Présidence de Mme Sylvie Vermeillet

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Céline Brulin,

M. Fabien Genet.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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Questions d'actualité au Gouvernement

Mme la présidente. Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'indique que M. le président du Sénat, Gérard Larcher, ne peut présider notre séance, car il participe à Varsovie, à l'invitation de Mme Malgorzata Kidawa-Blonska, présidente du Sénat polonais, à la réunion des Sénats de Pologne, d'Allemagne et de France en format « triangle de Weimar », aux côtés de nos collègues Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, Philippe Paul, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et Gisèle Jourda, vice-présidente de la commission des affaires européennes.

L'ordre du jour appelle les réponses à des questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Au nom du bureau du Sénat, j'appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect, qu'il s'agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.

conditions d'adoption de la proposition de loi réformant le mode d'élection à paris, lyon et marseille

Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Ian Brossat. Ma question s'adresse à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.

Le Sénat était amené, hier, à se prononcer sur la réforme du mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille. Cette proposition de loi a été très – très ! – massivement rejetée par le Sénat.

Les débats d'hier ont permis de démonter un à un tous les arguments avancés par les promoteurs de ce texte. Non, la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille ne garantira pas le principe « un électeur, une voix », comme vous l'avez d'ailleurs reconnu avec honnêteté au cours des débats, monsieur le ministre, alors que tel était l'argument massue de ceux qui proposaient cette réforme.

Non, cette proposition de loi ne garantira pas le retour au droit commun, puisqu'elle prévoit une prime de 25 % pour la liste arrivée en tête, ce qui n'existe dans aucune autre commune de France.

Elle ne garantira pas non plus l'élection directe du maire à Paris, Lyon et Marseille, élection directe qui, du reste, n'existe dans aucune commune de France.

Bref, aucun des arguments avancés pour justifier ce texte ne tient la route. M. le Premier ministre, François Bayrou, le disait d'ailleurs ici même le 19 février dernier en réponse à une question de notre collègue Mathieu Darnaud : « Je n'imagine pas qu'un texte puisse être adopté sur ce sujet sans qu'un accord soit trouvé entre l'Assemblée nationale et le Sénat. » (Mme Agnès Evren applaudit.)

Il va falloir vous y faire : il n'y aura pas d'accord sur ce texte, pour la simple et bonne raison que le Sénat a massivement considéré, hier, que cette proposition de loi était inamendable et qu'elle méritait d'être rejetée en bloc.

Ma question est donc simple : qu'attendez-vous pour ranger ce texte dans le placard dont il n'aurait jamais dû sortir ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER, GEST et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.

M. Patrick Mignola, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Brossat, il est possible d'être en désaccord – je l'ai rappelé hier – sans pour autant caricaturer les positions des uns et des autres !

Depuis que ce gouvernement est arrivé aux responsabilités, voilà quelques mois, on a entendu beaucoup de propos susceptibles de bousculer nos institutions. J'ai entendu parfois, sur les bancs de l'Assemblée nationale – heureusement, tel n'est pas le cas au Sénat –, assimiler certains usages de l'article 49.3 à des coups d'État et certaines motions de rejet préalable à des « 49.3 parlementaires ».

M. Pascal Savoldelli. Ce n'est pas la question !

M. Patrick Mignola, ministre délégué. Et, désormais, j'entends que convoquer une commission mixte paritaire (CMP) sur la proposition de loi réformant le mode d'élection à Paris, Lyon et Marseille serait un coup de force ! Tel n'est pas le cas. Une CMP, c'est précisément le lieu du compromis et du consensus, ce même compromis et ce même consensus qu'en l'espèce – vous l'avez rappelé à raison – le Premier ministre appelait de ses vœux.

M. Marc-Philippe Daubresse. Il y a des sincérités successives...

M. Patrick Mignola, ministre délégué. Imaginons un instant qu'un texte soit largement adopté au Sénat, puis soit rejeté à l'Assemblée nationale.

M. Pascal Savoldelli. On n'est pas sur Netflix !

M. Patrick Mignola, ministre délégué. Pourrait-on concevoir que les députés demandent que la CMP ne soit pas convoquée ? D'ailleurs, il n'y a même pas besoin d'imaginer un tel scénario : c'est ce qui s'est passé sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur des sénateurs Duplomb et Menonville. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'exclame.) Et le Gouvernement va bel et bien convoquer, sur ce texte, une CMP.

Pour ce qui est du texte à propos duquel vous m'interrogez, l'Assemblée nationale comme le Sénat ont parfaitement identifié les sujets qui pouvaient faire l'objet de débats : la question de la prime majoritaire ; le cas spécifique de Lyon ; l'élection des conseillers métropolitains ; la désignation des grands électeurs de ces trois villes. (M. François Bonhomme s'exclame.)

M. Patrick Mignola, ministre délégué. C'est en CMP – nous l'espérons – que pourra être trouvé le chemin d'un compromis. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Cécile Cukierman proteste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat, pour la réplique.

M. Ian Brossat. Monsieur le ministre, vous disiez, soutenant ce texte, qu'il s'agissait de lutter contre une forme d'anomalie démocratique.

L'anomalie démocratique, ce n'est pas le mode de scrutin à Paris, Lyon et Marseille.

L'anomalie démocratique, c'est de vouloir imposer un tel texte, qui concerne les territoires, sans la chambre des territoires, contre la chambre des territoires et contre les élus concernés ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)

violences à l'occasion de la finale de la coupe d'europe

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Florennes, pour le groupe Union Centriste.

Mme Isabelle Florennes. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux.

Après les violences insupportables perpétrées à l'issue de la victoire du PSG, je tiens à rendre hommage à toutes les victimes et à leurs familles, et particulièrement aux deux personnes décédées ainsi qu'aux policiers et gendarmes blessés. Je tiens aussi à saluer l'engagement de toutes nos forces de l'ordre, qui sont intervenues pour protéger nos concitoyens.

Ce déchaînement de violence a de quoi nous interpeller quand on le compare à la liesse populaire dont la Coupe du monde de 1998 avait été l'occasion. C'était il y a vingt-sept ans ; c'était un autre monde. Nous ne pouvons plus accepter de tels actes.

Les premières condamnations intervenues depuis ces événements dramatiques semblent marquées d'une extrême mansuétude : deux à huit mois de prison avec sursis, un stage de citoyenneté ou une simple amende de quelques centaines d'euros.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. La justice est indépendante !

Mme Isabelle Florennes. Cette impression d'indulgence laxiste est choquante.

Face à cela, vous avez réagi en déclarant que les condamnations « ne sont plus à la hauteur de la violence que connaît notre pays ». Et pourtant, ces décisions sont à mettre en parallèle avec votre circulaire de politique pénale générale du 27 janvier dernier, dans laquelle vous appeliez déjà à plus de fermeté contre toutes les atteintes dont les représentants de nos institutions sont victimes.

Monsieur le garde des sceaux, comment concrètement comptez-vous rendre cette fermeté effective ? Vous l'avez dit, voilà qui ne peut passer que par la loi. Avez-vous aujourd'hui les moyens de faire évoluer radicalement ladite loi ? En outre, comment s'assurer que cette fermeté aura enfin un effet profondément dissuasif ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, à ne considérer que le ressort de la préfecture de police – il y a eu d'autres violences ailleurs sur le territoire national : je pense évidemment aux blessés graves de Grenoble, au policier blessé dans la Manche et placé dans le coma, au mort de Dax –, les services de M. le ministre de l'intérieur ont procédé à 600 interpellations. Sur ces 600 interpellations, on compte seulement 256 gardes à vue. Il y a donc déjà un écart très important entre le nombre d'interpellations et le nombre de gardes à vue par les policiers ou gendarmes.

Je rappelle que les questions de maintien de l'ordre sont sous l'autorité du préfet de police et du ministre de l'intérieur, et non sous l'autorité des procureurs de la République, laquelle ne s'exerce qu'à partir de la garde à vue. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'exclame.)

Sur les 256 gardes à vue, il y a eu 82 classements sans suite, soit pour irrégularité de procédure soit pour absence d'infraction. Se pose en effet la question de l'infraction collective, que le Parlement doit concéder, me semble-t-il, au ministère de la justice et au ministère de l'intérieur, sachant que le droit pénal – vous le savez – est individuel. Une proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations avait été portée par MM. Retailleau et Castaner ; sa disposition phare avait été censurée par le Conseil constitutionnel.

Je souhaite que soit créée une infraction visant les attroupements collectifs et permettant aux services de police de qualifier les faits pour éviter les classements sans suite.

Pour ce qui concerne les violences sur lesquelles vous m'interrogez, madame la sénatrice, j'ajoute que 52 mineurs sont concernés. À ce propos, vous venez d'adopter une proposition de loi instaurant une procédure de comparution immédiate spécifique aux mineurs, mais elle n'a pas encore été validée par le Conseil constitutionnel.

Mes propositions sont assez simples.

Comme il y a des peines maximales dans le code pénal, je souhaite la création de peines minimales. La tâche est plus difficile encore que pour les peines planchers, qui ne concernaient que les cas de récidive : les peines minimales que j'ai en vue seraient applicables dès le premier acte.

Autre proposition simple : trois mois de prison ferme, à exécution immédiate, dès lors que l'on s'en prend à un représentant des forces de l'ordre. (M. Laurent Somon acquiesce.)

Je souhaite également mettre fin – je l'ai dit dès mon arrivée à la Chancellerie – à l'obligation d'aménager les peines de moins d'un an d'emprisonnement, c'est-à-dire de revenir sur une orientation qui fut partagée par l'ensemble des gouvernements précédents et par les gardes des sceaux successifs – M. Perben, Mme Dati, Mme Taubira, Mme Belloubet, M. Dupond-Moretti.

Je compte proposer au Parlement, sous l'autorité du Premier ministre, l'abrogation du principe de l'aménagement obligatoire dès lors qu'une peine de prison a été prononcée, quelle qu'en soit la durée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – M. Pierre Jean Rochette applaudit également.)

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Je souhaite enfin la suppression du sursis.

À la demande du Premier ministre, je travaille donc sur un texte que j'espère pouvoir présenter au mois de septembre. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains. – MM. Franck Menonville et Olivier Cigolotti applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Florennes, pour la réplique.

Mme Isabelle Florennes. Je vous remercie, monsieur le ministre, de ces propositions.

Je vous renvoie à l'excellent rapport sénatorial fait par François-Noël Buffet, désormais ministre, en sa qualité de rapporteur de la commission d'enquête sur les émeutes survenues à compter du 27 juin 2023. La commission des lois y avait formulé un certain nombre de propositions relatives aux sanctions applicables aux primo-délinquants et aux mineurs délinquants. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Louis Vogel applaudit également.)

cohérence entre les choix économiques du gouvernement et les engagements de la france en matière environnementale

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Ronan Dantec. Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, nous avions enregistré, en 2023, une baisse de 5,8 % de nos émissions de gaz à effet de serre : ce n'était pas si mal. Mais la baisse fut seulement de 1,8 % en 2024 : c'est totalement insuffisant pour tenir l'objectif européen de 55 % de réduction d'ici à 2030.

Malgré cette alerte, le gouvernement auquel vous appartenez accélère son désengagement brutal du financement de la transition écologique.

Concernant la décarbonation du secteur automobile, vous avez, en six mois, supprimé la prime à la conversion et divisé par trois l'aide à l'électromobilité, réduisant le leasing social et le bonus écologique. Par cette quasi-suppression de l'accompagnement financier de l'État pour le changement des véhicules anciens, vous avez ouvert une brèche dans laquelle se sont engouffrés les populistes pour chercher à supprimer les zones à faibles émissions (ZFE). (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Conséquence peu soulignée, le vote de l'Assemblée nationale va aussi redonner vie au marché de l'occasion des véhicules les plus polluants, au détriment des modèles les plus récents et, évidemment, de l'électrification du parc.

Monsieur le ministre, allez-vous poursuivre dans la même voie avec le gel de MaPrimeRénov' pour cause d'enveloppe déjà consommée ? En matière de stop and go, pratique fort nuisible, comme vous le savez, pour l'économie réelle, vous dépasseriez ainsi tout ce que nous avons connu par le passé, y compris sous Nicolas Sarkozy !

Je poserai deux questions très simples.

Avez-vous pleinement conscience, monsieur le ministre, que vos décisions vont provoquer mécaniquement des pertes d'emploi massives dans ces secteurs clés pour notre économie que sont le bâtiment et l'automobile ?

Assumez-vous ainsi des décisions qui nuisent directement à la santé des Français, surtout les plus modestes, par l'absence d'amélioration de leur logement ou par leur exposition à la pollution atmosphérique ? (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le sénateur Ronan Dantec, je veux d'abord réaffirmer devant vous que nous maintenons l'objectif d'une société décarbonée en 2050. (Exclamations ironiques sur des travées du groupe GEST.) Cet objectif est d'une importance vitale pour l'ensemble de nos concitoyens, pour notre économie et pour la qualité de la vie. Nous nous l'assignons dans toutes les dimensions de notre action.

Nous voulons promouvoir l'industrie – la réindustrialisation du pays –, mais une industrie verte. Je sors d'une réunion où étaient célébrés les vingt-cinq ans de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), qui a aussi pour mandat de favoriser le développement des énergies décarbonées. Ce développement, nous nous y attelons via un nouveau programme de centrales nucléaires, l'accélération de la production d'énergies renouvelables et l'investissement dans les réseaux qui permettent que l'électricité soit accessible partout.

Vous évoquez deux domaines : la rénovation des logements et l'automobile. Les budgets sont peut-être moins abondants que ce qui avait pu être envisagé dans le passé, mais cela ne nous empêche pas de poursuivre nos efforts.

Pour ce qui est des véhicules électriques, je veux rappeler que nous avons installé en France des usines de batteries et que le nouveau véhicule électrique proposé par un des grands fournisseurs français a entamé une brillante carrière commerciale. Cette dynamique sera soutenue par l'installation de bornes de recharge électrique, dont nous continuons à accélérer le développement : nous disposerons bientôt de 7 millions de bornes. La meilleure façon d'encourager nos concitoyens à acquérir des véhicules électriques est bien de rendre ces véhicules financièrement accessibles ; nous allons continuer à y travailler avec les constructeurs. À cette fin, il faudra sans doute alléger quelques réglementations européennes : les utilisateurs de véhicules électriques doivent pouvoir les recharger partout et à des conditions avantageuses.

Pour ce qui est de la rénovation thermique, il est vrai que le dispositif MaPrimeRénov' fait l'objet à la fois d'un encombrement et d'un excès de fraudes. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) En la matière, et parce qu'il s'agit de finances publiques, il est impératif que nous reprenions la main ; d'où la suspension. Mais naturellement, une fois ce problème réglé, le processus pourra continuer. (M. François Patriat applaudit.)

M. Yannick Jadot. Et les artisans ?

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour la réplique.

M. Ronan Dantec. Monsieur le ministre, votre réponse est catastrophique. Elle va encore accroître l'inquiétude des artisans et de tous ceux qui ont besoin de rénover leur logement.

En guise de réplique, je me contenterai d'une citation : « Faire des reculs sur l'écologie pour privilégier l'économie, c'est de la paresse et ce n'est pas vrai. » Cette phrase est d'Emmanuel Macron ! Vous jouez le court terme et vous êtes en train de sacrifier l'avenir de la société française, la santé des Français et nos objectifs environnementaux ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER. – Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

durcissement des sanctions pénales

Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour le groupe Les Républicains.

Mme Muriel Jourda. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux.

Je veux à mon tour revenir sur les faits d'une grande violence qui se sont déroulés samedi dernier, à la « faveur », ou plutôt au prétexte, d'un match de football. Certes, pour ce qui est des forces de l'ordre mobilisées, les moyens déployés étaient importants. En outre, les instructions données étaient inédites ; d'où le nombre d'interpellations que vous avez indiqué.

La question est désormais de savoir quelle va être la sanction. À mon sens, elle doit être punitive et dissuasive. Nous en sommes d'accord, me semble-t-il : en substance, monsieur le garde des sceaux, vous avez dit souhaiter que la sanction soit plus effective et plus lourde.

Mais comment allez-vous faire ? J'ai entendu votre réponse tout à l'heure, mais elle ne répond pas à un certain nombre de problèmes.

Comment imposer des peines minimales lorsque le principe d'individualisation des peines a été constitutionnalisé ? Comment allez-vous faire, sachant que cela suppose, au-delà de l'abrogation du texte de loi sur l'aménagement obligatoire des courtes peines, de s'opposer à une culture de politique pénale prévoyant que des peines d'avertissement doivent être données pour la première infraction, voire pour les premières infractions ?

Comment allez-vous faire pour diffuser, non seulement auprès des magistrats du parquet, mais aussi auprès des magistrats du siège, qui rendent les décisions, une telle circulaire de politique pénale ?

Enfin, comment allez-vous faire face à un syndicat de magistrats qui s'est déjà exprimé et qui, lorsque votre prédécesseur rendait une circulaire de politique pénale, diffusait immédiatement une contre-circulaire ?

Expliquez-nous, monsieur le garde des sceaux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, les violences de ce week-end sont totalement inacceptables ; ces désordres publics sont choquants pour l'intégralité de la Nation. Ayant eu à gérer des questions relevant de l'ordre public – je pense notamment aux jeux Olympiques –, je sais combien de telles difficultés sont difficiles à gérer.

Lorsqu'arrive le moment pour la justice de remplir son office, c'est-à-dire une fois que le ministère de l'intérieur a fait son travail de maintien de l'ordre public, la réponse qu'elle apporte – la réponse judiciaire – doit être non seulement efficace et rapide, mais aussi éducative, dans la perspective d'autres faits qui pourraient malheureusement se produire. En effet, on le voit, malgré le volontarisme et les moyens déployés, et comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, la violence dont il est question est désormais inhérente à notre société.

C'est pourquoi il faut adapter notre code pénal. Madame la présidente de la commission des lois, vous êtes à la fois une grande légiste et une avocate, et vous savez que les magistrats, en qui nous avons tous ici confiance – je l'espère –, appliquent la loi de la République.

Or la loi de la République, c'est-à-dire le code pénal, prévoit un maximum de peine, mais non un minimum. Et de même que les peines planchers, telles qu'elles ont été inventées par le président Sarkozy, que vous avez soutenu, laissaient intact le principe d'individualisation des peines,…

M. Mickaël Vallet. Justement !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. … l'inscription dans le code pénal d'un minimum et d'un maximum laissera au magistrat un éventail assez large pour individualiser la peine dès le premier fait.

Le système que nous avons collectivement construit, malheureusement, depuis trente ou quarante ans, toutes majorités confondues, ne met en prison que des multirécidivistes ; or lorsque l'on en est au stade de la multirécidive, il est trop tard !

La révolution pénale que j'ai proposée dès le 12 mai dernier dans ma lettre aux magistrats – je n'ai pas attendu ce week-end –, c'est la révision totale de l'échelle des peines.

Notre code pénal prévoit un éventail de 235 peines, dont nous sommes tous responsables, contre 3, par exemple, en Allemagne : le jour-amende, la peine de probation, la peine de prison, point. Que chaque jour-amende non payé se transforme en jour de prison, tel n'est pas notre droit aujourd'hui.

Je suis tout à fait certain que les magistrats appliqueront la loi. Il nous faut être courageux, tous ensemble. Je le serai, à ma place. Vous n'avez jamais entendu un garde des sceaux dire ce que j'ai dit depuis quelques semaines, et particulièrement depuis quarante-huit heures.

Je sais que vous me soutiendrez dans ce qui est désormais le socle commun. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Vincent Capo-Canellas, Loïc Hervé et Franck Menonville applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour la réplique.

Mme Muriel Jourda. Monsieur le garde des sceaux, je vous soutiendrai, bien sûr, mais vous avez – nous avons – désormais une obligation de résultat.

Les Français ont constaté, effarés, qu'un boulanger qui ouvrait le 1er mai se voyait infliger une amende de 7 500 euros (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.), alors qu'un délinquant qui brise du mobilier urbain, qui brise des vitrines, qui brise, en définitive, les codes de ce qui fait notre société, se voit infliger une peine beaucoup plus faible. (Protestations sur des travées des groupes GEST et SER.)

M. Yannick Jadot. Sérieusement ? Et l'ancien président de la République ?...

Mme Muriel Jourda. La confiance ne tient plus qu'à un fil : la confiance non seulement dans la politique, dans le ministre ou dans le Gouvernement, mais aussi la confiance dans nos institutions et, tout compte fait, la confiance dans l'État de droit. L'État de droit, c'est la fin de la loi du plus fort.

Mme la présidente. Il faut conclure.

Mme Muriel Jourda. Et aujourd'hui, ce que constatent nos concitoyens, c'est que l'État de droit les empêche d'acheter du pain un jour férié (Exclamations sur les travées des groupes GEST et SER.),…

Mme la présidente. Il faut conclure !

Mme Muriel Jourda. … mais ne les protégera pas des barbares un prochain soir de match. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)

situation à gaza

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)

Mme Nicole Duranton. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

« Israël commet des crimes de guerre »,…

Une voix sur les travées du groupe Les Républicains. C'est faux !

Mme Nicole Duranton. … telle est la déclaration choc prononcée par l'ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert le 27 mai dernier. Jusqu'à présent, il défendait Israël contre les accusations de génocide et de crimes de guerre, tout en reconnaissant des excès. Mais son opinion sur l'actuel Premier ministre a changé : il reconnaît que la famine est utilisée comme une arme de guerre et rappelle que, non, tous les Gazaouis n'appartiennent pas au Hamas.

Si personne ne pouvait contester le droit d'Israël à se défendre, la guerre de dévastation à Gaza est « inacceptable » – derechef, je cite Ehud Olmert.

Mme Nicole Duranton. Doit-on accepter l'inacceptable ?

Face à cette situation alarmante, le Président de la République a déclaré le 30 mai dernier que la reconnaissance d'un État palestinien n'était pas simplement un devoir moral, mais qu'elle était une exigence politique, tout en énumérant plusieurs conditions à réunir, en premier lieu la libération des otages toujours détenus par le Hamas.

Le Président de la République indique aussi qu'il faudra de surcroît une démilitarisation du Hamas et la non-participation de ce mouvement islamiste, classé comme organisation terroriste par l'Union européenne et par les États-Unis, à la gouvernance du futur État palestinien.

Parallèlement, il faudra une réforme de l'Autorité palestinienne conduisant à une reconnaissance mutuelle du futur État palestinien et du droit d'Israël à vivre en sécurité, ainsi que la création d'une architecture de sécurité pour toute la région.

Nous ne pouvons que saluer cette volonté de faire progresser la seule solution viable, la solution à deux États, afin que les peuples puissent enfin cohabiter en paix et en sécurité.

Toutefois, les conditions posées pour la reconnaissance d'un État palestinien semblent difficiles à remplir à la veille de la conférence de l'ONU prévue sur ce sujet le 18 juin, coprésidée par la France et l'Arabie saoudite.

Monsieur le ministre, comment la France peut-elle être force d'entraînement, avec l'appui de la communauté internationale, afin de faire progresser les négociations en vue d'une reconnaissance de l'État palestinien qui ne soit pas uniquement symbolique, mais qui soit suivie d'une solution pérenne à deux États ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Laure Darcos, MM. Philippe Grosvalet, Bernard Jomier et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)