M. le président. La parole est à M. Ahmed Laouedj, pour le groupe auteur de la demande.
M. Ahmed Laouedj, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Madame la ministre, je tiens tout d’abord à vous remercier, au nom de notre collègue Maryse Carrère, présidente du groupe du RDSE, pour cet échange fructueux et l’ensemble des réponses que vous avez apportées.
La crise de la covid-19 comme la guerre en Ukraine nous ont permis de prendre conscience de nos multiples dépendances, que ce soit à l’égard des ressources naturelles, des biens ou des services.
Notre perception de la mondialisation a ainsi évolué à marche forcée. Elle s’en est trouvée bouleversée : alors que la main invisible des marchés devait nous garantir un accès sans entrave aux ressources, la voici perçue comme génératrice de dépendances économiques et de fragilités stratégiques.
L’accès aux métaux rares constitue, dans une société qui cherche à réaliser sa transition écologique et numérique, un vecteur d’indépendance et de souveraineté, catalyseur de l’évolution des équilibres diplomatiques. Aussi chamboulera-t-il les rapports de force entre États.
Si la transition énergétique possède une face cachée, plus sombre, à savoir le coût environnemental lié à l’extraction de ces métaux, il ne faut pas se tromper de combat ni de cible : cette transition doit être non pas bridée, mais renforcée. Ses effets négatifs doivent en outre être atténués grâce à un renouveau puissant et responsable du secteur extractif.
Ce renouveau nous contraint néanmoins à relever plusieurs défis et à faire face à autant de paradoxes. Les risques environnementaux intrinsèquement liés à toute activité minière nous obligent, nous, responsables politiques, à prendre position sur des sujets polémiques tels que la relocalisation d’une partie de la production des métaux rares en France ou l’extraction de nodules polymétalliques du fond des océans.
Il pourrait également nous obliger à relever un défi démocratique. Faire coïncider démocratie et écologie risque d’être compliqué, alors que de nombreux projets de réouverture de mines de métaux rares pourraient être bloqués à la suite de mobilisations citoyennes. La réouverture de mines en France et sur l’ensemble du continent européen est une question qui change fondamentalement la nature du débat. Nous ne pourrons plus indéfiniment nous défausser sur Pékin et les autres pays miniers.
C’est pourquoi le coût écologique de l’extraction des métaux rares implique aussi une modification de nos modes de consommation. Il nous invite à davantage de sobriété et d’efficacité énergétiques et appelle l’avènement d’une économie circulaire, qui tarde pourtant à se concrétiser.
Face à ces constats et aux paradoxes inhérents à l’utilisation des métaux rares, il est clair qu’il n’y aura pas de solution miracle, mais plutôt des choix stratégiques à opérer.
La relance de notre activité extractive nous place face à nos propres responsabilités. Notre modèle de développement recèle d’innombrables contradictions : entre les rêves d’un monde plus vert et la matérialité d’une société plus technologique, il nous faudra, d’une quelconque manière, payer l’addition. Qu’elle prenne la forme d’une dépendance accrue aux pays miniers, et, donc, d’une perte d’indépendance stratégique, économique et numérique, ou celle d’un renouveau minier sur nos territoires, notre transition énergétique a un coût.
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Terres rares et matériaux critiques : quel potentiel dans les territoires français et quelle stratégie pour renforcer notre approvisionnement ? ».
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Quelle politique de protection et d’accompagnement des élèves dans les établissements scolaires, avec quelles modalités de contrôle ?
Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème : « Quelle politique de protection et d’accompagnement des élèves dans les établissements scolaires, avec quelles modalités de contrôle ? ».
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Madame la ministre d’État, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.
Dans le débat, la parole est à Mme Colombe Brossel, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme Colombe Brossel, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, Notre-Dame du Sacré-Cœur à Dax, Notre-Dame de Garaison, Saint-Pierre au Relecq-Kerhuon, Saint-Dominique à Neuilly-sur-Seine, Notre-Dame de Bétharram bien sûr, mais aussi Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur à Angers, Saint-François-Xavier à Ustaritz, ou encore Riaumont à Liévin : des noms résonnent à nos oreilles comme autant de résurgences d’un passé lointain. L’actualité nous rappelle que les raisons pour lesquelles ces établissements remplissent encore les colonnes de nos journaux demeurent.
Dans le Sud-Ouest, en Île-de-France, en Loire-Atlantique, en Bretagne, des collectifs ont vu le jour et se sont organisés pour structurer la parole et porter la voix des victimes de violences, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles, dans des établissements d’enseignement.
Dans le cadre de ce débat organisé sur l’initiative du groupe socialiste, mes collègues et moi-même souhaitons poser la question de la protection des enfants, de tous les enfants, à travers celle des contrôles des établissements scolaires privés sous contrat et hors contrat.
Incontestablement, l’État a failli durant des années. Les espaces au sein desquels les violences s’exercent sont nombreux et ne se limitent pas aux écoles. Je pense notamment au champ du soin et à celui de la médecine. À cet égard, le procès de Joël Le Scouarnec et ses horribles récits d’audience révèlent l’absence de réforme structurelle visant à éviter que de tels drames se reproduisent.
Tel est le sens de l’initiative du collectif des victimes de l’ancien chirurgien, qui ont saisi, le 19 mai dernier, vos collègues chargés de la justice et de la santé, madame la ministre d’État, afin de réclamer la mise en place d’une commission interministérielle. Comme pour les établissements scolaires, les témoignages des victimes mettent en évidence une longue chaîne de défaillances collectives.
Dans le champ de l’éducation comme dans celui de la santé, tout est affaire de volonté politique, car l’État peut agir. Encore faut-il qu’il le veuille et qu’il s’en donne les moyens. Nous avons ainsi été nombreux à déplorer l’absence de nomination d’une ou d’un ministre chargé de l’enfance et de la protection de l’enfance. Certes, la récente nomination d’un haut-commissaire à l’enfance a été actée, mais elle apparaît comme une réponse « sparadrap » dans le contexte que nous connaissons et que je viens tout juste de décrire.
Il y a un an et demi, les socialistes posaient déjà la question du contrôle des établissements privés sous contrat. À l’époque, votre prédécesseure annonçait le recrutement de soixante inspecteurs supplémentaires pour effectuer les contrôles.
Il aura fallu la mise en place d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale pour découvrir qu’il s’agissait en réalité de trente équivalents temps plein (ETP) en 2025 et de trente autres ETP en 2026, dont vingt pour le premier degré et dix pour le second degré. (Mme la ministre d’État manifeste son désaccord.) L’effort est bien insuffisant compte tenu des besoins, d’autant que le corps des inspecteurs n’échappe pas au déficit d’attractivité commun à tous les corps de l’éducation nationale – on dénombre en effet soixante postes vacants à ce jour.
En tant que puissance régulatrice, l’État doit agir. C’est la raison pour laquelle les sénateurs socialistes ont encore une fois fait preuve d’esprit d’initiative : ils ont déposé une proposition de loi pour faire évoluer le cadre législatif et encadrer l’accueil des élèves dans les établissements d’enseignement privé. L’objectif est de garantir le respect de certaines exigences en matière de pédagogie, de sécurité, ou encore de salubrité, mais aussi de lutter, c’est nécessaire, contre de potentiels conflits d’intérêts.
Je souhaite revenir brièvement sur les trois axes autour desquels s’articule cette proposition de loi, des axes qui reflètent les priorités que nous, socialistes, souhaitons verser au débat, et ce au profit de la seule protection de l’enfance, de tous les enfants de notre pays.
Tout d’abord, nous proposons de conditionner l’ouverture des établissements d’enseignement privés hors contrat, actuellement soumise à une simple déclaration, à un régime d’autorisation. Il s’agit d’empêcher l’ouverture d’établissements qui ne respecteraient pas certains critères relatifs au bien-être des élèves. À titre d’exemple, un établissement scolaire peut aujourd’hui être autorisé à ouvrir même s’il ne dispose pas de cour de récréation, et ce malgré l’opposition des élus locaux face à une atteinte manifeste au bien-être des élèves. Cela ne doit plus être possible.
Ensuite, il s’agit de renforcer le contrôle annuel des établissements privés, en précisant la portée de celui-ci, à savoir l’évaluation des conditions matérielles d’accueil des élèves. De même, les personnels de direction, les enseignants, les agents d’entretien, qu’ils soient agents publics ou salariés de droit privé, doivent être soumis à un contrôle d’honorabilité avant d’être mis en contact avec des enfants, comme cela est prévu dans le domaine du sport depuis le vote de la proposition de loi de notre collègue Sébastien Pla. Alors que ce texte est désormais une loi, nous attendons toujours un décret d’application. Qu’est-ce qui peut bien justifier un tel retard sur ce sujet majeur ?
Par ailleurs, les sénateurs socialistes proposent d’inscrire dans la loi l’obligation pour tout membre du personnel d’un établissement scolaire, qu’il soit enseignant ou non, de saisir l’autorité académique lorsqu’il a été témoin d’un fait ou d’un comportement déplacé envers un élève. En contrepartie, et afin d’éviter tout effet boomerang, cette saisine entraînera de facto la protection dudit membre du personnel en tant que lanceur d’alerte.
Enfin, parce que nous sommes soucieux d’être cohérents, nous proposons de rendre publics l’origine, le montant et la nature des ressources attribuées aux établissements d’enseignement privés, comme nous le suggérions déjà lors de nos débats sur la proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d’enseignement – beaucoup d’entre vous s’en souviennent sans doute.
M. Pierre Ouzoulias. Oh oui !
Mme Colombe Brossel. À l’heure où l’exigence de transparence est forte, notamment pour ce qui est de l’utilisation de l’argent public, nous réitérons notre attachement à une telle mesure. Celle-ci est d’autant plus importante et pertinente que l’opacité qu’il nous a été donné maintes fois de constater empêche malheureusement de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts.
Mes collègues Yan Chantrel et David Ros reviendront largement sur l’état d’esprit et le sens des responsabilités qui animent le groupe socialiste s’agissant de l’efficacité et de l’amélioration des contrôles dans les établissements scolaires.
Je terminerai mon propos introductif en exposant les raisons pour lesquelles nous avons tenu à proposer ce débat de contrôle. Nous l’avons demandé, dans le cadre de nos prérogatives de contrôle de l’action du Gouvernement, afin de permettre l’expression du Sénat sur un sujet essentiel.
Nous réclamons depuis longtemps que, à l’instar de l’Assemblée nationale, le Sénat se dote d’une délégation aux droits des enfants. Nous avons demandé la création d’une commission d’enquête sur les violences dans les établissements scolaires. Savez-vous qu’au sein de notre commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport nous n’avons pas eu le moindre débat, la moindre audition en lien avec des scandales qui font pourtant la une de la presse tous les jours, partout sur le territoire ?
Mes chers collègues, je suis très sincèrement convaincue que la protection des enfants est une cause dont l’importance implique que nous dépassions nos divergences politiques. J’espère qu’elle saura nous rassembler et nous permettra d’être à la hauteur des enjeux.
C’est cette cause que je vous appelle à soutenir collectivement. Nous, sénatrices et sénateurs socialistes, ne nous déroberons pas à ce débat et y participerons à chaque fois que nous en aurons la possibilité, de sorte que la protection de tous les enfants devienne effective. Les enfants le méritent ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, je tiens à vous rassurer : non seulement les contrôles vont changer de dimension, ou plutôt de périmètre, mais leur nombre va aussi augmenter – j’aurai probablement l’occasion d’y revenir lors de notre débat. C’était déjà le cas dans les établissements privés hors contrat et tel est désormais également le cas dans les établissements privés sous contrat.
Peut-être aurai-je l’occasion d’y revenir aussi, mais le Conseil d’État a récemment rendu un avis favorable sur un décret que j’ai signé et qui oblige les établissements privés sous contrat à remonter les faits de violence. À cette occasion, il a validé l’interprétation qui était la mienne, à savoir qu’aucun établissement ne peut contester le droit de l’État de contrôler l’absence de maltraitances et de violences au sein d’un établissement.
Nous y mettons les moyens : au total, 200 postes d’inspecteurs seront créés en quatre ans, des effectifs supplémentaires viendront épauler les 3 500 inspecteurs qui exercent aujourd’hui. Je souhaite que ces contrôles puissent se faire avec d’autres personnels de l’éducation nationale, notamment les personnels de santé et les personnels sociaux, afin qu’un regard à 360 degrés puisse être porté sur la situation au sein des établissements.
Naturellement, nous aurons également besoin du soutien des services fiscaux – vous avez mentionné la question de l’origine des ressources des établissements –, ainsi que des services des préfectures pour traiter d’autres aspects du sujet. C’est véritablement la mobilisation de tous les agents de l’État qui nous permettra de garantir des contrôles suffisants, tant en quantité qu’en qualité, dans les établissements qui accueillent nos enfants.
M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Ahmed Laouedj.
M. Ahmed Laouedj. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, que nous disent les lycéens contraints de s’agenouiller à Mantes-la-Jolie en 2018, les révélations accablantes sur les violences à Notre-Dame de Bétharram, ou encore les dérives sexistes et homophobes signalées au sein de l’institution Stanislas ? Une chose, une seule : que notre système de contrôle ne fonctionne pas, ou du moins, pas là où il le devrait, et, surtout, pas quand il le faudrait !
Au nom du groupe du RDSE, je salue l’initiative prise par le groupe socialiste d’organiser ce débat, car protéger les élèves, c’est défendre l’essence même de l’école républicaine.
Notre droit est clair. L’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) impose la primauté de l’intérêt supérieur de celui-ci. L’article L.111-1 du code de l’éducation garantit à chaque élève un environnement scolaire sûr.
Mais la réalité est tout autre. L’affaire Bétharram est non pas un cas isolé, mais le révélateur d’un système bâti sur des silences et des lâchetés accumulés. Plus de deux cents anciens élèves ont témoigné de violences physiques, psychologiques ou sexuelles. Il est question de faits connus, tus, parfois couverts, et ce pendant des décennies. Oui, c’est une tragédie humaine !
Il s’agit aussi d’un échec politique. Quand l’État signe un contrat avec un établissement, il en garantit le cadre. Et quand ce cadre devient toxique, l’État est comptable de ce qu’il a laissé faire. Le droit existe, les outils aussi, mais que valent-ils en l’absence de volonté de les appliquer ? Un tel cadre est le terreau idéal d’éventuelles dérives et de possibles abus, en somme de l’impunité.
C’est particulièrement vrai pour l’enseignement privé sous contrat, qui accueille 17 % des élèves en France et perçoit plus de 8 milliards d’euros de fonds publics par an. Ce soutien massif ne s’accompagne en effet d’aucun dispositif de contrôle cohérent, homogène ou contraignant. Beaucoup de nos collègues parlementaires, de droite comme de gauche, dressent le constat de l’opacité du suivi financier, de la rareté des inspections inopinées et de l’absence de critères unifiés pour évaluer les conditions de scolarisation.
Madame la ministre, ces manquements ne relèvent pas d’un vide juridique. Comment justifier, dans un système aussi largement subventionné, l’absence de doctrine claire et de critères objectifs pour garantir la sécurité des élèves ?
Les récents travaux de l’Assemblée nationale ont en outre mis en évidence l’existence d’un traitement différencié selon la confession ou l’ancrage historique des établissements. Ce débat est non pas un procès du privé, mais un appel à la cohérence. Nous ne pouvons accepter une telle asymétrie de traitement.
Ainsi, le lycée Averroès, établissement privé musulman sous contrat, situé à Lille, a été inspecté quatorze fois, quand Notre-Dame de Bétharram, établissement catholique sous contrat, lieu de maltraitances durant plusieurs décennies, n’a pas été inspecté une seule fois depuis 1996. Est-ce cela la neutralité républicaine ? Est-ce cela l’égalité devant la loi ? Ce décalage est inacceptable : il crée un sentiment d’injustice, un ressentiment durable, et fragilise la légitimité même de nos institutions.
Dans une République, le droit ne s’applique pas à la carte. L’État doit être impartial, l’école doit être exemplaire, et l’inspection doit être égale pour tous. Je le dis sans détour, madame la ministre d’État : ce que l’on exige d’Averroès, il faut l’exiger de Stanislas. Ce que l’on vérifie à Grigny, il faut le vérifier à Neuilly-sur-Seine. Et ce que l’on ne tolère nulle part, il ne faut pas l’accepter ici ou là.
La protection des élèves ne se négocie pas au nom d’un statut, d’une réputation ou d’une couleur politique. L’argent public ne peut pas financer l’opacité.
Nous avons besoin d’inspecteurs formés en nombre, de contrôles inopinés, de sanctions réelles en cas de manquement, et d’une coordination étroite avec les services de la protection de l’enfance. Quand une école ne protège pas, elle expose… C’est pourquoi je propose que chaque établissement sous contrat fasse l’objet d’un bilan annuel de conformité, qui reposerait sur des critères liés à la sécurité, l’inclusion, la transparence et la formation des équipes, et dont le respect conditionnerait le versement des financements publics.
La République n’a pas à subventionner des lieux qui bafouent ses principes. Les élèves sont non pas des colonnes budgétaires, mais des individus à protéger. L’école n’est pas un sanctuaire où règne l’impunité, c’est un lieu d’émancipation où dominent la confiance et le droit.
M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, vous venez d’affirmer que notre système de contrôle ne fonctionnait pas. Au-delà des quelques amalgames que j’ai identifiés dans votre propos, force est de constater que, depuis des décennies, il existe des failles, que j’ai décidé de corriger.
Je viens de le dire, j’ai fait évoluer le périmètre des contrôles des établissements privés : étaient contrôlés jusqu’à présent les aspects financiers, administratifs et pédagogiques de ces établissements ; désormais, les contrôles porteront également sur le climat scolaire et viseront à s’assurer qu’aucun élève ne fait l’objet de maltraitances. Plus aucun fait de violence ne doit se produire.
J’ajoute qu’au sein des établissements la parole des élèves doit se libérer et être écoutée. C’est pourquoi j’ai décidé qu’un questionnaire serait systématiquement soumis à tout élève inscrit en internat ou revenant d’un voyage scolaire avec nuitée. À la moindre alerte, des entretiens avec des professionnels sociaux ou de santé ou des psychologues seront organisés. Ces questionnaires font actuellement l’objet d’une expérimentation et seront généralisés à la rentrée prochaine.
En ce qui concerne les contrôles, il y en avait moins de dix par an dans les établissements privés sous contrat ces dernières années. Pour l’année 2025, 1 000 sont programmés, dont 500 ont été menés ou sont en cours.
Je vous confirme que les contrôles peuvent être inopinés. Par ailleurs, ils doivent être suivis, ce qui signifie que les recommandations ou les mises en demeure formulées à la suite des inspections font l’objet d’un contrôle rigoureux.
Oui, l’État doit contrôler ce qui se passe dans les établissements privés. Non, il n’y a pas deux poids, deux mesures.
Ainsi, au cours de l’année scolaire 2023-2024, neuf établissements ont été fermés à la suite d’un contrôle, dont deux établissements musulmans. Au cours de l’année scolaire 2024-2025, à ce stade, quatre établissements ont été fermés, dont deux établissements catholiques.
Je peux vous garantir que les établissements font aujourd’hui l’objet d’un traitement équitable.
M. le président. La parole est à M. Jean Hingray.
M. Jean Hingray. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier les membres du groupe socialiste de l’organisation de ce débat.
Nous avons déjà traité de ces importantes questions en commission. Sachant combien votre temps est précieux, j’irai droit au but, madame la ministre, d’autant que – j’en suis sûr – tous les aspects du sujet seront abordés au cours de notre discussion.
Quelles actions concrètes comptez-vous mettre en œuvre au titre de la prévention, madame la ministre d’État ?
En la matière, quels que soient les problèmes constatés – je pense notamment à certains dossiers ouverts dans mon département –, vous ne mettez jamais la poussière sous le tapis : je tiens à vous en remercier, en mon nom personnel et au nom de mes collègues du groupe Union Centriste.
M. Stéphane Piednoir. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, l’école de la République doit bien sûr être préservée de toute forme de violence. Chaque incident susceptible de nuire à la sérénité des apprentissages, ainsi qu’à la sécurité des élèves, des personnels ou des enceintes scolaires appelle donc une réponse ferme et immédiate.
Si cette réponse est indispensable, il importe également que nous agissions à titre préventif, en mobilisant toute la communauté éducative – élèves, parents et personnels.
L’effort de prévention s’étend à de multiples chantiers, parmi lesquels la prévention de l’addiction aux écrans, dont on connaît les nombreuses conséquences. Je pense notamment au cyberharcèlement et à la banalisation de la violence au travers des réseaux sociaux. Dans cet esprit, dès la rentrée prochaine, nous généraliserons la pause numérique dans les collèges.
J’ai également décidé que les espaces numériques de travail (ENT) et les logiciels de vie scolaire, plus communément connus sous le nom de Pronote, ne seraient plus mis à jour le soir et les week-ends. En outre, ma collègue Clara Chappaz et moi-même avons engagé un travail pour interdire l’accès des réseaux sociaux aux moins de 15 ans.
En parallèle, le nouveau programme d’enseignement moral et civique (EMC), publié en juin 2024, vise à renforcer la transmission des valeurs et principes de la République tout en développant la culture juridique et institutionnelle des élèves. Ce programme comprend les questions d’éducation aux droits, de sécurité et de sûreté. Au total, dix-huit heures annuelles doivent être consacrées à des projets d’éducation à la citoyenneté.
S’y ajoutent certains dispositifs, notamment des concours, dont on ne saurait sous-estimer l’importance : quand des élèves mènent un travail en vue d’obtenir le prix « Non au harcèlement » ou le prix Ilan-Halimi, on voit qu’ils donnent davantage de sens à leurs apprentissages.
L’effort de prévention passe aussi par le renforcement des compétences psychosociales. Je pense notamment aux cours d’empathie (M. Jean Hingray acquiesce.), ainsi qu’aux dix heures annuellement consacrées à la prévention du harcèlement.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’article L. 442-1 du code de l’éducation, dans sa rédaction issue de la loi dite Debré, prévoit que l’établissement privé sous contrat, « tout en conservant son caractère propre », doit dispenser ses enseignements « dans le respect total de la liberté de conscience ».
L’article L. 442-5 du même code ajoute que les établissements privés sous contrat dispensent « un enseignement conforme aux programmes de l’enseignement public ».
La loi garantit ainsi aux élèves des établissements privés, comme à ceux des établissements publics, une totale liberté de conscience.
C’est précisément l’enjeu du débat organisé sur l’initiative de nos collègues du groupe socialiste – et je les en remercie – que de déterminer comment cette garantie est effectivement mise en œuvre aujourd’hui.
Suivant une jurisprudence constante, le Conseil d’État rappelle que le caractère propre d’un établissement ne saurait justifier une dérogation aux programmes ou aux règles de fonctionnement prévus par le contrat passé avec l’État. La même jurisprudence a établi que ce caractère propre ne saurait permettre à un établissement de s’affranchir des principes fondamentaux du service public de l’enseignement.
Or il est récemment apparu, à plusieurs reprises, que les notions de caractère propre et de liberté de conscience pouvaient entrer, sinon en tension, du moins en concurrence. Des rapports d’inspection ont en effet révélé que certaines célébrations religieuses n’étaient ni facultatives ni organisées en dehors du temps scolaire.
Madame la ministre, vos services l’ont rappelé à juste titre : l’instruction religieuse doit rester facultative et un enseignement de culture religieuse centré sur une seule religion doit être considéré comme confessionnel, donc facultatif.
Cette interprétation est toutefois contestée par certaines directions de l’enseignement catholique. Le directeur diocésain de l’enseignement catholique de Paris estime ainsi qu’il convient de « sortir du raisonnement biaisé entre obligatoire et facultatif ». Il affirme que, « quand on parle de spiritualité, cela n’a pas de sens de dire qu’une messe est obligatoire ».
M. Philippe Delorme, ancien secrétaire général de l’enseignement catholique, est allé plus loin en déclarant que « le caractère propre de chaque établissement, qui correspond à un projet enraciné dans l’Évangile », doit se traduire « dans tous les domaines ».
Pourriez-vous nous préciser la doctrine de votre ministère quant à la portée et aux limites du caractère propre des établissements sous contrat ?
Plus largement, je m’interroge sur l’absence d’application dans l’enseignement privé sous contrat de la loi de 2004 interdisant le port de signes religieux ostensibles, alors même que la laïcité est l’un des principes cardinaux du service public de l’enseignement.
C’est pour mettre un terme à cette situation que j’ai déposé cette semaine une proposition de loi. Chers collègues, ayant suivi avec attention vos débats relatifs au port du voile, je pense que, par souci de cohérence, vous pourriez en être cosignataires. En tout cas, je mets ce texte à votre disposition. (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Enfin, l’article 2 de la loi de 1905 précise que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». L’État ne saurait donc financer des activités ou des enseignements religieux. Je souhaiterais obtenir la confirmation que les subventions publiques ne peuvent porter que sur l’entretien des locaux, et ce à proportion de leur utilisation pour les enseignements dispensés dans le cadre du contrat avec l’État.
En ce qui concerne les subventions versées par les collectivités territoriales, l’article L. 151-4 du code de l’éducation précise : « Les établissements d’enseignement général du second degré privés peuvent obtenir des communes, des départements, des régions ou de l’État des locaux et une subvention, sans que cette subvention puisse excéder le dixième des dépenses annuelles de l’établissement. » Cette fraction est-elle calculée sur la totalité du budget de l’établissement ou sur les seules dépenses pouvant légalement être subventionnées par la puissance publique ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)