Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la mode éphémère, ou fast fashion, s’est imposée en quelques années comme une tendance dominante au sein de certaines industries. Son modèle, fondé sur le renouvellement ultrarapide de collections à très bas prix, rencontre un certain succès auprès des consommateurs, notamment des plus jeunes.
Toutefois, derrière des vêtements toujours moins chers, livrés en quelques jours depuis l’autre bout du monde, se cache un coût environnemental, social et économique que nous ne pouvons plus ignorer. Entre 2010 et 2023, le nombre de vêtements mis sur le marché en France est passé de 2,3 milliards à 3,2 milliards de pièces, une augmentation de près de 40 % en à peine plus d’une décennie, et ce volume ne cesse de croître. Ces vêtements proviennent, pour la plupart, d’Asie du Sud-Est, sont produits dans des conditions sociales très différentes de ce qui existe en France et engendrent d’importantes émissions de CO2 liées aux importations.
Rappelons-le : l’industrie textile est aujourd’hui la deuxième industrie la plus polluante au monde ; elle représente à elle seule près de 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Chaque année, environ 3,3 milliards de vêtements sont mis sur le marché français dont une grande partie ne seront portés que quelques fois, voire ne le seront jamais, avant d’être jetés ou oubliés au fond d’un placard.
La fast fashion n’est pas seulement un problème écologique. Elle met aussi à mal tout un tissu économique local : celui de nos entreprises françaises du textile, qui ne peuvent suivre le rythme imposé par des géants de la vente en ligne. Elle accentue une concurrence déloyale, fragilise nos emplois, appauvrit nos savoir-faire, détruit notre indépendance industrielle.
Face à ce constat, des textes ont déjà été adoptés – je pense à la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (Agec) ou encore à la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et Résilience –, mais force est de constater que, bien qu’importants, ils n’ont pas suffi à inverser la tendance.
C’est pourquoi la présente proposition de loi est essentielle. Elle permet, d’une part, de mieux encadrer la mode éphémère grâce à une définition claire et, d’autre part, de mieux sanctionner et pénaliser les entreprises qui décident de ne pas respecter les règles. L’interdiction de la promotion des produits de la mode éphémère par les influenceurs est aussi une avancée majeure, en ce qu’ils constituent le principal relais des marques de fast fashion.
Nous devons cependant veiller à ce que ce texte cible bien les pratiques que nous voulons encadrer sans avoir d’effets de bord pour les acteurs français, notamment pour les marques abordables qui produisent en France ou en Europe, avec des engagements environnementaux clairs.
C’est pourquoi le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants proposera quatre amendements afin, d’une part, de cantonner la définition de la fast fashion au seul critère de la durée de vie, en excluant la durée d’usage, qui pourrait concerner aujourd’hui des produits d’entrée de gamme ne relevant pas de cette pratique, et, d’autre part, de réserver le malus des écocontributions aux seules entreprises de fast fashion.
Enfin, je souhaite insister sur un point fondamental : ce débat est aussi l’occasion de promouvoir l’achat responsable et local. Acheter des vêtements produits en France, c’est soutenir l’emploi, la qualité, la traçabilité ; c’est choisir des produits conçus avec soin, souvent plus durables, fabriqués dans le respect de normes sociales et environnementales exigeantes ; c’est aussi dire non à des plateformes qui inondent le marché de produits jetables à bas coût. Chacun d’entre nous peut, à son échelle, être acteur de ce changement. Il s’agit non pas d’interdire de s’habiller, mais de retrouver du sens dans nos choix de consommation.
Cette proposition de loi n’est pas punitive. Elle est une réponse lucide, proportionnée et nécessaire à un modèle qui n’est plus soutenable.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.
M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre économie dépend d’abord, faut-il le rappeler ? de nos modes de consommation et ce texte permet avant tout de remettre ces derniers en question, dans le secteur de l’habillement.
La mode, modus en latin, nous renvoie à la « mesure » et donc à la démesure. Or 3,3 milliards de vêtements sont mis sur le marché en France chaque année, soit 1 milliard de plus qu’il y a dix ans, et ces milliards de vêtements, importés, consommés et plus ou moins usés, entraînent le rejet de milliers de tonnes de microplastique dans nos océans ou dans des montagnes de déchets.
La numérisation de notre économie précipite la disparition de notre tissu industriel textile. Après les usines, ce sont les marques qui disparaissent – Kookaï, Camaïeu, Naf Naf ou André au cours des derniers mois –, avec les destructions d’emploi correspondantes dans nos territoires.
Les géants extra-européens du textile affichaient plus de 2 milliards d’euros d’activité dans la mode en 2024, soit une progression de 18 %, et représentent à eux trois 25 % des ventes de mode en ligne. Ce modèle de mode jetable et de prix-chocs écrase toute concurrence, en particulier celle des acteurs français et européens du textile traditionnel.
Dans le Lot-et-Garonne comme ailleurs, nos magasins d’habillement ont été les premières victimes de cette expansion numérique qui détruit nos commerces de centre-bourg. C’est une vraie question de société : veut-on supprimer tous nos commerces de proximité et rester chez soi sans contact humain ? Voilà un enjeu économique et social de premier ordre.
Or ces prix bas ne peuvent exister qu’au détriment, hélas ! du respect d’exigences sociales, humaines, sanitaires et environnementales élémentaires. Ce constat, nous le faisons tous ; désormais, il nous faut agir, c’est-à-dire endosser collectivement la responsabilité consistant à limiter le champ d’action de certaines entreprises, dont les procédés industriels et commerciaux sont catastrophiques tant pour notre environnement que pour notre souveraineté économique.
L’enjeu de ce texte réside dans l’amélioration des pratiques industrielles et commerciales de ces acteurs, en les encourageant à la sobriété, au réemploi, à la réparation et au recyclage des produits.
Même si, bien évidemment, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen accueille favorablement cette proposition de loi, notre vote n’épuisera pas le sujet. Il nous reste beaucoup à faire, notamment en matière de recyclage et d’économie circulaire. Les performances de nos filières de recyclage présentent d’importantes marges de progrès : 40 % du gisement de déchets soumis à une responsabilité élargie du producteur (REP) échappent encore à la collecte et 50 % des déchets ne sont pas recyclés. De plus, les sanctions à l’égard des éco-organismes ne sont quasiment jamais prononcées.
C’est un enjeu important, tant pour les acteurs du réemploi solidaire que pour les gestionnaires publics de déchets, qui, in fine, sont confrontés à un afflux de matière textile qui termine en enfouissement ou en incinération. Cela représente un coût public non négligeable.
Au-delà, si nos filières ont encore besoin de temps pour se structurer et pour faire en sorte que les points de collecte soient mieux identifiés, il faut considérer le problème de manière globale. Nous devons aborder le sujet de la régulation européenne en matière de biens importés. Je le rappelle, les colis entrant dans le marché intérieur européen d’une valeur inférieure à 150 euros sont actuellement exonérés de droits de douane. Or quelque 4,6 milliards de ces colis ont été importés en Europe en 2024 ; il devient donc urgent de mettre en place la réforme douanière proposée par la Commission européenne.
La présente proposition de loi ferait de la France le premier pays au monde à légiférer pour limiter les dérives de la fast fashion, une mode ultra-éphémère, qui fait de la surproduction l’alpha et l’oméga de la rentabilité. Progresser sur ce sujet complexe, qui exige que Bruxelles et Paris avancent conjointement, nous permettra d’envoyer un signal fort et de siffler la fin de notre naïveté commune.
Je souhaite conclure mon intervention par la question du pouvoir d’achat. Ne tombons pas dans le piège qui vise à opposer nos travaux à l’intérêt général. Nous faisons ici œuvre de régulation, afin de corriger une dérive commerciale néfaste. En outre, cette proposition de loi ne doit pas nous empêcher d’entendre certains manques de notre marché, notamment sur les grandes tailles. Il faut améliorer l’offre dans cette catégorie, pour ne pas entretenir des marchés captifs de la fast fashion.
Vous l’aurez compris, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe RDSE est majoritairement favorable à cette première étape, à cette tentative de régulation inédite d’acteurs puissants, qui ont érigé la surproduction en système, au mépris des normes européennes et de notre intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Demilly. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Stéphane Demilly. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui vise à réduire l’impact environnemental de l’industrie textile. Cette industrie, cela a été dit, est clairement l’une des plus polluantes au monde : elle générerait chaque année plus de 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre.
L’essor fulgurant de ce que l’on appelle la fast fashion repose sur un modèle économique aussi séduisant qu’illusoire : produire toujours plus, toujours plus vite, à des prix toujours plus bas et avec la durée de vie la plus courte possible, bref, comme l’a dit Mme la ministre, produire à une tout autre échelle, à une tout autre dimension.
Derrière un tee-shirt à 3 euros ou une robe à 10 euros se cachent des conditions indignes de travail, des salaires de misère et un rythme de labeur insoutenable dans des ateliers insalubres, autant de violations des droits humains qui ont souvent cours dans des pays pauvres. Cette course effrénée à la production et à la consommation détruit toute perspective non seulement de respect des travailleurs, mais également de durabilité et de qualité des produits.
Mes chers collègues, à travers vous, je m’adresse à nos concitoyens : accepter ces prix dérisoires, c’est soutenir, souvent à son insu, toute une chaîne d’exploitation silencieuse, violente et polluante. Nous sommes des élus, mais aussi des consommateurs et, comme dirait Tzvetan Todorov, « Donner des leçons de morale n’est pas une preuve de vertu » ; nous aussi sommes bernés, ou plus exactement aveuglés, par les images, les prix, les slogans, le marketing et la facilité. Que celui qui n’est pas concerné me jette, non la première pierre, mais le premier tee-shirt…
Cela a été dit, chaque année, des milliards de vêtements sont produits, portés une ou plusieurs fois puis jetés, selon le modèle du kleenex, en quelque sorte, qui engendre une consommation massive de ressources naturelles, notamment d’eau : jusqu’à 10 000 litres sont requis pour produire un seul jean ! À cela s’ajoutent le rejet de tonnes de microplastique dans les océans, les émissions de gaz à effet de serre dues au transport international et la pollution chimique des sols et des rivières. Oui, la fast fashion est une catastrophe écologique !
Par ailleurs, ce duo production-consommation éphémère représente une concurrence déloyale pour la production textile française, fragilisée depuis longtemps par la mondialisation, notamment par les pays asiatiques. Nos entreprises, auxquelles on impose des règles de droit du travail et des normes sans cesse plus contraignantes, ne peuvent rivaliser avec ces produits jetables, fabriqués à la chaîne pour quelques centimes.
Il est urgent d’encadrer cette concurrence anarchique, notamment par la régulation, bien sûr, mais aussi, même si je doute de sa totale efficacité, par de la pédagogie et de la communication sur le processus de fabrication des produits concernés.
Cette proposition de loi constitue un premier pas vers une industrie plus responsable ou, plus précisément, un premier pas pour tenter de responsabiliser les consommateurs. Parmi les mesures phares figurent l’affichage environnemental obligatoire, un système de bonus-malus encourageant les marques à l’écoconception et une publicité mieux encadrée.
Ce texte prend en compte l’impact économique de telles mesures, notamment pour les réseaux de vente, en prévoyant des dispositifs d’accompagnement et des délais d’application raisonnables.
Enfin, chacun en a bien conscience, il faut intensifier nos efforts pour promouvoir et soutenir les filières de recyclage et de réparation des produits textiles. Il faut redonner du sens à notre consommation et sortir de la logique infernale « produire vite, consommer vite, jeter vite ».
Le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi, qui s’inscrit pleinement dans l’esprit du Pacte vert européen et qui répond à nos engagements climatiques ainsi que, je l’espère, à l’attente croissante de nos concitoyens pour une consommation plus éthique et plus durable. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, RDSE et GEST, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’industrie textile est l’un des secteurs les plus polluants au monde, ses émissions de CO2 représentant plus de 8 % de la totalité des émissions.
La production de vêtements est passée de 58 millions de tonnes en 2000 à 109 millions de tonnes en 2020, et nous nous dirigeons vers une production annuelle de 145 millions de tonnes d’ici à 2030. Cette augmentation rapide et massive est due à un phénomène, dont nous débattons aujourd’hui, la fast fashion.
Le remplacement ultrarapide des collections de vêtements par les marques ne vise pas à répondre à un besoin, il s’agit de nourrir l’appétit de profit des multinationales, en s’appuyant sur des citoyens devenus des consommateurs envahis de publicité et d’injonctions à consommer. Certaines enseignes de prêt-à-porter vont jusqu’à renouveler leurs collections toutes les deux semaines, alimentant une surconsommation amplifiée par les réseaux sociaux.
Le fait de pouvoir fournir si rapidement et si régulièrement des biens marchands qui n’ont pas suffisamment de circuits de recyclage ou de réemploi ne peut se faire qu’au détriment de la nature et des travailleuses et travailleurs.
C’est d’abord vrai du point de vue environnemental, bien sûr, puisque nous surexploitons nos ressources, en occultant le gaspillage qui en découle et en omettant que, chaque année, le « jour du dépassement » est de plus en plus précoce. Cette année en France, ce jour, celui où la consommation de ressources dépasse ce que la Terre est en mesure de renouveler, était le 19 avril. En 2024, il était tombé le 5 mai.
Cette date symbolique est d’abord le signe que notre modèle économique est en décalage avec la réalité. Il faut savoir que, pour confectionner un jean, il faut en moyenne 7 500 litres d’eau, soit l’équivalent de toute l’eau bue par un être humain pendant sept ans selon l’ONU.
Enfin, ce modèle économique du jetable est un modèle qui exploite les femmes et les enfants et qui nuit à leur santé, dans les pays, comme le Bangladesh, où le salaire mensuel moyen s’élève à 80 euros. Avec aujourd’hui trois fois moins d’emplois en France dans ce secteur que jadis et des fermetures d’usines qui se poursuivent, cette surproduction vestimentaire se paie aussi au prix de délocalisations et de chômage. Encore 600 emplois sont aujourd’hui menacés chez Naf Naf…
Pourtant, il y a des moyens d’agir, comme l’a montré l’Assemblée nationale en adoptant ce texte, et comme, je l’espère, nous saurons le faire ici. Il faut encadrer la publicité de l’industrie textile en interdisant la promotion de la fast fashion. Cela ne doit pas viser seulement les influenceurs, il faut plus largement refuser de promouvoir des produits qui nuisent à notre planète au détriment de tous et qui sont fabriqués dans des conditions que nous déplorons. Il faut veiller au réemploi des vêtements, notamment en soutenant les structures de seconde main.
Les géants de la fast fashion bénéficient de millions d’euros de réduction d’impôts pour leurs surplus donnés à des associations, afin de rendre la surproduction rentable. Un jean d’une valeur de 12 euros peut ainsi entraîner une ristourne fiscale de 7,20 euros, mais, au bout de la chaîne, ce sont les associations qui trinquent. Ensevelies sous les vêtements, elles doivent de plus en plus les détruire par leurs propres moyens.
C’est d’ailleurs cette situation qui a conduit à la liquidation, en Dordogne, le département d’où je suis élue, de l’association d’insertion La Tresse, qui a collecté et trié, pendant plus de quinze ans, jusqu’à 2 700 tonnes de vêtements par an, en travaillant avec près de 200 associations. Quarante emplois ont été ainsi supprimés et des tonnes de textile ne sont plus valorisées localement. Cette surproduction fragilise les acteurs de l’économie circulaire.
La création de malus et de bonus reposant sur l’écoconception est donc positive et devrait guider l’ensemble de nos productions, au-delà de l’industrie textile. Il faut que la durabilité des vêtements soit pensée dès leur conception. L’apport de ce texte sera important sur ce dernier point.
Enfin, et c’est un aspect sur lequel ce texte aurait pu être plus ferme, nous devons veiller à ce que les conditions de travail et les salaires des ouvrières et des ouvriers du textile permettent à ces derniers d’avoir une vie décente, digne, de ne pas être une main-d’œuvre exploitée. Il y a beaucoup à faire sur ce sujet. Si cette proposition de loi s’intéresse à l’impact environnemental, elle ne s’attarde pas suffisamment sur la question sociale, tout aussi importante et totalement liée. Les femmes représentent 60 millions de travailleuses de l’industrie textile dans le monde. Sur un tee-shirt vendu 29 euros en magasin, les ouvrières de la chaîne textile touchent seulement 18 centimes.
Si ce texte, modifié en commission, pouvait donc aller plus loin sur ce sujet, il ouvre tout de même des perspectives positives pour réduire l’impact environnemental de l’industrie textile. Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky l’approuvera. J’en profite pour remercier notre collègue rapporteure de son engagement. (Applaudissements au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi sur l’impact environnemental de l’industrie textile répond à une nécessité absolue d’agir. Si nous voulons conserver le principe de la responsabilité des producteurs, qui affecte aux metteurs sur le marché, aux distributeurs et aux importateurs de produits la collecte, le tri, le réemploi, le recyclage ou l’élimination des déchets issus de leurs produits, nous, parlementaires, ne pouvons rester l’arme au pied face à la déferlante de la fast fashion.
Les marques, les entreprises s’efforcent, via leurs lobbyistes redoutablement efficaces, de prouver qu’elles font le bonheur des consommateurs populaires avec leurs prix bas et arguent de leurs bonnes intentions pour progresser. Toutefois, leur impact est désastreux : pratiques industrielles engendrant 10 % des émissions de gaz à effet de serre – on estime que cette proportion atteindra 26 % à l’horizon de 2050 si rien n’est fait pour enrayer ce phénomène –, contribution, à hauteur de 20 %, à la pollution des eaux, rejet de 35 % des microplastiques primaires évacués dans les océans, modes de production situés à des milliers de kilomètres de chez nous, qui bafouent les impératifs de vigilance, en particulier les droits sociaux – là-bas, c’est le Rana Plaza ou ses avatars, ici ce sont des destructions d’emplois, la disparition de boutiques dans nos villes, prix certes plus bas, mais pour des articles vite jetés –, engorgement sous des montagnes de déchets et dégâts largement payés par les collectivités chargées du service public de gestion des déchets.
La loi Agec avait consolidé les fondements de la responsabilité des producteurs et des metteurs sur le marché. La loi Climat et Résilience a permis une avancée nécessaire, qui n’est toujours pas concrétisée : l’affichage environnemental textile, qui requiert des critères efficaces et valides. Le présent texte, issu de l’Assemblée nationale, a pour objet d’actionner pleinement deux leviers pour contrer les effets désastreux de la fast fashion : l’écomodulation de la contribution à l’éco-organisme de la REP et l’interdiction de la publicité.
Il aura fallu attendre un an depuis que l’Assemblée nationale nous a transmis sa copie contenant ces intentions, pour que s’entame son examen au Sénat. Il aura fallu attendre encore près de trois mois pour que le texte accède à la séance, une fois passé le cap de la commission – un délai assez inhabituel, on peut le relever. Aujourd’hui, enfin, nous y sommes ! Nous avons eu tout le temps, nous sommes pleinement en mesure d’optimiser ce texte, de le rendre plus opérationnel, plus efficace.
Or que nous propose la majorité de la commission ? De laisser dans le vague la façon d’actionner le levier des écomodulations – on renverrait à un décret le soin de préciser comment et avec quelle intensité se déclinerait la pénalisation de pratiques commerciales et industrielles néfastes – et de renoncer d’emblée à l’interdiction de la publicité, alors que c’est justement par toutes les formes, classiques et nouvelles, de publicité que la fast fashion pousse à l’hyperconsommation et à des pratiques qui ne sont absolument pas écoresponsables.
Il s’agit donc – c’est le cœur du dispositif – d’actionner efficacement le levier des écocontributions, c’est-à-dire le régime de primes et de pénalités et leur modulation en fonction du caractère durable des produits et de leur capacité à s’intégrer dans l’économie circulaire, qui est notre horizon. Par ce biais, nous pourrons à la fois rétablir un peu la compétitivité de nos productions de qualité et financer la gestion des déchets – collecte, tri, réemploi, recyclage –, plutôt que de faire payer lourdement nos collectivités et leurs contribuables. Et si cette écomodulation n’affecte pas uniquement les sociétés chinoises Shein ou Temu, si des metteurs sur le marché européens ou français sont aussi incités par ce système à s’améliorer et à rectifier des dérives, eh bien tant mieux !
L’affichage d’un indice environnemental était prévu dans la rédaction d’origine. Notre commission, sur proposition de notre rapporteure, l’a retiré, au motif que l’on ne pouvait se fonder sur un dispositif non obligatoire et en raison de l’incertitude réglementaire d’un dispositif non encore abouti. Cela dit, un élément nouveau est intervenu depuis lors : le 15 mai dernier, la Commission européenne a finalement validé le cadre réglementaire relatif à cet affichage.
Nous sommes donc pleinement en mesure non pas de rendre l’affichage environnemental obligatoire pour les textiles, mais de reprendre l’ensemble des critères, maintenant validés, qui le constituent, afin de les intégrer dans le texte comme ligne directrice du décret à venir.
Ainsi, nous aurions mieux à faire que de produire une coquille, certes intéressante, mais un peu vide. C’est ce que l’on propose, au travers de neuf amendements, susceptibles de recueillir une large majorité pour cette avancée aujourd’hui.
Faut-il – peut-on ? – interdire la publicité pour ces produits textiles de la fast fashion ? Comme pour le tabagisme ou les énergies fossiles, il y a bel et bien là, me semble-t-il, un motif d’intérêt général. C’est ce qu’estime l’Assemblée nationale ; c’est ce que pense le Gouvernement, ainsi qu’en témoigne son amendement n° 100 ; c’est l’objet de huit amendements de rétablissement de l’article 3, dont le dépôt présage d’une possible majorité large en faveur de cette avancée.
Nous avons les moyens de bonifier ce texte pour le rendre plus robuste. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Claire Carrère-Gée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il est des façades commerciales dont l’emprise excède, et de loin, la seule fonction marchande ; il est des activités qui, derrière l’apparente légèreté d’un produit de consommation courante, dissimulent un véritable trafic, avec son cortège de dommages systémiques. La mode ultra-express est de celles-là.
Derrière le vêtement à 3 euros livré en quarante-huit heures depuis l’autre bout du monde, il y a un coût. Ce coût est humain, il est environnemental, il est fiscal, il est industriel. Il est, en vérité, civilisationnel. C’est une atteinte globale à nos principes les plus fondamentaux qui est à l’œuvre, des violations massives des droits humains jusqu’au travail forcé.
Des enfants sont employés à la couture, à la teinture, au transport, dans des conditions que nos textes qualifient de traite des êtres humains. Du coton récolté sous la contrainte par le peuple ouïghour, en Chine, dans la région du Xinjiang, continue d’inonder nos garde-robes. Oui, nous avons des cadavres dans nos placards ! (Mme Antoinette Guhl applaudit.)
Même les autorités de régulation chinoises ne semblent pas se précipiter pour donner à Shein le feu vert pour une introduction en bourse à Londres ou à Hong Kong.
Permettez-moi aussi d’exprimer ma colère face aux stratégies de communication de ces plateformes, qui voudraient faire croire que toute volonté de régulation serait en quelque sorte le fait d’une élite voulant empêcher les Français à faible pouvoir d’achat d’accéder à la mode ou de meubler leur maison à faible prix.
Je ne l’accepte pas, car ce que proposent en réalité ces plateformes aux Français à faible pouvoir d’achat, c’est un troc ignoble : l’accès à quelques tee-shirts de plus, qui ne dureront pas, contre leur emploi, leur salaire, leur avenir là où ils résident.
Leur proposition, c’est un suicide économique et social, individuel et collectif. L’économie de ces plateformes est fondée sur une logique d’addiction beaucoup plus que sur l’équilibre de l’offre et de la demande. Elle n’enrichit, en France, que quelques communicants et autres lobbyistes. Elle détruit tout le reste.
C’est pourquoi je salue cette proposition de loi, qui a eu le grand mérite de braquer les projecteurs sur cette industrie, comme je salue les amendements du Gouvernement, ainsi que, bien évidemment, les travaux de Sylvie Valente Le Hir et de notre commission, qui ont visé à éviter de possibles effets boomerang sur nos entreprises, des entreprises françaises de fabrication ou de distribution qui respectent les règles, créent des emplois, paient leurs impôts et leurs charges sociales, dont les magasins animent les centres-villes et que nos administrations savent malheureusement seules contrôler.
Mais le véritable enjeu du débat d’aujourd’hui, me semble-t-il, plus encore que d’améliorer ce texte à la marge, c’est de rester lucide : c’est d’admettre ensemble que cette proposition de loi, parce qu’elle se limite, d’une part, à la seule filière textile et, d’autre part, à la seule dimension environnementale, n’épuise en rien les vrais enjeux qui s’attachent à la violence systémique de ces plateformes.
Compte tenu de l’article 45 de la Constitution, il ne nous est pas possible d’amender cette proposition de loi en la recentrant sur le cœur du sujet, et je le regrette. Comme je l’ai souligné dans la presse, mais aussi à l’adresse du Gouvernement dans cet hémicycle, le vrai sujet, c’est le contournement méthodique de nos normes fiscales et douanières et la paralysie de nos administrations de contrôle.
L’exonération de droits de douane dont bénéficient les colis importés d’une valeur inférieure à 150 euros n’a aucun fondement.
Les tarifs postaux de l’Union postale universelle sont ridicules : 1 euro pour un colis de moins de 100 grammes qui fait le tour de la planète.
Nous nous montrons incapables de nous assurer que la TVA est payée et, quand elle l’est, qu’elle le soit sur le bon montant des ventes et au bon endroit en Europe.
Oui, la fast fashion habille les Français et déshabille nos finances publiques !
La DGCCRF, faute de moyens, ne semble pas savoir vérifier la conformité des articles textiles, des jouets et de l’ameublement importés. Je n’accepte pas que les enquêtes qu’elle a lancées voici plus de trois ans n’aient donné strictement aucun résultat, quand chaque jour des enseignes françaises de la distribution partent au tapis et leurs emplois avec.
Comment tolérer que, dans un État de droit, la sécurité du consommateur soit laissée au bon vouloir des algorithmes et des plateformes plutôt qu’à la vigilance publique ? Il est temps de mobiliser nos laboratoires publics et privés pour procéder à des contrôles aléatoires et réguliers, car le formaldéhyde, les phtalates ou les colorants azoïques que l’on retrouve parfois dans ces produits ne sont pas des options esthétiques : ce sont des risques avérés pour la santé. Quant aux magnifiques lits superposés pour enfants, avec leurs si belles couleurs, dans lesquels nos enfants peuvent s’étouffer ou s’étrangler, je refuse qu’ils soient commercialisés en France comme la loi l’interdit en théorie, mais comme personne ne l’empêche.
L’enjeu, c’est la responsabilité des plateformes, qui ne sont aujourd’hui soumises à aucune obligation effective de retrait, de traçabilité, de transparence, non plus qu’à des sanctions pénales en cas d’accident.
Certes, madame la ministre, depuis que j’ai interpellé le Gouvernement sur ces sujets, qui ne sont malheureusement pas au cœur de la présente proposition de loi, j’ai entendu vos engagements et ceux de la Commission européenne. Imposer des droits de douane sur les colis dont la valeur est inférieure à 150 euros, c’est indispensable. Imposer des frais de gestion forfaitaires sur les petits colis, c’est très bien aussi. Mais enfin, sur les tarifs postaux, je n’ai rien entendu !
Je n’ai pas bien compris par ailleurs, à entendre vos annonces, et mis à part une bonne volonté évidente, ce qui changera, et à brève échéance et à l’échelle, pour les contrôles de TVA ou pour les contrôles de sécurité diligentés par la DGCCRF.
Je note enfin qu’il est prévu d’attendre 2028 pour d’éventuels droits de douane et 2026 pour une contribution forfaitaire : nous ne sommes absolument pas dans le bon tempo !
Camaïeu, Go Sport, San Marina, André, Kookai, Pimkie, Du Pareil au Même, Naf Naf, Habitat, Jennyfer, et j’en oublie… : 2026, 2027, 2028, c’est une éternité ! Si nous attendons, ce sont toutes nos enseignes de distribution et tous nos fabricants de produits textiles, de produits pour la maison et d’éléments d’ameublement qui auront disparu.
Pour en finir avec un modèle économique fondé sur l’opacité et l’exploitation et sur des pratiques commerciales prédatrices, il faut beaucoup plus de volontarisme : il faut changer d’échelle et de rythme et nous montrer aussi adaptables et agiles que les plateformes.
Le groupe Les Républicains votera naturellement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. Jean Hingray. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, jusqu’où irons-nous dans l’art de l’éphémère ? Éphémère fut l’enthousiasme soulevé par l’ambitieuse proposition de loi de l’Assemblée nationale, qui devait amener une transformation durable de nos modes de vie, de consommation et de production.
Hélas ! le texte que nous examinons ressemble pour l’instant davantage à un simple accessoire de mode qu’à une révolution vestimentaire – j’espère que cela va changer dans les prochaines heures. Cette proposition de loi est-elle véritablement tournée vers la lutte contre la fast fashion ou s’agit-il simplement d’un texte de guerre économique déguisé contre l’ultrafast fashion ?
Je m’interroge sur la protection offerte par ce texte à nos ouvriers et à nos chefs d’entreprise. Mon département, les Vosges, a longtemps fait la fierté de l’industrie textile. Victimes pendant plusieurs décennies de la concurrence étrangère, de nombreux Vosgiens se sont retrouvés sur le carreau. Et qu’ont fait les responsables politiques successifs ? Rien, ou si peu !
Il suffisait pourtant de s’inspirer d’un célèbre ministre, Jules Méline, ancien sénateur qui mit en place en 1892 des mesures protectionnistes pour les produits agricoles : oui, protéger nos ouvriers ; oui, protéger nos chefs d’entreprise ; oui, produire en France.