Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, il me semble que nous disons vraiment la même chose et qu’en même temps nous ne disons pas tout à fait la même chose.
Nous disons vraiment la même chose : les missions de service public qu’assure La Poste sont essentielles.
Mais nous ne disons pas la même chose : c’est bien au contraire, me semble-t-il, parce que La Poste s’est diversifiée, parce qu’elle a trouvé de nouvelles sources de croissance, de chiffre d’affaires, de rentabilité, qu’elle pourra dans le temps continuer d’assurer ses missions.
À recentrer La Poste sur les seules quatre missions de service public, on en ferait, au fond – je vous le donne en mille –, un bout de ministère, une extension des services préfectoraux, parce qu’il n’y a pas de modèle économique viable pour l’exercice exclusif de ces quatre missions. Si l’on veut conserver pour les exercer une entreprise à capitaux publics, qui est un des actifs de notre pays, la stratégie doit bien être pour La Poste de poursuivre sa diversification, et de rendre cette diversification vraiment rentable, l’État continuant par ailleurs d’accompagner les missions qui ne sont pas rentables, mais qui sont essentielles, et de le faire dans un cadre démocratique.
Mais si l’on recentre La Poste uniquement sur ces quatre activités fondamentales – le service universel postal, l’accès au compte bancaire, la distribution de la presse et l’aménagement du territoire –, La Poste deviendra une extension du service préfectoral : ce ne sera plus une entreprise. Or je ne crois pas que c’est ce que nous cherchions.
La situation est compliquée : la distribution de courrier était une source énorme de revenus pour La Poste, via les timbres, et c’est moins le cas désormais. Faute de diversifier, il n’y aura donc pas d’avenir. Cela suppose évidemment de diversifier de la bonne façon, de manière raisonnée, vers des secteurs qui ont eux-mêmes un avenir, sur des marchés porteurs.
Je résume : à la fois nous sommes d’accord et nous ne sommes pas complètement d’accord. C’est bien pourquoi, du reste, nous avons des débats, car, à ce sujet, l’œuvre collective de la démocratie reste en partie à accomplir.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Jeanne Bellamy. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
Mme Marie-Jeanne Bellamy. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, intervenant dans un domaine extrêmement concurrentiel, le groupe La Poste doit aujourd’hui faire face à des défis majeurs. La Poste est confrontée à une baisse continue des volumes de courrier, accélérée par la pandémie et par le changement lié aux usages numériques. En 2023, l’activité courrier ne représentait plus que 15 % de son chiffre d’affaires, contre 50 % en 2010. En dix ans, ses revenus ont chuté de 6,5 milliards d’euros.
Le groupe s’est adapté en engageant une diversification de ses activités : logistique, portage de repas, téléphonie, bancassurance, services de proximité. En dépit de ces efforts, le rapport publié par la Cour des comptes en février dernier confirme la dégradation de sa situation financière, liée à la baisse des métiers historiques et à la rentabilité insuffisante des activités de diversification.
La Poste est chargée de quatre missions de service public : le service universel postal, qui garantit à tous les usagers, de manière permanente et sur l’ensemble du territoire national, des services postaux de qualité à des prix abordables ; la contribution à l’aménagement et au développement du territoire, avec le maintien de 17 000 points de contact ; le transport et la distribution de la presse ; l’accessibilité bancaire. Ces missions sont plus nombreuses et plus exigeantes que celles qui sont dévolues aux autres opérateurs postaux européens. Ce choix du législateur, l’État doit l’assumer.
Les engagements réciproques de l’État et du groupe ont été contractualisés pour la période 2023-2027. Un contrat de présence postale territoriale pour la période 2023-2025 a également été signé par l’État, La Poste et l’AMF.
Pourtant, le coût des missions de service public assumées par le groupe n’est pas intégralement compensé par l’État. Leur solde est déficitaire et connaît une forte détérioration depuis 2017. Selon la Cour des comptes, en 2023, il manquait environ 479 millions d’euros pour compenser le coût de la mission de service universel postal. Quant au coût du contrat de présence postale, évalué par l’Arcep à 322 millions d’euros, l’État n’en compense qu’un peu plus de la moitié, 174 millions d’euros par an.
Depuis 2020 et la réforme de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), une partie du fonds postal de péréquation territoriale est alimentée par des abattements appliqués à la fiscalité locale et par une dotation de l’État. À la fin du mois de septembre dernier, La Poste était informée de l’intention du Gouvernement d’annuler près de la moitié des crédits votés en loi de finances pour 2024 : 50 millions d’euros sur 105 millions – des crédits, rappelons-le, déjà distribués et utilisés… Non seulement, donc, les crédits votés ne compensent pas tout, mais ils peuvent être annulés. Il ne s’agit pourtant pas là d’une subvention à une entreprise, mais d’un fonds de péréquation dont l’intégralité est réinvestie dans les territoires via les commissions départementales de présence postale territoriale (CDPPT).
À l’insuffisance des crédits alloués s’ajoute donc un problème de méthode qui plonge le groupe dans une insécurité juridique et financière intenable. Comment bâtir un budget, sans même parler de révolutionner un modèle économique, dans une telle incertitude financière ? La Poste n’est pas une entreprise comme les autres, c’est un acteur essentiel du lien social et de l’aménagement du territoire.
Nous sommes dans une année charnière, avec la désignation, à la fin du mois de juin, d’un nouveau président ou d’une nouvelle présidente, puis la désignation de l’entreprise qui sera chargée du service universel postal à compter du 1er janvier 2026.
Madame la ministre, il est temps de faire des choix et d’imposer un cap. Quel sera-t-il ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Madame la sénatrice, j’entends ce que vous dites sur les annulations de crédits. Pour être parfaitement précise, l’annulation de crédits, c’est l’opération à laquelle on procède quand une dépense dérape en cours d’année. Or jamais en cours d’exécution on n’a annulé un quelconque engagement vis-à-vis de La Poste.
Ce à quoi vous faites référence, c’est au fait que le Gouvernement a déposé, depuis quelques années, des projets de loi de finances initiale dans lesquels le coût pour La Poste de sa mission de contribution à l’aménagement du territoire était sous-compensé, les crédits inscrits chaque année à ce titre s’élevant à 170 millions d’euros environ. Cela, c’est vrai.
Néanmoins, vos remarques sont importantes : il importe d’apporter de la prévisibilité à l’entreprise afin qu’elle poursuive ses plans de transformation et de déploiement, tout en assurant pleinement l’exécution de son contrat de présence postale.
L’arrivée d’une nouvelle direction constitue, à cet égard, une opportunité pour engager ce travail. Je rappelle cependant que de nombreuses décisions se prennent dans un cadre tripartite : ce dialogue ne se fait pas uniquement entre l’État et La Poste ; les maires et les collectivités territoriales y sont également pleinement associés.
Vous-même, mesdames, messieurs les sénateurs, en tant que représentants de ces collectivités, avez un rôle déterminant à jouer. Vous pouvez contribuer à l’élaboration d’un récit pluriannuel « réaliste », comme nous l’évoquions tout à l’heure.
Imaginer recentrer La Poste exclusivement sur ses missions de service public ne permettrait pas d’assurer la viabilité de l’entreprise. À l’inverse, il convient de l’accompagner dans ses efforts de diversification, sans rejeter trop rapidement ces démarches au prétexte qu’elles paraîtraient baroques, exotiques ou bizarres. C’est ce chemin qu’il nous faut tracer.
Je suis ministre chargée des comptes publics depuis cinq mois et, jamais, dans les arbitrages de gestion annuelle, il n’a été question de réaliser des économies en passant « un coup de rabot » sur La Poste. L’enjeu est trop important.
Le débat budgétaire doit naturellement continuer de se tenir dans la transparence du dialogue parlementaire. Il nous appartient, dans ce cadre, de bâtir ensemble une programmation davantage pluriannuelle, et je vous rejoins pleinement sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, La Poste est un acteur essentiel du service public français, et ce depuis des siècles. Elle assure un maillage territorial unique qui permet de maintenir un lien social et économique vital sur tous nos territoires.
C’est la seule entreprise française qui dispose d’un tel réseau, avec 62 000 facteurs qui sont en contact direct chaque jour avec plus d’un million de personnes. Ils sont parfois le seul contact pour des personnes âgées isolées dans nos territoires ruraux. Ils distribuent quotidiennement près de 20 millions de courriers et de colis dans plus de 44 millions de foyers.
Malgré les défis posés par l’essor du numérique et l’évolution des modes de consommation, La Poste a su – par obligation – se réinventer et moderniser son offre, tout en préservant ce service public sur l’ensemble du territoire national.
Jamais une entreprise n’a connu un tel effondrement de son activité principale. Aujourd’hui, la distribution du courrier ne représente plus que 15 % du chiffre d’affaires du groupe, contre 52 % en 2010.
Parmi ses initiatives de diversification, on peut relever la création de messageries électroniques sécurisées ou encore de signatures numériques, le renforcement de ses capacités de livraison de colis, avec l’essor du commerce en ligne, le développement de services bancaires et financiers – La Banque postale, notamment –, le déploiement de services aux entreprises via des solutions de marketing direct ou encore de gestion de documents, le maintien de bureaux de poste dans les zones rurales, le développement de services d’accompagnement aux personnes âgées – par exemple, dans mon département, les livraisons de repas –, l’usage de drones pour la livraison ou encore l’automatisation des centres de tri.
Le résultat de La Poste est en progression. Son chiffre d’affaires est passé de 22 milliards à 34 milliards d’euros entre 2013 et 2022, ce qui prouve que l’entreprise a su relever ce défi de la transformation.
Cependant, il faut le dire, ces diversifications ne doivent pas nous faire oublier les missions essentielles de service public qu’elle doit remplir au quotidien auprès des Français. Or force est de constater que le compte service public du groupe est largement déficitaire, malgré les compensations annuelles de l’État. Ces dernières demeurent bien insuffisantes au regard des besoins.
Lors de son audition devant la commission des affaires économiques du Sénat, le président Philippe Wahl précisait : « La sous-compensation de nos missions de services publics prend une acuité considérable. »
La Poste a dépensé 4 milliards d’euros de plus que ce que l’État lui a versé pour remplir les missions de contribution à l’aménagement du territoire qui lui sont attribuées. Elle a le devoir de maintenir 17 000 points de contact sur l’ensemble du territoire national, que ce soit au travers de ses bureaux de poste, des agences postales communales, mais aussi des points relais.
Madame la ministre, le caractère essentiel des services proposés par La Poste n’est plus à démontrer. Comment mieux compenser et accompagner ses missions de services publics ? Qu’en sera-t-il, notamment, après 2027 ?
Par ailleurs, pensez-vous que La Poste pourrait être davantage mobilisée contre la fracture numérique ? C’est un enjeu essentiel dans la lutte contre la fracture territoriale. Si nous n’investissons pas suffisamment dans La Poste, c’est la ruralité profonde qui en sera la première victime.
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Fagnen.
M. Sébastien Fagnen. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la tenue d’un débat sur l’avenir de La Poste témoigne de l’intérêt de la représentation nationale pour celle-ci et de l’attachement indéfectible de nos concitoyens au service universel postal.
La Poste fait partie du quotidien des Français. En dépit de la baisse de la fréquentation, 800 000 d’entre eux franchissent encore quotidiennement la porte d’un bureau de poste. Dans une société en proie au doute, voire à la fragmentation et à la division, notamment territoriale, un repère institutionnel, géographique et historique comme La Poste revêt un caractère précieux.
À ce titre, je souligne l’importance toute particulière de l’une des quatre missions de service public que l’État a confiées à La Poste par la loi du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et à France Télécom, à savoir la contribution à l’aménagement et au développement du territoire, maintes fois évoquée par les précédents orateurs.
L’émoi légitime suscité à l’automne dernier par la menace d’une coupe budgétaire de 50 millions d’euros, soit un tiers des crédits alloués au maintien des 17 000 points de contact, illustre autant la fragilité du réseau postal que les menaces qui pèsent sur son financement.
Certes, face à la grogne massive, les crédits ont été rétablis. Mais au regard de la situation budgétaire critique de notre pays, et malgré les engagements pris, nous nourrissons de vives inquiétudes quant au prochain contrat de présence postale – le septième du nom.
Au-delà de son inscription dans le marbre législatif, cette mission d’aménagement du territoire est à la fois l’incarnation physique du maillage territorial de La Poste et son inscription dans le paysage de nos villes et de nos villages. Elle est aussi – et surtout – la garantie de l’ambition républicaine de l’universalité de l’accès aux services publics, singulièrement à son réseau postal, garant de la cohésion sociale.
Force est de constater que la sous-compensation massive de l’État risque, à terme, de mettre en péril cette mission. En seulement dix années, le taux de compensation a chuté de 85 % à 49 %, passant récemment sous la barre fatidique des 50 %.
La sous-compensation structurelle ne met pas seulement en cause le réseau postal et sa nature – il convient, d’ailleurs, de rappeler qu’une agence postale communale ou intercommunale, aussi intéressante et vertueuse soit-elle, ne remplit pas l’entièreté, tant s’en faut, des missions d’un bureau de poste. Elle porte également préjudice à la gouvernance locale de la mission d’aménagement du territoire.
L’épée de Damoclès budgétaire pèse lourdement sur le modèle des commissions départementales de présence postale territoriale, chargées de l’utilisation des crédits du fonds postal de péréquation territoriale. Les plonger dans l’incertitude non seulement grèvera le bon fonctionnement des services à la population – je pense tout particulièrement aux communes rurales et aux quartiers prioritaires de la politique de la ville –, mais ébranlera aussi l’étroite et utile association des maires dans la gestion du réseau postal.
Or, entre 2017 et 2025, les enveloppes dédiées aux CDPTT ont été divisées par deux. Cette baisse ne vient pas exclusivement contrarier la voix des élus dans la transformation du réseau postal, mais elle nuit également à l’acceptation de cette transformation par nos concitoyens, faute d’engagement clair sur la pérennité des moyens.
J’en veux pour preuve le mécontentement exprimé samedi dernier à Bény-Bocage, commune déléguée de Souleuvre en Bocage, chez moi, dans le Calvados, face à la fermeture d’un bureau de poste.
Madame la ministre, face à la sous-compensation et à la baisse constante des crédits, comment garantir aux habitants et aux élus une qualité de service sur le long terme ? Je pense, notamment, à la pérennité des moyens dévolus aux agences postales communales. Comment les assurer du maintien d’un service en adéquation avec les besoins de la population, tout particulièrement des plus vulnérables de nos concitoyens, si l’érosion budgétaire se poursuit, voire s’amplifie ?
L’urgence est de tracer un avenir à La Poste en dehors de toute marchandisation débridée. Nous ne cessons jamais de rappeler que le service public est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Et nous réaffirmons ce soir que La Poste appartient au patrimoine commun de la Nation.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le sénateur, il n’existe pas de mesure magique. En revanche, une piste nous permettrait de mieux concilier nos objectifs.
Le premier de ces objectifs consiste à garantir aux Français des services de proximité réellement adaptés à leurs besoins. Le second est d’assurer la viabilité budgétaire et financière de ces services ; sans cela, ils finissent tôt ou tard par disparaître.
Il nous semble que la bonne démarche consiste à valoriser au maximum le réseau existant. Il convient donc de mettre dans la « besace » du facteur des services permettant de rentabiliser la présence de chaque bureau de poste, de chaque agence, ainsi que la tournée du facteur, d’autant que la distribution de courrier diminue.
Dès lors que le facteur assure, dans le cadre de sa tournée, des missions telles que l’aide à la formation numérique, le portage de repas ou encore le soutien aux personnes âgées, son activité gagne en rentabilité et contribue à la viabilité du réseau de proximité. C’est bien cette orientation qui nous semble devoir être suivie.
C’est ainsi que l’on parviendra à préserver un maillage dense du territoire en matière d’accès aux services postaux.
Je le rappelle : la loi impose à La Poste de garantir l’existence de 17 000 points d’accès aux services postaux, de nature diverse. Lorsqu’un point ferme, c’est soit qu’un autre s’ouvre ailleurs, soit qu’un nouveau modèle de présence, mieux adapté au territoire, a été défini par les élus, la commission départementale et La Poste.
S’agissant de la baisse de la compensation, les coûts sous-jacents ont augmenté, mais la fréquentation a connu également une forte diminution. Or ces points d’accès postaux avaient auparavant une rentabilité intrinsèque, liée à la vente de produits – timbres et autres – et de prestations, ce qui aujourd’hui n’est plus le cas.
La bonne ligne consiste donc à renforcer la rentabilité de la tournée du facteur et le maintien du réseau, en y intégrant des activités nouvelles.
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Fagnen, pour la réplique.
M. Sébastien Fagnen. Madame la ministre, je ne remets pas fondamentalement en cause l’intérêt de la diversification. Quant aux 17 000 points de contact, nous ne pourrons pas éluder dans les débats à venir la question de leur nature.
Comme je l’ai indiqué, un bureau de poste ne remplit pas les mêmes fonctions qu’une agence postale communale ou intercommunale. Il est impossible de balayer d’un revers de main le fait que l’attrition de l’amplitude horaire des bureaux conduit souvent les agences postales communales à prendre le relais.
Il faut donc mettre l’ensemble des réalités du réseau postal sur la table afin d’y apporter une réponse aussi satisfaisante que possible, tant pour les élus que pour nos concitoyens.
Mme la présidente. La parole est à M. Damien Michallet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Damien Michallet. Permettez-moi, tout d’abord, de remercier très sincèrement la commission des affaires économiques pour l’organisation de ce débat très attendu, voire inespéré. Madame la présidente de la commission des affaires économiques, chère Dominique Estrosi Sassone, je sais que vous êtes extrêmement mobilisée sur le sujet, et je vous en sais gré.
Cependant, mes chers collègues, quelle frustration de tenir ce débat si tard ! Nous aurions dû débattre sur la base d’une véritable loi, d’un récit pluriannuel réaliste, comme vous le soulignez, madame la ministre.
La Poste doit s’adapter, évoluer, poursuivre sa mission de service public sur le fondement d’un contrat conclu et débattu au sein du Parlement, à savoir sur une loi postale que nous demandons depuis des mois, madame la ministre.
M. Damien Michallet. Nous sommes en 2025 et d’ici à la fin de cette année la délégation de la mission du service universel postal sera remise en jeu. À sept mois de l’échéance, les parlementaires n’ont toujours pas pu mettre le sujet sur la table. Ce n’est pourtant pas faute de l’avoir demandé !
En tant que président de la Commission supérieure du numérique et des postes, à laquelle je vous sais attachée pour en avoir été membre, madame la ministre, j’ai alerté personnellement le président du Sénat, qui a ouvert ce débat ce soir, accompagné de Patrick Chaize. J’ai écrit à la présidente de l’Assemblée nationale, qui a soutenu la démarche. Seul le Premier ministre a oublié de me répondre…
Ce soir, nous débattons avec l’espoir que le président de La Poste et le Gouvernement actent l’urgence absolue et critique d’avancer sur une loi postale.
En réponse, qu’avons-nous ? Un projet de passage par voie réglementaire ! Si tel est le cas, je vous le dis, nous pouvons d’ores et déjà craindre la mort de la présence postale. En effet, à défaut d’un véritable texte législatif, il nous faudra valider plusieurs centaines de millions d’euros lors du prochain projet de loi de finances, sans aucune garantie au sujet de l’optimisation des services associés et de la création de valeur pour l’aménagement de nos territoires.
C’est bien simple, si on ne légifère pas, la poste française deviendra la poste danoise, laquelle a purement et simplement annoncé la fin du facteur danois au 31 décembre 2025 ! Si tel est l’objectif, dès ce soir, nous pouvons alors tous rentrer dans nos départements et dire à nos maires de se préparer à retirer les boîtes jaunes. Et là, croyez-moi, cela ne passera pas comme une lettre à la poste…
La loi postale devient plus qu’urgente. Il est urgent de légiférer, car les défis sont nombreux. Bien entendu, il y a d’abord le déficit qui doit nous alerter et guider nos travaux parlementaires, mais ce n’est pas le seul défi que La Poste doit affronter.
Sur le défi de l’aménagement du territoire, La Poste doit territorialiser et déconcentrer ses décisions ainsi que ses organisations pour être plus agile et moins « parisienne ». Les maisons France Services peuvent être au cœur du débat et, pourquoi pas, au cœur de la loi.
Sur le défi de la transition numérique, sur la dématérialisation des démarches administratives, sur la lutte contre l’illectronisme, La Poste peut, comme en Italie, devenir un acteur de premier ordre et, du coup, pérenne. Mais le Parlement doit en débattre.
Sur le vieillissement de la population, nous disposons de 60 000 facteurs prêts à répondre à cette nouvelle nécessité.
La Poste a un rôle à jouer ! Elle est forte d’un maillage territorial exceptionnel et d’agents dévoués aux services publics ! Mais elle doit pouvoir se restructurer dans son ensemble et pas seulement au niveau du réseau des facteurs – ce qui a d’ailleurs été fait –, ainsi que dans ses fonctions de support.
Nous savons que des résultats sont possibles. Identité numérique, cloud souverain, intelligence artificielle générative : La Poste sait faire !
La Poste a d’ores et déjà mené de nombreux travaux en ce sens avec son président, Philippe Wahl, qui a œuvré pendant douze années pour accompagner La Poste dans son évolution. Cependant, dès aujourd’hui, nous devons regarder devant nous et visualiser les douze prochaines années !
Donnons-nous les moyens de nos ambitions ! Nous sommes prêts à nous remonter les manches.
Les membres de la CSNP, avec Denise Saint-Pé, que je salue, conduisent d’ailleurs depuis plusieurs semaines des auditions sur ce sujet crucial. Nous partagerons les pistes que nous ouvrirons lors d’une table ronde au Sénat en présence du successeur de M. Wahl, en septembre. Ces travaux contribuent à éclairer les parlementaires, notamment ceux qui sont désignés par le président de la CSNP et qui siègent à l’ONPP.
La seule question qui reste en suspens, madame la ministre, et à laquelle nous ne pouvons pas répondre seuls est de savoir si l’État est capable de nous faire confiance, à nous, parlementaires, et de nous laisser débattre de ce sujet au travers d’une loi.
Il s’agit ici d’argent public, d’aménagement, d’accessibilité bancaire, des collaborateurs de La Poste, de l’avenir de nos territoires, de la France et de l’une de nos plus grandes entreprises publiques. Madame la ministre, vous l’avez compris, à quand une loi postale ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics. Monsieur le président de la Commission supérieure du numérique et des postes, nous nous faisons confiance, et nous faisons confiance à La Poste pour continuer d’honorer ses missions essentielles !
Cependant, j’ai été gênée par l’idée, évoquée dans votre intervention, selon laquelle, parce que nous aurions trouvé une solution pragmatique de ce type pour faire face à une situation que je qualifierai, comme vous, de dégradée, les boîtes jaunes cesseront de fonctionner au 1er janvier 2026, faute d’une loi postale !
Vous savez que ce n’est pas le sujet. Qu’une loi soit nécessaire, à terme, pour aborder les défis structurels de La Poste et préparer son avenir, cela ne fait aucun doute. Mais non, il n’existe pas un texte caché dans un carton à Bercy que le Gouvernement ne révélerait qu’au dernier moment. Nous ne craignons pas non plus de vous présenter une telle loi !
Ce gouvernement exerce ses responsabilités depuis le 23 décembre 2024. Nous avons consacré les deux premiers mois à bâtir un budget. Ce budget a été promulgué le 28 février dernier, autrement dit il y a tout juste trois mois.
Nous avions le projet de déposer un amendement à l’Assemblée nationale, via notamment le soutien de M. Stéphane Travert. Pour des raisons légistiques complexes que je n’aurai pas la prétention de vous exposer ici, à minuit dix-neuf, car elles dépasseraient l’entendement collectif, cela n’a pas abouti.
Aujourd’hui, notre responsabilité consiste à passer outre et à considérer que nous ferons une loi postale solide et complète le moment venu. Entretemps, assurons-nous qu’au 1er juillet La Poste sache précisément ce qu’elle devra faire à compter du 1er janvier afin que les boîtes jaunes ne disparaissent pas.
Telle est la voie, que nous n’avons pas choisie, mais que nous avons été tenus d’emprunter. Si nous devions nous heurter à une impossibilité constitutionnelle, juridique ou administrative, en raison du refus du Conseil d’État, du Conseil constitutionnel ou de toute autre instance, je vous garantis que nous trouverons le « trou de souris » législatif nécessaire. Mais je ne veux laisser penser à quiconque que les boîtes jaunes disparaîtront !