M. le président. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, pour explication de vote.

Mme Sonia de La Provôté. Je fais miens les propos d' Olivier Henno sur la pénurie de médecins.

On nous propose le raisonnement suivant : on n'a pas assez de médecins, mais ce n'est pas grave, on va faire moins que peu avec eux. Ce n'est pas ainsi que l'on réglera la question de l'accès aux soins dans les territoires, d'autant que les zones surdotées sont loin d'être majoritaires !

Ce n'est d'ailleurs pas dans ces zones que se font l'essentiel des installations récentes. L'organisation que l'on a mise en place dans les territoires et qui commence à porter ses fruits dans certains départements, notamment grâce aux pôles de santé, est en train de devenir attractive. Quand on exerce avec sept ou huit confrères dans un pôle de santé au lieu d'être seul, comme c'est le cas dans mon département, cela change complètement la donne. Si cela ne règle pas tous les problèmes liés à l'exercice médical, cela permet d'en régler certains.

Il s'agit là d'une régulation à l'installation, mais par le haut : c'est positif et non coercitif ; on remplace la colère par l'envie. Être médecin généraliste, c'est en somme rendre un grand service public à la Nation. Quel beau métier que d'assurer les soins de premier recours !

Si l'on veut que la situation change, il faut motiver les médecins. Il ne faut surtout pas exiger des quelques valeureux – il faut bien le dire ! – qui ont envie de rendre ce service public, qui ont le sens de l'engagement et qui sont prêts à se rendre disponibles pour soigner des patients dans des endroits éloignés qu'ils s'installent dans telle ou telle zone et qu'ils acceptent des mesures qui rendront plus difficile leur exercice professionnel. C'est pourtant bien là l'objet de la proposition de loi Garot.

Il faut contraire envoyer un message positif : les jeunes ont besoin non seulement d'être encouragés à exercer ce beau métier, mais aussi d'avoir envie de s'installer dans des territoires où n'exercent plus leurs aînés ni ceux de la génération précédente.

La coercition est un mauvais message et la régulation un message plus défavorable encore. (Mme Élisabeth Doineau applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour explication de vote.

M. Jean-Luc Fichet. On parle d'accès aux soins. Bien sûr, les professionnels de santé sont directement concernés, mais, en réalité, on parle de nos administrés qui ont besoin de professionnels de santé de proximité, particulièrement de médecins, qui puissent les soigner. Il faut faire disparaître ces zones où, faute de médecins, ils perdent deux années de vie en bonne santé !

Une fois que nous sommes d'accord sur le constat, à savoir que l'accès aux soins sur le territoire – les périphéries des grandes agglomérations ou les zones rurales – devient très difficile pour un certain nombre de personnes, il faut trouver des solutions.

Cela fait quinze ans que l'on superpose les incitations et autres mesures de même nature. J'ai écrit à plusieurs reprises à la ministre pour savoir combien, en consolidé, l'État consacrait d'argent chaque année pour inciter les médecins à participer à la résorption des déserts médicaux. Je n'ai jamais eu de réponse.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Vous n'en aurez jamais !

M. Jean-Luc Fichet. En cumulé, les sommes octroyées par les mairies, les intercommunalités, les départements, les régions atteignent un montant considérable. Pour quel constat ? Certes, des pôles de santé sont créés, mais les déserts médicaux s'étendent.

C'est pourquoi il nous faut aujourd'hui trouver des solutions efficaces qui prennent en compte la situation des médecins. Quelle que soit la profession, quand la loi change, les jeunes en subissent les conséquences.

Il n'est qu'à prendre l'exemple des chômeurs, même si c'est un cas extrême. Quand on révise la loi et qu'on décide qu'ils ne toucheront plus le RSA (revenu de solidarité active) ou toute autre allocation, s'interroge-t-on sur les conséquences pour les jeunes ? Non !

Le système de déconventionnement que je propose me semble un bon principe, qui a l'avantage de la clarté.

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour explication de vote.

M. Hervé Maurey. Je voterai les amendements nos 69, 21 rectifié bis, 99 rectifié et 89 rectifié.

D'abord parce qu'ils visent à reprendre des propositions que je formule depuis plus de quinze ans.

Ensuite parce que cela fait également plus de quinze ans que l'on nous explique au fil des projets de loi Bachelot, Touraine, Buzyn ou Véran qu'il ne faut prendre que des mesures incitatives et que l'on nous promet que les choses vont évoluer. J'entends encore Mme Bachelot me dire : « Dans dix ans, tout sera réglé. » C'était en 2009 ! Or, on le voit, la situation n'a fait qu'empirer depuis.

Je ne vois pas comment certains peuvent dire que la régulation n'est pas efficace, on ne l'a jamais essayée ! En revanche, il est clair que la seule incitation ne marche pas. Je pense qu'il est temps de passer à la vitesse supérieure.

Certains mettent en avant le fait que la pénurie ne permettrait pas de mieux répartir les médecins sur le territoire, mais nous savons tous que, si j'ose dire, la pénurie n'est pas la même partout en France.

M. Hervé Maurey. Quand on a la chance de vivre dans le VIarrondissement à Paris, on n'attend pas dix-huit mois pour consulter un spécialiste. Il faut savoir que, dans certains territoires, le délai pour obtenir un rendez-vous, notamment chez un spécialiste, dépasse un an.

Comme Jean-Luc Fichet et moi l'écrivions dans un rapport il y a plus de dix ans, il est temps d'agir vraiment et de prendre des mesures fortes pour lutter réellement contre les déserts médicaux, comme l'ont fait les députés. Je dois dire d'ailleurs que je suis très malheureux de voir que nos collègues sont plus allants dans la défense des territoires que nous ne le sommes ici. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, pour explication de vote.

M. Stéphane Demilly. À la suite de ce que vient de dire Hervé Maurey, je rappelle que cela fait des années que l'on parle des déserts médicaux, des années que les rapports sur le sujet s'empilent et que l'on nous fait les mêmes promesses. Pourtant, aujourd'hui encore, dans notre pays, des millions de Français doivent parcourir des dizaines de kilomètres pour trouver un médecin, ne serait-ce qu'un généraliste, quand ils en trouvent un...

Près de 8 millions de nos concitoyens vivent aujourd'hui dans une zone dite sous-dotée. Derrière ce terme simpliste se cache une réalité brutale.

Dans certaines communes rurales, un enfant sur deux n'a pas de pédiatre à moins de 50 kilomètres. Bientôt, un généraliste sur deux partira à la retraite sans être remplacé. Dans les Hauts-de-France, ma région, des patients attendent parfois plus de six mois pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmo. Dans le Pas-de-Calais, une maison de santé flambant neuve peine à recruter un seul médecin. Les aides à l'installation et les incitations ne suffisent pas. Nos territoires les plus fragiles s'enfoncent dans l'isolement et l'abandon sanitaire.

Albert Einstein disait : « La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent. » Il est grand temps de reconnaître que les solutions d'hier n'ont pas fonctionné. Il faut agir autrement, avec courage et détermination, quitte à se mettre des lobbies à dos.

Nous demandons non pas l'impossible, mais une régulation juste, intelligente et humaine, une nouvelle génération de politiques de santé. Pour ma part, j'approuve la proposition qui a été faite à l'Assemblée nationale. Il est temps que l'installation des médecins ne réponde plus à des logiques de marché et à des souhaits personnels. Je regrette donc que nous n'allions pas plus loin dans l'encadrement de l'installation. Je crains que nous ne créions une fois de plus des usines à gaz lors de la mise en œuvre pratique des mesures. Les grands perdants seront une fois de plus nos concitoyens.

Néanmoins, vous l'aurez compris, je voterai ces dispositions de l'article 3, qui constitue un premier pas même si je reste sceptique quant à sa véritable portée.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.

Mme Céline Brulin. Un certain nombre d'amendements visent à mettre en œuvre des mesures de régulation auxquelles certains collègues ont opposé leurs arguments.

Pour ma part, je trouve que ce qu'il nous manque, ce sont les réponses aux questions que nous sommes un certain nombre à avoir posées hier soir et que nous n'avons pas obtenues compte tenu de l'heure tardive de la séance, ce que je comprends. Je pense que le moment est désormais venu d'y répondre.

On nous dit que nos amendements tendent à mettre en œuvre une coercition affreuse. Or ce n'est absolument pas le cas. Lorsqu'il est possible de s'installer dans 87 % du territoire, il me semble que la liberté d'installation reste tout de même assez large.

Hier, le président Mouiller nous a expliqué, de la manière la plus claire qui soit à ce stade du débat, que des mesures d'urgence étaient proposées par le Gouvernement et d'autres, de plus long terme, par les auteurs de la proposition de loi. Nous avons besoin d'en savoir un peu plus, ces mesures nécessitant des décrets.

Demander à des médecins installés dans une zone dotée d'aller exercer dans une zone sous-dotée, qu'est-ce que cela signifie concrètement ? Devront-ils y exercer quelques jours par semaine ou par mois ? Quel sera le rayon d'action de ces médecins ? Une telle obligation sera peut-être plus coercitive qu'une régulation de l'installation, sachant, je le répète, qu'un médecin sera libre de s'installer dans 87 % du territoire.

Il me semble que nous avons une vision un peu faussée de la situation. Il n'existe pas de département dans lequel une zone surdotée pourrait irriguer des territoires périphériques moins dotés. Des départements entiers sont sous-dotés !

Que va-t-il se passer ? Comment ces médecins vont-ils suivre des patients alors qu'ils n'exerceront dans les zones sous-dotées qu'une demi-journée par-ci, une demi-journée par-là ? Il faut sûrement mettre en œuvre une telle mesure, mais comment ces médecins pourront-ils suivre les patients dans la durée ?

Nous devons obtenir des réponses à ces questions.

M. Hervé Maurey. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Laurent Somon, pour explication de vote.

M. Laurent Somon. Je suis assez perturbé par ces amendements et par la volonté de l'auteur du texte de « gérer » – il faut appeler un chat un chat – la pénurie de médecins tout en préservant la liberté d'installation. Aujourd'hui, lorsqu'un jeune s'installe, il succède souvent à un médecin ayant pris sa retraite. Il n'a pas à se constituer une nouvelle patientèle en se délocalisant dans d'autres secteurs.

M. Jomier a évoqué il y quelques années la notion de de « responsabilité populationnelle ». Je pense que les médecins doivent prendre en compte la notion de responsabilité populationnelle territoriale.

Pour illustrer mon propos, j'évoquerai la maison médicale pluridisciplinaire que j'ai créée et qui fut la première à être agréée par l'agence régionale de santé dans le département de la Somme. À l'origine, elle comptait deux médecins. Elle a perdu le premier depuis, puis le second, qui avait un âge canonique. Cette maison se retrouve sans médecin.

Or un cabinet voisin compte quatre ou cinq médecins. Il en perd, les plus âgés s'en vont, mais des jeunes les remplacent. Ce cabinet, qui est privé, sollicite des subventions auprès des collectivités locales pour agrandir ses locaux.

On peut considérer que si les élus locaux ont une responsabilité populationnelle en termes d'offre de soins, il en est de même pour les médecins à l'égard des habitants du territoire. Cela doit être donnant-donnant.

J'ai donc proposé à ce cabinet médical de partager les locaux de notre maison de santé pour y créer un centre de consultations avancées. Ces locaux communaux, situés à quinze kilomètres des leurs, ont été financés par la commune, le département, la région et l'Europe.

On peut, me semble-t-il, trouver des solutions en faisant appel à la responsabilité collective du corps médical, sans instaurer d'obligation ou de mesure coercitive.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Yannick Neuder, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous essayer de répondre à l'ensemble de vos questions.

Monsieur Fichet, vous me dites avoir écrit à une ministre – vous me direz laquelle – au sujet du coût de l'ensemble des aides à l'installation. On voit bien que le problème est non pas le niveau des aides – toutes les collectivités en accordent –, mais le nombre insuffisant de médecins formés en France. Le problème est numérique. Il ne sert donc à rien de créer encore de nouvelles aides, il faut former plus de médecins !

Messieurs Henno et Maurey, vous avez évoqué les lois – Bachelot, Buzyn, Véran – votées ces dix ou vingt dernières années et déploré que l'on en soit aujourd'hui toujours au même point. Mais pourquoi en sommes-nous là ? Parce que le cœur du problème, c'est que nous ne sommes pas allés assez loin lors de la suppression du numerus clausus, lequel a été seulement amoindri par l'instauration du numerus apertus, ce dernier n'ayant pas permis d'atteindre complètement l'objectif fixé.

On forme aujourd'hui, à l'épaisseur du trait près, le même nombre de médecins qu'en 1970 – il faut le relever avec force ! – alors que notre pays compte 15 millions d'habitants supplémentaires, que des pathologies chroniques explosent et que le rapport au travail a changé. Personne ne veut entendre cela, c'est tout de même incroyable !

Vous avez tous le souvenir de ces médecins généralistes qui, dans votre enfance, travaillaient six jours sur sept dans nos communes. Leur épouse les assistait, accueillait les malades. Ce modèle n'existe plus ! Aujourd'hui, lorsqu'un généraliste part à la retraite, il en faut 2,3 pour le remplacer.

J'ai comparé le nombre de départs à la retraite et le nombre de nouveaux médecins formés : ils sont assez proches. Le problème est que le temps passé auprès des patients n'est plus du tout le même, le volume de la patientèle des médecins généralistes non plus. J'ai connu des médecins, des copains de promo et d'autres, plus âgés, dont la patientèle flirtait avec les 3 500 patients.

Je ne jette pas la pierre aux médecins – le rapport au travail a changé dans tous les milieux professionnels –, mais la patientèle de certains médecins ne dépasse pas 800 ou 1 500 patients. Pour un volume identique de patients, il faut donc plus de médecins. Voilà pourquoi les différentes propositions ne sont pas antinomiques.

M. Somon a évoqué la maison médicale qu'il a créée. Il s'agit d'une solution de bon sens, d'une solution solidaire. Les élus ayant anticipé les besoins et créé une maison médicale, l'infrastructure existante va permettre la mise en place d'un dispositif fondé sur le volontariat et, à terme, sur une obligation collective. En effet, si personne n'est volontaire, il faudra bien siffler la fin de la partie, car il n'est pas possible de gagner sur tous les tableaux.

L'obligation collective consiste à faire en sorte que des médecins soient présents dans cette maison médicale deux, trois ou quatre jours par semaine. Cette maison pourrait ainsi être un lieu de stage agréé pour des internes, des médecins juniors, des remplaçants. On va ainsi réensemencer petit à petit la pratique médicale dans ce territoire.

J'y insiste, les différentes propositions que Philippe Mouiller et nous-mêmes portons ne sont pas du tout contradictoires. Il y a sur le sujet des déserts médicaux une prise de conscience collective de la communauté médicale. Nous examinerons plus tard un amendement tendant à instaurer une obligation collective dans les territoires sous-dotés, avec l'appui des élus locaux.

Je pense par ailleurs qu'il est possible de financer des secrétaires ou des assistants médicaux dans ces maisons médicales, dans lesquelles les maires ont investi.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Je suis très heureuse d'entendre votre proposition ! Il y a dix maisons médicales dans mon territoire.

M. Yannick Neuder, ministre. L'objectif est que des assistants médicaux assurent la pérennité et la stabilité de la structure, même si les médecins changent. Le projet est de porter à 15 000 le nombre de ces assistants.

Madame la sénatrice, si un assistant médical est affecté dans chacune de vos dix maisons médicales et si des médecins y viennent à tour de rôle, je pense que l'offre de soins sera renforcée dans votre territoire.

Bien sûr, ces mesures seront mises en œuvre en attendant que la question de la formation soit prise à bras-le-corps. Et c'est vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui allez le faire ! Je vous soumettrai dans quelques semaines ma proposition de loi adoptée en décembre 2023 à l'Assemblée nationale, dont je rappelle les trois axes.

Le premier axe est la suppression du numerus apertus, le deuxième la définition des besoins en fonction du territoire.

Le pacte de lutte contre les déserts médicaux prévoit un certain nombre de postes de médecins universitaires pour accroître la formation de médecins. Certes, ce n'est pas pour tout de suite, mais cela fait vingt ans, depuis 1993, que l'on dit cela. Je rappelle que le numerus clausus a longtemps été fixé à 3 500. Disons que 2025 est l'année où l'on va réellement supprimer le numerus clausus ou numerus apertus – appelez-le comme vous voulez –, définir les besoins en fonction des territoires, octroyer des moyens aux universités et permettre la formation dans l'ensemble des départements.

Je me suis rendu vendredi dernier en Ardèche, à Aubenas, commune de 12 000 habitants où se trouve un hôpital dans une zone désertique, à quasiment deux heures de tout centre hospitalier universitaire (CHU). Un institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) est situé à proximité de l'hôpital. Une première année de médecine de quarante places ouvre en septembre. On le voit, le système est en train de se structurer autour d'une formation médicale à distance, de stages à l'hôpital et d'une formation en Ifsi. Nous sommes en train de repeupler nos territoires.

Il faut donc supprimer ce numerus et commencer à former davantage de médecins. Cela prendra un certain nombre d'années, certes, mais on a prévu des coupe-files, si vous me permettez cette expression.

Car il faut se rendre compte de ce que notre système a engendré du fait d'un numerus clausus trop faible, de l'impossibilité pour les étudiants de redoubler et de la création des mineures santé.

Si l'on m'avait dit il y a vingt-cinq ans : « Tu veux faire médecine, va faire du droit avec une mineure santé ! », je ne sais pas si j'aurais choisi cette option, je reste dubitatif. C'est comme si l'on disait demain à un étudiant qui veut faire du droit : « Tu veux devenir avocat ? Écoute, on a un super truc à te proposer : fais médecine avec une mineure droit ! » On perd complètement tout bon sens ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

Nous devons reprendre la main sur notre système de formation. Rendez-vous compte : aujourd'hui, plus de 50 % des dentistes sont formés à l'étranger, alors que nous sommes la septième puissance mondiale. Je présiderai le G7 Santé dans quelques mois : j'espère que nous n'aborderons pas ce sujet, mais le fait est que nous avons un problème de souveraineté en matière de formation.

Il faut donc, je le répète, que nous reprenions la main dans ce domaine. Cela suppose notamment d'organiser pour les étudiants partis étudier en Roumanie, en Belgique ou en Espagne un parcours leur permettant d'intégrer le deuxième cycle en France, en quatrième, cinquième ou sixième année, après une évaluation de leur niveau de connaissances. Il ne leur restera plus alors que quatre ans d'études. Il existe des solutions.

Le troisième axe de cette proposition de loi, ce sont les passerelles. De nombreux paramédicaux, après dix ou quinze ans de pratique professionnelle, veulent évoluer. J'ai connu des infirmiers anesthésistes au bloc qui, après quinze ans d'exercice, avaient fait le tour de la question et avaient envie de reprendre des études. Or si on contraint ces professionnels à repartir en première année, nous n'attirerons personne. En revanche, si on prévoit des mesures financières d'accompagnement et si on les admet en troisième année, moyennant des équivalences qui restent à définir, nous y parviendrons.

Entendons-nous bien : si le Gouvernement ou le Parlement ne s'occupe pas des étudiants français en Roumanie ou ailleurs, qu'il s'agisse des étudiants en médecine ou des étudiants dentistes ou kinésithérapeutes, nous pouvons être sûrs que d'autres iront les chercher ! Le Maroc, l'Allemagne, la Suisse leur feront des propositions d'installation.

La pénurie médicale concerne toute l'Europe. Ne soyons pas naïfs : ce n'est pas parce qu'un étudiant a décidé de faire médecine en Roumanie qu'il reviendra ensuite en France. Tout quitter à 18 ans pour aller étudier en Roumanie n'est pas une décision que l'on prend facilement. Je ne suis pas convaincu que la France soit le premier choix de ces étudiants une fois leur diplôme obtenu.

Lorsque j'étais parlementaire, j'ai fait venir ces étudiants à l'Assemblée nationale. Ils m'ont clairement dit : « Écoutez, la France n'a pas voulu nous accueillir, que nous propose-t-elle pour nous faire revenir ? » D'autres pays leur proposent des ponts d'or.

Je le répète, les mesures que nous proposons ne sont pas incompatibles. Nous pouvons mettre en œuvre la solidarité collective que tend à prévoir l'amendement du Gouvernement pour pouvoir ensuite réensemencer.

Quant à l'article 3 du texte de Philippe Mouiller, il ne prévoit aucune coercition. Nous n'interdisons nulle part l'installation, que ce soit de jeunes médecins ou de médecins installés décidant, pour des raisons personnelles, de déménager pour changer de région.

En revanche, nous demandons aux médecins installés dans des zones identifiées comme bien dotées de faire preuve de solidarité avec les zones sous-dotées en exerçant dans un cabinet secondaire et en participant à des consultations avancées. Cela n'a rien de bien extraordinaire. Ce n'est absolument pas une mesure coercitive, le médecin pouvant s'installer où il veut.

Personnellement, j'ai mis en place de telles modalités d'exercice dans mes propres services, dans mon pôle. Les postes en CHU attirant davantage que les postes dans les centres hospitaliers dits périphériques, les médecins en CHU sont systématiquement projetés une journée dans un hôpital périphérique. Depuis dix ans, tous les postes sont ainsi mixtes et partagés. En outre, cela permet un exercice différent de la profession, une forme d'aération.

En résumé, tout ce que vous avez dit, mesdames, messieurs les sénateurs, est compatible avec l'esprit de la proposition de loi de Philippe Mouiller, laquelle complète le pacte que nous avons proposé. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. J'ai écouté attentivement votre très longue intervention, monsieur le ministre, au cours de laquelle vous avez presque annoncé un plan. Je dis « presque », car j'ai noté que vous aviez utilisé un nombre incalculable de fois l'expression « il faut que ». C'est bien là qu'est le problème !

Nous sommes tous d'accord, nous sommes en train de bricoler pour gérer la pénurie de médecins. Or cette pénurie déstabilise la totalité de la société française, car elle remet en cause l'égalité en matière d'accès aux soins en France aujourd'hui. En outre, elle a un coût très élevé : les malades étant pris en charge plus tardivement, leurs pathologies s'aggravent, évidemment, et leurs traitements sont plus coûteux.

Le calcul est rapide : si l'on forme les milliers de médecins supplémentaires dont nous avons besoin, sachant qu'une année de formation coûte 30 000 euros, dites que vous mettez tout de suite 150 millions d'euros sur la table, plutôt que des « il faut que... ». Certes, il faudra quelques années pour ajuster l'ensemble du système, mais prenez un engagement financier !

Les élus des collectivités territoriales disent que la pénurie de médecins dans les zones sous-denses leur coûte aujourd'hui très cher, car ils prennent en charge les locaux, voire les salaires, pour attirer des médecins. Peut-être une partie de cet investissement des collectivités territoriales, notamment des régions, pourrait-elle être ramenée vers la formation ? Il faudrait peut-être proposer un pacte aux régions à cet effet.

Dites plus clairement, monsieur le ministre : voilà les moyens financiers que je mets sur la table et l'objectif quantitatif que je veux atteindre.

La difficulté dans notre débat, c'est que, entre le constat, que nous partageons tous, et les « il faut que », il manque un engagement beaucoup plus clair sur les moyens.

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Voilà plusieurs dizaines de minutes que notre débat, entamé hier soir, porte sur un sujet majeur. C'est heureux. Des arguments ont été échangés de part et d'autre sur la régulation, entre les tenants de la liberté d'installation et ceux de la contrainte. Tous les arguments sont entendables et recevables.

Peut-être pourrait-on envisager, pour concilier liberté d'installation et contrainte, que la contrainte soit limitée dans le temps ?

Les études de médecine sont financées par la Nation. C'est un effort que la Nation fait pour ses enfants. Les études de nombreux autres professionnels sont également financées par la Nation. Ces derniers lui doivent ensuite un certain nombre d'années d'exercice.

Mme Sonia de La Provôté. Et l'internat alors ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne. On pourrait donc prévoir une contrainte non pas ad vitam aeternam, mais les cinq premières années seulement. À l'issue de ses études, un médecin irait exercer dans une zone identifiée comme étant carencée. Cet horizon temporel me paraît acceptable.

M. le ministre a évoqué les enjeux de formation. Je pense qu'il faut développer le parcours d'accès spécifique santé (Pass) dans tous les départements. Nous l'avons fait dans l'Yonne, à Auxerre, en 2024, mais le bilan est très mitigé. Je pense que les meilleurs profils n'ont pas été orientés vers ce type de première année, qui venait d'être mise en place, et que le casting gagnerait à être revu. Pour donner sa chance au produit, il est important de sélectionner des profils adaptés.

Cette filière contribuerait ensuite à ancrer les étudiants dans nos territoires et permettrait de les garder, non pas contre leur volonté, mais pour leur donner le bonheur de réussir.

M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire, pour explication de vote.

M. Bernard Fialaire. J'entends que nous avons besoin de moyens. Pour ma part, je souhaite vous éviter de gaspiller de l'argent, en évoquant un exemple pour illustrer mon propos.

Dans la très belle région du Beaujolais, à Cercié, village du côte-de-brouilly, et à Villié-Morgon, où l'on produit du morgon, on comptait trois médecins et une pharmacie de part et d'autre. Au milieu, la commune de Régnié-Durette – on y fait du régnié, le dernier cru de beaujolais –, classée désert médical par l'ARS, n'avait pas de médecin.

Deux médecins de chacun des cabinets se sont donc installés à Régnié-Durette, grâce à la subvention de 150 000 euros qui leur a été octroyée par l'ARS. Les habitants étaient très contents de leur arrivée, mais ils n'ont pas pu obtenir de rendez-vous, car ces médecins, qui ne se sont déplacés que de quelques kilomètres, ont conservé leur patientèle. Aucun créneau n'était disponible !

Si je soutiens l'amendement de Véronique Guillotin, c'est parce que je pense qu'il faut mettre les élus et les professionnels autour de la table afin de trouver des solutions pragmatiques et de mettre fin à ce gaspillage d'argent. Il faut cesser d'avoir une vision bureaucratique de ces sujets.

M. le président. La parole est à M. Jean Bacci, pour explication de vote.

M. Jean Bacci. J'ai bien écouté les différents points de vue qui ont été exprimés, mais j'ai l'impression que l'on ne pousse pas le raisonnement jusqu'au bout.

De nos jours, les jeunes qui arrivent sur le marché du travail privilégient la qualité de vie à leur vie professionnelle. Il y a soixante ans, lorsqu'un médecin s'installait, il devait aménager un cabinet personnel et travailler entre cinquante et soixante heures par semaine pour avoir un salaire décent et couvrir ses charges fixes, qui étaient importantes.

Aujourd'hui, lorsqu'un jeune médecin est reçu dans une maison médicale, il commence par dire : « Bon, vous me faites un pont d'or pour venir, je ne paie pratiquement pas de loyer – quand il en paie ! – , je n'ai pas de frais fixes, très bien, mais je ne travaille que trois jours et demi ou quatre jours par semaine. » Il a fait le calcul et, de cette manière, il gagne aussi bien sa vie qu'un médecin qui s'installait il y a quarante ans.

Cela signifie qu'il faut désormais, vous l'avez dit, monsieur le ministre, au minimum deux médecins pour remplacer un médecin partant à la retraite.