M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État.

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat, ministre de léducation nationale, de lenseignement supérieur et de la recherche. Je ne suis pas sûre de pouvoir répondre à toutes vos questions en deux minutes, madame la sénatrice, aussi évoquerai-je tout d’abord la situation dans l’Essonne et le phénomène des rixes, très visible dans ce département, mais aussi malheureusement partout ailleurs, comme on le voit sur les réseaux sociaux, où rixes, racket et bagarres sont médiatisés.

Le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, et moi-même sommes naturellement très engagés dans la prévention des violences. Vous l’avez mentionné, nous avons adressé une instruction conjointe aux préfets et aux recteurs le 26 mars, en demandant que des contrôles inopinés des sacs soient effectués devant les établissements par les forces de sécurité intérieure, sur réquisition du procureur de la République et en concertation avec les autorités académiques et les chefs d’établissement. Pour mentionner un exemple concret, dans l’Essonne, trente opérations de fouilles de sac ont été menées depuis la fin du mois de mars.

Plus globalement, il est crucial, dans cette société de plus en plus violente, d’entretenir un partenariat très étroit entre les chefs d’établissement et les forces de sécurité, mais aussi les municipalités. Il importe donc que les enjeux de sécurité puissent être appréhendés dans toutes leurs dimensions, notamment par les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), que ce soit au sein des établissements scolaires ou en dehors. Je rappelle que le drame survenu dans l’Essonne s’est produit lors d’un trajet de retour.

Pour conclure, la santé mentale est un enjeu absolument majeur, comme le drame de Nantes nous l’a rappelé. Il faut revaloriser les médecins scolaires alors que, comme vous l’avez mentionné, près de 50 % des postes sont vacants.

Au-delà, je souhaite que soit mis en place dans chaque établissement un protocole de repérage et de prise en charge des élèves ayant des difficultés psychiques. Cela suppose, là encore, un travail en partenariat avec les acteurs du territoire, notamment les centres médico-psychologiques, pour permettre une prise en charge rapide. Ainsi, mon collègue ministre chargé de la santé et moi-même avons décidé que les élèves signalés par l’éducation nationale devaient bénéficier d’un accès coupe-file à ces centres afin d’y être pris en charge au plus vite.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir.

M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, chacun s’accordera vraisemblablement sur le fait que rien n’est plus précieux que nos enfants, pour lesquels nous voulons le meilleur afin qu’ils puissent grandir et s’épanouir au quotidien.

Il est légitime que les parents soient exigeants avec l’école, cet univers parallèle à celui du cercle familial, compte tenu du temps que les enfants y passent, même si cela crée parfois des tensions avec le corps professoral, cette corporation étant la seule à être soumise à une telle immixtion dans l’exercice de ses activités.

Cela n’a pas encore été dit au cours de notre débat, l’école a été pendant des siècles l’apanage de l’Église dans notre pays. L’enseignement est peu à peu devenu public sous la Révolution française, puis sous Napoléon, puis sous la République. Il ne s’est détaché de la religion et n’est devenu laïc qu’à la fin du XIXe siècle, ce qui n’est pas si ancien.

Depuis, les rapports entre l’État et les établissements privés ont été encadrés, d’abord par la loi Debré du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l’État et les établissements d’enseignement privés, puis par la loi Gatel du 13 avril 2018 visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat. Certains d’entre vous se souviennent des travaux de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ayant abouti à la rédaction de cette dernière.

Je tiens à rappeler que tous les établissements privés sont soumis aux contrôles administratifs et pédagogiques prévus par la loi, notamment sous le prisme de la protection de l’enfance, sujet qui nous occupe aujourd’hui.

Malgré cet encadrement juridique, la Cour des comptes et les auteurs de nombreux rapports parlementaires ont souligné l’insuffisance de ces contrôles, qui ne sont pas exercés ou le sont insuffisamment. Il appartient à l’État de regarder avec lucidité son rôle dans ces affaires. Dans cette chaîne, qui va du recueil de la parole au traitement des dysfonctionnements et des causes des violences, la collaboration entre l’État et les chefs d’établissement doit être totale.

Je dirai à présent un mot sur la temporalité. Nous ne pouvons pas aujourd’hui porter le même regard qu’il y a trente ou quarante ans sur l’univers scolaire. Quel élève de ma génération, qu’il ait été scolarisé dans le public ou dans le privé, n’a jamais assisté à un coup de règle pour indiscipline, à une craie lancée depuis le tableau, voire à une gifle administrée par un enseignant, qu’elle soit considérée comme « éducative » ou non ? Faisons preuve de sincérité sur ce sujet.

Toutefois, ce temps est révolu et c’est heureux, car l’école, nous en sommes d’accord, doit être le lieu de la seule instruction. Néanmoins, il convient de ne pas glisser sous le tapis des pratiques qui ont existé, des violences scolaires qui ont parfois eu des conséquences dramatiques sur ceux qui les ont subies : détresse psychologique, décrochage scolaire, voire passage à l’acte suicidaire.

Comment accompagner les victimes ? Le thème de notre débat est vaste, pour ne pas dire flou. Tout le monde est d’accord pour protéger l’enfant au sein de l’institution, mais reste à savoir dans quel cadre.

Soyons clairs, rien ne pourra jamais excuser les violences ou les atteintes sexuelles. L’interdit est nécessairement compris par l’auteur de telles violences, lesquelles relèvent du vice et sont condamnables pénalement. Les procédures sont bien connues, il faut les activer.

Cela étant, gardons-nous d’instrumentaliser les autres types de violences dans ce débat et de réveiller une nouvelle guerre scolaire, alors que les effectifs des établissements privés augmentent année après année. Ces établissements ne suscitent pas un mécontentement généralisé, l’enseignement qui y est dispensé étant de qualité. Je tenais à le signaler.

Mes chers collègues, ne versons pas dans les excès de certains parlementaires qui, dans une autre assemblée, mènent actuellement une véritable croisade contre l’enseignement privé catholique. En réalité, ils ne veulent pas d’école religieuse, sauf si cette religion est l’islam.

À ce stade de notre débat, j’attire votre attention sur le rapport Frères musulmans et islamisme politique en France, qui porte sur l’entrisme des Frères musulmans dans tous les champs qu’ils ont investi, notamment l’éducation. Il démontre qu’un danger existe aujourd’hui et menace concrètement notre République.

Les contrôles administratifs ne reposent que sur de rares signalements, malgré la gravité du sujet, comme on l’a vu s’agissant du lycée musulman Averroès à Lille ou encore au sein du groupe scolaire Al-Kindi. Les inspecteurs de l’éducation nationale ont trouvé au sein des établissements de ce groupe plusieurs livres problématiques faisant la promotion d’un djihad violent, de la peine de mort pour les homosexuels, légitimant les violences conjugales. Enfin, le génocide des juifs est ignoré dans leur enseignement.

Notre collègue Ouzoulias parlait précédemment d’encadrement des élèves dans leur scolarité : il me semble que, en l’espèce, nous n’y sommes pas du tout, que la liberté de conscience n’est plus respectée et qu’il y a donc, aujourd’hui, un véritable danger dans ce type d’écoles.

Ne dévoyons pas le débat en sombrant dans un clivage public-privé. La liberté d’enseignement fait partie des fondamentaux de notre République. La liberté n’exclut évidemment pas le contrôle, mais ce dernier doit être effectif. Aucun établissement n’est au-dessus des lois, mais le caractère propre des établissements privés doit être préservé, comme l’équilibre délicat de l’enseignement scolaire dans notre République.

Ainsi, les dysfonctionnements que vous jugez exacerbés dans l’enseignement privé sous contrat s’expliquent, comme l’a dit Jean-Michel Blanquer, par la « culture de l’Éducation nationale de regarder davantage dans les établissements publics ». Ainsi, la culture de la déresponsabilisation entre les auteurs de violences et les établissements des corps d’inspection ne doit pas nous éloigner de ce qui s’impose comme le seul objectif : l’école doit être un lieu d’apprentissage. La violence, sous toutes ses formes, n’y a aucune place.

Madame la ministre d’État, alors que j’interviens en septième position dans ce débat, vous avez déjà répondu à un certain nombre des questions que je comptais vous poser. Je voulais vous interroger sur les contours et les objectifs des contrôles que vous avez programmés. Sont-ils orientés vers des établissements sur lesquels vous avez des doutes sérieux ou disposez de données précises ? Quelle est la nature des écoles qui seront prochainement contrôlées ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État.

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat, ministre de léducation nationale, de lenseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, je ne reviendrai pas sur le périmètre des contrôles, que j’ai déjà évoqué. Je précise juste que chaque académie a élaboré un plan de contrôle. Au total, l’ensemble de ces plans permettront de contrôler 1 000 établissements cette année à l’échelle nationale.

Ces plans visent à contrôler les établissements dans leur diversité, y compris les établissements hors contrat, lesquels font déjà l’objet de contrôles renforcés en vertu de la loi Gatel et de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. L’objectif, en effectuant 1 000 contrôles, est d’atteindre 40 % d’établissements contrôlés, dont la moitié sur place, dans les deux ans.

Au-delà des contrôles programmés, si des éléments conduisant à nous interroger sur le fonctionnement d’un établissement venaient à nous être communiqués, nous pourrions bien évidemment revoir nos priorités d’intervention.

Par ailleurs, quand le rectorat est alerté sur des dysfonctionnements graves, dès lors qu’il y a un fait de violence, une enquête administrative est ouverte. Celle-ci a pour objet de faire toute la lumière sur les faits signalés, d’identifier les responsabilités et de préconiser les suites à diligenter, tout cela, naturellement, s’entend sans préjudice des procédures qui peuvent être diligentées par ailleurs, dont le signalement au procureur de la République ou la transmission d’informations préoccupantes.

Le programme de contrôle sera donc adapté en fonction d’éventuels signalements ou de faits qui peuvent apparaître.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Fouassin.

M. Stéphane Fouassin. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je m’exprime au nom de ma collègue Samantha Cazebonne qui vous prie de bien vouloir excuser son absence ce soir. Elle m’a chargé de vous lire son intervention. Vous comprendrez donc que je m’exprime au féminin…(Sourires.)

« Le débat proposé aujourd’hui par nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’inscrit dans un contexte salutaire de libération de la parole sur les violences survenues dans certains établissements scolaires.

« En tant que législatrice, ancienne enseignante et cheffe d’établissement, mais aussi en tant que parent, je ne peux que saluer et encourager cette parole essentielle à la reconnaissance des victimes. Il est impératif que celles-ci soient écoutées, reconnues et accompagnées, et que l’État se dote des moyens de contrôle à la hauteur des enjeux, afin de garantir aux enfants la protection que leur doit l’école.

« En tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, je souhaite porter à votre attention les réalités de notre réseau d’enseignement français à l’étranger (EFE). Celui-ci compte plus de 600 établissements homologués dans 138 pays, évoluant dans des contextes très différents de ceux que vous connaissez sur le territoire national ou ultramarin. Dans ces établissements, les violences physiques sont, sauf exception, rares. Mais cela ne signifie pas que nos élèves sont à l’abri de toute forme de violence ou de vulnérabilité. Celles-ci prennent d’autres formes et appellent un engagement résolu de l’État.

« Le harcèlement scolaire est désormais mieux accompagné, notamment grâce au déploiement du programme de lutte contre le harcèlement à l’école (pHARe) et à l’utilisation de la méthode Pikas. Toutefois, il apparaît nécessaire d’aller plus loin, en déployant dans le réseau EFE certains dispositifs qui en sont encore absents, à commencer par des numéros d’appel d’urgence accessibles depuis l’étranger, à destination des enfants, des familles et des personnels. Des lignes similaires existent à l’étranger pour les violences intrafamiliales ou les violences faites aux femmes : pourquoi ne pas en envisager l’extension à notre réseau à l’étranger s’agissant du harcèlement ?

« Je rappelle également que la protection des enfants passe aussi par une meilleure prise en charge des élèves à besoins éducatifs particuliers. Ainsi, la création, en 2016, de l’Observatoire pour les élèves à besoins éducatifs particuliers (Obep) constitue une avancée utile.

« Cependant, les difficultés persistent : aujourd’hui, les familles doivent déposer une demande d’accompagnement auprès d’une maison départementale des personnes handicapées (MDPH) en France. Or ces structures locales ne sont pas toujours formées aux spécificités du réseau international et l’instruction des dossiers se révèle longue, complexe, voire inaccessible pour certaines familles. Ne serait-il pas temps d’envisager la création d’une MDPH centralisée, dédiée aux Français de l’étranger, pour améliorer le suivi, accélérer les réponses et assurer une mise en œuvre plus efficace des accompagnements, afin d’éviter l’exclusion de certains enfants français ?

« Enfin, je souhaite insister sur un autre pilier de la protection : les valeurs de la République. Même si, dans certains pays, leur transposition peut se révéler délicate, il nous faut affirmer que nos établissements français à l’étranger resteront toujours des lieux où l’on apprend à penser librement, à forger sa conscience et à exercer son esprit critique. Nous ne pouvons transiger sur ces principes, surtout dans un réseau auquel l’accès n’est pas obligatoire et qui accueille des familles pour qui il est un espace de neutralité et de liberté, parfois même un refuge. Or il arrive de plus en plus que ces valeurs soient contestées et remises en question.

« Dès lors, ne pourrions-nous pas envisager que les critères d’homologation comprennent plus explicitement le respect des valeurs républicaines, pour protéger nos enfants partout où elles pourraient être remises en cause ?

« Je tiens à remercier les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’avoir demandé l’inscription de ce débat important à l’ordre du jour de notre assemblée. Je vous remercie également, madame la ministre d’État, pour l’attention que vous portez à notre réseau d’enseignement français, si important pour nos compatriotes établis hors de France, pour les personnes de nationalités tierces que nous accueillons dans nos établissements et pour le rayonnement de notre modèle et de notre système éducatif à travers le monde. »

M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État.

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat, ministre de léducation nationale, de lenseignement supérieur et de la recherche. Je vous remercie, monsieur le sénateur, de mettre en lumière, au nom de votre collègue, le rôle de nos établissements français à l’étranger. Comme vous le relevez, du chemin reste à faire pour que l’ensemble des dispositifs qui existent sur le territoire national puissent bénéficier aussi à nos établissements de l’étranger.

Je précise que les leviers que nous pouvons actionner dépendent beaucoup du statut de ces établissements, qui, sans entrer dans le détail, sont tous très différents. Sans doute pourrai-je évoquer ce point avec la sénatrice Samantha Cazebonne.

Toujours est-il que, depuis septembre 2023, le bien-être des élèves et des personnels figure explicitement parmi les critères d’homologation d’un établissement français à l’étranger par le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. En cas de dysfonctionnement, les établissements peuvent faire l’objet d’un contrôle, décidé en lien avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Il est alors procédé à une inspection et à une évaluation par l’inspection générale. En cas de manquement grave, l’établissement peut se voir retirer son homologation.

J’ajoute que seule une partie des personnels a le statut de titulaire de l’éducation nationale et bénéficie d’un détachement direct dans ces établissements partenaires. Pour eux, la direction générale des ressources humaines du ministère est chargée d’engager des procédures disciplinaires en cas de manquement avéré, dès lors que celui-ci est signalé par le poste diplomatique ou par l’employeur.

Enfin, nous allons renforcer le travail mené avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), afin d’améliorer l’ensemble des procédures de signalement et de traitement que vous avez évoquées. Vous pouvez compter sur moi.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier.

Mme Laurence Garnier. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, l’objet de notre débat est large. Plusieurs d’entre vous ont évoqué la question des violences physiques ou sexuelles des adultes envers les élèves dans les établissements scolaires. Mon collègue Stéphane Piednoir a porté à l’instant la position de notre groupe sur ces questions douloureuses.

Je souhaitais, pour ma part, vous parler ce soir des violences des élèves envers d’autres élèves. Cet enjeu me semble tout aussi essentiel en matière de protection et d’accompagnement de nos jeunes. Il concerne à la fois la santé mentale, la lutte contre le harcèlement scolaire et les conséquences délétères des écrans et des réseaux sociaux.

Je ne peux évoquer la santé mentale de nos élèves sans rappeler l’événement dramatique que nous avons vécu le mois dernier à Nantes, une jeune fille de 15 ans étant décédée après avoir été poignardée à cinquante-sept reprises par un élève de son lycée, en plein cours de mathématiques.

Vous êtes venue à Nantes ce jour-là, madame la ministre d’État, pour soutenir la communauté éducative de ce lycée : je vous en remercie. La fragilité psychologique du jeune meurtrier, très isolé et aux tendances suicidaires, est apparue très tôt. Il a rapidement été hospitalisé en psychiatrie, puis transféré dans un établissement du sud de la France réservé à des patients présentant des pathologies mentales lourdes.

Au-delà de ces cas extrêmes, la santé mentale de nos jeunes se maintient à des niveaux préoccupants, surtout depuis la crise du covid. Ainsi, une étude réalisée en 2022 par Santé publique France fait part de chiffres inquiétants : 13 % des enfants âgés de 6 à 11 ans présentent un trouble probable de santé mentale et 24 % des lycéens déclarent avoir eu des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois.

Face à ces questions, la fragilité de la filière psychiatrique pose question. Mon département de Loire-Atlantique enregistre l’un des plus faibles ratios de pédopsychiatres libéraux par habitant. Par ailleurs, de nombreux postes restent non pourvus au sein du centre hospitalier universitaire (CHU).

Ainsi, les délais de consultation en pédopsychiatrie sont aujourd’hui de douze à dix-huit mois, ce qui a des conséquences directes sur la réussite scolaire de nos enfants. Par exemple, dans un collège nantais, trois élèves de cinquième atteints de troubles scolaires anxieux ne sont pas venus en classe depuis le mois de novembre dernier. La reconstruction d’une filière de pédopsychiatrie à la hauteur des enjeux est donc une urgence absolue.

Protéger et accompagner les élèves au sein des établissements scolaires, c’est aussi lutter contre le harcèlement, lequel est amplifié par l’omniprésence des écrans et des réseaux sociaux. Je me permets, mes chers collègues, de partager une conviction : l’hyperviolence se nourrit constamment de ces outils numériques, qui sont devenus des catalyseurs de la fabrique des barbares. Il est vital de protéger nos élèves de ces outils digitaux, qui ont envahi leur temps et leur espace quotidiens. Je rappelle qu’un adolescent âgé de 13 à 19 ans passe en moyenne cinq heures par jour sur les écrans.

Michel Desmurget, docteur en neurosciences à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), établit ainsi un lien direct entre cet usage excessif des écrans et l’augmentation des comportements violents. En particulier, il analyse la question du manque d’empathie, à la source de ces comportements violents et favorisés par le déploiement d’algorithmes égocentrés. Ces derniers ne permettent pas aux jeunes de développer une compréhension profonde des émotions d’autrui. La violence des contenus, dont chacun a sans doute déjà eu un aperçu, suscite également une forme de désensibilisation à la souffrance de ses semblables.

Dans ce panorama plutôt sombre, madame la ministre d’État, je reste convaincue que l’éducation nationale dispose d’un certain nombre de leviers puissants pour restaurer l’empathie et lutter contre ces comportements violents entre élèves.

Au premier rang de ces leviers, l’on trouve la lecture, clé de voûte, à mon avis beaucoup trop sous-estimée, de nos compétences relationnelles et de nos habiletés sociales, pour reprendre les termes de Michel Desmurget. Les recherches scientifiques sur la lecture, mes chers collègues, montrent en effet que la richesse des émotions décrites dans les livres, la diversité des personnages rencontrés, notamment dans les romans et les autres ouvrages de fiction, sont des outils puissants pour recréer l’empathie nécessaire à la qualité du lien social.

Au-delà de ces atouts, la richesse du vocabulaire utilisé dans les livres est aussi essentielle pour permettre à nos jeunes élèves d’exprimer et, par là même, de maîtriser leurs émotions. Ainsi, de nombreuses études montrent le lien direct entre le faible nombre de mots assimilés et le niveau de violences de certains élèves.

Le linguiste Alain Bentolila indique ainsi que « une partie importante des jeunes Français ne possède que quelques centaines de mots, quand il leur en faudrait plusieurs milliers pour tenter d’examiner et d’accepter pacifiquement leurs différences et leurs divergences ». Le fait qu’un livre destiné à un enfant de 3 ans comprenne plus de mots de vocabulaire que la plupart des contenus des réseaux sociaux doit nous faire collectivement réfléchir.

Ce débat sur la protection et l’accompagnement de nos élèves est donc l’occasion, madame la ministre d’État, de vous alerter sur les troubles psychologiques et psychiatriques qui explosent chez les élèves français, largement nourris par un usage intensif des réseaux sociaux.

Réinterroger la place des écrans, faire réellement appliquer l’interdiction des smartphones dans nos écoles et dans nos collèges, peut-être aussi à l’extérieur, me semble donc une priorité absolue pour apaiser le climat scolaire au sein de nos établissements.

M. le président. La parole est à Mme la ministre d’État.

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat, ministre de léducation nationale, de lenseignement supérieur et de la recherche. J’adhère totalement à votre propos, madame la sénatrice, qui soulèvent la question de la prévention de la violence.

Nous déplorons un véritable phénomène d’addiction aux écrans. Vous avez mentionné le fait que beaucoup d’élèves passent jusqu’à cinq heures par jour devant leurs écrans et évoqué tous les risques que cela entraîne en matière de cyberharcèlement et de banalisation de la violence.

C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité généraliser la pause numérique dans tous les collèges à partir de la rentrée prochaine. Nous devons nous-mêmes éviter d’inciter les élèves à utiliser des téléphones via les logiciels de vie scolaire, comme Pronote. Ces derniers ne seront plus mis à jour de vingt heures à sept heures du matin, ainsi que le week-end. Nous devons inciter nos élèves à se détacher de leurs écrans. Lire un bon livre est sans doute en effet un bon moyen pour eux d’y parvenir !

Par ailleurs, vous avez insisté sur l’importance des compétences psychosociales. Elles figureront désormais parmi les compétences à acquérir dans le socle commun de compétences. Différentes actions visent à renforcer ces compétences, notamment les cours d’empathie, qui ont été généralisés depuis la rentrée dernière.

Du reste, j’ai mentionné les moyens que nous allons déployer pour mieux détecter et prendre en charge les élèves en détresse psychologique. Vous l’avez souligné, un élève en détresse psychologique peut être dangereux pour lui-même, mais aussi pour les autres. À cet égard, il faut tout faire pour qu’un drame similaire à celui qui est survenu à Nantes ne puisse pas se reproduire.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme la ministre d’État.

Mme Élisabeth Borne, ministre dÉtat, ministre de léducation nationale, de lenseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir organisé ce débat sur ces sujets qui sont au cœur de mes priorités.

Vous le savez, ces derniers mois, d’anciens élèves ont révélé avoir subi des violences physiques, morales et sexuelles inqualifiables. Je veux redire aux victimes tout mon soutien et ma solidarité.

Ces révélations nous ont tous indignés. Elles ont suscité une prise de conscience collective et une exigence de vérité et de justice. Les auteurs, premiers responsables, doivent répondre de leurs actes personnellement devant la justice.

Je l’ai dit clairement dès les premiers témoignages : l’État n’a pas été au rendez-vous. Il lui revient donc, aujourd’hui, de l’être pleinement. C’est tout le sens du plan « Brisons le silence, agissons ensemble », que j’ai présenté le 17 mars dernier.

Ce plan repose sur trois piliers : assurer la remontée systématique des faits de violence dans les établissements privés et publics ; mieux recueillir la parole des élèves dans toutes les écoles et tous les établissements ; renforcer les contrôles dans les établissements privés sous contrat.

J’ai eu l’occasion, lors de nos échanges, de détailler la mise en œuvre de ces mesures, qui visent un seul et unique objectif : faire de l’école un lieu protégé où chacun se sent en sécurité. Cela implique de protéger les élèves contre toute forme de violence, non seulement de la part d’adultes, mais également entre eux.

Il s’agit d’abord de les protéger contre toute forme de harcèlement. Tel est l’objet du plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l’école que j’avais présenté en septembre 2023. Il requiert une mobilisation collective qui, au travers du programme pHARe, vise trois objectifs : 100 % de prévention, 100 % de détection, 100 % de solutions.

Cette lutte s’articule autour d’actions ciblées : formation de tous les personnels d’ici à 2027 ; séances d’information et ressources numériques à destination des parents ; sensibilisation des collégiens à hauteur de dix heures par an, via l’apprentissage des compétences psychosociales ; cours d’empathie déployés à l’école primaire ; mise en place de questionnaires ; déploiement du 3018.

Nous allons également renforcer la lutte contre la surexposition aux écrans, ses conséquences en matière de cyberharcèlement et la banalisation de la violence sur les réseaux sociaux. J’ai déjà évoqué la mesure que nous avons prise concernant les logiciels de vie scolaire.

J’ajoute que protéger les élèves, c’est aussi lutter contre le port et l’usage d’armes blanches par ces derniers. Des drames sont survenus ces derniers mois et ont coûté la vie à des élèves. Le ministre de l’intérieur et moi-même nous sommes engagés dans ce combat avec détermination.

Tout élève pris, dans son établissement ou aux abords, en possession d’une arme blanche comparaît désormais systématiquement devant le conseil de discipline de son établissement. J’ai signé un décret, qui sera publié dans les prochains jours, pour rendre cette comparution obligatoire. Un signalement est par ailleurs transmis systématiquement au procureur de la République, au titre de l’article 40 du code de procédure pénale.

Bruno Retailleau et moi-même avons adressé une instruction conjointe afin que les forces de sécurité intérieure, sur réquisition des procureurs, puissent effectuer des contrôles inopinés des sacs des élèves devant les établissements.

En un mois, plus de 1 000 contrôles ont été réalisés et une centaine d’armes blanches ont été trouvées.

D’une façon générale, tout fait de violence commis par un élève appelle une réponse ferme : interdiction d’accès à l’établissement par mesure conservatoire, engagement d’une procédure disciplinaire et, si les faits sont susceptibles de revêtir une qualification pénale, signalement au procureur de la République.

Je rappelle que 170 postes de conseillers principaux d’éducation (CPE) et 600 postes d’assistants d’éducation ont été créés afin d’améliorer le climat scolaire.

Par ailleurs, certains drames ont mis en lumière les enjeux de santé mentale. C’est un problème qu’il faut prendre à bras le corps. À cet égard, Yannick Neuder et moi-même avons annoncé des mesures concrètes le 14 mai dernier, lors des Assises de la santé scolaire. D’ici à la fin de l’année 2025, chaque école et chaque établissement devra s’être doté d’un protocole de repérage et de prise en charge de la souffrance psychique des élèves.

Deux personnels repères en santé mentale seront formés durant l’année au repérage des signes de souffrance psychique et à l’accueil de la parole des élèves, de façon à les orienter vers une prise en charge adaptée.

Garantir un espace sûr et protégé à l’ensemble de la communauté éducative, c’est aussi témoigner du soutien de l’institution aux professeurs victimes de menaces ou d’agressions.

Je rappelle que j’ai soutenu les propositions qui ont été débattues ici même, le 6 mars dernier, en faveur de l’octroi aux enseignants de la protection fonctionnelle systématique en cas de violences verbales ou physiques. Je suis également favorable à la possibilité d’un dépôt de plainte par l’administration en lieu et place du personnel victime.