M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les faits sont là : chaque année plus de 100 captages sont fermés ou abandonnés du fait de la présence dans l'eau de pollutions non traitables techniquement, ou, du moins, pas à un coût raisonnable.

Ces captages s'ajoutent aux 14 300 captages qui ont été fermés depuis 1980, dont environ 4 600 pour des problèmes relatifs à la qualité de l'eau, en lien avec les pollutions aux pesticides ou aux nitrates.

En dépit de quelques progrès localisés, cet échec global de la préservation de la qualité de nos ressources en eau doit nous conduire à nous questionner et, surtout, à agir. Il ne suffit plus de nous contenter du diagnostic, mes chers collègues : il nous faut désormais nous concentrer sur le réel.

Ces pollutions accumulées depuis des décennies menacent aujourd'hui tant la qualité que la quantité de notre eau. Face à ces menaces, la protection de nos captages d'eau potable s'impose comme une priorité absolue.

Or le compte n'y est pas, puisque seuls 1 500 captages sur 33 000 ont pu être sécurisés. Nous devons donc changer d'échelle et de méthode.

En novembre 2024, dans un rapport intitulé Prévenir et maîtriser les risques liés à la présence de pesticides et de leurs métabolites dans l'eau destinée à la consommation humaine, les inspections générales estimaient que la politique de protection des captages devait être refondée autour d'un renforcement de la coordination entre les services de l'État.

Elles considéraient, de plus, que la reconquête de la qualité de l'eau destinée à la consommation humaine suppose des mesures préventives ambitieuses qu'il convient de mettre en place urgemment : « interdire, dans les autorisations de mise sur le marché (AMM), les usages sur les aires de captages d'eaux souterraines des produits phytopharmaceutiques (PPP) contenant des substances générant des métabolites à risque de migration vers les eaux dans des concentrations supérieures à la limite réglementaire », d'une part ; « augmenter le taux de la redevance pour pollution diffuse et élargir son assiette aux produits biocides », d'autre part.

J'entends que l'approche retenue par les auteurs de cette proposition de loi n'est pas la bonne, qu'elle est trop répressive et centrée uniquement sur la profession agricole. L'urgence demeure toutefois, mes chers collègues. La réponse, concrète et collective, doit mobiliser les collectivités locales, les agriculteurs et les entreprises de l'eau.

Chaque minute perdue augmente le coût du traitement des eaux contaminées, entre 500 millions et 1 milliard d'euros par an.

Ces dépenses, en augmentation constante, reposent presque exclusivement sur les collectivités territoriales, qui doivent financer les infrastructures nécessaires alors que leurs budgets sont déjà contraints.

Elles entraînent aussi une augmentation du prix de l'eau pour les consommateurs, ce qui a pour effet d'exacerber les inégalités territoriales, notamment en milieu rural.

Une politique proactive de préservation serait non seulement plus efficace, mais également beaucoup moins coûteuse.

Nous serons donc attentifs à la mise en œuvre de la feuille de route 2025 visant à améliorer la qualité de l'eau par la protection de nos captages. Celle-ci prévoit notamment un accompagnement renforcé des collectivités comme des agriculteurs et des industriels, qui se verront proposer des solutions adaptées et graduées, l'objectif étant de les aider à opter pour des pratiques plus durables.

Je souhaite à cet égard évoquer les paiements pour services environnementaux (PSE). Mon collègue Henri Cabanel, dont c'est le cheval de bataille, s'efforce depuis plusieurs années de développer ce dispositif sur notre territoire, mais il se heurte à la rigidité de Bruxelles. La pédagogie et l'anticipation resteront pourtant vaines sans un accompagnement financier proportionnel. Or, à l'heure actuelle, celui-ci est largement insuffisant.

L'enjeu environnemental et sanitaire mérite que nous prenions le temps d'effectuer un diagnostic des territoires, d'élaborer des mesures concrètes adaptées aux enjeux locaux, puis d'appliquer celles-ci. Cela contribuerait non seulement à améliorer le revenu de nos agriculteurs, mais aussi à renforcer l'accompagnement à l'évolution des pratiques, que ce soit par une plus forte valorisation de l'agriculture biologique sur les aires d'alimentation des captages ou par l'augmentation des moyens consacrés à la réduction des pollutions par les pesticides – cultures à bas niveau d'intrants, PSE, etc.

En fonction des spécificités et des problématiques de leurs territoires, les membres du groupe RDSE voteront pour ou contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Jean-Pierre Corbisez applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Alain Duffourg.

M. Alain Duffourg. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses qui nous est soumise aujourd'hui soulève un enjeu aussi essentiel que stratégique.

Comme vous le savez, le nombre de captages d'eau fermés chaque année est considérable. Plutôt qu'agir a posteriori, il y aurait lieu d'adopter des mesures préventives. Les traitements envisagés aujourd'hui emportent des coûts importants pour les collectivités locales, les syndicats d'eau et l'ensemble des gestionnaires des services publics d'eau et d'assainissement.

Je constate de telles difficultés dans le département dont je suis élu, le Gers, où le remplacement des canalisations en matière plastique installées dans les années 1980, dont la dégradation produit un gaz polluant, le chlorure de vinyle monomère (CVM), emporte des coûts pouvant s'élever dans certaines zones à 100 000 euros du kilomètre.

Au-delà de mon département, la pollution au CVM concerne l'ensemble du territoire, en particulier le centre de notre pays et la Bretagne.

Le texte porte des mesures ambitieuses, sur lesquelles le rapporteur a émis un certain nombre de réserves : il a donc introduit des mesures d'accompagnement pour adapter ces mesures.

Le groupe Union Centriste, que je représente, est pour sa part réservé quant à l'opportunité d'adopter ce texte, et ce pour deux raisons.

La première tient au souci de ne pas préempter le travail mené par le Gouvernement depuis le 28 mars dernier en vue d'améliorer la qualité de l'eau pour la protection des captages.

La seconde a trait au contexte de crise agricole. Vous le savez, mes chers collègues, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur la proposition de loi dite Duplomb, visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, se réunira du reste prochainement.

M. Bernard Jomier. C'est sûr, ça va améliorer les choses !

M. Alain Duffourg. Ces deux raisons expliquent la position mitigée du groupe Union Centriste.

Dans le prolongement du plan Eau, la ministre de la transition écologique, Mme Agnès Pannier-Runacher, a fait de la protection des captages une priorité absolue. D'autres ministres du Gouvernement se mobilisent également. J'en veux pour preuve le lancement récent des conférences territoriales sur l'eau, dont la première, qui s'est tenue à Bordeaux le 29 avril dernier, a réuni 500 intervenants.

M. Hervé Gillé. J'y étais.

M. Alain Duffourg. Il y a quelques jours, dans le département dont je suis élu, le Congrès national des jeunes agriculteurs s'est tenu en présence de Mmes Agnès Pannier-Runacher et d'Annie Genevard, ministre de l'agriculture. Je m'attendais à un tollé contre la ministre de l'écologie, mais les choses se sont finalement bien passées. (Mme la ministre déléguée s'en félicite.) Le captage et la distribution de l'eau ont largement été évoqués.

Les agriculteurs sont, en règle générale, favorables à l'écologie. Ils s'efforcent d'améliorer les cultures, de diminuer les intrants, de recourir aux couverts végétaux et de développer une agriculture raisonnée ou biologique, afin d'éviter tout dérapage en matière écologique.

La question de la qualité de l'eau se joue également au plan européen. La directive européenne du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine est actuellement évaluée par l'Assemblée nationale. La semaine dernière, l'Union européenne a publié la stratégie pour la résilience de l'eau, visant à améliorer l'utilisation de la ressource et à réduire la pollution aux PFAS (substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées) et aux polluants éternels d'ici à 2027.

Si nous ne pouvons pas voter ce texte en l'état, nous saluons l'initiative de bon sens du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Nous restons toutefois attentifs à l'action du Gouvernement, qui devra trouver un juste équilibre entre la protection de la qualité de l'eau et de la santé humaine, d'une part, et la souveraineté agricole, d'autre part.

M. le président. La parole est à M. Alexandre Basquin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Alexandre Basquin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'eau est un bien précieux tant cette ressource est fragile.

Encore aujourd'hui, dans le monde, pas moins de 1,4 milliard de personnes sont hélas ! privées d'eau potable et 1,2 million de personnes, dont 300 000 enfants de moins de cinq ans, meurent chaque année de maladies liées à l'eau.

Selon l'ONU, encore aujourd'hui, près de 700 millions de personnes sont concernées par des pénuries d'eau dans quarante-trois pays dans le monde. Ces pénuries emportent d'importants effets migratoires. Les déficits hydriques sont en effet à l'origine d'une hausse de 10 % des flux migratoires à l'échelle de la planète et, si nous n'y prenons pas garde, demain, l'eau sera une source permanente de conflits.

J'ai tenu à commencer mon propos par ces quelques éléments fondamentaux, car je considère que l'eau doit être un bien commun pleinement sanctuarisé.

J'en viens à la proposition de loi.

La gestion de l'eau subit une double menace, qualitative et quantitative. Je salue donc le volontarisme de notre collègue Florence Blatrix Contat et du groupe socialiste qui, par cette proposition de loi, se saisissent des enjeux liés à la qualité de l'eau potable.

La contamination des ressources en eau pose un problème sanitaire majeur. Selon le ministère de la santé, en 2022, plus de 10 millions de Français ont été alimentés au moins une fois par de l'eau non conforme aux normes réglementaires relatives aux pesticides et à leurs métabolites.

Quelque 30 % des eaux souterraines sont contaminées par ces résidus et, d'ici à 2027, l'état chimique de 40 % des masses d'eau pourrait ne pas être considéré comme bon. Nous avons tous en tête les conséquences que cela pourrait entraîner sur la santé humaine.

La loi du 3 janvier 1992 sur l'eau a certes créé des périmètres de protection des captages, qui ont été renforcés, en 2006, par l'inscription des aires d'alimentation des captages dans le code de l'environnement. Mais, au regard des chiffres, cela n'est plus suffisant. Il faut donc aller plus loin.

Cette proposition de loi va évidemment dans le bon sens – et bien plus loin que la feuille de route gouvernementale visant à améliorer de la qualité de l'eau par la protection de nos captages, présentée en mars dernier, qui reste bien trop timide à bien des égards.

Je rappelle que 14 300 captages d'eau ont été fermés et que 100 captages sont fermés ou abandonnés chaque année du fait de pollutions non traitables techniquement ou, du moins, à un coût raisonnable.

Abandonner des captages aujourd'hui, c'est renforcer notre dépendance vis-à-vis des captages existants. Or les difficultés liées à l'eau sont dues au manque non pas seulement de ressources, mais aussi de capacités de financement et d'investissement.

Comme cela a été dit, les coûts de prévention sont trois fois moins élevés que les coûts de traitement, lesquels peuvent atteindre jusqu'à 1 milliard d'euros par an et pèsent lourdement sur les collectivités gestionnaires, qui n'ont parfois d'autre choix que de répercuter ces coûts sur les consommateurs.

Si nous voulons embrasser la totalité des enjeux, nous estimons qu'il nous faut changer de paradigme en matière de gestion de l'eau. Nous ne pouvons plus mégoter : l'eau doit être au centre de toutes les attentions, sans exclusion. Lorsque je dis cela, j'ai aussi bien conscience qu'il faut soutenir avec force la filière agricole et créer toutes les conditions pour permettre la conversion solide, pérenne et viable de nos exploitations agricoles. Non seulement l'un ne va pas sans l'autre, mais l'un ne s'oppose pas à l'autre.

Nous sommes tous concernés, car nous avons tous besoin d'une eau de qualité, et chacun ici a conscience qu'il est urgent de trouver une solution durable. Renonçons donc à une vision binaire et éloignons-nous des eaux glacées du calcul égoïste : face à cette crise de l'eau, il nous faut agir collectivement en ayant en tête les générations d'aujourd'hui et de demain.

Comme vous l'aurez compris, mes chers collègues, nous voterons très favorablement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Jacques Fernique. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'avoue ne pas comprendre.

La pollution de l'eau va croissant, les polluants s'accumulent, les captages ferment, les coûts de traitement s'envolent. Aucune politique publique, aucun plan, aucune stratégie ne sont parvenus à renverser cette trajectoire de dégradation. Le réchauffement aggrave et aggravera les tensions.

Et, pourtant, nous devrions aujourd'hui balayer cette proposition de loi, parce qu'il ne faudrait pas être un tant soit peu coercitif, qu'il ne faudrait rien qui ressemble à des contraintes ou à de la régulation ; parce qu'il existe – c'est l'évidence – d'autres sources de pollution que les pratiques agricoles ; parce que de vagues chartes incitatives locales suffiraient ; parce que le salut, enfin, viendrait évidemment d'une énième feuille de route gouvernementale.

Je ne vous comprends vraiment pas, mes chers collègues. N'est-il donc pas possible de trouver collectivement une voie viable pour aller vers une agriculture plus durable dans ces zones vitales pour notre eau potable ?

L'enjeu de la qualité des eaux est donc – il faut s'y faire – verrouillé par les clivages politiques. Aucune dynamique commune ne nous permettra de trouver un nouvel élan pour rompre avec l'inefficacité globale de politiques incitatives limitées, de la superposition de dispositifs illisibles et de vaines stratégies.

J'avais pourtant compris qu'à l'issue de la mission d'information sur la gestion durable de l'eau, menée en 2023, notre chambre avait clairement établi notre échec collectif à préserver la qualité des eaux et acté la nécessité de changer de braquet pour engager une lutte effective et transformatrice contre les pollutions diffuses.

Je croyais que le Sénat avait pris la mesure de l'urgence à agir, qu'il était conscient qu'à défaut, nous placerions les élus locaux, lesquels ont l'obligation de garantir une eau correcte, devant un mur d'investissements et des impasses techniques.

Eh bien non ! Ce changement de braquet n'est manifestement pas pour aujourd'hui. Quel dommage ! Quel gâchis en perspective, alors que, nous le savons, le coût de l'inaction préventive se paie dès maintenant au moins trois fois plus cher en traitements curatifs et que ces traitements seront à l'avenir toujours plus coûteux !

Qu'y a-t-il pourtant de brutal, d'unilatéral, à déployer progressivement une trajectoire de réduction des usages et des stockages de produits phytosanitaires et d'engrais minéraux dans les périmètres de protection immédiats et rapprochés, ceux-là mêmes dont le prélèvement est considéré comme sensible au regard des diagnostics locaux ?

Je rappelle, du reste, qu'à cette trajectoire pourrait se substituer, le cas échéant, un dialogue d'accompagnement territorialisé entre l'exploitant et le gestionnaire chargé de l'eau.

Croyez-vous franchement que, en fixant un objectif d'interdiction complète au bout d'une période de dix ans d'accompagnement progressif et territorialisé et en divisant par dix le montant des amendes encourues, cela contribuera réellement à mettre en péril la viabilité agronomique et économique des exploitations concernées ?

Prenez-vous la mesure, mes chers collègues, de la bombe sanitaire que constitue notre contamination massive au cadmium, sur laquelle les médecins nous ont récemment alertés ? Ce cancérogène présent dans les engrais phosphatés empoisonne nos sols agricoles et nos enfants.

Allons-nous, par notre inaction, laisser prospérer une logique d'affrontement envers les agriculteurs, qui seront bientôt pris en étau entre le nombre massif de plaintes qu'emporteront les conséquences sanitaires de l'inaction, d'une part, et les dures confrontations qui résulteront de la hausse des montants des factures d'eau pour les ménages comme du renchérissement du coût de la gestion pour les collectivités, d'autre part ?

Il est plus que temps que le Sénat retrouve la voie du compromis constructif, à savoir l'accompagnement à un changement qui est nécessaire. C'est ce que prévoit ce texte, dans le même esprit que la proposition de loi visant à protéger durablement la qualité de l'eau potable du député écologiste Jean-Claude Raux, laquelle a passé avec succès le cap de l'examen en commission à l'Assemblée nationale. Telle est la volonté qu'il nous faut retrouver, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michaël Weber. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Michaël Weber. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport conjoint des ministères de l'agriculture, de la santé et de l'environnement constatait l'échec global de la politique de préservation de la qualité des ressources à l'égard des pesticides.

Un même constat d'échec s'impose pour la pollution de l'eau potable aux engrais azotés, en dépit des sept plans consécutifs de lutte contre les nitrates qui se sont succédé depuis plus de trente ans et plusieurs condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, avec un procès toujours en cours. La dégradation de la qualité de l'eau potable est toujours plus alarmante ; elle emporte un risque grave et imminent pour la santé humaine.

La situation est telle que la non-conformité de l'eau destinée à la consommation humaine est quasiment généralisée, les cas les plus critiques se trouvant dans la moitié nord de la France.

Le lien avec certaines pratiques agricoles industrielles étant direct, deux solutions s'offrent à nous pour éviter un scandale sanitaire encore latent.

La première, qui ne règle rien, consiste à relever les seuils réglementaires ou à déroger aux normes sanitaires. Les causes de la pollution ne disparaîtraient pas, elles ne régresseraient pas, mais officiellement, tout serait arrangé, puisque l'eau redeviendrait conforme aux critères de qualité. Il suffit pour cela de déclasser certaines substances, de consentir des dérogations provisoires, ce qui reviendrait à reporter sur les usagers les coûts causés par des actions curatives tardives.

L'autre solution, la seule vraie solution, celle qui fait consensus – cela mérite d'être souligné – tant dans les milieux scientifiques et associatifs que dans les ministères, consiste à préserver en amont les zones de captage en réduisant drastiquement et sans délai l'usage des pesticides et des intrants.

Sans mesures préventives ambitieuses – interdiction de l'usage des pesticides au niveau des points de prélèvement les plus sensibles, généralisation des pratiques culturales à bas niveau d'intrants dans les aires d'alimentation de captage –, la reconquête de la qualité des eaux est tout simplement illusoire.

C'est tout l'objet du texte, porté par ma collègue Florence Blatrix Contat, que nous examinons aujourd'hui et qui fixe des règles strictes, seules à même de préserver la qualité de l'eau face à une pollution bientôt hors de contrôle.

Les exploitants agricoles doivent évidemment être associés à cette réforme et bénéficier d'un appui financier et de conseils techniques et scientifiques pour adapter leurs modes de culture et les rendre plus durables.

S'il est en effet injuste de faire peser sur les agriculteurs le coût de cette politique d'intérêt général, il est encore plus scandaleux de reporter le coût de la pollution sur les ménages et les collectivités en ne faisant rien.

L'interdiction, instaurée en 2020, de pulvériser des pesticides près des habitations découle du même impératif de santé publique. Elle est aujourd'hui bien acceptée.

Certaines pratiques agricoles sont polluantes ; leurs conséquences sur la qualité de l'eau pour la santé humaine et la biodiversité étant graves, ces pratiques doivent être strictement encadrées. En laissant faire ou en cédant à la pression, l'État se rend responsable des préjudices qui sont et seront immanquablement causés par la pollution de l'eau.

Nous venons il y a quelques instants de reconnaître la responsabilité de l'État dans le cas du chlordécone. Ne laissons pas une nouvelle tragédie se produire, mes chers collègues.

En tant que législateurs, nous avons le devoir, vis-à-vis des territoires que nous représentons, de tout faire pour éviter la pollution généralisée de l'eau, qui affecte directement le bien-être et la santé de la population, tout en minant le budget des communes.

Jugée trop exigeante, la proposition de loi a pourtant été rejetée par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, saisie au fond.

Cette commission, qui devrait être le lieu où l'on débat des moyens concrets pour réussir la transition écologique dans les territoires, refuse ainsi de se saisir de ce sujet pourtant crucial pour les collectivités. Si l'enjeu n'émeut pas suffisamment la majorité sénatoriale, celle-ci doit toutefois comprendre que, en ne faisant rien, elle commettrait une faute politique.

À la veille des élections municipales, combien de candidats, de futurs maires, seront interrogés par leurs habitants sur la qualité dégradée de l'eau du robinet, sur l'accroissement des risques de pathologies cancéreuses et neurologiques, de troubles de la reproduction, ou encore sur les risques encourus par les nourrissons et les femmes enceintes qui boiraient cette eau ? Quelle crédibilité accorder à une chambre des territoires qui resterait muette sur les sujets les plus critiques pour les collectivités et la santé de leurs administrés ?

En voulant flatter une part réduite de son électorat, la majorité sénatoriale oublie l'intérêt de la grande majorité de nos concitoyens. Elle commet une erreur grave.

La commission, qui dit souscrire à l'objectif du texte, était en droit et en capacité d'effectuer les rééquilibrages nécessaires. Elle a pourtant rejeté d'entrée de jeu toutes les propositions d'amélioration de son rapporteur Hervé Gillé, comme si, en dépit de l'urgence à agir, le pouvoir législatif préférait procrastiner et fermer les yeux.

Sans émettre aucune autre proposition, la majorité sénatoriale critique un défaut de méthode, un manque de pédagogie et d'anticipation. Elle oublie sans doute ce que cela fait déjà plus de trente ans que s'empilent les plans d'action à base de mesures fondées sur le volontariat qui n'ont permis d'obtenir aucun résultat tangible.

Le texte initial que nous examinons aujourd'hui soulève certes des difficultés reconnues par son auteure, notamment en ce qui concerne le volet relatif à l'accompagnement des agriculteurs ou le champ de l'interdiction, jugé trop large.

Le rapporteur s'est efforcé de rééquilibrer le texte pour mieux concilier prévention et coercition, rendre la réforme plus progressive et encadrer son périmètre. Le groupe socialiste reprendra à son compte les propositions d'amélioration du rapporteur qu'il juge adaptées et qui répondent à une forte attente de la population. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Cédric Chevalier. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Cédric Chevalier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je partage le constat, qui me paraît unanime, selon lequel, malgré des efforts constants et l'empilement des dispositifs réglementaires et normatifs au fil des années, la protection de la qualité de l'eau reste largement insuffisante.

Les pollutions diffuses continuent de se propager, les nappes phréatiques s'épuisent et la préservation de la ressource en eau ne répond pas aujourd'hui à l'ampleur des enjeux environnementaux et climatiques.

Dans le même temps, nos agriculteurs, soumis à une pression normative croissante, font face à une complexité administrative qui devient pour beaucoup étouffante. Ils expriment une lassitude compréhensible, celle de professionnels à qui l'on en demande toujours plus sans leur en donner forcément les moyens ni même les écouter.

À ce constat s'ajoute une inquiétude profonde quant au présent texte. Les mesures prévues, annoncées sans réelle concertation, sont déséquilibrées. Elles risquent d'aggraver la situation de notre monde agricole, déjà fragilisé par les crises successives, l'augmentation des charges, la volatilité des marchés et une reconnaissance sociale de la profession souvent défaillante.

Ajouter une nouvelle couche de contraintes réglementaires dans ce contexte revient à jeter de l'huile sur le feu. C'est alimenter un sentiment d'injustice, voire d'abandon, chez celles et ceux qui nous nourrissent.

La réduction mécanique de la surface agricole entraînera inévitablement des effets directs sur les revenus des exploitations. Or ce sont encore une fois les plus petites structures, les plus vulnérables, qui seront affectées les premières. Ce sont nos territoires ruraux, déjà fragiles, qui verront s'éroder leur activité, leur dynamisme et leur équilibre.

Nous devons regarder cette réalité en face, mes chers collègues : c'est toute la filière agricole qui se trouve ici sous pression, alors même que la souveraineté alimentaire devrait plus que jamais être érigée en priorité nationale.

Il serait également injuste, et contre-productif, de ne pas reconnaître les efforts considérables que nombre d'agriculteurs ont déjà entrepris. Grâce à leur engagement, grâce à l'innovation, à la recherche agronomique, à l'adaptation de leurs pratiques, beaucoup ont su réduire leur usage d'intrants, intégrer les préoccupations environnementales et modifier profondément leur manière de produire.

Il est donc temps de sortir d'une logique qui oppose systématiquement écologie et agriculture, privilégie trop souvent la contrainte à l'accompagnement, et oublie une chose essentielle : la transition écologique ne pourra réussir qu'avec les agriculteurs, jamais contre eux.

Nous devons repenser en profondeur notre manière d'agir. Il nous faut privilégier des politiques transversales, fondées sur la concertation, l'écoute, le soutien technique et financier, et la valorisation des bonnes pratiques. L'accompagnement doit devenir le fil conducteur de notre action publique, car c'est la condition de l'adhésion et de l'engagement durable des acteurs de terrain.

Bien sûr, la contrainte peut être nécessaire, notamment face à des situations de blocage manifeste. Mais ce serait une dangereuse illusion que de croire que la seule contrainte suffirait à tout régler. Une telle approche pourrait même se révéler contre-productive à terme en risquant de démobiliser celles et ceux dont nous avons le plus besoin : les femmes et les hommes qui, chaque jour, cultivent, élèvent, produisent.

Nous le constatons d'ailleurs régulièrement, puisque nous sommes constamment obligés de revenir sur toutes les mesures qui relèvent de l'écologie punitive et qui ont été prises de façon unilatérale et parfois brutale.

Il est indispensable d'associer pleinement les agriculteurs et l'ensemble des acteurs de l'eau à l'élaboration des dispositifs de protection de la ressource. Leur expertise de terrain, leur connaissance fine des écosystèmes, leur capacité d'adaptation sont des atouts précieux. Les exclure de la discussion serait une erreur stratégique majeure.

Par ailleurs, n'oublions pas le contexte : alors que le Gouvernement a engagé un travail de fond sur la protection des captages et que la crise agricole reste vive, il serait irresponsable d'adopter, dans la précipitation, un texte susceptible d'entrer en contradiction avec les orientations à venir. La décision parlementaire doit résulter d'un temps de réflexion équilibrée, et non d'un réflexe de réaction.

En conclusion, j'en appelle à une approche plus juste, équilibrée et responsable, se fondant sur la concertation, l'accompagnement, la justice et l'écoute des réalités de terrain. Oui, protéger l'eau est une nécessité absolue. Mais cela ne peut pas, cela ne doit pas, se faire au détriment de celles et ceux qui nourrissent la France.

Travaillons avec nos agriculteurs, et non contre eux. Ce n'est qu'à cette condition que nous pourrons bâtir ensemble un avenir à la fois durable, cohérent et prospère.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, mon groupe s'opposera à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)