M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État.

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat, ministre de léducation nationale, de lenseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, il est important de bien clarifier ce que recouvre la notion de caractère propre.

La loi Debré se fonde sur le principe constitutionnel de liberté de l’enseignement en reconnaissant la possibilité, pour les établissements, d’avoir un caractère propre. Il s’agit là des valeurs de base auxquels ces derniers entendent se référer dans l’action éducative qu’ils se proposent de conduire.

La reconnaissance du caractère propre implique, pour le chef d’établissement, une certaine liberté d’organisation de la vie scolaire, étant entendu que les enseignements, relevant, eux, du contrat, doivent respecter strictement les programmes définis par le ministère.

Je vous le confirme : si, au cours d’un contrôle, il apparaissait que l’instruction religieuse était dispensée à titre obligatoire, l’établissement concerné ferait l’objet d’une mise en demeure. L’instruction religieuse ne peut pas être obligatoire dans un établissement privé sous contrat.

Vous le savez, les enseignants de ces établissements sont employés et rémunérés par l’État. Ils sont soumis aux mêmes règles que leurs collègues de l’enseignement public.

Historiquement, et jusqu’à une époque récente, conformément à la doctrine de l’administration, on considérait que l’État n’avait pas à s’immiscer dans la vie scolaire. Or, à mes yeux, il est important que l’on puisse contrôler l’absence de maltraitances ou de violences dans un établissement, et tel est désormais le cas.

En résumé, les établissements privés sous contrat respectent le cadre fixé par la Constitution. La liberté de conscience ne saurait être entravée et, dans la mise en œuvre de notre plan de contrôle, nous veillons à ce qu’elle soit garantie. Les enseignements religieux doivent être facultatifs. Le port de signes religieux ou la participation à des événements religieux ne peuvent pas être imposés.

M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat. Enfin, les programmes doivent être mis en œuvre en intégralité.

M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour la réplique.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, je tiens à vous remercier de cette réponse très claire : tout ce qui est sous contrat est soumis au contrôle de la puissance publique. Dans les établissements privés sous contrat, on ne peut imposer ni le port de signes religieux ni la participation à des événements religieux. Cette mise au point est tout à fait bienvenue.

J’aurais souhaité que l’on précise également les règles de subventionnement. Aujourd’hui, on peine à savoir si tout ou partie des budgets sont subventionnés ; mais je solliciterai sans doute ces éléments par écrit.

Quoi qu’il en soit, cela fait plusieurs années que je demande au ministère de préciser la notion de caractère propre : c’est la première fois que j’obtiens une réponse claire et je vous en remercie de nouveau.

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier mes collègues du groupe socialiste d’avoir choisi d’aborder ce thème.

Depuis plus d’un an, les témoignages s’accumulent, que ce soit devant les tribunaux ou dans la presse, pour dénoncer les faits de violence et les manquements commis par divers établissements privés sous contrat dans leur mission de protection des élèves qui leur sont confiés.

Madame la ministre, ces faits ne sont pas uniquement des histoires anciennes brandies pour fragiliser un Premier ministre ; et ils dépassent, hélas ! les frontières des Pyrénées-Atlantiques. Certains d’entre eux sont même tout à fait récents, comme à Stanislas, où une enquête avait été diligentée par votre prédécesseur Pap Ndiaye.

Nous avons aujourd’hui la preuve que, dans certains de ces établissements, des élèves sont exposés à des propos homophobes, sexistes et antiavortement. Leur liberté de conscience n’est pas respectée. Les accusations de violences physiques, sexuelles et psychiques se multiplient.

Nous avons également la preuve que les contrôles restent insuffisants et peu définis, faute d’une législation suffisamment précise.

J’ai interrogé, en mars 2024, l’ancienne rectrice de l’académie de Bordeaux au sujet des violences avérées à Bétharram. Mon interlocutrice s’est défendue en expliquant avoir appliqué le cadre légal. Ce dernier n’impose pas le contrôle des personnels non enseignants, sur lesquels porte aujourd’hui l’essentiel des plaintes : ce soin est laissé au syndicat général de l’enseignement catholique (SGEC), qui est visiblement défaillant.

En parallèle, les inspecteurs chargés du rapport relatif à Stanislas ont publiquement dénoncé l’atténuation de leurs conclusions. Tous les éléments pointant un climat homophobe, sexiste et autoritaire ont disparu de la version transmise au ministère. Dès lors, on ne peut que s’interroger sur la fiabilité des informations communiquées.

Mes questions sont très simples. Vous avez rapidement pris la décision de renforcer les moyens humains alloués aux contrôles ; mais qu’en est-il de leur périmètre ? De quelle nature seront les contrôles mis en œuvre ? Qu’en est-il de la publicité des rapports d’inspection ? Pensez-vous que tout a été fait en matière législative pour protéger les élèves des établissements privés sous contrat ? (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État.

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat, ministre de léducation nationale, de lenseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice, j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer, jusqu’à présent, les contrôles dont font l’objet les établissements privés sous contrat portaient sur les financements.

Monsieur le sénateur Ouzoulias, nous aurons l’occasion d’y revenir plus longuement : le travail mené à ce titre implique également la vérification de la comptabilité analytique. On ne saurait confondre ce qui relève du contrat et ce qui n’en relève pas. (M. Pierre Ouzoulias acquiesce.)

La conformité administrative, la pédagogie appliquée et, désormais, la vie scolaire entrent dans le périmètre de ces contrôles.

M. Pierre Ouzoulias. C’est un changement majeur !

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat. Je me réjouis que le Conseil d’État ait validé cette interprétation.

Bien entendu, quel que soit l’accueil collectif où ils se trouvent, les élèves doivent être protégés contre toute forme de violence, que les faits se produisent entre eux ou qu’ils soient commis par des adultes.

Je peux vous assurer que des instructions très claires ont été fournies à tous les rectorats quant au périmètre devant faire l’objet de contrôles.

Madame la sénatrice, vous m’interrogez également au sujet de la transmission des rapports d’inspection. À la suite d’un contrôle ou d’une enquête administrative, le rapport n’est a priori pas public – c’est la pratique. Le chef d’établissement reçoit un courrier qui précise les recommandations ou les mises en demeure faisant suite au contrôle. Ce courrier est le seul document présentant une valeur juridique.

Le fait qu’un rapport ait pu être modifié a suscité beaucoup de confusion. Mais, j’y insiste, il n’y a qu’une seule chose qui vaille à la suite d’un contrôle ou d’une inspection : le courrier adressé au chef d’établissement. D’ailleurs, pour éviter toute confusion, j’ai demandé à l’inspection générale de l’éducation nationale d’adresser de simples lettres de transmission, les synthèses figurant désormais dans le rapport.

Il faut que les choses soient bien claires, que les recommandations, voire les mises en demeure, soient parfaitement identifiées dans les rapports, puis fassent l’objet d’un suivi.

Vous avez évoqué le cas de Stanislas : un contrôle de la mise en œuvre des recommandations émises a été effectué aujourd’hui même.

M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco, pour la réplique.

Mme Monique de Marco. Madame la ministre, je vous remercie de vos réponses très claires.

À présent, peut-être faut-il faire évoluer le cadre législatif : je suis à votre disposition pour engager cette réflexion, avec, j’en suis certaine, mes collègues de la commission.

M. le président. La parole est à M. Yan Chantrel. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. Yan Chantrel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si les élus du groupe socialiste ont proposé ce débat sur les politiques de protection des élèves dans les établissements scolaires, notamment du privé, et sur les modalités de contrôle de la mise en œuvre de ces politiques, c’est parce que l’actualité souligne l’urgente nécessité d’une telle discussion dans notre hémicycle.

L’affaire Notre-Dame de Bétharram a agi comme un électrochoc. Plus de 200 anciens élèves de cet établissement ont porté plainte pour des faits de violences physiques, psychologiques et sexuelles s’étalant sur plusieurs décennies.

Cette actualité intolérable touche toutes les Françaises et tous les Français dans leur chair, qu’elle fasse remonter des souvenirs douloureux de l’enfance ou qu’elle nourrisse chez les parents de la suspicion ou des craintes à l’égard des institutions auxquelles ils confient leurs enfants.

Plus profondément, nos concitoyens s’interrogent sur la responsabilité des autorités dans les faits, longtemps tus, qui éclatent aujourd’hui au grand jour et nous imposent une réponse politique forte et globale. Ces révélations montrent que les abus et les violences, loin d’être des cas isolés, relèvent d’un problème systémique.

En tant que législateurs et représentants de la puissance publique, nous avons le devoir de garantir à toutes les familles que leurs enfants seront accueillis, partout et tout le temps, dans un environnement bienveillant et propice à leur épanouissement.

Ma collègue Colombe Brossel l’a déjà longuement rappelé : à plus d’un titre, l’État a failli dans cette tâche. Il a notamment échoué à effectuer des contrôles dans les établissements scolaires privés sous contrat et hors contrat.

Il n’est ni acceptable ni compréhensible pour nos compatriotes que l’institution Notre-Dame de Bétharram n’ait fait l’objet d’aucune inspection depuis 1996.

Le rapport d’information sur le financement public de l’enseignement privé sous contrat déposé en avril 2024 à l’Assemblée nationale mettait déjà en exergue la quasi-absence de contrôles réalisés dans l’enseignement privé sous contrat.

Dans un autre rapport, datant de juin 2023, la Cour des comptes apportait quant à elle les précisions suivantes : le contrôle pédagogique est « exercé de manière minimaliste » ; le contrôle administratif « n’est mobilisé que ponctuellement lorsqu’un problème est signalé » ; quant au contrôle financier, il « n’est pas mis en œuvre ».

La loi Debré prévoit pourtant en son article 1er – je le rappelle à mon tour –, comme corollaire du contrat d’association et de la prise en charge des frais de fonctionnement des établissements privés par l’État, que « l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’État ».

Alors que l’enseignement privé sous contrat est financé à hauteur de 75 % par la puissance publique, il ne rend aujourd’hui pratiquement aucun compte à l’État.

Madame la ministre, nous nous réjouissons des mesures que vous avez annoncées en la matière. Mais le recrutement de soixante inspecteurs supplémentaires est-il bien suffisant pour mettre en œuvre le plan de renforcement des contrôles que vous avez élaboré ? Un objectif de 40 % des établissements privés sous contrat inspectés d’ici à 2026 est-il bien réaliste avec si peu de moyens ? Et, au-delà, à quoi les contrôles effectués aboutiront-ils ?

En décembre 2023, l’État n’a pas hésité à mettre fin au contrat liant le lycée lillois Averroès à l’État, vingt ans après sa création. L’État a ainsi cessé de le subventionner à partir de la rentrée 2024. Cette décision, aujourd’hui retoquée, a fait suite à l’avis favorable émis par une commission consultative présidée par le préfet du Nord, qui reprochait à l’établissement des irrégularités de gestion et des enseignements qualifiés de contraires aux valeurs de la République.

Les abus et les violences physiques, psychologiques et sexuels révélés à Notre-Dame de Bétharram ne sont-ils pas contraires aux valeurs de la République ? Comment justifier que le contrat liant cet établissement à l’État ne soit pas remis en cause ?

Si des manquements graves sont découverts lors des nouveaux contrôles que vous avez annoncés, les contrats d’association ou le financement de ces établissements seront-ils remis en cause et, si oui, selon quelle procédure ?

Nous demandons davantage de transparence sur ce sujet, comme c’est le cas par exemple au Royaume-Uni. Dans ce pays, lui aussi touché il y a quelques années par des scandales de violences et de pédocriminalité à répétition dans des établissements scolaires, le ministère chargé de l’éducation nationale a mis en œuvre, avec l’aide d’un organe de contrôle indépendant, des critères stricts de protection auxquels tous les établissements scolaires, sans exception, doivent se conformer.

J’en viens à un autre sujet d’inquiétude : le fonctionnement des établissements scolaires privés, mis en exergue par les scandales survenus à Notre-Dame de Bétharram, à Saint-Dominique de Neuilly-sur-Seine, à Sainte-Croix des Neiges, en Haute-Savoie, ainsi qu’à l’Immaculée-Conception, à Pau.

Si, au sein de ces établissements, certains adultes ont si longtemps pu perpétrer des violences, c’est aussi parce que ces dernières se déroulaient dans un milieu qui les favorisait ou, du moins, ne les empêchait pas ; un milieu social et culturel où les coups, les châtiments corporels, les humiliations, la violence gratuite et les rapports de domination étaient conçus comme faisant partie intégrante de l’éducation.

De ce point de vue, il était à la fois éloquent et choquant d’entendre le Premier ministre décrire, lors de son audition à l’Assemblée nationale le 14 mai dernier, une claque comme un « geste éducatif ».

Non, la violence n’est jamais éducative. Les châtiments corporels constituent une violation du droit de l’enfant au respect de son intégrité physique et de sa dignité humaine ; de son droit à la santé, au développement, ainsi qu’à l’éducation ; de son droit d’être à l’abri de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il faut le dire et le répéter, madame la ministre.

Depuis la loi du 10 juillet 2019, le code civil précise fort heureusement que « l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques ». Or, si les abus et violences révélés aujourd’hui dans tous ces établissements ont pu perdurer si longtemps, c’est aussi parce que, dans des milieux sociaux et culturels trop homogènes et recroquevillés sur eux-mêmes, il est plus facile de faire régner l’omerta, la loi du silence, ou la peur du qu’en-dira-t-on.

C’est aussi l’entre-soi cultivé dans ces établissements privés que met en cause le scandale de Bétharram ; un entre-soi qui permet de faire contre-société, comme dans la communauté catholique intégriste de Riaumont à Liévin, par exemple, et d’échapper à toute observation extérieure, à tout contrôle ; un entre-soi qui dispense de se confronter à l’altérité, à la différence, à ces « autres » qui viendraient mettre en cause des pratiques que l’on perpétue parce que « c’est la tradition, c’est l’habitude », ou parce que « l’on a toujours fait comme ça ».

Madame la ministre, lutter contre l’omerta qui entoure ces abus, c’est aussi lutter contre le séparatisme scolaire. Or il faut tout faire pour favoriser la mixité sociale, la rencontre de milieux sociaux et culturels divers, dans tous nos établissements scolaires.

Il y a deux ans, un autre débat de contrôle avait été organisé dans cet hémicycle, sur l’initiative de notre groupe : à la suite de la publication des indices de position sociale (IPS) des établissements scolaires de toute la France, nous avions souhaité parler du manque de mixité sociale dans nos écoles et de l’inquiétante ségrégation scolaire à l’œuvre entre établissements.

L’un de vos prédécesseurs, M. Pap Ndiaye, avait alors conclu avec l’enseignement catholique un protocole d’accord décrivant une trajectoire et un plan d’action partagés, afin de renforcer la mixité sociale et scolaire des établissements d’enseignement privé sous contrat. Où en est aujourd’hui la mise en œuvre de ce protocole ? Pouvez-vous nous donner des chiffres relatifs à l’évolution des IPS et du taux de boursiers de ces établissements privés sous contrat ?

Madame la ministre, les membres du groupe socialiste sont déterminés à lutter contre les abus et les violences physiques, psychologiques et sexuelles en utilisant tous les leviers à la disposition de la puissance publique, parce que c’est la mission première de notre République que de protéger tous ses enfants. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État.

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat, ministre de léducation nationale, de lenseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, vous l’aurez compris : en vertu du plan « Brisons le silence, agissons ensemble » que j’ai annoncé au milieu du mois de mars dernier, les faits de violence et même les incidents pouvant mettre en cause la sécurité au sein d’un établissement, qu’il soit privé ou public, doivent systématiquement être communiqués à l’académie et, le cas échéant, à l’échelle nationale, via l’application « Faits établissement ». Un second décret sera pris à cette fin.

Dans tous les établissements, qu’ils soient privés ou publics, une procédure claire doit s’appliquer pour que chaque membre du personnel auquel un élève se confie sache à qui rapporter ses propos et comment les faire remonter. Évidemment, les dispositions relatives à la transmission d’informations préoccupantes s’appliquent aussi, conformément à l’article 40 du code de procédure pénale. Mais, en l’occurrence, je parle de dispositifs spécifiques à l’éducation nationale.

Tous les établissements disposant d’un internat, qu’ils soient privés ou publics, seront soumis chaque trimestre à un questionnaire. J’ajoute que d’autres questionnaires devront être renseignés après chaque sortie scolaire avec nuitée et que, dans les établissements privés sous contrat, le nombre de contrôles, inférieur à 10 par an ces dernières années, sera porté à 1 000 en 2025.

Vous le constatez, nous tâchons d’être à la hauteur des drames révélés à Bétharram et ailleurs.

Pap Ndiaye, alors ministre de l’éducation nationale, avait effectivement signé un protocole relatif à la mixité sociale dans l’établissement catholique. Par la suite, nous avons été conduits à moduler les moyens affectés aux établissements en fonction de leur indice de position sociale. Quant aux commissions prévues dans chaque rectorat pour examiner la situation au cas par cas, avec les établissements, elles ont bien été créées.

Toutefois, deux ans après la signature de ce protocole, nous n’avons fait qu’une partie du chemin. Nous sommes en train de…

M. le président. Madame la ministre, votre temps de parole est écoulé.

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat. Je compléterai ma réponse à la faveur d’une autre question…

Mme Colombe Brossel. Nous voulons la suite ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, l’actualité est dominée depuis plusieurs semaines par les violences physiques et sexuelles commises au sein de l’institution Notre-Dame de Bétharram. C’est dans ce contexte très douloureux que les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont souhaité la tenue de ce débat. Il est parfaitement légitime.

Ensemble, nous devons trouver les solutions permettant de lutter contre ces crimes pédophiles épouvantables et de préserver l’intégrité physique de nos enfants, particulièrement en exigeant des établissements scolaires une plus grande transparence.

Pour ma part, j’insisterai sur d’autres formes de violences qui affectent nos collèges et nos lycées. Ainsi, le 24 mars dernier, un adolescent de 17 ans est mort devant le lycée professionnel Louis-Armand à Yerres, dans l’Essonne, après avoir été poignardé lors d’une rixe. Quelques mois plus tôt, une violente bagarre a éclaté dans la cour de récréation du lycée Rosa-Parks de Montgeron. Un élève avait été frappé à coups de marteau. Jeudi dernier, des élèves du lycée Geoffroy-Saint-Hilaire d’Étampes ont lancé une porte du quatrième étage sur un groupe de professeurs, blessant gravement une enseignante.

À cet instant, je tiens à réaffirmer tout mon soutien aux proches des victimes, mais aussi à l’ensemble de la communauté éducative, très ébranlée par ces drames successifs.

Malheureusement, ces violences ne sont pas des cas isolés. Sur tout le territoire national, elles sont devenues une réalité incontournable et angoissante. En outre, elles ne se limitent pas aux rixes, les réseaux sociaux étant devenus un véritable espace de haine.

Evaëlle, Thibault, Lindsay, Lucas, Nicolas sont des prénoms que nous ne devrions jamais oublier, ceux d’enfants victimes de harcèlement scolaire, qui se sont donné la mort pour échapper à leurs bourreaux.

Dans son rapport paru en 2021, Harcèlement scolaire et cyberharcèlement : mobilisation générale pour mieux prévenir, détecter et traiter, notre ancienne collègue Colette Mélot estimait que 800 000 à un million d’enfants étaient victimes de harcèlement chaque année. Notre devoir, en tant que législateurs, est de tout mettre en œuvre pour que l’ensemble de ces violences cessent. L’école doit demeurer un sanctuaire pour les enfants. Qu’ils soient victimes d’abus hors du cadre scolaire ou au sein des établissements, l’école doit agir pour les protéger.

Mais que peut faire l’école concrètement ? Son rôle repose sur cinq leviers : prévention, détection, signalement, sanction, lorsque les violences sont commises au sein de l’établissement, et accompagnement des victimes, avec l’appui des forces de l’ordre et de la justice.

Les professeurs, personnels de l’éducation, médecins scolaires, directeurs académiques des services de l’éducation nationale (Dasen), recteurs, toutes les composantes de la communauté éducative sont engagées dans cette lutte. Nous saluons leurs efforts au quotidien. Mais disposent-ils de moyens suffisants ?

Ces dernières années, face à l’ampleur du problème, des rapports ont été publiés, des recommandations ont été faites, des mesures ont été adoptées. Je pense notamment à la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, qui crée le délit de harcèlement scolaire et prévoit une peine pouvant aller jusqu’à dix ans de prison en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime.

Pour endiguer ces fléaux, des initiatives importantes ont été prises et doivent être soulignées. Ainsi, à l’échelle européenne, la Commission a adopté en avril 2024 une recommandation relative au développement et au renforcement de systèmes intégrés de protection de l’enfance. Cette démarche comporte un volet important sur la santé mentale des enfants. Elle préconise ainsi que chaque État dispose d’un plan national de soutien à la santé mentale des jeunes.

Il y a quelques jours, madame la ministre d’État, vous avez vous-même présenté, en marge des Assises de la santé scolaire, un plan tendant à faire de la santé mentale des jeunes une priorité nationale, ce dont je vous remercie. Pourriez-vous nous indiquer la façon dont seront concrètement mises en œuvre les mesures de ce plan ?

En France, la médecine scolaire devrait jouer un rôle central en matière de prévention et de détection des violences. Mais pour ma part, je fais le constat alarmant que la médecine scolaire est à bout de souffle et incapable, avec des effectifs aussi réduits, d’assurer ses missions.

En effet, l’éducation nationale est un désert médical à elle seule : un médecin scolaire est aujourd’hui chargé de 13 000 élèves, un psychologue s’occupe du suivi de 1 500 élèves et on relève un infirmier pour 1 300 enfants. Actuellement, la moitié des postes de médecin scolaire ne sont pas pourvus, tandis que l’évolution de la démographie médicale et les départs à la retraite, qui vont s’accélérer dans les deux prochaines années, n’incitent pas à l’optimisme. Un grand plan de revalorisation des missions et des rémunérations est impératif pour renforcer l’attractivité de ces métiers essentiels pour nos enfants.

Je tiens également à signaler plusieurs décisions relatives à la dégradation de la protection de l’enfance, rendues publiques à la fin du mois de janvier 2025 par la Défenseure des droits. Dans une décision-cadre comprenant des recommandations à l’endroit du ministère de l’éducation nationale, cette dernière propose notamment de revaloriser le métier d’assistant social en milieu scolaire. L’objectif est d’intensifier le recrutement de ces professionnels et d’envisager leur présence au sein des établissements du premier degré.

La Défenseure des droits demande aussi au ministère de l’éducation nationale de veiller à ce que l’ensemble des académies passent une convention avec les départements pour la mise en place, de manière prioritaire, de formations sur la protection de l’enfance. L’enjeu d’une telle mesure est de permettre aux équipes éducatives d’être mieux armées pour protéger nos enfants. Madame la ministre d’État, quelles suites ont été données à ces recommandations ?

Pour conclure, j’attire votre attention sur le fait qu’un certain nombre de collectivités territoriales prennent toute leur part dans ce combat essentiel et agissent pour protéger nos élèves et nos établissements scolaires. La région Île-de-France, notamment, agit avec détermination en faveur de la sécurité des lycéens. Des moyens significatifs sont consacrés à des opérations de sécurisation et la vidéoprotection continue d’être déployée.

Quant au Gouvernement, il a annoncé en mars dernier des fouilles de sacs à l’entrée des établissements, ainsi que des sanctions fortes pour les élèves en possession d’une arme blanche. Dans un contexte de flambée des violences scolaires, ces mesures visent à apporter une réponse concrète et rapide aux attentes croissantes des chefs d’établissement, des équipes pédagogiques et des familles.

Souhaitons qu’elles suffisent à endiguer la violence des jeunes et à ramener la sérénité nécessaire aux études. Mais, in fine, c’est bien aux parents qu’il incombe d’assumer la tâche d’éduquer leurs enfants et d’être pleinement conscients que la transmission des valeurs humaines est le seul rempart contre la barbarie.