Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset. (M. Jean-Luc Brault applaudit.)

M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le contexte économique est marqué par une multiplication des plans sociaux.

Au deuxième trimestre 2024, plus de 20 300 licenciements pour motif économique ont été recensés par la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), une hausse de 5 % par rapport au trimestre précédent.

Paradoxalement, une étude de l’Insee indique que près de 25 % des entreprises concernées affichent une rentabilité nette positive. Cette situation n’est pas satisfaisante.

Nous observons un décalage croissant entre la situation financière des entreprises et les motifs invoqués pour licencier. Ancien chef d’entreprise moi-même, j’avoue mon étonnement vis-à-vis de ces licenciements brutaux qui déstabilisent des bassins d’emplois pourtant prospères.

Surtout, les entreprises concernées bénéficient parfois d’un soutien public important par le biais de subventions ou de crédits d’impôt. En effet, les aides publiques aux entreprises ont atteint un niveau record, bien que leur évaluation précise soit apparemment difficile. À la faveur de la commission d’enquête en cours, nous pouvons toutefois les estimer à plusieurs dizaines de milliards d’euros par an. La question de la conditionnalité de ces aides publiques est donc au cœur des préoccupations.

Il faut chercher à évaluer l’efficacité de chaque euro d’argent public injecté dans l’économie, car, si les moyens de la Nation finissaient dans les mauvaises poches, ces investissements ne devraient pas être reconduits, voire devraient être récupérés.

Le texte de notre collègue Thierry Cozic avance des solutions, qui restent à évaluer. Il s’agirait ainsi, sous le contrôle de l’inspection du travail, d’interdire aux entreprises de plus de 249 salariés de procéder à des licenciements économiques si, au cours du dernier exercice comptable, celles-ci ont eu un résultat net ou d’exploitation positif, ont bénéficié d’aides publiques ou ont affecté leur bénéfice hors de la production.

J’émettrai un bémol concernant la prise en compte du résultat net. Il aurait été souhaitable de ne viser que les résultats très importants, et non juste à l’équilibre, et de tenir compte de la conjoncture économique.

L’article 2 sanctionne l’employeur qui aurait procédé à un licenciement économique jugé injustifié, en le privant, pour une durée maximale de trois ans, de certaines aides publiques, comme le CIR ou les allégements de cotisations sociales.

Là encore, il faudra prendre en compte le contexte de la crise économique, indépendante de la volonté du chef d’entreprise. J’ai notamment à l’esprit des cessations d’activité ou des mutations technologiques, voire l’avènement de nouveaux métiers.

Les bénéficiaires du système de soutien à l’économie peuvent être choqués par la cupidité de certains acteurs hors de contrôle. Pour être clair, il ne s’agit pas d’affecter la liberté des PME ou des entreprises en difficulté, mais, au contraire, de renforcer l’efficacité de nos investissements collectifs, de nous assurer du patriotisme économique des entreprises qui fonctionnent bien et, surtout, d’éviter d’injustes drames sociaux.

Accordons-nous sur l’objectif de préservation de notre outil productif, qui garantit le maintien sur notre sol d’une main-d’œuvre qualifiée reconnue pour son savoir-faire, dont elle assure la transmission. Je suis bien conscient, à ce titre, que le Sénat attend avec impatience les conclusions de la commission d’enquête sur les aides publiques aux grandes entreprises que nous menons actuellement.

En somme, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen sera divisé sur ce texte et chacun de ses membres votera selon ses propres convictions.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno.

M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pour aller directement au cœur du sujet, cette proposition de loi est le prototype parfait d’une mauvaise réponse à une question qu’il est légitime de poser.

Tout d’abord, concernant sa temporalité, il n’est nullement surprenant que ce débat surgisse au moment même où la croissance économique devient plus faible et où, malheureusement, le chômage risque d’augmenter.

Naturellement, les questions que nous abordons se posent avec acuité en période de basses eaux économiques ; or c’est paradoxalement quand la croissance ralentit que les entreprises ont besoin de la plus grande souplesse, ainsi que l’a souligné Mme la ministre.

Je reconnais que la réalité économique est rude par nature, mais lorsque l’on connaît l’entreprise, on sait que, parfois, les mesures de gestion et donc, en dernier recours, les licenciements économiques sont indispensables, sous peine de sacrifier l’avenir.

Une entreprise, si elle veut durer et pérenniser ses emplois, se doit d’être compétitive, je dirais même profitable. La profitabilité lui apporte la garantie de préserver sa capacité d’investissement, mais aussi son employabilité et sa capacité d’embaucher ; la profitabilité, ce n’est pas le diable, mes chers collègues.

Abordons la question de fond du principe du licenciement économique, puisque c’est de cela qu’il s’agit, au moins pour les entreprises de plus de 249 employés.

Bien sûr, il existe des exceptions, de vilains petits canards, mais, pour une énorme majorité d’entrepreneurs, le licenciement économique est la mesure de gestion ultime pour plusieurs raisons : des raisons morales, car les chefs d’entreprise savent que cela concerne des personnes et des familles ; mais aussi pour des motifs d’efficacité, car ils savent tous que la richesse d’une entreprise repose sur ses salariés, que son capital social est son savoir-faire. Les dirigeants inspirés ont donc naturellement une forte volonté de le préserver.

Pour autant, renoncer, ou retarder, des mesures de gestion, et donc des licenciements économiques, revient à fragiliser l’entreprise et à rendre son futur incertain.

À certaines périodes de notre histoire récente, des gouvernements proches de vos convictions se sont risqués à adopter des dispositions de ce type. Sans me livrer à de l’archéologie politique, je note qu’ils ont souvent dû revenir en arrière et que, en définitive, le fait de repousser les mesures de gestion a, au mieux, retardé les échéances et, au pire, entraîné la disparition de certaines entreprises. De plus, ces mesures ont même parfois coûté très cher à l’État, aux pouvoirs publics et donc aux contribuables.

Encore une fois, il ne s’agit pas ici de défendre un libéralisme brutal et inhumain, mais plutôt de nous inspirer du modèle rhénan – je le cite souvent. En Allemagne, le paritarisme et la discussion entre partenaires sociaux accompagnent les décisions des entrepreneurs, qui sont partagées, qu’il s’agisse des licenciements, quand la conjoncture est défavorable, ou des investissements et des embauches, quand la croissance est là et que l’entreprise se développe.

Comprenez bien qu’il ne s’agit pas pour le groupe Union Centriste de considérer que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes économiques possible. Pour autant, la solution n’est pas d’interdire les licenciements économiques ou de les retarder, fût-ce pour les entreprises de plus de 249 salariés.

En revanche, la nécessité d’humaniser autant que faire se peut les mesures de gestion indispensables apparaît comme un objectif légitime. À nos yeux, cela ne passe ni par les normes ni par une législation plus contraignante, mais par un paritarisme refondé et par un dialogue social confiant et approfondi.

J’ajoute une dernière remarque pour faire le lien avec l’actualité : il ne s’agit pas non plus pour nous de considérer que les pouvoirs publics n’ont rien à faire en matière d’économie ou d’industrie.

Pour être précis, nous avons même la conviction que l’État doit concentrer ses forces et ses moyens sur les filières stratégiques et veiller à préserver les savoir-faire sur le territoire national.

Comme élu des Hauts-de-France, je souhaite donc saisir l’opportunité de ce débat pour aborder la question de l’industrie sidérurgique. Tout doit être mis en œuvre pour préserver la filière acier, au moment où le renforcement de notre défense nationale constitue un objectif et une responsabilité. C’est pourquoi l’État a un devoir de vigilance non seulement sociale, mais aussi environnementale et stratégique.

Le sidérurgiste ArcelorMittal a réaffirmé ce jeudi son intention d’investir dans la décarbonation à hauteur de 1,2 milliard d’euros via l’installation d’un premier four électrique, une formidable innovation. Dont acte, c’est une bonne nouvelle ! Pour autant, cette entreprise doit savoir que la préservation de la filière acier est un objectif national absolu.

Mes chers collègues, madame la ministre, les enjeux économiques à venir sont considérables et la France doit retrouver sa compétitivité et, surtout, sa capacité à créer de la richesse. C’est pourquoi le groupe UC considère qu’il n’est pas souhaitable d’alourdir la réglementation. Il votera donc contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Thierry Cozic, visant à limiter le recours aux licenciements économiques dans les entreprises de moins de 250 salariés qui distribuent des dividendes, opèrent des rachats d’actions, distribuent des stock-options ou des actions gratuites, voire réalisent des bénéfices, est une excellente chose.

Forvia, Auchan, Michelin, Nokia, Vencorex, Verallia, Valeo, comment pouvons-nous continuer à accepter que des groupes qui réalisent des bénéfices licencient des travailleurs en invoquant un motif économique ? Cette absurdité est le résultat de la politique de libéralisation du code du travail menée par les gouvernements successifs, en particulier depuis 2015.

Alors que les plans de suppression d’emplois se multiplient dans tous les secteurs, de l’automobile à la grande distribution, en passant par la chimie, la banque, l’agroalimentaire et la construction, le Gouvernement doit agir pour préserver l’emploi et nos industries.

Il s’agit non pas d’administrer l’économie comme j’ai pu l’entendre lors des travaux de la commission des affaires sociales, mais de moraliser le capitalisme et de protéger notre souveraineté.

Quand l’entreprise ArcelorMittal annonce la suppression de 600 emplois en France, alors que le groupe a versé 600 millions d’euros de dividendes l’an dernier et reçu pas moins de 364 millions d’euros d’aides publiques depuis 2013, nous sommes face à ce que notre ancien collègue député Alain Bocquet qualifie de « licenciements boursiers ».

Comme le rappelle fort justement le rapport de la commission, notre groupe avait proposé en 2011 d’interdire ces licenciements boursiers.

Les plans de licenciement décidés par des entreprises qui distribuent des dividendes aux actionnaires ne sont pas acceptables. Je pense aux travailleurs des usines de Dunkerque, de Fos-sur-Mer ou de Florange, qui se réveillent en apprenant leur licenciement. C’est un coup de massue terrible qui s’abat sur les salariés et leur famille. C’est un coup terrible pour nos territoires.

Ces femmes et ces hommes qui se trouvent confrontés à l’incertitude de retrouver un emploi et, du fait de la réduction de la durée de l’indemnisation du chômage par les gouvernements de M. Macron, dans la précarité financière ont un sentiment d’injustice. Ils sont en colère.

À chaque fois, c’est la même chose : les entreprises qui, dans nos territoires, sont gavées d’argent public – 2 200 dispositifs d’aides publiques existent –, sans aucune transparence et sans que nous obtenions jamais aucun chiffre, nous demandent sans cesse des aménagements supplémentaires pour améliorer l’attractivité et les gains de productivité.

Lorsque les actionnaires estiment que le taux de rentabilité n’est plus suffisamment intéressant, les entreprises ferment tout du jour au lendemain, sans réparer les dégâts commis et, évidemment, sans rembourser les aides publiques qui leur ont été versées.

Dans le cadre des travaux de la commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, mon collègue Fabien Gay et son binôme Olivier Rietmann mesurent combien il est difficile d’extraire les entreprises de leur dépendance aux aides publiques. Nos collègues qui défendent l’économie devraient être favorables à l’arrêt des aides publiques aux entreprises, lesquelles nuisent à la libre concurrence et participent d’une forme d’administration de l’économie.

Pour notre part, nous sommes totalement favorables à l’article 2, qui prévoit le remboursement de l’ensemble des aides publiques versées lors des trois dernières années en cas de licenciement économique abusif. Les entreprises qui fraudent y réfléchiront peut-être à deux fois avant de lancer un plan de sauvegarde de l’emploi, si elles doivent rembourser le CICE et les allégements dégressifs de cotisations sociales qui leur ont été consentis.

En conclusion, le groupe CRCE-Kanaky votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.

Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis de trop nombreuses années, les gouvernements tolèrent que des usines et de grandes entreprises, pourtant rentables, ferment ou accumulent les plans de licenciement, nommés, en langage orwellien, « plans de sauvegarde de l’emploi », alors même que ces établissements ont perçu de nombreuses aides publiques.

En novembre dernier, le ministre de l’industrie s’attendait à une multiplication des plans sociaux. De janvier à mars dernier, 18 000 procédures collectives ont été ouvertes, en hausse par rapport à la même période de l’an passé. À la fin du mois de février, le nombre de défaillances, en cumulé sur douze mois, dépassait 66 000. En ce qui concerne l’industrie, on comptabilisait l’année dernière 89 fermetures ou restructurations de sites industriels.

Toutes ces défaillances, tous ces plans sociaux sont dévastateurs pour l’emploi et les territoires concernés, ce qui conduit l’OFCE à prévoir que le taux de chômage pourrait atteindre 8,5 % à la fin de l’année 2026.

Cette hausse est de plus aggravée par la politique austéritaire du Gouvernement, puisque, selon le même organisme, les coupes budgétaires subies par la mission « Travail et emploi » entraîneront la destruction nette de 77 000 emplois sur un an en 2025, puis de 50 000 emplois en 2026.

Cette austérité budgétaire ne s’applique toutefois pas aux aides publiques aux entreprises qui, selon les études les plus officielles, sont passées de 10 milliards d’euros en 1979 à près de 160 milliards d’euros aujourd’hui, soit, après prise en compte de l’inflation cumulée, une multiplication par plus de quatre. Le tout sans contrepartie, sociale ou écologique, sans évaluation et avec guère de contrôles, au bénéfice d’entreprises qui se permettent parfois de ne pas respecter le peu d’engagements qui ont justifié l’octroi de ces aides.

ArcelorMittal a reçu 850 millions d’euros d’aides publiques pour la décarbonation de son site de Dunkerque – un projet qui n’a pas été mis en œuvre à ce jour –, auxquels s’ajoutent les 300 millions d’euros d’aides publiques perçues en 2023. Or, après avoir versé 433 millions d’euros de dividendes en 2024, l’entreprise annonce aujourd’hui la suppression de plus de 600 emplois.

La fermeture des sites Michelin de Cholet et Vannes concernera 1 200 salariés. L’entreprise a pourtant perçu 42 millions de CIR en 2023 et elle a versé un montant historique de 1,5 milliard d’euros en dividende et en rachat d’actions en 2024.

Le plan social déployé par Auchan en novembre dernier porte sur près de 2 400 emplois, alors que le groupe a bénéficié de 630 millions d’euros d’aides fiscales et de 1,3 milliard d’exonération de cotisations sociales en dix ans.

Le Gouvernement, qui répète inlassablement que l’État doit absolument couper dans les dépenses, refuse pourtant d’interroger l’usage et l’utilité de ces aides. Tandis que la Cour des comptes déplore que certaines aides fassent l’objet de peu de contrôles, de nombreuses études mettent en doute l’efficacité des dispositifs d’aide, du CICE au CIR, en passant par les exonérations de cotisations sociales qui, selon le Conseil d’analyse économique (CAE), n’ont aucun effet sur l’emploi ni sur la compétitivité dès lors qu’elles concernent des salaires supérieurs à 1,6 Smic.

Lorsqu’une personne ou un foyer reçoit des prestations versées à tort par la caisse d’allocations familiales (CAF), elle doit les rembourser.

Mme Raymonde Poncet Monge. Lorsqu’un allocataire du revenu de solidarité active (RSA) ne respecte pas les nouveaux engagements de la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi, dite loi Plein Emploi, son allocation peut être suspendue, voire supprimée.

Qu’en est-il des aides aux grandes entreprises ? Quelles contreparties, quelles sanctions, quelles évaluations ? Ne sont-elles que des instruments au service de l’exigence de rentabilité de leurs actionnaires ?

Ce « deux poids, deux mesures » devant la dépense publique doit cesser. Le groupe GEST remercie l’auteur de cette proposition de loi et le groupe socialiste qui la soutient. Il votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Simon Uzenat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Simon Uzenat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi de notre collègue Thierry Cozic, soutenue par le groupe socialiste, vise à écrire un nouveau chapitre de la responsabilisation sociale de l’économie, en limitant la possibilité, pour les entreprises de plus de 249 salariés qui se livrent à des stratégies financières prédatrices au bénéfice de leurs actionnaires, de recourir aux licenciements économiques.

Madame la ministre, il s’agit non pas de traiter les conséquences de ces licenciements, ce qui serait une preuve d’impuissance, mais bien d’éviter ces drames sociaux et humains.

Pour ce qui nous concerne, nous n’avons de problème ni avec l’économie ni avec la rentabilité. Nous l’avons du reste montré à de très nombreuses reprises. Mais les Françaises et les Français, les organisations syndicales et les patrons des TPE et des PME de notre pays nous attendent.

Les PSE sont parfois utilisés pour augmenter les dividendes au bénéfice des actionnaires. La situation des dirigeants de PME est bien différente, puisque, lorsque leur entreprise rencontre des difficultés, ils sont les premiers à faire des efforts pour protéger leurs salariés.

Ces PSE sont l’archétype d’une socialisation des pertes conjuguée à une privatisation des profits. En sus des aides publiques octroyées aux entreprises qui licencient, aides qui sont consenties au prix d’un endettement public supporté en particulier par les plus modestes de nos concitoyens, l’État et les collectivités locales, elles aussi mobilisées, assument l’accompagnement social des salariés qui sont victimes de ces plans. Tout cela, c’est de l’argent public.

Une fois n’est pas coutume, je citerai Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies, qui, devant la commission d’enquête sur les aides publiques, a déclaré que les aides publiques étaient « l’argent de l’État, l’argent des Français ». Nous sommes parfaitement d’accord avec lui, et c’est l’une des raisons d’être de cette proposition de loi.

Je ne reviendrai pas sur la litanie des plans sociaux et des décisions de restructuration, plus choquants les uns que les autres – Sanofi, Auchan, ArcelorMittal, etc. Je m’arrêterai sur le cas de Michelin, parce que dans le département dont je suis élu, le Morbihan, nous avons vécu un drame avec le site de Vannes, qui, comme celui de Cholet, était un site rentable.

À Vannes, la diversification annoncée a été engagée bien trop tardivement, preuve que les dirigeants de Michelin ne souhaitaient pas donner un avenir à ce site. Quelque 1,4 milliard d’euros de dividendes et de rachats d’actions ont pourtant été versés aux actionnaires en 2024, année au cours de laquelle 1 254 emplois étaient supprimés d’un trait de plume.

Entre 2019 et 2024, le dividende par action de Michelin a augmenté de 46 %, et de nouveau de 2,2 % en 2025. Or ces hausses sont notamment la conséquence de décisions que nous ne pouvons en aucun cas cautionner, car, pour les salariés, cette course sans fin au profit se solde par la fin de la course. En tant que législateurs, nous ne pouvons pas laisser faire.

Les inégalités explosent, l’emploi industriel trinque et notre souveraineté en paie le prix. Vous avez rappelé les chiffres, madame la ministre : le nombre de plans de sauvegarde de l’emploi a augmenté de 30 % entre 2023 et 2024, pour concerner 77 000 salariés en 2025, soit une hausse de 40 % par rapport à 2023.

Or, quand vous ne parlez que de contrats, madame la ministre, nous parlons pour notre part d’êtres humains, qui ne sont pas interchangeables. Ces licenciements sont autant de drames, que, contrairement à ce que vous semblez penser, les créations d’emplois ne résolvent en rien, car les « plus » n’annulent pas les « moins ». Cela ne fonctionne pas ainsi.

La réalité, madame la ministre, c’est que l’industrie manufacturière est de très loin le secteur le plus touché. Or ce secteur – je me tourne vers nos collègues de la droite sénatoriale, qui se font les chantres de l’opposition à l’assistanat – profite de mesures d’assistanat emblématiques, mais celles-ci sont en faveur des actionnaires. J’espère que les arguments qu’avec mon collègue Thierry Cozic nous avons développés ce soir vous conduiront à prendre la bonne décision.

Nous proposons en effet de limiter cet assistanat, pour le coup tout à fait scandaleux, en limitant les licenciements économiques pour les entreprises de plus de 249 salariés. Dans le système actuel – les Français l’ont bien compris –, pile, les actionnaires gagnent, et face, les salariés perdent. Les actionnaires sont toujours gagnants, que ce soit au grattage ou au tirage, et la cohésion de notre pays en pâtit.

Au-delà de son objet, cette proposition de loi est un levier très concret pour rétablir la confiance entre nos concitoyens et leurs élus, entre nos concitoyens et les dirigeants des entreprises. Oui, comme nous, les Françaises et les Français comprennent les difficultés économiques que peuvent traverser nos entreprises et les décisions douloureuses, tragiques, que ces difficultés peuvent emporter. S’ils les comprennent, ils n’acceptent pas pour autant les dérives de la financiarisation de l’économie, et ils ont en cela parfaitement raison, parce que ces dérives consument des vies, des compétences, des territoires. Nous ne pouvons pas l’accepter, en particulier ici, au Sénat.

Oscar Wilde disait que « la fatalité veut que l’on prenne toujours les bonnes résolutions trop tard ». Madame la ministre, mes chers collègues, je vous invite, car c’est l’honneur de l’action politique, à réagir à temps. Telle est la raison pour laquelle nous soutenons avec conviction et détermination la proposition de loi de notre collègue Thierry Cozic, que je remercie une nouvelle fois de son initiative, laquelle, je l’espère, trouvera une issue favorable ce soir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Michel Masset applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Brault.

M. Jean-Luc Brault. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est un vaste sujet que celui dont nous débattons. Dirigeant d’une PME dans le Loir-et-Cher, Climatelec, qui pèse aujourd’hui 80 millions d’euros, j’ai préféré, au grand dam de mes enfants, vendre ma boutique pour ne pas prendre le risque d’avoir à licencier.

Le licenciement est en effet un véritable problème. De manière générale, diriger une entreprise est un combat de tous les jours. Il faut trouver des clients, il faut produire, il faut vendre et il faut se faire payer. Mais, avant même tout cela, que l’entreprise compte dix, cent ou mille salariés, le chef d’entreprise doit rémunérer ses salariés, investir pour projeter son entreprise dans le futur et, parfois, rémunérer ses actionnaires pour s’assurer de la pérennité de leur investissement. Rémunération, production et investissement sont donc les challenges de tous les jours du chef d’entreprise.

Je tiens à dire que les entreprises de notre pays nous rendent fiers et que leurs dirigeants sont des acteurs essentiels de notre économie.

N’en déplaise aux dirigistes de tous bords, qui rêvent de voir les entreprises gérées par l’État, sans ces chefs d’entreprise, il n’y aurait pas de richesse dans nos communes, nos départements et nos régions. Telle est la réalité, car l’État est incapable de gérer une entreprise. Qu’il apprenne déjà à gérer nos finances !

Je conviens que certaines aides publiques qui n’auraient pas dû être versées devraient sans doute être remboursées. Mais interdire de licencier aux entreprises qui auraient reçu des aides, des allégements de cotisations sociales ou des crédits d’impôt recherche n’est pas une solution. On ne peut pas considérer que ces aides emportent nécessairement l’interdiction de licencier.

Ces dispositifs existent pour des raisons précises. Le taux de charges sociales est beaucoup trop élevé dans notre pays par rapport à nos voisins, ce qui justifie l’existence des allégements de cotisations et du crédit d’impôt pour la compétitivité de l’emploi. De même, les impôts qui pèsent sur nos entreprises étant trop élevés, les dispositifs comme le crédit d’impôt recherche visent à leur permettre d’investir dans l’innovation.

Sans doute les grandes entreprises nationales qui bénéficient de ces aides devraient-elles restituer, peut-être pas en totalité, mais en grande partie, les aides qu’elles ont perçues dès lors qu’elles licencient. Il reste que ces dispositifs sont utiles pour les entreprises, à plus forte raison pour celles qui connaissent des difficultés économiques.

J’ajoute que les licenciements économiques sont particulièrement encadrés par le code du travail. Gare aux oreilles du patron qui ne respecterait pas ce code ! Le caractère réel et sérieux du motif économique est vérifié par l’administration, et il peut être contesté devant les tribunaux. Le licenciement économique peut même être annulé par la justice, si le chef d’entreprise ne respecte pas le cadre fixé par le code du travail.

Chers amis socialistes, je souhaite enfin évoquer la finalité de votre proposition de loi. Si elle était adoptée, l’interdiction que vous proposez ne sauverait pas nécessairement les emplois concernés.

M. Thierry Cozic. Il ne s’agit pas d’interdire !

M. Jean-Luc Brault. Dès lors qu’une entreprise va mal, elle doit faire des économies de fonctionnement. Dès lors que les conditions de mauvaise santé économique sont réunies pour mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi, il serait contre-productif d’imposer à l’entreprise de garder les salariés concernés, alors qu’elle doit au contraire se restructurer afin de réduire ses charges. Pire, cette interdiction pourrait rapidement entraîner davantage de licenciements, voire la disparition de l’entreprise.

Un chef d’entreprise ne licencie jamais avec plaisir, mais les licenciements sont parfois nécessaires, hélas ! pour réduire la masse salariale de l’entreprise et sauver les emplois qui restent.

Nous pensons que ce débat n’est pas inutile, mais nous nous opposons à l’administration de l’économie que vous proposez. Chers collègues socialistes, pour aboutir à votre objectif, il y a plus efficace que d’interdire les licenciements en cas de difficultés économiques : il suffit tout simplement d’interdire les difficultés économiques des entreprises. (Sourires.) Simplifions les choses et, ensemble, remettons notre pays en marche ! (Nouveaux sourires.)

Vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants s’opposera à l’adoption de cette proposition de loi.