M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld.

Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Nord, comme d'autres territoires des Hauts-de-France, a été frappé récemment par de violentes inondations, dont les conséquences sont dramatiques tant pour les personnes que pour les territoires.

Ces épisodes ne sont pas isolés et la France entière se révèle particulièrement vulnérable au risque d'inondation et de submersion marine. Le changement climatique, on le sait, accroît encore ce risque, par son effet à la hausse sur la fréquence et l'intensité de ces aléas naturels devant lesquels nos collectivités locales sont en première ligne.

C'est pourquoi il est indispensable de bien structurer et coordonner les actions en matière de politique de l'eau.

Après des années d'émiettement, les lois Maptam et NOTRe ont créé une compétence unique, dite Gemapi, et l'ont attribuée de manière obligatoire aux intercommunalités à fiscalité propre.

Ce faisant, notre législation a acté le besoin d'efficacité et de cohérence entre gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, mais aussi le lien étroit des politiques de l'eau avec les politiques d'aménagement et les documents d'urbanisme.

Au regard des initiatives prises par certains territoires pionniers et parce que les périmètres administratifs, on l'a dit, ne coïncident pas toujours avec ceux des bassins versants, des souplesses ont toutefois été prévues dans la gestion intercommunale de cette compétence ; elles ont même été renforcées en 2017 par la loi Fesneau-Ferrand.

La compétence Gemapi est donc sécable fonctionnellement, dans ses quatre composantes, et géographiquement – les régions ou départements déjà acteurs en matière de Gemapi peuvent continuer de l'être par convention ou par participation à l'un des 450 syndicats mixtes existants.

Le texte que nous examinons aujourd'hui propose, par ses articles 1er, 2 et 2 bis, de nouvelles évolutions associées à la compétence Gemapi.

L'article 1er prévoit ainsi une nouvelle faculté de délégation de tout ou partie de la compétence Gemapi des EPCI à fiscalité propre vers les départements.

Dans sa rédaction initiale, cet article permettait une délégation de compétence vers les départements après simple délibération communautaire, c'est-à-dire sans sollicitation du consentement des communes membres de l'EPCI, lequel exerce pourtant pour leur compte et sous leur contrôle cette compétence Gemapi : ni un transfert, donc, ni tout à fait une délégation…

La commission des lois a corrigé cette curiosité en associant mieux les maires via un alignement de la procédure sur le droit commun de la délégation de compétence.

Néanmoins, si l'on revient au droit commun, pourquoi légiférer à nouveaux frais, la compétence Gemapi étant déjà sécable et les départements déjà associés là où c'est pertinent ?

Telle est notre interrogation et la raison pour laquelle nous ne souscrivons en définitive à aucune des écritures proposées.

C'est en vertu de la même logique que nous émettons des réserves sur l'article 2, qui tend à articuler la compétence Gemapi du bloc communal avec la compétence, communale également, de gestion des eaux pluviales.

Intégrer la lutte contre le ruissellement et l'érosion des sols dans le cadre des zonages en matière d'eau et d'assainissement, cela fait sens ! Et même tellement, d'ailleurs, que le code général des collectivités territoriales le prévoit déjà : les zonages actuels peuvent couvrir les mesures visant à limiter l'imperméabilisation des sols et à assurer la maîtrise du débit et de l'écoulement des eaux pluviales et de ruissellement, de même qu'ils peuvent imposer des installations de traitement des eaux pluviales et de ruissellement.

Il est vrai que la frontière est ténue entre, d'une part, la lutte contre le ruissellement et l'érosion des sols et, d'autre part, la compétence de prévention des inondations. Mais les EPCI ne sont pas compétents qu'en matière de Gemapi : ils le sont aussi en matière d'urbanisme, de climat ou d'agriculture. À ce titre, le bloc communal peut tout à fait intervenir librement sur l'ensemble de la chaîne de l'eau.

Il n'y a en réalité pas véritablement de limite ou d'obstacle lié aux compétences. Le seul intérêt d'inclure explicitement et directement le ruissellement dans la compétence Gemapi serait d'ordre financier, étant admis que, le cas échéant, le produit de la taxe associée à la Gemapi permettrait demain de financer aussi de nouvelles actions liées au ruissellement.

C'est néanmoins faire abstraction d'un élément : de l'avis général, les financements disponibles ne sont déjà pas adaptés aux besoins actuels. Et l'article 4, relatif à la taxation Gemapi, n'y changerait rien, comme l'a souligné la commission des finances et comme le dira tout à l'heure ma collègue Frédérique Espagnac.

Nous ne sommes donc pas non plus favorables à l'article 2, qui ne serait qu'une solution de façade fragilisant la lisibilité du droit applicable au lieu de l'améliorer.

Nous raisonnons de même à propos de l'article 2 bis, introduit en commission, qui élargit les domaines dans lesquels les départements peuvent apporter une assistance technique en y incluant la lutte contre le ruissellement.

Soit la lutte contre le ruissellement relève de la Gemapi et les départements peuvent déjà agir par voie de convention en application de la loi Fesneau-Ferrand, soit elle relève de l'aménagement, et les départements peuvent agir par la même voie conventionnelle en application de la loi NOTRe. Le recours à leurs prestations d'ingénierie, rémunérées et délivrées au titre de la solidarité territoriale, est déjà possible pour les collectivités éligibles, notamment rurales.

Aussi, par souci de préserver la clarté des responsabilités locales, mais aussi par volonté de souligner le besoin de solutions bien plus structurantes dans la lutte contre le changement climatique, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne soutiendra pas cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « le concept de réchauffement climatique a été créé par et pour les Chinois », déclarait Donald Trump avant sa première élection… Pourtant, en dépit de cette affirmation, le dérèglement climatique est bien plus qu'un concept, comme le constatent quotidiennement nos concitoyens, hélas !

Un quart de nos concitoyens sont ainsi exposés au risque d'inondation, devenu le premier risque naturel auquel nous sommes confrontés. Nos collègues Marie-Claude Lermytte et Dany Wattebled ont constaté l'ampleur des dégâts dans le Nord lors de l'hiver 2023-2024.

Ces inondations ont persisté, actant la nécessité non seulement de lutter contre la montée des eaux, mais aussi de travailler à faciliter leur évacuation.

L'augmentation de la fréquence de ces phénomènes a justifié le déploiement de politiques publiques spécifiques. À la suite de l'adoption de la loi Maptam, puis de la loi NOTRe, cette compétence a été confiée aux EPCI à fiscalité propre. La gestion de ces risques implique de prendre en compte l'échelle du bassin versant.

Près de dix ans plus tard, les auteurs de la présente proposition de loi nous invitent à adapter quelque peu le régime existant, afin de lui conférer davantage de souplesse. Originaires de Seine-et-Marne, tout comme notre collègue Louis Vogel, ils savent combien les inondations peuvent nuire fortement au réseau de mobilité d'un territoire : celles du mois d'octobre dernier y ont affecté pas moins de 132 communes.

L'objet du texte est de permettre aux EPCI chargés de la compétence Gemapi de la déléguer en tout ou partie aux départements.

En ce qui concerne les questions relatives aux collectivités territoriales, le Sénat a la bonne habitude d'ouvrir des facultés en évitant d'imposer des obligations à nos élus locaux. Ces derniers sont en effet les mieux placés pour résoudre les difficultés de leurs territoires.

En l'occurrence, à la compétence Gemapi s'attachent deux problématiques majeures.

Premièrement, l'hydrographie obéit non pas au découpage des circonscriptions administratives, mais à la géographie : la question de l'aval et de l'amont est incontournable.

Deuxièmement, un problème de moyens se pose : pour être exercée, une compétence doit être financée. La taxe Gemapi est parfois décrite comme un impôt facultatif, non au sens où elle serait optionnelle pour les contribuables – c'est rare –, mais au sens où les collectivités locales sont libres de l'instituer ou non. Elle prend la forme d'une contribution par habitant.

Un tel financement paraît problématique, dans la mesure où les territoires qui doivent supporter les investissements les plus importants ne sont pas nécessairement les plus peuplés. C'est pourquoi la question du fonds de péréquation se pose.

Le caractère facultatif nous semble également problématique. Il est en effet extrêmement difficile pour les élus de décider seuls de la mise en œuvre de la taxe Gemapi, mais aussi de déterminer le montant de cette contribution.

Il ne fait aucun doute que les effets du dérèglement climatique se feront davantage sentir dans le futur. Dans ce domaine comme dans d'autres, nos territoires ne sont pas sur un pied d'égalité. Inondations, sécheresses, mais aussi incendies : certains seront plus affectés que d'autres.

Dans ce contexte, nous devons veiller à ce qu'aucun territoire de la République ne soit livré à lui-même. L'assouplissement prévu par ce texte est donc une bonne chose : les collectivités territoriales sont les plus légitimes pour déterminer le bon niveau d'exercice de la compétence Gemapi.

Le groupe Les Indépendants soutient également la possibilité ouverte aux départements d'apporter aux communes et aux EPCI de leur territoire une assistance technique en matière de lutte contre le ruissellement.

Assouplir est une bonne chose, mais il serait encore mieux de voter des dispositifs qui n'ont pas besoin d'être assouplis… Il y a dans la pièce un éléphant qu'il ne faudrait pas manquer de voir : au gré des textes correctifs, chacun d'entre nous a eu l'occasion de se convaincre que c'était toute l'architecture des compétences des collectivités locales qu'il conviendrait de revoir.

À cet égard, ne faudrait-il pas un projet de loi ambitieux, qui remette en ordre les règles de la décentralisation ? Bien sûr, nous savons que des sujets plus urgents occupent le Gouvernement. Cependant, en matière de procédure pénale comme de décentralisation, combien de temps pourrons-nous encore fonctionner en nous contentant de pastilles législatives ?

Mes chers collègues, le groupe Les Indépendants, vous l'aurez compris, partage les objectifs de cette proposition de loi. Nous la voterons donc, en espérant que le Gouvernement lancera les réformes de fond dont notre pays a de plus en plus besoin. (Mme Anne Chain-Larché et M. Pierre Cuypers applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)

M. Laurent Burgoa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord remercier mes collègues auteurs de cette proposition de loi, Anne Chain-Larché et Pierre Cuypers. En effet, les difficultés concrètes que rencontrent les élus locaux dans la mise en œuvre de la compétence Gemapi nécessitent une telle loi, et je souhaite partager ici mon ressenti.

Depuis l'entrée en vigueur des lois Maptam et NOTRe, cette compétence a été transférée aux EPCI. Si cette structuration visait à lutter contre le morcellement des responsabilités, force est de constater que ce transfert ne s'est pas toujours fait à l'échelle où se posent les enjeux.

Je pense à mon département du Gard, en particulier au territoire de Terre de Camargue, qui illustre assez bien cette inadéquation, les bassins versants faisant fi de toute considération administrative.

Ainsi cette proposition de loi, enrichie en commission – je salue nos rapporteurs –, mérite-t-elle notre approbation, car elle répond à un constat partagé : la recrudescence des risques d'inondation et leur forte différenciation selon les territoires appellent des réponses souples et sur mesure.

L'article 1er institue une faculté – il s'agit bien d'une faculté, j'y insiste – de délégation de la compétence Gemapi des EPCI à fiscalité propre vers les départements.

Cette délégation, strictement volontaire, permettra de mobiliser les expertises techniques et logistiques des départements, souvent mieux armés pour intervenir à l'échelle des réalités hydrographiques. Ce cadre favorise une gestion cohérente et intégrée de l'eau, tout en rassurant les élus locaux quant à leur pouvoir de décision.

L'article 2, quant à lui, vise à clarifier la répartition des responsabilités, notamment en intégrant la gestion des eaux pluviales et du ruissellement dans les documents de zonage d'assainissement. Cette disposition permettra une action plus lisible et mieux articulée avec la prévention des inondations.

Sur l'initiative du rapporteur, la commission a veillé à préserver le caractère volontaire de la délégation et à l'aligner sur les règles de droit commun.

Elle a aussi introduit un article 2 bis, qui étend le champ de l'assistance technique obligatoire des départements aux communes et EPCI ruraux à la lutte contre le ruissellement dès lors que ce phénomène est lié au risque d'inondation.

Ces précisions témoignent d'une volonté claire : donner aux élus locaux, sans les contraindre, les outils dont ils ont besoin pour adapter l'action publique à la diversité territoriale.

Cependant, nous devrons bien sûr rester vigilants, car il importera que la solidarité nationale s'exprime pleinement. Le changement climatique multiplie les risques et les dégâts humains et matériels s'aggravent ; ils nécessitent et nécessiteront des moyens accrus, quoi qu'il en soit de l'organisation territoriale retenue pour exercer la responsabilité dont il est question.

Dans tous les cas, ce texte m'apparaît équilibré. Il traduit une philosophie que nous devons encourager : celle de la subsidiarité, de la confiance dans les territoires et de l'intelligence collective.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi, qui marque une avancée concrète. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat s'est pleinement emparé du sujet de la prévention des inondations.

Cela s'est vérifié voilà peu avec la mission conjointe de contrôle, confiée à la commission des finances et à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, relative aux violentes inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024, dont les rapporteurs, nos collègues Jean-François Rapin et Jean-Yves Roux, ont formulé vingt recommandations très utiles.

Je citerai également l'adoption, consécutive à ce travail, d'une proposition de loi de nos mêmes collègues visant à soutenir les collectivités territoriales dans la prévention et la gestion des inondations.

Enfin, voilà que nous examinons la présente proposition de loi de nos collègues Pierre Cuypers et Anne Chain-Larché, qui sont aussi mes voisins de Seine-et-Marne, portant diverses dispositions en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, ou Gemapi.

Je me félicite de ces travaux successifs, sur un sujet si important. Que nous soyons issus de territoires ruraux ou urbains, de métropoles ou des outre-mer, il est vrai que nous sommes de plus en plus soumis au risque de catastrophe naturelle, les territoires ultramarins, je le précise, y étant surexposés – vous savez combien le groupe RDPI est attaché à la défense de ces territoires.

Le risque d'inondation est désormais le premier aléa naturel en France : un quart des Français sont exposés aux risques de crues ou de submersion. Ce risque, de surcroît, va s'accroissant, avec une augmentation de la pluviométrie extrême. On l'a vu dans l'Yonne, au printemps de l'année dernière, avec les crues du Serein et de l'Armançon.

Le groupe RDPI se réjouit de l'occasion de débat offerte par l'examen de cette proposition de loi qui porte sur des sujets importants ayant trait à la Gemapi : gouvernance, financement, périmètre. Force est de constater néanmoins que nous légiférons de façon quelque peu parcellaire.

Si ce texte apporte des libertés – c'est Anne Chain-Larché qui parlait d'un « texte de liberté » –, ainsi que des souplesses, certains articles soulèvent des questions auxquelles nous n'avons pas encore toutes les réponses. Et pour cause, car le travail en la matière se poursuit. Notre assemblée s'est d'ailleurs saisie du sujet en créant une mission d'information sur la Gemapi, qui aura notamment pour objet d'évaluer les lois NOTRe et Maptam et dont les rapporteurs sont nos collègues Jean-Yves Roux, Rémy Pointereau et Hervé Gillé.

Le groupe RDPI dit « oui » au débat, en posant quelques « mais » sur certaines dispositions présentées.

Le débat est essentiel ; il a lieu chez les élus locaux comme dans la population, grâce à un certain nombre de manifestations. Je salue à cet égard l'organisation des Récid'Eau, dont la première édition s'est tenue à Auxerre tout récemment sur l'initiative du syndicat mixte Yonne Médian – notamment de son président, Yves Vecten, et de son premier vice-président, Marcel Milachon –, avec l'aide de nombreux partenaires, au premier rang desquels l'agence de l'eau Seine-Normandie (AESN).

Cet événement a donné lieu à des débats très intéressants ; à cette occasion, j'ai pu échanger avec nombre d'élus locaux et je souhaite vous faire part de quelques remontées de terrain.

Pour ce qui est de la gouvernance, tout d'abord, l'article 1er institue une nouvelle faculté de délégation totale ou partielle de la compétence Gemapi aux départements. Il s'agit d'une extension d'une disposition de la loi Fesneau-Ferrand du 30 décembre 2017, qui avait permis aux départements déjà engagés en matière de compétence Gemapi au moment de l'entrée en vigueur du texte de poursuivre leur action en la matière au-delà de 2020.

Prenons garde néanmoins que le département ne devienne pas l'unique collectivité qui, à terme, interviendra en ce domaine. Une telle crainte est exprimée par les élus comme par les syndicats ; je tenais à la relayer à cette tribune.

On sait ce que sont parfois les rapports de force politiques dans les territoires. C'est pourquoi, me semble-t-il, il faut plutôt réfléchir à une organisation par bassin versant, en chaussant d'autres lunettes que celles des collectivités territoriales existantes. Ainsi pourrons-nous mieux appréhender les enjeux hydrographiques.

Je veux à cet égard rendre hommage aux syndicats, qui, dans nos territoires, œuvrent de concert avec les EPCI.

Pour ce qui est du financement, ensuite, j'évoquais ce sujet clé avec Patrick Mercuzot, président du syndicat du bassin du Serein.

La péréquation, une question chère au rapporteur Somon, a été au centre de nos discussions. Il arrive que les territoires situés en amont du bassin versant soient peu peuplés : leur capacité à lever des fonds est alors très faible. Pourtant, ils doivent conduire des travaux de grande ampleur. Il faut donc œuvrer à cette péréquation.

L'article 3 de la proposition de loi prévoit la remise au Parlement d'un rapport sur le sujet ; je m'en félicite. Il est question d'identifier les conditions d'instauration d'un fonds de péréquation de la taxe Gemapi « à l'échelle des bassins versants ». Faut-il retenir cette échelle-là ? Faut-il réduire encore l'échelle, jusqu'à envisager une péréquation nationale ? Je pose la question sans avoir la réponse… Quoi qu'il en soit, la péréquation est indispensable.

Quant à l'article 4, nous aurons l'occasion d'y revenir, le groupe RDPI ayant déposé un amendement afin d'en débattre ; ainsi certains éléments pourront-ils être précisés à cette occasion.

Pour ce qui est du périmètre, dernier point d'importance, l'article 2 donne aux communes et aux EPCI la faculté d'instituer des mesures relatives au ruissellement dans le zonage en matière d'assainissement. Le ruissellement n'était pas inclus dans le périmètre de la Gemapi. Or la frontière est particulièrement ténue et poreuse entre ces deux compétences, ce qui pose un certain nombre de problèmes dans la vie quotidienne des collectivités et des instances qui agissent en ce domaine.

Au total, le Parlement n'a pas fini de débattre de ce sujet. Gemapi, c'est un sigle – six lettres – qu'il nous faut rendre toujours plus intelligible, et c'est surtout une compétence que les collectivités doivent avoir la capacité effective d'exercer. Il nous revient d'y veiller. (Mme Anne Chain-Larché applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis l'entrée en vigueur des lois Maptam et NOTRe, la structuration de la compétence Gemapi incarne une ambition louable : doter nos territoires d'un cadre d'action cohérent face aux risques d'inondation et en matière de gestion des milieux aquatiques.

Concrètement, le législateur a transféré cette compétence aux intercommunalités, afin de remédier à l'émiettement d'une gouvernance jusqu'alors communale. Mais cette ambition s'est heurtée, sur le terrain, à des contraintes lourdes, souvent sous-estimées, et parfois à une certaine solitude institutionnelle des élus locaux, confrontés à la gravité des enjeux.

Notre pays est exposé à l'aléa inondation dans toute sa diversité : débordements de cours d'eau, crues torrentielles, submersions marines, ruissellement urbain, remontées de nappes. Si les causes en sont avant tout météorologiques, les effets en sont souvent aggravés par des facteurs humains : artificialisation des sols, destruction d'espaces naturels, mauvaise gestion ou mauvais entretien des cours d'eau.

Plus d'un habitant sur quatre vit dans une zone exposée aux débordements fluviaux ou marins. Voilà qui fait de cet aléa un risque majeur pour notre pays, du point de vue tant de la sécurité que de la cohésion territoriale.

Aussi la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui procède-t-elle d'un constat lucide : il est nécessaire d'introduire dans notre droit des assouplissements pour adapter l'exercice de la compétence Gemapi à la diversité des territoires et pour mieux mobiliser les expertises existantes, notamment celles des départements.

À cet égard, ouvrir pour les intercommunalités la possibilité de déléguer cette compétence aux départements peut constituer une avancée utile, non parce qu'il s'agirait de remettre en cause le rôle de l'intercommunalité, mais parce que la réalité impose parfois, localement, de recomposer intelligemment les niveaux d'action.

Dans de nombreux territoires, les départements disposent d'une ingénierie structurée, d'une expérience éprouvée dans la prévention des inondations et d'une connaissance fine des cours d'eau et des ouvrages. Ils sont parfois les seuls à même de porter, techniquement et juridiquement, des projets complexes à l'échelle de plusieurs bassins versants.

Il n'est pas certain pour autant que l'échelon départemental soit toujours le plus pertinent.

D'une part, l'Assemblée des départements de France n'a pas manqué de nous alerter sur la grave et dangereuse dégradation de la situation financière des départements depuis plusieurs années. Il est douteux qu'une nouvelle compétence déléguée soit bien accueillie dans ces conditions.

D'autre part, la prévention des inondations appelle une approche à l'échelle du bassin versant, souvent interrégionale. Ainsi les intercommunalités les plus exposées ne sont-elles pas toujours celles qui doivent réaliser les investissements les plus lourds.

Cette tension est particulièrement nette dans les zones de montagne, où les communes d'amont, souvent petites et peu dotées, doivent engager des travaux coûteux dont bénéficieront en aval des métropoles à fort potentiel fiscal, qui perçoivent une taxe Gemapi substantielle tout en ayant peu à financer elles-mêmes. Il faut donc du temps et de la méthode pour construire un modèle plus juste.

La taxe Gemapi pourrait rapporter jusqu'à 3 milliards d'euros si elle atteignait son plafond légal de 40 euros par habitant. Seulement, dans les faits, la moyenne nationale tourne autour de 8 euros et le produit total de la taxe en 2023 n'était que de 536 millions d'euros.

Que dire également des disparités territoriales ? Les collectivités rurales, souvent situées en amont, subissent de plein fouet les conséquences du ruissellement et du débordement des cours d'eau. Mais ce sont les intercommunalités urbaines ou littorales, plus densément peuplées, qui disposent des marges fiscales les plus importantes.

Dans ce système, on confie la charge à ceux qui ont le moins de moyens, tout en s'en remettant à la solidarité de ceux qui, bien souvent, se sentent moins concernés par le risque.

Il faut, à terme, avoir le courage d'ouvrir le débat sur l'institution d'un véritable mécanisme de péréquation à l'échelle des bassins versants ou, à défaut, d'un fonds national de solidarité. Cela implique un débat parlementaire de fond sur les ressources et non seulement sur l'architecture institutionnelle.

Plus largement, il devient urgent de sortir de la logique des ajustements successifs. La compétence Gemapi, comme d'autres, pâtit d'un empilement de réformes, de dérogations, de corrections ponctuelles, qui finissent par créer plus d'opacité que de lisibilité.

Je rappelle, du reste, que notre délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a lancé, l'an dernier, une mission d'information relative à la compétence de gestion de l'eau et des milieux aquatiques, dont les rapporteurs sont nos collègues Jean-Yves Roux, Rémy Pointereau et Hervé Gillé. Il aurait été judicieux d'attendre le résultat de ses travaux avant de légiférer. (M. Philippe Grosvalet applaudit.)

Dans ces conditions, la position de notre groupe ne peut qu'être réservée : chacun restera libre d'exprimer sa position à l'issue de nos débats. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et GEST. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l'heure où les inondations constituent le principal aléa naturel auquel sont confrontées nos collectivités et au vu de l'amplification des dégâts qu'elles entraînent, nous examinons avec intérêt la proposition de loi portant diverses dispositions en matière de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi).

Je tiens, avant toute chose, à féliciter le rapporteur Hervé Reynaud de la qualité du travail réalisé.

Entre novembre 2023 et juin 2024, quelque 53 % des départements français ont été touchés par des inondations. Dans les seuls départements du Nord et du Pas-de-Calais, les dégâts sur les biens assurables se sont élevés à 640 millions d'euros. Aujourd'hui, plus d'un habitant sur quatre est exposé aux débordements de cours d'eau ou aux submersions marines.

Face au dérèglement climatique et aux risques de catastrophes naturelles, nous nous devons de faciliter le travail des collectivités, qui peinent déjà à trouver les fonds nécessaires à la réparation des dégâts et aux travaux d'aménagement indispensables à la protection des biens, des personnes et des environnements.

En 2014, la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (Maptam) a attribué une compétence exclusive et obligatoire relative à la Gemapi aux intercommunalités. Avec la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) de 2015, le transfert obligatoire de la compétence Gemapi aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) était censé assurer la cohérence et l'unité de la gouvernance en la matière.

Pourtant, ces objectifs louables ne sont toujours pas pleinement remplis. Une grande partie des élus locaux rencontre des difficultés majeures pour prévenir le risque d'inondation. Qu'elles soient liées à l'augmentation des risques, au manque de moyens financiers ou à la fragmentation des acteurs concernés, les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la compétence Gemapi affectent durement tous les territoires.

L'article 1er de cette proposition de loi vise à rendre possible la délégation de tout ou partie de la compétence Gemapi aux départements qui disposent de ressources techniques en matière de gestion et d'aménagement hydrologique. Il tend à renforcer la capacité d'action et de coordination des collectivités en assurant la cohérence de la gouvernance territoriale et l'assouplissement de la gestion des risques d'inondations.

Cette procédure de délégation s'alignera sur la procédure de délégation de droit commun, afin de mettre entre les mains des élus des outils dont ils seront libres d'envisager l'utilisation, comme le propose M. le rapporteur dans son amendement. Bien qu'elle soit facultative, cette délégation pourra ponctuellement s'avérer pertinente dans certains territoires, mais elle ne saurait constituer une solution universelle – je pense, notamment, aux territoires de montagne, qui disposent de moyens financiers restreints.

L'article 2 vise à clarifier la répartition des responsabilités en matière de Gemapi, d'une part, et de lutte contre le ruissellement et l'érosion des sols, d'autre part. Dès lors qu'elles présenteront un lien avec les inondations, les mesures relatives à la gestion des eaux pluviales pourront être introduites dans le zonage communal ou intercommunal d'assainissement.

L'article 2 bis vise à ajouter au champ de l'assistance technique du département la lutte contre le ruissellement. Je m'interroge, à titre personnel, sur la manière dont les départements dans leur diversité pourront mobiliser ce type de compétences, car ils ne disposent pas forcément à ce jour des moyens nécessaires pour les mettre en œuvre efficacement.

Quant à l'article 3, il vise à prévoir la remise par le Gouvernement d'un rapport sur les modalités d'application de la taxe pour la Gemapi – vaste chantier !

Cette réflexion pourra, je l'espère, évoluer avec les conclusions de la mission d'information conduite par nos collègues Jean-Yves Roux, Hervé Gillé et Rémy Pointereau. Les territoires ruraux et de montagne, à la densité de population nettement plus faible, disposent d'un potentiel fiscal limité, alors même qu'ils ont une exposition aux risques parfois plus élevée.

Dans un département que je connais bien, les Hautes-Alpes, 56 communes sur 162 ont été reconnues en état de catastrophe naturelle à la suite des intempéries de 2023. Je pense, notamment, aux communes de Vallouise-Pelvoux, de Risoul ou de Guillestre. Ces noms, qui évoquent pour vous des stations de sports d'hiver, mes chers collègues, sont pour moi ceux de communes en grande difficulté. La fréquence des crues et leurs conséquences financières, sociales et économiques ont frappé les populations avec force.

Pour faire face aux inondations à répétition, il faut impérativement réformer la taxe Gemapi en la déplafonnant. La régionalisation de ladite taxe ne me semble pas illégitime, quand on sait que les mesures prises autour des bassins versants protègent aussi l'ensemble du réseau en aval.

Quoi qu'il en soit, il faut une plus grande solidarité fiscale dans une logique de bassin : dans ma région, Provence-Alpes-Côte d'Azur, les habitants des Hautes-Alpes payent seuls pour l'entretien d'un cours d'eau comme la Durance, qui assure pourtant en totalité l'alimentation de la ville de Marseille.

Soyons concrets, comme savent le faire les élus locaux. Prenons l'exemple de la communauté de communes du Guillestrois-Queyras : 8 000 habitants, 15 communes de montagne. Côté Guil, 25 millions d'euros de travaux Gemapi sont nécessaires ; côté Durance, ce sont 20 millions d'euros.

La recette de la taxe Gemapi, portée à son maximum, s'élève à 800 000 euros par an, dont la moitié est consacrée au fonctionnement de la structure et à la surveillance annuelle des digues. Il reste donc 400 000 euros disponibles pour investir chaque année, à comparer aux 45 millions d'euros de travaux qui doivent être réalisés, j'y insiste, sur l'ensemble du bassin versant jusqu'à Marseille.

Vous l'aurez compris, le groupe Union Centrise votera sans enthousiasme cette proposition de loi, qui permet de marquer une nouvelle étape, certes modeste, mais nécessaire, vers la mère des réformes et des batailles : la modification de l'assiette de mobilisation de la taxe Gemapi.

Je souhaite que son périmètre soit, au minimum, la région, voire la Nation. Nous avons une exigence d'efficacité. Il faudra rassembler les nombreux textes, parfois inféconds, sur ce sujet de la Gemapi, pour aboutir à une grande loi ambitieuse permettant de traiter toutes les situations en solidarité active.

La procrastination n'est jamais féconde. Elle coûtera encore plus cher demain si nous ne faisons rien. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et Les Républicains.)