M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il faudra bien, un jour, conjurer ce que l'on pourrait appeler la décrue centennale des moyens financiers accordés aux collectivités territoriales.
Depuis trop longtemps, nous sommes enfermés dans une logique de décentralisation à moyens constants, voire décroissants, qui finit par rendre inopérants les principes mêmes de proximité, de responsabilité et de justice territoriale.
Mme Audrey Linkenheld. Bien dit !
M. Jean-Pierre Corbisez. Le texte qui nous est soumis aujourd'hui s'inscrit dans cette tension. Il vise à renforcer la subsidiarité et à introduire davantage de souplesse dans l'organisation de la compétence Gemapi. Mais il met surtout en lumière un angle mort persistant : la difficulté à agir sur le ruissellement et l'érosion des sols.
Ces phénomènes sont pourtant au cœur des désordres hydrauliques que subissent nombre de nos territoires. Pourtant, ils ne relèvent d'aucune compétence clairement identifiée. C'est un vide et une vraie difficulté.
Ce texte vise à répondre partiellement à ce problème, en redonnant aux communes, dans le cadre de la gestion des eaux pluviales urbaines (Gepu), des leviers d'intervention. À ce titre, nous saluons la précision introduite par le rapporteur : ces actions doivent être strictement liées à la prévention des inondations, pour éviter tout dévoiement ou conflit d'usage.
C'est une clarification utile au moment de la création des futurs établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), car certains territoires pourraient en prendre le contrôle pour d'autres usages.
Elle est utile, aussi, car depuis près de dix ans, ce sont les élus locaux qui portent cette compétence à bout de bras avec volontarisme, inventivité, mais trop souvent sans moyens ni ingénierie ou lisibilité.
Il est donc légitime et nécessaire de reconnaître la diversité des réalités locales et d'ouvrir la voie à des organisations plus cohérentes. À ce titre, l'ouverture à une délégation volontaire de la compétence Gemapi aux départements constitue un progrès, voire un retour en arrière bienvenu, puisque, avant la loi Maptam, c'étaient les conseils départementaux qui géraient les rivières et les ruisseaux, et qui les géraient bien.
C'est une avancée attendue, cohérente avec les enseignements du terrain et fidèle à l'esprit du rapport sénatorial Rallier les citoyens, relier les territoires : le rôle incontournable des départements. Ce document rappelait le rôle structurant des départements comme piliers de la solidarité sociale et territoriale.
Le présent texte contribue donc à redonner une consistance politique à l'échelon départemental, ce qui n'est pas rien à l'heure où certains rêvent encore de sa dilution ou de sa disparition.
Quant à la demande de rapport sur la péréquation de la taxe Gemapi, elle répond à une exigence simple et juste : corriger les inégalités criantes entre des territoires inégalement armés pour faire face à une compétence aussi coûteuse que nécessaire dans le contexte du dérèglement climatique.
En effet, la gestion hydraulique – c'est là tout l'esprit de la Gemapi – ne peut être pensée à l'échelle restreinte d'un EPCI. Les dynamiques hydrauliques ignorent superbement nos découpages administratifs et nos logiques fiscales. Elles obéissent à la géographie des bassins versants, à la temporalité du cycle de l'eau et à la solidarité amont aval.
Si nous ne sommes pas a priori défavorables à une péréquation de la taxe, nous affirmons ici avec force que le recours à l'impôt national demeure, dans le moment que nous traversons, le levier le plus juste, le plus efficace et le plus pertinent. D'une part, parce que « l'aquataxe » poursuit sa montée en puissance, avec une multiplication par onze de son produit entre 2017 et 2021. D'autre part, parce que l'État ne peut éternellement se contenter de déléguer sans assumer.
La solidarité nationale ne peut se résumer à des appels à projets ni à des dispositifs contractuels parcellaires. Elle appelle un engagement budgétaire clair, durable, structuré et une capacité de pilotage à l'échelle des bassins versants.
La clarification engagée à l'échelle locale devra donc impérativement trouver son pendant à l'échelle nationale, en lien avec l'ensemble des acteurs : agences de l'eau, régions, départements, syndicats mixtes, EPCI et communes.
Dans mon département du Pas-de-Calais, terre des « gueules noires », nous savons ce que l'eau peut cacher.
Les eaux d'exhaure, qui remontent lentement dans les galeries effondrées des anciennes mines, doivent être pompées sans relâche pour prévenir les inondations, des décennies après la fin de l'exploitation charbonnière. C'est encore l'État qui en assume aujourd'hui la charge. Il y a là tout un symbole : celui d'un engagement constant. C'est aussi cet esprit qu'il nous faut retrouver. Je rappelle que, lors de la première loi Gemapi, l'État voulait se désengager sur les collectivités de ce pompage des eaux d'exhaure…
Mes chers collègues, ce texte en appelle d'autres. Parce que la protection des habitants passe par un renforcement des services publics, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)
M. Grégory Blanc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis pose le problème des insuffisances de la Gemapi et, en définitive, de la résilience de nos territoires face à la dégradation importante du cycle de l'eau.
Disons-le franchement, cette proposition de loi présente deux mérites.
Le premier est d'intégrer la problématique du ruissellement à la réflexion sur le cycle de l'eau, afin d'aboutir à une politique hydraulique plus cohérente. Aujourd'hui, le ruissellement est traité exclusivement au travers des politiques d'urbanisme. Or il s'agit non pas simplement d'une affaire de caniveaux et de zones d'habitat, mais bien de l'addition de mesures complémentaires, entre la gestion des zones humides, celle des ouvrages hydrauliques et la désimperméabilisation des sols.
Le second mérite de ce texte est de poser le problème de la taxe Gemapi. Celle-ci est levée principalement en aval, là où le risque est le plus coûteux pour les habitants, alors que les difficultés viennent essentiellement du non-traitement des eaux de ruissellement en amont, là où la taxe est peu ou pas prélevée.
Nous avons besoin de la mise en œuvre d'une solidarité nationale. Faire contribuer l'amont pour protéger l'aval, c'est reconnaître une réalité physique autant que politique. Cela suppose que nous construisions enfin une véritable péréquation, qui tienne compte des déséquilibres de peuplement et de ressources fiscales.
L'article 3, en se contentant de prévoir une demande de rapport, pose le problème, mais n'apporte pas de réponse solide. Pour agir, il faut renforcer le poids des bassins et des agences de l'eau. Ce sont elles qui sont à même de garantir une politique globale et cette péréquation.
De ce point de vue, chers collègues de la majorité sénatoriale, il y a un paradoxe assez étonnant : ceux qui portent ce texte ont voté, il y a quelques semaines à peine, la réduction drastique des crédits des agences de l'eau, qui sont pourtant les premières à financer les programmes de lutte contre le ruissellement et qui sont les garantes du principe de solidarité entre les bassins.
Comment espérer de réelles avancées si l'on affaiblit les instruments qui permettent de les mettre en œuvre ? Je rappelle qu'il s'agit d'une ponction de 150 millions d'euros.
Le ruissellement, les inondations et la protection des littoraux exigent une approche systémique, une stratégie nationale de l'eau, et non de simples mesures locales comme tend à le prévoir cette proposition de loi.
Ce texte illustre le mal plus large qui ronge notre vie publique : l'absence d'initiatives gouvernementales, de projets de loi structurants permettant de traiter les grands problèmes dans leur globalité.
Actuellement, sur des sujets aussi graves, on bricole, on crée de l'instabilité juridique. Or le troisième Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC3) chiffre à 143 milliards d'euros d'ici à 2050 l'impact des catastrophes climatiques.
Cette proposition de loi peut permettre d'avancer faiblement, de manière temporaire, dans l'attente d'un projet plus structurant, si, et seulement si, l'on s'en donne les moyens.
Or les territoires concernés par l'érosion du trait de côte ou qui entretiennent des digues le long des fleuves n'ont plus de marge de manœuvre. Ces EPCI doivent déjà assumer leurs compétences. Ils n'ont donc pas les moyens de transférer aux communes des fonds pour désartificialiser ou reconstituer les mares ou les zones humides, là où elles sont nécessaires afin d'éviter ensuite les problèmes en milieu urbain.
Dans sa version initiale, l'article 4 visait à permettre aux EPCI situés en amont, ceux qui ne prélèvent pas ou peu la taxe Gemapi, de le faire davantage, afin de transférer des fonds aux communes qui engagent des travaux de traitement des phénomènes de ruissellement. C'était là la petite avancée de ce texte.
À nos yeux, s'il n'y a plus d'article 4 dans sa version initiale, il n'y a plus de loi, sauf à transférer une charge supplémentaire aux départements, ce dont ils ne veulent pas, comme l'a souligné tout à l'heure notre collègue du RDSE.
Voilà pourquoi nous proposons le rétablissement de l'article 4. Si cet article n'était pas rétabli, il serait de bon ton d'éviter l'encombrement législatif : nous jugerions raisonnable le retrait de ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.
Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis sa création, la compétence Gemapi fait couler beaucoup d'eau – c'est le cas de le dire – et bien sûr beaucoup d'encre. (Sourires.)
Cette compétence, bien qu'elle soit nécessaire, soulève de nombreuses interrogations et ne parvient toujours pas à relever les défis auxquels nos territoires sont confrontés. Un point est aujourd'hui largement partagé : la taxe Gemapi, censée financer cette compétence, est notoirement insuffisante. Si son potentiel est évalué à 2,9 milliards d'euros, ce plafond est encore très loin d'être atteint.
C'est le cas, par exemple, chez moi, dans les Pyrénées-Atlantiques, où la vallée d'Aspe a été récemment touchée par un épisode pluvio-orageux intense, qui a causé des inondations et des glissements de terrain, endommageant notamment la RN 134. Comme ailleurs, la taxe Gemapi ne peut à elle seule financer la réparation des dégâts causés.
Surtout, cette insuffisance est aggravée par une inégalité flagrante entre territoires. Les collectivités de montagne, particulièrement exposées aux crues torrentielles et aux inondations, mobilisent déjà cette taxe à son plafond légal, soit 40 euros par habitant.
Pendant ce temps, d'autres territoires, moins exposés, ne l'activent pas ou peu. C'est donc une répartition profondément inéquitable de l'effort fiscal qui prévaut aujourd'hui, avec des conséquences lourdes sur la capacité d'action locale. Dans ce contexte, nous aurions pu espérer que ce texte apporte des solutions structurelles, qu'il affronte de front la question du financement de la Gemapi.
L'article 4, qui tendait à imposer de nouvelles missions financées grâce à une taxe déjà aujourd'hui insuffisante pour soutenir la prévention des inondations, a été heureusement supprimé en commission.
Le texte issu des travaux de nos deux commissions saisies n'apporte donc aucune réponse concrète au grand défi identifié depuis le début : comment permettre à toutes les collectivités, quelles que soient leurs ressources, de faire face efficacement aux risques de crues torrentielles et d'inondations ?
L'article 3, qui subsiste, vise à prévoir la remise d'un énième rapport par le Gouvernement. Mais soyons lucides : seuls 20 % des rapports demandés sont effectivement remis. Quand bien même celui-ci verrait le jour, pourquoi se contenter d'une étude quand l'urgence impose une décision politique ? Pourquoi ne pas avoir proposé directement la création d'un fonds de péréquation pour la taxe Gemapi, afin de déclencher un véritable débat et de forcer le Gouvernement à se positionner ?
Derrière ce texte, il y a une intention que je ne veux pas balayer d'un revers de main. Il s'agit, je le comprends, de simplifier les procédures, de rendre la tâche des collectivités plus fluide face aux inondations et à la gestion de l'eau. Mais en tentant d'assouplir le cadre juridique, ne risque-t-on pas, paradoxalement, d'en accentuer encore la complexité ? Car supprimer des dispositifs sans proposer de mécanismes de substitution robustes, c'est fragiliser l'édifice au lieu de le consolider.
Par ailleurs, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est opposé à la délégation de la compétence Gemapi aux départements. Celle-ci doit rester aux mains des communes ou des EPCI. Mes chers collègues, il faut que le législateur cesse, à chaque contrainte, de complexifier la répartition des compétences entre les échelons territoriaux. Les élus nous le demandent ; ils veulent de la stabilité.
C'est pourquoi, au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous voterons contre cette proposition de loi. Non par esprit de contradiction, mais parce que ce texte, vidé de sa substance, ne résout rien et reporte encore une fois les décisions essentielles à demain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la compétence Gemapi a été instituée par la loi Maptam de 2014, défendue par l'ancienne sénatrice de l'Aveyron, Anne-Marie Escoffier, alors ministre déléguée chargée de la décentralisation – ce n'est pas ce qu'elle a fait de mieux !
Cette compétence a ensuite été précisée par la loi NOTRe en 2015, avant d'être rendue obligatoire pour tous les EPCI à fiscalité propre à compter du 1er janvier 2018.
Cette compétence se voulait un levier de modernisation de l'action publique locale, en concentrant au sein du bloc intercommunal des responsabilités autrefois dispersées entre communes, syndicats de rivière, départements, voire propriétaires privés. Elle visait également à organiser la gestion par bassin versant, conformément à une logique plus hydraulique que strictement administrative.
Sept ans après son transfert obligatoire aux intercommunalités, force est de constater que le dispositif, dans sa forme actuelle, rencontre de nombreuses limites clairement identifiées : manque d'agilité qui résulte de la complexité des procédures – notamment liées à la loi sur l'eau –, difficultés de coordination et, surtout, inégalités de ressources entre territoires.
Les EPCI se retrouvent en première ligne face à des enjeux complexes, sans toujours disposer de moyens techniques et financiers à la hauteur de leurs missions, particulièrement en zone rurale. La taxe Gemapi, si elle constitue un levier utile, montre ses limites : elle est inégalement répartie, plafonnée et souvent insuffisante pour couvrir les besoins d'investissement et d'entretien.
Cette situation suscite une double tension : d'une part, entre les capacités d'action concrètes du bloc local et la montée des risques, notamment avec la recrudescence d'épisodes de pluies intenses, provoquant ruissellements soudains et débordements ; d'autre part, entre la responsabilité juridique des élus et la faiblesse des outils dont ils disposent pour y répondre.
C'est pourquoi cette proposition de loi, qui vise à apporter certains ajustements pragmatiques, attendus de longue date par les acteurs de terrain, est positive. Je rends hommage à ses auteurs, Anne Chain-Larché et Pierre Cuypers.
En permettant aux intercommunalités de déléguer tout ou partie de la compétence Gemapi au département, elle tire parti de l'expertise de ces derniers, qui ont historiquement développé un savoir-faire reconnu en matière de gestion de l'eau et d'aménagement. Dans de nombreux territoires, ce partenariat renforcé permettra de sortir d'une impasse technique ou financière.
Le texte vise également à clarifier utilement l'articulation entre Gemapi et gestion des eaux pluviales. Il intègre explicitement les phénomènes de ruissellement et d'érosion des sols, qui constituent désormais un enjeu majeur dans l'ensemble des bassins versants.
Enfin, le volet financier n'est pas oublié. La demande d'un rapport au Gouvernement sur la mise en œuvre de la taxe Gemapi, en vue d'instaurer un fonds de péréquation, va dans le bon sens. Il faudra que le Gouvernement remette ce rapport, car il n'est pas acceptable qu'un territoire peu dense, mais exposé, ne puisse protéger ses habitants face au risque d'inondation, faute de potentiel fiscal.
L'équité devant le risque doit être garantie, par exemple avec la possibilité, qui reste à préciser, de reverser une part de la taxe aux communes, ce qui permettrait de reconnaître leur rôle opérationnel et leurs charges effectives.
Je veux, enfin, rappeler le travail en cours conduit par la délégation aux collectivités territoriales, en particulier par notre collègue Rémy Pointereau. La mission d'information dont il est le corapporteur permettra d'aller plus loin, notamment pour proposer une refonte plus large du cadre de financement de la Gemapi et pour renforcer la solidarité amont aval.
Madame la ministre, mes chers collègues, ce texte est non pas une réforme de fond, mais une étape utile. Il vise à apporter de la souplesse et à améliorer la lisibilité, répondant ainsi à certaines alertes et demandes des élus locaux. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Martine Berthet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dès 2014, la loi Maptam instituait, par amendement et sans étude d'impact, une compétence exclusive et obligatoire au bénéfice du bloc communal pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, que la loi NOTRe a ensuite rendue effective au 1er janvier 2018.
Si cette compétence visait à unifier les initiatives locales en la matière, ce transfert mal préparé a causé un flou juridique, des attentes contradictoires et une surcharge administrative importante dans nos territoires.
La réforme s'est progressivement mise en place grâce au pragmatisme local et aux actions pré-Gemapi déjà engagées par les acteurs locaux.
Face aux difficultés concrètes liées au transfert de la compétence Gemapi, la loi du 30 décembre 2017 relative à l'exercice des compétences des collectivités territoriales dans le domaine de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations, dite Fesneau-Ferrand, a permis aux régions et aux départements déjà investis de poursuivre leur engagement. Voilà désormais près de dix ans que nos communes assument ces compétences.
Cependant, le transfert opéré par l'État, à la fin du mois de janvier 2024, de la gestion des digues domaniales destinées à prévenir les inondations est largement perçu comme forcé et inadéquat. Il a entraîné de nombreuses difficultés pour les élus locaux, en raison de l'ampleur des travaux à réaliser sur bon nombre de sites.
C'est le cas dans mon département, où les travaux, pour l'un des syndicats gestionnaires, sont estimés à 110 millions d'euros hors taxes. Les élus ont le sentiment d'un transfert ubuesque d'ouvrages dégradés et transmis sans mise en conformité préalable.
Sur le terrain, la traduction en est une impasse technique et économique : des normes irréalistes, inadaptées aux digues anciennes ; une saturation du marché, avec une surcharge des bureaux d'études et des services instructeurs ; un impact financier insoutenable et la menace à venir de la perte du financement.
Aussi, je salue cette proposition de loi de mes collègues Anne Chain-Larché et Pierre Cuypers, dont l'article 1er permettrait aux départements d'exercer tout ou partie de la compétence Gemapi, à condition qu'ils aient l'expertise technique nécessaire et les moyens budgétaires et que leur territoire s'y prête sur le plan hydrographique.
Cette évolution allégerait la charge des élus locaux, particulièrement dans les petites communes, en leur permettant de s'appuyer sur les ressources humaines et logistiques des départements. La prise de la compétence resterait facultative et volontaire, offrant ainsi la souplesse requise pour s'adapter aux réalités locales.
Ce texte soulève également la question de la taxe Gemapi, un outil qui est aujourd'hui perçu comme inéquitable et qu'il convient d'harmoniser à travers des mécanismes de péréquation. Jamais réévaluée depuis 2014, cette taxe ne reflète plus les réalités actuelles des territoires ni les charges supportées et se révèle largement insuffisante dans certains secteurs, notamment de montagne.
La grande diversité des situations locales rend impossible l'établissement de critères véritablement équitables. À cet égard, la présente proposition de loi constitue une chance pour repenser les modalités de financement de la Gemapi, en veillant à préserver leur lisibilité et leur adaptabilité aux charges réelles des territoires.
Je ne doute pas que la mission d'information, rapportée notamment par Rémy Pointereau, viendra compléter utilement notre réflexion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois n'est pas coutume, je vais vous parler des territoires littoraux, petits bénéficiaires du produit de la taxe Gemapi.
Le littoral normand, plus particulièrement celui de la Manche, est en première ligne face aux effets du changement climatique : recul du trait de côte, érosion accélérée, submersions marines…
Sur nos côtes, il y aura certes des infrastructures à relocaliser, mais aussi des digues à renforcer, des plages et des habitations à protéger. Ces enjeux très concrets se traduisent par des investissements lourds, souvent de plusieurs millions d'euros, à la charge des collectivités locales. Pourtant, les leviers de financement restent dramatiquement limités.
Dans ce contexte, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui aurait pu constituer une avancée. Son article 4 prévoyait, à juste titre, que la taxe Gemapi puisse également financer la lutte contre l'érosion des sols et la maîtrise des eaux pluviales, avec la possibilité pour les EPCI de reverser une partie de cette taxe aux communes concernées.
Toutefois, cette disposition a été supprimée en commission des finances, au motif que les recettes actuelles ne suffisent déjà pas à couvrir les missions Gemapi. Dont acte. Mais que propose-t-on à la place ? Rien ! La réalité, c'est que la pression financière continue de s'alourdir sur les communes littorales et que la solidarité territoriale reste largement théorique.
On ne peut pas, d'un côté, reconnaître que les collectivités sont au front et, de l'autre, leur refuser les moyens d'agir !
Le Comité interministériel de la mer (CIMer), réuni le 26 mai dernier à Saint-Nazaire sous l'égide du Premier ministre François Bayrou, a réaffirmé le principe selon lequel « le littoral doit financer le littoral ». Ce postulat pose question, car il s'agit de demander toujours plus aux communes, sans péréquation, sans accompagnement. Nous faisons naître une nouvelle inégalité territoriale, profondément injuste.
Je soutiens la demande de rapport prévue à l'article 3, mais il faudra aller plus loin. Le prochain projet de loi de finances devra impérativement intégrer un fonds dédié à l'adaptation du littoral, notamment au recul du trait de côte. Et si des contributions nouvelles sont envisagées, comme celles qui ont été évoquées lors du CIMer, elles devront reposer sur les usages réels du littoral, avec un retour concret et traçable pour les territoires concernés.
Sensibles au dérèglement climatique, les départements littoraux, comme celui de la Manche, ont besoin de lisibilité pour envisager sereinement l'avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi portant diverses dispositions en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (gemapi)
Article 1er
L'article L. 1111-8 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre substitués à leurs communes membres pour l'exercice de la compétence en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations mentionnée au I bis de l'article L. 211-7 du code de l'environnement peuvent déléguer au département, avec l'accord de leurs communes membres exprimé par délibérations concordantes de l'ensemble des conseils municipaux, tout ou partie des missions relevant de cette compétence. » ;
2° Au deuxième alinéa, les mots : « de l'alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « des premier et deuxième alinéas ».
M. le président. La parole est à M. Michel Masset, sur l'article.
M. Michel Masset. En l'état, je ne voterai pas ce texte, pour les raisons que je vais vous expliquer, mes chers collègues.
Pour connaître un peu la compétence Gemapi, je trouve heureux que nous en débattions aujourd'hui. C'est une bonne chose.
Voilà encore très peu de temps, j'étais président d'une intercommunalité dans mon département de Lot-et-Garonne. Dans ce territoire, où le Lot se jette dans la Garonne, les inondations sont monnaie courante : nous sommes inondés entre deux et quatre fois par an.
On nous a imposé la compétence Gemapi, dont nous ne voulions vraiment pas, sans compensation financière. Or il a fallu créer un service. Il a fallu structurer les choses. On nous a dit, dans une immense générosité, que ce n'était pas très grave et que nous n'avions qu'à prélever un nouvel impôt – comme vous vous en doutez, celui-ci a été extraordinairement populaire…
De fait, nous avons prélevé à peu près 21 euros par habitat, ce qui a suscité un produit de 450 000 euros, sur un budget d'environ 10 millions d'euros.
On nous a dit que nous devions prioritairement réaliser une étude de dangers du système d'endiguement, chose que l'État n'avait jamais faite auparavant. Or l'étude coûtait, en elle-même, 500 000 euros. Une brèche de 100 mètres linéaires s'est ensuite créée, nous obligeant à débourser 300 000 euros. Des brèches sont tombées dans la communauté voisine, entraînant cette fois un coût de 22 millions d'euros.
On nous propose que la compétence puisse être transférée au département, mais certains départements, comme le nôtre, sont pauvres ! Les mariages entre pauvres sont rarement facteurs d'enrichissement…
S'il n'y a pas une vraie vision amont aval, qui va bien plus loin que le département et intègre aussi les régions, s'il n'y a pas un financement partagé sur l'ensemble du territoire, fondé sur une solidarité et une péréquation, ce transfert n'est pas acceptable en l'état.
En outre, plusieurs textes sont en cours d'examen. Sur le terrain, il est très compliqué d'expliquer cette façon d'avancer par à-coups.
Telles sont les raisons de mon scepticisme.
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, sur l'article.
M. Hervé Gillé. Mes propos s'inscriront dans la lignée de ceux de Michel Masset.
Comme cela a été souligné, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation mène actuellement une mission d'information sur le sujet, dont Rémi Pointereau, Jean-Yves Roux et moi-même avons le plaisir d'être les corapporteurs. Nous essayons d'avoir une approche à la fois beaucoup plus globale et la plus fine et la plus technique possible sur un certain nombre de points.
Comme Michel Masset l'a souligné, l'un des enjeux est de caractériser justement les événements et les aléas.
Des aléas normaux peuvent être pris en charge par un EPCI gémapien.
Des aléas plus importants nécessitent la mise en œuvre de principes de solidarité. Ces derniers doivent reposer sur des moyens, qui doivent être levés à l'échelle d'un sous-bassin ou d'un bassin, et non pas forcément d'un département. En réalité, dans certains cas, les établissements publics de bassin sont bien mieux placés que les départements pour bénéficier de la délégation de la compétence gémapienne.
À cet égard, la proposition de loi suscite une forme de doute, voire d'inquiétude au sein des collectivités, parce qu'elle se situe à la croisée des chemins entre des logiques de bassins et des logiques de collectivités territoriales.
Cette approche n'est pas suffisamment structurée dans le texte, tel qu'il est rédigé aujourd'hui – c'est notamment vrai de l'article 1er.
Je souhaite aussi préciser que la gestion du pluvial dépend justement d'une stratégie menée à l'échelle de la collectivité, qui peut participer à la prévention des inondations ; nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir.
Toutefois, cela nécessitera aussi une clarification, notamment avec la direction générale des finances publiques (DGFiP), de ce qui relève d'un syndicat d'eau et d'assainissement et de ce qui peut relever d'une gestion gémapienne.
Tous ces aspects, aujourd'hui, ne sont pas traités. C'est pourquoi mon groupe votera contre la proposition de loi.