Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky a demandé le retour à la procédure d’examen en séance de ce texte, à la place du vote en commission, afin de pouvoir exprimer son rejet d’un traité dont il pense qu’il engage notre pays dans une impasse. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.) Pour ma part, je me félicite de ce débat en séance publique, mais pour des motifs exactement inverses.
Ce traité revêt une importance stratégique majeure, pour de nombreuses raisons.
Tout d’abord, Djibouti jouit d’une situation géographique exceptionnelle, puisque ce pays est situé en face du détroit de Bab el-Mandeb, au carrefour de la Corne de l’Afrique, de la péninsule arabique et de l’océan Indien.
La présence, depuis 2017, de quatre bases militaires étrangères – celles des États-Unis, du Japon, de l’Italie et de la Chine –, en plus de la nôtre, suffirait à elle seule à confirmer cette importance stratégique, au moment où la guerre civile au Yémen s’intensifie et où les Houthis menacent les navires passant dans le détroit, ce qui a drastiquement réduit les flux commerciaux en mer Rouge.
Ensuite, ce traité s’inscrit dans un contexte de diminution de la présence française en Afrique au cours des dernières années : baisse des effectifs militaires en Côte d’Ivoire, au Gabon ou au Sénégal et retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger, ainsi que, dernièrement, du Tchad.
À ce sujet, rappelons que la Russie a utilisé le Sahel comme un véritable laboratoire pour manipuler les opinions publiques locales et instrumentaliser les médias. Force est de constater qu’elle est parvenue à trouver un écho favorable au-delà du seul continent africain.
Cinquante-huit Français sont tombés en combattant le terrorisme au Sahel, après que la France a répondu à l’appel de détresse lancé par les autorités maliennes ; je voudrais saluer la mémoire de cette femme et de ces hommes, ainsi que l’engagement de tous nos soldats.
Cette histoire récente du Sahel rend d’autant plus important le maintien de la coopération militaire avec Djibouti. La France devrait-elle renoncer à défendre ses partenaires et ses valeurs et donner à la Russie de Poutine et aux mercenaires de l’ex-groupe Wagner un blanc-seing sur les coopérations militaires dans la région ?
Loin de constituer une impasse, nous considérons que la présence française est indispensable. La France a pour ambition d’être une puissance d’équilibre. Par sa présence et son action, elle est en mesure de renforcer la sécurité de la zone.
En plus de permettre à nos forces armées de se projeter en mer Rouge et en Indo-Pacifique, l’accord conclu avec Djibouti répond en premier lieu, il faut le rappeler, à une demande des autorités djiboutiennes elles-mêmes.
Après avoir ouvert leurs portes au régime chinois dans les années 2010, les autorités djiboutiennes veillent à maintenir un équilibre des puissances présentes sur leur territoire, afin de ménager leur indépendance. Tout comme elles, nous souhaitons que notre relation se poursuive. La France ne doit pas se désengager des affaires du monde, au moment même où les tensions s’accroissent. Nous devons maintenir notre coopération en matière de défense avec Djibouti.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera ce texte à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens avant toute chose à remercier notre collègue Cédric Perrin de son rapport, qui rappelle les enjeux de ce projet de loi.
En tant que rapporteur budgétaire du programme 144, je suis amené à suivre les activités internationales du ministère des armées. À ce titre, j’avais souligné la nécessité de faire aboutir rapidement les pourparlers pour la révision du traité de coopération en matière de défense avec la République de Djibouti. C’est désormais chose faite ! Nous nous en réjouissons, car l’enjeu est de taille.
Située à proximité immédiate du détroit de Bab el-Mandeb, qui ouvre la circulation maritime vers la mer Rouge et le canal de Suez, Djibouti est au cœur de la géopolitique des détroits. Voyez les pressions qui s’exercent de plus en plus sur les détroits de Malacca, d’Ormuz et de Panama. Avec celui de Bab el-Mandeb, ils constituent les points de passage obligés des flux maritimes mondiaux, qui suscitent le plus haut intérêt des puissances.
Verrou méridional de la mer Rouge, le détroit de Bab el-Mandeb et sa sentinelle Djibouti représentent un hub stratégique où se pressent nombre d’États. Certains d’entre eux, comme la France, les États-Unis, la Chine, l’Italie et le Japon, y entretiennent des bases militaires permanentes.
La Chine y a même construit sa première base à l’étranger, avec des capacités de premier ordre, et s’investit fortement sur le territoire dans le cadre des routes de la soie, un projet qui contribue à un endettement djiboutien difficilement soutenable. Les Chinois envoient ainsi un signal fort et clair concernant leurs ambitions régionales et globales.
De cette situation atypique, Djibouti entend, à bon droit, tirer le bénéfice le plus large.
Tout d’abord sur le plan sécuritaire, puisque cette concentration de forces contribue à la protection de ce petit État, situé au cœur d’une région aujourd’hui frappée par l’instabilité. À cet égard, soulignons le rôle joué par la France dans la surveillance des espaces aériens et maritimes de Djibouti et, surtout, la clause de sécurité qui lie nos deux pays. Celle-ci pose le principe de notre éventuelle participation à la défense de l’intégrité territoriale de Djibouti.
Le bénéfice recherché est aussi économique. En effet, chacune des bases installées contribue à dynamiser l’activité locale et participe significativement aux rentrées budgétaires. Lors de mon déplacement à Djibouti, les autorités locales m’avaient d’ailleurs rappelé le différentiel entre le loyer qui est payé par la France et celui dont s’acquittent les autres États…
Force est de constater que, dans un contexte de montée des tensions, les forces françaises prépositionnées à Djibouti apparaissent comme un actif stratégique, dont la valeur ne cesse de s’apprécier.
Dans ce contexte, la contribution forfaitaire de la France s’élève de 30 millions à 85 millions d’euros par an. En outre, pas moins de 40 % de l’îlot du Héron seront restitués par la France. Ce territoire abrite une base navale tout à fait essentielle pour la France, particulièrement pour la mise en œuvre opérationnelle de sa stratégie dans la zone indo-pacifique.
Ces transferts sont une source d’inquiétude, en particulier au vu de l’expansion des capacités chinoises, à quelques encablures de l’îlot.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que ces évolutions ne porteront pas préjudice au bon fonctionnement de la base du Héron ? Pouvez-vous également nous indiquer si elles auront un impact sur la nécessaire modernisation des infrastructures militaires dont nous disposons sur place ? Enfin, les effectifs des forces françaises stationnées à Djibouti remonteront-ils, après les baisses drastiques subies en quelques années et compte tenu des moyens engagés par les autres États ?
Les concessions faites par notre pays dans le cadre de ce nouveau traité sont importantes. Elles apparaissent comme un prix nécessaire vu le point d’appui que représente Djibouti pour nos armées dans un environnement instable.
La France est fortement mise au défi en Afrique francophone. Dans notre intérêt, il faut accepter la compétition et nous donner les moyens d’y répondre, en refondant nos partenariats avec les pays africains, ou, à défaut, accepter le déclassement.
Les forces et les infrastructures françaises à Djibouti ont joué un rôle cardinal dans diverses opérations. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui va au-delà d’un simple accord de présence. Il s’agit d’un levier pour renforcer les capacités nationales de défense de Djibouti dans un contexte régional particulièrement dégradé et face à des menaces accrues. Cette coopération technique pourrait se révéler précieuse.
Ce faisant, l’accord témoigne d’une volonté de promouvoir une approche partenariale de la sécurité internationale. Il offre un cadre juridique clair à nos personnels militaires et conforte la relation diplomatique de qualité que nous entretenons avec Djibouti.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains soutiendra résolument sa ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Hélène Conway-Mouret et M. Stéphane Fouassin applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour un moment important : la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la France et Djibouti.
Ce texte revêt une signification particulière en raison de la force et de la profondeur des relations qui unissent nos deux pays et nos deux peuples.
Les liens humains, façonnés par l’Histoire, témoignent d’une véritable amitié entre nos nations : aujourd’hui, entre 4 000 et 5 000 Français vivent à Djibouti. S’y ajoutent des liens culturels importants, nourris par notre appartenance commune à la francophonie. J’ai notamment à l’esprit le magnifique travail de l’Institut français de Djibouti, du lycée français et de l’école de la Nativité.
Enfin, je n’oublie pas les liens économiques, avec la vocation bien connue de hub de ce pays, que l’engagement d’Aéroports de Paris Ingénierie (ADPI) et d’Egis aux côtés de nos partenaires pour la réalisation d’un second aéroport illustre parfaitement.
Le moment est important, en outre, car nous avons noué avec Djibouti un partenariat militaire particulièrement fort et stratégique.
Il s’appuie, tout d’abord, sur la clause de sécurité inscrite à l’article 4, qui engage la France à défendre l’intégrité territoriale de Djibouti. Ensuite, notre pays participe à la police de l’espace aérien djiboutien et coordonne désormais le trafic militaire aérien. Enfin, sont présents 1 500 militaires français des trois armées. Les FFDj entretiennent des liens étroits avec les forces armées djiboutiennes, et ces relations seront encore renforcées par la simplification des manœuvres militaires prévue à l’article 5 du traité.
Notre partenariat est également stratégique, en raison de la position de Djibouti sur le détroit de Bab el-Mandeb et de la proximité du pays avec des théâtres de crises régionales : Houthis au Yémen, qui déstabilisent la région, contextes complexes en Éthiopie, au Soudan ou en Somalie.
La base française à Djibouti est un point d’appui pour la projection de nos forces et pour les opérations humanitaires. Nous l’avons constaté encore récemment lors de l’évacuation de Français et d’Européens depuis le Soudan. Il en va de même dans le cadre du pivot indo-pacifique.
Pour avoir été présent au début des discussions sur ce nouveau traité de coopération militaire et de défense (TCMD) dès 2020-2021, je puis témoigner que celui-ci est le fruit de l’engagement au plus haut niveau des présidents Ismaïl Omar Guelleh et Emmanuel Macron, des forces de défense des deux pays, des ministres de la défense et des deux diplomaties respectives.
Je tiens à saluer particulièrement Mahamoud Ali Youssouf, ancien ministre des affaires étrangères et aujourd’hui président de la commission de l’Union africaine, pour son rôle déterminant, ainsi que le travail de nos ambassadeurs de l’époque, Ayed Mousseid Yahya et Arnaud Guillois.
Alors que les bases de négociation initiales présentaient un écart notable entre les positions des deux États, nous sommes parvenus à un traité équilibré et conçu pour durer. Nous avons réussi à conserver une emprise opérationnelle sur l’île du Héron, les contributions financières ont été réévaluées – c’était nécessaire – et cet accord engage les deux parties pour vingt ans.
Au vu de ces avancées, le groupe RDPI votera avec conviction en faveur de la ratification de ce traité. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Hélène Conway-Mouret applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Mireille Jouve. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.) Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a encore quelques années, nous vivions dans une économie de paix et peu d’entre nous accordaient de l’intérêt aux sujets touchant à la défense. Il y avait l’Europe, il y avait l’ONU ; la régulation des rapports entre les sujets de droit était ainsi peu ou prou respectée.
Ce temps est malheureusement révolu. Nous devons supporter la folie des hommes et une accumulation de crises sociales, économiques et climatiques, qui exacerbent les passions. Immanquablement, ces dérèglements suscitent interrogations et inquiétudes. Tout cela explique que nous ayons changé de logiciel en matière de défense.
Je tiens à remercier le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky d’avoir demandé le retour à la procédure normale, car cela nous permet d’aborder le fond du traité de coopération, pilier de la relation bilatérale de défense avec la République de Djibouti.
Chacun le sait, Djibouti accueille cinq bases militaires étrangères : la nôtre, depuis 1977, et celles des États-Unis depuis 2003, du Japon depuis 2011, de l’Italie depuis 2012 et enfin de la Chine depuis 2017. Ainsi, Djibouti est devenu un point névralgique des luttes d’influence.
Pour autant, la France y joue un rôle à part. Parmi les puissances militaires présentes, elle est la seule à avoir signé, conformément à l’article 4 du nouveau traité, une clause de sécurité en vertu de laquelle elle assure l’intégrité du territoire de Djibouti. Elle contribue ainsi à la défense des espaces aérien, terrestre et maritime de ce pays.
La position géographique de Djibouti et l’instabilité environnante lui confèrent une image d’îlot de stabilité indispensable au déploiement de notre stratégie régionale, sur le plan tant géopolitique que géoéconomique.
Djibouti participe aux efforts internationaux et régionaux de contre-terrorisme visant à perturber les Shebab de Somalie et les rebelles Houthis du Yémen, mais constitue également un important nœud de câbles de données sous-marins, plus de 90 % de la capacité Europe-Asie étant acheminée par la mer Rouge. Ces câbles représentent aujourd’hui un enjeu géopolitique mondial, et leur destruction emporterait des incidences substantielles pour les États, alors que chacun tente de peser de tout son poids sur la diffusion de l’information.
Situé face au Yémen, Djibouti voit passer une part non négligeable du trafic maritime mondial : 12 % du volume total, 40 % des échanges Asie-Europe et, par exemple, 90 % des exportations japonaises, ces chiffres évoluant naturellement depuis la crise avec les Houthis, consécutive à l’affrontement entre le Hamas et Israël.
Djibouti se trouve aussi au cœur de notre stratégie indo-pacifique. Notre engagement se voit renforcé par nos territoires d’outre-mer comme La Réunion, Mayotte et la Polynésie française. L’océan Indien est aujourd’hui le théâtre des rivalités entre grandes puissances, notamment la Chine, les États-Unis et l’Inde.
Pour toutes ces raisons, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen votera en faveur de ce traité de coopération. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ludovic Haye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Ludovic Haye. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti représente à la fois une réaffirmation de notre partenariat historique avec ce pays et un instrument stratégique face aux nouveaux défis géopolitiques.
Ce texte vient renforcer un lien de confiance tissé depuis près de quarante-cinq ans. Cette coopération, qui n’a rien perdu de sa vitalité, doit aujourd’hui être adaptée aux enjeux sécuritaires contemporains.
À cet égard, je tiens à saluer le travail rigoureux de notre président de commission et rapporteur de ce projet de loi, dont l’analyse a permis de mettre en lumière toute la portée de cet accord.
Situé à l’entrée du détroit de Bab el-Mandeb, carrefour maritime essentiel entre la mer Rouge et l’océan Indien, Djibouti occupe une position géostratégique majeure et constitue une pièce centrale de la stabilité régionale et du commerce international, au cœur d’une zone traversée chaque jour par près de 30 % des échanges commerciaux mondiaux.
Toutefois, la montée des tensions en mer Rouge, alimentée par les attaques des Houthis contre la navigation commerciale et l’instabilité des rives voisines, exige une adaptation de notre présence et de nos engagements.
C’est pourquoi ce traité modernise les modalités de l’engagement militaire français dans la région.
Dans une logique de respect mutuel et de préservation de la souveraineté djiboutienne, cette coopération stratégique s’articulera autour d’un comité bilatéral renforcé ; elle permettra un appui concret aux forces armées djiboutiennes, notamment au travers de la formation, du transfert d’expertise et de la fourniture de matériels de défense français, pour un montant de plusieurs dizaines de millions d’euros.
Ce traité devient ainsi un levier concret de stabilité pour l’ensemble de la région et porte l’ambition plus large de contribuer à la sécurité internationale, en conformité avec les objectifs inscrits dans la Charte des Nations unies.
Il convient de le replacer dans un contexte de compétition stratégique croissante à Djibouti. Face à la montée en puissance de la présence chinoise, à la fois économique et militaire, les autorités djiboutiennes manifestent aujourd’hui une volonté explicite de rééquilibrer les forces en présence et de renforcer leurs liens avec la France. Cette dynamique va dans le sens de nos intérêts communs.
Enfin, je souhaite adresser, devant les militaires présents dans nos tribunes, un hommage solennel à l’ensemble des soldats qui, depuis des décennies, ont servi à Djibouti. Par leur professionnalisme et par leur sens du devoir, ils incarnent concrètement nos débats et sont les premiers acteurs de cette coopération stratégique que nous nous apprêtons à renforcer.
C’est parce que ce traité se situe à la croisée de notre histoire partagée, de nos intérêts stratégiques et de notre responsabilité internationale que le groupe Union Centriste votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE. – MM. Cédric Perrin et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et RDSE.)
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, notre groupe a sollicité le retour à la procédure normale, car, à la différence de notre collègue Claude Malhuret, il se refuse à adapter l’exigence du respect des droits de l’homme dans les différents pays du monde au gré des intérêts militaires de la France. Je lui laisse donc ses arguments, et vous m’autoriserez, bien sûr, au nom de la démocratie, à développer les miens.
Nul n’ignore le double objectif de ce partenariat : d’une part, maintenir une présence militaire dans le détroit de Bab el-Mandeb, afin de contrer les attaques des rebelles Houthis contre les navires commerciaux, et, d’autre part, garantir des capacités de projection de forces sur le continent africain et dans l’Indo-Pacifique.
Cependant, permettez-moi de revenir sur plusieurs points de ce traité.
Sur la forme, tout d’abord – c’est là notre première objection –, force est de constater, malheureusement, une montée en puissance des Houthis en dépit des actions menées par les différentes coalitions internationales, ce qui souligne d’ailleurs, s’il en était encore besoin, l’échec d’une approche exclusivement guerrière.
Sur le fond, ensuite, le soutien à une telle approche militaire dans ce détroit nous apparaît tout à la fois inefficace et contre-productif, notamment pour ce qui concerne l’objectif de maintien de forces de projection dans le cadre de la stratégie de l’Otan dite de l’Indo-Pacifique.
Vous le savez, nous sommes résolument opposés à cette logique de bloc, qui vise, d’une part, à endiguer la puissance chinoise et, d’autre part, à soutenir et à encourager une présence militaire américaine dans la région. Je le redis ici : nous ne choisissons pas entre deux impérialismes – ou ingérences, comme disent certains, avec beaucoup de pudeur, lorsque cela les dérange.
Nous affirmons, au contraire, la nécessité, par la force diplomatique de notre pays – y compris, à certains moments, par sa puissance militaire –, de rendre aux peuples la capacité de s’émanciper et de décider souverainement de leur avenir.
Enfin, je m’étonne qu’aucun des orateurs précédents n’ait abordé la nature du régime de Djibouti. Je souhaite donc mettre en lumière l’absence d’exigence morale que sous-tend la ratification d’un tel partenariat : un concours financier de 1,2 milliard d’euros annuels, sur une période de vingt ans, au bénéfice d’un régime dictatorial !
Qu’il me soit permis de le dire crûment : outre les exécutions arbitraires et l’application des lois de la charia, le régime de Djibouti persiste dans son refus de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Il s’obstine à ne pas ratifier les protocoles facultatifs se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ainsi qu’à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Mes chers collègues, concevez-vous que l’on puisse, d’un côté, applaudir, comme ce fut le cas ici même il y a un peu plus d’une heure, le ministre de l’intérieur, M. Bruno Retailleau, lorsqu’il affirme, à juste titre, la nécessité de combattre l’islamisme qui se répand à bas bruit, et, de l’autre, approuver par notre vote un soutien financier de plusieurs milliards d’euros à des États qui l’entretiennent objectivement et menaceront, pour les années à venir, l’équilibre de notre planète ?
Soyons la France, celle des Lumières ! Attachons-nous à défendre les principes des droits de l’homme tant que la lumière brille encore dans ces États ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, porte d’entrée de la mer Rouge et du golfe d’Aden, le détroit de Bab el-Mandeb revêt une importance stratégique majeure. Il relie la Méditerranée à l’océan Indien, constituant un point de transit crucial pour l’Europe : 70 % de son trafic maritime le traverse. L’intérêt stratégique de Djibouti n’est donc plus à démontrer.
La France, ancienne puissance coloniale, le sait très bien. Depuis l’indépendance du pays en 1977, nous y maintenons une présence militaire, dont nous discutons aujourd’hui du renouvellement pour vingt ans.
Ce nouveau traité renforce celui de 2014 sur plusieurs points, notamment par la rétrocession de 40 % de l’île du Héron à Djibouti et par une augmentation du loyer annuel de notre base, fixé désormais à 85 millions d’euros.
Ce nouvel accord vise à maintenir notre implantation dans une région où les enjeux de sécurité demeurent nombreux. Les actes de piraterie des milices shebab depuis la Somalie, ainsi que les attaques des rebelles Houthis du Yémen, menacent la circulation maritime. Djibouti est donc un point d’appui indispensable pour sécuriser ces flux, et la France prend toute sa part aux opérations européennes en la matière.
Notre base de Djibouti sert aussi à projeter des moyens militaires vers l’Afrique de l’Est, le Moyen-Orient et l’océan Indien, où les tensions sont nombreuses. Il s’agit d’un relais utile pour connecter l’Hexagone à La Réunion et à Mayotte ; ce fut le cas, par exemple, pour l’aide d’urgence lors des récents cyclones.
À l’heure d’une forte compétition entre les grandes puissances, notre maintien à Djibouti est d’autant plus vital que notre présence en Afrique recule fortement. Nos bases au Mali, au Niger, au Tchad et au Burkina Faso sont fermées depuis les coups d’État militaires intervenus entre 2021 et 2023, celles de Côte d’Ivoire et du Sénégal sont en train d’être évacuées, et notre présence au Gabon va être réduite.
En quelques années à peine, la France a donc perdu presque toute sa présence militaire en Afrique, à l’exception de Djibouti. Nous ne pouvons prendre le risque de voir cette implantation disparaître à son tour et d’autres puissances non démocratiques comme la Chine prendre notre place. C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en faveur de cet accord.
Néanmoins, cette débandade et la montée du sentiment anti-français dans toute l’Afrique doivent nous inciter à nous interroger.
Malgré nos nombreuses alertes à cette tribune, les vieux réflexes de la Françafrique restent présents. J’avertis donc de nouveau : si Djibouti est officiellement démocratique, son président est en poste depuis 1999 et son âge avancé pose la question de sa succession. La France doit plaider pour la démocratisation du régime, en particulier pour le droit de l’opposition à concourir aux élections parlementaires.
Cet épuisement d’un pouvoir autocratique accusé de crimes de guerre et de torture pose question, tant ce scénario rappelle celui qui a abouti au départ tumultueux de nos troupes du Sahel.
La formation des soldats djiboutiens par la France se doit donc d’être exemplaire et de ne pas déboucher sur des massacres de civils. Il y va du respect des droits humains comme de notre intérêt stratégique : notre présence s’effondre quand les dictateurs avec lesquels nous la négocions disparaissent. Je forme donc le vœu que ce vote permette, enfin, d’envisager de nouvelles relations avec l’Afrique.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la république française et la république de djibouti
Article unique
Est autorisée la ratification du Traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti, signé à Paris le 24 juillet 2024 et dont le texte est annexé à la présente loi.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures vingt.)