l’égard d’un même patient, de ces différentes missions.
En toute rigueur, les Sdis devraient ainsi recruter autant de médecins que le fonctionnement du service requiert de spécialités.
Or cette exigence est tout simplement irréaliste au regard des contraintes financières qui pèsent sur les services d’incendie et de secours. Elle est en décalage avec la rareté des professionnels de santé sur l’ensemble du territoire et elle ne tient pas compte du fait que la pluralité des missions exercées par les médecins des sapeurs-pompiers constitue précisément l’un des motifs d’attractivité incitant les professionnels à s’engager.
La présente proposition de loi découle ainsi d’un constat simple, celui d’un décalage entre l’exercice des missions des médecins des sapeurs-pompiers, d’une part, et le cadre normatif régissant cet exercice, d’autre part.
Ce texte a donc pour objectif premier de lever la contrainte normative qui empêche aujourd’hui l’exercice, par un même médecin, de la médecine de soins, d’aptitude et de prévention dans son Sdis. L’article 1er dote à cette fin d’une base législative l’exercice pluriel de missions par les médecins des sapeurs-pompiers.
La commission des lois a salué cette mesure comme une disposition de bon sens, attendue de longue date. Elle a précisé les missions des médecins s’agissant de la participation au secours d’urgence et au concours médical urgent, afin de conforter l’articulation opérationnelle entre les sapeurs-pompiers et les urgentistes.
Il va de soi que ces médecins doivent, au préalable, valider une formation spécifique. Il reviendra donc au pouvoir réglementaire de préciser le contenu des formations en question, ainsi que leurs modalités d’évaluation – ce que prévoit le texte adopté par la commission.
Au-delà des médecins, le texte vise à consacrer dans la loi les missions dévolues aux pharmaciens, aux cadres de santé, aux infirmiers, aux psychothérapeutes, aux psychologues et aux vétérinaires des services d’incendie et de secours. La commission a admis cette consécration législative, en considérant qu’elle permettait de clarifier le périmètre d’intervention de chacune de ces professions de santé.
Par ailleurs, dans un souci de clarté et de lisibilité du droit, la commission a regroupé l’ensemble des dispositions relatives aux professionnels de santé des Sdis au sein d’un même nouveau chapitre du code de la sécurité intérieure. C’est pourquoi les dispositions de l’article 2 ont été intégrées dans l’article 1er.
La commission n’a pas jugé pertinent de créer un nouveau cadre d’emploi des personnels de santé des services d’incendie et de secours, tels que le prévoyait l’article 3 du texte adopté par l’Assemblée nationale.
Cette disposition aurait entraîné la fusion de l’ensemble des cadres d’emplois actuels des différentes professions de santé des sapeurs-pompiers professionnels au sein d’un cadre d’emploi unique, ce qui aurait soulevé des questions statutaires complexes. La commission a donc maintenu la suppression, votée par l’Assemblée nationale, de cet article.
La précision de la composition des sous-directions santé des Sdis au sein du code général des collectivités territoriales a été admise par la commission. Il lui a toutefois semblé préférable de revenir à la dénomination, consacrée par la loi Matras, de sous-direction santé, dénomination que les acteurs du secteur se sont appropriée entre-temps.
La commission a par ailleurs veillé à renforcer le caractère opérationnel du texte proposé. Elle a ainsi supprimé les deux articles prévoyant la remise de rapports au Parlement, ainsi que l’article 7 bis, l’organisation de campagnes d’information sur les professions de santé dans les services d’incendie et de secours n’ayant nullement besoin d’une assise législative.
La commission a en outre supprimé l’article 6 de la proposition de loi. Celui-ci prévoyait en effet des dérogations non justifiées, puisque le droit en vigueur permet d’ores et déjà aux militaires du service de santé des armées d’effectuer un détachement qui pourra être suivi d’une intégration au sein de l’ensemble de la fonction publique, notamment au sein des sous-directions santé des services d’incendie et de secours.
La commission n’en souscrit pas moins à l’objectif de favoriser la mobilité des personnels de santé du service de santé des armées.
Plus largement, il convient de répondre aux difficultés de recrutement auxquelles font face les Sdis, en particulier au déficit d’attractivité dont souffrent les métiers de la santé en leur sein. Ce point devra faire l’objet d’une attention toute particulière du Gouvernement dans le cadre du Beauvau de la sécurité civile.
Mes chers collègues, si elle ne résout pas tout, cette proposition de loi apporte une clarification juridique bienvenue à l’exercice des missions des professionnels de santé de nos sapeurs-pompiers. La commission des lois vous propose donc de l’adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et RDPI. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative aux missions des professionnels de santé, vétérinaires, psychothérapeutes et psychologues des services d’incendie et de secours
Article 1er
Après le chapitre II du titre II du livre VII du code de la sécurité intérieure, il est inséré un chapitre II bis ainsi rédigé :
« CHAPITRE II BIS
« Professionnels de santé, vétérinaires, psychothérapeutes et psychologues des services d’incendie et de secours
« Art. L. 722-2. – Les médecins de sapeurs-pompiers exercent les missions suivantes :
« 1° Les secours et les soins d’urgence aux personnes dans le cadre des missions des services d’incendie et de secours définies à l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales ainsi que le concours à l’aide médicale urgente ;
« 2° Les actes médicaux de diagnostic et de soins à l’égard des sapeurs-pompiers, des réservistes et des agents du service d’incendie et de secours ;
« 2° bis La médecine d’aptitude et la médecine de prévention à l’égard des sapeurs-pompiers, des réservistes et des agents du service d’incendie et de secours ;
« 2° ter (Supprimé)
« 2° quater L’expertise, l’enseignement et la recherche dans les domaines de la santé, du secours et des soins d’urgence aux personnes relatifs aux services d’incendie et de secours ;
« 2° quinquies La participation aux missions de direction, d’encadrement, de mise en œuvre, d’évaluation ou de conseil qu’impliquent leurs fonctions ;
« 3° (Supprimé)
« Ces médecins restent soumis aux règles professionnelles et déontologiques qui leur sont applicables, à l’exception de celle relative à l’exercice exclusif de leur qualification.
« Leurs compétences peuvent faire l’objet d’une délégation de tâches aux infirmiers de sapeurs-pompiers dans des conditions définies par décret.
« Les modalités de l’exercice des missions des médecins de sapeurs-pompiers sont définies par décret. Le contenu et les modalités d’évaluation des formations relatives à ces missions sont définis par arrêté conjoint des ministres chargés de la sécurité civile, de la fonction publique et de la santé.
« Art. L. 722-3 (nouveau). – Les pharmaciens de sapeurs-pompiers peuvent participer aux opérations de secours dans le cadre des missions des services d’incendie et de secours définies à l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales. Ils assurent la conception, l’encadrement, la mise en œuvre, l’évaluation et l’inspection des activités relatives aux pharmacies à usage intérieur des services d’incendie et de secours. Ils peuvent intervenir en matière d’hygiène et de risques nucléaires, radiologiques, biologiques, bactériologiques, chimiques et explosifs.
« Ils exercent leurs compétences dans le respect de leurs règles professionnelles et déontologiques.
« Art. L. 722-4 (nouveau). – Les infirmiers et les cadres de santé de sapeurs-pompiers contribuent aux secours et soins d’urgence aux personnes dans le cadre des missions des services d’incendie et de secours définies à l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales.
« Les infirmiers de sapeurs-pompiers exercent des tâches liées à l’hygiène ainsi qu’à la médecine d’aptitude et de prévention des sapeurs-pompiers, des réservistes et des agents des services d’incendie et de secours.
« Les cadres de santé de sapeurs-pompiers dirigent et coordonnent les activités des infirmiers de sapeurs-pompiers engagés dans toutes les missions dévolues aux services d’incendie et de secours et celles des personnels participant à l’activité de leurs services.
« Les infirmiers et les cadres de santé de sapeurs-pompiers exercent leurs compétences dans le respect de leurs règles professionnelles et déontologiques.
« Art. L. 722-5 (nouveau). – Les psychothérapeutes et les psychologues de sapeurs-pompiers participent aux soins et à la prévention. Ils contribuent au soutien psychologique des sapeurs-pompiers. Ils réalisent des bilans et des examens psychologiques.
« Art. L. 722-6 (nouveau). – Les vétérinaires de sapeurs-pompiers peuvent intervenir en matière d’hygiène, d’épizootie, de risques sanitaires d’origine animale ou biologique et de suivi médical des équipes cynotechniques.
« Les vétérinaires de sapeurs-pompiers exercent la médecine vétérinaire dans le respect de leurs règles professionnelles et déontologiques.
« Art. L. 722-7 (nouveau). – Les autres professionnels de santé peuvent être engagés en qualité d’experts de sapeurs-pompiers afin de participer aux missions de la sous-direction santé des services d’incendie et de secours, dans la limite et le respect de leurs règles professionnelles.
« Art. L. 722-8 (nouveau). – Les missions définies aux articles L. 722-3 à L. 722-7 sont précisées par décret. »
Articles 2 et 2 bis
(Supprimés)
Article 3
Le chapitre IV du titre II du livre IV de la première partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° A (Supprimé)
1° La sous-section 3 de la section 2 est complétée par un paragraphe 4 ainsi rédigé :
« Paragraphe 4
« La sous-direction santé
« Art. L. 1424-34. – La sous-direction santé comprend notamment des médecins, des pharmaciens, des cadres de santé, des infirmiers, des psychothérapeutes, des psychologues, des vétérinaires et des professionnels de santé experts de sapeurs-pompiers qui exercent leurs fonctions dans les services d’incendie et de secours au sein d’équipes pluridisciplinaires. » ;
2° et 3° (Supprimés)
Articles 4 et 5
(Suppressions conformes)
Article 6
(Supprimé)
Article 7
La présente loi est applicable aux personnels de santé civils de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris et du bataillon de marins-pompiers de Marseille.
Article 7 bis A (nouveau) (réservé)
Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa de l’article L. 765-1, les mots : « n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions » sont remplacés par les mots : « n° … du … relative aux missions des professionnels de santé, vétérinaires, psychothérapeutes et psychologues des services d’incendie et de secours » ;
2° Après le 7° de l’article L. 765-2, il est inséré un 7° bis ainsi rédigé :
« 7° bis Aux articles L. 722-2 à L. 722-4, la référence : “L. 1424-2” est remplacée par la référence : “L. 1852-2” ; »
3° L’article L. 766-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions » sont remplacés par les mots : « n° … du … relative aux missions des professionnels de santé, vétérinaires, psychothérapeutes et psychologues des services d’incendie et de secours » ;
b) Au troisième alinéa, la référence : « L. 722-1 » est remplacée par la référence : « L. 722-8 » ;
4° Après le 7° de l’article L. 766-2, il est inséré un 7° bis ainsi rédigé :
« 7° bis Aux articles L. 722-2 à L. 722-4, les mots : “L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales” sont remplacés par les mots : “26 de l’ordonnance n° 2006-172 du 15 février 2006 portant actualisation et adaptation du droit applicable en matière de sécurité civile en Nouvelle-Calédonie” ; ».
Articles 7 bis et 7 ter
(Supprimés)
Article 8
(Conforme) (Réservé)
La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que, en application de l’article 47 quater, alinéa 1, de notre règlement, seuls sont recevables en séance les amendements visant à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec une autre disposition du texte en discussion, avec d’autres textes en cours d’examen ou avec les textes en vigueur ou à procéder à la correction d’une erreur matérielle.
Nous allons à présent examiner les amendements du Gouvernement et de la commission.
article 7 bis a
Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par Mme Dumont, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéas 5 à 9
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Françoise Dumont, rapporteure. Cet amendement de coordination vise à prendre en compte le transfert de la compétence sécurité civile à la Nouvelle-Calédonie par la loi du 20 janvier 2012.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. J’avais émis un avis défavorable sur un amendement similaire présenté en commission, car son objet incluait également la Polynésie française. Lors des travaux de la commission, la sénatrice Lana Tetuanui ayant rappelé avec tact qu’il n’y avait pas de Sdis en Polynésie française, la mention de ce territoire a toutefois été retirée du dispositif.
Le transfert de compétence en Nouvelle-Calédonie rend bien inopérante l’inclusion de la compétence sécurité civile dans les dispositions visées par ce texte.
J’émets donc un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Dumont, rapporteure. Avis favorable, madame la présidente.
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je vais donner la parole à un représentant par groupe, pour explication de vote.
La parole est à Mme Solanges Nadille, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Mme Solanges Nadille. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que les situations d’urgence exigent chaque jour une mobilisation rapide et coordonnée, le terrible accident de la route survenu le 8 mai dernier à Baie-Mahault, en Guadeloupe, rappelle avec force l’importance de nos services de secours. Cinq de nos jeunes y ont perdu la vie, tandis qu’un blessé grave lutte encore contre la mort.
Le samedi 10 mai, c’est un pompier qui a été grièvement blessé lors d’un rodéo urbain à Évian-les-Bains, en Haute-Savoie. Il est toujours entre la vie et la mort.
Je tiens à exprimer tout mon soutien aux familles et aux proches de ces victimes.
Je salue l’intervention exemplaire des équipes des Sdis de Guadeloupe et de Haute-Savoie, mobilisées avec professionnalisme et courage. Ces drames mettent une nouvelle fois en lumière le rôle essentiel que jouent ces femmes et ces hommes au service de nos concitoyens.
C’est dans ce contexte où les acteurs de terrain méritent toute notre confiance que nous examinons aujourd’hui cette proposition de loi attendue par la profession. Ce texte vise à améliorer l’organisation des missions des professionnels de santé, des vétérinaires, des psychothérapeutes et des psychologues, qu’ils soient volontaires ou professionnels, exerçant au sein des services d’incendie et de secours (SIS).
Ces personnels appartiennent aux services de santé et de secours médical qui interviennent dans les trois domaines clés que sont les soins d’urgence apportés aux victimes et aux sapeurs-pompiers, la médecine d’aptitude et la médecine de prévention pour tous les agents des Sdis.
Aujourd’hui, aucun cadre juridique clair ne reconnaît officiellement cette polyvalence. De manière paradoxale, voire limitante, les textes actuels empêchent en principe qu’un seul médecin ne cumule ces fonctions, ce qui reviendrait à obliger les Sdis à recruter un médecin par spécialité.
La proposition de loi du député Jean-Carles Grelier, adoptée le 6 mars dernier par l’Assemblée nationale, permet enfin de sécuriser l’exercice de ces missions multiples par un même professionnel. Il s’agit de mettre le droit en phase avec la réalité du terrain.
La commission des lois du Sénat a soutenu cette approche. Elle a simplifié ce texte pour le recentrer sur l’essentiel et l’a adopté selon la procédure de législation en commission, en présence du ministre de la santé.
Ce texte apporte par ailleurs une réponse à la baisse inquiétante du nombre des médecins des sapeurs-pompiers. En dix ans, le nombre de médecins volontaires a chuté de 20 % et celui des professionnels de 4 %, alors que les effectifs globaux continuaient d’augmenter, si bien que l’on compte aujourd’hui près de 240 000 sapeurs-pompiers, dont plus de 40 000 professionnels.
Tandis que les moyens médicaux internes diminuent, les besoins grandissent. Il faut inverser cette tendance !
Cette proposition de loi offre une reconnaissance statutaire adaptée, plus claire, plus cohérente et surtout plus attractive aux médecins des Sdis. En répondant à un besoin partagé sur le terrain et relayé par le Sénat, elle s’inscrit dans un objectif auquel nous souscrivons tous : protéger ceux qui nous protègent.
Je tiens à remercier l’auteur du texte, ainsi que notre rapporteure, de leur travail rigoureux et utile.
Convaincu qu’elle apporte une réponse claire et nécessaire aux professionnels de santé engagés dans les centres d’incendie et de secours, le groupe RDPI votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors même que les services de santé et de secours médical jouent un rôle fondamental dans la prise en charge des victimes et le soutien des sapeurs-pompiers, les activités dont nous débattons sont relativement méconnues du grand public.
S’il est souvent discret, l’engagement de ces professionnels en tant que médecins, infirmiers, pharmaciens, psychologues ou vétérinaires est pourtant essentiel pour la santé des sapeurs-pompiers et la qualité de notre réponse collective aux situations d’urgence.
Afin d’illustrer la charge qui leur revient, permettez-moi de citer quelques-unes de leurs missions : surveillance de la condition physique des sapeurs-pompiers ; exercice de la médecine professionnelle et d’aptitude des sapeurs-pompiers professionnels et de la médecine d’aptitude des sapeurs-pompiers volontaires ; conseil en matière de médecine préventive, d’hygiène et de sécurité ; soutien sanitaire des interventions des services d’incendie et de secours et soins d’urgence aux sapeurs-pompiers ; participation à la formation des sapeurs-pompiers au secours et aux soins d’urgence aux personnes ; enfin, surveillance de l’état de l’équipement médico-secouriste du service.
En entendant cette liste de missions, on s’étonne que ce corps de métier ne soit pas mieux connu de la population. Cette méconnaissance explique d’ailleurs peut-être que, à ce jour, les bases juridiques de l’activité de ces soignants soient aussi fragiles. Comme cela a été rappelé, les dispositions en vigueur s’opposent en effet à l’exercice cumulatif, par un même médecin et à l’égard des mêmes patients, de ces différentes missions.
C’est à cette anomalie que la proposition de loi de notre collègue député Grelier entend remédier.
Cette contradiction juridique ne reflète ni l’urgence des interventions ni les contraintes humaines et budgétaires qui pèsent sur les Sdis. Ce flou doit donc être levé en consacrant et en consolidant juridiquement l’exercice de la médecine d’aptitude, de prévention et de soins d’urgence par un même médecin.
Cette disposition de bon sens, déjà appliquée dans les faits, entérine la polyvalence de ces professionnels et rapproche leur statut de celui des médecins des armées, dont les missions croisées ne soulèvent pas de problème juridique.
Le législateur a le devoir d’accompagner cette réalité, non pas en empilant les normes, mais en clarifiant le cadre d’action. En la matière, le Sénat a pleinement joué son rôle. La commission des lois a resserré le texte sur ses objectifs essentiels. Elle a veillé à sa lisibilité et rejeté des dispositions inopportunes. Je tiens du reste à saluer le travail de notre commission, en particulier de notre rapporteure Françoise Dumont, ainsi que celui des services du Sénat.
Ce texte comprend des dispositions techniques qui appellent une grande rigueur. S’il ne résout pas tous les problèmes, il constitue une première étape. Pour parvenir à de véritables avancées, il nous faudra aller plus loin, que ce soit sur l’attractivité de ces métiers, sur les conditions de travail, sur la rémunération ou sur la formation initiale et continue.
Nous le savons, le nombre de médecins sapeurs-pompiers, en particulier volontaires, ne cesse de diminuer. Le phénomène est d’autant plus préoccupant que les services d’incendie et de secours font face à des défis croissants : dérèglement climatique, vieillissement de la population, désertification médicale, exposition accrue aux risques toxiques et psychologiques…
Ce texte répond donc à des difficultés réelles, qui sont particulièrement aiguës dans les zones rurales et les territoires périphériques, où les professionnels de santé manquent cruellement. Dans bien des départements, les services d’incendie et de secours constituent l’un des derniers maillons d’une médecine de proximité encore accessible.
Mes chers collègues, dans une société où l’engagement volontaire est de plus en plus rare, où les métiers de la santé sont en tension, où l’exigence d’efficacité se heurte aux réalités humaines, ce texte apporte une pierre utile à l’édifice.
Notre groupe le votera à l’unanimité.
Enfin, j’exprime ma solidarité et mon soutien au pompier qui a été agressé dans l’exercice de ses fonctions le week-end dernier. Un tel acte est inacceptable. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et GEST. – Mmes Émilienne Poumirol et Isabelle Florennes applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Paul Toussaint Parigi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom de mon groupe, je veux à mon tour apporter un soutien sans faille aux pompiers qui ont été agressés et blessés ce week-end. Je leur souhaite un prompt rétablissement.
Nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur une proposition de loi répondant, au-delà de sa technicité, à une attente forte et légitime des acteurs de la sécurité civile et de la santé.
En effet, notre modèle de sécurité civile est confronté à de multiples défis. Je pense à l’augmentation du nombre d’interventions et à la diversification des risques, en particulier l’exposition accrue aux risques sanitaires et psychosociaux, sans oublier les attentes légitimes de reconnaissance de la part des professionnels et des volontaires qui s’engagent avec dévouement.
Si l’on peut saluer la progression du nombre des sapeurs-pompiers, la majorité de leur effectif reste composée de volontaires, dont les missions ne cessent de se diversifier et de s’intensifier. Les difficultés de recrutement des professionnels de santé au sein des Sdis, auxquelles se conjugue l’émergence de nouveaux risques, rendent indispensable et urgent l’adaptation de notre cadre législatif et réglementaire.
Trop longtemps, les médecins des services d’incendie et de secours ont exercé dans une insécurité juridique manifeste, corsetés par des dispositions fragmentées et bien souvent inadaptées. Empêcher un médecin de cumuler des missions de soins, d’aptitude et de prévention revient non seulement à méconnaître la spécificité de son engagement, mais aussi à ignorer les contraintes humaines et budgétaires actuelles. Nos territoires ruraux étant victimes de la désertification médicale et du vieillissement de la population, ces contraintes y sont, hélas ! encore plus prégnantes.
Face à cette urgence, ce texte clarifie, modernise et valorise les missions des professionnels de santé, des vétérinaires, des psychothérapeutes et des psychologues qui exercent au sein des services d’incendie et de secours, que ce soit de manière professionnelle ou bénévolement. En reconnaissant et en sécurisant juridiquement l’exercice cumulatif des missions dévolues aux médecins sapeurs-pompiers, il fait évoluer un cadre réglementaire qui interdisait théoriquement ce que la réalité de terrain imposait chaque jour.
En autorisant ces médecins à exercer de manière polyvalente, nous leur permettons de déployer toute l’étendue de leur expertise au service de notre sécurité collective. Plus largement, il était crucial de reconnaître la contribution inestimable de ces hommes et de ces femmes qui, dans l’ombre, assurent des missions aussi diverses que primordiales, de la médecine de soins aux interventions d’urgence, en passant par la prévention et la formation.
En gravant dans le marbre législatif leurs attributions, cette proposition de loi leur accorde enfin la reconnaissance qu’ils méritent. Elle érige en symbole notre gratitude commune envers ceux qui s’engagent sans relâche au service de tous les citoyens.
La flexibilité organisationnelle qu’autorise ce texte était une réponse nécessaire et attendue, dans un contexte où chaque geste pour sauver des vies compte.
Par ailleurs, je tiens à souligner un aspect non moins significatif de cette proposition de loi : l’intégration des militaires du service de santé des armées au sein des services d’incendie et de secours. Cette mesure, que nous avons tous saluée, enrichit la diversité et la compétence des équipes pluridisciplinaires. Ce faisant, elle consolide la robustesse des dispositifs de secours.
Enfin, nous ne saurions ignorer la dimension humaine de cette réforme, qui améliore la prévention des risques psychosociaux. Nos discussions ont su mettre en exergue la nécessité de protéger ceux qui nous protègent, en leur garantissant un environnement de travail sain.
Vous l’aurez compris, notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi, dont nous sommes convaincus qu’elle constitue une avancée majeure pour la sécurité civile et la santé publique.
Nous serons toutefois attentifs à la mise en œuvre des dispositions prévues, notamment en ce qui concerne la formation, la prévention des risques psychosociaux et la valorisation du volontariat.
De plus, dans le cadre du Beauvau de la sécurité civile, nous souhaitons que le Gouvernement trouve, avec les organisations professionnelles et les acteurs de terrain avec lesquels il sera amené à dialoguer, des réponses adaptées à l’indispensable montée en compétences des personnels, au renforcement de l’attractivité des métiers et à la valorisation des carrières.
En votant pour cette proposition de loi répondant à l’impérieuse nécessité d’adapter notre droit aux défis opérationnels de notre temps, notre groupe choisit de faire confiance à l’intelligence du terrain et à la loyauté des professionnels. Nous votons pour la cohérence, pour l’efficience et pour la reconnaissance du rôle irremplaçable de nos services de santé et de secours médical. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI et GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a quelques semaines, nous examinions la proposition de loi de nos collègues Émilienne Poumirol et Anne-Marie Nédélec visant à garantir le suivi de l’exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.
Nos sapeurs-pompiers, professionnels comme volontaires, font face à de nombreux enjeux. Nous nous félicitons que la représentation nationale en traite un certain nombre. Il est en effet indispensable d’améliorer le sort de ceux qui nous protègent au quotidien.
En cet instant, je veux moi aussi avoir une pensée pour le sapeur-pompier volontaire de Haute-Savoie qui a été percuté par un automobiliste, alors qu’il tentait, avec ses collègues, de faire cesser un rodéo.
Au-delà de cette actualité dramatique, nous devons être conscients de l’ampleur de la diversification des missions des sapeurs-pompiers, professionnels comme volontaires. Ceux-ci doivent en effet souvent pallier l’affaiblissement de certains de nos services publics.
La proposition de loi de notre collègue député Jean-Carles Grelier, qui a pour objet de reconnaître la polyvalence des médecins des sapeurs-pompiers, s’inscrit pleinement dans ce contexte. Il s’agit à la fois de sécuriser juridiquement les personnels de santé volontaires et professionnels exerçant dans nos Sdis et, surtout, d’améliorer l’attractivité de ces métiers. Nous y souscrivons et nous la voterons.
De même, nous nous associons aux remarques de Mme la rapporteure : si cette proposition de loi apporte une clarification juridique bienvenue à l’exercice des missions des professionnels de santé des sapeurs-pompiers, il convient de revaloriser les rémunérations de ces derniers, faute de quoi nous ne résoudrons pas les problèmes d’attractivité.
Le nombre de médecins sapeurs-pompiers professionnels et volontaires est passé de 4 484 à 3 492 en moins de dix ans. Au-delà du manque d’attractivité que je viens d’évoquer, cette tendance est sans doute aussi un effet collatéral de la démographie médicale actuelle de la France.
L’aggravation de la désertification médicale laisse en effet peu de latitude aux professionnels de santé exerçant dans des territoires sous-dotés pour s’engager au sein des Sdis. Mais j’anticipe peut-être d’autres débats que nous aurons, monsieur le ministre, au cours des prochaines heures…
La proposition de loi prévoyait initialement de créer un cadre d’emploi unique pour les médecins, infirmiers, pharmaciens, psychologues, vétérinaires et cadres de santé des services départementaux d’incendie et de secours.
Cette option a finalement été écartée, car 95 % d’entre eux sont des volontaires, soit une proportion plus importante encore que pour l’ensemble des effectifs de sapeurs-pompiers. Désormais, le texte rapproche les cadres d’emplois pour faciliter la mobilité, tout en préservant la spécificité des volontaires exerçant au sein des Sdis.
Il est intéressant de constater que les services d’incendie et de secours reposent moins que les autres services de soins de notre pays sur une organisation en silo, fondée sur la spécialisation, pour ne pas dire la surspécialisation. En effet, les professionnels et les volontaires des Sdis pratiquent une médecine plurielle et polyvalente, à contre-courant des discours de ceux qui défendent leur pré carré en laissant entendre qu’il n’y aurait aucune solution de rechange à ce modèle. Je livre cet élément à notre réflexion collective, mais, encore une fois, je devance sans doute de futurs débats.
Je l’ai dit, notre groupe votera ce texte, mais je veux profiter de cette discussion générale pour relayer les interpellations des sapeurs-pompiers professionnels au sujet de la baisse de l’indemnisation des fonctionnaires en arrêt maladie, qui est passée de 100 % à 90 %. Cette mesure, décidée par le Gouvernement lors de l’examen du dernier projet de loi de finances et soutenue par la majorité sénatoriale, affecte tant le traitement de base que le régime indemnitaire de l’ensemble des agents de la fonction publique.
Les conséquences sont particulièrement lourdes pour les agents des Sdis, dont la rémunération est composée majoritairement de primes. Il est pour le moins contradictoire de promouvoir des mesures censées améliorer l’attractivité de certains emplois tout en en adoptant d’autres qui la font reculer…
Dans le même esprit, je ne peux pas ne pas revenir sur l’augmentation du taux de cotisation à la Caisse nationale des retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Cette décision affecte les Sdis dès cette année et aura des répercussions en 2026, en 2027 et en 2028. Là encore, une telle mesure me semble contradictoire avec notre volonté commune de déployer des moyens en faveur de nos services d’incendie et de secours. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
M. Ronan Dantec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, comme les orateurs précédents, de commencer cette intervention en ayant une pensée pour le pompier volontaire qui a été grièvement blessé ce week-end.
Le texte que nous examinons aujourd’hui constitue un pas important vers la reconnaissance de l’engagement des professionnels de santé au sein des services d’incendie et de secours et de la complexité de leur mission. Il prend acte de la nécessité de mieux structurer et sécuriser l’exercice de leurs fonctions. En effet, il existe un véritable décalage, pour reprendre le terme de Mme la rapporteure, entre l’urgence de la réalité et le cadre normatif actuel, qui est totalement inadapté.
Aussi saluons-nous la création d’un cadre juridique spécifique pour les professionnels de santé des services d’incendies et de secours, inspiré du modèle des praticiens militaires. Cette clarification statutaire est essentielle, car elle reconnaît enfin la polyvalence des missions exercées par ces femmes et ces hommes, à la croisée du soin, de la prévention, de l’urgence et de l’expertise. Ce faisant, elle les sécurise d’un point de vue juridique.
Nous saluons l’effort de précision porté par les articles 1er et 2, qui encadrent les rôles des médecins, infirmiers, pharmaciens, vétérinaires, psychologues et cadres de santé. Cette reconnaissance explicite constitue également un premier levier pour susciter l’engagement dans les services d’incendie et de secours, dans une période où celui-ci est en net recul. Comme l’a relevé ma collègue du groupe RDPI, le nombre des médecins volontaires a diminué de 20 % en dix ans.
Toutefois, je dois me faire l’écho de l’intervention précédente : si le texte pose un cadre, il n’apporte pas les moyens nécessaires. Or c’est là que réside le cœur du problème.
Aussi bienvenus que soient les rapports supplémentaires prévus à l’article 2 bis sur les risques psychosociaux auxquels sont exposés les agents des services d’incendie et de secours, nous n’en avons pas besoin pour savoir que l’accroissement des interventions, la baisse des effectifs, la stagnation des budgets et la dégradation des conditions de travail ont des conséquences directes en la matière.
Nous avons surtout besoin de nouveaux moyens de recrutement, de formation et de reconnaissance financière. À quoi bon lancer des campagnes d’information pour inciter les professionnels de santé à s’engager au sein des services d’incendie et de secours si les conditions d’exercice sont de plus en plus dissuasives ? Si le nombre des missions continue d’augmenter et que les moyens ne suivent pas, le risque est grand que ces campagnes ne restent lettre morte. La volonté politique qui est aujourd’hui affichée devra donc se vérifier dans le prochain projet de loi de finances.
Les services d’incendie et de secours font face à des défis immenses : vieillissement des effectifs ; recrudescence des agressions, comme nous l’avons vu ce week-end ; exposition accrue aux produits toxiques ; nouveaux risques liés aux catastrophes climatiques ou technologiques. L’adaptation aux changements climatiques va également devenir un enjeu majeur pour les services d’incendie et de secours.
Mon groupe et moi-même plaidons donc pour accorder davantage de moyens structurels aux services d’incendie et de secours, dont le socle de financement par les collectivités doit être revu. En effet, ils sont largement financés par les départements, qui sont à bout de souffle du point de vue financier.
De même, nous appelons à la reconnaissance de la pénibilité de ces métiers, notamment par leur intégration dans les tableaux de maladies professionnelles, ainsi qu’à un véritable plan de recrutement et de formation du personnel de santé présent dans les services d’incendie et de secours, afin de maintenir un haut niveau de qualité et de disponibilité.
Par ailleurs, nous tenons à souligner la place croissante des femmes dans les services de santé et de secours médicaux – elles représentent 57 % des effectifs – et à rappeler que valoriser ces métiers, c’est aussi lutter pour l’égalité professionnelle.
Cela dit, je répète que ce texte va dans le bon sens, même s’il ne constitue qu’une étape et non une réponse globale. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en sa faveur, mais il restera mobilisé pour obtenir les moyens que mérite ce service public d’intérêt vital.
Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE et RDPI.)
Mme Émilienne Poumirol. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux à mon tour m’associer au soutien que vous avez apporté au sapeur-pompier volontaire grièvement blessé samedi dernier lors d’un rodéo urbain. Nous pensons bien sûr à sa famille et à ses collègues.
Après avoir légiféré mercredi dernier en commission, nous devons désormais entériner les dispositions contenues dans cette proposition de loi, qui a le mérite de mettre en lumière les enjeux du cadre d’emploi des professionnels de santé des Sdis.
Le modèle de sécurité civile français est construit autour d’une organisation partagée entre l’État et les collectivités territoriales. Les sapeurs-pompiers des Sdis, établissements publics administratifs autonomes, assurent au quotidien des missions de secours toujours plus nombreuses, malgré la clarification de leur champ d’intervention effectuée par la loi Matras en novembre 2021.
Si l’on peut se réjouir de l’augmentation constante du nombre de sapeurs-pompiers volontaires et professionnels – ils sont actuellement 252 700 –, leurs missions reposent en grande partie sur les 197 000 sapeurs-pompiers volontaires. Ces derniers sont accompagnés de nombreux personnels soignants, qui ne représentent toutefois que 4 % des emplois au sein des Sdis : 3 724 médecins, 7 843 infirmiers, 564 pharmaciens, 306 vétérinaires, 347 psychologues et 86 cadres de santé.
Ces personnels de santé interviennent aussi bien auprès des victimes prises en charge par les sapeurs-pompiers qu’auprès des sapeurs-pompiers eux-mêmes. Aussi, l’ambition de cette proposition de loi de sécuriser le cadre d’emploi en le formalisant dans le code de la sécurité intérieure représente une reconnaissance concrète de leur mission.
Il convient de saluer cette amélioration, et je vous remercie, madame la rapporteure, d’avoir clarifié certaines dispositions de cette proposition de loi par vos amendements de réécriture, ce qui garantit une plus grande cohérence et davantage de sûreté juridique.
Si la polyvalence de ces professionnels doit être reconnue, c’est bien sûr sous réserve d’une formation adéquate à l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers. Une telle condition me semble de nature à rassurer à la fois l’ordre des médecins, qui s’oppose à cette polyvalence, mais aussi les collèges d’enseignement de médecine du travail. Cela répondrait à leur crainte que les médecins pompiers ainsi formés ne viennent empiéter sur la médecine du travail, dans l’industrie ou ailleurs.
En effet, l’attractivité du métier ou de la fonction de sapeur-pompier médecin, professionnel ou volontaire, vient notamment de ce que ceux qui les occupent sont amenés à exercer des missions diverses ; vous l’avez rappelé, madame la rapporteure, s’ils prodiguent des soins d’urgence ou de pré-urgence, ils remplissent également des missions d’aptitude et de prévention. Mais elle est également liée à la rémunération, dont il faut bien reconnaître qu’elle n’est pas à la hauteur des missions assumées par les Sdis, d’où la difficulté extrême à recruter de nouveaux médecins.
Monsieur le ministre, je sais que la réponse ne saurait résider dans cette proposition de loi. Mais j’espère que le Beauvau de la sécurité civile sera l’occasion de traiter cette difficulté majeure, car il est temps de reconnaître et de valoriser l’ensemble des professionnels de santé des Sdis.
En commission comme lors de la discussion générale, vous avez appelé à une meilleure coopération entre le Samu et les Sdis, monsieur le ministre. Il est nécessaire de mettre fin à cette fameuse guerre entre les « rouges » et les « blancs » et de clarifier le rôle et les missions de chacun.
Dans mon département, j’ai eu la chance de signer dès 2016 une convention entre le Samu et le Sdis, grâce à laquelle nous avons clarifié le degré des urgences – urgence absolue, urgence relative, absence d’urgence –, ce qui a contenu le nombre d’interventions. Ainsi, depuis dix ans, le nombre d’interventions en Haute-Garonne reste autour de 56 000 par an, alors que la population augmente de 15 000 à 20 000 habitants chaque année.
Je tiens vraiment à souligner l’excellente entente qui règne entre les deux services dans mon département, car j’en suis très fière. Ensemble, nous apportons une réponse mieux coordonnée et plus cohérente, donc plus efficace.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué le sujet du 112. Pour avoir visité une plateforme à Reus, en Espagne, et le centre du 911 à Boston, aux États-Unis, je vous garantis que nous gagnerions en efficacité et diminuerions les dépenses en adoptant un tel système. Le délai de décroché dans ces deux pays est extrêmement court et le tri rapide, ce qui limite les prises en charge tardives de patients. Les plateformes associent même la police.
Enfin, je ne saurais conclure sans vous rappeler, monsieur le ministre, le problème de la reconnaissance des cancers imputables à la toxicité des fumées.
Mme la rapporteure a évoqué tout à l’heure la proposition de loi que nous avons votée il y a deux mois. Nous attendons toujours le rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) qu’avait alors promis la ministre de la santé. Nous souhaitons que ce sujet avance rapidement.
En tout état de cause, et parce qu’elle comporte des avancées juridiques réelles, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera en faveur de cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Joshua Hochart, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Joshua Hochart. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos sapeurs-pompiers incarnent une certaine idée de la France : celle du courage, du dévouement, de la proximité avec nos compatriotes. Ils sont au cœur de la Nation, et leurs missions n’ont cessé de se diversifier au fil des années. Face à cette réalité, il est plus que temps que les professionnels de santé qui les accompagnent soient reconnus à leur juste valeur.
Je souhaite ici avoir une pensée particulière pour Niccolo Scardi, sapeur-pompier volontaire à Évian-les-Bains, qui a été gravement blessé après avoir été renversé par un délinquant lors d’un rodéo urbain.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui crée un cadre d’emploi spécifique pour les personnels de santé, qui, au sein des Sdis, assurent des fonctions vitales. Ces médecins, infirmiers, pharmaciens et psychologues sont indispensables au bon fonctionnement de nos services d’incendie et de secours. Pourtant, leur statut reste flou, leur engagement est sous-évalué et leur avenir demeure incertain.
Comment accepter qu’un infirmier ou un pharmacien de sapeurs-pompiers, qui s’engage sur des dizaines d’interventions chaque mois, dans des conditions souvent difficiles, le fasse sans reconnaissance statutaire, sans cadre juridique clair et sans perspectives d’évolution ? Ces professionnels ne demandent ni privilèges ni faveurs. Ils veulent un cadre clair, une reconnaissance à la hauteur de leur mission et des conditions de travail adaptées à leurs responsabilités.
Contrairement à certaines idées reçues, les professionnels de santé des Sdis ne font pas concurrence aux services hospitaliers, et encore moins au Samu. Ils leur sont complémentaires, et leur rôle est précieux, notamment dans les zones rurales, où leur réactivité fait souvent la différence face à une urgence vitale. Leur présence assure un maillage territorial efficace, dans un contexte de recul des structures de soins.
Le département du Nord, en particulier le Sdis 59, connaît bien cette réalité. Permettez-moi, monsieur le ministre, une petite parenthèse pour vous alerter de nouveau sur la situation préoccupante des infirmiers de sapeurs-pompiers volontaires du Nord, avec lesquels j’étais encore ce matin à l’occasion de la journée départementale de leur association.
Alors même que l’utilité des secours infirmiers n’est plus à prouver, le Sdis du Nord, qui a pourtant été un pionnier en matière de secours paramédicalisé il y a dix ans, a récemment supprimé deux véhicules légers infirmiers et un véhicule de soutien sanitaire.
Dans un département déjà confronté à une mortalité plus élevée que la moyenne nationale, cette décision fragilise l’accès aux soins d’urgence, notamment pour les habitants de Denain et Douai, mais aussi pour les sapeurs-pompiers, qui sont désormais privés de soutien médical lorsqu’ils interviennent dans le bassin minier. À ce jour, le conseil d’administration du Sdis reste muet et refuse le dialogue.
Cette proposition de loi marque un premier pas en posant les bases d’un cadre d’emploi spécifique attendu de longue date. Elle clarifie les missions des soignants des Sdis et renforce leur attractivité.
Pour autant, ce texte ne saurait être une fin en soi. Il devra s’inscrire dans une réforme plus large de notre sécurité civile, qui a besoin de davantage de moyens, d’une meilleure coopération et d’un financement adapté aux besoins du terrain.
Ainsi, mes chers collègues, par cohérence avec mon engagement constant pour la reconnaissance des acteurs de terrain, je voterai en faveur de cette proposition de loi, tout en restant attentif à sa mise en œuvre concrète, en particulier dans nos départements les plus exposés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, risquer sa vie pour celle des autres, voilà ce que font chaque jour les hommes et les femmes qui s’engagent dans les services départementaux d’incendie et de secours. Nous saluons leur courage et leur engagement dans la protection des personnes et des biens.
Aux côtés des 43 000 sapeurs-pompiers professionnels et des 199 000 sapeurs-pompiers volontaires, on trouve les personnels de santé des Sdis, médecins, infirmiers, pharmaciens, psychologues ou encore vétérinaires.
En pratique, les médecins des Sdis exercent une double mission : ils viennent en aide aux victimes et assurent un rôle de médecine du travail, de prévention et de médecine d’urgence auprès des pompiers eux-mêmes. Pourtant, le cadre juridique en vigueur ne les autorise pas à exercer ces différentes missions simultanément.
Pour respecter la loi, les Sdis devraient donc en principe recruter des médecins pour la prévention, d’autres pour l’aptitude et d’autres encore pour la médecine d’urgence. C’est bien sûr totalement impossible.
En effet, le manque de médecins est une réalité – nous en parlerons d’ailleurs longuement cette semaine, au cours des débats sur la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires –, que nous connaissons tous et qui s’observe partout, y compris au sein des Sdis, dont l’effectif des médecins a lourdement chuté : en dix ans, le nombre des médecins volontaires, qui représentent 95 % de l’effectif des personnels de santé, a diminué de 20 %.
Par ailleurs, il est très peu probable que les Sdis aient les capacités financières nécessaires pour assurer le recrutement d’autant de médecins.
Ainsi, cette proposition de loi a pour objet de rectifier le cadre juridique, pour qu’il autorise le cumul de ces missions par un même médecin. Elle a également vocation à consacrer dans la loi le rôle et les missions de tous les professionnels de santé des services d’incendie et de secours, qui sont actuellement presque uniquement définis par voie réglementaire.
À l’instar de la proposition de loi sur la profession d’infirmier qui a été adoptée la semaine dernière au Sénat, ce texte offrira à tous les personnels de santé, professionnels et bénévoles, la reconnaissance qu’ils méritent.
Je me réjouis que les psychothérapeutes des Sdis aient été intégrés au texte à l’Assemblée nationale. Leur rôle au côté des psychologues est absolument fondamental. Dans mon département, le Nord, quatorze pompiers se sont suicidés au cours des quatre dernières années.
En France, 1 500 agressions ont été recensées en 2024, soit 3 % de plus qu’en 2023. Hier encore, en Haute-Savoie, des sapeurs-pompiers ont été agressés. L’un d’entre eux est toujours entre la vie et la mort ; nous lui souhaitons le meilleur rétablissement possible. Qu’ils soient tous assurés, ainsi que leurs proches, de notre soutien.
Les pompiers sont confrontés à des risques psychosociaux particuliers et doivent bénéficier d’un réel accompagnement psychologique. Je rappelle ce chiffre effrayant : les agressions contre les sapeurs-pompiers ont augmenté de 380 % en quinze ans !
En commission, nous avons été particulièrement attentifs au débat sur l’amendement visant à supprimer le conditionnement de l’exercice d’un médecin à la validation d’une formation adaptée. La difficulté à trouver un médecin en Sdis est telle qu’ajouter des exigences particulières à son recrutement peut sembler un luxe. Toutefois, s’agissant de questions médicales parfois vitales, il est essentiel que les professionnels de santé qui interviennent soient les mieux formés possible.
Vous l’avez dit, monsieur le ministre, il est préférable de compter sur le terrain un infirmier anesthésiste ayant l’habitude d’intuber des patients qu’un médecin biologiste qui ne pratique jamais cet acte. Aussi, le but d’une telle mesure était non pas de rigidifier les pratiques, mais de les sécuriser, afin de donner le maximum de chances aux personnes secourues. Ce débat a mis en évidence le difficile équilibre que nous nous efforçons toujours de trouver entre sécurité et souplesse des normes.
Cela dit, la suppression de cette mesure ne nous empêchera évidemment pas de voter ce texte, qui contient des modifications nécessaires au bon exercice des missions essentielles assurées par les Sdis. Il est indispensable de sécuriser l’action des personnels de santé et de reconnaître l’importance de leur rôle en le consacrant sur le plan législatif. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Somon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à saluer les efforts déployés par Mme la présidente de notre commission des lois, Muriel Jourda, ainsi que par Mme la rapporteure, Françoise Dumont, en faveur de l’amélioration des conditions de travail des personnes qui assurent les services de santé et de secours médical pour les services d’incendie et de secours (SIS).
Pour soutenir ces missions essentielles à la sécurité des Français, Mmes Dumont et Jourda ont travaillé sur la base de la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par notre collègue député Jean-Carles Grelier.
Les services de secours et d’incendie ont vocation à secourir et à protéger les personnes, les biens et l’environnement. Ils doivent en outre lutter contre les périls et les conséquences d’événements et de phénomènes de toute nature – inondations, pollutions, incendies, accidents de la route, etc.
Les équipes concernées accomplissent un travail considérable, qui suppose un engagement quotidien et mérite toute notre reconnaissance. Ces femmes et ces hommes risquent parfois leur vie. Nous exprimons notre soutien et notre compassion à tous ceux qui, parmi eux, paient le lourd tribut de leur esprit de sacrifice. Je pense bien sûr, en particulier, au sapeur-pompier grièvement blessé en Haute-Savoie hier au soir.
Le présent texte ne permet pas de répondre au déficit d’attractivité dont souffrent aujourd’hui les métiers de santé au sein des SIS. Mais il dote d’une base légale l’exercice cumulatif, par les médecins de sapeurs-pompiers, de la médecine de soins, de la médecine d’aptitude et de la médecine de prévention.
Les divers ajustements législatifs dont il s’agit et leur justification ont été rappelés par les orateurs précédents. Je n’y reviendrai donc pas.
Le Sénat a veillé à la lisibilité et au caractère opérationnel du présent texte, pour sécuriser au mieux l’exercice cumulatif des missions des médecins de sapeurs-pompiers.
Quel que soit leur territoire, les Français et leurs élus locaux attendent une meilleure réponse aux besoins de sécurité et de santé. Or les nombreuses missions des sous-directions santé des services d’incendie et de secours sont aujourd’hui régies par des dispositions réglementaires, ce qui en soi pose problème.
En outre, les médecins pompiers ne peuvent, en l’état, exercer leurs différentes attributions de manière cumulative, ce qui soulève des difficultés pratiques évidentes : un SIS devrait recruter autant de médecins que de spécialités correspondantes…
L’article 1er met un terme à cette incohérence, en s’alignant sur le dispositif applicable aux médecins du service de santé des armées. Ces dispositions permettent, de surcroît, de redonner la main au législateur.
Leur champ d’application est étendu aux missions dévolues aux pharmaciens, aux infirmiers, aux psychologues et aux vétérinaires sapeurs-pompiers, dont les compétences sont de plus en plus nécessaires : les demandes de nos concitoyens en témoignent. Chacun peut souligner le professionnalisme de ces acteurs, dont la variété des compétences est si précieuse.
Je remercie également mes collègues de la commission des lois d’avoir veillé à la qualité rédactionnelle du dispositif : ils ont su réécrire le présent texte de manière pragmatique, en le simplifiant et en le clarifiant.
Je sais combien le président de notre assemblée est attentif à la qualité de la norme, dont le Sénat doit être le garant, qu’il s’agisse de la distinction entre les domaines réglementaire et législatif ou encore de la limitation des régimes dérogatoires au droit, dont nous devons toujours évaluer la pertinence.
La préservation de notre modèle de sécurité civile et la protection des personnels sont des nécessités. Il en est de même de l’évolution organisationnelle des services : ces derniers doivent sans cesse acquérir de nouvelles compétences, qu’elles soient sanitaires, territoriales ou sociales, et faire face à de nouvelles situations particulières.
Les recrutements sont eux aussi appelés à évoluer. Je pense notamment aux évaluations d’aptitude indispensables au sein des services départementaux d’incendie et de secours, qu’il convient de différencier selon les fonctions exercées. Le présent texte répond partiellement aux difficultés déplorées dans ce domaine. Comme l’a précisé Mme la rapporteure, les réflexions dédiées à cette thématique devront être poursuivies dans le cadre du Beauvau de la sécurité.
Bien sûr, ce texte ne saurait répondre à toutes les difficultés de recrutement auxquels font face les SIS. Mais, à nos yeux, il constitue une amélioration pour les personnels de santé des Sdis et permettra une meilleure présence médicale auprès des sapeurs-pompiers.
Mes chers collègues, les membres du groupe Les Républicains vous invitent donc à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDSE. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi relative à l’organisation et aux missions des professionnels de santé, vétérinaires, psychothérapeutes et psychologues professionnels et volontaires des services d’incendie et de secours.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Françoise Dumont, rapporteure. Mes chers collègues, je tiens à saluer la belle unanimité dont a bénéficié cette proposition de loi. Cruellement éprouvée ces jours derniers, la communauté des sapeurs-pompiers vous en saura gré, j’en suis sûre.
Grâce au présent texte, nous allons mettre fin à une incohérence qui était devenue tout à fait injustifiable sur le terrain.
Mes chers collègues, je vous remercie sincèrement du travail que nous venons d’accomplir. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je m’associe naturellement aux propos de Françoise Dumont.
Je salue le travail accompli par Jean-Carles Grelier, puis par ses collègues députés, ainsi que par Mme la rapporteure et Mme la présidente de votre commission des lois. Il me semble que nous avons œuvré efficacement dans l’intérêt de la prise en charge des patients dans nos territoires.
Chacun peut le constater : les rôles et les missions des sapeurs-pompiers connaissent aujourd’hui de fortes évolutions. Le présent texte permettra de s’adapter à ces réalités. Je pense en particulier aux professionnels de santé, qui, au-delà de leur métier, choisissent de devenir sapeurs-pompiers, parfois en tant que bénévoles.
Je salue également l’excellente coordination assurée, toujours dans l’intérêt des malades, entre les Samu, d’une part, et, de l’autre, les services départementaux d’incendie et de secours – ou, comme on peut le dire familièrement, entre les « blancs » et les « rouges ».
Cette excellente collaboration, que nous observons tous dans nos territoires, est véritablement gage d’efficience. Elle permet de gérer nombre de situations difficiles. Elle fait gagner un temps précieux, dont dépend le pronostic lui-même dans les situations d’urgence, qu’il s’agisse d’infarctus, d’arrêts cardiaques, d’accidents vasculaires ou encore de traumas particulièrement graves.
La présente proposition de loi constitue, à ce titre, une avancée significative pour la collaboration des forces vives de nos territoires, en faveur de l’accès aux soins de nos concitoyens.
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Accueil et information des personnes retenues
Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à confier à l’Office français de l’immigration et de l’intégration certaines tâches d’accueil et d’information des personnes retenues, présentée par Mme Marie-Carole Ciuntu (proposition n° 472, texte de la commission n° 594 rectifié, rapport n° 593).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Carole Ciuntu, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
Mme Marie-Carole Ciuntu, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai l’honneur de soumettre aux suffrages de la Haute Assemblée et que quatre-vingt-seize d’entre nous ont cosignée, traduit la volonté de redonner à notre pays la maîtrise de sa politique migratoire. Il s’agit, à cet égard, d’une contribution parmi d’autres.
Le présent texte porte sur un point précis : la mission d’information et d’assistance juridique assurée dans les centres de rétention administrative (CRA).
L’État a délégué cette mission à certaines associations. À mon sens, il doit désormais l’exercer lui-même, en s’appuyant sur les moyens réels et sur les compétences reconnues dont dispose l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii).
Ce sont aujourd’hui cinq associations qui, dans le cadre d’un marché public divisé en lots et lancé par l’État, sont présentes dans les centres de rétention pour exercer la mission d’assistance juridique auprès des personnes retenues ou en attente.
Lors de la création des CRA en 1984, la Cimade se trouvait en situation de monopole. Depuis 2008, ce monopole a pris fin et cinq associations sont actuellement réparties dans les vingt-cinq CRA, à raison d’une association par centre. La Cimade a toutefois bénéficié de la rémunération la plus importante en vertu des marchés couvrant la période de 2021 à 2024 – M. le ministre nous en dira peut-être davantage au sujet du dernier marché en date.
L’État a donc choisi de déléguer au secteur associatif cette mission, qui lui incombe pleinement. Mais il pouvait tout aussi bien la confier à d’autres opérateurs qu’à des associations, ou encore l’exercer directement. Désormais, la question est la suivante : les associations peuvent-elles conserver ce rôle sans entraver la politique de l’État lui-même ?
Les CRA ont vocation à maintenir dans des lieux fermés les étrangers en situation irrégulière faisant l’objet d’une décision d’éloignement, dans l’attente d’un retour dans leur pays d’origine, afin d’éviter une installation sur le territoire français. Suivant les orientations du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), la grande majorité des étrangers retenus représentent une menace pour l’ordre public, en plus d’être en situation irrégulière en France.
Chacun a le droit d’assurer sa défense : ce point n’est pas contestable pour les personnes retenues. À cette fin, l’État finance des associations qui ne sont généralement pas neutres. Certaines d’entre elles s’opposent même systématiquement au départ de tout étranger du sol français, quelle que soit sa situation.
Il faut savoir que seulement 40 % des personnes retenues dans les CRA quittent notre territoire. Certes, l’obtention plus ou moins rapide des laissez-passer consulaires, voire, dans certains cas, leur non-obtention, constitue une problématique. Mais ce n’est pas l’unique explication : les recours incessants préparés par les associations concourent également à la situation actuelle.
J’en viens à présent aux aspects financiers de cette question.
Le budget lié à l’assistance juridique assurée par les associations n’est pas le poste de dépenses le plus considérable, sur le milliard d’euros d’argent public versé chaque année aux associations pour remplir différentes missions dans le domaine de l’immigration et de l’intégration. Il convient toutefois de dresser ce constat, formulé très clairement par la Cour des comptes : alors que le nombre de personnes retenues a baissé de 20 %, le coût de l’assistance juridique assurée par l’intermédiaire des associations, lui, a augmenté de 30 %.
J’ajoute que l’aide juridictionnelle a vocation à couvrir les frais liés aux recours, parmi lesquels figure l’analyse de la situation juridique du demandeur ou encore la rédaction de mémoires, des missions pour lesquelles les associations intervenant dans les CRA sont également rémunérées.
Globalement, d’importants moyens sont affectés chaque année au fonctionnement des centres de rétention administrative. Il nous revient de nous assurer que cet argent public est utilisé à bon escient. Or les résultats obtenus ne sont pas encore suffisants.
Mes chers collègues, je vous pose la question : est-il raisonnable de continuer ainsi ? Pour ma part, je ne le crois pas.
Pour en revenir plus précisément au sujet qui nous occupe, force est de le constater : le choix de confier ce rôle à des associations militantes, qui, souvent, luttent de manière frontale contre la politique migratoire du Gouvernement, ce qui est d’ailleurs leur droit le plus strict, portait en germe un certain nombre de contradictions.
Or ces contradictions ne peuvent plus être surmontées dès lors que nous nous trouvons dans un contexte de fort accroissement des flux migratoires et que la population placée dans les CRA a changé de nature.
Je le répète, moins de 40 % des personnes retenues en CRA repartent dans leur pays. En outre, près de 45 % des contentieux formés devant les tribunaux administratifs ont pour objet les contestations liées au droit des étrangers : dans le système actuel, nous sommes pour ainsi dire à l’origine de notre propre impuissance.
La Cour des comptes insiste sur cette multiplication des recours contentieux, lesquels sont formés systématiquement contre les décisions prises à l’encontre d’une personne retenue, parfois sans que cette dernière en ait réellement l’initiative. Ces procédures exploitent toutes les failles de notre droit, si bien que l’embolisation des tribunaux devient une fin en soi.
Il est grand temps de s’en souvenir : ce sont non pas les associations qui définissent la politique de l’État, mais bien l’État qui, comme le souhaitent nos concitoyens, met en œuvre sa politique d’immigration, sans pour autant dénier aux étrangers retenus le droit à une défense.
L’Ofii est déjà présent au sein des centres de rétention administrative. Il assure l’accueil ; il protège les plus faibles des personnes retenues ; il accompagne ceux qui, de leur propre chef, décident de rentrer dans leur pays d’origine. Son directeur général, M. Didier Leschi, se dit prêt à reprendre ces missions.
Il est temps de passer des paroles aux actes. Souvenons-nous du meurtre de la jeune Philippine : ce drame nous enseigne que les décisions prises à l’encontre des étrangers en situation irrégulière présentant un danger particulier ne sont pas prises au hasard ou de manière arbitraire. Dans la plupart des cas, elles ont leur raison d’être. Elles ont donc vocation à s’appliquer.
Ma proposition de loi vient en complément du texte présenté par ma collègue Jacqueline Eustache-Brinio, lequel permet d’allonger la durée de rétention dans les centres. Elle est débattue alors même que le nombre de places dans les centres de rétention administrative doit passer de 2 000 à 3 000 à l’horizon de 2027.
Il est permis de s’interroger sur les conséquences de l’augmentation de ce nombre de places pour les permanences juridiques des associations dans les CRA, alors que les coûts sont déjà en hausse pour un nombre de personnes retenues en baisse.
La question du coût est évidemment d’autant plus prégnante à l’heure où de nombreux secteurs font face à de grandes difficultés budgétaires.
De l’argent public est aujourd’hui alloué aux CRA, dans des proportions non négligeables, notamment pour financer des associations qui n’ont de cesse de condamner l’existence même de ces centres – à croire certaines d’entre elles, pas un seul étranger de notre pays ne mériterait d’y être placé ! Le statu quo n’est plus possible.
Mes chers collègues, en attendant une grande loi sur l’immigration, qui passera certainement par une consultation directe des Français (M. Thomas Dossus s’exclame.), démontrons que la politique des petits pas peut être utile à la France.
Sur ce sujet, je crois pouvoir compter sur le soutien de notre assemblée et je sais que la volonté du Gouvernement rejoint la mienne. Nous ne pouvons pas perpétuellement déplorer que les obligations de quitter le territoire français (OQTF) soient de moins en moins souvent exécutées et ne pas chercher des solutions pour résoudre ce problème.
Sans remettre en cause la sincérité et l’engagement des acteurs associatifs, je tiens à répondre par avance au procès en inhumanité que certains ne manqueront pas d’intenter. Je me suis déplacée dans différents CRA…
M. Thomas Dossus. Nous aussi !
Mme Marie-Carole Ciuntu. … et je vais continuer de le faire dans le cadre de la mission de contrôle que m’a confiée la commission des finances. J’ai pu constater l’efficacité des personnels de l’Ofii et leur bonne connaissance du terrain.
Selon moi, l’inhumanité consiste plutôt à maintenir coûte que coûte sur le territoire national des étrangers placés en rétention, qui ont subi des parcours difficiles et qui demeurent sans réelle perspective. Je doute que notre politique actuelle, frappée de schizophrénie, leur offre les meilleures chances de s’en sortir…
Je m’adresse aussi à nos policiers, qui, confrontés à des situations d’une extrême dangerosité, font tout pour maintenir le calme. Avant de se protéger eux-mêmes, ils pensent à protéger les étrangers retenus, contre eux-mêmes ou contre les autres. Leur dévouement rend supportable une situation de tension perpétuelle, fruit d’un système lui-même en perpétuelle tension.
Si nous ne rétablissons pas la cohérence de notre politique migratoire, nos agents s’épuiseront à chercher le sens de leur mission, tout en restant aux prises avec une gestion quotidienne difficile.
Mes chers collègues, prenons les mesures qui s’imposent. Faisons-le pour retrouver la cohérence de nos décisions. Faisons-le pour reprendre le contrôle de notre politique migratoire. C’est ce qu’attendent de nous les Français. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. David Margueritte, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de Marie-Carole Ciuntu, dont nous débattons cet après-midi, a été adoptée la semaine dernière par la commission des lois, au nom de laquelle je tiens à vous rappeler le cadre juridique sur lequel repose la politique d’information et d’assistance juridique à destination des personnes retenues ou placées en zone d’attente.
Je précise dès à présent que ce cadre est, à nos yeux, défaillant, et que la proposition de loi de notre collègue est dès lors pleinement justifiée.
Le cadre juridique existant repose sur une externalisation consentie à un certain nombre de personnes morales. Mme Ciuntu l’a rappelé : la Cimade a longtemps bénéficié d’une situation de monopole, avant l’ouverture à la concurrence, décidée en 2008. D’autres associations, parmi lesquelles l’Association service social familial migrants (Assfam), le Forum réfugiés ou encore France terre d’asile ont, à compter de cette date, pu intervenir dans les différents CRA en vertu de marchés renouvelés une nouvelle fois en 2025.
Ce cadre juridique, fixé par le Ceseda et plus précisément par son article L. 744-9, détaille bien les missions d’accueil, d’information et de soutien. Le Ceseda renvoie au pouvoir réglementaire le soin d’organiser la politique d’assistance juridique par le biais d’un décret en Conseil d’État.
À cette fin, des conventions doivent être conclues avec des personnes morales. Les associations ne sont pas seules compétentes à exercer ces missions, qui comprennent l’information relative aux droits, l’analyse de la situation de la personne retenue, en théorie individualisée, le conseil et l’orientation vers des démarches adaptées, ainsi que l’aide à la rédaction de documents, la formation des recours et la transmission, in fine, des diverses pièces à l’avocat.
Ces missions s’accomplissent au moyen de permanences, assurées six jours sur sept, et de locaux mis à disposition dans les centres de rétention administrative.
Or le système actuel ne nous semble pas fonctionner correctement, ce qui entrave l’exercice du droit au recours lui-même.
Premièrement – Mme Ciuntu l’a rappelé à la suite de la Cour des comptes –, le coût de cette mission a très fortement augmenté au cours des dernières années. En 2024, il a dépassé 7 millions d’euros, et la hausse se poursuit encore en 2025 : cette année, plus de 9 millions d’euros seront consacrés aux associations, sans aucune corrélation avec le nombre de personnes retenues dans les centres de rétention administrative. Au contraire, ce dernier diminue. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
Dans son rapport de la fin de l’année 2024, la Cour des comptes le souligne d’ailleurs de manière assez malicieuse : il n’est pas douteux que les associations remplissent leurs missions d’assistance juridique, si l’on en juge d’après les volumes des recours déposés devant les tribunaux…
Face à la masse des procédures désormais engagées, notre collègue auteure de la proposition de loi met bien en lumière cette systématisation des recours.
Deuxièmement, la posture adoptée par les associations elles-mêmes paraît, dans son ensemble, pleinement justifier la révision de ce système.
M. Guy Benarroche. Ce n’est pas une posture. C’est le respect du droit !
M. David Margueritte, rapporteur. L’article 1er de la loi du 24 août 2021 le souligne de manière très claire : les associations chargées d’une délégation de service public sont soumises, dans le cadre de leur mission, à un strict devoir de neutralité. Cette obligation ne remet nullement en cause la liberté d’expression de ces associations ou l’action de plaider qu’elles déploient par ailleurs.
Toujours est-il que, selon certaines d’entre elles, la politique d’éloignement pratiquée par les gouvernements successifs constitue un problème en soi : une telle posture militante pose nécessairement question. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) On s’interroge notamment sur la nature des recours formés, sur les conditions d’exercice des missions confiées à ces associations et sur le véritable objet de leur mission d’assistance juridique, dans l’intérêt même des personnes retenues.
Or la systématisation des recours se poursuit et s’accélère. La Chancellerie estime à 48 000 le nombre de recours formés devant le juge judiciaire l’année dernière. Le volume de ces derniers a bondi de plus de 30 % en deux ans et, devant le juge administratif, le contentieux de l’éloignement suit une trajectoire comparable : l’augmentation constatée à ce titre est de 18 % entre 2019 et 2023.
Je précise d’ailleurs que le taux de succès de ces recours est très aléatoire, ce qui tend à prouver la fragilité d’un certain nombre d’entre eux.
Très concrètement, quelle est la procédure prévue pour une personne qui, aujourd’hui, arrive dans un centre de rétention administrative ?
Tout d’abord, cette personne se voit notifier ses droits par les responsables du CRA. Puis, les représentants de l’Ofii se chargent de l’informer sur les conditions matérielles de son retour et ses conditions d’existence le temps de la rétention. C’est alors que l’association compétente intervient, souvent à l’aide de formulaires préremplis, en cochant tous les motifs de légalité externe ou interne. Or – les juridictions le signalent de manière régulière – les moyens soulevés sont souvent lacunaires, en fait comme en droit.
Les avocats interviennent en fin de chaîne, découvrant la plupart du temps le dossier lors de l’audience et ne produisant presque jamais de mémoire complémentaire. La requête, sauf exception, a été rédigée par d’autres…
C’est à ce titre que l’on peut s’interroger sur l’efficacité de la dépense et sur l’effectivité du droit au recours. En effet, dans les centres de rétention administrative, les permanences d’avocats se raréfient, à rebours d’une préconisation formulée par notre commission des lois voilà maintenant dix ans.
Or l’aide juridictionnelle a vocation à couvrir toutes les diligences effectuées au titre des recours. Dans ces conditions, on peut légitimement se demander si l’État ne paie pas deux fois sa politique d’assistance : une première fois aux associations, qui rédigent le projet de recours, voire le recours lui-même intégralement ; et une seconde fois à l’avocat, qui assure la mission de représentation.
Le budget de l’aide juridictionnelle elle-même connaît d’ailleurs une forte progression. En 2024, il atteignait 6,5 millions d’euros, si l’on s’en tient au juge judiciaire ; si l’on y ajoute les procédures formées devant le juge administratif, il avoisinait même les 10 millions d’euros.
Troisièmement – nous avons pu nous en convaincre au fil des nombreuses auditions menées par la commission des lois, ainsi que lors de nos visites de centres de rétention administrative –, divers incidents émaillent, ici ou là, le travail de ces associations.
Ils mettent au jour la perméabilité entre leur action militante et leur mission d’assistance juridique stricto sensu. On peut penser aux affichages militants constatés dans certains centres de rétention administrative, aux recours rédigés à la hâte ou même signés à blanc. Dans certains cas, l’effectivité de la mission semble sujette à caution.
En conséquence, notre collègue propose de simplifier la procédure en vigueur dans les centres de rétention administrative.
Le travail d’information serait assuré par l’Ofii, qui, j’y insiste, y est déjà présent. On se contenterait d’étendre les missions de l’office. Quant à l’assistance juridique, elle serait confiée aux avocats, dont nul ne saurait remettre en cause l’impartialité et l’indépendance. D’ailleurs, avant même la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2024, rendue sur la base d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), il était acquis que les étrangers, même en situation irrégulière, avaient droit à cette assistance, y compris à l’aide juridictionnelle.
L’intervention de l’Ofii ne poserait réellement aucun problème d’indépendance ou d’impartialité : on se contenterait de déléguer à cet office la mission d’information. Quant aux avocats, je le répète, ils seraient chargés d’assurer l’assistance juridique.
Ce système serait à la fois plus simple et plus efficace. Il ne se heurterait à aucun obstacle légal, qu’il soit conventionnel, constitutionnel ou même jurisprudentiel.
Dans un arrêt du 3 juin 2009, le Conseil d’État relève que les personnes retenues doivent avoir accès à des personnes morales présentant des garanties d’indépendance et de compétence suffisantes. Quant à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), elle mentionne, dans son article 5, une information large et adaptée, que garantit le présent texte.
De même, cette proposition de loi ne remet absolument pas en cause l’article 13 de la directive Retour, qui, dans les mêmes termes, traite de la représentation juridique et de l’assistance garanties aux étrangers.
Ce système, en vertu duquel la mission d’information est assurée par un service public et où les avocats exercent quant à eux l’assistance juridique, est déjà en vigueur dans d’autres pays. Je pense notamment à l’Allemagne, à l’Espagne et aux Pays-Bas.
Enfin, la commission a amendé le présent texte pour assurer la pleine cohérence des différentes missions : désormais, on précise clairement que les représentants de l’Ofii interviennent au cours de la procédure au côté des avocats, en s’alignant sur les dispositions relatives aux zones d’attente.
En l’état, cette proposition de loi nous semble donc apporter toutes les garanties nécessaires. L’Ofii est un acteur connu et reconnu, à même de fournir une information éclairée ; et, devant notre commission des lois, son directeur général a assuré qu’il était tout à fait prêt à accepter cette mission, à condition d’obtenir les équivalents temps plein (ETP) nécessaires.
Nous avons, enfin, amendé le présent texte, afin de permettre son entrée en vigueur à partir de 2026. Nous serons donc au rendez-vous pour assurer une assistance juridique digne de ce nom et une information éclairée des personnes retenues. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d’État. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je tiens à remercier Marie-Carole Ciuntu, auteure du présent texte, lequel fait suite à un excellent rapport, dont je me souviens très bien qu’elle l’avait rédigé au nom de la commission des finances.
Évidemment, je soutiens ce texte.
M. Guy Benarroche. Bien sûr. Vous auriez pu l’écrire !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Je le soutiens avec force, parce que nous en avons besoin pour mettre fin à une situation qui révolte une grande partie de nos compatriotes. Je pense évidemment aux immenses difficultés auxquelles nous nous heurtons pour éloigner les étrangers retenus en CRA.
Je le répète, cette situation est révoltante pour bon nombre de Français, qui plus est après tous les drames que nous avons vécus – Mme Ciuntu a cité, à ce titre, le cas de la jeune Philippine. Je rappelle que plus de 90 % des personnes retenues dans les CRA présentent des profils dangereux et qu’elles constituent, en ce sens, une menace pour l’ordre public.
Nos compatriotes ne comprennent pas que ces individus dangereux, qui n’ont rien à faire en France, puissent se retrouver dans la nature et constituer, dès lors, une menace pour eux.
Pour que cesse cette situation, nous menons actuellement plusieurs chantiers. On a déjà cité le vaste travail dédié à la délivrance des laissez-passer consulaires dans un certain nombre de pays. Pour ma part, je m’arrêterai sur la triple faille constatée au sujet des centres de rétention administrative. Pour le dire en peu de mots, non seulement le nombre de places en CRA est insuffisant, mais le temps de rétention est trop court et, surtout, la cohérence de notre politique laisse, en la matière, cruellement à désirer.
Tout d’abord, il y a trop peu de places dans les CRA. C’est la raison pour laquelle leur nombre total sera porté à 3 000 dans quelques années. L’an prochain, trois nouveaux CRA verront le jour, à Bordeaux, à Dunkerque et à Dijon. Nous allons accélérer ces constructions.
Ensuite, nous disposons de trop peu de temps : le dispositif prévu par la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio nous permettra d’aligner le régime des individus les plus dangereux, notamment les délinquants sexuels, sur celui des terroristes. La période de rétention pourra ainsi être portée à 210 jours au maximum et les préfets disposeront d’un droit d’appel suspensif contre les décisions du juge des libertés et de la détention de libérer une personne retenue. C’est fondamental.
La troisième faille que vient combler la présente proposition de loi concerne les intervenants, le manque de cohérence et, plus précisément, la nécessité, à laquelle je souscris, de confier à l’Ofii le rôle dévolu aujourd’hui aux associations.
Très rapidement après ma prise de fonction au ministère de l’intérieur, j’avais mis ce sujet sur la table, ayant été sensibilisé sur ce point par la commission des finances du Sénat, notamment par Marie-Carole Ciuntu, rapporteure spéciale de la mission « Immigration, asile et intégration ». Cela a pu susciter, je le sais, des polémiques ; nous devons les assumer collectivement, ce que je fais à titre personnel, car je veux dire la vérité aux Français, à savoir que des associations, auxquelles l’État a confié des missions de service public en les rémunérant avec l’argent du contribuable, outrepassent les limites desdites missions qu’elles retournent contre l’État en entravant son action par pur militantisme. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.)
Comme l’ont très bien dit M. le rapporteur et Mme Ciuntu, ces associations combattent l’idée même du retour, inscrite dans la loi de la République, et de l’éloignement des étrangers placés en CRA. (M. Guy Benarroche s’exclame.)
Elles le font de diverses façons, souvent au travers de recours systématiques et, surtout, indifférenciés contre les décisions de placement ou d’allongement. Elles multiplient également les demandes dilatoires de référé et d’asile sans même que les étrangers concernés les aient formulées ou en soient avertis, ce qui est proprement scandaleux ! C’est documenté ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Corinne Narassiguin et M. Guy Benarroche protestent.)
Comme le souligne le rapport de la commission des finances du Sénat, il est permis de s’interroger sur le fait même de déléguer une telle mission d’assistance juridique à des associations.
Pour ma part, alors que l’on parle beaucoup des agences et des opérateurs, je pense que nous sommes allés, en France, beaucoup trop loin dans le démantèlement de l’État.
M. Pascal Savoldelli. C’était Sarkozy !
M. Guy Benarroche. À quoi pensez-vous ? À l’OFB et à l’Ademe, au hasard ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Dans ce domaine comme dans d’autres, l’État doit retrouver des leviers pour mener, au nom de la démocratie française, au nom de nos compatriotes, les politiques publiques pour lesquelles nous avons été élus. (Protestations sur les travées des groupes GEST et SER.)
J’assume le fait de vouloir établir un double équilibre, comme cela est proposé au travers de cette proposition de loi. Il s’agit tout d’abord d’un équilibre entre l’information des personnes sur leurs droits et la neutralité, comme l’impartialité de ceux qui ont la mission de les informer, parce que ces derniers concourent à une véritable mission de service public.
Lorsqu’une association expose, dans la salle de pause du personnel d’un CRA, des affiches arborant des slogans militants tels que « La France déporte », est-ce approprié ?
Mme Catherine Belrhiti. Oh là là !
M. Roger Karoutchi. Scandaleux !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Faire l’amalgame entre l’éloignement des étrangers dangereux et ce que nous avons connu lors des heures les plus sombres de notre histoire est scandaleux ! (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Un autre slogan encore : « Contre la double peine et les centres de rétention »… Je rappelle qu’il s’agit de la loi de la République ; de telles actions ne sont tout simplement pas acceptables.
L’Ofii est le mieux à même de garantir cet équilibre. Depuis 2001, cet organisme intervient régulièrement en matière d’information, de soins, de soutien moral et psychologique, ainsi que d’aide à préparer les conditions matérielles des départs. Lui confier la mission d’information juridique est donc cohérent, puisque l’Office dispose de la compétence, de l’expérience et de la légitimité pour l’exercer. Je vous rappelle que les membres de son personnel, comme tout agent public, comme tout fonctionnaire, sont astreints au devoir de neutralité et à l’obligation de réserve.
Il s’agit aussi de trouver un équilibre entre les missions d’information juridique et de représentation devant les juridictions, notamment dans le cadre des recours. M. le rapporteur en a très bien parlé. Je rappelle la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2024, rendue à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, selon laquelle nous savons désormais que les étrangers, même en situation irrégulière, ont droit à l’aide juridictionnelle (AJ).
Dès lors, les choses sont claires : ce qui concerne le recours et l’exercice des droits du retenu relèvera de l’avocat. L’aide juridictionnelle sera prévue dès lors que l’étranger n’aura pas les moyens de payer son avocat. Dans ces conditions, le recours aux acteurs du monde associatif pour remplir ces différentes missions ne sera plus nécessaire.
Oui à la défense des droits, non à la contestation militante du devoir de l’État de faire respecter ses lois. C’est ce que nous demandent les Français, nos compatriotes. Il s’agit ainsi, pour moi comme pour les signataires de cette proposition de loi, non pas d’un marqueur idéologique, mais d’une question d’ordre public. Je rappelle en effet que la plupart des étrangers – plus de 90 % – placés en CRA le sont parce qu’ils constituent une menace, un risque pour l’ordre public, parfois même un grand danger. (Mme Corinne Narassiguin et M. Thomas Dossus protestent.)
Ma mission est de protéger les Français, tous les Français. L’adoption de cette proposition de loi, je vous en remercie, madame Ciuntu, y contribuera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. François Patriat applaudit également.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Brossat, Mme Margaté et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi tendant à confier à l’Office français de l’immigration et de l’intégration certaines tâches d’accueil et d’information des personnes retenues.
La parole est à M. Ian Brossat, pour la motion.
M. Ian Brossat. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je voudrais commencer mon intervention en vous adressant nos remerciements chaleureux.
Il faut en effet reconnaître aux partisans de cette proposition de loi une rare qualité dans le débat public : celle de la franchise. Pas de faux-semblants, pas d’enrobage, tout est dit clairement. Il n’y a aucun doute sur l’intention derrière ce texte : mettre à mal les principes fondamentaux de notre État de droit. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Il a osé !
M. Ian Brossat. Madame la sénatrice Ciuntu, vous avez d’ailleurs eu le mérite de la transparence, la semaine dernière, dans Paris Match. Selon vous, « nous avons toute une série de freins qui empêchent d’agir. Ce sont les juges, les jurisprudences et les associations ».
Mme Marie-Carole Ciuntu. Ce n’est pas ma citation !
M. Ian Brossat. Mais ce que vous appelez des « freins », ce sont en réalité les piliers mêmes de notre démocratie : les juges, qui appliquent le droit ; les jurisprudences, qui protègent ; les associations, qui alertent. Sans contre-pouvoirs, il n’y a plus de République, il ne reste que l’arbitraire.
Et si, comme vous l’affirmez, monsieur le ministre d’État, « l’État de droit, ça n’est pas intangible, ni sacré », si l’État de droit devient négociable, alors plus rien ne nous protège.
Cette proposition de loi n’est, hélas ! pas une surprise. Depuis plusieurs mois, cet hémicycle est monopolisé par les débats liés à l’immigration. Pour le vérifier, rien de plus simple que de regarder l’ordre du jour : à chaque journée, à chaque semaine son nouveau texte sur l’immigration.
Le fil conducteur est clair : après des textes portant sur la remise en cause des accords franco-algériens, la suppression des prestations sociales aux étrangers en situation régulière ou encore l’interdiction du mariage aux personnes sans papiers, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit de retirer aux associations leur rôle d’information juridique dans les centres de rétention administrative. C’est une atteinte grave, j’y insiste, à notre État de droit, raison pour laquelle notre groupe a déposé une motion d’irrecevabilité.
Le présent texte porte une atteinte manifeste à nos libertés fondamentales, en particulier au droit au recours effectif, pourtant garanti par la Constitution et par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Dans la lignée de ce que vous appelez « maîtrise migratoire », vous ne proposez ni plus ni moins qu’un affaiblissement supplémentaire de l’État de droit.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : sous couvert d’efficacité – terme maintes fois employé depuis le début de la discussion en cours –, c’est une véritable régression, un recul organisé, assumé, du droit des personnes enfermées à disposer d’une information juridique indépendante, neutre et effective.
Votre objectif est de rendre le droit non pas plus clair, mais moins accessible. Moins de recours, moins de contre-pouvoirs, moins de transparence : telle est la logique profonde qui sous-tend cette proposition de loi.
Le texte est court, mais ses conséquences sont lourdes. Il est prévu – là encore, vous avez été très clair – de confier à l’Ofii, organisme sous tutelle directe du ministère de l’intérieur, la mission d’informer sur leurs droits les personnes retenues. Ce que vous proposez donc, en confiant cette mission à l’Office, c’est d’en finir avec la présence d’acteurs indépendants dans les CRA.
Ces acteurs, ce sont la Cimade, Forum réfugiés, France terre d’asile, l’Assfam ou encore Solidarité Mayotte, autant d’associations qui, depuis plus de quarante ans, assurent cette mission essentielle avec rigueur et engagement. Loin d’être des structures marginales, elles sont les seuls acteurs présents au quotidien dans les centres de rétention.
Pourquoi voulez-vous les en faire sortir ? Pourquoi les écarter ? Pas parce qu’elles font mal leur travail : aucun rapport de contrôle, aucune décision de justice ne le dit.
Pas parce qu’elles coûtent trop cher : leur intervention revient à moins de 7 millions d’euros par an, soit 0,4 % du budget consacré à la politique d’éloignement.
Pas non plus parce qu’elles manqueraient à leurs obligations. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre d’État, elles agissent dans le cadre d’un marché public conclu avec l’État.
Ce que vous leur reprochez, c’est leur indépendance. Ce que vous ne tolérez plus, c’est qu’elles puissent contester, alerter, dénoncer, qu’elles soient encore, malgré tout, des vigies citoyennes dans des lieux où l’arbitraire menace. Et cela, manifestement, vous est devenu insupportable.
Contrairement à ce que vous laissez croire, ces associations ne sont pas là pour faire barrage à l’État ou à la loi non plus que pour empêcher l’application de cette dernière. Elles sont là pour une seule chose : garantir le fait que, même dans un centre de rétention, les droits continuent d’exister et de s’exercer.
Elles accompagnent les personnes enfermées. Elles analysent leur situation. Elles les aident à comprendre les décisions qui les concernent, à saisir un juge, à entamer une procédure de demande d’asile, à contacter un avocat ou un proche. Elles traduisent. Elles expliquent. Elles écoutent.
Et ce travail, elles le font dans des conditions extrêmement difficiles et des délais très courts : quarante-huit heures pour contester une mesure d’éloignement, quatre-vingt-seize heures pour la décision sur une prolongation de rétention.
Sont concernées des personnes souvent non francophones, qui ont besoin d’être éclairées, ce que font les associations. Ces dernières, d’ailleurs, ne se substituent pas aux avocats, pas plus qu’elles ne les concurrencent, elles travaillent avec eux. Et les avocats, dans leur immense majorité, le reconnaissent : sans les associations, il leur est impossible d’assurer leur rôle.
Alors, pourquoi les remplacer ? Pourquoi confier cette mission à l’Ofii ? Organisme chargé de l’exécution des mesures d’éloignement, l’Office organise les retours dits volontaires et agit en lien avec les préfectures. Comment imaginer qu’un organisme chargé d’appliquer une décision puisse accompagner juridiquement la personne qui veut la contester ? Comment imaginer que la même main enferme et informe le mieux sur le moyen de se défendre ? Voilà qui s’inscrit en violation de toutes les règles nationales et européennes en matière d’accès au droit. Le Conseil d’État l’a d’ailleurs dit lui-même, dès 2009 : l’accompagnement juridique en rétention doit être assuré par des personnes morales indépendantes.
En outre, le droit européen, dont le nouveau pacte européen sur la migration et l’asile, impose que les structures chargées d’informer et d’accompagner les demandeurs d’asile n’aient aucun conflit d’intérêts avec l’administration. Or l’Ofii dépend du ministère qui ordonne l’enfermement et détermine la politique d’éloignement. Cela est complètement incohérent et contraire à tous les principes élémentaires de notre droit.
Par ailleurs, soyons clairs : l’Ofii n’a pas les moyens d’assumer cette mission, alors qu’aujourd’hui, déjà, il peine à remplir celles qui lui sont confiées. Ainsi, sur près de 47 000 personnes passées en CRA en 2023, l’Ofii a mené seulement neuf évaluations de vulnérabilité !
Non seulement l’Office n’a ni les équipes, ni la logistique, ni l’expertise nécessaires, mais surtout, il n’a pas la confiance des personnes enfermées. Là où les associations agissent avec neutralité, humanité et continuité, l’Ofii apparaîtra comme l’exécutant d’une politique répressive : la vôtre, que vous assumez comme telle, d’ailleurs.
Vous prétendez que les avocats compenseront. C’est faux : les avocats ne sont pas présents en continu dans les CRA. Ils n’ont ni les moyens, ni le temps, ni la possibilité d’assurer le rôle d’accompagnement en amont. Sans les associations, le droit devient de fait théorique, illusoire, inaccessible. Qui va préparer le recours ? Qui va rassembler les pièces ? Qui va traduire ? Qui va rédiger ?
Vous nous parlez également d’optimisation, de lisibilité, de clarification. Mais la vérité, c’est que vous voulez moins de recours et, pour ce faire, vous supprimez les conditions qui permettent de les exercer.
Vous invoquez aussi des raisons budgétaires, mais celles-ci ne tiennent pas davantage : si vous transférez cette mission aux avocats, il faudra plus de moyens, pour moins de résultats. C’est un non-sens tant économique que juridique.
Surtout, ce que vous nous présentez n’est pas une réforme, c’est un effacement : l’effacement des recours ; l’effacement des témoins ; l’effacement de tout regard indépendant dans ces lieux d’enfermement.
Car c’est aussi cela que vous visez : faire taire celles et ceux qui documentent la réalité des CRA. Les associations publient des rapports, alertent sur les violations de droits, témoignent. Elles rendent compte. Alors, vous supprimez leur présence. Vous les remplacez. Vous les effacez.
Mais ce que vous effacez surtout, c’est un principe fondamental : même étranger, même enfermé, un être humain a droit à une défense.
Je vous invite à voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, parce que ce texte est non pas une amélioration, mais une régression. Il ne protège rien : il affaiblit, il abîme, il détruit. Mes chers collègues, la République ne devrait pas s’arrêter aux portes des centres de rétention. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST. – Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
M. David Margueritte, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cette motion, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, le droit effectif au recours ne se mesure pas à la quantité de recours, qui relève parfois de l’inflation, avec de nombreuses démarches de piètre qualité. Je vous renvoie au témoignage de magistrats, qui découvrent des dossiers rédigés à la hâte par les associations avec, parfois, des motifs de légalité externe et interne cochés précipitamment, sans aucun rapport avec la situation individuelle de la personne retenue.
Par ailleurs, nul ne remet en cause l’indépendance et la capacité de liberté d’expression de toutes les associations : ces dernières disent exactement ce qu’elles veulent, tenant parfois les propos les plus virulents contre la politique migratoire et d’éloignement. Je vous rappelle toutefois qu’une association est tenue, lorsqu’elle est délégataire d’une mission de service public, comme le prévoit l’article 1er de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, à la neutralité.
M. Guy Benarroche. C’est le cas !
M. David Margueritte, rapporteur. Or, aujourd’hui, bien des procédures sont entachées par des postures militantes, aboutissant à la systématisation de recours qui n’ont parfois aucune chance d’aboutir.
Sur la question de l’Ofii, je suis toujours surpris de ce que j’entends. Il s’agit d’un établissement public soumis, à ce titre, à la règle de neutralité du service public. Je renvoie à la référence, chère à beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, d’Anicet Le Pors.
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. David Margueritte, rapporteur. Ce dernier a élaboré les lois fondatrices du service public, déclinées dans chacun des trois pans de la fonction publique, dont la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Ces textes rappellent le principe de neutralité des services publics et l’obligation de réserve des agents.
C’est dans cette perspective que l’Ofii se voit confier la mission non pas d’assistance – n’entretenons pas la confusion –, mais bien d’information. C’est pour cette raison qu’aucun problème d’impartialité ne se pose.
Aux termes de ce dispositif, nous ne paierons plus deux fois.
M. Guy Benarroche. On ne paie pas deux fois !
M. David Margueritte, rapporteur. Le recours sera préparé par l’avocat, qui devra rédiger l’ensemble de la requête.
M. Guy Benarroche. Il faudra bien payer l’avocat !
M. David Margueritte, rapporteur. Or personne ne peut remettre en cause l’impartialité ni l’indépendance de celui-ci.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.
Monsieur Brossat, vous avez une conception de l’État de droit à géométrie variable. L’État de droit, ce n’est pas le militantisme ; c’est l’impartialité, la garantie de la neutralité. Or les associations dont nous parlons, délégataires d’une mission de service public, par pur militantisme, par principe, s’opposent à la politique de retour, non décidée par l’État, mais inscrite dans les lois de la République, que veulent nos concitoyens.
Je répète que sont concernés des individus, en CRA, dont plus de 90 % présentent une menace de trouble à l’ordre public. La plupart du temps, ils ont séjourné en prison. (M. Guy Benarroche s’exclame.)
Le viol et l’assassinat de la jeune Philippine ont été rappelés. La question est là.
M. Thomas Dossus. Quel rapport avec la Cimade ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Je souhaite que, demain, nous trouvions un meilleur équilibre entre, d’une part, la nécessaire information de ceux qui sont dans les CRA et, de l’autre, l’impartialité, la neutralité de ceux qui les informent. Il s’agit non pas de restreindre des droits, mais, au contraire, de faire appliquer ces principes.
J’ajoute, au sujet des moyens de l’Ofii, que je n’ai vu personne contester son action. Je suis ces questions depuis des années : chacun reconnaît que l’Ofii agit de manière très professionnelle, avec des agents publics formés et attachés à leur mission.
L’adoption de cette proposition de loi engendrera des économies. La Cour des comptes a d’ailleurs relevé qu’en dix ans la rémunération des associations a doublé, sans aucune corrélation avec les effectifs ou les recours.
M. Guy Benarroche. C’est corrélé à la sévérité des gouvernements !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Le coût actuel de ces politiques avoisine les 9,3 millions d’euros. Nous dégagerons une économie substantielle de 6,5 millions d’euros, ce qui nous permettra d’allouer les moyens nécessaires à l’Ofii.
M. Guy Benarroche. Détaillez !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Pour conclure, monsieur Brossat, vous nous accusez d’avoir remis en cause les accords entre la France et l’Algérie. Franchement, vous plaisantez !
M. Roger Karoutchi. Provocation !
Mme Catherine Belrhiti. Eh oui !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. L’attentat terroriste de Mulhouse a été commis par un Algérien qui n’aurait jamais dû se trouver sur le sol français. À quatorze reprises, il a été présenté aux autorités algériennes, qui ne respectent pas l’avenant de 1994 à l’accord relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles. Et cela a abouti à un assassinat !
M. Ian Brossat. Quels progrès avez-vous obtenus ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Aujourd’hui, un écrivain franco-algérien, Boualem Sansal, âgé de 80 ans, atteint d’un cancer, croupit dans les geôles algériennes à l’issue d’un procès expéditif de vingt minutes. (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
Un mandat d’arrêt a été émis contre Kamel Daoud, détenteur du prix Goncourt 2024 !
M. Thomas Dossus. Quel est le rapport ?
M. Ian Brossat. Qu’avez-vous obtenu ?
M. Guy Benarroche. Manipulation !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Et vous pensez que c’est l’Algérie qui respecte le droit international, la convention de Chicago ? Remettons les choses dans leur contexte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mon obsession, c’est la sécurité de nos concitoyens, et j’entends que les Françaises et les Français soient protégés ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon, pour explication de vote.
M. Laurent Somon. Les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky ont déposé une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur le texte de notre collègue Marie-Carole Ciuntu.
Ils font grief à cette proposition de loi d’aller à l’encontre du droit au recours effectif des personnes retenues. Selon eux, le fait que les associations ne soient plus systématiquement et organiquement chargées des tâches d’information juridique des personnes retenues serait contraire non seulement à la Constitution, mais également à la Convention européenne des droits de l’homme.
Nous sommes bien évidemment en total désaccord avec cette analyse.
Premièrement, le texte n’altère en rien le droit au recours des personnes retenues. Leurs droits et l’office du juge quant à la retenue demeurent identiques. La tâche d’information de l’Ofii, couplée à l’intervention facilitée des avocats commis d’office, assurera l’effectivité de l’exercice de ces droits, dont la garantie, au titre de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, n’est en rien remise en cause.
Deuxièmement, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la garantie du droit de recours effectif, selon les termes de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, impose que ce recours soit approprié et accessible, en pratique comme en droit.
En la matière, la proposition de loi définit clairement le rôle soigneusement encadré, mais important, que jouera l’Office dans l’information de base des étrangers retenus et renforce l’accès de ces derniers à un avocat afin de faire valoir pleinement leurs droits. Il n’y a donc pas lieu de penser que l’absence des associations empêchera l’effectivité du recours, à moins d’estimer que ni l’Ofii ni les avocats ne feront leur travail.
Dès lors, l’on ne saurait qu’écarter la critique formulée à ce titre par nos collègues du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, qui procède d’une lecture maximaliste, dépourvue de fondement, des textes constitutionnels et conventionnels.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains ne votera pas cette motion.
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Il est heureux qu’arrive le moment de vérité sur les raisons du dépôt de cette proposition de loi, à commencer par une volonté de revanche. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le ministre de l’intérieur est concerné, puisque la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration a été en partie censurée par le Conseil constitutionnel.
Mais au-delà de la revanche, il y a une visée. Sur ce point, l’auteure de la proposition de loi a été d’une grande cohérence et d’une grande clarté. Marie-Carole Ciuntu l’a annoncé : ce texte vise à anticiper une consultation populaire, pour ne pas dire un référendum, sur l’immigration. Le voilà, le sujet !
Le seul projet qui sous-tend tout cela, c’est de nous éloigner d’une république d’intégration pour nous diriger vers une république d’assimilation. Encore faut-il l’assumer et utiliser le terme.
Mais on ne fait pas de la politique avec des slogans, monsieur le ministre d’État. Tout d’abord, il est porté atteinte au principe d’impartialité, comme cela a été bien démontré par Ian Brossat. Personne ne dit de mal de l’Ofii, certes, mais nul ne peut nier qu’il s’agit d’un organisme d’État, rattaché au ministère de l’intérieur et qui participe à l’éloignement des étrangers. En lui confiant une mission d’accueil, on créerait une confusion des rôles entre mesures d’expulsion et d’information.
Par ailleurs, certains éléments manquent à vos explications. Ainsi, dans son rapport annuel d’activité 2023, la Défenseure des droits démontre l’existence d’atteintes au droit au recours des personnes retenues dans les CRA, au point que les huit grandes associations d’utilité publique sont devant le Conseil d’État. L’oublierait-on ?
Plusieurs sujets sont donc concernés, à commencer par l’atteinte au droit de recours effectif. En fin de compte, cette proposition de loi est purement politicienne. Franchement, nous n’allons rien régler.
Je pensais, monsieur le ministre d’État, que vous rappelleriez la durée moyenne des séjours dans les CRA, soit 28,5 jours en 2023. Peu importe, donc, un délai de 60, 90, 120 ou 240 jours, chaque journée coûte entre 670 euros et 680 euros…
Cette proposition de loi est anticonstitutionnelle, purement politicienne et s’inscrit dans une compétition avec l’extrême droite. Bravo ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 266 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 100 |
Contre | 243 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, d’une motion n° 3.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi tendant à confier à l’Office français de l’immigration et de l’intégration certaines tâches d’accueil et d’information des personnes retenues (n° 594, 2024-2025).
La parole est à M. Guy Benarroche, pour la motion.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté est aussi symptomatique qu’inexcusable.
Il relève de la dynamique que nous dénonçons depuis des mois : un pacte de gouvernement laissant les ministres utiliser régulièrement des propositions de loi, sans étude d’impact, pour imposer médiatiquement des thèmes aussi inutiles que dangereux. Telle est la raison d’être de ce texte, qui justifie l’exclusion des associations intervenant auprès des personnes retenues en arguant que ces missions devraient être confiées à l’Ofii, afin d’éviter que lesdites associations n’agissent de manière militante, en opposition à la politique du Gouvernement, ainsi que pour des raisons de rationalité budgétaire.
Les associations sont donc accusées d’être juge et partie, d’aller contre la bonne tenue des comptes de l’État et, surtout, de suivre, au travers de leur action dans les CRA, un agenda politique opposé à celui du Gouvernement.
Tous ces arguments fallacieux sont repris dans cette proposition de loi. L’un des passages les plus édifiants de l’exposé des motifs est la dénonciation de l’action légale et encadrée des associations comme entraînant une « massification des recours, de nature à entraver la politique mise en œuvre en matière de lutte contre l’immigration illégale ».
Mais de quoi parlez-vous, mes chers collègues ? Souhaitez-vous limiter le recours effectif au droit ? Ces actions légales et légitimes contreviendraient-elles, selon vous, à l’action du Gouvernement ?
L’on ne saurait reprocher aux associations ce mouvement volontaire systématique de massification des recours. Une personne qui souhaite contester une décision exerce son droit. Les associations remplissent alors pleinement les missions qui leur sont attribuées contractuellement. Refuser d’aider une personne à former un recours constituerait une obstruction à l’exercice de ses droits.
Je sais que la notion d’État de droit est mise à mal actuellement, mais pour tous les justiciables, étrangers comme nationaux, simple citoyen ou ancien Président de la République, les recours sont un outil du droit à la disposition de tous.
Comment accepter que seules votre volonté et votre appréciation, dénuées de tout fondement, puissent qualifier un recours d’abusif ? Avez-vous un seuil chiffré de recours pour définir la massification ?
Vous justifiez le changement de droit occasionné par ce texte par les difficultés liées au nombre de recours. Mais vous ne mentionnez ni le nombre de décisions attaquées et annulées, parce qu’injustifiées au regard du droit et de la situation du demandeur, ni la complexité grandissante du droit des étrangers, ni les moyens insuffisants des tribunaux.
N’observe-t-on pas plutôt, monsieur le ministre d’État, une massification des obligations de quitter le territoire français, prises de manière automatique sans examen individuel ? Est-ce cela, la politique du Gouvernement contre l’immigration illégale ?
En 2024, environ 44 % des personnes enfermées ont été libérées par un juge : 30 % par un juge judiciaire, 10 % par une cour d’appel et 4 % par un tribunal administratif. Ces statistiques démontrent l’utilité pour les personnes retenues de contester les mesures prises à leur encontre, souvent entachées d’illégalité et d’irrégularité. Par ailleurs, le nombre important de libérations ordonnées par les juridictions ne saurait être reproché aux associations, les décisions de justice n’étant pas de leur ressort.
Ce ne sont pas les recours qui sapent la politique du Gouvernement, ce sont ses propres décisions irrégulières ou insuffisantes. Quant à l’effectivité des décisions d’éloignement, il s’agit avant tout d’une question de diplomatie, comme notre groupe n’a cessé de le répéter.
Un autre point au cœur du discours du ministre, et inscrit au sein de l’exposé des motifs de la proposition de loi, est la neutralité du soutien apporté par les associations. Dès le mois d’octobre 2024, le ministre de l’intérieur déclarait : « Je considère que le conseil juridique et social aux personnes retenues dans les CRA relève de l’Ofii, et non des associations qui sont juge et partie. »
En janvier 2025, avec la même cohérence, il écrivait : « Qu’une association ait un agenda politique, veuille promouvoir une politique d’accueil massif de l’immigration, c’est son choix. Ce qui est choquant, c’est quand ces associations profitent des financements de l’État pour promouvoir d’autres politiques publiques que celles que l’État veut défendre. »
De fait, le soutien des associations correspond légalement à l’assistance à l’accès effectif au droit pour les personnes retenues. Il leur est contractuellement imposé dans le cadre du marché public que chacune de ces associations a remporté. Je ne saurais croire que le discours qui confond subventions des associations et financement à la suite d’un marché public soit volontaire et prémédité.
Votre discours est gênant et dogmatique. Il rappelle les attaques inexcusables dont ont été la cible certains avocats qui, eux aussi, sont accusés de militantisme dans l’exercice de leur mission. Il rappelle les méthodes exécrables du média d’extrême droite Frontières, lequel a publié en janvier 2025 une liste d’une soixantaine d’avocats, les accusant d’être complices des personnes en situation irrégulière cherchant à obtenir un titre de séjour.
L’ancien vice-président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé, le dit bien : « Le droit est une arme de la démocratie. Dans l’équilibre des pouvoirs propres à ce régime, la force du droit est de contenir la puissance du politique pour l’empêcher de devenir arbitraire. » Faire valoir les droits d’une personne ne devient un acte politique que face aux dérives systémiques abusives de l’État.
Parlons maintenant d’impartialité et de conflit d’intérêts. Par ce texte, vous actez de facto l’incapacité des associations à faire la différence entre, d’une part, leur plaidoyer et leur liberté d’expression et, d’autre part, leurs actions au sein des CRA. Selon vous, l’un empêcherait l’accomplissement de l’autre.
Une association, peu importent ses idées, est-elle forcément disqualifiée pour apporter ses compétences techniques dans l’exercice des missions qui lui sont confiées – par vous, qui plus est –, sans discontinuité depuis des années et selon les procédures très encadrées des marchés publics ?
Comment justifier alors le fait de confier des missions d’information et d’aide au recours effectif à l’Ofii ? Cet organisme dépend du ministère de l’intérieur, qui édicte la politique de lutte contre l’immigration illégale. Dans le même temps, il effectuerait ses missions au sein des CRA en toute objectivité, contrairement aux associations. Il s’agit là d’un conflit d’intérêts institutionnel, qui mettra obligatoirement l’Ofii et tous ses agents devant des injonctions contradictoires.
Cette proposition de loi, qu’elle le veuille ou non, introduit également une confusion entre information et accès effectif au droit. Ce sont pourtant deux notions différentes : l’analyse juridique de la situation des personnes retenues et les conseils individuels personnalisés ne sont pas la même chose que la mise à disposition de brochures.
L’article L. 744-9 du Ceseda dispose que « l’étranger maintenu en rétention bénéficie d’actions d’accueil, d’information et de soutien, pour permettre l’exercice effectif de ses droits et préparer son départ, selon des modalités définies par décret en Conseil d’État ».
Par un arrêt du 3 juin 2009, le Conseil d’État a réaffirmé la nécessité de garantir l’accès effectif au droit, lequel ne se limite pas à une simple information : « Le décret prévoit que la convention passée entre le ministre chargé de l’immigration et la ou les personnes morales sélectionnées doit permettre l’exercice effectif de leurs droits par les étrangers et précise que la mission confiée par la convention ne se limite pas à l’information des étrangers mais comprend également l’aide à l’exercice de leurs droits. »
L’accompagnement des associations et leur présence six jours sur sept dans les CRA sont précieux, au-delà des informations qu’elles apportent. Les délais sont parfois courts pour contester les décisions : quarante-huit heures pour les mesures d’éloignement, quatre jours pour les mesures d’enfermement.
Le fantasme d’une course au recours, voulu et souhaité par les associations, est vraiment indécent. Allez visiter les CRA, les zones d’attente et les lieux de rétention administratifs, avant de communiquer. Parlez au personnel de tous les lieux de rétention.
Les associations intervenant dans les CRA aident les étrangers à faire valoir leurs droits lorsqu’elles souhaitent porter plainte. Ils ont parfois besoin de solliciter le médecin de l’Ofii d’une demande de protection contre l’éloignement, en raison de leur état de santé. Ils peuvent également souhaiter saisir certaines autorités administratives indépendantes (AAI) ou, à titre exceptionnel, des juridictions : demande de mainlevée de la rétention administrative, saisine du juge des référés, recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, etc.
Les procédures des droits des étrangers sont de plus en plus complexes. Une expertise acquise, des formations adéquates et des compétences spécifiques permettent seules de garantir l’accès effectif au droit.
Du reste, notre groupe dénonce avec véhémence l’interprétation que fait la présente proposition de loi de la position de la Cour des comptes sur la présence des associations. Jamais il n’a été sous-entendu, chiffré ou démontré que leur intervention emportait un coût excessif pour le budget de l’immigration. Le texte prévoit de faire assurer par les avocats les missions relevant de l’assistance juridique que l’Ofii ne peut pas et ne sait pas accomplir. Comme d’habitude, rien n’est chiffré !
Les CRA sont donc amenés à se multiplier, si la vision des derniers gouvernements successifs perdure et si les financements jusque-là absents sont enfin alloués. Or ils ne peuvent être perçus comme un lieu de punition, sans droits.
Cette vision perturbée du rôle de la rétention administrative entretient une confusion avec l’incarcération punitive, ce qui nous gêne au plus haut point. Nous assistons depuis de trop nombreuses années à un détournement de la rétention, aujourd’hui utilisée comme élément de politique sécuritaire.
Les associations, telles que la Cimade, interviennent dans les CRA depuis les années 1980, initialement à la demande du ministère des affaires sociales. Leurs actions ne sont pas plus militantes que celles d’un médecin qui critiquerait une caisse d’assurance maladie, mais qui respecterait ses missions de soignant hospitalier.
Ce sont les libertés de conscience et d’expression, parfois si chères à vos yeux, qui sont mises en cause par cette proposition de loi. Elles sont pourtant au fondement même de notre démocratie. Une association qui respecte la loi, mais qui serait en désaccord avec le Gouvernement, ne pourrait pas exercer ses compétences, dites-vous. C’est grave, non ?
Ce texte illustre une nouvelle fois votre acharnement contre les étrangers, souvent précaires et perçus comme des dangers.
Notre groupe rejette ce texte, cette vision, cette atteinte au droit qui blesse notre démocratie. Nous dénonçons les fondements sur lesquels il est bâti : ils sont, au mieux, non renseignés ; au pire, mensongers.
Notre groupe condamne cette volonté de ne pas respecter l’équilibre de nos institutions et de présenter des propositions de loi sans étude d’impact, pour satisfaire les ambitions court-termistes de certains membres du Gouvernement et flatter de prétendus courants d’opinion. (Marques d’impatience et exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Veuillez conclure !
M. Roger Karoutchi. Votre temps est largement écoulé !
M. Guy Benarroche. Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à voter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Margueritte, rapporteur. Monsieur Benarroche, vous affirmez que 44 % des personnes enfermées en 2024 ont été libérées par un juge. Ce pourcentage correspond en réalité au nombre d’étrangers non éloignés qui sont sortis d’un centre de rétention. Le nombre de personnes enfermées qui ont été libérées est plutôt de 17 %.
Vous avez raison, le droit des étrangers est de plus en plus complexe. Il s’agit d’ailleurs d’une raison supplémentaire pour confier pleinement la mission d’assistance aux avocats. (M. le ministre d’État opine.)
Je ne reviendrai pas sur vos propos concernant l’existence d’un conflit d’intérêts. Je vous renvoie à la réponse que j’ai faite à M. Brossat voilà quelques instants sur la neutralité du service public – encore une fois, il s’agit de confier à l’Ofii des tâches d’information – et la massification des recours.
Je le répète, les recours devant le juge judiciaire ont augmenté de 30 % en deux ans. Cette évolution est tout à fait spectaculaire et s’accompagne d’une trajectoire similaire concernant les procédures d’éloignement et le contentieux porté devant le juge administratif. Je n’exposerai pas de nouveau l’argumentaire que j’ai développé précédemment.
Pour l’ensemble de ces raisons, et parce qu’elle souhaite que le débat se tienne, la commission émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Carole Ciuntu, pour explication de vote.
Mme Marie-Carole Ciuntu. Nous pouvons ne pas avoir le même avis, chers collègues. Toutefois, depuis le début de ce débat, vous avez peu d’arguments factuels à nous opposer. (Mme Corinne Narassiguin proteste.)
Monsieur Brossat, je vous invite à citer les propos que nous avons réellement tenus ; ils sont d’ailleurs faciles à vérifier. En ce qui me concerne, je n’ai jamais affirmé dans Paris Match les mots que vous me prêtez !
M. Ian Brossat. Je sais lire, comme vous !
Mme Marie-Carole Ciuntu. Il est totalement inutile d’inventer des propos pour essayer d’apporter de l’eau à votre moulin. Même les mots que vous avez cités ne me paraissent pas discréditer la suite de nos échanges.
J’ai écouté attentivement l’intervention de M. Benarroche. Il estime que le travail des associations est indispensable et qu’elles seules sont capables d’intervenir au sein des CRA. Ainsi, ni l’Ofii, ni les avocats, ni l’État ne seraient dignes de confiance.
Vous nous reprochez d’être les seuls, de ce côté de l’hémicycle, à faire de la politique, contrairement à vous. Pourtant, votre démarche est totalement politique et n’a rien de juridique !
M. Guy Benarroche. Rien de juridique dans ce texte non plus…
Mme Marie-Carole Ciuntu. Je ne sais que vous répondre, sinon que je suis du même avis que le rapporteur et le ministre. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 3, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 267 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 100 |
Contre | 243 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Sophie Briante Guillemont. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, l’article L. 744-9 du Ceseda dispose que « l’étranger maintenu en rétention bénéficie d’actions d’accueil, d’information et de soutien, pour permettre l’exercice effectif de ses droits et préparer son départ ».
Intuitivement, sans connaître dans le détail le droit des étrangers, on pourrait parfaitement se dire que cette mission est assurée par un organisme public, tel que l’Ofii. Ce n’est pas le cas et cette proposition de loi, juridiquement améliorée en commission, traite précisément de ce sujet.
Dans le système actuel, ce sont les associations, choisies dans le cadre d’un marché public, qui assurent la première partie de l’information, analysent la situation personnelle du demandeur, le conseillent juridiquement, rédigent le recours et, le cas échéant, la demande d’aide juridictionnelle.
Puis, ces associations passent le relais à l’avocat, qui se charge surtout de représenter son client devant les juridictions compétentes avec, il est vrai, une maîtrise inégale des dossiers. Sa rémunération peut être couverte par l’AJ depuis la loi du 10 juillet 1991.
Dans le texte issu des travaux de la commission des lois, le système proposé est tout autre. Les associations disparaissent et il reviendrait désormais à l’Ofii de donner le premier degré d’information sur leurs droits aux personnes retenues au sein des CRA.
L’Ofii est déjà présent dans les centres de rétention administrative. Distribuer aux personnes retenues une documentation basique sur leurs droits, en plusieurs langues, ne semble pas une charge très lourde. La direction de l’Ofii a d’ailleurs assuré au rapporteur qu’elle était prête à le faire.
Après cette phase d’information, nous passerions directement à la mise en relation avec l’avocat. Celui-ci ferait alors l’analyse particulière et personnelle de la situation, rédigerait les recours potentiels et représenterait son client devant le juge. C’est là que le système proposé devient problématique.
Le rapporteur a commencé par relever la faiblesse actuelle de l’aide juridictionnelle. Il faudrait donc avant tout savoir si le Gouvernement est prêt à la revaloriser.
En effet, aucun avocat, s’il n’a pas une conviction profonde de l’intérêt de ce qu’il réalise – donc s’il n’est pas lui-même un peu militant –, ne voudra assurer le conseil et la défense d’une personne retenue administrativement, car ce n’est pas intéressant sur le plan financier.
Surtout, ce texte me pose vraiment problème en ce qu’il traduit une profonde méconnaissance du fonctionnement concret de l’accès au droit.
Le droit des étrangers est un contentieux aride, technique et particulier. Pour le maîtriser correctement, il faut avoir de la pratique. A minima, il faudrait inclure le droit des étrangers dans la formation obligatoire des avocats et demander à chacun de faire des stages dans des permanences juridiques.
Ceux qui possèdent l’expertise technique aujourd’hui, ce sont non pas les avocats, sauf pour une minorité d’entre eux, mais les associations. Ce sont elles qui, depuis des dizaines d’années, ont développé cette expertise qui appelle une disponibilité et une présence très importante.
Cette proposition de loi, qui ne repose sur aucune étude d’impact, part du principe que les associations conseillent mal et qu’elles sont à l’origine de l’augmentation massive du nombre de recours contre les OQTF : c’est faux !
Les membres de ces associations sont des juristes. Ainsi, ils ont bien plus tendance à conseiller correctement la personne retenue en fonction des chances qu’aura le recours d’aboutir et sont beaucoup plus réticents à former un recours inutile, tout simplement parce qu’ils connaissent mieux la matière.
Pour évaluer la qualité du travail des associations, il faut se référer à un chiffre important, celui du taux d’acceptation des recours introduits contre une décision de l’administration. Je ne reviendrai pas sur ce sujet, qui a déjà été évoqué. On ne peut pas dire que les associations fassent n’importe quoi : les chiffres montrent au contraire que leur intervention est pertinente.
Le système adopté par la commission des lois respecte en théorie les droits de la défense des étrangers en situation irrégulière, mais pas en pratique.
Évincer du jour au lendemain les associations qui disposent d’une expertise en droit des étrangers provoquerait un bouleversement immense. La date choisie pour reporter l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions, soit le 1er janvier 2026, ne saurait suffire ni pour former à temps tous les avocats ni pour que les juristes des associations passent leur certificat d’aptitude à la profession d’avocat (Capa).
Pour les comptes publics, il n’est pas du tout certain que cette formule soit plus économique, bien au contraire. Je vous invite à regarder la rémunération des intervenants des associations ; dans certains cas, ils sont simplement bénévoles.
Je comprends que l’on s’interroge sur la place des associations, mais la réalité est qu’on ne peut pas faire sans elles aujourd’hui.
Par ailleurs, penser que les membres de ces associations sont tous des militants politiques est une grave erreur. Veillons à ne pas faire de généralisations : ce sont surtout des personnes confrontées tous les jours au désespoir d’êtres humains, qui, pour partie, n’ont commis aucun délit, si ce n’est de vouloir vivre en France.
Aujourd’hui, un quart des personnes retenues au sein des CRA sortent directement de prison. Mais quid du trouble à l’ordre public que vous évoquiez, monsieur le ministre ? J’aimerais que vous puissiez apporter des détails sur ce sujet, qui demeure pour le moins flou.
Les personnes qui interviennent au sein des CRA méritent toute notre considération.
Adopter cette proposition de loi, c’est, à l’heure actuelle, accepter un considérable recul de l’accès au droit des étrangers en France. Parce que le groupe RDSE est profondément humaniste et républicain, il ne la votera pas ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST, SER et CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord féliciter l’auteure de la proposition de loi, qui est aussi rapporteure spéciale de la commission des finances. Pour rappel, le rapport de la Cour des comptes, qui sert en partie à étayer le présent texte, a été élaboré à la demande de notre commission des finances, après les observations particulièrement pertinentes de Mme Ciuntu.
Je tiens également à adresser mes sincères félicitations au rapporteur de la commission des lois. La valeur n’attend pas le nombre des semaines dans cet hémicycle. Je vois dans son travail un signe d’efficacité de notre Basse-Normandie. (Sourires.)
Passons au fond du texte. La proposition de loi qui nous est ici présentée ne supprime aucun droit. Elle vise simplement à transférer un certain nombre d’opérations et de missions à l’Ofii. La description qui en a été faite par certains de nos collègues ne semble pas conforme au texte.
Celui-ci constitue un premier pas vers une amélioration des conditions de lisibilité. La Cour des comptes a mis en lumière un certain nombre de dérives. Elle rappelle ainsi que l’assistance juridique est définie dans un cahier des clauses techniques particulières, issue d’un marché public national piloté par la direction générale des étrangers en France (DGEF). L’assistance juridique porte sur l’analyse de la situation de la personne retenue, le conseil et l’orientation, l’aide à la rédaction des demandes et des recours et la mise en contact avec des avocats.
La réalité est plus confuse, comme l’a rappelé le rapporteur. Les avocats interviennent de moins en moins au sein des CRA, en particulier au moment de la rédaction des recours. Il n’est pas rare qu’ils se présentent devant une juridiction avec des recours prédigérés, sans même en avoir pris connaissance.
Le rapporteur a également évoqué des recours formés pour le compte d’étrangers retenus, sans que ceux-ci en aient été informés.
M. Guy Benarroche. C’est faux !
Mme Nathalie Goulet. Je ne dis pas que c’est systématiquement le cas, mais ce sont des choses qui arrivent. (M. Guy Benarroche proteste.) Nous ne serons pas d’accord sur ce texte clivant, cher collègue : we agree to disagree.
Je compte sur mon groupe, le groupe Union Centriste, qui est profondément républicain et humaniste, et absolument en accord avec le texte proposé. (Mme Marie-Carole Ciuntu applaudit.)
Nous préférons que les gens dangereux soient renvoyés dans leur pays, que les CRA soient bien utilisés et que les missions concernées soient transférées à l’Ofii. C’est notre choix et c’est celui de la proposition de loi qui vous est soumise avec une force tranquille, sans énervement ni excès. J’y insiste, le texte ne va pas plus loin qu’un transfert de mission : vous ne pouvez lui reprocher d’en faire davantage.
Le rapporteur comme la Cour des comptes relèvent des manquements à l’obligation de neutralité. Nous en avions d’ailleurs parlé lors du débat budgétaire. Le 2 décembre dernier, j’avais déposé des amendements visant à diminuer les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », dans l’espoir que les missions des associations soient mieux contrôlées.
La commission des lois devait lancer une mission flash sur cette question. Il n’y a aucun problème à vouloir contrôler l’argent public quand il est confié à des associations.
Les chiffres sont tout de même impressionnants : plus de 1 milliard d’euros sont alloués aux associations et l’aide juridictionnelle représente un coût total de 7 millions d’euros.
M. Guy Benarroche. Le milliard d’euros, c’est avec l’hébergement !
Mme Nathalie Goulet. Il n’est pas question de supprimer cette aide, cher collègue. Encore une fois, nous ne serons pas d’accord sur ce texte, que je continuerai de soutenir.
Je profiterai du temps qu’il me reste pour parler de phénomènes connexes, dont celui du trafic d’êtres humains et de migrants, qui est devenu un véritable business. Le montant du blanchiment d’argent en ce domaine est désormais compris entre 5 milliards et 7 milliards d’euros.
Le 7 février dernier, le ministre de l’intérieur et le ministre des comptes publics ont signé avec Tracfin un accord pour contrôler et mieux suivre les filières de blanchiment d’argent. C’est une action extrêmement importante, qui s’effectuera en amont du dispositif que nous sommes en train d’examiner.
En effet, si nous asséchons les filières, moins d’individus se trouveront en situation irrégulière et nous aurons réglé un certain nombre de questions.
J’appelle votre attention sur l’arrestation, il y a quelques semaines, à la frontière entre la Pologne et l’Allemagne, de passeurs syriens, afghans et iraniens. Elle a permis de remonter la filière et de déterminer la provenance des fonds servant à alimenter ce trafic. Sur les 531 millions d’euros ainsi identifiés, 31 millions d’euros ont été versés au Hezbollah et 10 millions au Djihad islamique.
Je ne vais pas passer le reste de mon intervention à radoter et à invoquer éternellement les mêmes chiffres. Je vous propose de travailler sur les questions d’asile et d’immigration – nous pourrons ainsi assécher les filières d’immigration irrégulières, qui sont extrêmement importantes – et de poursuivre l’action engagée avec Tracfin.
En outre, il conviendrait que la commission des lois lance la mission flash que nous avions demandée, en complément du rapport de la commission des finances.
Il ne nous a pas échappé que la Cour des comptes, dans un excès de pudeur, ou par manque de moyens, n’a pas fait l’évaluation de la performance des programmes. Ainsi, il faudrait que nous complétions le rapport de la Cour, qui est un pur état des lieux, par un rapport sur la performance des associations. Nous serons ainsi encore plus contents de voter ce texte ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marianne Margaté.
Mme Marianne Margaté. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est loin d’être un détail. Elle jette l’opprobre sur des associations, avec un seul objectif : interdire l’accès au droit des personnes retenues au sein des CRA.
Après que la majorité de cette assemblée a voté l’allongement de la durée de rétention, c’est à présent à un droit fondamental qu’elle s’attaque. Cela tourne à l’obsession !
Cette proposition de loi est grave, car, en vérité, elle remet en cause l’équilibre du dispositif de rétention. En confiant à l’Ofii une mission d’information, la distance qui sépare celui qui retient de celui qui défend se trouve réduite jusqu’à l’effacement.
Doit-on priver les Restos du Cœur de la possibilité de nourrir, parce qu’ils manqueraient de neutralité ? Doit-on empêcher la Fondation pour le logement des défavorisés d’offrir un toit pour ce même motif ? Doit-on également refuser à l’association Solidarité Femmes l’abri qu’elles assurent à celles qui fuient la violence ? Refuserions-nous cela ? Non, bien évidemment !
Pourtant, cet argument est ici transposé à l’Ofii, soudain proclamé arbitre impartial, alors qu’il dépend de la même autorité qui programme l’expulsion.
Notre justice impartiale et neutre doit être accessible à tous sur notre territoire, pour que chacun ait droit à un recours effectif. C’est là un fondement de notre État de droit, auquel les associations veillent au sein des centres de rétention.
Pourquoi reprocher aux associations leur manque de neutralité, alors même qu’elles ne prennent aucune décision juridique et ne font qu’exercer la mission qui leur est demandée ?
Dans les centres de rétention, cinq structures conventionnées – Forum réfugiés, France terre d’asile, le groupe SOS de l’Assfam, la Cimade et Solidarité Mayotte – rencontrent chaque personne enfermée, analysent la situation, rassemblent pièces et liens familiaux, saisissent le Défenseur des droits et indiquent aux tribunaux les failles qui, trop souvent, entachent la décision.
Leur présence ne crée pas le dysfonctionnement, elle le dévoile. Le regard extérieur constitue l’oxygène du droit.
L’article unique de la proposition de loi substitue à cette médiation vivante un livret multilingue rédigé par l’Ofii, dont l’absence est sans conséquence sur la validité de l’éloignement. Une main détient alors le pouvoir de priver, d’informer ou d’omettre sans risque, tandis que la personne enfermée dispose de quarante-huit heures pour former un recours.
Ce texte crée une asymétrie totale : l’administration acquiert la faculté de commettre une erreur, alors que l’étranger conserve l’obligation de perfection.
Il est évident que la simple mise à disposition de documents d’information par l’Ofii ne peut combler les tâches accomplies par les associations, pourtant essentielles dans un État de droit. De plus, sans moyens humains et financiers supplémentaires pour l’Ofii, qu’adviendra-t-il de ses agents, abandonnés eux aussi ?
Quant aux avocats, ils n’ont pas vocation à remplacer les associations. Au contraire, la profession rappelle qu’elle travaille main dans la main avec elles. Les avocats n’ont pas pour mission d’exécuter toutes ces tâches, sans permanence quotidienne au sein des CRA et sans augmentation significative des montants de l’aide juridictionnelle.
Enfin, derrière les mots, la logique économique reste lisible. Maintenir la menace permanente d’un éloignement sert de rappel à une main-d’œuvre précaire : plus la pression demeure proche, plus le salaire se contracte et plus la rentabilité se dilate. Chaque texte qui réduit le contre-pouvoir renforce ce mécanisme discret.
Refuser ce texte, c’est dire qu’une démocratie tient à la pluralité des voix, même marginales, et qu’aucune logique d’efficacité ne justifie d’éteindre la lampe qui éclaire la procédure.
Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky votera bien évidemment contre cette proposition de loi, parce qu’il défendra toujours l’État de droit et le respect de la dignité humaine. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, pour commencer, je me propose de citer l’auteure de cette proposition de loi, dans une interview accordée à Paris Match mercredi dernier : « Dans les centres de rétention administrative, des associations sont à demeure et assurent l’assistance juridique des personnes retenues. Elles ont des options politiques et sont militantes. Elles sont financées par de l’argent public pour, en fait, venir contrer la politique d’immigration définie par le gouvernement. Elles sont financées à hauteur d’un milliard d’euros. […] Nous devons sortir les militants pour y mettre des professionnels. »
Cette citation constitue le véritable exposé des motifs de cette proposition de loi ; elle relève d’une vision stigmatisante, partielle et en grande partie mensongère, dont plusieurs points peuvent être contredits.
Tout d’abord, il est vrai que les associations interviennent dans les CRA, depuis leur création. C’est la seule affirmation exacte que comporte cette citation.
Depuis 2010, leur rôle a évolué : elles garantissent l’accès effectif aux droits des personnes enfermées, dans le cadre d’une mission prévue par la loi, notamment par les articles L. 744-9 et R. 744-20 du Ceseda, et relevant de marchés publics contractés avec le ministère de l’intérieur.
Leurs intervenants sont des professionnels dotés de compétences juridiques spécifiques, qui informent de manière personnalisée sur les droits, les décisions et les procédures, et alertent les autorités sur les dysfonctionnements constatés dans les CRA. Ces missions requièrent une expertise, une présence effective et une indépendance, garanties par le cahier des charges du marché public.
Pour autant, l’affirmation selon laquelle ces associations auraient des opinions politiques et seraient militantes est sans objet, dès lors que personne ne constate de manquement dans l’exercice des missions qui leur sont confiées dans le cadre strict du marché public au sein duquel elles agissent. Elles rendent compte régulièrement de leurs actions aux responsables des centres et à la direction générale des étrangers en France.
Prétendre qu’elles entraveraient les politiques en aidant les personnes à exercer leur droit constitutionnel au recours est un non-sens, sauf à considérer que faire respecter le droit est incompatible avec la bonne marche des politiques publiques.
Point suivant, ces associations financées par l’argent public prendraient le contrepied de la politique d’immigration définie par le Gouvernement. Si l’accès aux droits et l’action en justice qu’elles facilitent contrent les décisions de l’administration, c’est bien souvent parce que ces décisions elles-mêmes sont entachées d’illégalité et d’irrégularité. Confier ces missions à un opérateur chargé lui-même de mener la politique d’éloignement porte en soi le germe du recul des droits des personnes retenues.
Le nombre important de personnes libérées par les juges chaque année – 44 % en 2024 – démontre l’utilité de l’action en justice et l’existence de nombreuses irrégularités dans les procédures d’interpellation ou d’éloignement et non une action militante des associations. La massification du contentieux ne résulte pas d’un mouvement volontaire des associations, comme le sous-entend ce texte, elle est la conséquence directe de l’inflation législative permanente sur ces questions, qui a complexifié le droit et l’a conditionné à une politique du chiffre.
La Cour des comptes elle-même, dans son enquête de décembre 2024, reconnaît que les associations remplissent bien leurs missions d’assistance juridique. Celles-ci jouent un rôle essentiel dans ces lieux fermés au public que sont les CRA ; elles sont la principale source de données publiques non gouvernementales sur l’enfermement et permettent de constater et de dénoncer les indignités, les abus et les violations des droits. Mettre fin à leur présence, c’est vouloir occulter la réalité des conditions de rétention administrative.
L’affirmation selon laquelle ces associations seraient financées à hauteur de 1 milliard d’euros, reprise par notre collègue Nathalie Goulet, relève, quant à elle, d’un détournement de la vérité. Le budget global de la mission « Immigration, asile et intégration » dans son ensemble s’élève, certes, à plus de 1 milliard d’euros pour 2025, mais cette mission couvre des dépenses bien plus vastes, incluant notamment l’hébergement des demandeurs d’asile.
En réalité, le coût de l’assistance juridique aux personnes retenues dans les CRA par les associations n’est que de 7,4 millions d’euros en 2024, soit un rapport de 1 à 135 avec le chiffre avancé. Excusez l’ampleur de l’approximation ! Rien de mieux qu’une grosse « manip » pour faire passer un texte aussi bancal.
Enfin, vous affirmez qu’il faudrait « sortir les militants pour y mettre des professionnels ». C’est une insulte au travail des associations. En France, le secteur associatif emploie plus de 1 million et demi de personnes. Les intervenants dans les CRA sont des professionnels dotés de l’expertise et des compétences juridiques nécessaires pour cette mission complexe.
La solution proposée, qui consiste à confier ces tâches à l’Ofii, soulève d’énormes difficultés et apparaît profondément irréaliste, au-delà des conflits d’intérêts évidents. Je rappelle que le schéma d’emploi global de l’Ofii, voté dans le projet de loi de finances pour 2025, est en diminution de vingt-neuf équivalents temps plein (ETP). Qui, dès lors, va accomplir les nouvelles tâches prévues dans le présent texte ?
En conclusion, cette proposition de loi est justifiée par des approximations, des erreurs factuelles, des contresens juridiques et des biais politiques manifestes. Elle vise à museler les voix indépendantes dans les CRA, à réduire l’accès aux droits des personnes retenues et à affaiblir le rôle crucial d’observation et d’alerte des associations.
Nous apportons tout notre soutien aux associations ainsi prises pour cible et nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Narassiguin.
Mme Corinne Narassiguin. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, nous nous retrouvons malheureusement une fois de plus pour évoquer ce qui est devenu la passion de la droite sénatoriale : l’immigration.
Cette fois-ci, vous tentez de faire d’une pierre deux coups : pour vous en prendre de nouveau aux droits des migrants, vous nous proposez de nous attaquer aux associations qui jouent un rôle de soutien et d’accès au droit au sein des centres de rétention administrative.
Mes chers collègues, nous pouvons dresser une bien triste liste de vos textes anti-étrangers, qui ne font que stigmatiser une partie de la population et qui alimentent un ressentiment au sein de notre société. Tous les étrangers seraient donc des ennemis, des gens dangereux ; et c’est bingo pour ceux qui sont à la fois étrangers et musulmans, que l’on pourrait ainsi mettre au ban de notre société.
Je le dis avec gravité, cette attitude, la banalisation du rejet de l’autre et la propagation de ce type de discours peuvent conduire aux drames les plus atroces comme l’assassinat barbare d’Aboubakar Cissé, parce que musulman. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Les autres personnes assassinées ne comptent pas ?
Mme Corinne Narassiguin. Ce texte est symptomatique d’une droite qui se croit encore républicaine, mais qui s’éloigne pas à pas de ses principes, après une proposition visant à créer une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales, une autre tendant à interdire le mariage avec une personne en situation irrégulière, une troisième revenant sur le droit du sol à Mayotte. Voilà un beau mélange, ponctué par les déclarations et la surenchère de notre ministre de l’intérieur, qui s’est découvert une passion pour les circulaires.
Vous nous proposez donc d’exclure les associations des actions d’aide à l’exercice de leurs droits par les étrangers placés en CRA et de les remplacer par l’Office français de l’immigration et de l’intégration.
L’article L. 744-20 du Ceseda prévoit : « Le ministre chargé de l’immigration conclut une convention avec une ou plusieurs personnes morales ayant pour mission d’informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits. À cette fin, la personne morale assure, dans chaque centre dans lequel elle est chargée d’intervenir, des prestations d’information, par l’organisation de permanences et la mise à disposition de documentation. »
La désignation de ces associations passe par un marché public. Elles sont actuellement au nombre de cinq à intervenir au sein des CRA : Assfam-Groupe SOS Solidarités, France terre d’asile, Forum réfugiés, la Cimade, Solidarité Mayotte. Elles doivent respecter un cahier des charges précis et rendre compte régulièrement de leurs actions auprès du ministère de l’intérieur.
L’auteure de cette proposition de loi ne se soucie pas d’assurer un accompagnement juridique de qualité des personnes retenues, mais s’inquiète au contraire de sa trop grande qualité, qui conduirait à une baisse des renvois vers les pays d’origine. On reprocherait donc aux associations de trop bien faire appliquer le droit. C’est original !
Vous vous affolez d’une massification des recours, mais sans avancer de chiffre ni justifier d’une quelconque corrélation. Permettez-moi de vous rappeler que si les recours augmentent, c’est parce que nous assistons à une massification des OQTF, bien souvent infondées et qui sont par la suite annulées.
Si vous souhaitez voir le nombre de recours baisser, il suffit d’arrêter de délivrer à l’aveugle des OQTF, sans discernement.
M. Roger Karoutchi. Ben voyons !
Mme Corinne Narassiguin. Si vous souhaitez voir le nombre de recours baisser, il suffit que l’administration cesse de contester les décisions qui lui sont défavorables. Simple, basique, mathématique.
En 2024, 44 % des personnes placées en CRA ont été libérées par le juge après que celui-ci a constaté l’illégalité des conditions d’interpellation ou de procédure d’éloignement. Si les recours existent, c’est bien parce que le droit l’impose ; ce n’est en rien le fait des associations. Dans leur rôle de conseil, ces dernières peuvent même parfois déconseiller un recours si celui-ci n’est pas opportun et n’a pas de chance d’aboutir.
Dans l’exposé des motifs, l’auteure du texte s’inquiète du manque de neutralité des associations, révélant une totale méconnaissance de la liberté d’association, principe fondamental de notre République.
La liberté d’expression va de pair avec la liberté d’association : dans ce cadre, les associations peuvent participer librement au débat public et prendre des positions. Pour autant, lorsqu’elles sont mandatées par le ministère de l’intérieur dans le cadre d’un marché public, leur seul objectif est de garantir le respect des droits fondamentaux et de l’État de droit.
Madame la sénatrice Ciuntu, vous citez votre propre rapport, réalisé au nom de la commission des finances, qui relèverait une alerte de la Cour des comptes sur l’action des associations. Or la seule phrase que contient le rapport de la Cour des comptes à ce sujet, à la page 44, est la suivante : « Il n’est pas douteux que les associations remplissent effectivement leur mission d’assistance juridique. » Permettez-moi de ne pas faire la même interprétation que vous de l’expression « il n’est pas douteux », qui signifie que les associations remplissent bien leur mission d’assistance juridique.
Un autre argument original, qui fera sourire ceux qui connaissent bien le milieu associatif, est avancé : l’intervention de l’Ofii en lieu et place des associations permettrait de mieux coordonner la gestion et les dépenses associées, et ce sans aucune évaluation budgétaire.
Je peux vous l’affirmer, l’intervention de l’Ofii sera bien plus coûteuse que celle des associations…
M. Roger Karoutchi. Pourquoi donc ?
Mme Corinne Narassiguin. Parce que, par définition, ces dernières bénéficient d’une expertise dans la gestion de budgets faibles. Il s’agit de l’une de leurs contraintes quotidiennes. Leur coût salarial, par exemple, est très inférieur à celui du personnel de l’Ofii.
Le texte prévoit également le bénéfice de l’aide juridictionnelle et d’un avocat commis d’office. Actuellement, la désignation de l’avocat se fait par l’intermédiaire de la requête adressée au tribunal, dont le contenu a été élaboré avec les associations. Sans leur intervention, la personne retenue devra solliciter l’aide juridictionnelle préalablement au dépôt d’un recours, ce qui emportera des délais supplémentaires. Nous rencontrons donc ici la même difficulté : cette disposition n’est pas chiffrée, alors qu’elle emportera un coût supplémentaire évident. De plus, les avocats ne viendront pas tant qu’ils ne seront pas saisis, car ils ne seront pas informés.
J’ai donc sollicité l’avis de la profession, ce que visiblement ni l’auteure ni le rapporteur n’ont jugé bon de faire. Sa réponse est la suivante : « L’absence d’intervention des associations compromettrait gravement l’exercice du recours, les étrangers n’ayant pas les moyens de l’engager seuls. La profession s’oppose fermement à ce que l’information juridique des personnes retenues soit confiée à l’Ofii, estimant que cette responsabilité doit revenir à des acteurs indépendants afin de préserver les droits et de garantir un accompagnement objectif. » Les avocats attaqueront ainsi cette nouvelle disposition, et l’État risque fort d’être condamné.
Ce texte est également contraire au droit européen dans la mesure où il pourrait ne pas être conforme aux articles 13 et 16 de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive Retour.
Par ailleurs, le pacte sur l’asile et la migration a rappelé un principe déjà évoqué dans la directive du 14 mai 2024 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant une protection internationale, dite directive Accueil : la mission d’information et de soutien des demandeurs d’asile doit être réalisée « par des conseils juridiques ou d’autres personnes dûment qualifiées, reconnues ou habilitées par le droit national, dont les intérêts n’entrent pas en conflit ou ne sont pas susceptibles d’entrer en conflit avec ceux du demandeur ».
Enfin, le choix de l’Ofii est en lui-même problématique, car le cadre juridique actuel impose l’indépendance de l’acteur qui assure l’information et le soutien. Or l’Ofii dépend du ministère de l’intérieur. Cette proposition de loi crée donc un réel conflit d’intérêts en lui confiant l’accompagnement des personnes retenues dans leurs démarches juridiques visant à contester la légalité des pratiques de services de police ou de préfectures agissant sous l’autorité directe de ce même ministère. Il s’agit d’un manque d’indépendance et de neutralité avéré, en réponse à un prétendu manque de neutralité des associations.
Aujourd’hui, le rôle joué par l’Ofii au sein des CRA se limite à un accompagnement pour l’aide au retour. Il serait donc éminemment contradictoire de lui confier en sus une assistance juridique. L’Ofii éprouve déjà des difficultés à remplir toutes les missions qui lui sont confiées au sein des CRA, comme le soutien moral et psychologique ou les entretiens de vulnérabilité. Pourquoi vouloir lui en confier de nouvelles ?
Ce texte n’a qu’un seul objectif, dont vous vous cachez à peine : empêcher les recours et faciliter les expulsions. Je le dis de nouveau, il ne changera strictement rien à l’exécution des OQTF. Le véritable problème aujourd’hui est non pas les recours contre les OQTF, mais l’incapacité de l’État à éloigner les personnes sous le coup d’OQTF prononcées massivement et sans discernement.
Pour toutes ces raisons, nous nous opposerons à cette proposition de loi, qui nous semble sans fondement et qui ne fait que stigmatiser les étrangers ainsi que les associations. Vous tentez de porter une nouvelle attaque frontale contre la liberté d’association, contre la liberté d’expression, une nouvelle attaque frontale contre notre État de droit. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Mme Sophie Briante Guillemont applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, nous ne cachons pas notre satisfaction que la majorité sénatoriale prenne une initiative structurée sur la question de l’immigration.
Certes, commencer par les centres de rétention administrative c’est, reconnaissons-le, commencer par la fin de la chaîne migratoire. En effet, si les CRA sont une obligation pour retenir et faciliter l’expulsion d’étrangers en situation irrégulière, ils ne sont que le dernier maillon du processus.
Nous demandons depuis longtemps, et vous le savez, une action sur les causes profondes de l’immigration, notamment le laxisme judiciaire et régalien dans le contrôle de nos frontières et l’empêchement de l’entrée illégale sur notre sol. Il faudra un jour être dissuasif et, bien évidemment, la première des mesures devra être la mise en place, de plus en plus urgente, de la priorité nationale, puis l’abrogation de cette inanité juridique et politique qu’est le droit du sol.
Nous espérons qu’à l’occasion de la discussion des multiples prochains textes sur ce sujet, nous pourrons placer le débat à son juste niveau, sans discuter de la taille des cautères sur jambes de bois.
Dans tous les cas, nous approuvons la philosophie de ce texte, qui met en lumière une habitude malsaine prise par l’État : l’organisation de sa propre impuissance.
En effet, notre droit prévoit fort légitimement que les étrangers en CRA disposent d’une assistance juridique et d’un conseil pour faire valoir leurs droits et potentiellement contester les décisions de justice. À partir de ce principe, l’État a décidé de déléguer ce soutien aux étrangers à des associations diverses. Encore une fois, par principe, nous n’y sommes pas opposés.
Le malheur est que ces associations défendent et dispensent une vision militante de la migration. Il faut lire à ce titre leurs rapports d’activité dans lesquels l’expulsion de l’étranger est systématiquement présentée comme une défaite et son maintien par tout moyen sur le sol national comme un objectif. Sous le vocable de délégation de service public, l’État a donc surtout organisé et financé les moyens de sa propre impuissance.
Nous saluons ainsi l’objectif central du texte : confier à l’Ofii la charge de fournir des conseils juridiques aux étrangers. Redonner à un organisme public le contrôle de cette mission répond tant à l’exigence de l’ordre public et d’impartialité qu’à la bonne tenue de nos comptes.
Comme souvent, les beaux principes aboutissent à des catastrophes : catastrophe pour nos comptes, catastrophe pour la sécurité publique et surtout catastrophe pour l’efficacité de la justice administrative.
Nous voterons donc ce texte qui définit, à notre sens, les bases d’améliorations substantielles de la gestion de nos CRA et signe la fin de la récréation pour certaines associations faisant de l’immigration non plus une cause humanitaire, mais un business juteux et opportuniste sur le dos de la misère humaine.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, dans notre République, les droits fondamentaux doivent s’appliquer à tous, sans distinction d’origine ni de statut. Une personne en situation irrégulière sur notre territoire doit être traitée avec respect et dignité, conformément aux principes que nous ont légués les Lumières et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
C’est dans cet esprit que notre droit prévoit un accompagnement juridique des personnes retenues en zone d’attente ou en centre de rétention. Cette assistance comprend l’analyse de leur situation, des conseils, un appui dans leurs demandes administratives et judiciaires, ainsi que la mise en relation avec un avocat ; elle constitue un pilier essentiel de l’exercice des droits et des garanties procédurales.
Si nous partageons tous l’objectif de garantir ces droits, nous ne pouvons ignorer les dysfonctionnements du système actuel. En confiant cette mission d’assistance juridique à des associations par le biais d’un marché public, l’État s’est, à nos yeux, éloigné de son rôle régalien.
Le respect de la neutralité indispensable dans le traitement juridique des situations individuelles n’est pas pleinement assuré par certaines associations intervenantes.
Des structures comme la Cimade, France terre d’asile, Assfam-Groupe SOS Solidarités, Forum réfugiés ou Solidarité Mayotte, bien qu’utiles à la vie démocratique et souvent engagées dans des missions humanitaires, ne peuvent être considérées comme neutres sur les questions migratoires. Leur engagement militant interroge dès lors qu’il s’agit de garantir une assistance juridique impartiale, mais leur rôle de soutien et de lanceur d’alerte demeure indispensable.
Notre collègue Marie-Carole Ciuntu, dans son rapport pour la commission des finances, soulève à juste titre la question suivante : ces associations ne participent-elles pas, même involontairement, à un phénomène de massification des recours, qui surcharge notre appareil judiciaire et nuit à son bon fonctionnement ?
Face à ce constat, nous considérons qu’il est temps d’agir. Si un doute existe quant à l’impartialité ou à l’efficacité de ces dispositifs, alors il est de notre devoir d’y mettre fin. En confiant cette mission d’assistance juridique à l’Office français de l’immigration et de l’intégration, avec l’appui des avocats, nous cherchons à retrouver une cohérence institutionnelle, une meilleure réactivité et surtout la neutralité requise.
Aujourd’hui, l’État consacre près de 7 millions d’euros par an en subventions à des associations pour réaliser une mission qui pourrait, et devrait, relever de l’administration. C’est pourquoi la majorité de mes collègues du groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra les dispositions de cette proposition de loi dans un souci d’efficacité, d’équité et de responsabilité républicaine. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, cette après-midi, madame Ciuntu, c’est la fête !
Si je comprends bien, vous vous trouvez totalement en dehors du droit européen, même si plusieurs grands États européens n’accueillent évidemment pas d’associations dans leurs centres de rétention. Si vous, vous posez cette question, vous sortez du droit, contrairement aux autres. On ne sait pas pourquoi, mais c’est ainsi !
Je viens d’entendre que la solution la plus simple, finalement, serait que l’on ne prononce pas d’OQTF, que l’on ne place personne en centre de rétention. Ainsi, quel serait le problème ? Il n’y aurait plus à déterminer si l’on confie ou non cette mission à l’Ofii. C’est absurde !
La politique migratoire est définie par le Parlement et seulement par le Parlement, pas par les associations, pas par l’Ofii. Ce qui s’applique, c’est la loi, fort heureusement.
J’ai eu la chance et l’honneur de représenter le Sénat au conseil d’administration de l’Ofii pendant sept ans, entre 2014 et 2021, sous des gouvernements qualifiés de gauche de 2014 à 2017, puis sous des gouvernements macronistes de 2017 à 2021.
J’ai rédigé un certain nombre de rapports, j’ai formulé des propositions, j’ai effectué des visites de CRA et je me suis à chaque fois étonné de constater que notre politique migratoire ne consacrait pas un acteur unique, qui devrait être l’Ofii.
Lorsque l’on définit une politique migratoire, si l’on souhaite de la cohérence, tant en ce qui concerne son application, les éloignements, que l’intégration, ou l’augmentation des moyens pour l’éducation, pour les centres dépendants de l’Ofii, qui instruisent les dossiers des immigrés arrivant en France, il faut définir un seul organisme gestionnaire : l’Ofii.
J’ai entendu beaucoup de choses, mais, même si je ne suis plus représentant du Sénat à l’Office depuis maintenant quatre ans, je continue et continuerai de défendre cet organisme qui accomplit remarquablement bien son travail, qui n’est nullement politisé. Les agents de l’Ofii peuvent adhérer aux syndicats qu’ils souhaitent, ils peuvent nourrir les convictions qu’ils veulent, mais ils appliquent la loi, avec intelligence, avec discernement et avec compétence.
J’ai beaucoup entendu affirmer que le droit des étrangers étant extrêmement compliqué, il ne fallait pas le confier à n’importe qui. C’est vrai. Après tout, si nous disposons d’un organisme public, dont les agents spécialisés gèrent quotidiennement ces questions, je ne vois pas pourquoi celui-ci ne pourrait pas, dans les centres de rétention, mais aussi plus globalement, être le porte-parole et l’acteur intermédiaire entre le Parlement – la loi –, le Gouvernement – son exécution –, et l’ensemble des personnes en rétention. Il n’y a pas lieu de se méfier de l’Ofii.
J’avais reçu à plusieurs reprises les représentants des associations. On peut me reprocher beaucoup de choses, mais certainement pas de m’être opposé dans ma vie publique au monde associatif. Ils me disaient eux-mêmes combien ils n’étaient pas favorables à la loi. Ils tenaient ces propos aussi bien sous un gouvernement socialiste que sous un gouvernement macroniste : « Nous ne sommes pas favorables à la loi telle qu’elle est. Nous souhaitons qu’elle change. »
Je leur répondais que, si je pouvais comprendre ce désir, qui relevait de leur droit de citoyen, il me semblait qu’un problème se posait dès lors que cette opposition modifiait la manière dont ils exécutaient une mission de service public qui leur était confiée.
Vous pouvez me dire « mais non, mais non ! », mais si ! Je ne connais personne qui militerait contre une loi comme citoyen et, agissant dans un centre de rétention, l’appliquerait dans son intégralité. (Protestations sur les travées du groupe GEST.) Cela n’existe pas, la vie normale est ainsi faite ; vous pouvez me raconter ce que vous voulez, faites-vous plaisir, mais ce n’est pas la réalité !
M. Guy Benarroche. C’est la justice d’exception, donc ?
M. Roger Karoutchi. Monsieur Benarroche, je vous ai malheureusement écouté avec attention, faites-en autant ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Les choses sont donc très simples : il existe un organisme idoine. J’ai d’ailleurs souhaité, durant les années où j’étais membre de son conseil d’administration, en augmenter les moyens, car c’est nécessaire, et pas seulement pour les centres de rétention. Monsieur le ministre d’État, il faut le faire, parce que nous avons besoin que l’Ofii dispense davantage d’heures d’enseignement de français et d’éducation à ce qu’est la société française. Nous avons besoin que les migrants légaux présents sur notre territoire soient formés, si nous entendons qu’ils soient intégrés.
L’Ofii, c’est l’acteur clé. Lui dénier ce rôle et prétendre le réduire, ce n’est rendre service ni aux migrants légaux ni à ceux qui souhaitent une politique ferme, mais juste, que l’Ofii incarne. Je considère que son rôle est d’être pleinement présent dans les centres de rétention.
D’ailleurs, lorsque je visitais ces centres, certains acteurs reconnaissaient eux-mêmes que la situation y était compliquée, y compris pour l’Ofii, tant la présence des associations était un peu plus envahissante que la sienne, pour le dire de manière élégante.
Monsieur le ministre d’État, il est clair qu’il appartient au Parlement d’élaborer la loi et de définir le droit applicable aux étrangers sur le territoire ; il revient au Gouvernement de le mettre en application et donc à l’Ofii, organisme public qui a toute notre confiance, de le faire respecter dans les centres de rétention, comme ailleurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Solanges Nadille. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Solanges Nadille. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui soulève une question importante qui touche à la fois à la bonne utilisation des deniers publics, à l’efficacité de notre politique migratoire et à la garantie des droits fondamentaux : celle des conditions d’accueil, d’information et d’assistance juridique des personnes retenues dans nos centres de rétention administrative.
Un constat doit d’abord nous interpeller. Ces dernières années, le coût de l’assistance juridique dans les CRA a connu une progression bien plus importante que le nombre d’étrangers retenus.
En 2024, l’enveloppe prévue au titre de l’aide juridique dans ces centres a atteint 7,4 millions d’euros, contre 5,2 millions d’euros en 2019. Or, sur la même période, le nombre de personnes retenues n’a fait que diminuer. Pour l’année 2025, 9,2 millions d’euros sont prévus à cet effet. Cette évolution pose la question de l’efficacité de notre dispositif.
Il faut rappeler que les missions d’information et d’assistance juridique dans les CRA sont aujourd’hui assurées par des associations agissant dans le cadre de marchés publics.
Cette situation est tout à fait normale, il existe d’autres missions qui sont confiées par l’administration à des associations. Je pense, par exemple, à certaines mesures de probation en matière judiciaire.
Néanmoins, dès lors que ces associations se voient confier une mission de service public, une exigence fondamentale s’impose à elles : l’obligation légale de neutralité. Or cette neutralité est parfois mise à mal. Nous le voyons dans nos circonscriptions : certaines associations s’éloignent de leur mission première pour devenir les acteurs d’une contestation quasi systématique de la politique d’éloignement.
La vocation première du centre de rétention administrative est de maintenir un étranger faisant l’objet d’une décision d’éloignement, en attendant son renvoi forcé dans le respect du droit. Or des manquements existent dans la mission assurée par ces associations. Ceux-ci ont notamment été documentés par le rapporteur dans le cadre de ses auditions. Je pense notamment à certaines structures ultramarines : à Mayotte, par exemple, des mises en demeure ont été adressées aux associations en raison de dérives manifestes.
M. Roger Karoutchi. Et voilà…
Mme Solanges Nadille. Il peut s’agir d’un défaut de présence, d’une carence dans l’information ou de prises de position contraires à l’esprit du marché public auquel elles doivent se conformer.
Nous avons aujourd’hui l’opportunité d’améliorer la situation tout en garantissant les droits des personnes retenues. C’est dans ce contexte que la proposition de loi de notre collègue Marie-Carole Ciuntu s’inscrit. Ce texte vise à confier à l’Office français de l’immigration et de l’intégration certaines missions d’accueil et d’information au sein des CRA.
Cette évolution exige bien sûr des garanties. La version initiale du texte pouvait soulever des interrogations légitimes : comment garantir une assistance claire, complète et efficace si cette mission était exclusivement exercée par l’Ofii ? Comment éviter tout risque de confusion entre la mission d’information et l’assistance juridique ?
Les ajustements introduits par le rapporteur en commission sont, à nos yeux, bienvenus, car ils distinguent clairement les missions : d’un côté, l’information sur les droits serait confiée à l’Ofii ; de l’autre, la mission de conseil et d’assistance juridique serait renforcée et confiée aux avocats, qui, jusqu’ici, n’intervenaient souvent qu’au moment de l’audience devant les juridictions.
Cette nouvelle rédaction assure un équilibre nécessaire et bienvenu. Il faudra toutefois que cette réforme soit mise en place avec méthode. Monsieur le ministre d’État, le Gouvernement aura un rôle clé à jouer ; il lui appartiendra de recruter et de former les professionnels compétents au sein de l’Ofii, d’organiser leur déploiement sur le territoire, y compris dans les outre-mer, et de veiller à l’articulation avec le barreau local et avec le dispositif de l’aide juridictionnelle. Cette nouvelle répartition des missions ne doit pas créer de rupture dans la chaîne des droits.
Ce texte répond à un besoin d’efficacité et de clarté dans un dispositif parfois dévoyé. Toutefois, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants restera particulièrement vigilant pour que les droits de la défense des personnes retenues soient pleinement et intégralement garantis. La protection des libertés fondamentales, même dans un contexte budgétaire contraint, reste un principe non négociable de notre État de droit. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, nous franchissons aujourd’hui une étape attendue, salutaire et nécessaire.
En effet, depuis des années, un paradoxe irrigue notre droit des étrangers : la mission d’assistance juridique, le cœur battant du respect de l’État de droit dans nos centres de rétention administrative, a été confiée à des associations, souvent militantes, qui s’opposent frontalement à la politique migratoire de l’État. Nul ne peut l’ignorer dans cet hémicycle, certaines d’entre elles ont transformé leur mission d’aide en un combat idéologique. Cette situation est devenue totalement inacceptable, d’autant qu’elle est juridiquement fragile, administrativement inefficace et politiquement illisible.
La proposition de loi de notre collègue Marie-Carole Ciuntu, que je salue, met fin à cette hypocrisie administrative et recentre la mission d’information juridique sur deux piliers essentiels et incontestables de l’État de droit : l’Office français de l’immigration et de l’intégration et le barreau.
Oui, il est temps de clarifier les rôles. L’Ofii est le bras opérationnel de l’État, il assurera ainsi l’accueil, l’information et la transmission des droits. Les avocats, garants de la défense et de l’État de droit, assureront les recours et la représentation des retenus. Quant aux associations, si certains s’en inquiètent, elles auront tout loisir de retrouver leur liberté d’expression en dehors des murs de l’État.
Depuis le début de l’examen de ce texte, on nous dit que cette proposition de loi constituerait une atteinte aux droits fondamentaux. J’invite les auteurs de ces critiques à relire avec attention le texte, car il n’y est nulle part question d’amoindrir les droits des personnes retenues, bien au contraire. Ces droits seront mieux encadrés, mieux garantis et mieux appliqués. Ce que nous proposons de changer au travers de cette proposition de loi, ce n’est pas le droit, c’est son canal de transmission ; ce que nous combattons, ce n’est pas la protection des personnes, c’est la captation militante d’un service public qui doit rester neutre, professionnel et républicain. (M. Thomas Dossus s’esclaffe.)
En effet, mes chers collègues, comment pouvons-nous justifier que l’État délègue l’accompagnement juridique des étrangers à des structures, à des associations, qui déposent parfois des recours à l’insu même des intéressés ? (M. Thomas Dossus proteste.)
M. Guy Benarroche. C’est inexact !
M. Stéphane Le Rudulier. Comment justifier que ces mêmes associations remplissent des formulaires « précochés » en masse ? qu’elles détournent leurs missions pour faire obstruction et non pas assistance ? Comment justifier qu’un étranger soit conduit à l’audience sans même savoir qu’un recours a été introduit en son nom ?
Est-ce cela la dignité que nous devons garantir à chacun ? Je ne le pense pas. N’est-il pas plus conforme à notre exigence républicaine que l’aide juridique soit fournie par ceux qui en ont la compétence professionnelle, la légitimité judiciaire et la responsabilité déontologique ?
Loin d’être d’un texte de repli, cette proposition de loi est un texte de clarté. Loin d’être un texte de fermeture, elle est un texte de rigueur et de justice. Loin d’être une remise en cause des droits, elle est un appel à mieux les protéger.
À l’heure où les Français attendent de nous des actes et non des postures, des réformes et non des slogans, cette proposition de loi constitue une réponse cohérente et responsable. Elle renforce l’autorité de l’État sans renier une seule de ses valeurs fondamentales.
Nous ne pouvons plus accepter, mes chers collègues, que l’État paie deux fois pour la même mission, sans contrôle ni cohérence. Nous ne pouvons plus accepter que l’action publique soit dévoyée par des logiques militantes. Nous ne pouvons plus accepter une forme de contournement idéologique de la République.
Ce texte met un terme à cette dérive et c’est pour toutes ces raisons que le groupe Les Républicains votera cette proposition de loin, avec clarté, conviction et sens de l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à l’information et à l’assistance juridiques en rétention administrative et en zone d’attente
Article 1er
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Après le 5° de l’article L. 121-1, il est inséré un 5° bis ainsi rédigé :
« 5° bis À l’information sur l’accès au droit des personnes placées ou maintenues en zone d’attente ou en rétention administrative » ;
2° La section 1 du chapitre III du titre IV du livre III est ainsi modifiée :
a) À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 343-1, après le mot : « choix », sont insérés les mots : « , demander la désignation d’un avocat commis d’office et le bénéfice de l’aide juridictionnelle » ;
b) Sont ajoutés des articles L. 343-3-1 et L. 343-3-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 343-3-1. – Dans chaque zone d’attente, un document rédigé dans les langues les plus couramment utilisées et décrivant les droits de l’étranger au cours de la procédure de refus d’entrée et de placement ou de maintien en zone d’attente ainsi que leurs conditions d’exercice est mis à disposition des personnes placées ou maintenues.
« La méconnaissance des dispositions du présent article est sans conséquence sur la régularité et le bien-fondé des procédures de refus d’entrée et de placement ou de maintien en zone d’attente.
« Art. L. 343-3-2. – L’étranger maintenu en zone d’attente bénéficie d’une information sur ses droits et sur les voies de recours dont il dispose.
« Sur sa demande, il peut être assisté par un avocat désigné par lui ou commis d’office.
« Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article. » ;
3° À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 744-4, après le mot : « médecin, », sont insérés les mots : « de demander la désignation d’un avocat commis d’office et le bénéfice de l’aide juridictionnelle » ;
4° (nouveau) L’article L. 744-9 est ainsi rédigé :
« Art. L. 744-9. – L’étranger maintenu en rétention bénéficie d’actions d’accueil, d’information et de soutien pour préparer son départ.
« Il bénéficie d’une information sur ses droits et sur les voies de recours dont il dispose, assurée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration.
« Sur sa demande, il peut être assisté par un avocat désigné par lui ou commis d’office.
« Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article. »
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 5 est présenté par Mmes Narassiguin et de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 7 est présenté par Mme Margaté, M. Brossat, Mme Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
L’amendement n° 9 est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour présenter l’amendement n° 5.
Mme Corinne Narassiguin. Pour toutes les raisons évoquées en discussion générale et détaillées par nos collègues communistes et écologistes en défense des motions, nous proposons de supprimer l’article 1er de cette proposition de loi.
Comme tous les textes que nous avons examinés au cours des six derniers mois en matière de droit des étrangers, celui-ci repose non pas sur des faits établis et vérifiés, mais sur des approximations, des erreurs, des mythes. Il s’appuie en outre sur le refus d’admettre certaines réalités, comme l’augmentation de 60 % en cinq ans du nombre d’OQTF, source de la massification des recours.
Par ailleurs, plusieurs de nos collègues issus des travées opposées aux nôtres ont repris à leur compte les accusations formulées par le rapporteur le 7 mai dernier, lors de la présentation de son rapport à la commission, selon lesquelles les associations formeraient des recours à l’insu des retenus eux-mêmes, auxquels elles feraient signer des documents vierges. Le rapporteur avait alors cité une enquête préliminaire de l’Office de lutte contre le trafic illicite de migrants datant de novembre 2024.
Or, au-delà de la violation du secret de l’enquête et de la présomption d’innocence que cela constitue et indépendamment de la volonté de monter en épingle quelques prétendus faits ponctuels pour procéder à une attaque en règle et généralisée contre les associations, vous avez omis de préciser, monsieur le rapporteur, que cette procédure avait fait l’objet, le 14 avril 2025, d’un classement sans suite par le procureur de la République de Meaux.
Cela est indigne des travaux de la Haute Assemblée… (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marianne Margaté, pour présenter l’amendement n° 7.
Mme Marianne Margaté. Je le considère comme défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 9.
M. Guy Benarroche. Je ne répéterai pas ce qu’ont dit nos collègues au cours de la discussion générale ou de la défense des motions. Je dirai simplement un mot sur la question des avocats.
Vous affirmez, monsieur le rapporteur, que ces derniers n’interviennent pas dans la rédaction des recours, qui est assurée par les associations, et qu’ils découvrent le plus souvent les dossiers à l’audience, ce qui rend difficile, voire impossible, une défense efficace.
Par ailleurs, vous précisez dans votre rapport que « l’existence […] de permanences d’avocats spécialisées dans les barreaux des ressorts des centres de rétention » est « fréquente », « mais pas systématique » et vous plaidez pour un renforcement de la présence des avocats, car, nous expliquez-vous, la situation s’est dégradée et les permanences d’avocats en CRA sont désormais très rares. Vous souhaitez donc reporter la charge de l’information en temps contraint – les délais sont parfois de quarante-huit heures – à une profession qui n’est actuellement pas en mesure de le faire.
D’ailleurs, les avocats, les avez-vous consultés ?
M. David Margueritte, rapporteur. Bien sûr !
M. Guy Benarroche. Leur avez-vous seulement demandé ce qu’ils pensaient de leur capacité à exercer cette nouvelle mission ? de leur formation en la matière ? Mme Narassiguin a soulevé cette question, car, elle, elle les a consultés. Là encore, il manque une étude d’impact. Le choix consistant à ne pas demander leur avis aux avocats est préjudiciable à la sincérité de nos débats.
En outre, vous justifiez votre volonté de recourir aux avocats en affirmant que cela évitera à l’État de payer deux fois. Vous pensez donc, je suppose, que les nouvelles missions ainsi dévolues à cette profession, qui accroîtront sa charge de travail, ne donneront pas lieu à un paiement, que les avocats feront plus sans gagner plus. Ce raisonnement déviant se heurte au réel, monsieur le rapporteur.
S’il fallait une nouvelle preuve que ce texte commandé depuis la place Beauvau ne vise qu’à sanctionner les associations qui ont l’outrecuidance de vouloir faire respecter le droit des étrangers, vous venez de l’apporter.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Margueritte, rapporteur. Je ne relancerai pas le débat en reprenant tous les arguments que j’ai exposés précédemment.
Madame Narassiguin, sachez que nous avons organisé de nombreuses auditions, nous nous sommes rendus dans des centres de rétention administrative, nous avons entendu de nombreux témoignages et nous avons bien évidemment sollicité les avocats.
Je dispose en outre d’un courrier, transmis par les services du ministre, qui rappelle que, si les faits évoqués n’ont en effet pas été pénalement qualifiés, ils ont été établis. (Mme Corinne Narassiguin proteste.) Le rapport en question avait pour objet d’étudier « trois recours examinés au cours de l’audience de ce jour qui n’avaient manifestement pas été formulés par les retenus eux-mêmes, soit qu’ils aient signé des documents en blanc, manifestement remplis a posteriori, soit qu’ils n’aient tout simplement pas signé les recours ». Les faits sont donc établis !
Par ailleurs, ce que nous affirmons à propos des recours dont les intéressés découvrent manifestement l’existence à l’audience nous a été rapporté à plusieurs reprises. Je le répète, l’inflation du nombre de recours, parfois d’ailleurs de piètre qualité, ne garantit pas le droit effectif au recours. Celui-ci s’analyse au regard de la qualité du recours déposé en fonction de la situation individuelle du requérant. Or, compte tenu de la spécialisation accrue du droit des étrangers, ce travail peut être mieux réalisé par des avocats, ce qui garantira à la fois la neutralité du système de l’information et le droit effectif au recours au regard des contraintes jurisprudentielles, conventionnelles et constitutionnelles.
La commission a donc évidemment émis un avis défavorable sur ces amendements de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Même avis, madame la présidente. Je ne répéterai pas ce qui a déjà dit à cet égard.
Madame Briante Guillemont, vous m’avez demandé des éclaircissements sur le profil des personnes retenues en CRA. Au moment où je vous parle, trente-trois retenus ont un profil de terroriste – ce n’est pas rien –, soit 2 % du total. Pas question de les laisser dans la nature ! Ensuite, 91 % des retenus sortent de prison – il s’agit souvent d’auteurs d’atteintes aux personnes, éventuellement de faits répétés troublant l’ordre public. Ainsi, vous le voyez, 93 % des retenus ont des profils dangereux, d’une dangerosité plus ou moins grande, mais qui présente une menace pour l’ordre public.
Quant aux OQTF, madame Narassiguin, ce n’est pas le gouvernement français qui, pris d’un caprice, a décidé d’en augmenter le nombre. C’est lié à la directive Retour. L’Allemagne, qui ne prononçait pas systématiquement de mesures d’éloignement, a d’ailleurs été condamnée en 2021 par la Cour de justice de l’Union européenne, qui lui a enjoint de se conformer à la directive Retour en prononçant systématiquement une obligation de quitter le territoire lorsque la situation irrégulière d’un étranger était constatée.
Enfin, plusieurs sénateurs m’ont appelé à conforter les missions de l’Ofii en lui donnant les moyens d’agir. Ce sera fait, puisque cette proposition de loi permettra d’économiser, je le répète, 6,5 millions d’euros, que nous redéploierons en partie en faveur de cet office.
Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Cette proposition de loi repose donc sur des témoignages recueillis par le rapporteur, mais à peine cités dans le rapport et relatifs à des événements ayant conduit à un non-lieu, sur le mensonge du milliard d’euros, que nous avons démonté lors de la discussion générale, et sur certaines outrances de votre part, monsieur le ministre d’État.
En effet, vous affirmez que des associations « se sont dévoyées », pour reprendre l’expression que vous avez employée lors d’un entretien accordé à L’Express, en visant notamment la Cimade. Or que fait cet organisme ? Comme nombre d’autres associations de solidarité, il pointe régulièrement les manquements des pouvoirs publics, c’est-à-dire de votre administration, monsieur le ministre d’État, quand ils appliquent mal les règles en matière de droit des étrangers. Vous devriez donc plutôt tâcher de garantir cette bonne application par vos services que de couvrir leurs manquements…
Ensuite, la Cimade s’est-elle dévoyée ? Le mot est fort, il suppose l’abandon de certaines valeurs initiales. Vous avez évoqué le sens de l’histoire en citant le cas d’une affiche dans une salle de pause, mais peut-être pourrait-on rappeler le sens originel de l’acronyme Cimade et le contexte de sa fondation : il s’agissait initialement du Comité inter-mouvements auprès des évacués, créé en 1939. Selon ses statuts, qui n’ont pas changé depuis lors, cette association « a pour but de manifester une solidarité active avec » ceux qui souffrent et d’assurer leur défense, quelles que soient leur nationalité, leurs origines, leurs positions politiques ou religieuses.
Rappelons-le, la Cimade a joué un rôle très important, notamment dans la région dont je suis élu, pendant la Seconde Guerre mondiale, en assistant les juifs fuyant les persécutions, en particulier en organisant leur accueil dès 1940 au Chambon-sur-Lignon. Dans le département dont je suis élu, elle est impliquée dans le sauvetage de 108 enfants juifs dans les camps de transit de Vénissieux, en août 1942. Ensuite, après la guerre, elle a constamment œuvré en faveur des réfugiés, de toutes les personnes migrantes. Bref, rien de nouveau, elle ne s’est nullement « dévoyée ».
En revanche, ceux qui se sont dévoyés, ce sont évidemment les membres de cette droite dite républicaine, qui s’en prend désormais aux organisations de solidarité ayant fait l’honneur de notre pays. (M. Guy Benarroche et Mme Émilienne Poumirol applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat, pour explication de vote.
M. Ian Brossat. Avant toute chose, je tiens à présenter mes excuses à ma collègue Marie-Carole Ciuntu, à qui j’ai attribué des propos qui étaient non pas les siens, mais ceux de Valérie Boyer. On n’est responsable que des propos que l’on tient, non de ceux des autres.
Je souhaite revenir sur les reproches adressés aux associations qui interviennent dans les centres de rétention. J’ai écouté avec beaucoup d’attention l’intervention de Roger Karoutchi en discussion générale et certains de ses arguments me semblent glisser dangereusement.
Vous commencez par affirmer, mon cher collègue, qu’il s’agit d’associations militantes, mais, que je sache, le militantisme n’est pas un délit : on a le droit d’être militant et de défendre des causes.
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Mais oui, tout à fait !
M. Ian Brossat. Le directeur de l’Ofii lui-même défend des opinions avec beaucoup d’énergie et écrit des tribunes dans la presse ; ses positions ont d’ailleurs varié au cours de sa carrière. Quoi qu’il en soit, on pourrait aussi lui adresser cette remarque sur le militantisme.
Ensuite, vous indiquez que le problème réside non pas dans le fait qu’il s’agisse d’associations militantes, mais dans les opinions qu’elles défendent. Selon vous, le problème est qu’elles se sont exprimées publiquement contre les lois relatives à l’immigration adoptées au cours des dernières années. Si l’on part du principe que ceux qui se sont opposés à telle ou telle loi ne l’appliquent pas et ne la font pas respecter, on en a fini avec tous les principes républicains !
Vous et moi, nous respectons tous les jours des lois auxquelles nous ne sommes pas favorables. Il y a, par exemple, certains de nos collègues qui se sont opposés au mariage pour tous, ce qui ne les a pas empêchés pour autant de célébrer, en tant qu’élus locaux, l’union de deux hommes ou de deux femmes.
Attention aux arguments employés : nous ne sommes pas loin du délit d’opinion, nous nous en approchons même dangereusement… (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Roger Karoutchi. Soyons sérieux ! Tout ce qui est excessif est insignifiant !
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. Comme disait Talleyrand !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Carole Ciuntu, pour explication de vote.
Mme Marie-Carole Ciuntu. Je ne savais pas que l’exégèse de Paris Match faisait partie de nos travaux parlementaires, quelle que soit la qualité de ce journal. Je pense que l’on aurait tout aussi bien pu partir de mon intervention liminaire, en discussion générale…
M. Ian Brossat. C’est vous qui choisissez de vous exprimer dans la presse !
Mme Marie-Carole Ciuntu. Je souhaite donc relire quelques lignes de mon propos initial. Vous le verrez, il n’y a aucune confusion, ni dans mon discours d’aujourd’hui ni dans aucun de mes propos, entre le milliard d’euros donné aux associations qui interviennent dans la politique migratoire et l’argent donné aux associations chargées de l’assistance juridique dans les centres de rétention.
Je répète donc ce que j’ai dit précédemment : « Sur le plan financier, si le budget lié à l’assistance juridique assurée par les associations ne pèse pas le plus lourd sur le milliard d’euros d’argent public versé chaque année aux associations pour remplir différentes missions dans le domaine de l’immigration et de l’intégration, il convient tout de même d’observer, comme le fait clairement la Cour des comptes, que, alors que le nombre de personnes retenues a baissé de 20 %, le coût de l’assistance juridique par l’intermédiaire des associations a augmenté de 30 %. »
M. Guy Benarroche. Ce n’est pas cela !
Mme Marie-Carole Ciuntu. On ne saurait être plus clair, plus précis, mieux citer le rapport de la Cour des comptes, qu’il faut avoir lu avant de lui faire dire ce qui nous arrange. Il faut citer le rapport exactement, mes chers collègues. (MM. Thomas Dossus et Guy Benarroche protestent.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5, 7 et 9.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 4, présenté par Mmes Narassiguin et de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L. 744-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Après le mot : « départ », la fin est supprimée ;
2° Sont ajoutés trois alinéas ainsi rédigés :
« Pour permettre l’exercice effectif de leurs droits par les étrangers maintenus dans un centre de rétention administrative, le ministre chargé de l’immigration conclut une convention avec une ou plusieurs personnes morales ayant pour mission d’informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits. À cette fin, la personne morale assure, dans chaque centre dans lequel elle est chargée d’intervenir, des prestations d’information, par l’organisation de permanences et la mise à disposition de documentation. Ces prestations sont assurées par une seule personne morale par centre.
« Les étrangers retenus en bénéficient sans formalité dans les conditions prévues par le règlement intérieur.
« Les étrangers maintenus dans un local de rétention peuvent bénéficier du concours d’une personne morale, à leur demande ou à l’initiative de celle-ci, dans des conditions définies par convention conclue par le préfet ou, à Paris, par le préfet de police. »
La parole est à Mme Corinne Narassiguin.
Mme Corinne Narassiguin. Cet amendement tend à réécrire l’article 1er, afin de faire de cette proposition de loi ce qu’elle aurait dû être : un texte fondé sur des réalités objectives et non sur des biais idéologiques.
Je ne répéterai pas ce que vient de dire notre collègue Ian Brossat sur le respect de la liberté d’association et de la liberté d’expression, qui ne doivent pas être remises en cause. En revanche, je rappelle que ces associations interviennent depuis des années dans le cadre de marchés publics qui leur sont attribués, que la qualité de leur travail n’a jamais été remise en cause par quelque rapport que ce soit et que ces marchés sont régulièrement renouvelés. Il est donc pour le moins étrange d’expliquer maintenant que l’inflation du nombre de recours est de leur fait…
Par ailleurs, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a déploré à plusieurs reprises l’existence d’une pression liée à des préoccupations d’ordre politique et sécuritaire, qui conduit à une augmentation mécanique du nombre de personnes placées en rétention, avec un nombre croissant non seulement de personnes éligibles à une protection contre l’éloignement, mais également de personnes dont l’éloignement est impossible ou dont l’état de santé est manifestement incompatible avec la rétention. Autant de motifs d’annulation ou de suspension par un juge de l’exécution d’une décision administrative, l’autorité judiciaire jouant alors pleinement son rôle de gardienne des libertés en vertu de l’article 66 de la Constitution.
Ainsi, monsieur le ministre d’État, même quand on respecte le droit européen, la situation irrégulière d’un étranger ne doit pas automatiquement entraîner une OQTF. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle 44 % des recours aboutissent à une remise en liberté du requérant.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Margueritte, rapporteur. Cet amendement vise à reprendre, dans la partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile certaines dispositions précédemment évoquées de la partie réglementaire de ce code. Il s’agit ainsi de consacrer le rôle des associations ou, pour reprendre les termes de l’amendement, des personnes morales conventionnées.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement, dont l’objet est de vider le texte de sa substance.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Même avis, bien évidemment. Cette disposition reviendrait à supprimer purement et simplement la teneur de la proposition de loi. C’est habile, mais le Gouvernement ne peut qu’y être défavorable.
Pour apporter de l’eau au moulin de ceux qui dénoncent l’attitude dépourvue d’impartialité et de neutralité d’un certain nombre d’associations, je tiens à préciser que la Cimade avait institué les « charter awards » pour « récompenser » les préfets avec, par exemple, l’attribution du prix Petits bagnards…
M. Thomas Dossus. Ce n’est pas dans le cadre d’un marché public !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. La liberté des associations demeure totale : libre à chacune d’entre elles d’avoir les opinions qu’elle souhaite ! Simplement, il est évident que, dans le cadre d’une délégation de service public dans un lieu administratif, des contraintes de neutralité s’imposent.
Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Encore une tentative de confusion !
La Cimade n’a pas organisé cet événement dans un centre de rétention administrative, monsieur le ministre d’État.
M. Roger Karoutchi. Pitié ! C’est grotesque !
M. Thomas Dossus. Le marché public et sa mise en œuvre sont contrôlés par vos services, plus précisément, me semble-t-il, par la direction générale des étrangers en France. Si vous n’arrivez pas à prouver que l’association ne respecte pas le cahier des charges de ce marché public, vous pouvez dénoncer ce dernier. En l’occurrence, vous mélangez un événement organisé dans le cadre de la vocation politique de cette association avec cette délégation de service public. Vous essayez donc, encore une fois, de faire un lien entre l’activité militante de l’association, pour laquelle sa liberté est entière, et l’exercice d’un marché public, lien complètement controuvé.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Monsieur le ministre d’État, ce que vous venez de dire correspond exactement à la situation dénoncée voilà quelques instants par Ian Brossat.
Vous avez renoncé à mettre en cause, dans vos démonstrations, la qualité du travail des associations, qui déposeraient de prétendus recours abusifs – sans que l’on connaisse d’ailleurs les critères de ce caractère abusif. Vous en venez à incriminer la pertinence de la partie technique du travail de l’une d’elles, alors qu’elle respecte le cahier des charges du marché public qu’elle a remporté et qui a été renouvelé il y a très peu de temps par l’administration elle-même.
Si ces défauts étaient si patents, si certains agissements accomplis par cette association dans le cadre de l’exécution du marché public avaient pu être dénoncés devant la justice, je pense que vous l’auriez fait…
Or, bien entendu, rien ne s’y prête aujourd’hui, sauf à considérer que, dorénavant, il faut un certificat, un badge de « bonne pensée », montrant que l’on pense comme il faut, que l’on a les opinions qui conviennent. Des valeurs défendues par ces associations dépendrait leur capacité de remplir leur mission dans les CRA. Si tel est le cas, il faut le noter dans le cahier des charges des marchés publics. Il faut préciser que le candidat n’a pas le droit de défendre telle ou telle valeur s’il veut répondre à une consultation. Et alors, bon courage…
Mme la présidente. La parole est à Mme Marianne Margaté, pour explication de vote.
Mme Marianne Margaté. Monsieur le ministre, vos explications sur les causes des rétentions me semblent manquer de précision. D’après vous, 2 % des retenus ont un profil terroriste et 90 % sortent de prison, notamment pour des faits de trouble à l’ordre public. Il faudra un jour qualifier ce trouble de manière précise. Les personnes contrôlées par la police dans les gares, sur le chemin de leur travail, sont-elles comptabilisées ?
De fait, derrière ce voile se cache une bonne partie des personnes retenues. Sans définition précise, on aboutit à une grande confusion : les associations sont accusées d’agir de manière militante pour défendre 90 % de retenus dangereux.
Ce raisonnement me paraît extrêmement malsain, raison pour laquelle le groupe CRCE-K s’oppose avec détermination à ce texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Carole Ciuntu, pour explication de vote.
Mme Marie-Carole Ciuntu. Je souhaite poursuivre mon précédent raisonnement sur la dangerosité des détenus, d’autant que des chiffres précis viennent d’être fournis par le ministre de l’intérieur. Il est très important de se rendre compte de la réalité.
Si, mes chers collègues, vous vous êtes rendus dans les centres de rétention administrative, alors vous avez dû entendre – ce propos y est courant – que les associations s’y sentent aussi menacées que les autres intervenants. Il est très difficile d’agir dans ces lieux. À ce titre, il a été question dans nos débats de l’Ofii, mais je pourrais également parler des psychologues, des psychiatres et des infirmiers, en sus des policiers à qui j’ai rendu hommage tout à l’heure, puisque ces derniers constituent le gros des effectifs.
De fait, les associations, à plusieurs reprises, n’ont plus souhaité assumer leur mission face à certains retenus et ce sont les policiers eux-mêmes qui ont dû les convaincre de continuer, de crainte qu’elles ne s’appuient sur ces difficultés pour arguer que leur mission n’était pas effective.
Tout cela prouve bien que le groupe Les Républicains a raison de poser les problèmes. Cette proposition de loi permet de simplifier l’action des associations dans un milieu où il leur serait supposément simple d’entrer en relation avec les retenus, alors que c’est bien plus compliqué qu’il n’y paraît.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Les 91 % de retenus sortant de prison se sont rendus coupables de crimes de sang, de trafic de stupéfiants ou de violences contre les personnes. Si vous trouvez ces faits banals et légers, il faudra l’expliquer aux Français. (Exclamations sur les travées du groupe GEST. – Mme Pascale Gruny applaudit.)
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
Mme la présidente. L’amendement n° 11, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 744-9 et à l’assistance juridique et linguistique mentionnée au second alinéa de l’article L. 744-6
II. - Après l’alinéa 12
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
3° bis La première phrase du second alinéa de l’article L. 744-6 est complétée par les mots : « selon des modalités définies par décret en Conseil d’État » ;
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Cet amendement constitue une mesure miroir. Il s’agit de confier à l’Ofii la mission d’assistance aux étrangers placés en rétention qui sont soit demandeurs d’asile soit susceptibles de l’être.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Margueritte, rapporteur. Cet amendement permet d’assurer la pleine cohérence du dispositif en permettant à l’Ofii d’intervenir dans l’aide à la rédaction et le conseil en matière de demande d’asile.
La commission émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 12, présenté par M. Margueritte, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° La cinquième ligne du tableau du second alinéa des articles L. 152-1 et L. 153-1 est remplacée par deux lignes ainsi rédigées :
«
L. 121-1 |
La loi n° … relative à l’information et à l’assistance juridiques en rétention administrative et en zone d’attente |
L. 121-2 à L. 121-16 |
|
» ;
2° La vingt-sixième ligne du tableau du second alinéa des articles L. 362-1 et L. 363-1 et la vingt-septième ligne du tableau du second alinéa des articles L. 364-1, L. 365-1 et L. 366-1 sont remplacées par trois lignes ainsi rédigées :
«
L. 342-18 à L. 342-19 |
|
L. 343-1 |
La loi n° … relative à l’information et à l’assistance juridiques en rétention administrative et en zone d’attente |
L. 343-2 |
|
» ;
3° Après la vingt-septième ligne du second alinéa des articles L. 362-1 et L. 363-1 et la vingt-huitième ligne du tableau du second alinéa des articles L. 364-1, L. 365-1 et L. 366-1 est insérée une ligne ainsi rédigée :
«
L. 343-3-1 et L. 343-3-2 |
La loi n° … relative à l’information et à l’assistance juridiques en rétention administrative et en zone d’attente |
» ;
4° Le 19° de l’article L. 366-2 est ainsi rédigé :
« 19° À l’article L. 343-1 :
« a) Après les mots : « et le bénéfice de l’aide juridictionnelle » sont ajoutés les mots : « dans les conditions applicables localement » :
« b) Les mots : « hors de France » sont remplacés par les mots : « hors du territoire de la Nouvelle-Calédonie » ;
5° La trente-troisième ligne du tableau du second alinéa des articles L. 762-1 et L. 763-1, la vingt-septième ligne du tableau du second alinéa de l’article L. 764-1 et la vingt-neuvième ligne du tableau du second alinéa des articles L. 765-1 et L. 766-1 sont remplacées par cinq lignes ainsi rédigées :
«
L. 743-25 à L. 744-3 |
|
L. 744-4 |
La loi n° … relative à l’information et à l’assistance juridiques en rétention administrative et en zone d’attente |
L. 744-5 à L. 744-8 |
|
L. 744-9 |
La loi n° … relative à l’information et à l’assistance juridiques en rétention administrative et en zone d’attente |
L. 744-10 à L. 744-16 |
|
».
6° Après le 12° de l’article L. 766-2, il est inséré un 12° bis ainsi rédigé :
« 12° bis À l’article L. 744-4, après les mots : « et le bénéfice de l’aide juridictionnelle » sont ajoutés les mots : “dans les conditions applicables localement” ; ».
La parole est à M. le rapporteur.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 13, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Amendement n° 12
I. - Alinéa 15, tableau
Rédiger ainsi ce tableau :
L. 743-25 à L. 744-3 |
|
L. 744-4 |
La loi n° XXX du XXX tendant à confier à l’Office français de l’immigration et de l’intégration certaines tâches d’accueil et d’information des personnes retenues |
L. 744-5 |
|
L. 744-6 |
La loi n° XXX du XXX tendant à confier à l’Office français de l’immigration et de l’intégration certaines tâches d’accueil et d’information des personnes retenues |
L. 744-7 et L. 744-8 |
|
L. 744-9 |
La loi n° XXX du XXX tendant à confier à l’Office français de l’immigration et de l’intégration certaines tâches d’accueil et d’information des personnes retenues |
L. 744-10 à L. 744-16 |
|
II. - Après l’alinéa 15
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
5° bis Après le 10° de l’article L. 764-2, il est inséré un 10° bis ainsi rédigé :
« 10° bis Au deuxième alinéa de l’article L. 744-9, les mots : “, assurée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration” sont supprimés ; »
5° ter Après le 12° de l’article L. 765-2, il est inséré un 12° bis ainsi rédigé :
« 10° bis Au deuxième alinéa de l’article L. 744-9, les mots : “, assurée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration” sont supprimés ; »
III. - Alinéa 16
Rédiger ainsi cet alinéa :
6° Après le 12° de l’article L. 766-2, sont insérés un 12° bis et un 12° ter ainsi rédigé :
IV. - Compléter cet amendement par un alinéa ainsi rédigé :
« 12° ter Au deuxième alinéa de l’article L. 744-9, les mots : “, assurée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration” sont supprimés ; »
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Il n’existe ni centres de rétention administrative ni Ofii dans le Pacifique. Il convenait de le préciser.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.
Article 2 (nouveau)
La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2026 et, à Mayotte, le 1er avril 2027.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 6 est présenté par Mmes Narassiguin et de La Gontrie, MM. Durain, Bourgi et Chaillou, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 8 est présenté par Mme Margaté, M. Brossat, Mme Cukierman et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
L’amendement n° 10 est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Corinne Narassiguin, pour présenter l’amendement n° 6.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marianne Margaté, pour présenter l’amendement n° 8.
Mme Marianne Margaté. Il est également défendu.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 10.
M. Guy Benarroche. La prorogation de la date d’entrée en vigueur de la proposition de loi montre bien que ni les avocats, ni l’Ofii, ni les budgets ne sont prêts. Rien n’est prêt, mais il faut voter ce texte, qui constitue un important vecteur de communication médiatique pour la campagne que mènent certains ici…
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Margueritte, rapporteur. Cet article a pour objet de prolonger de quelques mois les marchés publics, le temps que l’Ofii procède aux recrutements.
La commission émet un avis défavorable sur ces amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6, 8 et 10.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. Thomas Dossus. Conformément à l’article 45, alinéa 4, de notre règlement, je tiens à soulever à l’encontre de la présente proposition de loi une irrecevabilité fondée sur l’article 40 de la Constitution. Je cite ce dernier : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique. »
En l’occurrence, cette proposition de loi représente une aggravation de la charge financière des administrations publiques, à savoir l’État et ses opérateurs, sur deux sujets : les nouvelles missions confiées à l’Ofii et, conséquemment, le recours à l’aide juridictionnelle.
En premier lieu, M. le rapporteur a, par son amendement adopté en commission, souhaité « reporter l’entrée en vigueur » du texte afin de laisser « à l’Ofii le temps nécessaire pour procéder aux recrutements ». L’aggravation de la charge publique s’entend bien dans ce propos !
En second lieu, M. le rapporteur a apporté par un amendement des clarifications relatives aux droits des retenus : les avocats se chargeront de l’assistance juridique et seront payés au titre de l’aide juridictionnelle. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, cette mission d’assistance est encadrée par un cahier des charges défini par l’État. Son coût s’élève actuellement à 7,4 millions d’euros seulement, malgré une présence six jours sur sept des associations dans les CRA. C’est un exemple d’efficacité.
Garantir un niveau de soutien similaire de la part d’avocats devant se déplacer sera évidemment bien plus coûteux pour l’État. Le rapport est clair à ce sujet : « La commission a […] approuvé l’intervention accrue de l’avocat dans le dispositif d’assistance juridique […]. Elle a néanmoins souligné que le renforcement de la présence des avocats dans les CRA nécessitera une revalorisation de l’aide juridictionnelle. » C’est limpide.
Par conséquent, les mesures de la proposition de loi ne peuvent être assurées par l’État à moyens constants ; il s’agit donc bien d’une aggravation de ses charges. Pour être reconnue comme telle, celle-ci doit être directe et certaine, selon la jurisprudence entourant l’usage de l’article 40 de la Constitution : deux critères auxquels répond parfaitement le présent texte.
En définitive, le problème est simple. Si le Sénat prétend que cette proposition de loi a pour objet de garantir sincèrement aux retenus le maintien des droits dont ils bénéficient dans le dispositif actuel, alors elle entraînera un coût supplémentaire pour l’État. Si elle est recevable financièrement, alors assumons qu’elle conduira à une diminution draconienne des droits.
Soit le Gouvernement dépose un projet de loi reprenant ces dispositions avant de revenir les défendre dans l’hémicycle, soit cette initiative n’est pas recevable financièrement.
Mme la présidente. Mes chers collègues, conformément à l’article 45, alinéa 4, de notre règlement, M. Dossus soulève à l’encontre de la présente proposition de loi une exception d’irrecevabilité fondée sur l’article 40 de la Constitution. En application de l’article 45 du règlement du Sénat, l’irrecevabilité est admise de droit et sans débat si elle est affirmée par la commission des finances.
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. J’ai abordé la question financière à plusieurs reprises. Le Gouvernement soutient cette proposition de loi notamment parce qu’il s’agit d’une mesure d’économie.
J’ai d’ailleurs indiqué que la somme consacrée par le Gouvernement aux associations pour accomplir leur mission dans les CRA s’élève à 9,244 millions d’euros et que j’attends de ce texte une économie de 6,5 millions d’euros. Une partie sera consacrée au renforcement des moyens de l’Ofii. Croyez-moi : cette proposition de loi aboutira non pas à une aggravation d’une charge publique, mais, au contraire, à des économies. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. En application de l’article 40 de la Constitution, je saisis la commission des finances. (M. Roger Karoutchi proteste.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-neuf heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Mes chers collègues, conformément à l’article 45, alinéa 4, de notre règlement, la commission des finances a été saisie de sorte qu’elle se réunisse au plus vite. Dans l’attente, je réserverai le vote, puis nous commencerons l’examen de la proposition de loi figurant au point suivant de l’ordre du jour. Dès que la commission des finances aura statué, nous passerons au vote de la présente proposition de loi.
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Pour être tout à fait clair, madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement reprend la proposition de loi à son compte, y compris si elle crée des charges. Comme je vous l’ai expliqué, ce ne sera pas le cas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Cette précision est importante pour la commission des finances.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Amélioration de l’accès aux soins dans les territoires
Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires, présentée par M. Philippe Mouiller (proposition n° 494, texte de la commission n° 577, rapport n° 576, avis n° 574).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Mouiller, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Philippe Mouiller, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai mon propos par un bref rappel de la genèse de cette proposition de loi.
Ce texte est né au sein de la Haute Assemblée, à la suite d’une initiative du groupe Les Républicains. Ce travail a mobilisé, depuis plus d’un an, une trentaine de sénateurs, principalement membres de la commission des affaires sociales et de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, tous mobilisés sur un enjeu qu’ils connaissent bien : la désertification médicale et la difficulté d’accéder aux soins dans nos communes et nos territoires.
Tout naturellement, ce groupe de travail a été coprésidé par Corinne Imbert, aujourd’hui rapporteure de la proposition de loi, et par Bruno Rojouan, rapporteur pour avis. Je tiens à les remercier pour leur mobilisation et pour la qualité de leur travail.
Pour élaborer cette proposition de loi, nous avons consulté les acteurs de nos territoires, interrogé les autorités chargées de l’élaboration de la politique de santé et pris en compte la parole des patients et celle de la communauté des soignants. Je ne suis donc que le porte-voix de cette initiative qui mobilise très fortement les parlementaires ainsi que le Gouvernement.
Chacun d’entre nous connaît un problème d’accès aux soins dans son territoire. Ceux des sénateurs qui se sont impliqués dans le groupe de travail ont pu témoigner des difficultés et des opportunités.
Tous les rapports, qu’ils soient issus des travaux de la Cour des comptes, de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), de l’ordre national des médecins, de l’Académie de médecine ou, bien sûr, du Parlement, sont unanimes : l’accès aux soins est insatisfaisant dans de nombreux territoires en France. Pis, la situation se dégrade malgré les mesures prises.
Le pays en subit les effets : sur 87 % du territoire, l’offre de soins est insuffisante, à commencer dans les zones rurales et périurbaines. Un constat s’impose : alors que la population et les besoins de santé augmentent, le nombre de médecins généralistes libéraux a chuté de plus de 10 % entre 2012 et 2022. En parallèle, les délais moyens pour obtenir une consultation s’allongent, le nombre de patients sans médecin traitant s’accroît – près de 10 % des Français sont concernés – et les disparités d’accès aux médecins généralistes se creusent.
Faute de pouvoir accéder à un médecin, qu’il soit généraliste ou spécialiste, de nombreux Français renoncent aux soins, ce qui induit une perte de chance qui n’est pas acceptable.
L’Assemblée nationale s’est saisie de la question et le Premier ministre, en parallèle, a annoncé le 25 avril dernier un pacte de lutte contre les déserts médicaux. Plusieurs des mesures envisagées par le Gouvernement font écho aux dispositions du présent texte : nous retrouvons dans les déclarations du Premier ministre un certain nombre de sujets que le Sénat traite depuis longtemps. Nous avons ainsi pu constater l’adhésion du Gouvernement à nos travaux.
La présente proposition de loi s’efforce de construire une réponse collective et équilibrée, susceptible d’être soutenue par tous les acteurs. Elle est cosignée par 152 sénateurs, ce qui témoigne de sa capacité à rassembler.
Alors qu’il pourrait être fait reproche de la dispersion des travaux législatifs, le débat qui s’ouvre est l’occasion d’approfondir les convergences de vues pour articuler les initiatives. Nous aurions tous préféré un projet de loi global sur l’accès aux soins, mais le contexte politique ne le permet pas. Pourtant, nous sommes dos au mur : un plan d’action ambitieux s’impose pour garantir, ensemble, l’accès aux soins dans nos territoires.
Au travers de ce texte, il s’agit tout d’abord de réaffirmer le caractère libéral de la médecine française et la liberté de choix des patients. Cette proposition de loi se fonde également sur une autre conviction : il faut œuvrer à l’amélioration de l’accès aux soins, ce qui exige de mener une réflexion globale en commençant par nous interroger sur le modèle de pilotage de l’organisation de l’offre.
Pour cette raison, ce texte vise à redonner la parole aux territoires en matière de pilotage de la politique de santé, de définition des besoins et d’analyse de l’évolution de la démographie des professions concernées.
Nous souhaitons sortir d’une politique centralisée de définition des besoins, dans laquelle les agences régionales de santé (ARS) déclinent à l’échelon local des priorités fixées à l’échelle nationale, trop souvent sans prendre en considération les remontées de terrain, si bien que le département, acteur majeur en matière de santé publique et dans le domaine médico-social, reste trop souvent un maillon secondaire de la régulation et de l’organisation de l’offre de santé sur son territoire.
Nous estimons que le département constitue l’échelon pertinent en matière de définition des besoins : il concilie proximité territoriale et taille critique, ce qui permet d’établir un projet cohérent associant tous les acteurs. Pour cette raison, nous souhaitons confier à cette collectivité un véritable rôle de coordination des politiques en matière d’accès aux soins, rôle qu’elle jouera aux côtés des ARS, des caisses primaires d’assurance maladie et des ordres professionnels.
Nous avons également souhaité renforcer les capacités d’évaluation de la démographie des professions de santé, afin de mieux répondre aux besoins de la population. Les dispositifs actuels ne permettent pas d’apporter une solution aux besoins des territoires faute de prise en compte adéquate des inégalités de densité médicale existantes, mais aussi faute de moyens, ce qui trahit l’insuffisance de l’engagement des pouvoirs publics sur le sujet.
Les offices départementaux d’évaluation de la démographie des professions de santé et l’Observatoire national de la démographie des professions de santé seront consacrés dans la loi. Ils assureront l’évaluation et la prise en compte des besoins depuis les territoires.
Notre proposition de loi vise également à renforcer l’offre de soins dans les territoires les plus fragiles. Elle comporte plusieurs mesures à cet effet, mais je sais que l’une d’entre elles concentrera une bonne partie de nos débats.
Par l’article 3, nous entendons encadrer l’installation des médecins dans les zones les mieux dotées en la conditionnant principalement à un engagement d’exercice à temps partiel en zone sous-dense. Les médecins spécialistes, pour lesquels l’organisation de consultations avancées hors de leur lieu d’exercice habituel peut se révéler plus difficile, pourront également être autorisés à s’installer en cas de départ concomitant d’un confrère ou lorsque l’ARS juge l’installation nécessaire pour maintenir l’accès aux soins sur le territoire.
La commission des affaires sociales, que je préside, est traditionnellement attachée aux libertés qui structurent la médecine libérale et conditionnent son attractivité. Elle observe toutefois que les inégalités d’accès imposent une évolution.
La mesure que nous présentons préserve la liberté d’installation des médecins, en permettant à ces derniers d’exercer où ils le souhaitent. En revanche, les médecins qui choisiront, en connaissance de cause, de s’installer dans les territoires les mieux dotés devront contribuer activement à la maîtrise des inégalités d’accès par des consultations avancées dans les territoires fragiles. Puisqu’elle responsabilise les professionnels dans leur choix d’installation, cette mesure nous paraît équilibrée tout en étant la plus efficace.
De plus, nous voulons simplifier le dispositif d’autorisation d’exercice visant les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) ayant réussi les épreuves de vérification des connaissances.
Par ailleurs, nous cherchons à libérer du temps médical pour que les médecins consacrent plus de temps à leurs patients. Pour ce faire, nous souhaitons supprimer un certain nombre de certificats et de contraintes administratives qui représentent pour les professionnels de santé une importante sollicitation.
Nous tenons également à favoriser le partage de compétences entre professionnels de santé, en coordination avec les médecins.
J’ai la certitude que tous les sénateurs se rejoignent sur ces mesures. Il faut maintenant agir ; il y va de l’égalité entre nos concitoyens et de la solidité de notre contrat social.
Le texte que nous examinons ne permettra ni de surmonter toutes les difficultés ni d’aborder toutes les questions. La formation des professionnels de santé, notamment, n’y est pas traitée, alors qu’elle constitue un vecteur essentiel de l’attractivité des professions et de leur répartition équilibrée sur le territoire. Notre pays doit avant tout mieux former et former plus de médecins à l’avenir pour répondre aux besoins de la population.
Dans les prochaines semaines, la commission des affaires sociales sera également amenée à examiner un texte concernant la formation. Il faut réfléchir à une dose de régionalisation pour permettre aux jeunes d’être formés au plus près de leur territoire afin de renforcer l’attractivité de la profession.
Malgré tout, il convient d’avancer. Cette proposition de loi constitue une étape importante pour relever le défi de l’accès aux soins. Nos débats permettront d’en consolider les fondements et d’en renforcer la portée. Elle sera très certainement enrichie par les nombreux amendements dont nous discuterons.
Nous avons également bien compris, monsieur le ministre, que vous souhaitiez compléter les dispositions de ce texte par un certain nombre de mesures défendues par le Gouvernement et par le Premier ministre.
Le Sénat a gardé son indépendance dans ses choix, mais nous devons relever ensemble un défi commun : faire en sorte d’améliorer l’accès aux soins pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’insisterai pas davantage sur le constat déjà dressé par Philippe Mouiller : l’accès aux soins n’a cessé de se détériorer ces dernières années pour nos concitoyens.
La France compte 4 millions d’habitants de plus depuis 2010, sa population vieillit et la démographie des médecins continue de décroître. Nous payons aujourd’hui le choix d’une régulation aveugle du nombre de médecins, qui a produit ses effets pendant quarante ans, et d’une réflexion trop tardive pour tenter d’orienter l’installation des professionnels de santé dans nos territoires.
Dans ce contexte, les inégalités territoriales d’accès se sont inévitablement creusées. De nombreuses lois ont tenté d’en freiner la progression, ces dernières années, sans succès. Je pense, notamment, à la loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite loi Rist, et à la loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, dite loi Valletoux, de 2023, ainsi qu’aux lois de financement de la sécurité sociale successives.
Le présent texte pourrait ne constituer qu’une initiative de plus dans un concert de propositions au sein duquel on peine à distinguer qui formule quoi. Mais tel n’est pourtant pas le cas.
D’une part, parce que ce texte porte une ambition globale : à ce titre, l’article 1er, notamment, vise à rénover l’architecture de notre système de définition des besoins en santé en partant véritablement des territoires et en sortant d’une « hyper-régionalisation » qui empêche de prendre en compte la diversité des réalités locales.
D’autre part, parce qu’il s’efforce de construire des réponses partagées, durables et équilibrées, sans opposer les acteurs entre eux : l’article 3 vise à défendre cette ambition en responsabilisant les médecins dans la maîtrise des inégalités d’accès aux soins sans porter atteinte pour autant à la liberté d’installation.
À cet égard, les vives réactions suscitées par la proposition de loi que vient d’adopter l’Assemblée nationale, sur l’initiative du député Guillaume Garot, me semblent mériter toute notre attention, si ce n’est notre vigilance : notre modèle d’organisation de l’offre de soins ne peut se construire contre ses principaux acteurs.
Alors que nous devrions redynamiser l’exercice libéral, une régulation trop coercitive découragerait de nombreux praticiens de s’engager dans ce mode d’exercice et accentuerait certainement les problématiques d’accès aux soins dans les territoires les plus fragiles.
La proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires se présente donc comme un plan d’action global, décliné en trois axes : piloter la politique d’accès aux soins au plus près des territoires ; renforcer l’offre de soins dans les territoires les plus fragiles ; libérer du temps médical et favoriser les partages de compétences. Je les aborderai tour à tour.
La première ambition de ce texte est d’assurer un pilotage de la politique d’accès aux soins au plus près des territoires. Attachée à la territorialisation de la politique de santé, la commission entend soutenir la volonté inscrite dans ce texte de donner aux départements la capacité d’agir en matière de définition des besoins de santé.
J’estime que le département constitue l’échelle cohérente d’action en matière d’accès aux soins et que le niveau régional, aujourd’hui privilégié dans la définition des besoins en santé, ne permet pas de mesurer finement la réalité des besoins des territoires.
Concernant le pilotage des ressources humaines en profession de santé, notre dispositif, bien qu’essentiel en vue d’adapter les effectifs aux besoins des populations, est, de l’aveu même de la Cour des comptes, inabouti. Dans ce cadre, le texte que nous examinons aujourd’hui tend à remplacer l’actuel Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) et ses comités régionaux par un nouvel office national, décliné à l’échelon départemental. Ces offices départementaux, présidés par le président ou la présidente du conseil départemental, seront chargés de l’identification des besoins en professions de santé dans le département.
Sur ma proposition, la commission a renforcé le rôle de ces nouveaux offices en prévoyant qu’ils rendent un avis conforme sur le zonage d’installation des médecins arrêté par le directeur général de l’agence régionale de santé. Ce zonage devra désormais être révisé tous les ans. Il s’agit ainsi de renverser la logique de construction du zonage et d’identification des besoins en assurant la prise en compte effective des besoins des territoires.
J’entends les remarques concernant un risque de « comitologie » – pathologie contre laquelle nous ne disposons d’aucun médicament – dans une architecture déjà complexe. Je réponds à cette objection par les arguments de proximité, de réactivité et de coordination.
Le département incarne naturellement l’échelon de la concertation territoriale entre les délégations départementales des ARS, les caisses primaires d’assurance maladie, mais également les ordres et les représentants des collectivités territoriales concernées. Il est temps de laisser la main à ceux qui connaissent le mieux les spécificités de chaque territoire.
Le deuxième levier mobilisé par cette proposition de loi vise à renforcer l’offre de soins dans les territoires en tension.
L’article 3 tend à réduire les inégalités territoriales d’accès aux médecins en soumettant leur installation en zone surdense à une autorisation préalable du directeur général de l’ARS. Cette autorisation serait conditionnée, pour les médecins généralistes, à un engagement de leur part à exercer à temps partiel en zone sous-dense. Pour les médecins spécialistes, elle serait subordonnée à un tel engagement, à la cessation concomitante d’activité d’un confrère de la même spécialité ou, à titre exceptionnel, à une décision du directeur général de l’ARS motivée par la nécessité de l’installation pour maintenir l’accès aux soins dans le territoire.
L’ampleur et l’aggravation des inégalités d’accès aux médecins justifient pleinement ces dispositions. La mesure vise à préserver la liberté d’installation des médecins, en leur permettant d’exercer où ils le souhaitent. Elle contraint, en revanche, ceux d’entre eux qui choisiraient de s’installer dans les territoires les mieux dotés à contribuer activement à la maîtrise des inégalités d’accès par des consultations avancées dans les zones plus fragiles.
Par mesure d’équité et afin que les centres de santé ne soient pas utilisés pour contourner ce dispositif, je vous proposerai d’étendre la mesure aux médecins salariés.
L’encadrement équilibré des installations responsabilisera les médecins et apportera, à court terme, une première réponse aux inégalités d’accès aux soins. Il pourra être concilié avec le système de solidarité territoriale, annoncé par le Premier ministre, visant les médecins d’ores et déjà installés. Celui-ci fait l’objet d’un amendement du Gouvernement que je vous proposerai d’adopter, modifié par deux sous-amendements de la commission.
Pour inciter les médecins à s’installer dans les zones sous-denses ou y réaliser une part de leur activité, l’article 5 invite les partenaires conventionnels à définir des tarifs spécifiques applicables dans tout ou partie des zones sous-denses.
Alors que ces dispositions ont suscité le débat, je tiens à le réaffirmer d’emblée : ces tarifs spécifiques ne constituent pas des dépassements d’honoraires et ne viendront, en conséquence, pas aggraver le reste à charge de plus de 95 % de Français entièrement couverts par une assurance complémentaire. Toutefois, pour entendre les craintes manifestées et supprimer toute augmentation possible du reste à charge, je vous présenterai un amendement visant à remplacer ces tarifs par des rémunérations forfaitaires fondées sur l’activité des médecins dans les mêmes zones.
Plusieurs articles ont pour objet d’améliorer les conditions d’accès des praticiens à diplôme hors Union européenne à l’autorisation d’exercice en France. De l’avis unanime des acteurs auditionnés, la procédure d’autorisation d’exercice mérite d’être simplifiée et adaptée à la diversité des profils des candidats. Sur ce sujet, les travaux de la commission ont été guidés par le souci de simplifier la procédure d’autorisation d’exercice actuelle, en veillant à préserver la qualité et l’impartialité de l’évaluation des candidats.
Les articles 8 à 10 visent ainsi, respectivement, à renforcer la portée de l’évaluation des besoins en nombre de postes à pourvoir, à adapter les conditions de l’évaluation des Padhue en confiant aux acteurs locaux chargés de leur supervision un pouvoir autonome d’appréciation permettant de raccourcir la durée des parcours et, enfin, à accélérer la délivrance des autorisations d’exercice.
J’ajoute que le Gouvernement a dévoilé son intention de réformer les épreuves de vérification des connaissances (EVC) : c’est en effet nécessaire. Les attentes sont nombreuses et nous serons attentifs aux modalités de mise en œuvre de ces annonces.
Enfin, la proposition de loi vise à introduire plusieurs mesures destinées à augmenter et à mieux allouer le temps médical disponible : il s’agit du troisième pilier.
Quatre articles visent à renforcer les partages de compétences en développant les protocoles de coopération, en étendant les compétences des pharmaciens d’officine ou en favorisant le déploiement de la pratique avancée par un maintien de salaire lors de la formation et une revalorisation du modèle économique, notamment en libéral.
Deux autres articles visent à supprimer les certificats médicaux inutiles en matière de pratique sportive et pour recourir au congé pour enfant malade.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, la présente proposition de loi constitue, selon moi, un texte équilibré. Les mesures qu’elle contient permettront de mieux estimer les besoins de santé des territoires et contribueront à freiner la progression des inégalités territoriales d’accès aux soins, dont l’ampleur désormais inacceptable abîme notre pacte républicain. Elles permettront également, à court et moyen terme, de libérer et de redéployer du temps médical, aujourd’hui mal affecté.
Parmi les nombreuses initiatives récentes, j’aimerais qu’elle constitue une voie de compromis. Je vous invite donc, au nom de la commission des affaires sociales, à lui donner la majorité qu’elle mérite. Quant à notre collègue Alain Milon, je veux lui dire, en référence à son intervention en commission des affaires sociales, que s’il se coupe un doigt, j’ai des pansements ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également. – M. Alain Milon sourit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. Bruno Rojouan, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque Français, quel que soit le territoire où il habite, a le droit d’être correctement soigné. Or les inégalités territoriales d’offre de soins atteignent aujourd’hui un niveau intolérable : près de 7 millions de Français ne disposent plus de médecin traitant. La question de l’accès aux soins est donc un enjeu central d’aménagement du territoire.
Dans deux rapports d’information que j’ai rédigés au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, j’ai dressé des constats implacables.
La situation générale de l’accès aux soins est dégradée dans notre pays. Dans certains territoires, notamment ruraux, les habitants souffrent d’une offre particulièrement insuffisante, qui entraîne des retards de prise en charge, des pertes de chance de guérir et une diminution de leur espérance de vie par rapport au reste de la population.
L’insuffisance généralisée des soignants, qui se conjugue à l’inégale répartition de leurs effectifs, appelle donc une action volontariste des pouvoirs publics.
À long terme, la seule solution est un choc de massification et de territorialisation de la formation des médecins. Toutefois, comme le soulignait John Maynard Keynes « à long terme, nous sommes tous morts ». Il nous faut donc agir dès maintenant : tel est l’objet de cette proposition de loi déposée par Philippe Mouiller.
Je ne reviendrai pas sur les utiles dispositions relatives au partage des tâches entre les professions de santé, dont je salue la pertinence. Je m’exprimerai, en particulier, sur deux articles du texte.
L’article 1er vise à réformer la gouvernance territoriale de l’accès aux soins en faisant de l’échelon départemental la maille de référence pour étudier les besoins de santé des territoires. Il tend à donner un rôle accru aux collectivités territoriales en prévoyant que les offices départementaux de l’évaluation de la démographie des professions de santé seront présidés par le président du conseil départemental, afin de bénéficier d’une connaissance fine des territoires et de rendre un avis sur le déploiement des stages des docteurs juniors.
J’avais recommandé dans mon premier rapport d’information de mars 2022 de créer cette quatrième année d’internat de médecine générale et d’affecter les internes en stage dans des zones sous-denses en médecine de ville. Sur l’initiative du Sénat, cette mesure a été adoptée lors du vote de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
J’ai réitéré cette recommandation dans mon second rapport d’information, remis en novembre dernier – la politique, comme la pédagogie, est l’art de la répétition –, en proposant un plan d’urgence pour garantir que les zones sous-denses comptent suffisamment de maîtres de stage pour assurer l’accueil des étudiants. Il convient de faire de ces stages le point de départ du virage territorial que doivent prendre les études de santé.
J’en viens enfin à l’article 3, qui vise à s’attaquer à un tabou : la liberté totale d’installation des médecins. Alors que l’ensemble des professions de santé sont aujourd’hui soumises à un cadre de régulation de l’installation, une irréductible profession résiste encore à toute forme de contrainte. La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable recommande depuis longtemps de mettre en place des mécanismes visant à encadrer cette liberté d’installation. Il faut la concilier avec une politique ambitieuse d’aménagement du territoire.
Je me félicite donc particulièrement que la commission des affaires sociales ait proposé de soumettre l’installation d’un médecin généraliste dans une zone bien dotée à un exercice partiel dans une zone en difficulté. C’est une forme bienvenue de solidarité territoriale, qui bénéficiera directement aux territoires les moins bien dotés. Le texte vise à soumettre les médecins spécialistes au principe d’« une arrivée pour un départ » dans les zones bien dotées, dans la mesure où il est matériellement plus difficile pour nombre d’entre eux d’exercer dans un cabinet secondaire.
Ces deux formes de régulation de l’installation sont pertinentes. Ce texte pragmatique vise à rompre avec un dogme solide, celui du droit absolu de professionnels dont l’activité est largement financée par l’argent public à s’installer où ils veulent quand ils veulent.
Je salue donc cette initiative du président Philippe Mouiller, qui résulte d’un travail en commun avec ma collègue Corinne Imbert, et d’un compromis entre la commission des affaires sociales et la commission de l’aménagement du territoire. Ce texte montre la capacité du Sénat à mener un travail de fond sur ces sujets essentiels. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Hervé Maurey applaudit également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, la commission des finances se réunira dans quinze minutes pour se prononcer sur la recevabilité de la proposition de loi tendant à confier à l’Office français de l’immigration et de l’intégration certaines tâches d’accueil et d’information des personnes retenues. Pendant ce temps, nous poursuivrons nos travaux en séance. À l’issue de cette saisine, je mettrai ce texte aux voix.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, garantir à chacun de nos concitoyens l’accès à des soins adaptés et de qualité, où qu’ils vivent, quelle que soit leur situation sociale ou économique, ce n’est pas seulement une ambition politique, c’est aussi une exigence républicaine.
C’est pourquoi nous devons regarder en face la réalité que constitue la désertification médicale.
Cette réalité, je sais que c’est la vôtre au quotidien, mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui êtes des élus de terrain, des élus de proximité.
Vous savez mieux que quiconque que souvent, bien trop souvent, l’accès aux soins des Français se heurte à des délais inacceptables, à des distances infranchissables, à tous ces obstacles insupportables qui entraînent chez nos concitoyens des sentiments légitimes à la fois de découragement, de dépit ou de colère.
Cette réalité, je l’ai vécue comme médecin, comme élu local et comme parlementaire d’une circonscription rurale. Elle me heurte à chacun de mes déplacements en tant que ministre, comme ce fut cette semaine encore le cas dans la Drôme, en Ardèche et en Savoie. C’est la première chose sur laquelle les habitants, les élus et les soignants m’interpellent.
Je ne peux accepter, alors que nous fêtons cette année les quatre-vingts ans de notre sécurité sociale, que la promesse d’égalité et de solidarité sur laquelle celle-ci est fondée ne soit pas une promesse tenue, qu’elle ne soit pas une promesse vécue par tous.
Le phénomène du renoncement aux soins constitue, par ailleurs, une véritable « bombe à retardement » en termes de santé publique, avec des pertes de chance réelles pour nos concitoyens.
Alors que les besoins de santé sont inéluctablement appelés à augmenter ces prochaines années, sous l’effet du vieillissement de la population, de la hausse de la prévalence des maladies chroniques, de la dépendance et des polypathologies, nous devons mener une action forte, globale et coordonnée.
Il convient, d’une part, de prendre des mesures d’ordre immédiat afin de mobiliser collectivement tous nos efforts et toutes nos ressources pour améliorer tout de suite l’accès aux soins dans les territoires.
Il convient, d’autre part, d’engager des réformes structurelles et de long terme permettant de renforcer durablement les effectifs de nos forces vives sur le terrain.
L’accès aux soins, je l’ai dit d’emblée, est un élément incontournable de l’équilibre de notre contrat social. C’est pourquoi j’ai souhaité que nous puissions répondre à cette exigence par un pacte collectif qui mobilise tous les acteurs.
Tout le long du mois d’avril, comme je m’y étais engagé devant le Parlement, j’ai mené de larges concertations pour percevoir les besoins, mais aussi tenir compte des solutions proposées par toutes celles et tous ceux qui s’engagent sur le terrain.
J’ai tenu à associer à ce travail d’écoute les élus locaux, les jeunes en formation, les professionnels, les patients et leurs représentants, les associations et, naturellement, les parlementaires.
Je tiens à remercier les sénateurs qui se sont investis dans cet exercice indispensable et qui ont largement inspiré plusieurs mesures de ce pacte de lutte contre les déserts médicaux, que nous avons présenté, depuis le Cantal, le 25 avril dernier.
Je remercie donc M. le président Philippe Mouiller et Mme la rapporteure Corinne Imbert d’avoir coécrit cette proposition de loi. Ce texte nous permettra de décliner concrètement et rapidement plusieurs engagements issus de ce pacte, qui s’inscrivent en complémentarité avec les mesures dont nous débattons aujourd’hui.
Je salue la qualité de nos échanges très constructifs et l’excellente teneur des débats en commission des affaires sociales.
Je souligne également le fait que vous ayez tenu à y associer pour avis la commission de l’aménagement du territoire, dont je salue le rapporteur, Bruno Rojouan, lequel n’a pas manqué de me faire toucher du doigt les spécificités de son département, l’Allier.
C’est aussi l’esprit du pacte de lutte contre les déserts médicaux : impliquer étroitement les collectivités territoriales, les services de l’État en région et dans les départements, avec les professionnels de santé.
Je remercie également les ministres François Rebsamen et Françoise Gatel, qui se sont pleinement investis dans l’élaboration du pacte et avec qui je continuerai naturellement de travailler en étroite collaboration.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre les déserts médicaux ne pourra s’intensifier sans un élan collectif et durable. Un élan collectif non pas pour attiser les tensions, chercher des coupables, opposer les soignants, les générations ou, pire encore, opposer les Français à leurs médecins… Non, grâce à ce texte, nous construisons les termes d’une nouvelle solidarité entre les territoires au service de l’accès aux soins, mais aussi d’une responsabilité collective. Nous avons désormais une obligation de résultat, nous le devons à nos concitoyens.
Ce texte constitue ainsi un jalon important d’un édifice plus large pour continuer de bâtir cette solidarité, dans le temps et à travers les générations. Je pense naturellement à la nécessité de former plus, de former mieux, de former partout.
C’est le sens des 5 870 places en institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) qui ont été créés depuis 2020 dans le cadre d’un protocole État-régions. Je me suis personnellement mobilisé pour sécuriser les crédits nécessaires dans la loi de finances pour 2025.
C’est également le sens de la mise en œuvre de la quatrième année de médecine générale, qui permettra à 3 700 docteurs juniors d’arriver dans vos circonscriptions et dans vos départements dès le mois de novembre 2026.
C’est aussi le sens de ma volonté de supprimer un numerus apertus encore trop restrictif et de déterminer le capacitaire de formation en fonction des besoins du territoire. Ces mesures en faveur de la formation sont d’ailleurs un axe fort de notre pacte contre les déserts médicaux, tout comme le retour des 5 000 étudiants en médecine situés en Roumanie, en Belgique et en Espagne. Il en va de même de la mise en place de passerelles avec les paramédicaux qui souhaitent devenir médecins ou avec les ingénieurs ou autres qui souhaitent reprendre des études en santé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui nous réunit ce soir nous permet de mettre en œuvre une mesure inédite, qui constitue un pilier de notre pacte contre les déserts médicaux : l’instauration d’une obligation collective qui engagera l’ensemble de la communauté médicale, en fonction des besoins identifiés sur le territoire.
Cette mesure s’inscrit dans l’esprit de votre texte puisqu’elle permet de généraliser le système de consultations avancées et les initiatives de terrain comme celles de l’association Médecins Solidaires, qui organise des « relais » hebdomadaires de généralistes là où les besoins sont les plus importants.
Les exemples sont très nombreux. Je peux citer la mise en place d’incubateurs de santé solidaires – j’en ai encore inauguré un samedi à Mions, dans le Rhône. Je peux mentionner également l’application Swing Santé, dont j’ai soutenu le développement comme vice-président de région, qui permet aux médecins libéraux d’échanger des remplacements sur un territoire.
J’insiste sur le fait que cette mission de solidarité s’attache à préserver les fondamentaux de la médecine libérale, qui a toujours été structurante dans notre système de santé et dont, je le sais, nous partageons la valeur.
Je veux affirmer un principe clair : soutenir l’exercice libéral est une condition essentielle d’une médecine de qualité qui assure une couverture des soins sur tout le territoire au service de millions de patients.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le caractère inédit et novateur de cette mesure repose sur le fait qu’elle permet d’engager tous les médecins afin de répartir la charge de cette responsabilité collective. Le principe est finalement de demander un peu à beaucoup de médecins plutôt que d’obliger trop peu de médecins à faire beaucoup.
Concrètement, nous allons commencer par identifier, en partant des territoires, les besoins précis et les zones les plus vulnérables. Ce travail sera effectué, dans un premier temps, par les ARS, en lien avec les préfets, les conseils départementaux et l’ordre des médecins.
Je salue votre souhait de renforcer le rôle des élus locaux en impliquant davantage les départements dans l’identification des zones les plus vulnérables. C’est dans celles-ci que se déploieront prioritairement les consultations avancées que nous demandons aux médecins d’effectuer jusqu’à deux jours de solidarité par mois.
Nous prévoirons naturellement des facilités de remplacement et une valorisation de ces journées, car je sais combien vous êtes très attachés, monsieur le président, madame la rapporteure, au principe de juste rémunération des services rendus par les professionnels de santé.
À terme, cette mission de solidarité sera étendue à l’ensemble des zones sous-denses, au-delà des parcours prioritaires et du premier recours. L’extension des zones de solidarité territoriale se fera, notamment, sur la base des données utilisées par l’Observatoire national de la démographie des professions de santé.
Si je crois fermement à l’engagement dont ne manqueront pas de faire preuve les professionnels, je veux tout de même vous rassurer sur le fait que cette solidarité n’est pas optionnelle. Chacun devra y prendre sa part : c’est à cette seule condition qu’elle produira son plein effet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi a pour vocation de mieux mobiliser nos médecins, tous nos médecins, et donc également les quelque 20 000 Padhue autorisés par l’ordre national des médecins.
Je me réjouis que ce texte permette de concrétiser plusieurs engagements importants du Gouvernement en faveur de ces praticiens, qui assurent une part non négligeable de la réponse aux besoins de santé dans nos territoires.
En particulier, je me suis engagé à simplifier les épreuves de vérification des connaissances des candidats exerçant déjà sur le territoire français.
C’est pourquoi je défendrai, au nom du Gouvernement, un amendement visant à permettre à ces candidats d’accéder au plein exercice via un examen et non plus un concours, ce qui facilitera leur réussite en tenant compte de l’expertise qu’ils ont acquise dans nos établissements, ainsi que de leur engagement dans notre système de soins.
Pour les lauréats des épreuves, je proposerai également un amendement visant à fluidifier et à simplifier la procédure d’autorisation de plein exercice. L’objectif est notamment de permettre de mieux prendre en compte l’expérience des Padhue en établissement pendant leur parcours de consolidation. Nous voulons donner une place plus centrale à l’évaluation et à l’avis des médecins responsables d’unités, des médecins chefs de service, des médecins chefs de pôle, voire à celui des présidents de commission médicale d’établissement (CME) ou des doyens, qui travaillent au quotidien avec eux, ainsi que des coordonnateurs du diplôme d’études spécialisées (DES) de leur spécialité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces mesures en faveur des Padhue résonnent également pleinement avec l’autre axe majeur de notre pacte de lutte contre les déserts médicaux : moderniser l’organisation entre les professionnels de santé et unir les compétences pour soigner davantage de patients.
Ainsi, notre pacte de solidarité est aussi un pacte de confiance envers les acteurs locaux : d’une part, pour faire un levier de toutes les ressources qui existent sur le terrain ; d’autre part, pour leur simplifier la vie afin de leur dégager du temps et libérer leur capacité d’initiative.
C’est pourquoi j’accueille naturellement très favorablement l’article de votre proposition de loi permettant, par exemple, d’étendre les missions des pharmaciens à la prise en charge de pathologies simples.
Cette mesure s’inscrit dans la continuité de l’action du Gouvernement, qui entend faire des officines de véritables portes d’entrée vers le système de santé. Je pense notamment à deux mesures couronnées de succès : l’élargissement des compétences vaccinales des pharmaciens et la capacité qui leur a été donnée de délivrer des antibiotiques pour les cystites et les angines après réalisation d’un test rapide d’orientation diagnostique (Trod). Ce type de test pourra d’ailleurs désormais être réalisé par les préparateurs en pharmacie, à l’instar des tests PCR durant la crise sanitaire.
C’est pourquoi je vous proposerai un amendement visant à renforcer notre soutien aux officines situées dans les territoires fragiles, en donnant plus de latitude aux partenaires conventionnels dans ce domaine, ce qui permettra également de préserver le maillage officinal dans ces territoires, via un assouplissement des conditions d’ouverture dans les plus petites communes.
Cette meilleure valorisation des compétences de chacun s’incarnera par ailleurs dans la mesure que je vous proposerai en faveur de la prise d’un décret d’actes pour les audioprothésistes. En effet, le positionnement de ces professionnels en ville et leur maillage territorial en font une ressource stratégique, notamment pour le suivi des personnes âgées appareillées, ainsi que pour la réalisation de certains actes susceptibles de libérer du temps médical. Nous y travaillerons avec les médecins concernés.
Je partage également votre volonté de soutenir le développement de la pratique avancée. J’en profite pour rappeler que je lancerai avant l’été les négociations conventionnelles avec les infirmiers et les infirmières, afin de décliner les avancées de la proposition de loi sur cette profession, que vous avez votée ici même la semaine dernière.
Je veux d’ailleurs saluer ici tous les infirmiers, dont c’est aujourd’hui la journée nationale, pour leur investissement au quotidien auprès de nos patients, dans tous les territoires, en ville, à l’hôpital et au domicile.
Je suis aussi favorable aux dispositions contre les certificats médicaux inutiles, une mesure très attendue sur le terrain et qui figure également dans notre pacte de lutte contre les déserts médicaux.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je ne peux revenir sur le détail de l’ensemble des mesures de cette importante proposition de loi. Nos débats nous permettront d’en approfondir tous les sujets.
Cependant, il me tenait à cœur de rappeler les fondamentaux de notre action, autour desquels nous sommes réunis ce soir : l’obligation de résultat que nous avons envers nos concitoyens, pour qui la santé doit redevenir un parcours de confiance, et non plus un parcours du combattant ; la confiance que nous devons à nos médecins, à tous les professionnels de santé et à tous les acteurs de proximité qui s’impliquent au quotidien pour l’accès aux soins ; le juste partage de nos responsabilités pour réussir grâce à la force du collectif.
C’est dans cet esprit que nous avons bâti notre pacte de lutte contre les déserts médicaux et que nous continuerons d’élaborer les mesures qui le mettent en œuvre, avec et grâce à vous tous.
Je terminerai en vous remerciant une nouvelle fois de nous permettre d’avancer grâce à ce texte, avec une seule boussole, la volonté d’agir pour nos concitoyens, pour nos territoires, pour notre système de santé et son avenir. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accès aux soins est devenu l’une des préoccupations les plus pressantes dans nos territoires. Partout, les élus sont interpellés, souvent avec inquiétude, parfois avec colère, par des habitants qui peinent à obtenir une prise en charge médicale dans des délais raisonnables.
Cette tension est à la hauteur d’une attente : celle, légitime, de pouvoir se soigner rapidement partout et dans de bonnes conditions. C’est un droit fondamental.
Nous avons tous ici entendu parler de situations de pertes de chances, si nous n’en avons vécu personnellement. Elles se multiplient ; leur écho est amplifié par les récits de nos concitoyens dans les médias, sur les réseaux sociaux ou dans nos permanences. Il nous faut assumer cette responsabilité collective : nous avons, depuis des années, laissé la pénurie de soignants s’aggraver.
Dans ce contexte, une question s’impose : peut-on, doit-on réguler par la loi la répartition des médecins sur le territoire national ?
Ce sujet nous divise profondément : les échanges que nous avons eus jusqu’ici – en commission, en réunion de groupe, lors des auditions – ont bien montré que les mesures dites « coercitives » avaient leurs partisans comme leurs fermes opposants. Entre ces deux camps, le dialogue est souvent stérile : chacun campe sur ses convictions, avec sincérité, mais sans convaincre l’autre.
Pour ma part, je reste profondément opposée aux solutions fondées exclusivement sur la contrainte. Comme le dit très bien notre collègue Élisabeth Doineau, pénaliser les jeunes diplômés n’est ni juste ni durable. Réguler une profession en pénurie ne règle pas la pénurie : je partage pleinement ce constat lucide du président du Conseil national de l’ordre des médecins.
Cela étant, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne procède ni d’une contrainte brutale ni d’une remise en cause du principe de la liberté d’installation. Les auteurs du texte, nos collègues Philippe Mouiller et Corinne Imbert, font une proposition très différente : ils souhaitent limiter les concentrations de soignants. Éviter les installations en zone surdense, tout en prévoyant des mesures dérogatoires ou de compensation, me semble être de bon sens.
La coercition consisterait à affecter un jeune diplômé à un territoire qu’il n’a pas choisi. J’y insiste, si ce texte remettait en cause la liberté d’installation des professions libérales, je ne le soutiendrais pas. Mais il ne le fait pas : il introduit un principe de responsabilité partagée pour éviter des déséquilibres qui, aujourd’hui, ne sont plus soutenables.
Au demeurant, il convient de rappeler que les zones dites « surdotées » ne représentent qu’une très faible part du territoire national. Nous parlons ici d’ajustements à la marge, dans un esprit de raison.
Parallèlement, nous devons continuer à miser sur les réformes structurelles. Je pense notamment à l’année de professionnalisation des internes en médecine générale qui sera bientôt mise en œuvre : elle permettra de mieux préparer les jeunes médecins à exercer dans les cabinets de nos territoires, là où l’on a le plus besoin d’eux.
Je veux aussi saluer ici les propositions récentes de la Conf’ Santé, initiative lancée par les jeunes médecins eux-mêmes. Ces derniers souhaitent qu’on leur offre plus d’opportunités dans les zones en tension : stages, accompagnements, incitations… Leur plan d’action montre que les nouvelles générations sont prêtes à s’engager si on leur en donne les moyens.
Bien évidemment, le texte que nous examinons ne réglera pas tout, mais il s’agit d’une avancée intéressante et équilibrée. Il ne stigmatise pas les médecins. Il ne cède pas à la facilité du discours brutal.
Au sein de l’Union Centriste, les approches divergent sur cette proposition de loi, et c’est bien naturel. Mais je crois que beaucoup, comme moi, y verront une tentative d’agir avec discernement, dans l’intérêt de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en France, en 2025, avoir un médecin est presque devenu un privilège quand 87 % du territoire national en manque.
En plus d’un accès aux soins devenu difficile pour un nombre toujours croissant de nos concitoyens, l’égalité républicaine est mise à mal tant les inégalités s’aggravent. En effet, si le nombre de médecins par département a augmenté dans les territoires déjà bien dotés, il a diminué fortement dans des départements déjà sinistrés.
Cette situation conduit aussi à des inégalités entre praticiens, dont le nombre de patients peut être cinq fois plus élevé pour les uns que pour les autres.
Il y a donc urgence.
À cet égard, notre groupe a plutôt tendance à regarder d’un bon œil tout ce qui peut être tenté, que ce soit dans nos territoires comme au plan national, pour résorber cette situation devenue intolérable.
Toutefois, le télescopage de textes et les mesures floues annoncées ces dernières semaines montrent qu’il manque à notre pays une véritable stratégie en matière de santé, voire que certains s’emploient à ce que rien ne change.
La santé est pourtant une préoccupation majeure de nos concitoyens, si ce n’est leur préoccupation principale.
La proposition de loi du président Mouiller, que nous examinons aujourd’hui, prévoit notamment que les généralistes réalisent quelques jours de consultations de solidarité dans les zones sous-denses et que les spécialistes soient autorisés à s’installer sous réserve de la cessation d’activité d’un confrère de la même spécialité, sauf exceptions, d’ailleurs discutables.
Saluons le fait que la majorité sénatoriale, qui refusait jusqu’à présent de toucher à la sacro-sainte liberté d’installation, fasse désormais mouvement !
Cette proposition de loi est-elle pour autant le vecteur qui permettra de concrétiser les annonces du Premier ministre ? Parle-t-on de consultations en zone sous-dense quelques jours par mois, ou plutôt de quelques jours par semaine, comme certains de nos collègues l’ont affirmé ? Toutes les zones sous-denses sont-elles concernées, ou seulement celles que le Premier ministre a qualifiées de « zones rouges » ? S’agit-il d’une obligation, ou cela se transformera-t-il en une énième incitation, après toutes celles qui se sont conclues par des échecs ?
Vous-même, monsieur le ministre, n’avez pas tout à fait dit la même chose que le Premier ministre à ce sujet…
Du reste, sachez que notre groupe combattra fermement l’autorisation donnée aux praticiens de pratiquer des dépassements d’honoraires, quand bien même ils seraient rebaptisés « tarifs spécifiques », dans les déserts médicaux. Il est inacceptable que des patients déjà pénalisés par l’absence de médecins doivent débourser davantage ! Ni les patients, ni la sécurité sociale, ni les complémentaires ne doivent pallier les défaillances d’un système reposant sur la liberté d’installation.
Il n’est pas plus acceptable que les Padhue soient exclusivement orientés vers les territoires sous-denses.
Finalement, ce texte, c’est un soupçon de régulation, beaucoup de flou et d’imprécision sur la manière concrète de conduire davantage de médecins à exercer dans nos territoires en difficulté, et quelques mesures dangereuses.
Et je veux dire à ceux qui, dans cet hémicycle, comme au Gouvernement, ont la velléité de couper l’herbe sous le pied des promoteurs de l’initiative transpartisane permettant d’avancer vers plus de justice et d’efficacité dans l’offre de soins, qu’ils me semblent avoir perdu la bataille de l’opinion.
Des députés d’horizons très divers, soutenus par plus de 1 500 élus locaux, ont en effet, la semaine dernière, voté une proposition de loi conditionnant l’installation de nouveaux médecins en zone surdense au départ d’un professionnel de la même spécialité.
Cette mesure de régulation démographique amènera les médecins, généralistes comme spécialistes, à s’installer dans 87 % du pays, choix qui reste extrêmement large à mes yeux.
Une telle disposition s’applique d’ailleurs d’ores et déjà à quasi tous les professionnels de santé, y compris à ceux pour lesquels les disparités sont moins prégnantes. Je pense aux infirmiers, soumis à cette règle depuis 2008, aux masseurs-kinésithérapeutes et aux sages-femmes, concernés depuis 2018, et même aux chirurgiens-dentistes, qui le sont depuis le 1er janvier 2025.
Elle a d’ailleurs été préconisée, ici même, au Sénat, dans le rapport intitulé Inégalités territoriales d’accès aux soins : aux grands maux, les grands remèdes de notre collègue Bruno Rojouan, nouvelle démonstration que cette idée rassemble très largement.
Dès lors, pourquoi ne pas la voter au Sénat, chambre qui, je le rappelle, représente les territoires ?
Enfin, le texte que nous allons examiner fait l’impasse sur la nécessité d’accroître nos capacités de formation des médecins. Pourtant, des pistes intéressantes et rassembleuses s’étaient dégagées d’un débat organisé sur ce sujet sur l’initiative de notre groupe voilà quelques mois. Elles mériteraient d’être explorées sans tarder.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Cela va venir !
Mme Céline Brulin. Nous craignons que les mesures de cette proposition de loi ne répondent pas à l’attente légitime et très forte de nos concitoyens ni à l’impératif d’égalité républicaine qui doit commander notre action pour permettre à chacun de disposer d’un médecin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Souyris. (Mme Solanges Nadille applaudit.)
Mme Anne Souyris. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’écrire sur le sida, Hervé Guibert racontait ses parents.
De cette vie de famille d’autrefois, je souhaite vous lire un passage, alors que le narrateur, jeune étudiant, retourne à La Rochelle : « Je suis tombé malade, et comme je n’ai aucun ami pour venir me soigner, après avoir attendu plusieurs jours sans médicament conséquent, et comme ma fièvre s’est aggravée, je décide de prendre un train pour rejoindre mes parents.
« Les cinq heures de train m’ont achevé : lorsque mes parents viennent me chercher à la gare, je suis à peine conscient.
« Ils me couchent et appellent un médecin.
« Mais le docteur tarde, et dans mon lit, tout l’espace se met à basculer autour de moi. »
Ce récit – celui d’un enfant adulte qui rentre chez ses parents pour se faire soigner, celui de parents qui mettent au lit un enfant fiévreux dans l’attente d’un avis médical, celui du médecin que l’on appelle pour une visite à domicile – ne peut que parler à certains d’entre nous.
Pourtant, cette réalité de 1986 apparaît aujourd’hui absolument anachronique.
Les visites à domicile, qui représentaient 38 % des actes des médecins généralistes en 1980, n’en constituent plus que 8,8 % en 2016.
Pour les bien portants, qu’importe ! Ils pourront se déplacer chez le médecin. Mais, pour tous les autres, les personnes à mobilité réduite ou en perte d’autonomie ou les malades chroniques, le soin ne pourra venir que de la téléconsultation, du départ à l’hôpital ou d’un rare médecin qui se déplace chez le patient.
Nous souhaitons que ce devoir de visite soit mis à l’ordre du jour. Il est essentiel.
Mes chers collègues, nous sommes unanimes sur le constat : l’accès aux soins de nos concitoyennes et concitoyens se révèle chaque jour plus difficile.
Les causes de cette crise sont bien connues.
Je pense d’abord à l’augmentation des besoins en santé, avec le vieillissement de la population, la multiplication des maladies chroniques et les effets du changement climatique.
Une autre cause est la politique austéritaire : austérité numéraire d’une sécurité sociale contrainte ; austérité humaine du numerus clausus, responsable d’une pénurie de médecins, qui a commencé en 1971 et durera vraisemblablement jusqu’en 2032, et d’une répartition fortement inégalitaire.
Dans ce contexte, nous affirmons que l’accès aux soins passera par une régulation de la profession médicale.
Cette mesure ne réglera pas l’ensemble du problème. Elle ne sera efficace qu’accompagnée d’un effort soutenu pour la formation, de la création de passerelles intelligibles, du développement des autres professions de santé, de la prévention et, enfin, de la santé environnementale. Mais elle seule pourra amorcer une réduction des inégalités entre les territoires.
À cet égard, le slogan « bac+12, pas pour finir à Mulhouse », que nous avons entendu depuis des semaines, est indigne. Il témoigne d’une inculture géographique plus que d’une revendication légitime.
Rappelons que la régulation à l’installation des professions de santé existe déjà : depuis 2008 pour les infirmiers, depuis 2018 pour les masseurs-kinésithérapeutes et les sages-femmes, et depuis le 1er janvier 2025 pour les chirurgiens-dentistes, sans parler des pharmacies d’officine. Comment justifier que ces mesures ne puissent également s’appliquer aux médecins ?
Ainsi, la mesure figurant à l’article 3 nous inspire de la sympathie, même si notre groupe lui préfère la version du texte en discussion à l’Assemblée nationale.
D’ailleurs, comment ne pas être surpris du calendrier d’examen de la présente proposition de loi, mise en compétition avec celle du député Guillaume Garot ? Oui, monsieur le président de la commission, nous nous interrogeons : ce texte est-il réellement une proposition de loi du groupe Les Républicains du Sénat, ou est-ce un projet de loi déguisé, un cheval de Troie anti-Garot ?
Ne vous inquiétez pas, nous ne rejetons pas de prime abord votre proposition de loi ! Au contraire, nous pensons qu’une large majorité peut la voter.
Cependant, certaines de ses dispositions constituent pour nous des lignes rouges. Les discriminations majeures que prévoit d’introduire l’article 5 pour les Padhue – les médecins étrangers –, et l’article 10 destiné aux habitants des zones sous-denses, à qui l’on promet de payer plus cher – autrement dit, à qui l’on inflige une double peine –, ne peuvent acquérir notre suffrage.
Il ne tient qu’à vous, mes chers collègues, de dégager un consensus sur ce texte !
Pour conclure, je veux de nouveau évoquer Hervé Guibert, qui nous rappelle, au fil de ses ouvrages, l’omniprésence, dans nos vies, de la mort et de la maladie. Face à ces épreuves, nous savons pouvoir faire confiance aux soignants pour nous épauler, nous soigner et nous accompagner dans la vie comme dans sa fin.
Nul besoin d’appeler à la résurrection du passé à l’heure où la figure du médecin de famille disparaît. Il est temps d’inventer un nouveau modèle pour notre système de santé, fondé sur la confiance, la démocratie et l’égalité. J’espère que ce texte y participera !
Mme la présidente. Mes chers collègues, la commission des finances s’étant réunie pour apprécier, au titre de l’article 40 de la Constitution, la recevabilité de la proposition de loi tendant à confier à l’Office français de l’immigration et de l’intégration certaines tâches d’accueil et d’information des personnes retenues, nous en revenons au cours normal de la discussion de ce texte.
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Accueil et information des personnes retenues
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. Nous reprenons donc la discussion de la proposition de loi tendant à confier à l’Office français de l’immigration et de l’intégration certaines tâches d’accueil et d’information des personnes retenues.
Irrecevabilité (suite)
Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission des finances.
M. Bruno Belin, vice-président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des finances s’est réunie spécifiquement pour examiner la recevabilité financière de la proposition de loi.
Après en avoir débattu sur le fond et sur la forme, elle a estimé, à l’unanimité moins une voix, que le texte était recevable au titre de l’article 40 de la Constitution.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Nous venons d’assister cet après-midi à un énième débat sur l’immigration, cette proposition de loi étant la dernière d’une longue série en la matière.
Il existe manifestement un accord de gouvernement qui empêche le ministre de l’intérieur de déposer des projets de loi sur ce thème, contraignant celui-ci à faire produire des propositions de loi par la majorité sénatoriale, laquelle est, comme nous l’avons encore vu aujourd’hui, tout à son service.
M. Roger Karoutchi. C’est très bien !
M. Thomas Dossus. La commission des finances elle-même s’est mise à sa disposition en niant un certain nombre d’arguments de fond de façon extrêmement expéditive. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous invite à rester calmes !
M. Thomas Dossus. Je l’ai dit en commission et je le répète ici, ce texte va aggraver la situation des finances de l’État, tout comme le fera la proposition de loi qui vise à étendre la durée de rétention en centre de rétention administrative. (M. Roger Karoutchi le conteste.)
Vous pouvez le nier, mes chers collègues, mais c’est un fait ! Cela a même obligé le ministre à reprendre le texte à son compte. Si la proposition de loi n’avait pas eu ce problème consubstantiel d’irrecevabilité financière, celui-ci n’aurait pas eu à le faire…
On le voit bien avec ce texte, le ministre Retailleau a mis le Sénat à son service en vue du prochain congrès des Républicains. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Et vous, pour qui roulez-vous ? Pour l’ultragauche ?
M. Thomas Dossus. La majorité de notre assemblée le suit sur tout et n’importe quoi, et surtout sur n’importe quoi ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Cette loi de plus ne réglera aucun problème : ceux qui demandent à sortir des centres de rétention et à ne pas être expulsés le font en effet dans un cadre légal. C’est le juge qui décide en définitive ; ce ne sont pas les associations qui font sortir les retenus !
Ce sont les lois que vous produisez, que nous produisons, qui multiplient les possibilités de recours. Vous avez voté des textes de plus en plus touffus, monsieur le ministre, des textes qui, de fait, accroissent les coûts.
Nous allons voter aujourd’hui un texte de plus, un texte qui, cette fois-ci, stigmatise les associations. Cette proposition de loi est, à mes yeux, une nouvelle preuve du dévoiement de la Haute Assemblée !
Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.
Mme Émilienne Poumirol. Je veux, au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, expliquer pourquoi nous voterons contre ce texte. Ma collègue Corinne Narassiguin a exposé tout à l’heure notre position et défendu nos amendements tout au long des débats.
L’épisode qui s’est déroulé dans la dernière demi-heure de l’examen de ce texte a montré combien cette proposition de loi n’était en réalité qu’un projet de loi déguisé, demandé par le ministère de l’intérieur au groupe LR, afin d’éviter l’avis du Conseil d’État et celui de la commission des finances.
Nous voterons évidemment contre ce texte et nous dénonçons le court-circuit opéré par le ministre Retailleau, qui, en reprenant à son compte l’idée d’un projet de loi, a prouvé quelles étaient les intentions réelles du Gouvernement.
M. Thomas Dossus. C’est vrai !
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont, pour explication de vote.
Mme Sophie Briante Guillemont. Malgré quelques abstentions, la majorité du groupe RDSE votera contre ce texte.
Au-delà des désaccords politiques, que nous n’allons évidemment pas résoudre ce soir, je regrette que nous n’ayons pas vraiment obtenu de réponse sur la mise en œuvre pratique du dispositif de cette proposition de loi, non pas tant pour ce qui concerne l’Ofii – nous en avons discuté – que pour ce qui concerne les avocats.
Monsieur le rapporteur Margueritte, même si vous avez déclaré avoir rencontré les représentants du barreau, je doute – j’y insiste – de la faisabilité technique du texte dans l’immédiat, et même au 1er janvier 2026, dans la mesure où seules les associations maîtrisent aujourd’hui ce contentieux technique – les avocats eux-mêmes et nos collègues socialistes l’ont rappelé.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Bien évidemment, notre groupe ne votera pas cette proposition de loi.
L’une des raisons principales pour lesquelles nous nous opposerons à ce texte est que son exposé des motifs évoque des faits qui, dans leur majorité, sont soit non avérés, soit déformés par rapport à la réalité, et qu’il est dépourvu de tout argumentaire. Je m’étonne du travail qui a été réalisé par le Sénat à cette occasion.
Ainsi, comme nous l’avons vu, le coût du remplacement des associations par les avocats et par l’Ofii n’est ni communiqué, ni évalué, ni maîtrisé. Personne, en fait, n’en a la moindre idée.
D’ailleurs, le fait que le ministre annonce qu’il reprendra le texte de la proposition de loi dans un projet de loi si celle-ci n’était pas adoptée montre bien l’absence totale d’évaluation financière du dispositif ! L’argument avancé est donc tout à fait fallacieux et ne repose sur aucun fondement.
Il en va de même pour les recours abusifs, dont on nous dit qu’ils seraient le fait des associations. En fait, aucune action n’a été engagée contre les associations, parce qu’elles auraient, par des recours abusifs, « dévoyé » – c’est le terme qui a été utilisé – le contrat qu’elles ont signé au terme du marché public lancé par l’État. Rien n’a par ailleurs été entrepris pour dénoncer ces marchés publics…
Je pose donc la question une nouvelle fois : qu’est-ce qu’un recours abusif ? Y a-t-il un seuil au-delà duquel le nombre de recours est considéré comme abusif ? Oubliez-vous qu’il y a eu beaucoup plus d’OQTF prononcées, parfois de manière systématique et sans étude de cas individuelle, que de recours intentés ? Savez-vous que le droit de former un recours, y compris contre une décision du Président de la République, fait partie de ce qui garantit nos libertés, notre démocratie ?
On nous parle de coûts élevés, de recours abusifs, mais rien n’est prouvé. En définitive, comme ma collègue Briante Guillemont vient de le dire, aucun dispositif de substitution crédible n’est proposé en contrepartie.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Guy Benarroche. Rien ne permet donc aujourd’hui de justifier ce texte, qui relève du pur affichage politique !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Carole Ciuntu, pour explication de vote.
Mme Marie-Carole Ciuntu. Compte tenu de ce que je viens d’entendre, je tiens d’abord à dire que je suis bien l’auteure de cette proposition de loi. Ce texte reflète bien la conviction profonde qui est la mienne, après un travail qui a été mené ici, au Sénat, dans des conditions très remarquables, comme toujours.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
Mme Marie-Carole Ciuntu. Ce travail a été très approfondi. Je ne me suis pas subitement levée un matin en proie à une obsession nouvelle contre les associations.
Je n’admets pas non plus que, dès qu’il s’agit d’immigration, on nous juge en nous traitant de « fachos ». C’est absolument inadmissible ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Thomas Dossus lève les bras au ciel.)
Je tiens à le dire, voilà plus d’une année que j’ai demandé à la commission des finances, avec l’aval de l’ensemble des commissaires, dont vous faites partie, monsieur Dossus, que la Cour des comptes regarde non seulement ce qui se passe dans les centres de rétention administrative, mais aussi la manière dont les associations œuvrant dans le domaine migratoire assument les missions qui leur sont confiées et ce qui est fait de ce fameux milliard d’euros – cette somme a doublé en quelques années sans que cela semble vous soucier, mon cher collègue !
La Cour des comptes a publié un rapport très complet, qui consacre de longs passages aux associations, notamment sur le fait qu’elles ne sont pas contrôlées – qu’un milliard d’euros puisse ne pas être contrôlé ne semble pas vous émouvoir, monsieur Dossus !
Dans ce rapport, le constat est fait que certaines missions mériteraient d’être affinées et qu’il existe des doublons…
M. Thomas Dossus. Ce n’est pas le problème !
Mme Marie-Carole Ciuntu. Compte tenu de leur rôle dans les centres de rétention administrative, on peut en effet s’interroger sur l’activité de ces associations, qui massifient le contentieux.
Puisque vous avez sans doute assisté à l’audition des magistrats de la Cour des comptes, vous savez comme moi que, quand on leur a demandé d’éclairer ce point, ils ont bien dit, dans une formule certes prudente, mais ne pouvant donner lieu à interprétation, qu’il y avait là un sujet et que des recommandations avaient été formulées.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Marie-Carole Ciuntu. Cette proposition de loi dit quelque chose qu’attendent tous les Français, à savoir qu’il faut reprendre la main sur l’immigration ! (M. Thomas Dossus proteste.)
Mme la présidente. Je vous demande de conclure !
Mme Marie-Carole Ciuntu. C’est ce que nous faisons avec ce texte. Notre travail suscitera le respect. L’antiparlementarisme que vous nourrissez n’est pas une bonne chose ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Hervé Maurey applaudit également.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, dont la commission a ainsi rédigé l’intitulé : proposition de loi relative à l’information et à l’assistance juridiques en rétention administrative et en zone d’attente.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 268 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 227 |
Contre | 113 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Je tiens simplement à remercier la Haute Assemblée d’avoir adopté ce texte à une très forte majorité.
Je salue en particulier le travail réalisé par son auteure, Marie-Carole Ciuntu, depuis de longs mois.
M. Max Brisson. Très bien !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. J’en ai été personnellement témoin, avant même que je ne prenne mes fonctions de ministre de l’intérieur.
M. le rapporteur, qui faisait aujourd’hui ses premières armes, a montré qu’il avait un bel avenir devant lui. Je le salue, tout comme Mme la présidente de la commission des lois.
Cette proposition de loi est importante.
Tout d’abord, elle est révélatrice de l’action que l’on peut attendre de l’État, que, depuis des décennies, nous avons démantelé, démembré, en confiant un certain nombre de politiques publiques à des agences ou des associations. Pour des raisons de clarté et d’efficacité, il est indispensable de laisser l’État reprendre la main.
Ce faisant, nous avons assisté à un renversement de valeurs. Nos débats ont été l’occasion de pointer du doigt la partialité de certaines associations. Dans les locaux de l’une d’entre elles était ainsi placardée une affiche sur laquelle figurait le slogan : « la France déporte ». Or notre République se fonde sur des lois, et il est de notre devoir d’éloigner les personnes dangereuses !
Le renversement de valeurs a consisté à remettre en cause l’impartialité des fonctionnaires, alors que c’est le propre même de leur statut et du statut garanti par la fonction publique. Il est d’ailleurs incroyable que ce soit la gauche qui les ait pointés du doigt ! (Protestations sur les travées du groupe GEST.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Ensuite, cette proposition de loi relève d’une exigence budgétaire. Je le répète : grâce à ce texte, nous ferons des économies. Nous en reparlerons dans quelques mois : cela est indispensable.
Enfin, ce texte répond à une exigence démocratique. Les Français, pour une large majorité, sont favorables à une politique efficace de retour. Si, à l’avenir, nous voulons accueillir correctement les étrangers qui respectent nos lois, il est fondamental que nous nous assurions du retour dans leur pays d’origine de ceux qui ne les respectent pas. (M. Thomas Dossus lève les bras au ciel.)
Je vois bien qu’il y a un dissensus flagrant sur cette question. À gauche, vous ne voulez pas d’une politique de retour efficace !
M. Thomas Dossus. C’est au juge d’en décider !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Nous, nous le voulons, tout comme les Français !
Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, d’avoir voté ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Hervé Maurey applaudit également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures cinquante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures vingt, est reprise à vingt et une heures cinquante, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Amélioration de l’accès aux soins dans les territoires
Suite de la discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Luc Fichet. (Mme Annie Le Houerou applaudit.)
M. Jean-Luc Fichet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de Philippe Mouiller visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires.
Ce texte s’inscrit dans la droite ligne de plusieurs lois votées ces dernières années, qui abordent notre système d’accès aux soins de manière parcellaire. Nous attendons, sans plus y croire, un projet de loi ambitieux, adoptant un point de vue global sur la santé.
Depuis mon arrivée au Sénat, en 2008, je tente de trouver des solutions pour améliorer l’accès aux soins de nos concitoyens. En 2009, les auteurs de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, ambitionnaient déjà de résoudre le problème – sans succès.
En 2013, avec mon collègue Hervé Maurey, nous avons commis un rapport intitulé Déserts médicaux : agir vraiment, dans lequel nous listions des propositions pour un meilleur maillage territorial de l’installation des médecins. Ce rapport sénatorial est resté lettre morte.
Depuis des décennies, les organisations professionnelles de médecins se battent contre toute forme de coercition et de régulation, et ne suggèrent de traiter la problématique de la désertification médicale et les enjeux de santé publique qu’au travers de mesures incitatives.
Ces politiques incitatives ont donné lieu à de multiples conventionnements, ainsi qu’à des mesures de soutien financier, telles que des défiscalisations, qui se superposent aux mesures proposées par certaines collectivités locales pour que les médecins s’installent dans les territoires où il y a le plus de besoins. Cette situation conduit parfois à une mise en concurrence délétère entre territoires.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est vrai !
M. Jean-Luc Fichet. En 2017, dans l’un de ses rapports, la Cour des comptes qualifiait ainsi les politiques publiques menées en la matière : « Ces initiatives dispersées ont conduit, depuis le début des années 2010, à une forme de fuite en avant, sans évaluation ni de l’efficacité globale ni du rapport coût/avantage qui en résulte. Ces dispositifs timides et partiels de régulation à l’installation, qui jouent quasi exclusivement sur des incitations financières, ne sont manifestement pas à la hauteur des enjeux. »
Force est de constater notre échec collectif. La désertification médicale progresse, tout comme la colère de nos concitoyens.
En 2022, 6,7 millions de personnes n’avaient pas de médecin traitant. En outre, 30 % de la population française vit dans un désert médical, et l’espérance de vie en bonne santé des habitants des zones rurales est en moyenne de deux ans inférieure à celle de nos autres concitoyens.
Les solutions proposées dans ce texte par le président Mouiller ne me semblent pas opérantes.
Je pense notamment à la création d’un comité de pilotage de l’accès aux soins comprenant des acteurs de l’offre de soins et des représentants des collectivités locales pour une déclinaison territoriale de la politique de santé. Ce sont des missions d’ores et déjà exercées par les ARS, au sein desquelles il serait plus juste de renforcer le poids des élus locaux.
L’organisation sans contrainte de l’accès aux soins en zone sous-dense est une autre réponse inadéquate de ce texte. Cette proposition fait écho aux annonces du Premier ministre sur la création d’une obligation de solidarité, en vertu de laquelle les médecins généralistes devraient exercer deux jours d’activité par mois dans ces territoires.
Elle soulève beaucoup de questions : quels contrôles, quels moyens, quels effets ?
Quel sera l’impact de la présence de médecins deux jours par mois seulement en zone sous-dense pour les patients, en particulier pour ceux qui souffrent d’affections de longue durée (ALD) ? Quid du remplacement des médecins dans leur cabinet primaire ? Quel effort la puissance publique devra-t-elle fournir si elle doit financer les transports, les locaux et les infrastructures techniques ?
La proposition de loi prévoit également une autorisation de dépassement d’honoraires pour les médecins en zone sous-dense. C’est une barrière financière à l’accès aux soins, qui risque d’augmenter encore les inégalités.
Les dispositions consacrées aux Padhue sont contestées par les intéressés eux-mêmes. En quoi représentent-elles une avancée ? Si des Padhue sont recalés après plusieurs années d’exercice et une supervision fantôme, les patients ne risquent-ils pas de se plaindre d’être insuffisamment soignés par un médecin incompétent ? Quant à l’obligation d’installation des Padhue ayant réussi les épreuves de vérification des connaissances en zone sous-dense, elle est totalement injuste et discriminatoire.
La présente proposition de loi se concentre sur la médecine libérale : elle n’a donc pas vocation à réformer notre système de santé. Ce texte est en réalité opportunément sorti du chapeau de nos collègues de droite pour tenter d’opposer un contre-feu à la proposition de loi transpartisane adoptée à l’Assemblée nationale sous l’impulsion de notre collègue socialiste Guillaume Garot.
Le texte de la majorité sénatoriale est imprécis et ne témoigne d’aucun souci d’efficacité. C’est la raison pour laquelle le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’y opposera.
Mme la présidente. La parole est à M. Joshua Hochart.
M. Joshua Hochart. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte part d’un constat que nul, ici, ne saurait contester : celui de la fracture sanitaire qui divise nos territoires et pénalise des millions de nos compatriotes.
Loin des grandes métropoles, dans nos communes rurales, dans nos villes moyennes et même en périphérie urbaine, l’accès aux soins se dégrade inexorablement. Près de 12 % de nos concitoyens n’ont pas de médecin traitant. Certains parcourent des dizaines de kilomètres pour consulter un généraliste ou un spécialiste. Il est de notre devoir de remédier à cette situation.
Toutefois, bien que les élus du Rassemblement national partagent l’objectif affiché par les auteurs de ce texte, nous ne pourrons l’adopter en l’état. Cette proposition de loi comporte, à nos yeux, plusieurs mesures contre-productives et susceptibles d’aggraver la situation qu’elle prétend améliorer.
Tout d’abord, l’introduction de mesures coercitives à l’installation des médecins, notamment l’autorisation préalable d’installation dans les zones surdotées, nous paraît non seulement inefficace, mais aussi profondément attentatoire à la liberté d’exercice.
M. Olivier Paccaud. Eh ben !
M. Joshua Hochart. Conditionner l’installation à un engagement de temps partiel en zone sous-dotée ou à la cessation d’activité d’un confrère risque de décourager nombre de jeunes praticiens déjà éreintés par les lourdeurs administratives. Nous n’endiguerons pas la désertification médicale en érigeant de nouveaux obstacles devant celles et ceux qui choisissent d’exercer.
Ensuite, bien que l’idée d’une meilleure coordination entre acteurs soit louable, le foisonnement d’instances et de comités – offices départementaux, office national d’évaluation, comité de pilotage – ajoute une complexité technocratique dont nos territoires se passeraient volontiers. Ce sont de médecins, et non de rapports supplémentaires, dont nos concitoyens ont besoin.
Nous aurions préféré que ce texte repose sur des incitations franches – valorisation des actes médicaux en zones sous-dotées, allégements fiscaux, simplification drastique des charges administratives, revalorisation des revenus des professionnels de santé. Or ces leviers ne sont que partiellement mobilisés.
Par ailleurs, la volonté d’assouplir les conditions de travail par le recours massif aux praticiens à diplôme hors Union européenne, sans garanties suffisantes sur leur niveau de compétences, interroge. Plutôt que de recourir à des solutions de contournement, nous devrions concentrer nos efforts sur la formation, l’installation et le maintien des médecins français dans les zones qui en ont le plus besoin.
Pour toutes ces raisons, et quoique nous reconnaissions l’effort de diagnostic, nous ne pouvons pas voter le texte en l’état. Nous serons cependant très attentifs aux avancées que notre chambre apportera à cette proposition de loi, afin qu’elle poursuive son parcours et que nous puissions l’adopter.
Nous restons pleinement mobilisés pour travailler à de futures améliorations, notamment dans le cadre de mesures qui respectent pleinement la liberté d’exercice, tout en apportant des solutions concrètes et pragmatiques aux Français qui souffrent de l’éloignement des soins.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, près de 7 millions de Français n’ont pas de médecin traitant et déclarent rencontrer des difficultés pour accéder aux soins. Ce problème concerne 17 % de nos concitoyens vivant en zone rurale, contre seulement 4 % des résidents d’agglomérations de plus de 100 000 habitants. L’accès aux soins est donc très inégal d’un territoire à l’autre.
Pour lutter contre les déserts médicaux, les députés ont voté l’empêchement d’installation d’un médecin dans les zones où l’offre de soins est suffisamment étoffée, sauf en cas de remplacement d’un confrère.
Lors de son déplacement dans le Cantal, le Premier ministre a proposé d’instituer une obligation de solidarité, consistant, pour les médecins, en deux jours d’exercice par mois dans les déserts médicaux.
La proposition de loi de Philippe Mouiller et Corinne Imbert tend à conforter la compétence des départements dans l’accès aux soins. Cette initiative est pertinente, car il s’agit là de l’échelon le plus compétent pour évaluer les besoins de santé, grâce à la collaboration entre les conseillers départementaux, qui connaissent parfaitement leurs cantons, l’ARS et l’assurance maladie. Il est bien entendu nécessaire que les collectivités et les professionnels y soient associés.
De plus, la création des offices départementaux et de l’Office national de l’évaluation de la démographie des professions de santé permettra d’appuyer le ministère dans sa prise en compte des besoins spécifiques des territoires.
L’article 3 prévoit de conditionner l’installation de tout médecin en zone surdotée à l’autorisation de l’ARS et à l’avis du conseil départemental de l’ordre des médecins. En contrepartie, il devra exercer à temps partiel en zone sous-dotée. Un décret fixera la durée minimale du temps partiel et les modalités de contrôle de ce dispositif.
À ce titre, j’ai déposé deux amendements d’appel visant à préciser que l’activité à temps partiel ne pourra avoir une durée inférieure à deux jours par semaine, et qu’elle devra être exercée à soixante kilomètres au maximum du lieu d’exercice habituel du médecin, voire plus, si celui-ci est d’accord. En effet, si nous voulons garantir son efficacité, la présence d’un médecin dans une maison de santé doit être assurée trois à quatre jours par semaine, ce qui représente deux ou trois médecins en solidarité.
Pour les médecins spécialistes, l’installation serait conditionnée à la cessation d’activité d’un confrère dans la zone surdotée, ou à l’engagement du médecin à exercer à temps partiel en zone sous-dotée.
Cette proposition de loi est moins contraignante que celle du député Guillaume Garot, qui n’autorise pas l’installation en zone surdense, sauf en cas de cessation d’activité d’un confrère.
Malgré tout, le texte du président Mouiller instaure des contraintes, puisque l’installation est conditionnée à l’exercice d’un temps partiel en zone sous-dense. En outre, il faut souligner que cette proposition de loi ne semble pas avoir suscité de rejet de la part des médecins ou des étudiants en médecine. J’espère donc qu’elle sera efficace.
Par ailleurs, je regrette que l’article 9, qui concerne les Padhue, ait été réécrit en commission. Je trouvais sa rédaction initiale, suggérée par la direction générale de l’offre de soins (DGOS), plus pragmatique.
Celle-ci prévoyait que le chef de service, le chef de pôle et le président de la commission médicale d’établissement émettent un avis sur l’autorisation d’exercice du candidat. Cela me semblait pertinent : qui est mieux placé que les trois personnes qui travaillent quotidiennement avec le Padhue pour rendre un tel avis ?
Cette rédaction garantissait l’impartialité de l’avis, car même si l’une de ces trois personnalités était défavorable au praticien ou si ce dernier n’était pas dans l’établissement de santé, il revenait à la commission nationale d’intervenir. Dans cette version, le texte apportait donc une solution pragmatique.
Je suis favorable à l’article 12 relatif à la prise en compte par l’assurance maladie du rôle des pharmaciens, qui peuvent désormais vacciner et prescrire un traitement contre les angines et les cystites, ce qui est particulièrement utile durant le week-end.
En effet, le pharmacien n’est pas médecin, mais il est le seul professionnel de santé présent du lundi au samedi, ainsi que le dimanche grâce au système de garde. Il participe depuis longtemps à l’accueil, aux conseils et à l’orientation. C’est donc lui faire justice que de reconnaître le rôle qu’il joue. De plus, certains pharmaciens gèrent la téléconsultation dans leur officine.
L’article 13 encourage la formation des infirmiers en pratique avancée (IPA), en prévoyant une aide. C’est absolument nécessaire.
L’article 14 permet également de favoriser l’accès aux soins. Il concerne la rémunération des IPA pour leur activité libérale en coordination. En effet, le salaire d’un IPA libéral est très inférieur à celui d’un infirmier diplômé d’État en libéral.
Les forfaits doivent être revalorisés, et il est indispensable de mettre en place des paiements à l’acte. C’est notamment le cas pour les IPA spécialisés dans les pathologies chroniques stabilisées : une telle mesure permettra aux médecins de soigner plus de patients, puisque, dans le cadre de la coordination, l’IPA prescrira des ordonnances. Le rôle de ces infirmiers sera donc clé.
Dès novembre 2026, 3 400 docteurs juniors contribueront chaque année à l’accès aux soins. Monsieur le ministre, les décrets les concernant, ainsi que les décrets portant sur leurs maîtres de stage, sont attendus. Cependant, toutes les maisons de santé ne pourront bénéficier de cet apport, et il n’y aura pas de maître de stage dans tous les territoires.
La proposition de loi de Philippe Mouiller me semble nécessaire aujourd’hui. Certes, les médecins devront fournir un effort pour exercer dans les zones sous-denses, mais ils ne seront pas empêchés de s’installer ; le caractère libéral de la médecine est préservé.
Je sais que les médecins sont responsables : ils comprendront qu’il revient aux parlementaires de répondre aux préoccupations des populations et des maires, qui, tous les jours, réclament un meilleur accès aux soins.
S’il n’y a plus de médecins dans une commune ou une maison de santé, c’est la mort programmée de la pharmacie, du médico-social et la certitude assurée de difficultés pour les infirmiers et pour l’accès aux soins de la population.
La présente proposition de loi peut servir de complément à la quatrième année d’internat et à la mesure annoncée par le Premier ministre, afin de permettre aux maisons de santé de bénéficier de la présence permanente d’un médecin.
Je voterai donc ce texte, tout en signalant que le groupe Les Indépendants restera attentif à son évolution au cours de nos débats. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Somon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer M. le président de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller, Mme la rapporteure, Corinne Imbert, et M. le rapporteur pour avis, Bruno Rojouan, pour cette proposition de loi.
Le constat a été dressé par les orateurs précédents, je n’y reviendrai pas. Les difficultés d’accès aux soins sont incontestablement vécues comme une injustice, notamment par les 1,6 million de Françaises et de Français privés de médecin traitant.
Mais comment en est-on arrivé à une telle situation ?
D’une part, elle découle de choix comptables opérés il y a plusieurs décennies. Rationner l’accès aux soins et former de moins en moins de médecins nous a servi de fil conducteur pour réduire nos dépenses. Résultat : avec un niveau de dépenses de santé supérieur d’environ un tiers à celui de la moyenne des pays de l’OCDE, nous connaissons une pénurie de médecins et des difficultés d’accès aux soins. Alain Cotta en parlait déjà dans les années 2000 : rappelons que c’est entre 1980 et 1982 que le numerus clausus a été le plus considérablement réduit.
D’autre part, des choix idéologiques ont conduit les pouvoirs publics à tout miser sur une organisation de notre système de santé très « hospitalo-centrée ».
La médecine libérale a subi ces deux influences, qui, en définitive, l’ont extrêmement fragilisée. Ce sont non seulement les Français, mais aussi les élus locaux qui supportent les conséquences d’une telle situation.
Par ce texte, nous proposons d’agir résolument.
La proposition de loi vise à mieux évaluer les besoins en santé des territoires. À ce titre, il conforte la compétence des conseils départementaux dans la promotion de l’accès aux soins, affirmée dans la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS.
Les données existent et de nombreux départements ont mis en place un plan de santé, en lien, notamment, avec les ordres, les caisses primaires d’assurance maladie et les agences régionales de santé. Ces évaluations peuvent donc être rapidement réalisées.
Par ailleurs, il prévoit de renforcer l’offre de soins dans les zones les moins bien dotées en professionnels de santé.
Beaucoup de choses ont été dites sur cette mesure, mais en quoi consiste-t-elle réellement ? Elle préserve la liberté d’installation des médecins, en permettant à ces derniers d’exercer où ils le souhaitent. Elle contraint, en revanche, ceux d’entre eux qui choisiraient de s’installer dans les territoires les mieux dotés à contribuer activement à la maîtrise des inégalités d’accès par des consultations avancées.
Enfin, la proposition de loi tend à renforcer le partage des compétences entre professions, afin de faciliter la prise en charge des patients et de libérer du temps médical.
Je souhaite porter une attention particulière au contexte dans lequel intervient l’examen de ce texte. Le 25 avril dernier, le Gouvernement a présenté un pacte de lutte contre les déserts médicaux qui, vous en conviendrez, monsieur le ministre, s’inspire fortement de nos travaux. Quant à l’Assemblée nationale, elle a adopté la semaine dernière une proposition de loi prévoyant la régulation à l’installation.
Or réguler une pénurie n’a pas de sens. C’est pourquoi le groupe Les Républicains considère que ce texte constitue le meilleur véhicule pour instituer des mesures opérationnelles, qui permettront d’améliorer la présence médicale dans nos territoires et, surtout, de répondre à l’angoisse des Français, lesquels sont confrontés à des délais de plus en plus longs pour obtenir un rendez-vous médical.
Mes chers collègues, je vous invite donc à voter la présente proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Hervé Maurey applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Solanges Nadille. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme Solanges Nadille. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus de 6 millions de nos concitoyens, en 2024, n’avaient pas de médecin traitant. Nous connaissons tous ce chiffre vertigineux.
Le pourcentage suivant l’est tout autant : 87 % du territoire national est classé comme désert médical. Et il ne s’agit plus seulement des territoires ruraux : certaines agglomérations sont désormais concernées.
N’oublions pas non plus nos territoires d’outre-mer. La double insularité et le défi de la continuité territoriale inter-îles y entravent encore plus l’accès aux soins.
Face à cette réalité, la proposition de loi du président Philippe Mouiller et de ses collègues, dont je salue l’initiative, se veut une réponse.
Nous le savons : l’actualité législative dans les domaines de la santé et de l’accès aux soins est dense, au risque, il est vrai, de prêter à confusion. Nous examinions encore la semaine dernière un texte d’initiative sénatoriale sur la profession d’infirmier, quand l’Assemblée nationale adoptait une proposition de loi visant à lutter contre les déserts médicaux.
Le Gouvernement a présenté, dans le même temps, son pacte de lutte contre les déserts médicaux qui s’articule autour de quatre priorités, qui ont été rappelées par les précédents orateurs.
Il s’agit tout d’abord de diversifier l’origine géographique et sociale des étudiants, alors que vingt-quatre départements ne proposent pas d’offre de formation dans les métiers de la santé.
Le pacte vise aussi à déployer un principe de solidarité, en prévoyant notamment que chaque médecin consacre jusqu’à deux jours par mois à des consultations dans les zones les plus en difficulté.
Autre priorité : moderniser et simplifier les organisations entre les professionnels de santé pour soigner davantage dans les zones rouges.
Enfin, le Gouvernement souhaite créer, avec les élus locaux, des conditions d’accueil attractives pour les étudiants et les professionnels de santé sur tout le territoire.
Ce pacte s’inscrit explicitement dans la continuité des mesures engagées par la majorité présidentielle depuis 2017 ; il vise à en « amplifier et à [en] accélérer » les effets.
Je pense évidemment à la suppression du numerus clausus. Il s’agissait d’un véritable serpent de mer : la majorité présidentielle a eu le courage de s’y attaquer.
Mentionnons également le déploiement des maisons de santé pluridisciplinaire, des centres de santé et des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).
Je pense enfin à la revalorisation à 30 euros des consultations médicales.
Ce bilan est positif. Il constitue un socle pour stopper l’hémorragie et préparer l’avenir. Il nous faut cependant aller plus loin. C’est l’ambition de ce texte.
Ce dernier vise à offrir des outils d’évaluation des besoins et à renforcer le rôle des élus locaux, tout d’abord en confortant la compétence des conseils départementaux, ensuite en créant un comité de pilotage composé, entre autres, de représentants des collectivités territoriales.
La création de ces instances et la suppression de facto de l’ONDPS nécessitent cependant des précisions, au risque de rendre illisible leur action.
Cette proposition de loi tend surtout à renforcer l’offre de soins dans les territoires sous-dotés.
Pour cela, ses auteurs prévoient de conditionner l’installation des médecins libéraux à un engagement d’exercice à temps partiel en zone sous-dense et celle des médecins spécialistes à une cessation concomitante d’activité, cette dernière condition n’étant toutefois pas absolue. Là encore, des précisions seront nécessaires pour rendre cette mesure lisible, efficace et cohérente.
Ces dispositions sont plus mesurées que le dispositif du texte adopté à l’Assemblée nationale la semaine dernière. Nous le savons, le débat sur la liberté d’installation des médecins est ancien et vif.
Le caractère libéral de la médecine française et la liberté de choix des patients sont des principes essentiels que nous défendons. Mais ils ne doivent pas être érigés en absolu, quand la situation exige de permettre à tous les Français, quel que soit leur lieu de vie, d’accéder à des soins de qualité.
Les mesures inscrites dans cette proposition de loi, qui, pour certaines, figurent dans le pacte du Gouvernement, nous semblent constituer un bon compromis.
Nous demeurons cependant réservés sur plusieurs dispositions.
Je pense à l’article 5, qui autorise les dépassements d’honoraires ou les tarifs spécifiques en zone sous-dense.
Je pense également aux articles visant à simplifier le recours aux Padhue, afin d’orienter ceux-ci prioritairement en zone sous-dense lorsqu’ils exercent en maison ou centre de santé. Le risque est en effet de décourager les médecins étrangers de s’installer en France. Ces articles instaurent, selon nous, une inégalité de traitement au sein de la communauté médicale.
Enfin, cette proposition de loi vise à libérer du temps médical pour les patients, en développant des coopérations entre professionnels de santé, en accroissant le rôle des pharmaciens, en faisant figurer dans leurs missions l’orientation et la prise en charge des situations les plus simples, ou encore en renforçant l’attractivité de la pratique avancée pour les infirmiers.
Mes chers collègues, sans surprise, le groupe RDPI votera en faveur de ce texte, même s’il nous faudra sans doute aller encore plus loin.
En France, en 2025, l’accès aux soins ne devrait plus relever du parcours du combattant. Nos concitoyens nous pressent d’agir : soyons collectivement à la hauteur de cette attente. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve. (M. Michel Masset applaudit.)
Mme Mireille Jouve. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, on le sait depuis Mark Twain, il est plus facile de s’arranger avec les statistiques, aisément manipulables, qu’avec les faits. Ces derniers, en effet, ont la désagréable habitude d’être têtus, disait l’auteur des Aventures de Tom Sawyer.
En matière d’accès aux soins dans les territoires, reconnaissons que les faits, en plus d’être têtus, sont à tout le moins inquiétants. Le Premier ministre, le Gouvernement et l’Assemblée nationale, au diapason de notre discussion, s’en préoccupent. Et si les approches sont parfois différentes, convenons que leurs diagnostics et leurs propositions nous rappellent l’urgence de la situation.
À l’évidence, nos débats sur cette proposition de loi de Philippe Mouiller ne sont pas simplement nécessaires, ils sont indispensables. Et comme souvent dans cet hémicycle, un consensus autour de chiffres accablants nous incite à agir.
Agir sérieusement, rapidement, fortement.
Croyez, mes chers collègues, que je m’en félicite. En effet, quand près de 7 millions de nos concitoyens, soit 10 % de la population française, n’ont pas de médecin traitant, quand il faut au minimum deux mois pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologue ou un dermatologue, quand les services d’urgence sont saturés faute d’alternative, alors il nous appartient de tout mettre en œuvre pour lutter contre une désertification médicale qui s’accentue.
La pénurie n’est pas nouvelle dans les territoires ruraux, mais, aujourd’hui, elle n’épargne plus les zones périurbaines. Dans les Bouches-du-Rhône, sur les ronds-points de certaines communes, comme celle de Charleval, fleurissent des banderoles portant l’inscription « À la recherche d’un médecin ».
Cette pénurie est à l’origine de bien des colères, d’aigreurs et d’incompréhensions qui creusent sournoisement le fossé entre ceux qui peuvent se faire soigner, sans trop de souci, et ceux pour lesquels décrocher une date de consultation s’apparente à un chemin semé d’embûches.
Pour commencer à améliorer une situation critique, les dix-huit articles de ce texte, travaillés et ajustés en commission, semblent cohérents et constructifs à une majorité des membres du groupe RDSE.
Ces articles visent notamment à piloter la politique de santé au plus près des territoires, en confiant aux départements, en lien avec les ARS et les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), une mission de coordination visant à favoriser l’installation de professionnels de santé dans les zones sous-dotées.
Encore faudra-t-il veiller à ce que cette responsabilité ne se transforme pas, à l’avenir, en charge supplémentaire pour des collectivités dont on connaît le rôle et l’expertise en matière médico-sociale. On le sait aussi, leurs ressources ne sont pas extensibles à l’infini.
Je formulerai plusieurs remarques sur les articles 3 et suivants, qui visent à renforcer l’offre de soins dans les territoires sous-dotés, et que je soutiens. Certaines réactions qui ont agité le débat public ces dernières semaines appellent en effet quelques réflexions.
Je constate, tout d’abord, que la proposition de mise en place d’un dispositif de régulation de l’installation, tant pour les généralistes que pour les spécialistes, telle qu’elle figure aux articles 3 et 4, est nettement moins contraignante que celle qui a été votée la semaine dernière par l’Assemblée nationale. Pourtant, elle fait déjà l’objet de récriminations de la part des professionnels de santé, qui crient avant d’avoir mal et ne semblent pas – ou ne veulent pas – réaliser quel est l’état des lieux.
Bien sûr, tous les Français savent parfaitement, mes chers collègues, que devenir médecin n’est pas un jeu d’enfant, que cela demande des efforts et de la détermination. Mais ils savent aussi pertinemment qu’une année d’étude en médecine coûte entre 15 000 et 20 000 euros par an, et que ce cursus est largement financé par leur contribution au titre de l’impôt sur le revenu.
M. Alain Milon. C’est le cas pour toutes les études supérieures !
Mme Mireille Jouve. Comment pourrait-on négliger le fait que les études médicales sont subventionnées par l’argent public et que la rémunération des médecins libéraux par l’assurance maladie impose un équilibre entre droits et devoirs ? Certains semblent l’oublier avec une constance qui agace bien des observateurs et commence à troubler nos concitoyens.
Ces derniers n’oublient pas non plus que l’actuelle pénurie de médecins résulte du numerus clausus à l’entrée des études médicales, lequel a été appliqué pendant des années avec le soutien conjoint des autorités sanitaires, qui en attendaient une baisse des dépenses, et des organisations de médecins, qui défendaient ainsi leur corporation.
Il est grand temps de mettre un terme à ce jeu de dupes pour avancer, sereinement, sur le chemin de réformes indispensables.
L’accès aux soins fait partie de ce terrain où le consensus est possible, afin de répondre aux légitimes attentes de nos concitoyens. Ce texte y participe et c’est la raison pour laquelle je le voterai, à l’instar de certains de mes collègues du groupe RDSE, en espérant que la main de l’État ne tremble pas et fasse preuve de rapidité et de détermination dans sa mise en œuvre. (Applaudissements au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, disons-le d’emblée, nous sommes toutes et tous, sans exception, préoccupés par la question majeure de l’accès aux soins dans nos territoires.
C’est pourquoi je commencerai par reconnaître l’intention de l’auteur de cette proposition de loi, Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales du Sénat, qui souhaite apporter au travers de ce texte des réponses à une inégalité inacceptable pour une partie de nos concitoyens. Je tiens également à remercier Mme la rapporteure, Corinne Imbert, pour ses auditions et son travail d’expertise.
Si je salue une grande partie des avancées proposées, je n’ai pas souhaité cosigner ce texte, et ce pour deux raisons.
La première tient à la confusion qui règne en ce domaine. Monsieur le ministre, faute – sans doute – de la présentation d’un projet de loi structurant lors des dix dernières années, les propositions de loi se succèdent sans véritable stratégie qui concernerait l’ensemble de notre système de santé.
Depuis quelques semaines, entre propositions de loi et plan du Gouvernement, nous sommes perdus, incapables d’identifier ce qui pourrait être gardé des propositions des uns ou des autres pour élaborer un projet cohérent.
La deuxième raison est la pression. Oui, j’ose utiliser ce terme ! En effet, nous le voyons bien, les mesures de régulation de l’installation se feraient sans l’accord des médecins et s’adresseraient en particulier aux futurs médecins, qui sont les principaux concernés. J’ai beaucoup de mal à accepter que nous fassions supporter par la nouvelle génération les erreurs politiques du passé et le problème complexe de la démographie, défaillante et mondiale, des soignants.
Je veux rappeler ici combien les études de médecine sont éprouvantes ; certains n’y résistent pas ! Selon moi, exiger des jeunes médecins qu’ils soient performants pendant leurs études, puis qu’ils s’engagent jusqu’à l’épuisement pendant leur internat, et ensuite exiger d’eux d’autres efforts encore après ces dix années, est rédhibitoire !
Toutefois, le trouble que je ressens ne se limite pas à cette confusion et à cette pression, certes bien présentes. Comment allons-nous sortir par le haut de cette situation ?
Dois-je rappeler que les interventions du ministre de la santé, Yannick Neuder, lorsque nous l’avons auditionné en commission sur ce sujet, ont été appréciées par bon nombre d’entre nous ? Arrivée de médecins juniors, meilleure évaluation des Padhue, réintégration des jeunes Français partis faire leurs études à l’étranger : toutes ces mesures annoncées, renforcées par une ferme volonté – que j’ai ressentie personnellement –, étaient suffisamment prometteuses.
Désormais, comment allons-nous concilier les mesures figurant dans cette proposition de loi et celles du plan gouvernemental ? Avec quelle majorité ? Avec quelle ambition globale ? Il serait salutaire de construire un texte suffisamment solide et consensuel afin de ne plus laisser place aux errements législatifs et aux surenchères démagogiques.
Venons-en à ce qui me semble aller dans le bon sens.
L’article 1er, en particulier, conforte la compétence des conseils départementaux en matière de promotion de l’accès aux soins et d’évaluation des besoins de santé, et crée un Office national d’évaluation de la démographie médicale. Dès 2018, avec mon collègue député Thomas Mesnier et le docteur Sophie Augros, nous avons proposé ce chef de filat lors de la remise de notre rapport. Il nous semblait, à l’époque déjà, que c’était le meilleur périmètre pour appréhender la répartition de l’offre de soins.
Pour ce qui concerne l’élaboration d’un zonage efficace à l’échelle infraterritoriale, la mise en place d’un observatoire repensé, avec une feuille de route claire permettant d’agréger les connaissances et l’expertise des parties prenantes, est primordiale.
Je salue également les articles 13 et 14 qui visent à encourager l’accès à la pratique avancée, et les articles 15, 16, et 17 qui permettront de gagner du temps médical.
Enfin, chacun doit avoir conscience que l’appétence pour la médecine générale a diminué ces dernières années, alors même qu’elle est devenue une spécialité. Veillons à ne pas aggraver cette tendance ! (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons tous, l’accès aux soins dans notre pays est non seulement de plus en plus difficile, mais aussi inégalitaire, et la situation ne cesse d’empirer.
Pour y faire face, les textes législatifs comme réglementaires se succèdent, sans vraiment répondre à la détresse grandissante de nos concitoyens. La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui ne fera pas exception.
Si nous retenons quelques bonnes idées – la rémunération des IPA pendant leur formation, la suppression de certains certificats médicaux pour enfant malade, la facilitation de l’exercice dans un cabinet secondaire –, le texte nous paraît, dans son ensemble, largement insuffisant. Il présente une série de mesures sans cohérence globale, et, surtout, sans réelle effectivité. Faute de projet de loi, aucune stratégie nationale n’existe dans ce domaine.
Le chapitre Ier vise à réformer la mesure de la démographie des professions de santé. En complément du nombre de médecins, il nous faudrait surtout prévoir un pilotage fondé sur l’activité et la taille de la patientèle. Il n’est pas possible que deux médecins dont les files actives respectives vont du simple au triple aient les mêmes revenus, simplement parce que l’un d’eux revoit ses patients plus souvent que nécessaire. Je défendrai donc, avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, un amendement tendant à prendre en compte le volume horaire par habitant pour mieux répondre à cet enjeu.
L’exemple le plus flagrant de la faible portée de ce texte est sans doute l’article 11, qui vise à favoriser la coopération entre professionnels, mais qui reste particulièrement timide. Il confie aux centres de santé, aux équipes de soins primaires et aux maisons de santé la mission de « favoriser » la coopération entre professionnels de santé. Cette mesure n’a aucune forme d’effectivité.
La coopération entre professionnels au sein des structures d’exercice coordonné était déjà prévue dans la loi HPST et dans la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, dite loi Buzyn.
Par ailleurs, et cela va de soi, pourquoi les professionnels de santé se regrouperaient-ils, si ce n’est pour mieux coopérer ?
Il y aurait pourtant tant de choses à faire pour favoriser le développement des maisons de santé pluriprofessionnelles ! On en compte aujourd’hui un peu plus de 2 700. Si leur développement s’est accéléré depuis 2022, il demeure largement insuffisant eu égard au rôle que pourraient jouer les maisons de santé dans l’organisation des soins et le partage des tâches, au travers d’un projet de santé coconstruit et pluriprofessionnel.
Il aurait ainsi pu être proposé de faire bénéficier les maisons de santé du statut de maître de stage, pour qu’elles puissent accueillir des étudiants en quatrième année d’internat ; ou encore, comme le proposait la fédération AVECSanté, de faciliter les consultations avancées dans les zones sous-denses par les médecins installés en maisons de santé « têtes de pont ».
En l’état, le dispositif proposé pour favoriser les coopérations relève de l’incantation, car il est sans effet par rapport à la situation actuelle. Nous proposerons par amendement une réécriture de cet article, pour organiser l’intégration des médecins libéraux dans des équipes pluriprofessionnelles de premier recours. Cela permettra véritablement de libérer du temps médical et d’améliorer la qualité de la prise en charge.
L’article 12 prévoit un énième transfert de compétences, pour permettre aux pharmaciens de prendre en charge des « situations cliniques simples », sans plus de précisions sur ce que cela recouvre. Nous y sommes défavorables : ce n’est pas en étendant toujours plus les compétences des pharmaciens, y compris pour des actes qu’ils ne souhaitent pas assumer, que nous assurerons l’accès aux soins.
La suppression de la possibilité pour les fédérations sportives d’exiger un certificat médical nous inquiète. L’établissement de ces certificats est en effet l’occasion de faire un bilan de santé et participe de la prévention. Nous risquons de mettre en danger les sportifs pour un faible gain de temps médical. S’il convient de lutter contre les certificats médicaux inutiles, demandés sans motif légal ou médical, tel n’est pas le cœur du sujet. Ce ne sont pas les certificats médicaux qui entravent l’accès aux soins.
Enfin, on nous propose, à l’article 15, de faire financer par la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) l’achat d’équipements et de logiciels dits « innovants », sans plus de précision. Cette nouvelle participation des assurés sociaux s’ajouterait au millefeuille des aides à l’installation et des exonérations déjà financées par l’État, les ARS et l’assurance maladie. Non !
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Émilienne Poumirol. Parce que nous mettons en place toujours plus d’incitations financières, le système devient insoutenable financièrement. Et, pourtant, l’accès aux soins continue de se détériorer. Il est temps de changer de méthode ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pauline Martin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pauline Martin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout a été dit, vu et entendu sur la désertification médicale. À cet égard, ces discussions générales sont redoutables…
Pourtant, voilà plus de vingt ans que les élus locaux alertent et se sont emparés du sujet, faute de mesures gouvernementales efficaces.
Vingt ans et des millions d’euros d’argent public investis dans la construction de maisons de santé pluriprofessionnelles, de centres de santé, de cabinets susceptibles d’accueillir le monde médical dans les meilleures conditions.
Vingt ans que les territoires – et le premier élu interpellé en la matière demeure le maire – rivalisent en termes de séduction et d’incitations.
Vingt ans aussi qu’en matière de complexité administrative nous nous surpassons. Dans notre pays, plus on dématérialise, plus on complique, et plus la tâche imposée à nos professionnels de santé devient ardue et chronophage.
Vingt ans, c’est surtout le temps qu’il faut pour former deux générations de médecins… Dans le même temps, dans la plupart des territoires, les pathologies s’aggravent faute de diagnostic précoce, et c’est avec un profond sentiment d’impuissance que, trop souvent, nous voyons décéder ces oubliés d’Esculape.
Cette proposition de loi n’est sans doute pas la panacée, mais elle a le mérite d’apporter quelques réponses au problème. Et s’il est vrai que l’on ne régule pas une pénurie, elle met en place des leviers efficients, même si la création d’un office national d’évaluation ou d’un énième comité de pilotage, certes à l’échelle d’un département, me laisse quelque peu dubitative.
Prenant le risque d’entendre s’élever les protestations indignées de certains de mes collègues à l’encontre du constat politiquement peu correct que je vais faire, je me permettrai de rappeler une réalité dont nos concitoyens ont bien conscience, sans oser ouvertement l’exprimer : nonobstant le respect et l’admiration que nous nourrissons à l’égard de nos médecins, dont les études ont été longues et lourdes et les années d’internat chichement rémunérées, on peut tout de même s’interroger sur le caractère libéral de cette profession, qui reste largement financée par les contribuables que nous sommes ! (M. Alain Milon s’esclaffe.)
Or je découvre avec stupéfaction que l’augmentation du tarif des consultations a parfois pour conséquence d’en faire diminuer le nombre. Je lis que le potentiel des médecins remplaçants est sous-utilisé, avec en moyenne vingt-six semaines d’exercice annuel, alors qu’ils ne demandent qu’à travailler plus.
Pour autant, je constate que la réflexion qui a été lancée a le mérite de faire bouger la profession et, plus particulièrement, les syndicats d’internes, qui deviennent force de proposition.
Nous sommes ravis, monsieur le ministre, de vous entendre parler d’un pacte collectif. Nous souhaitons que les actes suivent les mots, et qu’ils nous permettent de soigner enfin les maux de cette France dont la santé est laissée en déshérence depuis trop longtemps.
Alors, allons-y, levons ces blocages dans lesquels excellent les ARS, simplifions, accompagnons cette initiative ! Et remercions nos collègues auteur et rapporteurs de cette proposition de loi rédigée avec le seul souci du bien commun ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – M. Hervé Maurey applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon. (Mme Frédérique Puissat applaudit.)
M. Alain Milon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « quand le désert avance c’est la vie qui s’en va ». Ces paroles extraites de La chanson d’Azima, interprétée par France Gall, qui concernent le désert naturel, peuvent tout autant s’appliquer à certains de nos territoires.
En effet, monsieur le ministre, lorsque les commerces disparaissent, que les services publics sont remplacés par le numérique et que les professionnels de santé ne sont plus présents, alors oui, on peut dire que le désert avance et que la vie s’en va.
Aujourd’hui, comme l’indique l’exposé des motifs de la proposition de loi, plus de 12 % de la population ne dispose pas de médecin traitant et l’accès aux soins s’avère très inégal d’un territoire à l’autre. Vous vous êtes donc saisi de cet épineux problème, tout en réaffirmant deux principes déontologiques fondamentaux, auxquels je tiens beaucoup : le caractère libéral de la médecine et la liberté de choix des patients.
Les causes de la pénurie de médecins sont multiples, bien sûr. La première d’entre elles est le numerus clausus, auquel personne n’a touché depuis 1971, à l’exception d’Agnès Buzyn.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Tout à fait !
M. Alain Milon. Tous les responsables politiques, quelle que soit leur appartenance, ont appliqué le numerus clausus ! Il me semble très important de le dire.
Il y a bien d’autres causes à la pénurie : les jeunes générations embrassent une profession plutôt qu’un sacerdoce ; de jeunes médecins s’orientent de plus en plus vers le salariat, ou tout au moins vers un exercice coordonné de la médecine ; des médecins sont victimes, comme tant d’autres professionnels, d’agressions, ce qui les dissuade de s’installer seuls ; la juridicisation de la société peut également être un frein, tout comme la bureaucratisation accrue.
Face à ces évolutions, cette proposition de loi offre des pistes intéressantes permettant de penser le changement.
En matière de pilotage de la politique de santé, une meilleure connaissance des besoins est en effet essentielle. Une telle approche constitue un changement important pour notre système de santé, un changement de paradigme d’autant plus intéressant qu’il fait du département un acteur de ce pilotage.
Le chapitre consacré à la libération du temps médical et au partage des compétences est un axe important, qui constitue également une petite révolution.
Pour ce qui concerne les dispositions relatives à l’offre de soins, je dois avouer que je suis beaucoup plus circonspect. Elles ne consistent, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, qu’à « changer le pansement »…
Je l’ai dit à l’instant, tout processus de désertification est multifactoriel.
La désertification médicale résulte ainsi, entre autres, d’un assèchement des services publics et des commerces de proximité dans différents endroits de notre pays. Pour autant, l’État ou certaines grandes entreprises publiques s’obligent-ils à rester dans ces territoires ? Quid des écoles, de La Poste, voire de certains transports publics ? Quid de la fermeture de certains lits hospitaliers ?
Obligerait-on certains commerces de proximité à ouvrir leur boutique à tel endroit déficitaire en boulangeries ou en boucheries, des activités qui jouent pourtant un rôle non négligeable dans la vie locale ? Certes pas.
En revanche, pour l’installation des médecins, l’incitation confine à la coercition, sans que personne soit choqué…
Parmi les solutions préconisées, la fermeture d’un cabinet principal pour aller exercer à temps partiel dans un cabinet secondaire m’interroge. Une telle proposition ne comporte-t-elle pas, en pratique, plus de risques qu’elle n’offre de réelles possibilités d’amélioration ?
L’autre question soulevée est celle du financement de ces cabinets secondaires. Qui les prendra en charge ? Le médecin ? La collectivité ? Personnellement, je crains, et je ne suis pas le seul, que l’on ne s’oriente davantage vers une financiarisation accrue de notre système de santé, avec tout ce que cela implique.
Je souhaite ici répondre à ce qu’a dit notre collègue, et néanmoins ami, Bruno Rojouan, sur la sécurité sociale.
Les médecins ne sont pas des salariés de la sécurité sociale ! La sécurité sociale paie les médecins en remplacement des patients. Plus un médecin travaille, plus il gagne ; moins il travaille, moins il gagne. Nous, mes chers collègues, en tant que sénateurs, nous sommes payés de la même façon par l’État, que nous soyons présents ou non dans l’hémicycle…
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Alain Milon. Je reviendrai ultérieurement sur les autres sujets que je voulais évoquer.
En attendant, monsieur le ministre, je considère, à l’instar de Francis Blanche, qu’« il vaut mieux penser le changement que changer le pansement » ! (Sourires. – Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Belin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Belin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, cela fait vingt ans que l’on parle des déserts médicaux, que l’on alerte ! À cet égard, cette proposition de loi représente peut-être une espérance ; il faut donc s’en saisir.
Nous apportons un soutien total à ce texte présenté par le président Philippe Mouiller et les rapporteurs, parce qu’il crée de l’espoir. Nous sommes en effet face à trois enjeux.
Premier enjeu : gagner du temps médical.
Oui, il faut en finir avec la paperasse inutile, qui consomme trop de temps.
Oui, il faut continuer à déléguer des tâches. Pour cela, on peut s’appuyer sur les infirmiers en pratique avancée,…
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Sur les pharmaciens !
M. Bruno Belin. … et sur les pharmaciens, qui sont les derniers professionnels auxquels on peut s’adresser pour obtenir des réponses à des questions portant sur la santé, sans rendez-vous et gratuitement. Utilisons la polyvalence de ces professionnels de santé !
On peut aussi maintenir en activité quelques années de plus les professionnels de santé qui seraient tentés de prendre leur retraite. Trouvons les moyens, soyons imaginatifs, par exemple en favorisant le cumul entre activité professionnelle et retraite. Voilà quelques pistes…
Deuxième enjeu : continuer à former. Je profite de cette occasion pour saluer les étudiants en médecine présents dans nos tribunes ce soir.
Vous avez rappelé, vous aussi, monsieur le ministre, lors de votre intervention, qu’il fallait continuer à former. On a entendu dire il y a quelques semaines que, du fait de la baisse de la natalité, on aurait peut-être moins besoin de professionnels de santé. C’est une erreur totale ! (MM. Olivier Paccaud et Louis-Jean de Nicolaÿ opinent.) En effet, du fait de la technicité croissante de la médecine, du vieillissement de la population et de l’exigence médicale induite par les pathologies naissantes, nous allons avoir besoin, partout, de davantage de professionnels de santé.
Troisième enjeu : rendre la santé accessible dans les territoires.
À cet égard, il est indispensable de recourir aux Padhue, dont on peut facilement évaluer les connaissances linguistiques et techniques lors des stages hospitaliers.
Oui à la liberté ! Je réaffirme notre opposition à la coercition, qui serait contre-productive. Pour autant, une liberté peut être encadrée. La proposition d’encadrement qui est faite représente donc une solution.
Enfin, oui au maillage. Les départements ont d’ores et déjà fait la preuve de leurs compétences dans le domaine des politiques médico-sociales, et nombre d’entre eux ont mis en place des plans de santé.
Surtout, les départements disposent d’une compétence en matière d’aménagement du territoire. Cette finesse d’analyse, que partagent nombre de nos collègues qui sont des départementalistes convaincus et qui ont même siégé dans les assemblées départementales, permet d’apporter une réponse.
Cette proposition de loi n’apporte qu’un début de réponse, monsieur le président Mouiller, et bien d’autres sujets doivent être traités. Nous parlons depuis vingt ans des déserts médicaux ; peut-être parlerons-nous dans vingt ans, au sein de cette assemblée, d’autres problèmes, comme les déserts pharmaceutiques – il y a aussi, à cet égard, un problème de démographie – ou l’accès aux soins dentaires.
Mais ce début de réponse est indispensable pour la santé de nos concitoyens. Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires
Chapitre Ier
Piloter la politique de santé au plus près des territoires
Article 1er
I. – Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Le chapitre III du titre II du livre IV de la première partie est complété par un article L. 1423-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 1423-4. – Le département coordonne, avec les agences régionales de santé et les caisses primaires d’assurance maladie, les actions en faveur de l’installation des professionnels de santé dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins mentionnées au 1° de l’article L. 1434-4. » ;
1° bis (nouveau) Le 3° du I de l’article L. 1432-3 est ainsi rédigé :
« 3° De représentants de chaque conseil départemental et de représentants des autres collectivités territoriales et de leurs groupements ; »
2° La première phrase du 1° du I de l’article L. 1434-3 est complétée par les mots : « , compte tenu des observations formulées par les offices départementaux d’évaluation de la démographie des professions de santé » ;
3° Le premier alinéa de l’article L. 1434-4 est ainsi modifié :
a) (nouveau) Le mot : « deux » est supprimé ;
b) Après le mot : « arrêté, », sont insérés les mots : « après avis conforme des offices départementaux d’évaluation de la démographie des professions de santé concernés et » ;
3° bis (nouveau) La première phrase du premier alinéa du III de l’article L. 1434-10 est complétée par les mots : « et les travaux des offices départementaux d’évaluation de la démographie des professions de santé concernés » ;
4° La section 5 du chapitre IV du titre III du livre IV de la première partie est ainsi rétablie :
« Section 5
« Évaluation de la démographie des professions de santé en vue de répondre aux besoins de santé
« Art. L. 1434-14. – I. – L’Office national de l’évaluation de la démographie des professions de santé, placé auprès des ministres chargés de la santé et de l’enseignement supérieur, est chargé de rassembler et de diffuser les données relatives à la démographie des professions de santé et à l’accès aux soins.
« Il dresse chaque année un bilan des besoins identifiés pour chaque profession de santé, le cas échéant par spécialité, aux niveaux national et territorial en s’appuyant sur les travaux des offices départementaux prévus au II. Ce bilan est rendu public dans les six mois suivant l’expiration de la période à laquelle il se rapporte.
« Il propose en conséquence les objectifs nationaux pluriannuels relatifs au nombre de professionnels à former mentionnés au I de l’article L. 631-1 du code de l’éducation et les objectifs quantitatifs d’admission des candidats aux épreuves anonymes de vérification des connaissances mentionnés aux articles L. 4111-2 et L. 4221-12 du présent code.
« II. – Dans chaque département, un office départemental d’évaluation de la démographie des professions de santé, présidé par le président du conseil départemental, identifie les besoins en professions de santé à l’échelle du département et des territoires de santé concernés.
« Les offices départementaux comprennent des représentants des délégations départementales des agences régionales de santé et des caisses primaires d’assurance maladie. Ils associent les représentants des structures territorialement compétentes des ordres et consultent les représentants des conseils territoriaux de santé ainsi que des communes et de leurs groupements concernés.
« III. – L’Office national et les offices départementaux rendent un avis annuel sur le déploiement, tout au long des études de médecine, d’une offre de stages dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins au sens du 1° de l’article L. 1434-4, et en particulier sur la réalisation des stages prévus au cours de la dernière année du diplôme d’études spécialisées de médecine générale mentionnés à l’article L. 632-2 du code de l’éducation.
« Le bilan annuel mentionné au I du présent article intègre l’avis mentionné au présent III.
« IV. – Les règles relatives à la composition et au fonctionnement de l’Office national et des offices départementaux sont fixées par décret.
« Art. L. 1434-14-1. – Les administrations de l’État et les établissements publics placés sous sa tutelle, les agences régionales de santé, les caisses d’assurance maladie et les ordres professionnels concernés mettent à disposition de l’Office national et des offices départementaux d’évaluation de la démographie des professions de santé les éléments nécessaires à l’exercice de leurs missions. Ils peuvent également solliciter ces éléments auprès des collectivités territoriales et de leurs établissements publics. »
II. – Le 3° du II de l’article L. 631-1 du code de l’éducation est complété par les mots : « proposés par l’Office national de l’évaluation de la démographie des professions de santé en application du I de l’article L. 1434-14 du code de la santé publique ».
Mme la présidente. L’amendement n° 90 rectifié bis, présenté par Mme Le Houerou, M. Fichet, Mme Poumirol, MM. Uzenat, Gillé et Kanner, Mmes Canalès, Conconne, Féret, Lubin et Rossignol, MM. Mérillou, P. Joly et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Le chapitre III du titre II du livre IV de la première partie est complété par un article L. 1423-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 1423-4. – Dans le cadre de sa compétence de promotion de l’accès aux soins, le département coordonne, avec les agences régionales de santé et les caisses primaires d’assurance maladie, les actions en faveur de l’installation des professionnels de santé dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou des difficultés dans l’accès aux soins au sens du 1° de l’article L. 1434-4. » ;
2° La première phrase du 1° du I de l’article L. 1434-3 est complétée par les mots : « , compte tenu des observations formulées par l’Observatoire national de la démographie des professions de santé » ;
3° Au premier alinéa de l’article L. 1434-4, après le mot : « arrêté, », sont insérés les mots : « sur la base des évaluations présentées par l’Observatoire national de la démographie des professions de santé et » ;
II. – Le 3° du II de l’article L. 631-1 du code de l’éducation est complété par les mots : « compte tenu des propositions formulées par l’Observatoire national de la démographie des professions de santé ». »
III. – Dans un délai de 6 mois après la promulgation de la présente loi, un décret est publié pour ajouter aux missions de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé une évaluation départementale des besoins en santé, caractérisée en temps médical par habitant, en complémentarité des travaux des comités locaux de santé et des conseils territoriaux de santé.
La parole est à Mme Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou. L’article 1er renforce, à juste titre, l’échelon départemental pour l’évaluation des besoins de santé. En effet, l’échelon régional, trop éloigné des territoires et de leurs acteurs, ne répond pas à l’adaptation de l’offre de soins dans les territoires au regard des besoins, qui sont souvent connus.
Nous proposons donc de maintenir l’Observatoire national de la démographie des professions de santé, tout en créant un échelon départemental.
Je note que le renforcement des compétences des départements dans de nombreux domaines, et, en l’occurrence, pour la santé, ne devrait pas se faire à moyens constants. Déjà exsangues, les départements ne sauraient supporter de charges supplémentaires sans compensation.
Surtout, il n’est pas nécessaire, pour obtenir une bonne analyse des besoins, de créer de nouveaux organismes. L’ONDPS existe, et il exerce déjà des missions que vous souhaitez confier à l’office national d’évaluation ; je vous renvoie au décret n° 2010-804 du 13 juillet 2010 relatif aux missions de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé, qui définit lesdites missions.
Je le disais, nous prévoyons simplement d’ajouter un échelon départemental associant les départements et les collectivités locales. En effet, pourquoi empiler des organismes aux missions redondantes ? Cette proposition me surprend de la part de nos collègues siégeant sur les travées de la droite, qui n’ont de cesse de dénoncer la multiplication des organismes et des agences…
Nous nous étonnons également de la proposition du Gouvernement, lequel dénonce la comitologie, mais double les institutions nationales, et oublie encore une fois combien il est important de connaître les territoires et leur réalité plurielle, notamment l’échelon départemental.
À travers cet amendement tendant à réécrire l’article 1er, nous corrigeons une erreur d’approche en proposant de prendre en compte, non pas le nombre de médecins de praticiens par habitant, mais le temps médical par habitant.
Par ailleurs, les instances dites « de démographie sanitaire » existantes ne sont pas remises en cause par ce texte. Je crains donc que l’article 1er ne sème davantage de confusion qu’il n’apporte de réelles réponses.
L’heure n’est plus à l’évaluation, mais à l’apport de réponses efficaces et opérationnelles !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission des affaires sociales. Comme nous l’avons souligné lors de la discussion générale, l’un des objectifs de ce texte est de rapprocher l’identification des besoins en santé des territoires. Pour cela, l’article 1er fait du département, qui nous paraît constituer la maille idéale, l’échelon de la définition de ces besoins. Celui-ci permet en effet d’allier proximité et taille critique assurant la mise en œuvre d’un projet cohérent. Entre autres qualités, les conseils départementaux sont, de surcroît, agiles et réactifs.
L’objectif est d’inverser réellement la logique de définition des besoins en sortant d’une approche descendante pour aller vers une véritable prise en compte de l’analyse faite par les territoires. Aujourd’hui, lorsque le conseil territorial de santé (CTS) souhaite modifier le zonage que l’ARS lui soumet, il doit se borner à effectuer des permutations, dans une logique de « un pour un ».
Revenir sur cette départementalisation va à l’encontre de l’esprit du texte adopté par la commission.
Par ailleurs, si le texte ne supprime pas explicitement l’actuel Observatoire national de la démographie des professions de santé, dont nous avons tous mesuré les limites lors de l’audition de ses représentants par la commission des affaires sociales, on ne peut pas remédier au sous-dimensionnement de cet organisme, que pointe également la Cour des comptes, ni même le supprimer, car l’existence de celui-ci n’est pas reconnue dans la loi.
Par ce texte, nous souhaitons donner une base légale à la mission d’évaluation de l’évolution de la démographie des professionnels de santé. C’est pourquoi la commission est défavorable à cet amendement.
J’ajouterai que l’office départemental dont il est question désigne non pas nécessairement une vaste structure, mais une simple organisation. Je ne doute nullement de l’intelligence collective des conseils départementaux, des délégations départementales des ARS, des caisses primaires d’assurance maladie et des conseils départementaux de l’ordre des médecins ni de leur capacité, une fois autour de la table, à créer une agence ou un office dont l’organisation administrative ne soit pas trop lourde.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins. Nous souhaitons privilégier fortement les remontées du terrain, dans une logique dite bottom up.
Depuis que j’ai pris mes fonctions le 24 décembre dernier, je m’efforce de mettre en œuvre une territorialisation des actions. Cela suppose à la fois, dans le sens descendant, une différenciation territoriale des politiques publiques, et, dans cet esprit bottom up, la prise en compte de l’avis des élus et des spécificités de chaque zone géographique, dont les besoins sont très différents selon qu’il s’agit d’une métropole, d’un territoire de montagne ou d’outre-mer, par exemple.
Pour toutes les raisons évoquées par Corinne Imbert et en raison de ce souci d’écoute des remontées du terrain, je demande le retrait de cet amendement. À défaut, le Gouvernement y sera défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Fichet. J’ai vraiment du mal à comprendre comment fonctionneront les offices départementaux d’évaluation de la démographie des professions de santé aux côtés des ARS, qui remplissent déjà la mission qui serait confiée à ces offices et qui disposent déjà de délégations départementales.
Admettons toutefois que de tels offices soient créés. Tout ce petit monde se réunirait autour d’une table pour identifier au plus près les véritables besoins du territoire en faisant de la dentelle. Et ensuite, que se passerait-il ? Des Padhue ou des médecins juniors seraient envoyés dans les zones identifiées, sans qu’aucune obligation supplémentaire soit créée.
Je rappelle que ce texte a pour objet d’assurer un accès aux soins dans l’ensemble du territoire. Or ce que je comprends, c’est que les obligations ne s’appliqueront qu’aux Padhue, aux médecins juniors et aux internes de quatrième année. Autrement dit, le dispositif proposé permettra certes d’identifier les besoins, mais au-delà des praticiens visés, il ne permettra pas d’y apporter de réponse.
Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.
Mme Émilienne Poumirol. Comme la rapporteure, je souscris à l’idée que le département est le territoire idéal pour évaluer les besoins. Nous en avons discuté lors du cycle d’auditions : la connaissance de leur territoire par les conseillers départementaux est certainement la plus fine.
Pour autant, les délégations départementales des ARS établissent déjà une cartographie tenant compte des remontées de terrain des communautés professionnelles territoriales de santé, qui ont une connaissance très fine de la démographie de leur territoire : le nombre de médecins, le temps de travail de ces derniers, les missions effectuées à l’hôpital ou ailleurs, les dates présumées de départ à la retraite, etc.
Pourquoi dès lors ajouter un organisme différent ? Pour ma part, je tendrais plutôt à augmenter les moyens alloués aux délégations départementales des ARS, qui sont déjà sur le terrain.
Par ailleurs, votre proposition n’est pas claire, madame la rapporteure. Le président du conseil départemental sera-t-il doté d’une nouvelle compétence d’organisation ? Il me paraît plutôt que vous entendez lui confier un rôle de coordination et d’accompagnement.
De plus, dès lors que le département organise l’élaboration de ce diagnostic, il devra financer les dispositions qu’il impose. Quels moyens accordez-vous aux départements pour ce faire ? Depuis des années, les départements se voient confier la charge de nouvelles compétences sans que les moyens de les assumer leur soient donnés.
Votre proposition n’étant pas claire, nous estimons préférable d’augmenter les moyens des délégations départementales des ARS plutôt que de réorganiser tout le système.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 90 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 55, présenté par Mmes Brulin, Apourceau-Poly, Silvani et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 1
Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :
…° L’article L. 1411-11 est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
«…. – Un indicateur territorial de l’offre de soins évalue la densité de l’offre de soins médicaux et paramédicaux par spécialité dans chaque commune et de chaque territoire de santé. L’estimation de l’offre de soins prend notamment en compte le temps médical disponible par patient ainsi que la situation démographique, sanitaire et socio-économique du territoire. L’offre liée à l’utilisation de dispositifs de télésanté fait l’objet, au sein de cet indicateur, d’une pondération spécifique.
« L’indicateur est élaboré et mis à jour pour chaque spécialité médicale au plus tard le 31 mars de chaque année civile, par l’agence régionale de santé, en lien avec les communautés professionnelles territoriales de santé, de manière à couvrir l’intégralité de son ressort territorial.
« L’indicateur mentionné au premier alinéa sert de base à la détermination des zones mentionnées à l’article L. 1434-4, à l’élaboration des documents d’orientation de la politique de soins et notamment du projet régional de santé, et à la décision d’ouverture, de transfert ou de regroupement des cabinets de médecins libéraux.
« Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, définit sur la base de cet indicateur un niveau minimal d’offre de soins à atteindre pour chaque spécialité médicale et paramédicale. ».
II. – Après l’alinéa 9
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
…° L’article L. 1434-4 est ainsi modifié :
…) Au 1° , après les mots : « accès aux soins », sont insérés les mots : « au regard de l’indicateur mentionné à l’article L. 1411-11 » ;
…) Au 2° , les mots et la phrase : « s’agissant des professions de santé pour lesquelles les conventions mentionnées à l’article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale ont prévu des mesures de limitation d’accès au conventionnement. Elles sont arrêtées dans le respect de la méthodologie déterminée dans ces conventions » sont remplacés par les mots : « au regard de l’indicateur mentionné à l’article L. 1411-11 ».
La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Je comprends parfaitement la logique qui a présidé à la rédaction de l’article 1er, et je ne conteste absolument pas que le département soit la maille la plus pertinente pour être au plus près du terrain. Nous avons tous été confrontés à des données fournies par les ARS en totale contradiction avec la réalité de la démographie médicale de nos territoires.
Je vous rejoins, madame la rapporteure : la logique du « un pour un » aboutit à des situations surréalistes, puisque, pour faire accepter à l’ARS qu’un territoire soit sous-doté, il faut qu’un autre territoire soit considéré comme mieux doté, quand bien même la situation de ce dernier n’aurait pas évolué. Autrement dit, bien que travaillant au niveau de la maille la plus fine possible, les ARS se placent dans une logique qui est d’abord comptable.
Nous disposons par ailleurs d’une multitude d’instances – CPTS, CTS, etc. –, créées au fil des lois successives, si bien que nous n’y comprenons plus grand-chose et qu’il serait utile d’évaluer la pertinence de chacune sur le sujet qui nous occupe, afin de déterminer à laquelle il conviendrait de confier cette mission.
Enfin, en vue de travailler au rééquilibrage que nous appelons de nos vœux, mes chers collègues, il nous faut disposer d’indicateurs objectifs et pertinents.
Le présent amendement vise à cette fin à créer un indicateur territorial de l’offre de soins (Itos). Celui-ci ne comptabiliserait pas uniquement les professionnels de santé présents sur le territoire : il prendrait également en compte la situation sociale, la pyramide des âges, etc. Nous savons en effet que les indicateurs de santé doivent prendre en compte une réalité bien plus vaste que la seule démographie.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Je suis d’accord avec vous, madame la sénatrice : nous avons besoin non pas d’un, mais de plusieurs indicateurs. J’irai même plus loin : peut-être qu’en raison d’une problématique de santé particulière, certains départements devront avoir des indicateurs spécifiques – tel est du reste tout l’intérêt de confier aux départements le rôle de définition des besoins.
Nous ne saurions donc nous contenter d’un indicateur qui serait l’agrégation de plusieurs indicateurs : afin d’apprécier la réalité du terrain et la diversité des territoires en fonction de la densité de l’offre de soins, et partant, du degré de priorité qu’il convient de leur accorder, il nous faut plusieurs indicateurs – vous l’avez d’ailleurs suggéré vous-même, madame la sénatrice.
Je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Par cet amendement, nos collègues communistes rappellent qu’en l’état actuel des données toute politique publique qui viserait à agir sur 3 à 5 % des territoires pour compenser ce qui manque dans 85 % d’entre eux est vouée à l’échec et que, par conséquent, nous ne pouvons pas en rester à l’analyse de l’offre telle qu’elle est actuellement réalisée.
Je sais – je pensais du reste que le ministre l’évoquerait – que le ministère prépare une nouvelle cartographie qui doit permettre d’identifier des zones rouges dans lesquelles les dispositifs dont nous discutons ce soir seront déployés.
Si l’Itos tel qu’il est proposé par notre collègue est certes très complexe, il n’en reste pas moins qu’il souligne bien qu’en l’état actuel des choses nous ne sommes pas en mesure de déployer efficacement nos politiques publiques.
Je comprends que Mme la rapporteure et M. le ministre rejettent la proposition de nos collègues communistes, mais je souhaite qu’à tout le moins M. le ministre précise les objectifs de son ministère et les modalités de redécoupage des zonages actuels. Il faut en effet savoir d’où l’on part et où l’on va, même si, en tout état de cause, nous ne pourrons pas résoudre les difficultés qui affectent 85 % de nos territoires.
Le texte dont nous débattons comporte des dispositions qui, pour être susceptibles d’apporter des améliorations, ne changeront pas radicalement l’accès à l’offre de soins dans notre pays. Seules l’année de professionnalisation et, au-delà de la substitution du numerus apertus au numerus clausus, la hausse du nombre d’étudiants formés changeront les choses. Or cette hausse a commencé avant qu’Agnès Buzyn ne soit ministre, si bien que, désormais, plus de 8 300 étudiants sortent diplômés chaque année.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé, pour explication de vote.
M. Hervé Gillé. Aujourd’hui, le préfet de la région Nouvelle-Aquitaine, en lien avec le directeur régional de l’ARS, a lancé la phase de consultation autour du pacte gouvernemental de lutte contre les déserts médicaux pour sensibiliser à la fois les parlementaires et les parties prenantes au niveau régional.
Si l’on y regarde de plus près, ce pacte reposera vraisemblablement sur les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) afin d’établir les fameuses zones rouges sur la base de critères tels que l’indicateur d’accessibilité potentielle localisée (APL), le ratio entre l’APL et l’APL restreint aux médecins généralistes de moins de 65 ans, la proportion d’ALD, le temps d’accès routier au service d’urgence le plus proche, le niveau de vie établi sur la base du revenu disponible, etc.
Je reviendrai ultérieurement sur cette séquence de sensibilisation des parties au pacte, notamment dans la région Nouvelle-Aquitaine.
Pour l’heure, je souhaite vous interpeller, monsieur le ministre : pourriez-vous préciser comment ce pacte va s’articuler avec les dispositions du présent texte, étant entendu que le préfet de la région Nouvelle-Aquitaine a déjà lancé la préfiguration des zones rouges en s’appuyant sur les EPCI – qui sont du reste de taille très variable – et sur le fondement de cinq indicateurs existants, qui, une fois additionnés, permettront de déterminer un indice de vulnérabilité compris entre zéro et cinq, la valeur de celui-ci étant une fonction croissante de la vulnérabilité du territoire concerné ?
Où en sommes-nous ? En d’autres termes, défendez-vous la position du préfet de la région Nouvelle-Aquitaine et du directeur de l’agence régionale de santé ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. Monsieur le sénateur Gillé, vous m’interrogez légitimement sur l’articulation entre le pacte et le présent texte.
Il y a un mois, lorsque j’ai formé le vœu de réunir autour d’une table ces deux grands corps de l’État que sont les ARS et leurs délégations départementales, d’une part, et les préfets de région et de département, d’autre part, pour parler « santé », j’avais conscience du caractère innovant de ce que je proposais.
Pour être ou avoir été des élus locaux, nous savons bien, pourtant, que l’attractivité d’un territoire passe par l’aménagement de celui-ci – logement, voirie, commerces de proximité, lieux de soins – et que les préfectures, en lien très étroit avec les élus locaux, jouent en la matière un rôle déterminant. Nous savons bien aussi que les ARS exercent la mission régalienne d’organisation de l’offre de soins, au plus proche de nos territoires. J’estime donc qu’il importe de réunir l’ensemble de ces acteurs.
En se fondant sur les cinq critères que vous citez, monsieur le sénateur, la région Nouvelle-Aquitaine, comme je l’espère l’ensemble des régions de France, entend répondre à l’impératif de court terme d’identification des zones particulièrement sous-dotées, de manière à instaurer, dès le mois de septembre, l’obligation collective, pour les médecins, d’aller vers ces territoires deux jours par mois.
Telle est la réponse que je souhaitais vous apporter, monsieur le sénateur.
Mme la présidente. Je suis saisie de huit amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 117, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 6 à 23
Remplacer ces alinéas par douze alinéas ainsi rédigés :
« 2° La section 5 du chapitre IV du titre III du livre IV de la première partie est ainsi rétablie :
« Section 5
« Évaluation de la démographie des professions de santé en vue de répondre aux besoins de santé
« Art. L. 1434-14. – I. – L’Office national de l’évaluation de la démographie des professions de santé, placé auprès des ministres chargés de la santé et de l’enseignement supérieur, est chargé de rassembler et de diffuser les données relatives à la démographie des professions de santé et à l’accès aux soins.
« Il dresse chaque année un bilan des besoins identifiés pour chaque profession de santé, le cas échéant par spécialité, aux niveaux national et territorial en s’appuyant sur les avis des agences régionales de santé. Ce bilan est remis au Parlement dans les six mois suivant l’expiration de la période à laquelle il se rapporte.
« Il propose en conséquence aux ministres chargés de la santé et de l’enseignement supérieur les objectifs nationaux pluriannuels relatifs au nombre de professionnels à former mentionnés au I de l’article L. 631-1 du code de l’éducation.
« II. – L’Office national rend un avis annuel sur le déploiement, tout au long des études de médecine, d’une offre de stages dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou des difficultés dans l’accès aux soins au sens du 1° de l’article L. 1434-4, et en particulier sur la réalisation des stages prévus au cours de la dernière année du diplôme d’études spécialisées de médecine générale mentionnés à l’article L. 632-2 du code de l’éducation.
« L’avis annuel de l’Office national de l’évaluation de la démographie des professions de santé est remis au Parlement dans les six mois suivant l’expiration de la période à laquelle il se rapporte.
« III. – L’Office national consulte les agences régionales de santé sur le bilan mentionné au I concernant les territoires relevant de leur région. Les agences rendent un avis en concertation avec les présidents des conseils départementaux concernés et en associant les représentants des structures territorialement compétentes des ordres et les représentants des conseils territoriaux de santé.
« IV. – Les règles relatives à la composition et au fonctionnement de l’Office national sont fixées par décret.
« Art. L. 1434-14-1. – Les ministres chargés de la santé et de l’enseignement supérieur, les agences régionales de santé, les caisses d’assurance maladie et les ordres professionnels concernés mettent à disposition de l’Office national d’évaluation de la démographie des professions de santé les données, études et statistiques nécessaires à l’exercice de leurs missions. »
II. – Le 3° du II de l’article L. 631-1 du code de l’éducation est complété par les mots : « compte tenu des propositions formulées par l’Office national de l’évaluation de la démographie des professions de santé en application du I de l’article L. 1434-14 du code de la santé publique ».
La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. Le présent amendement vise à répondre à des besoins de plus long terme en permettant, lorsque nous aurons définitivement supprimé le numerus apertus, de former davantage de médecins.
Comme l’un d’entre vous l’a dit tout à l’heure, mesdames, messieurs les sénateurs, il faut tordre le cou à l’idée selon laquelle il y aurait trop de médecins. Nous devrons en effet à l’avenir faire face à l’augmentation de la prévalence des pathologies chroniques, dont la prise en charge exige des actes d’une grande technicité.
Par ailleurs, il nous faut tenir compte de l’évolution du rapport au travail, du temps de travail effectif, facteur très important que l’on a pourtant tendance à oublier. Je le dis sans volonté aucune de critiquer les jeunes médecins qui nous écoutent, mais nous savons bien qu’il faut aujourd’hui 2,3 jeunes médecins pour remplacer un généraliste qui part à la retraite.
L’Office national de l’évaluation de la démographie des professions de santé que cet amendement tend à créer aura la mission, en lien avec les départements, d’évaluer ce temps médical, et, à terme, les besoins d’accroissement des capacités de nos universités de manière à former suffisamment de médecins. Il paraît en effet plus pertinent que cet office adopte le prisme départemental plutôt que de créer une instance dans chaque département. Le moment venu, il pourra également piloter la mise en place d’une première année de médecine dans chaque département.
J’ai visité vendredi dernier l’hôpital d’Aubenas, une commune de 12 000 habitants située en Ardèche. Cet établissement a traversé des difficultés, mais sa situation s’est depuis améliorée. À la rentrée de septembre, quarante étudiants pourront faire leur première année de médecine à Aubenas, qui compte par ailleurs un institut de formation en soins infirmiers.
Cette dynamique incluant les formations médicales et paramédicales, d’une part, et les restructurations d’hôpitaux, d’autre part, est en train d’essaimer.
Par cet amendement, je vous propose de nous donner les moyens de faire évoluer les politiques publiques, non pas à court terme, mais à long terme. La méthode qui a été retenue pour agir dès septembre est celle de la cartographie des zones sous-denses, pour la constitution desquelles j’estime, pour avoir longuement présidé un EPCI, que l’échelon pertinent est l’intercommunalité.
L’ensemble des élus locaux ont bien compris que le modèle du médecin généraliste rayonnant dans cinq villages était révolu, et que, désormais, ce sont les maisons médicales regroupant plusieurs professionnels de santé qui sont appelées à rayonner.
J’ajoute que la création non pas d’une centaine d’offices départementaux, mais d’une structure nationale répond à notre objectif partagé de simplification des politiques publiques.
Mme la présidente. L’amendement n° 120, présenté par Mme Imbert, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 9
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° L’article L. 1434-4 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les modalités selon lesquelles l’avis conforme mentionné au premier alinéa est formulé, ainsi que le délai à l’issue duquel l’office départemental est réputé avoir émis un avis favorable sont fixés par décret. Un décret fixe également les conditions dans lesquelles le directeur général de l’agence régionale de santé définit temporairement les zones prévues aux 1° et 2° du présent article lorsqu’une ou plusieurs oppositions sont formulées. » ;
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Le texte adopté par la commission prévoit que les offices départementaux formulent un avis conforme sur le zonage d’installation des médecins. Cette mesure a renforcé la prise en compte de l’évaluation des besoins faite par les acteurs locaux. Il nous paraît en effet important de donner la main à ces élus.
Il s’agit toutefois de mettre les départements face à leurs responsabilités et de ne pas créer de situations de blocage dans nos territoires, car de telles situations empêcheraient de définir les zones prévues par l’article L. 1434-4 du code de la santé publique.
Le présent amendement prévoit donc de renvoyer au décret les modalités permettant de faire face à ces situations, qui pourraient résulter de l’absence d’avis conforme ou du refus d’émettre un avis conforme par un office, ainsi que les modalités selon lesquelles le directeur général de l’ARS peut alors temporairement définir le zonage.
Mme la présidente. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 14 rectifié ter est présenté par Mme Guillotin, MM. Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold et Grosvalet, Mme Jouve et MM. Masset, Roux et Daubet.
L’amendement n° 19 rectifié bis est présenté par Mmes Lassarade et Belrhiti, MM. Panunzi et Pointereau, Mme Aeschlimann, M. Somon, Mmes Bonfanti-Dossat, Joseph et Dumont et MM. Bouchet, Gremillet et de Nicolaÿ.
L’amendement n° 29 rectifié ter est présenté par M. Chasseing, Mme Lermytte, M. Laménie, Mme L. Darcos, MM. A. Marc, Chevalier, Brault, Grand, Verzelen et Rochette et Mmes Romagny et Jacquemet.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 18, seconde phrase
Après le mot :
représentants
insérer les mots :
de l’union régionale des professionnels de santé,
La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour présenter l’amendement n° 14 rectifié ter.
Mme Véronique Guillotin. L’article 1er consacre le rôle actif et structurant du département dans la coordination des actions visant à identifier les carences médicales et les zones bien dotées, ainsi qu’à favoriser l’installation des professionnels de santé.
J’estime toutefois qu’il faudrait également associer à ces actions les professionnels de santé eux-mêmes, qui sont les premiers concernés par l’accès aux soins et en première ligne en face des patients. Cet amendement vise donc à garantir la représentation des unions régionales des professionnels de santé (URPS) au sein des offices départementaux.
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour présenter l’amendement n° 19 rectifié bis.
Mme Florence Lassarade. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour présenter l’amendement n° 29 rectifié ter.
M. Daniel Chasseing. Il est également défendu.
Mme la présidente. L’amendement n° 28 rectifié, présenté par M. Chasseing, Mme Lermytte, M. Laménie, Mme L. Darcos, MM. A. Marc, Chevalier, Brault, Grand, Rochette et Pointereau et Mmes Romagny et Jacquemet, est ainsi libellé :
Alinéa 18
1° Remplacer les mots :
et des caisses primaires d’assurance maladie. Ils associent les représentants
par les mots :
, des caisses primaires d’assurance maladie,
2° Remplacer les mots :
et consulter les représentants
par le signe :
,
3° Remplacer les mots :
ainsi que les communes et de leurs groupements concernés
par les mots :
et des associations des maires
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Cet amendement vise à compléter la composition des offices départementaux d’évaluation de la démographie des professions de santé par l’ajout de représentants des associations de maires.
Il tend également à inclure dans la composition de ces instances des représentants des structures territorialement compétentes des ordres et des conseils territoriaux de santé, dont le texte prévoit actuellement qu’ils sont seulement « consultés ».
Mme la présidente. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par Mme Muller-Bronn, MM. Reichardt, E. Blanc, Genet et Khalifé, Mme Aeschlimann, MM. Panunzi, Naturel et H. Leroy, Mmes Drexler, Belrhiti, Bonfanti-Dossat et Gosselin et MM. Bouchet, Bruyen et Sido, est ainsi libellé :
Alinéa 18
Compléter cet alinéa par les mots :
ainsi que des parlementaires
La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.
Mme Laurence Muller-Bronn. Cet amendement vise à associer, aux côtés des élus locaux, les parlementaires aux travaux des offices départementaux d’évaluation de la démographie des professions de santé, notamment dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins. Les parlementaires et les élus nationaux ont en effet une vision globale qui pourrait compléter celle des élus locaux.
Mme la présidente. L’amendement n° 78 rectifié bis, présenté par Mmes Romagny, Aeschlimann, Belrhiti et Lermytte, M. Pillefer, Mme Gacquerre, MM. Menonville, Maurey, Cambier et Longeot, Mmes Joseph et Perrot, M. Genet et Mme Jacquemet, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 18 :
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cadre de l’identification des besoins en professions de santé, les offices départementaux élaborent des indicateurs prenant en compte plusieurs caractéristiques telles que le temps médical disponible, l’âge des professionnels de santé en exercice et leur projection de départ à la retraite ainsi que leur répartition au niveau des bassins de vie, y compris extérieurs aux limites administratives du département. »
La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Par cet amendement, notre collègue Anne-Sophie Romagny propose qu’en sus du nombre de médecins, le temps médical disponible, c’est-à-dire les quotités de travail, mais aussi l’âge des médecins et, donc, la date de leur futur départ à la retraite, et, quitte à sortir des limites strictement départementales, les bassins de vie, soient pris en compte dans le cadre de l’identification des besoins en professionnels de santé.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure. En ce qui concerne l’amendement n° 117, je comprends bien entendu les réticences, déjà exprimées à plusieurs reprises, concernant la création de nouveaux comités Théodule.
Comme je l’ai indiqué, ce n’est cependant pas l’esprit de ce texte. Ce que nous souhaitons, c’est une structure souple, présidée par le président du conseil départemental, associant les délégations départementales de l’agence régionale de santé, la CPAM et les ordres, notamment le conseil départemental de l’ordre des médecins.
De plus, la commission a renforcé le rôle de ces offices départementaux en prévoyant qu’ils rendent un avis conforme sur le zonage établi par le directeur général de l’ARS.
J’entends toutefois vos inquiétudes, monsieur le ministre. Je vous propose par conséquent de continuer à travailler sur cet article au cours de la navette, afin de faire en sorte que la mise en œuvre opérationnelle de ces dispositions ne se traduise pas par une suradministration qui emboliserait l’action des acteurs dans nos territoires. La volonté de l’auteur de ce texte est d’améliorer la pertinence et la réactivité de l’appréciation des besoins réels, au plus près des territoires, par la concertation d’acteurs qui se connaissent déjà dans les départements.
Aussi, la commission est défavorable à cet amendement qui vise à supprimer les offices départementaux.
Les amendements identiques nos 14 rectifié ter, 19 rectifié bis et 29 rectifié ter ont été rectifiés à la demande de la commission afin de permettre la consultation des URPS dans le cadre des travaux des offices départementaux sans alourdir ni rigidifier le fonctionnement de ces instances. Aussi, j’y serai favorable.
L’amendement n° 28 rectifié tend à modifier la composition minimale des offices départementaux prévue par le texte. Or je souhaite que la composition de ces instances soit la plus souple possible. Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.
Il ne me paraît par ailleurs pas pertinent, au risque de trop rigidifier la mise en œuvre de la mission d’évaluation des besoins, d’inscrire dans la loi la consultation des parlementaires, comme il est proposé à travers l’amendement n° 7 rectifié. La commission y est donc défavorable.
Enfin, les dispositions que l’amendement n° 78 rectifié bis vise à introduire étant susceptibles d’améliorer l’efficacité de l’évaluation de l’offre de soins dans les territoires, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. Je m’efforcerai d’être aussi efficace que Mme la rapporteure. (Sourires.)
Le Gouvernement est défavorable à l’ensemble de ces amendements en discussion commune, à l’exception, bien entendu, du sien, l’amendement n° 117.
Je précise, monsieur Maurey, que l’amendement n° 78 rectifié bis est satisfait, puisque l’APL tient compte des quotités de travail des médecins.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Je souhaite expliquer mon vote sur l’amendement n° 117 du Gouvernement.
Monsieur le ministre, le dispositif de votre amendement me semble quelque peu lacunaire au regard de celui de l’article 1er, dans la version proposée par la commission.
Dans cette rédaction, les élus deviennent réellement la cinquième roue du carrosse : « l’Office national consulte les agences régionales de santé », et ces dernières « rendent un avis en concertation avec les présidents des conseils départementaux concernés ». On se doute bien que cette concertation va se transformer en un simple échange de courriers. Un office départemental présidé par le président du conseil départemental aurait tout de même une autre allure, et, au-delà de l’allure, une autre efficacité !
Par ailleurs, le dispositif proposé par le Gouvernement me paraît moins exhaustif que celui de la commission, puisque l’Office national se contentera de fixer le nombre de professionnels à former, faisant l’impasse sur l’objectif quantitatif d’admissions des candidats aux épreuves anonymes, c’est-à-dire notamment des médecins étrangers, que le texte de la commission prend, lui, en compte.
Or on sait combien l’obtention des autorisations d’exercer par les Padhue, qui est parfois fort longue – j’ai en tête plusieurs cas précis –, est importante pour nos territoires.
La rédaction de la commission me paraissant préférable, je ne voterai donc pas l’amendement n° 117.
Vous avez toutefois indiqué que cette rédaction pourrait être retravaillée, madame la rapporteure. J’estime en effet qu’il conviendrait de toiletter les dispositions relatives aux schémas régionaux de santé. En effet, le zonage élaboré par l’office départemental n’étant en l’état pas opposable aux professionnels libéraux, il n’aurait que peu d’effet.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Je partage l’avis de Jean-Baptiste Lemoyne sur l’amendement n° 117 du Gouvernement, dont l’esprit est pour le moins éloigné de la verticalité ascendante que nous appelons de nos vœux – c’est le moins que l’on puisse dire.
L’amendement n° 78 rectifié bis, qui a pour objet de fixer des critères pour analyser les besoins médicaux des territoires, est intéressant. Je pense à l’un de ces indicateurs, que l’on ne prend jamais en compte, et qui est pourtant fondamental : il est certes utile de connaître le nombre de médecins exerçant dans une zone donnée et de savoir s’ils le font à temps plein ou à temps partiel, mais il est encore plus important d’être informé – c’est une caractéristique qui n’est jamais mentionnée – de ce qu’ils font réellement.
Comme l’a rappelé M. le ministre, les pathologies chroniques sont en hausse et la prise en charge des patients est de plus en plus complexe. Nous avons donc besoin de médecins généralistes. Or, dans le département de Paris, près de la moitié des médecins généralistes qui s’installent actuellement le font pour pratiquer de la médecine esthétique.
Ce faisant, ils singent les dermatologues, qui sont de plus en plus nombreux à ne plus faire de dermatologie, spécialité pour laquelle ils sont pourtant formés, et à se consacrer massivement à l’exercice de la médecine esthétique. Nous mourrons d’un mélanome, mais nous aurons la peau lisse, nous n’aurons plus de rides… (Sourires.)
Il s’agit d’un problème sérieux, mes chers collègues : cela change radicalement la qualité de l’offre de soins ! Je n’ai rien contre cette spécialité en particulier, mais il y a là un problème de régulation si nous voulons que l’offre corresponde aux besoins de la population.
Nous ne pouvons pas continuer de former des professionnels dont l’activité est aussi orthogonale avec les besoins de la population. Nous aurons beau compter les médecins, le nombre d’heures qu’ils font, connaître l’âge qu’ils ont et anticiper leur départ à la retraite, nous manquerons complètement notre cible si nous ne nous penchons pas sur le contenu des soins qu’ils prodiguent.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey, pour explication de vote.
M. Hervé Maurey. J’aimerais revenir sur les propos du ministre au sujet des zones prioritaires qui seront définies pour assurer la permanence des soins. J’ai découvert aujourd’hui avec un certain étonnement, lors d’un entretien avec le directeur départemental de l’ARS de l’Eure, que ce département, qui fait malheureusement partie des moins dotés en matière de démographie médicale, ne compte aucune zone à problème selon les nouveaux critères.
Il se trouve que ces derniers sont établis à partir de données dont certaines peuvent surprendre, notamment le revenu par habitant. Lorsque je lui ai demandé le rapport entre le revenu par habitant et les problèmes d’accès aux soins, le directeur départemental de l’ARS, qui était un peu gêné, a fini par me répondre qu’il était plus facile de se déplacer lorsque l’on disposait de revenus importants.
Soyons sérieux : comment peut-on conclure que, dans un département comptant pourtant parmi les plus mal lotis en matière de démographie médicale, aucune zone ne pose problème ? (Marques d’approbation sur les travées du groupe SER.)
M. Hervé Gillé. Voilà !
M. Hervé Maurey. Comment ces critères ont-ils été définis ? Monsieur le ministre, comment est-on parvenu à une telle aberration ? Je n’avais pas prévu d’aborder le sujet, mais puisque vous m’avez tendu la perche, je n’ai pas pu m’empêcher de la saisir !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. Monsieur le sénateur Lemoyne, j’ai été sensible à vos propos. L’idée est bien d’associer les élus locaux, et je veux bien reconnaître que la rédaction de l’amendement n° 117 soit perfectible. Je n’y suis pas attaché à tout prix. Il est en effet important que l’on puisse recueillir l’avis des élus locaux.
Monsieur le sénateur Jomier, vous évoquez un sujet très pertinent, qui n’avait pas été soulevé jusqu’alors. Il est vrai que les critères que nous avons établis – nombre et âge des médecins, nombre de patients en ALD, par exemple – ne tiennent pas compte de la pratique.
En ce qui concerne les médecins généralistes qui exercent une activité de médecine esthétique, je compte bien réguler la situation. J’y travaille depuis plusieurs mois, en lien avec le Conseil national de l’ordre des médecins. Je m’étais par ailleurs déjà penché sur la question en tant que rapporteur général de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, il convient de protéger les patients de ceux qui pratiquent la médecine de manière illégale. En effet, nous recevons de 120 à 130 plaintes par an pour exercice illégal de la médecine.
Ensuite, certains médecins généralistes pratiquent de la médecine esthétique sans avoir obtenu de diplôme reconnu en la matière. Nous devrons donc nous assurer que chaque médecin pratiquant la médecine esthétique soit véritablement qualifié. Pour cela, nous aurons recours soit à un dispositif de validation des acquis, soit à des formations universitaires donnant lieu à l’obtention d’un diplôme, qui existent déjà, mais qui peuvent encore être améliorées.
En outre, nous devrons déterminer s’il convient de limiter cette activité à un nombre donné de demi-journées. Aucune décision n’a été arrêtée à ce jour. Ce sujet donne lieu à des séances de travail avec le Conseil national de l’ordre des médecins, et les praticiens concernés seront consultés. L’idée serait de pouvoir conditionner cette pratique à l’exercice de la médecine générale pendant dix demi-journées par exemple.
Je peux entendre qu’au bout d’un certain nombre d’années de pratique de la médecine générale classique, un médecin ait envie de se tourner vers la médecine esthétique.
Il existe d’ailleurs des besoins dans ce domaine et il convient de distinguer la médecine esthétique de la chirurgie reconstructrice, car ce sont des activités très différentes. La seconde recouvre notamment la chirurgie mammaire et les actes de reconstruction à la suite d’un cancer ou d’un accident sur la voie publique. Cela n’a rien à voir avec les injections de botox, dont l’essor est lié à l’ambiance créée par les réseaux sociaux et certains influenceurs, et qui sont chèrement rémunérées – une consultation de médecine générale coûte 30 euros, quand une injection de botox peut être facturée 300 euros.
La même question se pose pour les dermatologues. Je ne veux pas stigmatiser ces derniers, mais, en tant que ministre de la santé, je ne saurais accepter qu’il faille attendre de six mois à un an pour obtenir un rendez-vous pour une suspicion de mélanome, alors que l’on peut obtenir un rendez-vous en une semaine pour une injection de botox. Les Françaises et les Français ne le comprendraient pas.
M. Bernard Jomier. C’est exactement cela !
Mme Émilienne Poumirol. Il faut réguler !
M. Yannick Neuder, ministre. Il va donc falloir remettre l’église au milieu du village, si je puis me permettre l’expression.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite que nous avancions ensemble sur cette question et en concertation avec le Conseil national de l’ordre des médecins. Nous ne pouvons pas laisser émerger des pathologies, parce que les actes de médecine esthétique sont mieux rémunérés que des actes de médecine ayant un apport pour la santé d’une tout autre ampleur. (Mme Frédérique Puissat applaudit.)
Enfin, monsieur le sénateur Maurey, les critères permettant de définir les zones tendues commencent en effet à s’appliquer. Il faut différencier les zones très tendues, qui justifient la mise en application d’une solidarité obligatoire de deux jours par mois, d’autres zones, comme l’Eure, où le problème est certes réel, mais plus diffus.
M. Hervé Maurey. Mais il y a un problème de critères !
M. Yannick Neuder, ministre. Les critères que vous mentionnez nous permettent d’effectuer un premier lissage ; pour autant, il ne serait pas crédible d’estimer que l’Eure n’est pas un désert médical.
Peut-être devrons-nous traiter le problème d’une manière différente. Si le département de l’Eure n’est pas considéré comme une zone rouge selon les critères actuels, cela signifie qu’il compte déjà un certain nombre de médecins généralistes. Il est donc envisageable de mobiliser ces derniers en leur associant des médecins juniors, dont ils seront les maîtres de stage, ou en faisant venir des médecins remplaçants, qui ont parfois plus de temps médical à consacrer aux patients. Nous verrons, au regard des premiers retours d’expérience, quels leviers il conviendra d’activer.
Monsieur le sénateur, vous m’accorderez que nous n’avons jamais étudié les besoins de santé à l’échelle de l’intercommunalité. Il convient donc d’effectuer ce travail auquel je souhaite associer les élus locaux et les parlementaires. En effet, chacun sait qu’un député ou un sénateur connaît parfaitement bien sa circonscription…
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Surtout un sénateur ! (Sourires.)
Mme Frédérique Puissat. Pas tous !
M. Yannick Neuder, ministre. Je parle en général, madame la sénatrice. Je n’entrerai pas dans ces considérations et ne dirai de mal de personne. (Sourires.)
Nous allons désormais pouvoir superposer la carte des zones rouges où seront appliqués les deux jours de solidarité par mois et celle des territoires prioritaires, comme l’Eure, où il est nécessaire de renforcer l’offre de soins.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 14 rectifié ter, 19 rectifié bis et 29 rectifié ter.
(Les amendements sont adoptés.)
M. Daniel Chasseing. Je retire l’amendement n° 28 rectifié, madame la présidente !
Mme la présidente. L’amendement n° 28 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 83 rectifié, présenté par M. Jomier, Mme Bélim, M. Bourgi, Mmes Canalès, Le Houerou, Lubin et Poumirol et MM. Redon-Sarrazy, Ros et M. Weber, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 22
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Le 1° et le 2° de l’article L. 6122-2 sont complétés par les mots : « et par le bilan mentionné à l’article L. 1434-14 ».
La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. Comme vous le savez, les agences régionales de santé sont responsables des autorisations d’activités de soins et d’installation d’équipements matériels lourds. Pour attribuer ces autorisations, elles doivent se fonder sur des critères qui sont précisés dans le code de la santé publique.
Cet amendement a pour objet d’ajouter à ces critères le bilan introduit par les rapporteurs à l’article 1er. En effet, nous constatons que certains offreurs de soins ne tiennent pas beaucoup compte – c’est un euphémisme – des besoins de santé dans leur stratégie d’implantation des nouveaux établissements ou équipements, laquelle répond avant tout à une logique financière.
Or le rapport d’information sur la financiarisation de l’offre de soins que j’ai commis avec Olivier Henno et Corinne Imbert montre que cette stratégie peut déséquilibrer l’offre de soin et aggraver les inégalités territoriales.
La présente proposition de loi ayant vocation à mieux équilibrer l’offre de soins sur le territoire, il me paraît naturel d’intégrer la prise en compte des résultats de ce bilan dans la décision d’autoriser ou non l’ouverture des établissements. Il convient en effet de contraindre ceux qui déposent les demandes d’autorisation, pour ne pas déséquilibrer davantage l’offre de soins.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Il serait bénéfique à double titre d’adopter cet amendement.
D’une part, ce dispositif contribuerait à améliorer la cohérence de notre politique de santé en prévoyant que les décisions de l’ARS soient éclairées. Il est en effet important que l’autorité décisionnelle dispose de tous les éléments existants avant de prendre sa décision ; il est nécessaire d’éviter que des bilans ou des schémas dorment sur des étagères sans être mis à profit.
D’autre part, la création d’établissements et l’installation d’équipements lourds seraient mieux régulées grâce à la prise en considération des véritables besoins du territoire, qui auront été préalablement identifiés.
Comme vous l’avez indiqué, mon cher collègue, notre récent rapport d’information sur la financiarisation de l’offre de soins souligne l’existence d’un risque de concentration de cette offre dans certains territoires et d’accentuation des déséquilibres territoriaux. Il préconise par conséquent de renforcer le dialogue entre les ARS et les élus locaux et de lutter contre l’implantation d’une offre non pertinente au regard des besoins de santé.
Les autorisations d’activités peuvent constituer un levier pour prévenir les déséquilibres territoriaux engendrés ou accentués par une offre financiarisée.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. Monsieur le sénateur Jomier, j’ai un avis mitigé sur votre amendement, même s’il vise – j’en conviens – à lutter contre la financiarisation de l’offre de soins. Si j’en partage l’esprit, la manière dont il est rédigé me pose problème.
Je suis très favorable à ce que l’installation d’équipements lourds découle d’un véritable besoin local. J’ai déjà eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle, plus les consultations de biologie et de radiologie seront organisées en petites unités primaires de soins, meilleur sera le maillage territorial et moins les urgences seront saturées, ce qui nous permettra de réorganiser l’hôpital.
En revanche, je ne suis pas d’accord pour que votre dispositif concerne toutes les autorisations : je ne partage donc pas la position de Mme la rapporteure.
Par ailleurs, dans la mesure où l’inspection générale des finances (IGF) et l’inspection générale des affaires sociales (Igas) s’apprêtent à rendre leurs conclusions sur la financiarisation de l’offre de soins et les autorisations d’activités, je ne saurai émettre un avis ferme avant d’en avoir pris connaissance.
Pour ces raisons, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur votre amendement.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Très bien !
Mme Corinne Imbert, rapporteure. C’est cohérent.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par Mme Muller-Bronn, MM. Reichardt, E. Blanc, Genet et Khalifé, Mme Aeschlimann, MM. Panunzi, Naturel et H. Leroy, Mmes Drexler, Belrhiti, Bonfanti-Dossat et Gosselin et MM. Bouchet, Bruyen et Sido, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À titre expérimental, sur le territoire de plusieurs départements, l’État et le département élaborent conjointement pour une durée de trois ans un schéma départemental de l’organisation des soins.
Ce schéma départemental est élaboré à partir des données de l’Assurance maladie et des projections en termes de formations, en lien avec le doyen de l’université de médecine de rattachement, les unions régionales des professionnels de santé, le comité stratégique, le groupement hospitalier territorial, le directeur de la caisse primaire d’assurance maladie et le conseil départemental. Il intégrera l’intervention de l’Inspection générale des affaires sociales au profit de chaque département afin d’établir un arbitrage objectif.
Il définit pour une durée de trois ans un programme d’actions destiné à définir les risques courants et complexes du département ainsi que les effets potentiels sur la santé ; les objectifs de couverture opérationnelle de la santé dans le département ; l’analyse statistique des données de « santé populationnelle » et des spécificités de chaque territoire.
Soumis à la concertation des communes et de leurs groupements, il fera ensuite l’objet d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens entre le département et la délégation de l’agence régionale de santé, l’assurance maladie et la faculté de santé.
Le représentant de l’État dans le département et le département veillent à la publicité du schéma et à son accessibilité à l’ensemble de la population intéressée, en assurant notamment une diffusion dématérialisée ainsi qu’un affichage dans les établissements préfectoraux et à l’hôtel du département.
À l’issue de cette expérimentation, un comité réunissant le préfet du département, le président du conseil départemental, les communes et leurs groupements, les principaux représentants des professionnels de santé, en réalise l’évaluation afin de déterminer les suites qu’il convient de lui donner.
La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.
Mme Laurence Muller-Bronn. Cet amendement a pour objet d’expérimenter, dans plusieurs départements, un schéma départemental de l’organisation des soins qui leur permette de mieux coordonner l’accès aux soins sur l’ensemble de leur territoire.
Nous nous sommes précédemment posé la question de l’organisation et du financement de l’offre de soins : le département organise, mais comment et avec quels moyens ?
Cette nouvelle organisation opérationnelle ferait l’objet d’une expérimentation pendant trois ans. Ce schéma serait élaboré en concertation avec les acteurs du secteur de la santé et les autres collectivités du département, notamment les communes, afin de définir les besoins de santé, leur mode de couverture et les moyens de les évaluer au plus près des territoires. Il s’agit d’une demande de Départements de France.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Cet amendement vise à créer, à titre expérimental, un schéma départemental de l’organisation des soins.
Vous l’avez dit, ma chère collègue, il reprend une proposition de Départements de France, qui ne nous en a cependant pas fait part lors de nos auditions.
Vous connaissez la philosophie de cette proposition de loi : faire le plus simple possible pour être le plus réactif et le plus agile possible. Si je soutiens la volonté de départementalisation de la politique de santé, notamment en matière d’accès aux soins, je ne souhaite pas rigidifier l’action des départements et des autres acteurs, d’autant qu’une telle expérimentation aura un coût. Je plaide plutôt pour davantage de souplesse.
La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle y sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 2
Après l’article L. 1411-1-2 du code de la santé publique, il est rétabli un article L. 1411-1-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 1411-1-3. – Dans le cadre de la définition et de la conduite de la politique de santé, le ministre chargé de la santé s’appuie sur un comité de pilotage de l’accès aux soins réunissant les directeurs d’administration centrale compétents, le directeur général de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie ainsi que les représentants des collectivités territoriales désignés par les principales associations de représentation des régions, des départements, des communes et de leurs groupements.
« Le comité de pilotage est consulté par le ministre chargé de la santé pour la définition des objectifs prioritaires en matière d’accès aux soins ainsi que lors de l’élaboration et pour le suivi des plans d’action nationaux et territoriaux destinés à réduire les inégalités sociales et territoriales en la matière.
« Dans le cadre de l’élaboration ou de la révision de la stratégie nationale de santé, le comité de pilotage propose des actions de déclinaison territoriale de la politique de santé permettant la prise en compte des besoins spécifiques à certains territoires, en particulier les territoires ruraux et insulaires, ainsi que d’éventuelles adaptations répondant aux spécificités des territoires ultramarins. »
Mme la présidente. L’amendement n° 91 rectifié, présenté par Mme Le Houerou, M. Fichet, Mme Poumirol, MM. Uzenat, Gillé et Kanner, Mmes Canalès, Conconne, Féret, Lubin et Rossignol, MM. Mérillou, P. Joly et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le dernier alinéa de l’article L. 1432-1 du code de la santé publique est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lors de l’évaluation de l’offre de soins et au moins une fois par an, les représentants des collectivités territoriales mentionnés à l’article L. 1434-10 du présent code sont associés. »
La parole est à Mme Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou. Cet amendement vise à mieux associer les collectivités territoriales au pilotage départemental de l’offre de soins, en renforçant la présence des représentants des communes et des conseils départementaux au sein des délégations départementales des ARS, au-delà de ce qui est prévu dans le code de la santé publique.
Par ailleurs, monsieur le ministre, nous attendons les décrets d’application des dispositions de la loi 3DS, dont l’objet est de renforcer l’expression de la démocratie locale et de mieux ancrer l’action des services déconcentrés de l’État au sein des territoires afin de soutenir les projets locaux.
Cette nouvelle architecture s’articule difficilement avec l’existant.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Cet amendement tend à réécrire l’article 2. Il a pour objet de remplacer le comité de pilotage de l’accès aux soins par le simple fait d’associer des représentants des collectivités territoriales à l’évaluation des besoins.
Ma chère collègue, vous soulignez la faiblesse des délégations départementales des ARS. Je ne peux que vous rejoindre sur ce point : le décret définissant les missions que la loi leur confère depuis février 2022 n’est en effet toujours pas publié. Comment voulez-vous, monsieur le ministre, que la territorialisation de nos politiques de santé puisse fonctionner dans ce contexte ?
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. Même avis défavorable.
En ce qui concerne les décrets d’application de la loi 3DS, il me semble qu’ils sont du ressort du ministère de l’aménagement du territoire. Je vous promets de me pencher sur la question.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Je comprends de l’avis rendu par la rapporteure que, sur le fond, le dispositif de cet amendement est plutôt intéressant, car il tend à renforcer les délégations départementales des ARS, auxquelles nous avons, il est vrai, régulièrement affaire.
Toutefois, l’avis de la commission est défavorable, car, tel qu’il est rédigé, cet amendement vise à se substituer à l’article 2 dans son ensemble.
Aussi, j’invite Mme Le Houerou à rectifier cet amendement pour faire en sorte que son dispositif s’ajoute à celui de l’article 2 et ne le remplace plus. Nous conserverions ainsi la création d’un comité de pilotage de l’accès aux soins, une très bonne mesure proposée par la commission, tout en renforçant les délégations départementales des ARS.
Mme la présidente. Madame Le Houerou, acceptez-vous de rectifier votre amendement dans le sens suggéré par M. Lemoyne ?
Mme Annie Le Houerou. Je ne m’y oppose pas, mais il me semble que mon amendement tend déjà à compléter l’article 2.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Quoi qu’il en soit, cela ne changera pas l’avis de la commission…
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. L’avis de la commission n’en resterait pas moins défavorable. Le comité de pilotage national défini par l’article 2 associe déjà les élus locaux. Aussi, nous ne souhaitons ni réécrire cet article ni le compléter.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé, pour explication de vote.
M. Hervé Gillé. Annie Le Houerou ne pouvant plus intervenir, je m’exprime en son nom pour dire qu’elle accepte de rectifier son amendement dans le sens suggéré par Jean-Baptiste Lemoyne.
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 91 rectifié bis, présenté par Mme Le Houerou, M. Fichet, Mme Poumirol, MM. Uzenat, Gillé et Kanner, Mmes Canalès, Conconne, Féret, Lubin et Rossignol, MM. Mérillou, P. Joly et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
…° Le dernier alinéa de l’article L. 1432-1 du code de la santé publique est complété par une phrase ainsi rédigée : « Lors de l’évaluation de l’offre de soins et au moins une fois par an, les représentants des collectivités territoriales mentionnés à l’article L. 1434-10 du présent code sont associés. »
La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. J’entends le débat : le renforcement des compétences et des moyens des ARS à l’échelon départemental est un vrai sujet.
Toutefois, la commission n’a pas pu étudier la mesure que vous proposez, madame Le Houerou, d’autant qu’elle ne s’inscrit pas vraiment dans la logique que nous défendons, qui consiste à renforcer la position des élus plutôt que celle des ARS.
Par cohérence, nous sommes donc défavorables à votre démarche.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Le débat qui vient de s’engager est tellement intéressant qu’il serait utile de l’approfondir.
L’article 2 est censé renforcer le pilotage de la politique de santé à l’échelon départemental. Or, au fur et à mesure de nos échanges, nous constatons que les points de vue divergent sur l’intérêt qu’il y aurait à renforcer les compétences des ARS, y compris à cet échelon départemental. En effet, le président de la commission vient de nous expliquer qu’il s’agirait plutôt de faire en sorte que les élus locaux jouent un rôle plus important.
J’ai déjà exprimé par le passé les réserves qui sont les miennes à l’encontre des ARS. Dans la mesure où j’estime bénéfique d’adopter la maille la plus fine, l’échelon départemental ne me semble pas inopportun.
Pour autant, la santé est un domaine régalien. Vous l’avez d’ailleurs vous-même rappelé, monsieur le ministre. Si nous choisissons de nous orienter, lentement mais sûrement, vers un modèle reposant sur les élus locaux et les collectivités, nous allons donc au-devant de nouveaux problèmes. Comme l’ont dit certains de mes collègues, les départements n’ont actuellement ni les moyens ni les outils pour piloter seuls notre politique de santé. C’est pourquoi j’estime que celle-ci doit continuer de relever du ressort de l’État.
Ce débat mériterait en tout cas d’être engagé « à livre ouvert », si je puis dire.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Mes chers collègues, vous mélangez deux sujets.
L’article 2 crée un comité de pilotage national, auquel nous associons les élus locaux. Or vous êtes en train de « remettre en selle » les ARS.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Pour associer les élus locaux !
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Pas tout à fait…
J’ai cru comprendre de nos débats que nous étions d’accord sur le fait que la maille départementale était la bonne pour apprécier les besoins de santé.
C’est pourquoi nous donnons, à l’article 1er, la main aux élus locaux, qui devront se concerter pour élaborer un zonage faisant l’objet d’un avis conforme. C’est le cœur du dispositif.
L’article 2 porte sur le comité de pilotage de l’accès aux soins, qui comporte également des élus locaux. Il n’est nullement question ici de renforcer les ARS ! J’ai certes affirmé que les délégations départementales des ARS avaient été affaiblies par le passé, mais ce n’est pas l’objet de cet article.
Je le répète, l’avis de la commission reste défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 91 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 36 rectifié, présenté par M. Chasseing, Mme Lermytte, M. Laménie, Mme L. Darcos, MM. A. Marc, Chevalier, Brault, Grand et Rochette et Mmes Romagny et Perrot, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 1411-1-3. – Dans le cadre de la définition et de la conduite de la politique de santé, le ministre chargé de la santé s’appuie sur l’Office national de l’évaluation de la démographie des professions de santé défini au I de l’article L. 1434-14. »
II. – Alinéa 3
Remplacer les mots :
Le comité de pilotage
par les mots :
L’Office national de l’évaluation de la démographie des professions de santé
III. – Alinéa 4
Remplacer les mots :
le comité de pilotage
par les mots :
l’Office national de l’évaluation de la démographie des professions de santé
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Je souhaite moi aussi renforcer l’échelon départemental, en revenant sur la création du comité de pilotage de l’accès aux soins prévue à l’article 2.
L’article 1er crée déjà un Office national de l’évaluation de la démographie des professions de santé : cette instance pourrait assumer le rôle dudit comité de pilotage.
À mon sens, le ministre pourrait tout à fait s’appuyer sur cette structure, émanation des offices départementaux. Je suis bien sûr prêt à retirer mon amendement, mais je m’interroge, à cet égard, sur l’existence d’un éventuel doublon.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 15 rectifié bis est présenté par Mme Guillotin, MM. Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold et Grosvalet, Mme Jouve et MM. Masset, Roux et Daubet.
L’amendement n° 46 rectifié ter est présenté par Mme Bourcier, M. Capus, Mme Lermytte, MM. Chasseing et Brault, Mme L. Darcos et MM. A. Marc, V. Louault et Khalifé.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 2
Après le mot :
maladie
insérer les mots :
, les représentants des ordres nationaux des professions médicales
La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour présenter l’amendement n° 15 rectifié bis.
Mme Véronique Guillotin. L’article 2 crée un comité de pilotage de l’accès aux soins regroupant les principaux acteurs de l’offre de soins et les représentants des collectivités territoriales.
Cette instance sera chargée de suivre les plans d’action nationaux et territoriaux. Elle devra, en outre, adapter la stratégie de santé aux spécificités locales.
Pour qu’il puisse pleinement assumer sa mission, ce comité doit bel et bien réunir tous les acteurs disposant d’une expertise utile et d’une responsabilité directe dans l’organisation des soins.
Il nous semble que les représentants du Conseil national de l’ordre des médecins y auraient leur place. Cet acteur connaît le terrain et travaille en lien étroit avec les médecins. Il est, de surcroît, de plus en plus engagé dans la territorialisation de la santé et de la médecine.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte, pour présenter l’amendement n° 46 rectifié ter.
Mme Marie-Claude Lermytte. Dans la rédaction actuelle, aucune profession médicale n’est représentée au sein du comité de pilotage. Or il paraît nécessaire d’y prévoir la représentation du Conseil national de l’ordre des médecins.
Mme la présidente. L’amendement n° 49 rectifié, présenté par MM. V. Louault, Laménie et Chasseing, Mme Lermytte et M. A. Marc, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
ainsi que les représentants nationaux des ordres et des syndicats représentatifs des professionnels de santé
La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte.
Mme Marie-Claude Lermytte. Cet amendement est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Les dispositions de l’amendement n° 36 rectifié, présenté par M. Chasseing, s’opposent à l’esprit même de l’article 2, lequel crée une instance de dialogue et de réflexion spécifiquement chargée de prendre en compte la connaissance des territoires et l’avis des élus locaux.
Mes chers collègues, peut-être cette réflexion mérite-t-elle d’être encore un peu mûrie. Mais chacun, à présent, a bien compris le sens des offices départementaux. L’office national aura pour mission de synthétiser les zonages décidés par les offices départementaux. Quant au comité de pilotage, il assurera lui aussi l’association des élus locaux. C’est indispensable pour éviter une logique trop descendante.
C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 36 rectifié.
De même, la commission est défavorable aux amendements identiques nos 15 rectifié bis et 46 rectifié ter, ainsi qu’à l’amendement n° 49 rectifié, lesquels visent à modifier la composition du comité de pilotage.
Bien sûr, nul ne conteste l’expertise des différents ordres professionnels, mais – souvenez-vous – ils sont déjà associés : ils sont représentés au sein des offices départementaux, c’est-à-dire dès le premier échelon. Avec les délégations départementales des ARS et les CPAM, ils doivent concourir à la bonne évaluation des besoins.
En revanche, je vous proposerai dans quelques instants un amendement visant à préciser que la composition du comité est fixée par décret : cette méthode sera gage de flexibilité. Mieux vaut, en effet, ne pas figer dans la loi la liste des instances représentées dans ce cadre.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Monsieur Chasseing, l’amendement n° 36 rectifié est-il maintenu ?
M. Daniel Chasseing. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 36 rectifié est retiré.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 15 rectifié bis et 46 rectifié ter.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 121, présenté par Mme Imbert, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Les règles relatives à la composition et au fonctionnement du comité de pilotage de l’accès aux soins sont fixées par décret. »
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Les dispositions que je vais présenter permettront, je l’espère, de satisfaire tout le monde.
Cet amendement tend à préciser que les règles relatives au fonctionnement et à la composition du nouveau comité de pilotage sont fixées par décret. Dès lors, il sera possible de compléter la composition du comité afin d’améliorer la prise en compte des spécificités locales et, ce faisant, de renforcer la lutte contre les inégalités territoriales d’accès aux soins.
J’y insiste, il est essentiel d’associer les élus locaux à ce travail.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. L’article 1er valorise l’échelon départemental, dans une logique ascendante ; quant à l’article 2, qui vient en quelque sorte en miroir, il porte sur le pilotage national et assure une déclinaison territoriale, censée nourrir une stratégie nationale de santé, en vertu du quatrième alinéa, mais dans une logique descendante.
Un tel choix m’inspire tout de même quelques doutes quant à la stratégie nationale de santé.
À cet égard, j’observe comme une ligne de partage dans cet hémicycle.
Dans l’ensemble, nous sommes convaincus de la nécessité de partir de la maille départementale pour conduire les nécessaires évolutions de notre système de santé. En ce sens, il faut mieux identifier les besoins et les priorités locaux. (M. le ministre acquiesce.) Par son amendement, Mme Muller-Bronn proposait d’aller très loin et très vite dans ce sens – probablement trop loin et trop vite d’ailleurs.
Dans le même temps, un certain nombre d’entre nous sont attachés au principe, rappelé par Mme Brulin, selon lequel la santé relève du domaine régalien.
Le code de la santé publique reste marqué par cette règle : c’est l’État qui mène la politique de santé. Mais on voit aussi l’impasse dans laquelle nous conduit une telle gestion verticale, descendante, y compris en matière budgétaire, quand elle est appliquée de manière systématique.
Au sein de notre commission des affaires sociales, nous avons suffisamment critiqué la manière dont est construit l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), répété un peu mécaniquement, année après année, et qui n’est pas élaboré à partir des besoins des territoires.
L’examen du présent texte met au jour cette tension. En parallèle, il nous montre combien nous aurions intérêt, pour construire nos politiques de santé, à partir d’une analyse des besoins et des priorités des territoires. En cela, notre travail peut être très fructueux.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. Monsieur le sénateur, cette discussion me semble particulièrement riche et nous rappelle, si besoin était, tout l’intérêt de nos débats.
En posant de telles questions, vous vous projetez déjà vers le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Je vous interroge en retour : selon vous, faudrait-il opter pour des objectifs régionaux de dépenses d’assurance maladie ? Serait-il pertinent, en d’autres termes, de passer de l’Ondam à des Ordam ?
M. Bernard Jomier. Malheureusement, je ne peux pas vous répondre ! (Sourires.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Chapitre II
Renforcer l’offre de soins dans les territoires sous-dotés
Avant l’article 3
Mme la présidente. L’amendement n° 103 rectifié bis, présenté par M. Fichet, Mmes Le Houerou et Poumirol, MM. Uzenat, Gillé et Kanner, Mmes Conconne, Canalès, Féret, Lubin et Rossignol, MM. Mérillou, P. Joly et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La première phrase du premier alinéa de l’article L. 6314-1 du code de la santé publique est remplacée par deux phrases ainsi rédigées : « La mission de service public de permanence des soins est assurée, en collaboration avec les établissements de santé et en concertation avec les professionnels de santé, le cas échéant regroupés sous la forme d’une communauté professionnelle territoriale de santé, par les médecins mentionnés à l’article L. 162-5 du code de la sécurité sociale, âgés de moins de cinquante-cinq ans, dans le cadre de leur activité libérale, et aux articles L. 162-5-10 et L. 162-32-1 du même code, dans les conditions définies à l’article L. 1435-5 du présent code, de manière obligatoire si la continuité du service public l’exige. Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent alinéa. »
La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Cet amendement du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vise à rétablir l’obligation de garde pour les médecins libéraux, selon des modalités définies contractuellement avec les agences régionales de santé. Cette obligation serait limitée aux médecins de moins de 55 ans.
Depuis la suppression de cette obligation, décidée en 2002, on observe une dégradation continue de la permanence des soins. Fondé sur le seul volontariat, le système actuel ne suffit plus à répondre aux besoins : on le constate tout particulièrement dans les déserts médicaux, où l’absence de médecins de garde contribue directement à l’engorgement des services d’urgence.
La revalorisation de la consultation n’a pas permis de résoudre ce problème. Le constat est clair : faute de garde, les patients ne peuvent recourir à la médecine de ville et se tournent massivement vers l’hôpital.
Certes, les maisons médicales de garde ont apporté un début de réponse, mais elles ne suffisent pas à combler le vide laissé par la fin de l’obligation de garde. Il est temps de revenir sur cette erreur de 2002, en réaffirmant que la permanence des soins fait pleinement partie des missions de la médecine de ville.
Cette continuité du service public repose sur les agences régionales de santé, lesquelles doivent pouvoir mobiliser en priorité les établissements publics de santé, ainsi que les médecins libéraux, lorsque les besoins du territoire l’exigent.
En complément d’une meilleure répartition des professionnels sur le territoire, nous proposons donc de rétablir l’obligation de garde, dans une logique de coopération avec les établissements de santé et en lien avec les communautés professionnelles territoriales de santé, lorsque c’est possible.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Mon cher collègue, si l’on en croit les derniers chiffres publiés par le Conseil national de l’ordre des médecins, lesquels ne datent que de quelques semaines, la permanence des soins ambulatoires atteint un taux de couverture territoriale très élevé, s’élevant à 97 % en 2024. Ce système fondé sur le volontariat produit donc des résultats, notamment en soirée et le week-end.
En outre, par cet amendement, vous ne distinguez pas, parmi l’ensemble des praticiens, les médecins généralistes ou les médecins de premier recours. Vous appliquez à tous les médecins libéraux de moins de 55 ans la même obligation de garantir la continuité du service public.
Enfin, avec le présent texte, nous demandons déjà beaucoup aux médecins. Le rétablissement de l’obligation de garde, dont l’effet concret sur la prise en charge pose lui-même question, alimenterait encore un certain nombre de tensions.
J’ai discuté de cette question avec une jeune femme médecin, pas plus tard que cet après-midi. Évoquant la féminisation de la profession, qui est indéniable, mon interlocutrice m’a déclaré : « Est-ce que vous pensez aux femmes médecins qui ont de jeunes enfants… » (Mmes Émilienne Poumirol et Laurence Muller-Bronn protestent.)
Mme Céline Brulin. Les hommes aussi ont de jeunes enfants !
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Ma chère collègue, laissez-moi finir ma phrase, que je peux d’ailleurs aussi décliner au masculin…
« Est-ce que vous pensez, me disait-elle, à ces jeunes mères dont le conjoint est régulièrement en déplacement et qui seraient confrontées à une obligation de garde ? »
Je peux tout aussi bien citer le cas de jeunes pères médecins dont l’épouse ou la compagne doit, du fait de son travail, s’éloigner de son domicile. Il faut également prendre en compte ces diverses contraintes personnelles, d’autant que – je le répète – le taux de couverture territoriale est déjà élevé.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. Monsieur le sénateur Fichet, je suis très défavorable à cet amendement.
Bien sûr – je suis complètement d’accord avec vous sur ce point –, la médecine de ville doit organiser sa propre permanence des soins. Mais, avec de telles dispositions, vous interdisez purement et simplement aux médecins de plus de 55 ans de participer à la garde, même s’ils sont volontaires.
Or nous sommes en train d’étudier les moyens grâce auxquels des médecins retraités pourraient reprendre une activité à temps partiel.
Nous n’avons pas encore évoqué cette difficulté ce soir, mais nous y viendrons certainement dans la suite du débat. Pour l’heure, les jeunes retraités qui souhaitent reprendre une activité médicale se heurtent à la problématique de la cotisation de retraite à la caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf). À l’évidence, le système actuel n’est pas assez incitatif.
J’ai pu le constater récemment, en particulier à Mayotte et à La Réunion : parmi leurs volontaires, les services de sécurité civile comme ceux de la Croix-Rouge dénombrent beaucoup de jeunes retraités.
Je ne sais pas si, dans l’absolu, l’âge est un bon critère. Pour renforcer la permanence des soins, il me semble même préférable de créer une réserve de retraités des professions médicales et paramédicales. De telles équipes seraient à même d’agir pour améliorer un certain nombre de situations.
Je ne citerai pas d’âge, car je ne voudrais pas relancer le débat des retraites, mais je l’ai observé moi-même : lorsqu’ils partent à la retraite, disons à 65 ans, avec une marge de plus ou moins deux ans – comme cela, je ne prends pas trop de risques (Sourires.) –, mes confrères sont très contents. Ils peuvent reprendre telle ou telle activité qu’ils avaient jusqu’alors négligée. Mais, après quelques mois, certains d’entre eux ont de nouveau très envie d’exercer la médecine, à condition que ce ne soit pas avec la même charge mentale et en assumant les mêmes obligations.
Cette réserve de retraités, que l’on pourra appeler comme vous le voudrez, pourrait être extrêmement utile, par exemple dans le secteur de la médecine scolaire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn, pour explication de vote.
Mme Laurence Muller-Bronn. Mme la rapporteure a cité le cas des médecins mères de jeunes enfants. Mais que dire des infirmières, qui travaillent si souvent les samedis et les dimanches ? Ayant des parents vieillissants, je suis bien placée pour le savoir. D’ailleurs, avec les pharmaciens, les infirmières sont les seules à être contactées le week-end par les familles ; ce sont elles qui assurent la présence de proximité.
Beaucoup de professionnelles de santé ont de jeunes enfants, et l’on ne se demande pas comment elles font…
À mon sens, les gardes étaient bel et bien nécessaires, et le roulement assuré fonctionnait de manière satisfaisante. Leur disparition a entraîné une véritable carence dans nos territoires.
Je suis assez étonnée d’entendre un tel argument, que l’on pourrait invoquer pour beaucoup de professions, notamment les métiers du soin et du secours, dans lesquels on travaille le samedi, le dimanche ou encore de nuit. D’ailleurs, la semaine dernière, on ne l’a pas du tout évoqué au sujet des infirmiers et des infirmières qui, eux aussi, ont des enfants.
Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est vrai !
Mme Céline Brulin. Exact !
Mme la présidente. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour explication de vote.
Mme Émilienne Poumirol. Pour ma part, je tiens à revenir sur notre amendement, qui tend à rétablir la permanence des soins ambulatoires (PDSA) pour l’ensemble des médecins.
Madame la rapporteure, vous faites valoir que 97 % des gardes sont assurées : nous ne sommes donc pas à 100 %, ce qui en soi n’est pas satisfaisant.
Surtout, nous ne demandons pas que chaque médecin soit de garde en permanence. Nous proposons simplement d’assurer une répartition dans les territoires, par exemple à l’échelle des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) ou de la CPTS, en accord avec l’ARS.
Il ne s’agit pas d’imposer à chaque médecin d’être là tous les week-ends. Je l’ai vécu personnellement : quand on est douze dans un groupe de formation continue et que l’on se répartit les nuits et les week-ends de garde, on n’assume qu’une semaine et qu’un week-end de garde sur douze. Ce n’est quand même pas insurmontable !
Très prosaïquement, j’estime que c’est une aberration d’être médecin généraliste sans jamais faire de gardes. Ayons bien en tête que seuls 38 % des généralistes assurent la garde aujourd’hui ! Ce service repose sur les épaules de 38 % d’entre eux, ce qui veut dire que les autres n’en font jamais ! Un tel refus me semble proprement incohérent lorsqu’on choisit cette profession.
J’y insiste, il faut rétablir la PDSA à l’échelle de nos territoires. L’organisation retenue devra avoir reçu l’aval de l’ARS, mais elle sera très facile à trouver : il suffit que quelques confrères médecins se parlent de temps en temps, et ce sera vite fait.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 103 rectifié bis.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 269 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Pour l’adoption | 123 |
Contre | 196 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 68, présenté par Mmes Brulin, Apourceau-Poly et Silvani, M. Barros et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Avant l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 6315-1 du code de la santé publique, les mots : « indiquer à ses patients le confrère auquel ils pourront s’adresser en son absence » sont remplacés par les mots : « s’assurer de la continuité des soins y compris la nuit, les week-ends et les jours fériés dans le territoire ».
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ces dispositions connaîtront sans doute le même sort que celles que vient de défendre M. Fichet : je ne me fais guère d’illusions. Je n’aime pas me faire mal, mais je vais tout de même défendre cet amendement ! (Sourires.)
Nous l’avons dit et répété, 11,6 % de la population française vit aujourd’hui dans une zone sous-dotée en médecins généralistes. En outre, 10 millions de Français vivent dans un territoire où la qualité de l’accès aux soins est inférieure à la moyenne nationale, et 10 millions de nos concitoyens vivent à plus de trente minutes d’un service d’urgence.
L’idée selon laquelle les déserts médicaux sont nécessairement des zones rurales isolées et dépeuplées est désormais totalement dépassée : une grande partie du territoire français est frappée par ce phénomène, y compris au cœur des métropoles.
Selon une enquête menée par le Conseil national de l’ordre des médecins et publiée en 2021, seuls 39,3 % des généralistes ont effectué une garde en 2020. Or, comme l’a fort bien dit Mme Muller-Bronn, beaucoup de professionnels du soin doivent assumer des obligations comparables. Je pense notamment aux infirmières – nous avons d’ailleurs débattu la semaine dernière d’une proposition de loi sur la profession d’infirmier – et aux aides-soignantes, qui font régulièrement des nuits dans les hôpitaux.
Dans vingt-neuf départements, il n’y a plus un seul médecin de garde après minuit ; et, même lors des soirées de semaine, la permanence des soins n’est pas toujours assurée. Je le constate dans mon département du Pas-de-Calais, où le nombre de secteurs de garde a été réduit de cinquante-deux à vingt-sept.
Face à cette situation, nous proposons de rétablir la permanence des soins la nuit, les week-ends et les jours fériés. Cette mesure devra nécessairement aller de pair avec une réévaluation des tarifs des gardes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Cet amendement vise à contraindre l’ensemble des médecins à assurer la continuité des soins, y compris la nuit, les week-ends et les jours fériés, en rétablissant le tour de garde obligatoire.
Pour les raisons indiquées précédemment, ces dispositions reçoivent un avis défavorable.
Ma chère collègue, vous avez raison, un certain nombre d’infirmières et d’aides-soignantes assurent des gardes de nuit, notamment dans les établissements hospitaliers. Mais, en l’occurrence, nous parlons d’un exercice libéral.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Et alors ?
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Sauf erreur de ma part, les infirmières et infirmiers libéraux travaillent le week-end, mais n’assurent pas de garde de nuit, comme vous le souhaiteriez pour les médecins libéraux. Le parallèle ne vaut que partiellement, car – je le répète – il faut bien distinguer l’exercice assuré dans les établissements de soins de l’exercice libéral.
Enfin, même si l’on peut débattre des différents chiffres et, en particulier, du taux de participation des médecins généralistes au service de garde, je rappelle que la permanence des soins est déjà largement assurée.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Ma chère collègue, je comprends bien sûr le sens de cet amendement. Toutefois, au-delà des problèmes soulevés par Mme la rapporteure, je ne vois pas l’intérêt de mentionner ici ce que l’on appelle la « nuit profonde ».
Vous déplorez que, dans un certain nombre de départements, il n’y ait pas de médecin de garde en nuit profonde, mais un tel service n’a pas d’intérêt : c’est amplement démontré. En nuit profonde, c’est-à-dire après minuit, la demande est très faible, et elle relève clairement des établissements de soins.
Un médecin chargé d’assurer une garde au cœur de la nuit ne sera réveillé qu’une fois et ne travaillera pas le lendemain matin : en optant pour une telle organisation, on perdra du temps médical pour un gain presque nul en matière de santé. (M. le ministre le confirme.) Non seulement de telles gardes n’ont pas d’intérêt en tant que telles, mais leur mise en œuvre dégraderait l’offre de soins en journée, ce qui serait contre-productif. J’y insiste, car je sais bien que vous visez l’inverse.
Je voterai contre cet amendement. (Mme Élisabeth Doineau applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. J’abonde dans le sens de M. Jomier.
À titre personnel, j’ai voté le précédent amendement, car je suis pour le principe de la garde ; mais je confirme que de telles gardes de nuit n’ont plus d’intérêt.
J’ai assuré des gardes de nuit tous les deux jours pendant trente-cinq ans, mais la situation actuelle est complètement différente de celle que j’ai pu connaître ! Il y a le service d’accès aux soins (SAS), les patients appellent le 15 et, en cas d’urgence vitale, ils peuvent bien sûr recourir au service d’aide médicale urgente (Samu).
Les gardes au cabinet ont un intérêt jusqu’à minuit. Elles sont assurées ici ou là, selon une organisation en vigueur depuis dix ou quinze ans. Il faut s’efforcer de les développer, par exemple en lien avec les CPTS, quand la situation s’y prête. À ce titre, il faut procéder à l’échelle des territoires, en accord avec les médecins, mais pas pour la nuit profonde.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Fichet. Mes chers collègues, en dehors du cas précis de la nuit profonde, l’organisation des gardes est un enjeu considérable.
En outre, je pense aux nombreux Ehpad qui, dans notre pays, n’ont pas de médecin à demeure. Si un résident tombe de son lit au beau milieu de la nuit, on n’a aucun moyen de vérifier la gravité de la chute : on ne peut donc qu’appeler une ambulance pour envoyer la personne âgée aux urgences, ce qui coûte des sommes faramineuses. Si un médecin pouvait venir assez rapidement pour dire si la chute est grave ou non, il réglerait beaucoup de problèmes.
M. Jean-Luc Fichet. À cet égard, les arguments que j’entends me semblent quand même très surprenants.
Aujourd’hui, nombre d’administrés n’ont d’autre choix que de se rendre aux urgences pour des problèmes relevant de la bobologie, au motif que l’on ne peut pas obliger les médecins à assurer des gardes.
On a cité le cas des médecins parents de jeunes enfants ; à présent, on nous parle de la nuit profonde. De tels arguments me paraissent assez légers face à la réalité des besoins.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.
Mme Céline Brulin. Il me semble à la fois légitime et utile de débattre du rétablissement des gardes obligatoires. Mais encore faut-il veiller à ne caricaturer personne !
Par cet amendement, nous entendons assurer « la continuité des soins y compris la nuit, les week-ends et les jours fériés dans le territoire ». Si l’on estime que la nuit profonde est comprise dans une telle rédaction, et s’il s’agit pour certains d’un obstacle majeur, peut-être pourrions-nous rectifier notre amendement.
Mais les patients ne peuvent pas comprendre que 60 % des personnes épousant la carrière de médecin généraliste refusent purement et simplement de faire des gardes.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Eh oui !
Mme Céline Brulin. Bien sûr, certains de ces médecins ont de jeunes enfants. Mais je peux vous citer quantité de professions travaillant la nuit, les jours fériés ou encore les week-ends dont les membres ont de jeunes enfants : cela ne pose problème à personne.
M. Hervé Gillé. Les pompiers par exemple !
Mme Céline Brulin. Pourquoi donc y aurait-il une profession, je suis même tentée de dire une corporation, pour qui la moindre exigence serait intolérable ?
Si nous vivions dans le meilleur des mondes possibles, si chacun avait accès aux soins sans aucun problème, nous pourrions entendre de tels arguments. Je suis la première à défendre l’amélioration des conditions de travail. Je suis la première à dire que chacun doit pouvoir s’épanouir dans sa vie personnelle en parallèle de son travail. Mais vous voyez dans quelle situation nous sommes.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Visiblement non…
Mme Céline Brulin. Pour ma part, j’espère que tous nos concitoyens entendront ces échanges : notre débat est sacrément éclairant sur l’idée que les uns et les autres se font ici de l’accès de chacun à la santé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée, pour explication de vote.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. J’énonce, s’il en était besoin, une raison supplémentaire de ne pas voter cet amendement.
Autant l’amendement précédent soulevait une question légitime, autant celui-ci tend-il à modifier l’article L. 6315-1 du code de la santé publique, que je vous invite à consulter. En effet, cet article fait référence à une responsabilité individuelle du médecin. Ainsi, si cet amendement était adopté, cela ferait peser sur le médecin, à titre individuel, la responsabilité, qui peut aller jusqu’au pénal – car les mots ont un sens –, de la continuité du système de soins le jour, la nuit, le week-end, toute l’année. Cela n’est pas raisonnable.
La question de la permanence des soins est légitime, mais on ne peut y répondre en rendant chaque médecin responsable de la continuité de l’ensemble du système de soins.
Mme la présidente. La parole est à Mme Solanges Nadille, pour explication de vote.
Mme Solanges Nadille. Je m’exprime rarement, mais je ne comprends pas les propos que vous venez de tenir, ma chère collègue. Dans le pacte de lutte contre les déserts médicaux du Gouvernement, il est question de solidarité : elle doit s’appliquer à tous.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 68.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 270 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 117 |
Contre | 222 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Chapitre II
Renforcer l’offre de soins dans les territoires sous-dotés
Article 3
I. – Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° À la première phrase du 1° du I de l’article L. 1434-3, après le mot : « installation », sont insérés les mots : « exercée, pour les médecins, dans les conditions prévues aux articles L. 4131-8 et L. 4131-9 » ;
2° L’article L. 1434-4 est ainsi modifié :
a) Au 1°, après le mot : « médicales », sont insérés les mots : « dont l’installation peut être conditionnée à un engagement d’exercice à temps partiel en application des articles L. 4131-8 et L. 4131-9 ou » ;
b) À la première phrase du 2°, après le mot : « santé », sont insérés les mots : « et des spécialités médicales dont l’installation est préalablement autorisée en application des articles L. 4131-8 et L. 4131-9 du présent code ou » ;
c) L’avant-dernier alinéa est ainsi modifié :
– la quatrième occurrence du mot : « et » est remplacée par le signe : « , » ;
– après la référence : « L. 1435-5-4 », sont insérés les mots : « , L. 4131-8 et L. 4131-9 » ;
3° Après le chapitre Ier du titre III du livre Ier de la quatrième partie, il est inséré un chapitre Ier bis ainsi rédigé :
« CHAPITRE IER BIS
« Conditions d’installation dans les zones les mieux dotées
« Art. L. 4131-8. – L’installation d’un médecin généraliste dans une zone dans laquelle le niveau de l’offre de soins est particulièrement élevé au sens du 2° de l’article L. 1434-4 est préalablement autorisée par le directeur général de l’agence régionale de santé, après avis du conseil départemental de l’ordre des médecins.
« L’autorisation est conditionnée à un engagement du médecin généraliste à exercer à temps partiel dans une zone caractérisée par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins au sens du 1° du même article L. 1434-4. Le directeur général ne peut refuser ou retirer l’autorisation, après que le médecin a été mis en mesure de présenter ses observations, que pour des motifs tenant à l’inexistence, à l’insuffisance ou à la méconnaissance de cet engagement.
« Un décret en Conseil d’État, pris après avis du Conseil national de l’ordre des médecins, fixe les conditions d’application du présent article, notamment :
« 1° La durée mensuelle minimale et les modalités d’exercice à temps partiel dans une zone caractérisée par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins au sens du 1° de l’article L. 1434-4 ;
« 2° Les modalités de formalisation de l’engagement d’exercice à temps partiel du médecin généraliste et de contrôle de son respect ;
« 3° Les conditions de retrait de l’autorisation d’installation par le directeur général de l’agence régionale de santé en cas de méconnaissance de l’engagement d’exercice à temps partiel.
« Art. L. 4131-9. – I. – L’installation d’un médecin spécialiste dans une zone dans laquelle le niveau de l’offre de soins est particulièrement élevé au sens du 2° de l’article L. 1434-4 est préalablement autorisée par le directeur général de l’agence régionale de santé, après avis du conseil départemental de l’ordre des médecins.
« Cette autorisation est conditionnée à la cessation concomitante d’activité d’un médecin de la même spécialité exerçant dans la même zone.
« L’installation d’un médecin spécialiste peut toutefois être autorisée en l’absence de cessation concomitante d’activité d’un médecin de la même spécialité :
« 1° Lorsque le médecin spécialiste s’engage à exercer à temps partiel dans une zone caractérisée par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins au sens du 1° du même article L. 1434-4 ;
« 2° À titre exceptionnel et sur décision motivée du directeur général de l’agence régionale de santé, lorsque l’installation est nécessaire pour maintenir l’accès aux soins dans le territoire.
« Les autorisations accordées en application du 1° du présent I peuvent être retirées par le directeur général de l’agence régionale de santé, après que le médecin a été mis en mesure de présenter ses observations, en cas de méconnaissance de l’engagement d’exercice à temps partiel.
« II. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis du Conseil national de l’ordre des médecins, fixe les conditions d’application du I, notamment :
« 1° Les modalités d’identification du médecin spécialiste autorisé à s’installer, lors de la cessation d’activité d’un médecin de la même spécialité dans la même zone ;
« 2° La durée mensuelle minimale et les modalités d’exercice à temps partiel dans une zone caractérisée par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins au sens du 1° de l’article L. 1434-4 ;
« 3° Les modalités de formalisation de l’engagement d’exercice à temps partiel du médecin spécialiste et de contrôle de son respect ;
« 4° Les conditions de retrait de l’autorisation d’installation par le directeur général de l’agence régionale de santé en cas de méconnaissance de l’engagement d’exercice à temps partiel. »
II. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° À l’article L. 162-2, après la dernière occurrence du mot : « médecin », sont insérés les mots : « exercée dans les conditions prévues aux articles L. 4131-8 et L. 4131-9 du code de la santé publique » ;
2° L’article L. 162-5 est complété par un 29° ainsi rédigé :
« 29° Les conditions et modalités de participation financière aux frais et investissements engagés par les médecins afin de respecter l’engagement d’exercice à temps partiel dans une zone caractérisée par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins mentionné à l’article L. 4131-8 et au 1° du I de l’article L. 4131-9 du code de la santé publique. »
III. – Les I et II entrent en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État et, au plus tard, un an après la promulgation de la présente loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin, sur l’article.
Mme Céline Brulin. Avec l’article 3, nous en arrivons au dispositif visant à renforcer l’offre de soins dans les territoires. En toute logique, l’article renvoie au décret qui en précisera les modalités de mise en œuvre.
Cependant, il serait utile que l’auteur et la rapporteure du texte, ainsi que M. le ministre, nous éclairent concrètement sur les modalités en question.
En effet, d’un côté, certains de nos collègues estiment que cette mesure permettra à nos territoires respectifs d’être rapidement pourvus en médecins venant effectuer des journées de solidarité, tandis que, de l’autre, des médecins considèrent qu’elle est moins contraignante que certains dispositifs actuellement débattus.
Ainsi, finalement, tout le monde peut y trouver son compte ! Un consensus en la matière serait certes une très bonne chose, mais le dispositif signifie-t-il que, par exemple, des médecins installés dans le VIe arrondissement de Paris devront exercer, deux jours par mois, dans le XVIIIe arrondissement, en Seine-Saint-Denis, en Seine-et-Marne, dans le département de Seine-Maritime dont je suis l’élue, voire dans l’Eure ?
M. Hervé Maurey. Ah !
Mme Céline Brulin. Cela étant, je suis particulièrement inquiète à la suite des propos de notre collègue Maurey. Je connais les problèmes de son département de l’Eure, voisin du mien, en matière de démographie médicale. En effet, si même l’Eure n’est pas concernée, je me demande à quoi pourra bien servir ce dispositif…
Parlons-nous de deux jours entiers ou de quatre demi-journées ? Comment le suivi des patients aura-t-il lieu, alors que ces derniers auront affaire à des médecins qui ne seront pas nécessairement les mêmes tout au long de leur vie ou de leur pathologie ? Bref, pourrions-nous bénéficier d’un éclairage sur tous ces points ?
Pour ma part, j’en tire la conviction que ce dispositif pourrait en fait s’avérer beaucoup plus contraignant que d’autres mesures actuellement au cœur du débat public.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.
M. Daniel Chasseing. Cet article vise à réduire la fracture médicale en conditionnant l’installation des médecins libéraux à une autorisation préalable, laquelle serait soumise, pour les médecins généralistes souhaitant s’établir en zone surdense, à un exercice à temps partiel en zone sous-dense. Pour les spécialistes, l’installation en zone surdense serait, elle, conditionnée à la cessation d’activité d’un médecin issu de la même spécialité, sauf si l’intéressé s’engage à exercer, à temps partiel, dans une zone connaissant des difficultés de soins.
Or les médecins généralistes sont absolument nécessaires non seulement pour la population, mais aussi pour les Ehpad et le travail des autres professions médicales : infirmières, pharmaciens, kinés, médecins juniors – ils arriveront en 2026, et représentent un contingent important de 3 400 personnes par an. Il n’y a pas de maîtres de stage partout. Cette proposition de loi est donc complémentaire.
Concernant les spécialistes, beaucoup procèdent déjà à des consultations avancées dans les territoires et les hôpitaux où ils se rendent à temps partiel, là où leur spécialité n’est pas représentée. Cela sera désormais obligatoire s’ils souhaitent s’installer en zone hyperdense.
Je voterai donc cet article. Les populations ne bénéficiant pas d’un médecin traitant – 17 % de la population rurale – et leurs maires demandent aux parlementaires d’agir pour améliorer l’accès aux soins. Cette contrainte est imposée aux médecins, mais ne remet pas en cause l’exercice libéral de la médecine. Elle semble par conséquent pouvoir être acceptée par les étudiants, donc par les médecins.
Je sais que les collectivités font le maximum pour accueillir des médecins à temps partiel. Dans la plupart des cas, il n’y aura pas d’investissement supplémentaire à consentir. En effet, il existe déjà malheureusement des cabinets médicaux et des maisons de santé sans médecin.
Je suis donc favorable à l’article 3, qui est un élément important de la proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée, sur l’article.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Nous sommes confrontés à une insupportable pénurie de médecins. Cela n’est pas une considération abstraite au regard de notre niveau de développement : nous parlons de malades en détresse, de pertes de chances et de morts. Cela vaut partout en France, dans les territoires ruraux, bien sûr, mais aussi dans les centres-villes et toutes les régions, sans exception.
Cela peut, selon les cas, se mesurer en kilomètres à parcourir pour trouver un médecin, ou en kilomètres de file d’attente, mais le résultat est le même. Je suis donc reconnaissante à Philippe Mouiller et à Mme la rapporteure d’avoir autant travaillé pour proposer une solution intéressante avec l’article 3. Cette proposition se veut efficace, à la différence d’idées inappropriées prônées ailleurs qu’au Sénat.
Je constate cependant que le Gouvernement, par un amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 3, avance une autre solution.
Celle-ci aboutirait au même résultat tout en ne faisant pas payer aux étudiants en médecine, aux internes et aux jeunes médecins les frais de la pénurie et en n’inscrivant pas dans le code de la santé publique le principe d’une autorisation d’installation, laquelle n’est pas souhaitable si l’on peut faire autrement.
In fine, l’amendement n° 111 du Gouvernement vise à mettre en place une solution analogue à celle que prévoit l’article 3, et elle est pleinement opérationnelle à elle seule. C’est pourquoi il me paraît nécessaire et suffisant d’adopter ledit amendement, en nous passant de l’article 3 de la proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey, sur l’article.
M. Hervé Maurey. Avec cet article, nous parvenons à un point très important de cette proposition de loi, peut-être le plus important.
Je me réjouis du fait que, pour la première fois, la commission des affaires sociales soutienne, et même défende, un texte où une certaine régulation de l’installation des médecins est évoquée. Jusqu’à présent, elle opposait plutôt un veto.
Je me souviens par exemple, lors de l’examen de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, dite loi Touraine, il y a dix ans, de l’adoption unanime par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable d’amendements tendant à une régulation de l’installation. Cependant, ils avaient été « balayés » en séance, à la demande de la commission des affaires sociales.
Pour être franc, le dispositif de cet article ne correspond pas totalement à ce que j’aurais souhaité. Toutefois, je veux voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Je n’ai donc pas déposé d’amendement visant à aller plus loin, et voterai ce qui est proposé à l’article 3, ce qui ne m’empêchera pas de voter d’autres amendements.
Même si l’on peut se réjouir, il convient de rester très prudent. En effet, l’article renvoie, pour l’essentiel, à un décret. Or l’expérience montre que les décrets surviennent parfois très tardivement. Surtout, il arrive qu’ils soient en contradiction avec la volonté du législateur. Je ne mentionnerai qu’un exemple : celui de la loi du HPST, portée par la ministre Roselyne Bachelot. Très vite, cette dernière avait annoncé mettre de côté le dispositif, voté par le Parlement, qui instituait une permanence des soins en zone sous-dense, donc dans les déserts médicaux.
Restons donc très prudents sur le renvoi au décret. Soyons vigilants à ce que celui-ci soit pris rapidement et que le pouvoir réglementaire, chargé de l’élaborer, ne se laisse pas trop influencer par les pressions qu’il ne manquera pas de subir, et qu’il subit déjà, de la part des professionnels.
Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat, sur l’article.
M. Simon Uzenat. L’article 3 est le cœur du dispositif de cette proposition de loi. Ce qui est frappant, c’est que ce sont en premier lieu les médecins qui sont évoqués, et non les besoins de santé de nos concitoyennes et de nos concitoyens, lesquels attendent désespérément de pouvoir être suivis sur leur territoire.
Nous avons là un désaccord de fond, comme nous en avons discuté au sein de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, cher Bruno Rojouan. Ainsi, sur les travées de la droite de cet hémicycle, on considère que, parce qu’il y a une pénurie, on ne peut réguler. De notre côté, nous affirmons que, justement, c’est parce qu’il y a une pénurie qu’il faut réguler. Bien des exemples, au fil de l’histoire, montrent que, pour limiter les déséquilibres entre les territoires, cette démarche est indispensable.
Sur les deux mesures phares proposées, en particulier celle des cabinets secondaires – je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit sur le renvoi au décret et les incertitudes qui en découlent –, la réalité est claire. Pour prendre l’exemple de la région Bretagne, à côté des zones rouges, on ne retrouve pas de zones relativement mieux dotées. Certaines sont simplement moins mal dotées que les zones rouges… Comment, dans ces conditions, mettre en œuvre la mesure ?
Au-delà, même s’ils ne sont pas les seuls concernés, ce sont principalement les territoires ruraux qui souffrent des pertes de chance et d’espérance de vie. Or le message que nous leur adressons, aujourd’hui, c’est qu’ils bénéficieront, au mieux, d’un cabinet secondaire. Cela n’est évidemment pas satisfaisant.
S’agissant des médecins généralistes, là encore un pas est fait, mais il ne s’agit en réalité que d’un demi-pas, c’est-à-dire d’une mesure de régulation assortie de dérogations. Nous considérons que ce qui est possible pour les médecins spécialistes devrait aussi être proposé pour les généralistes. Encore une fois, les besoins de santé sont aujourd’hui indiscutables dans l’ensemble de nos territoires. En outre, de nombreuses professions de santé sont déjà régulées, et elles le seront de plus en plus.
Une réticence s’exprime. L’un de nos collègues disait précédemment que l’on tournait autour du pot de la régulation : entrons dans le vif du sujet, mes chers collègues !
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé, sur l’article.
M. Hervé Gillé. Monsieur le ministre, essayons de trouver comment articuler la position du Gouvernement avec ce qui est proposé à l’article 3.
En effet, je rappelle la proposition phare du pacte, telle qu’elle a été, aujourd’hui même, mise en perspective par le préfet de la région Nouvelle-Aquitaine et par le directeur de l’ARS auprès de toutes les parties prenantes : cette solidarité, volontaire dans un premier temps, a vocation à devenir obligatoire, pour aider les territoires les plus prioritaires identifiés par les ARS, en lien avec les préfets et les élus.
Si cette solidarité a bien vocation à devenir obligatoire, nous verrons si le Gouvernement clarifie sa position au travers de votre avis sur les amendements portant sur l’article 3. Sans cela, vous remettriez immédiatement en question la parole mise en perspective par le préfet et par le directeur de l’ARS lors des réunions qui sont actuellement organisées.
En outre, le pacte a bien pour objet de s’adresser à tous les médecins, et de dégager un engagement équilibré pour que chacun y prenne sa part. Il y a donc là une position fort différente de celle qui sera exposée lors de l’examen de l’article 3.
Voilà pourquoi j’écouterai avec beaucoup d’attention l’avis du Gouvernement, monsieur le ministre. En effet, si vous allez dans le sens de cet article, vous entrerez immédiatement en contradiction avec ce qui est en train d’être mis en œuvre au travers du pacte, tel qu’il se dessine dans le cadre des réunions régionales.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, sur l’article.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Avec l’article 3, nous abordons un sujet très important. Enfin, un premier pas !
Notre collègue Maurey évoquait la loi Touraine. Pour ma part, j’ai également le souvenir de la discussion, quelques années auparavant, de la loi HPST, dont le rapporteur était le député de l’Yonne Jean-Marie Rolland. J’en avais alors parlé avec lui : différentes organisations étudiantes et professionnelles avaient menacé de descendre dans la rue si des mesures coercitives étaient mises en œuvre.
Ainsi, le présent article marque une rupture, puisque celui-ci tend à insérer dans le code de la santé publique, pour la première fois, un chapitre intitulé « Conditions d’installation dans les zones les mieux dotées ». Il y a donc bien des conditions : il est très important que ce terme figure, noir sur blanc, dans le code.
Nous sommes tous bien conscients, sur ces travées, qu’il n’y a pas une réponse unique à même de satisfaire aux besoins croissants en matière d’accès aux soins. Au contraire, c’est une palette de solutions qu’il convient de mobiliser : nous avons évoqué les stages et les maisons de santé, nous aborderons les centres de santé, etc. L’article 3, qui comprend la disposition permettant de conditionner l’exercice dans une zone surdense à une manifestation de solidarité en zone sous-dense, vient enrichir cette palette. De ce point de vue, il est bienvenu.
Trop d’occasions ont été manquées par le passé pour ne pas faire ce premier pas. Peut-être en faudra-t-il d’autres par la suite, mais faisons-le maintenant : je m’en réjouis.
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, sur l’article.
Mme Élisabeth Doineau. Contrairement à certains, je pense que nous ne pouvons pas distribuer ce que nous n’avons pas. La pénurie est une véritable difficulté, mais la régulation n’est pas la réponse.
On oppose le cas des autres professionnels de santé qui font l’objet d’une régulation. Mais ne manquons-nous pas d’infirmières dans nos territoires ? De sages-femmes ? De pharmaciens ? En effet, aujourd’hui, aller chercher ses médicaments peut parfois poser de réelles difficultés.
On me dit que les professeurs de collège sont eux aussi soumis à des obligations au cours de leurs premières années d’exercice. Certes, mais il ne se passe pas une matinée sans que je lise, dans le journal, qu’un collège manque de professeurs ou de membres de l’équipe éducative.
Nous voyons donc bien que la régulation ne répond pas à cette problématique. Je crois davantage au travail dans les territoires. Au-delà du mien, les exemples abondent où les professionnels de santé et l’ensemble des élus locaux, des forces vives, des parties prenantes et des usagers ont retroussé leurs manches pour construire une solution satisfaisante en matière d’offre de santé. Bien évidemment, cela est difficile, parce qu’il faut y passer du temps.
J’entends que les incitations n’auraient pas servi à recréer un tissu d’offre de soins. Mais, mes chers collègues, vous avez tous bénéficié, dans vos territoires, de moyens considérables pour construire des maisons de santé pluriprofessionnelles et des pôles de santé, ou pour recruter des assistants médicaux et des infirmières en pratique avancée. Il ne faut pas oublier ce point important !
Le rapport de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) montre que, s’agissant de ces dispositifs, c’est du 50-50 : parfois, on fait usage de la régulation, en voyant le verre à moitié plein, quand ailleurs ce n’est pas un succès. D’ailleurs, certains pays reviennent sur cette régulation, car elle ne répond pas à leurs besoins infraterritoriaux.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Je souhaitais évoquer la coordination entre l’article 3 et l’article additionnel après l’article 3 qui pourrait être inséré par l’amendement du Gouvernement.
À l’origine, notre proposition de loi n’intégrait pas la mesure du Gouvernement relative aux deux journées de solidarité. Le texte que nous avons défendu, à la fois devant le groupe Les Républicains et la commission, s’inscrivait dans une logique partant d’une évaluation des zones surdenses, car nous voyons bien les dysfonctionnements existants. Telle est la raison d’être de l’observatoire, lequel permettra de disposer de chiffres tangibles permettant de déterminer les zones prioritaires et moins prioritaires. Il s’agit ainsi de réviser la palette des évaluations, selon des critères à même de refléter la réalité.
Une fois ce travail réalisé, à partir des territoires surdenses ou mieux dotés, la question est d’irriguer les territoires voisins qui ont des besoins, d’où la conditionnalité – un terme qui me convient bien.
Pour les généralistes, il s’agit de passer du temps dans un cabinet secondaire, parce que la définition juridique d’un tel cabinet existe déjà, et parce que des structures les abritent, avec l’implication des collectivités.
Pour les spécialistes, le raisonnement est le même : nous nous appuyons sur une appellation connue, celle des consultations avancées, dès lors que les conditions d’exercice sont réunies, d’où l’avis de l’ARS.
Nous parlons bien de territoires mieux définis et de zones mieux dotées. Dans ces dernières, si un généraliste ou un spécialiste souhaite s’installer, il doit observer une conditionnalité fondée sur l’irrigation des territoires de proximité dont la situation est insatisfaisante. Tel est le dispositif que nous proposons.
S’y ajoute la mesure du Gouvernement, dont nous avons largement discuté, avec cette notion de solidarité et une annonce rapide concernant les zones rouges, sur lesquelles nous nous sommes nous-mêmes posé beaucoup de questions.
Étant moi aussi élu de Nouvelle-Aquitaine, monsieur Gillé, j’ai pu m’entretenir de ce sujet avec le directeur de l’ARS. Or les directeurs d’ARS répondent à une commande rapide et bienvenue de définir des zones d’intervention d’urgence, selon des critères que le ministre connaît bien. Ils y travaillent en y associant les présidents de département, les parlementaires et l’ensemble des autres acteurs concernés, afin de confirmer cette cartographie.
Nous avons, dès lors, eu le souci de la cohérence. Ainsi, nous examinerons un amendement tendant à définir une période au cours de laquelle cet outil urgent d’évaluation est mis en œuvre, afin de répondre à la demande du Gouvernement. Mais, très vite, nous nous appuierons sur l’outil, que nous proposons, d’analyse spécifique des besoins, de sorte qu’une coordination soit opérée entre les deux dispositifs.
Ainsi, ces derniers se cumulent : action à partir des zones denses et mesure, portée par le Gouvernement, de solidarité. Telle est notre approche, afin de trouver un équilibre dans un texte sur lequel l’initiative du Gouvernement ne s’était pas portée à l’origine.
Mme Frédérique Puissat. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Yannick Neuder, ministre. J’irai dans le même sens que le président Mouiller : les deux mesures sont complémentaires.
On ne peut qu’encourager la solidarité collective. J’en ai parlé, notamment à l’occasion de l’examen, à l’Assemblée nationale, de la proposition de loi du député Guillaume Garot visant à lutter contre les déserts médicaux. Je ne puis que souscrire aux propos de Mme Doineau : face à une pénurie, ce n’est pas la régulation ou la coercition qui augmentera le nombre de médecins. En revanche, la solidarité collective est une réponse.
Ainsi, lorsque j’élaborais le planning du service de cardiologie, avec les gardes à prévoir, la priorité était d’assurer la continuité des soins 365 jours sur 365. La communauté peut s’organiser de différentes manières : par exemple, les jeunes peuvent effectuer plus de gardes que les autres. Mais l’important reste la disponibilité de l’offre de soins.
Comment comprendre, donc, cette obligation collective ? Une maison médicale regroupant plusieurs professionnels de santé qui avoisine un territoire sans offre de soins doit s’organiser de sorte à y assurer, par exemple, deux jours de soins par mois et par praticien.
Dans le cadre de la proposition de loi de M. Mouiller, il n’y a ni coercition ni régulation à l’installation. Simplement, un certain nombre de zones seront qualifiées de surdenses. Toutefois, leur nombre sera très limité. Je ne citerai pas de ville ou de territoire pour ne stigmatiser personne, mais dans ces zones les installations ne seront pas interdites. En revanche, il s’exercera une forme de solidarité. Ainsi, l’installation dans ces quelque 10 % du territoire suffisamment dotés s’assortira d’une obligation d’ouvrir un cabinet secondaire. (M. Hervé Gillé proteste.)
Il s’agit de deux temporalités différentes, monsieur Gillé. Nous parlons, dans un premier temps, du maillage immédiat des cartes, entre les nécessités de l’aménagement du territoire, porté par le préfet, et de l’offre de soins, assurée par les ARS. L’idée est d’assurer une mise en œuvre rapide du dispositif, dès le mois de septembre, sous réserve que les élus locaux jouent le jeu, notamment les maires et les présidents d’intercommunalité, pour trouver les locaux nécessaires, voire armer le cabinet d’un secrétariat médical et d’assistants médicaux.
La seconde proposition, comme Philippe Mouiller l’a bien rappelé, est de redéfinir les zonages en fonction des indicateurs, afin de déterminer les territoires suffisamment dotés. Encore une fois, il ne s’agit pas d’interdire l’installation. Il n’y a ni coercition ni régulation, car nous faisons face à un vrai problème de pénurie. D’ailleurs, la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par la territorialisation et la formation, que le Sénat examinera prochainement, tend à supprimer le numerus apertus, à définir les besoins en fonction du territoire, à rapatrier les étudiants français partis à l’étranger et à favoriser les passerelles.
Ainsi, nous agirons sur les deux tableaux : former plus et mieux – nous ferons des propositions en juin – et, en attendant, instaurer un principe de solidarité collective applicable dès le mois de septembre, afin d’assurer des vacations « perméables », sans qu’il soit besoin d’aller à 400 kilomètres à la ronde. Il s’agit d’agir en bonne intelligence.
Depuis dix ans, je demande à tous les médecins que j’ai recrutés dans mon pôle de passer quatre jours au centre hospitalier universitaire (CHU) et une journée dans un centre hospitalier dit périphérique. Désormais, tous pratiquent l’activité multisites, qui est entrée dans les mœurs.
J’y insiste, les mesures sont donc complémentaires. Après trente ans de politique publique sans gestion de l’offre de soins, il est anormal que nos jeunes – je sais qu’ils nous écoutent – paient le prix fort en perdant leur liberté d’installation et en subissant un changement des règles du jeu alors qu’ils sont en passe de finir leurs études.
Il s’agit de trouver un équilibre entre l’offre de soins et le fait de ne pas décourager des générations entières qui veulent s’engager dans la santé.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vais lever la séance.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
6
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 13 mai 2025 :
À quatorze heures trente, le soir et la nuit :
Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé (procédure accélérée ; texte de la commission n° 563, 2024-2025) ;
Suite de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires, présentée par M. Philippe Mouiller et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée ; texte de la commission n° 577, 2024-2025).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mardi 13 mai 2025, à zéro heure quarante-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER