Sommaire
Présidence de Mme Sylvie Robert
Convocation du Parlement en session extraordinaire
Modification de l'ordre du jour
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Renforcer la protection des ressources en eau potable
Rejet d'une proposition de loi
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
(À suivre)
Présidence de Mme Sylvie Robert
vice-présidente
Secrétaires :
M. François Bonhomme,
M. Bernard Buis.
Mme la présidente. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à dix heures trente.)
1
Convocation du Parlement en session extraordinaire
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 11 juin 2025 portant convocation du Parlement en session extraordinaire à compter du mardi 1er juillet 2025.
L'ordre du jour établi de façon prévisionnelle par la conférence des présidents qui s'est réunie hier est ainsi confirmé.
2
Modification de l'ordre du jour
Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l'inscription à l'ordre du jour du mercredi 2 juillet 2025, après la séance de questions d'actualité au Gouvernement, et sous réserve de leur dépôt, de l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur.
Acte est donné de cette demande.
Nous pourrions en conséquence fixer le délai limite d'inscription des orateurs au mardi 1ᵉʳ juillet 2025 à quinze heures.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
3
Victimes du chlordécone
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone (proposition n° 373, texte de la commission n° 687, rapport n° 686).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer. Madame la présidente, monsieur le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, cher Jean-François Longeot, madame la rapporteure Nicole Bonnefoy, mesdames, messieurs les sénateurs, le scandale du chlordécone est une tache dans l'histoire récente de notre pays, une fêlure dans la relation entre l'État et les territoires exposés : la Martinique et la Guadeloupe.
Je veux vous dire mon souhait et mon ambition : avancer dans la reconnaissance des préjudices subis par les victimes du chlordécone.
Nous le savons tous, dans ces territoires, les attentes sont fortes, légitimement fortes. Dans un tel contexte, il importe de ne pas décevoir et, donc, d'aboutir. Trop souvent, dans les outre-mer, les rendez-vous manqués ont nourri l'incompréhension et la défiance. Parfois, ils attisent les tensions.
La colère est compréhensible. Il faut parler de ce scandale et le traiter. Nous ne pourrons pas, malheureusement, revenir en arrière. Cependant, cette colère ne doit pas être un frein à l'action.
Nous ne devons donc pas manquer ce rendez-vous. Aux Antilles, les conséquences du chlordécone renvoient à un enjeu de cohésion et éprouvent le pacte social. Elles affectent la relation entre les territoires concernés et l'Hexagone, l'État, Paris.
On ne saurait réduire le sujet à sa dimension sanitaire ni à une question d'indemnisation, même si, évidemment, ces enjeux sont importants.
Si la posture du gouvernant ou du législateur induit parfois – logiquement ! – une forme de distance vis-à-vis des affects, il me semble en l'espèce nécessaire – en même temps, si j'ose dire – de comprendre les émotions et de mesurer les colères.
Pour lutter contre les conséquences du chlordécone, le Gouvernement agit.
La stratégie interministérielle de lutte contre le chlordécone 2021-2027, ou plan chlordécone IV est ambitieuse. Elle produit des résultats, et je veux ici saluer la directrice de projet chargée de sa coordination, Mme Edwige Duclay, ainsi que ses équipes.
Tous mes interlocuteurs aux Antilles louent l'important travail mené pour coordonner l'action des neuf ministères impliqués, aux côtés des préfets et des agences régionales de santé (ARS).
Cette stratégie se traduit par une quarantaine de mesures concrètes, que je veux rappeler. En trois ans de déploiement du plan, les crédits engagés ont été nettement supérieurs à la totalité des dépenses du précédent plan.
Les analyses de sang – la chlordéconémie – sont gratuites. Près de 42 500 dosages sanguins ont ainsi été réalisés.
Des analyses de sol sont également proposées gratuitement et des conseils adaptés sur l'alimentation et le jardinage sont fournis à tous ceux qui le souhaitent. Ainsi, depuis 2021, près de 12 000 analyses de sol ont été effectuées en Martinique et en Guadeloupe.
Autre résultat de notre stratégie, 98,2 % des denrées alimentaires contrôlées sont déclarées conformes et propres à la consommation.
En cas de nécessité, le surcoût du traitement de l'eau potable est pris en charge par l'État, dans le cadre d'une enveloppe annuelle dédiée. L'eau potable est conforme à 100 % en Martinique et à 97,4 % en Guadeloupe.
Plus de 300 éleveurs bovins ont fait l'objet d'un accompagnement en 2024 et une aide financière a été sollicitée pour 170 animaux en 2025. J'ai pu le constater moi-même il y a quelques mois, en Martinique notamment. Enfin, nous aidons également 800 pêcheurs.
Toutes nos actions – je viens de l'illustrer – visent un objectif : permettre aux populations antillaises de vivre sans risque chlordécone.
Beaucoup ignorent encore que le chlordécone s'élimine naturellement du corps lorsque l'on cesse de consommer des aliments contaminés, l'exposition étant – je ne vous l'apprendrai évidemment pas, mesdames, messieurs les sénateurs – essentiellement alimentaire.
Il est également possible de cultiver des produits non contaminés sur des sols pollués et d'élever des bovins de manière à éviter la contamination. Par ailleurs, on me l'a encore montré récemment, des aides existent pour accompagner ces pratiques.
L'État agit et il continuera à agir.
L'objectif « zéro risque » chlordécone est ma boussole. Son atteinte dépend des habitudes des habitants et, donc, d'un travail d'information et de sensibilisation qui sera plus que jamais poursuivi.
Il reste un besoin à satisfaire : il faut un acte solennel de reconnaissance. Traiter avec diligence et efficacité les conséquences du chlordécone doit s'accompagner d'une triple reconnaissance : celle des causes, celle des faits et celle des victimes.
Le Président de la République a prononcé des mots forts en ce sens au Morne-Rouge, le 27 septembre 2018 : « Au fond, pendant des années, pour ne pas dire des décennies, nous avons collectivement choisi de continuer à utiliser la chlordécone, là où d'autres territoires avaient cessé beaucoup plus tôt. Nous l'avons fait aussi parce que l'État, les élus locaux, les acteurs économiques ont accepté cette situation, pour ne pas dire l'ont accompagnée pendant cette période. »
Depuis cette déclaration, plusieurs initiatives parlementaires ont vu le jour. Je pense à la proposition de loi du sénateur Dominique Théophile, examinée ici même en avril dernier.
M. Patrick Kanner. Elle a été retirée !
M. Manuel Valls, ministre d'État. Je pense évidemment à la présente proposition de loi, déposée à l'Assemblée nationale par Elie Califer, et adoptée en février 2024, à l'époque contre l'avis du Gouvernement.
J'ai œuvré personnellement pour que les lignes bougent et que nous avancions, car, je le répète, il est temps que la reconnaissance de la responsabilité de l'État figure dans la loi.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé un amendement visant à reconnaître la responsabilité de l'État pour l'ensemble des préjudices subis.
Nous aurons l'occasion d'aborder la question du préjudice moral d'anxiété. Je ne veux pas fuir ce débat, qui dépasse le seul cadre juridique.
Je rappelle tout de même que l'État a été condamné par la cour administrative d'appel de Paris en mars dernier et que d'autres procédures sont en cours. En outre, le pourvoi qu'a formulé l'État doit permettre de sécuriser une jurisprudence au plus haut niveau de la justice administrative.
Je vous le dis franchement, je ne veux pas pinailler : je veux réaffirmer la responsabilité de l'État. Une décision du Conseil d'État doit permettre de consolider le dispositif d'indemnisation sur le plan juridique.
Je vous confirme donc – je le dis pour la troisième fois ! – que l'État reconnaît pleinement sa responsabilité. La clarté est la condition de la confiance. Je veux donc être très clair.
Par souci de cohérence, je vous indique que je soutiendrai l'amendement n° 2 rectifié du sénateur Frédéric Buval, qui vise à la reconnaissance, non pas d'une « part de responsabilité », mais de la pleine responsabilité de l'État.
Comme l'a rappelé le Président de la République, l'État n'est pas le seul responsable, mais il assume pleinement sa responsabilité propre. Ce sont les propriétaires des bananeraies qui ont répandu le chlordécone, mais c'est bien l'État qui a accordé des autorisations de vente d'insecticides à base de chlordécone. Cela doit être dit.
Pendant des années, ne pas le reconnaître a été une offense faite aux populations de Martinique et de Guadeloupe. Je m'interroge d'ailleurs : pourquoi ne l'a-t-on jamais fait avant ? Je souhaite que cette reconnaissance figure dans la loi.
Cette proposition de loi représente ainsi une étape importante. Elle témoignera du regard lucide de l'État sur les faits et sur sa responsabilité, grâce à l'initiative des parlementaires. Elle marquera également une avancée majeure en faveur de la reconnaissance et de l'accompagnement des victimes du chlordécone.
Pour autant, elle ne doit évidemment pas marquer la fin des travaux. Cela vaut pour les trois dimensions indissociables de la stratégie chlordécone : informer les citoyens sur les risques, protéger la santé des habitants et réparer les préjudices liés à la contamination.
Nous devons mieux protéger aujourd'hui. Nous devons aussi mieux réparer le passé. À cet égard, je veux prendre des engagements nouveaux.
Voilà quelques semaines, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi de Dominique Théophile, dont je salue le travail, même s'il a fini par retirer son texte, le Gouvernement s'était engagé à ouvrir une nouvelle voie d'indemnisation pour les personnes souffrant d'une maladie résultant d'une contamination en dehors de l'activité professionnelle.
Aujourd'hui, seules les victimes malades ayant été contaminées dans le cadre de leur travail peuvent être indemnisées, via le fonds d'indemnisation des victimes de pesticides (FIVP). Les autres, les victimes « non professionnelles », elles, n'y ont pas droit.
Les prendre en compte répond à une exigence d'équité. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins, et moi-même y sommes attachés. Afin de concrétiser notre volonté commune, nous avons mobilisé nos administrations respectives en ce sens. Depuis le 9 avril dernier, les travaux avancent bien ; ils se poursuivront.
Pour aboutir, il nous appartient de déterminer l'entité ayant vocation à indemniser les victimes non professionnelles. Il faudra définir quelles en seront les modalités de gestion, quel en sera le cadre et quelle sera l'articulation avec le dispositif existant pour les victimes professionnelles.
C'est un travail long, qui, pour être efficace, requiert de la précision et de l'expertise. C'est pourquoi nous finaliserons au cours des semaines à venir les contours d'une mission inter-inspections dédiée. Elle devra évidemment travailler selon un certain rythme.
Mon objectif est simple : que la reconnaissance par l'État de sa responsabilité permette aussi l'indemnisation des victimes non professionnelles, en l'occurrence selon les modalités que la mission déterminera.
Je souhaite que nous soyons prêts techniquement. Les incertitudes relatives à la gestion administrative de ce dossier ne doivent pas faire obstacle à la concrétisation de notre volonté politique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à vous tenir informés de l'avancée des travaux annoncés, et j'aurai l'occasion d'y revenir à l'occasion de la discussion des amendements.
En synthèse, le Gouvernement soutient l'initiative qui a prévalu à l'élaboration de ce texte.
Mon propos a toutefois pour objet de vous présenter ce qui, au-delà de cette proposition de loi, constitue notre ambition : l'objectif « zéro risque » chlordécone et la stratégie dédiée qui se déploie dans les territoires, la reconnaissance de la responsabilité de l'État et, enfin, l'ouverture d'une nouvelle voie d'indemnisation.
Ce travail n'effacera pas la tache dans notre histoire commune que constitue le scandale du chlordécone. Mais il contribuera, je l'espère très sincèrement, à l'écriture collective d'un nouveau chapitre fondé sur la confiance et le respect mutuels. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE. – Mme Catherine Conconne et M. Patrick Kanner applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Solanges Nadille et Jocelyne Antoine, ainsi que M. Jacques Fernique applaudissent également.)
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons ce matin la responsabilité immense de marquer d'une pierre blanche, en les reconnaissant, les lourds préjudices subis par les populations de Guadeloupe et de Martinique, en raison de l'utilisation prolongée, entre 1972 et 1993, du produit toxique bien connu sous le nom de chlordécone.
Voilà deux mois presque jour pour jour, notre assemblée examinait le texte de notre collègue Dominique Théophile, qui visait, d'une part, à reconnaître la responsabilité de l'État dans les préjudices subis et, d'autre part, à instaurer un solide mécanisme de réparation des victimes du chlordécone.
L'auteur de la proposition de loi avait fait le choix de la retirer après que son article 1er avait été modifié. Dans l'hémicycle régnait alors un sentiment mêlé de gâchis et de remords. Nous avions l'impression d'avoir tourné le dos aux populations victimes des Antilles françaises.
C'est ce sentiment amer et ce goût d'inachevé qui ont conduit mon groupe à demander de nouveau l'inscription d'un texte visant à reconnaître la responsabilité de l'État dans les dommages subis par les populations guadeloupéenne et martiniquaise.
L'objectif de ce texte, adopté par l'Assemblée nationale en février 2024, me semble tout à fait fondamental. Il s'agit de reconnaître et d'admettre la responsabilité de l'État dans cette contamination des populations et dans cette pollution massive des sols et des eaux des territoires de Guadeloupe et de Martinique.
Ce texte, par sa nature et sa portée, diffère de la proposition de loi de notre collègue Théophile, examinée deux mois plus tôt. En effet, il ne crée pas de mécanisme de réparation intégrale ad hoc pour toutes les populations exposées au chlordécone ; il n'institue pas davantage de nouvelle autorité administrative indépendante.
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui se concentre sur l'essentiel : le symbole que constitue la reconnaissance, mais aussi la recherche et la science, pour continuer à approfondir nos connaissances sur le phénomène et son incidence sur les populations.
Pierre angulaire de la présente proposition de loi, l'article 1er reconnaît la part de la responsabilité de l'État pour quatre chefs de préjudice.
Premièrement, les préjudices sanitaires ne font aucun doute. Au travers des auditions que j'ai menées auprès de représentants de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), j'ai pu mesurer l'étendue des dégâts sanitaires causés à la population.
La pollution des sols affecte en effet la totalité de la chaîne alimentaire, et notamment les circuits locaux de l'agriculture ou de la pêche. Mais la pollution touche aussi les légumes racines, qui, dans certaines zones, sont largement imprégnés de chlordécone.
Ces dommages sanitaires sont nettement objectivés par les chiffres : 95 % de la population de la Guadeloupe et de la Martinique présente des traces de chlordécone dans le sang.
Deuxièmement, le préjudice moral d'anxiété correspond à la crainte de développer une pathologie en raison d'une vie passée dans un environnement malsain et contaminé, tout en ayant conscience de consommer, aujourd'hui comme demain, des aliments présentant des traces du pesticide et, surtout, tout en sachant que ce produit toxique est un accélérateur de pathologies notamment cancérigènes.
Cette notion peut sembler floue et complexe, mais elle est communément maniée par le juge administratif lorsqu'il est saisi d'une action en reconnaissance de responsabilité ou d'un recours pour une demande de réparation. À cette occasion, il est amené à procéder, par une appréciation fine, dite in concreto, à l'examen de l'ensemble des pièces que lui soumet une personne s'estimant victime de ce préjudice.
Le juge recourt à cette notion avec précaution. Saisie par près de 1 300 requérants au sujet du chlordécone en mars 2025, la cour administrative d'appel de Paris a ainsi admis ce préjudice pour seulement neuf d'entre eux.
Troisièmement, le préjudice environnemental demeure au stade du développement jurisprudentiel. Si cette notion n'est pas parfaitement balisée, elle connaît un certain essor devant les juridictions de droit commun. Le tribunal administratif de Paris a ainsi admis le préjudice environnemental en 2021, dans le cadre de la célèbre « affaire du siècle ».
Dans le cas du chlordécone, la pollution ne fait que peu de doute : les sols, bien sûr, mais aussi les nappes phréatiques, les eaux de surface et les espaces maritimes à proximité des îles présentent des traces de la molécule.
Quatrièmement, le préjudice économique constitue une perte de gains pour celui dont l'activité marchande est affectée. C'est bien évidemment le cas des pêcheurs et des agriculteurs, sur lesquels pèsent des normes sanitaires drastiques.
À cet égard, dans le cadre du plan chlordécone IV, les pêcheurs et les agriculteurs peuvent bénéficier d'une compensation de ces pertes financières.
Le texte que nous examinons ce matin a été modifié par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, dont je remercie le président pour ses qualités d'écoute et de dialogue.
La commission a souhaité préciser les contours de la responsabilité de l'État, non pas en la circonscrivant pour en réduire la portée symbolique et pratique, mais plutôt pour s'inscrire dans une démarche constructive de recherche de coresponsabilités.
Face à ce scandale sanitaire et environnemental, comme pour d'autres avant lui – je pense notamment au scandale de l'amiante –, l'État ne saurait être regardé comme le seul et l'unique responsable.
Pour autant, a-t-il permis l'utilisation du chlordécone en autorisant administrativement son utilisation en Guadeloupe et en Martinique pour lutter contre un ravageur ? Oui, c'est absolument incontestable.
Est-il le seul à avoir souhaité l'utilisation de ce pesticide ? Je ne le crois pas. Les exploitants agricoles et les industriels producteurs de chlordécone à l'époque doivent aujourd'hui faire face à leurs responsabilités.
Il serait en effet trop facile de se ranger derrière l'État et de lui imputer l'ardoise de toutes ses erreurs passées. Le moment venu, il reviendra à la justice d'identifier les coresponsables de cette contamination et de cette pollution.
Sur mon initiative, la commission a également cherché à renforcer la recherche à destination des femmes, afin de faire état des contaminations qu'elles subissent.
Au sujet de la place des femmes dans l'histoire, Marguerite Yourcenar évoquait, dans son discours de réception à l'Académie française, « une troupe invisible de femmes ».
Parfois contaminées au chlordécone, les femmes sont pourtant demeurées invisibles sous les lumières de la science, réduites, dans le cadre de la réponse de l'État à la contamination, à de simples ombres chinoises.
Il est désormais urgent de changer de braquet et d'approfondir les investigations sur les pathologies directement subies par les femmes. L'objectif est qu'elles puissent bénéficier, elles aussi, le cas échéant, d'un mécanisme de réparation comparable à celui dont profitent les hommes au travers du FIVP.
Sans la science, il n'y a pas d'objectivation ; or, sans objectivation, aucune perspective d'indemnisation sérieuse et robuste n'est envisageable. L'enjeu est donc immense !
Mes chers collègues, je tiens à souligner que les travaux que j'ai menés au nom de la commission m'ont également permis de prendre la pleine mesure de l'investissement de l'État dans la lutte contre les effets de cette molécule dans les Antilles françaises.
Le plan chlordécone IV constitue une réponse significative, certes encore insuffisante, mais sans commune mesure avec les précédentes versions de ce dispositif. Il marque un effort plus structuré, avec un accent porté sur l'ensemble de la chaîne de la contamination : prévention, recherche et accompagnement des victimes.
J'appelle votre attention sur ce dernier point. L'association Phyto-Victimes – que je connais très bien –, présente en Martinique et depuis peu en Guadeloupe, joue un rôle d'orientation et d'accompagnement des personnes contaminées et potentiellement éligibles au FIVP.
Or cette association m'a alertée sur des risques de coupes budgétaires qui pourraient mettre en péril son action en faveur de ces territoires à partir de 2026. Le Gouvernement peut-il nous apporter la garantie que les crédits destinés à financer l'action de Phyto-Victimes dans ces territoires seront maintenus ?
Mes chers collègues, nos compatriotes ultramarins nous regardent et comptent sur nous pour avancer sur ce long chemin de la reconnaissance et du symbole.
Les modifications apportées par la commission permettent d'aboutir à un texte équilibré, qui reconnaît les souffrances et les préjudices subis par les populations des Antilles françaises.
Le Parlement est, avec le chef de l'État, le seul à même d'universaliser, en les reconnaissant, les souvenirs douloureux et les peurs du présent. Il me semble que ce pas en avant ferait l'honneur de notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Teva Rohfritsch applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux mois après l'examen de la proposition de loi déposée par Dominique Théophile et les membres du groupe RDPI, nous voici de nouveau réunis pour examiner un texte sur le sujet grave et important de l'usage du chlordécone aux Antilles.
Je profite de l'occasion pour saluer de nouveau le travail effectué par notre collègue Nadège Havet, rapporteure en avril dernier du texte que je viens de mentionner, un travail difficile sur un sujet si délicat.
Cette fois-ci, il s'agit d'une proposition de loi adoptée en janvier 2024 à l'Assemblée nationale.
Pour celles et ceux qui n'auraient pas suivi le débat précédent, je rappelle que le chlordécone est un pesticide utilisé pendant plus de vingt ans dans les bananeraies aux Antilles, notamment en Guadeloupe et en Martinique, du début des années 1970 au début des années 1990.
Le premier problème est que pesticide a une rémanence particulièrement forte : les nappes phréatiques et la chaîne alimentaire sont contaminées par la molécule pour plusieurs siècles.
Les personnes sont également contaminées : ainsi, plus de 90 % des Antillais ont cette molécule dans leur sang. Si, pour certains, le taux de chlordécone relevé est insuffisant pour être dangereux, pour d'autres, la contamination se traduit par des troubles neurologiques, des problèmes d'infertilité, des cancers et même des malformations congénitales pour les enfants exposés in utero.
Je rappelle ce chiffre effrayant : le taux d'incidence des cancers de la prostate est deux fois supérieur dans les Antilles à celui constaté dans l'Hexagone.
Un autre problème fait du sujet du chlordécone un véritable scandale : l'État savait.
Il a sciemment autorisé l'utilisation d'un produit dont plusieurs rapports ont reconnu, puis confirmé très tôt sa dangerosité, dans les années 1970 et dans les années 1980. Je rappelle que les États-Unis avaient interdit ce produit dès 1976, précisément pour cette raison. Il s'agit donc non pas d'un accident, mais de décisions administratives prises en connaissance de cause.
Même après l'interdiction tardive du produit, en 1990, une dérogation sera encore accordée pour les Antilles jusqu'en 1993.
Les responsabilités dans ce scandale n'ont jamais été clairement reconnues et cette lacune ne contribue nullement à apaiser la colère, légitime, des nombreuses victimes.
Enfin et surtout, le problème est que toutes les victimes n'ont pas obtenu réparation des dommages causés par leur exposition au chlordécone.
Certes, certaines d'entre elles ont pu bénéficier d'un système d'indemnisation : depuis 2021, le cancer de la prostate est reconnu comme maladie professionnelle chez les travailleurs de bananeraies qui ont été exposés au pesticide. Une indemnisation est également possible pour les enfants qui y ont été exposés in utero et qui présentent certaines pathologies.
Il serait toutefois hypocrite, et surtout injuste, de ne pas reconnaître les pathologies liées au chlordécone dont souffrent les victimes qui n'entrent dans aucune de ces catégories.
En effet, comme le rappelait Mme la rapporteure, les femmes ne peuvent pas obtenir réparation sur le fondement des mécanismes existants.
C'est pourquoi nous nous réjouissons sincèrement de l'amendement adopté en commission, qui vise à fixer comme objectif la recherche de pathologies développées par les femmes en raison d'une exposition au chlordécone. C'est le minimum que nous leur devons.
Le texte prévoit aussi la reconnaissance de la responsabilité de l'État dans les préjudices subis, responsabilité devenue en commission la « part de » responsabilité. Sur ce point, notre groupe soutient l'idée selon laquelle la responsabilité est partagée entre une multitude d'acteurs, y compris au niveau local. Si l'État savait, il n'était pas le seul, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre.
Enfin, ayons l'honnêteté de le dire, cette proposition de loi a une portée symbolique. « L'État s'assigne pour objectif » n'est pas une formule juridiquement très engageante.
Aussi, nous voterons ce texte, tout en espérant qu'elle trouvera rapidement une traduction beaucoup plus concrète. Les victimes ont besoin non pas de promesses, mais d'actes. (M. le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ. (M. Jean-Marc Delia applaudit.)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd'hui à nous exprimer sur un sujet d'une gravité sanitaire, environnementale et humaine majeure : la pollution persistante au chlordécone en Martinique et en Guadeloupe.
Ce pesticide hautement toxique, utilisé pendant plus de vingt ans dans les bananeraies antillaises, a laissé une trace indélébile sur ces territoires, constituant un dossier exemplaire de défaillance systémique.
Nous avons désormais la responsabilité d'apporter une réponse structurelle et juste à cette crise, et de pallier la carence de l'État, qui a été pour le moins peu diligent, que ce soit en matière de mesures de précaution comme de reconnaissance officielle.
Cela passe à la fois par la science, par le droit, et par une volonté politique sans ambiguïté. Mais il est tout aussi nécessaire de replacer cette affaire dans son contexte historique et territorial.
L'usage du chlordécone débute en 1972 dans les Antilles françaises, alors que la banane constitue la principale ressource économique locale. La filière est confrontée à un ravageur redoutable, le charançon du bananier, qui menace la viabilité de nombreuses exploitations.
Le chlordécone, qui bénéficie déjà d'autorisations aux États-Unis, apparaît alors comme le seul produit efficace disponible. Il est homologué en France malgré des signaux d'alerte encore peu exploités.
Dans les années 1970 à 1990, la toxicité à long terme de la molécule est insuffisamment prise en compte. Des suspensions ont lieu, suivies de dérogations, jusqu'au retrait définitif du produit en 1993.
Cela n'excuse pas les manquements graves dans la gestion de la crise ni l'inaction administrative qui s'en est suivie, mais cela invite à nuancer le récit d'une décision cynique ou pleinement consciente.
L'État a certes failli, mais dans un contexte où les connaissances, les urgences économiques et les logiques agricoles de l'époque ont pesé lourdement sur les choix politiques.
Ce débat s'inscrit dans le prolongement d'une action publique ancienne. Dès 2008, c'est François Fillon, alors Premier ministre, qui lança le premier plan chlordécone à la suite des travaux parlementaires conduits sous la précédente majorité. Ce fut le point de départ d'une politique structurée en matière de dépollution, de recherche et de prévention sanitaire.
Le quatrième plan, en cours jusqu'en 2027 et doté d'un budget réévalué à 130 millions d'euros, soit un montant supérieur à celui des trois plans précédents cumulé, est aujourd'hui le fer de lance de la politique publique du Gouvernement pour réduire l'exposition de la population à ce pesticide.
Rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur les crédits relatifs à la mission « Cohésion des territoires » depuis 2017, je m'exprime chaque année sur ces différents plans chlordécone qui font partie de mon périmètre d'examen au titre du programme 162 « Interventions territoriales de l'État », dit Pite.
C'est l'occasion pour moi d'insister – l'ensemble de mes collègues concernés par ce sujet le savent – sur le rôle central et incisif du Sénat dans la construction, la sécurisation et l'évaluation de ces plans.
Nous n'avons pas hésité, en ce qui concerne le dernier plan, à user de nos prérogatives budgétaires et législatives pour défendre la stabilité des moyens financiers, améliorer la gouvernance, accélérer l'exécution sur le terrain et garantir que les victimes soient reconnues. Nous n'avons pas non plus hésité à endosser un rôle de vigie sur l'exécution réelle des crédits, dénonçant un gaspillage potentiel dans le cas où ceux-ci ne sont pas consommés. Enfin, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a largement alerté sur les manques en matière de recherche, de transparence et de pilotage.
Vous pouvez le constater, ce sujet est loin d'être délaissé par le Sénat.
Certes, ces plans témoignent d'une réelle action de l'État, mais est-ce suffisant ?
En tout état de cause, la réponse à apporter est largement perfectible et doit indéniablement s'inscrire dans une dimension globale et compatissante.
Je le dis ici avec gravité : la République ne peut pas rester sourde à cette souffrance. Elle ne peut pas se retrancher derrière le mur du temps ou les complexités juridiques. Compte tenu de l'enjeu pour nos territoires, l'action de l'État doit être objectivée et beaucoup plus efficace.
La proposition de loi que nous examinons ce jour nous en offre en partie l'occasion, même si nous regrettons le choix de recentrer le dispositif autour de la reconnaissance symbolique de la responsabilité de l'État et des différents objectifs de réparation.
Je ne reviendrai pas sur les dernières péripéties législatives et m'en tiendrai à ce à quoi cette proposition de loi contribuera. À ce titre, le positionnement de Mme la rapporteure emporte globalement notre adhésion, notamment parce qu'elle reconnaît que l'État a sa part de responsabilité, tout en laissant ouverte la détermination de coresponsabilités possibles, et parce qu'elle souhaite renforcer la recherche à destination des femmes exposées au chlordécone.
En revanche, concernant la reconnaissance d'un préjudice moral d'anxiété, telle qu'elle a pu être dégagée par la jurisprudence administrative, il nous semble que les propositions du Gouvernement sont plus adaptées.
En conclusion, parce que les territoires ultramarins ne doivent plus être les angles morts de la République, parce que le devoir d'équité territoriale, de santé publique et de transparence s'impose à tous les gouvernements, quels qu'ils soient, parce qu'il est temps que l'État tienne enfin ses engagements et parce qu'il est primordial de rétablir la confiance, le groupe Les Républicains, au nom duquel j'interviens aujourd'hui, votera en faveur de la proposition de loi telle qu'elle a été modifiée en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Buval. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Frédéric Buval. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à titre liminaire à saluer mon collègue Dominique Théophile, dont le courage politique concernant le scandale de la pollution des sols par le chlordécone aux Antilles guidera – je l'espère – nos travaux d'aujourd'hui.
Nous voici donc de nouveau réunis dans ce même hémicycle, à quelques semaines d'intervalle, pour débattre et enfin réparer l'une des plus grandes injustices de ce siècle. Réparer une injustice, ce n'est pas un acte de charité : c'est une obligation républicaine !
Là où l'État a failli, il doit maintenant assumer. Oui, assumer ! C'est si simple et si difficile à la fois : mes chers collègues, il ne suffira pas de mots creux ou de poches vides, car il est question, ici et maintenant, de rendre à chacun ce que la faute publique lui a arraché.
Édouard Glissant nous dirait : « Je meurs encore, vous qui passez… Ce n'est pas la mort que je crains, mais qu'elle me soit volée. »
Refuser de regarder en face le scandale du chlordécone, c'est comme refuser d'amputer une jambe gangrenée, une plaie béante qui empoisonne l'ensemble du corps social.
Le chlordécone est un poison lent qui n'est pas seulement dans les eaux et dans les terres : il coule dans nos veines, dans nos silences, dans nos regards baissés, dans nos pleurs, dans nos deuils. Comme toute gangrène, s'il n'est pas stoppé, immédiatement et définitivement, sans équivoque et sans faux-semblant, il rongera jusqu'à l'âme de notre pays.
Nous ne pouvons fuir plus longtemps nos responsabilités, car plus de 90 % de la population de la Guadeloupe et de la Martinique est contaminée par ce pesticide.
Ce pesticide rémanent, autorisé en toute connaissance de cause, a traversé les nappes phréatiques, les aliments et les utérus et le fera encore durant des centaines d'années. Il s'avère aujourd'hui que la Martinique détient un triste record : elle occupe le premier rang mondial en termes d'incidence du cancer de la prostate. Il y a des milliers de malades, des morts, et des générations entières y sont encore exposées quotidiennement.
Ce scandale sanitaire et environnemental est clairement un scandale d'État, car l'État savait et il a laissé faire ! Le principe de précaution fut piétiné, le droit à la santé ignoré, l'égalité républicaine bafouée.
Mes chers collègues, nous ne pourrons plus longtemps nous exonérer collectivement de la responsabilité totale de l'État dans les préjudices causés par l'autorisation de l'usage prolongé du chlordécone aux Antilles.
Nous le devons à nos compatriotes des Antilles, puisque la toxicité du chlordécone était déjà connue des pouvoirs publics depuis 1968, soit quatre longues années avant l'autorisation officielle accordée par l'État français en 1972.
Cette autorisation, accordée à titre dérogatoire, a été reconduite plusieurs fois par les autorités administratives et sanitaires françaises, pendant plus de vingt ans, et ce malgré la grande grève agricole en Martinique en 1974, malgré l'incident survenu dans une usine en Virginie et l'interdiction du chlordécone dès 1976 aux États-Unis, malgré les mises en garde répétées des scientifiques concernant le chlordécone, reconnu dès 1979 comme perturbateur endocrinien, probablement cancérigène.
Parallèlement à ses conséquences sanitaires, cet écocide affecte aussi l'activité économique et sociale, que ce soit dans le secteur agricole ou pour la pêche.
De plus, en l'absence de réponse politique, des associations militantes se sont lancées dans un marathon judiciaire qui n'apportera pas la reconnaissance politique et symbolique attendue par toutes les victimes et réclamée par la population entière.
Cette proposition de loi s'inscrit dans la suite de travaux législatifs menés précédemment ; je pense notamment au texte déposé par mon collègue du groupe RDPI, qui a permis des avancées supplémentaires pour le plan chlordécone IV, dont le budget a augmenté ces dernières années, mais qu'il convient de sanctuariser dans la loi.
D'autres avancées sont aussi à souligner depuis 2020, en particulier la reconnaissance de maladies professionnelles liées à l'exposition au chlordécone.
Cependant, en raison de la lourdeur dans la constitution des dossiers d'indemnisation, seuls cent cinquante dossiers ont été reçus à ce jour. Il convient donc de simplifier les procédures et d'accompagner davantage les victimes d'une maladie professionnelle.
À l'instar du dernier rapport sénatorial sur le chlordécone, le groupe RDPI appelle à aller plus loin. Il a d'ailleurs déposé des amendements que nous vous proposons de voter.
Tout d'abord, en matière de soins, nous vous proposons d'adopter, pour les Antilles, des dispositions spécifiques relatives aux soins oncologiques, afin de faciliter les traitements du cancer de la prostate, et à destination des femmes ouvrières agricoles dont les cancers du sein ou de l'utérus ne sont toujours pas reconnus comme maladie professionnelle.
Ensuite, en matière de recherche sur les possibilités de dépollution et sur l'objectif de « zéro chlordécone » dans l'alimentation, nous souhaitons améliorer la communication en faveur des populations des Antilles, mais aussi vis-à-vis de la diaspora de l'Hexagone concernant la gratuité des tests sanguins.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Frédéric Buval. Quelle peut être la portée d'une reconnaissance de la responsabilité de l'État si l'on ne prévoit pas les modalités d'indemnisation ?
L'heure est grave, l'histoire nous regarde. Alors que les extrêmes sont à nos portes, nous devons voter cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Grosvalet. (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE.)
M. Philippe Grosvalet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « nous ne pouvons pas écrire un texte qui exclut ce que nous avons déjà gagné en justice ». Ces mots justes de notre collègue Dominique Théophile illustrent pleinement ce qu'attendent de nous les populations antillaises à propos de la responsabilité de l'État dans le scandale politique qu'a été le chlordécone.
Il y a deux mois, nous examinions dans cette assemblée un texte qui, malgré l'attente forte qu'il a suscitée aux Antilles, a connu une regrettable mésaventure et n'a pu être voté. Or il nous faut bien trouver une voie pour la reconnaissance de la responsabilité de l'État dans cette affaire.
En somme, il s'agit de ne pas rester au milieu du gué, entre une attente forte des populations locales et la décision de la cour administrative d'appel de Paris reconnaissant, le 11 mars dernier, la responsabilité de l'État, lequel « a commis des fautes en accordant des autorisations de vente d'insecticides à base de chlordécone, en permettant leur usage prolongé, en manquant de diligence pour évaluer la pollution liée à cet usage, y mettre fin, en mesurer les conséquences et informer la population touchée ».
Ce scandale politique, qui a nourri une profonde défiance des populations antillaises, continue d'affecter la vie de nos concitoyens.
C'est tout d'abord le cas en matière environnementale, avec des eaux et des terres encore contaminées par un pesticide qui agit pendant sept cents ans dans la nature.
C'est ensuite le cas en matière sanitaire, avec des risques d'exposition qui n'ont pas disparu et qui suscitent encore une forte crainte des populations quant au développement de pathologies graves. Je tiens d'ailleurs à remercier ici la commission, qui a requalifié la notion de préjudices « moraux », en préjudices « moraux d'anxiété » afin d'intégrer dans la loi la qualification dégagée par la jurisprudence administrative.
C'est enfin le cas en matière économique, avec les secteurs de la pêche, de l'agriculture et de l'alimentation, qui ont été lourdement touchés et sur lesquels pèsent aujourd'hui des normes sanitaires drastiques.
Tout cela nous oblige à trouver une issue politique pour les victimes, les territoires, les acteurs économiques concernés et les élus locaux, qui doivent gérer au premier chef les conséquences dramatiques du chlordécone sur leur territoire.
Cette proposition de loi, adoptée à l'unanimité en commission, ce dont je me réjouis au nom du groupe du RDSE, apparaît mieux calibrée pour apporter une reconnaissance pleine et entière aux victimes du chlordécone et orienter l'action de l'État vers des mesures réparatrices sur les plans environnemental, sanitaire et économique.
En particulier, je souhaite évoquer l'excellente avancée introduite en commission sur la recherche à destination des femmes pour mieux déterminer l'existence d'un lien causal entre la survenue d'une pathologie et la contamination au chlordécone.
En revanche, nous resterons particulièrement vigilants sur le volet indemnitaire. L'objectif d'indemnisation de « toutes » les victimes, inscrit au cinquième alinéa de l'article 1er, ne doit pas rester lettre morte. Parce que les mots ont un sens, l'État devra vraiment se donner les moyens d'atteindre cet objectif.
Les populations antillaises ont mené un long combat de dix-huit années pour la juste reconnaissance du préjudice subi. Souhaitons qu'elles n'aient pas à en mener un second, ici au Parlement, pour la reconnaissance des réparations auxquelles elles ont droit et que nous leur devons.
Le groupe du RDSE votera – évidemment ! – pour ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'interviens en ma qualité d'orateur du groupe Union Centriste, et non en tant que président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
Je salue tout d'abord l'initiative de nos collègues socialistes d'avoir inscrit ce texte dans leur espace réservé. Son examen nous donne l'occasion de débattre pleinement sur un sujet d'une importance majeure : la reconnaissance de la responsabilité de l'État dans les dommages et les pollutions subis par les habitants des Antilles françaises.
Parler de scandale lorsque l'on évoque l'histoire du chlordécone n'est pas une hyperbole. Les conséquences de l'utilisation de ce pesticide pendant près de vingt ans, à la fin du siècle dernier, sont vives aujourd'hui et continueront à l'être encore longtemps pour les populations et pour la qualité des espaces naturels.
D'une part, la terre, les nappes phréatiques et la chaîne alimentaire ont été contaminées par la molécule pour plusieurs siècles. Selon les rapports établis par l'Opecst, elle y perdurera entre six cents et sept cents ans. À l'heure où nous parlons, la population est toujours exposée quotidiennement à la molécule, essentiellement par l'alimentation.
D'autre part, l'impact sanitaire a été dramatique pour les populations et il le reste aujourd'hui. Il n'est pas seulement question de personnes ayant travaillé dans les bananeraies et qui ont été directement en contact avec le produit. Non, on parle de la quasi-intégralité des habitants : selon les travaux scientifiques, 92 % des Martiniquais et 95 % des Guadeloupéens sont contaminés au chlordécone, évidemment selon un niveau de gravité variable.
Au-delà de la reconnaissance de la responsabilité de l'État et de la dimension symbolique de ce texte, je pense également que les objectifs programmatiques qu'il fixe permettront, au long cours, un avenir meilleur pour les habitants de ces territoires.
L'objectif de dépollution des sols et des eaux, bien qu'en l'état très difficile à atteindre, me semble à cet égard fondamental. Si les solutions scientifiques n'ont pas encore émergé aujourd'hui, nous pouvons légitimement placer nos espoirs dans certaines études en cours.
Je me félicite également de l'insertion dans le texte d'un alinéa spécifiquement consacré à la recherche en faveur des femmes. Ainsi que le soulignait la rapporteure dans son intervention, ces dernières ont souffert d'une cécité de la science et des pouvoirs publics : il faut que cela change.
Notre groupe partage l'esprit de ce texte, qui va dans le sens d'une plus grande reconnaissance des maux des victimes des contaminations. Avec cette proposition de loi, nous posons une première pierre fondamentale à un édifice complexe ; elle permettra d'envisager sereinement, une fois le consensus scientifique international solidement établi, l'instauration d'une indemnisation des victimes à une plus grande échelle.
À ce stade, laissons à la science le temps nécessaire pour progresser dans la connaissance de cette molécule et de son incidence sur la santé humaine. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et Les Républicains. – M. Jacques Fernique applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, combien de textes encore faudra-t-il pour enfin reconnaître une injustice de plus de trente ans et pour en indemniser les victimes ?
Deux mois après la discussion que nous avons eue ici sur le même sujet, nous nous retrouvons pour discuter à nouveau de la question du chlordécone. Trente-deux ans après son retrait réel du marché en Guadeloupe et en Martinique, soit trois ans de trop par rapport au reste du territoire français, nous allons débattre d'un produit qui n'aurait peut-être jamais dû être vendu.
Le chlordécone est une illustration des choix que nous sommes amenés à faire dans cet hémicycle et au Gouvernement. Ces choix privilégient trop souvent l'économie et les profits de quelques-uns au détriment de la santé de toutes et tous.
Si quand on aime, on ne compte pas, de toute évidence il y a des mal-aimés. Il y a celles et ceux qui ont dû subir, injustement, la prolongation de la vente d'un produit pourtant jugé cancérigène probable par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) quinze ans plus tôt. Il y a celles et ceux qui, aujourd'hui, en subissent les conséquences par des cancers, des malformations et une terre impropre à la culture.
L'ensemble de la biodiversité a été touché par ce produit phytosanitaire utilisé pour protéger les cultures de banane. Le chlordécone a effectivement tué le charançon du bananier, considéré comme nuisible. Mais il a aussi provoqué des cancers, notamment celui de la prostate qui cause la mort de huit mille personnes chaque année en France.
Ce que demandent nos compatriotes des Antilles, en particulier en Guadeloupe et en Martinique, c'est simplement la justice.
Il faut d'abord redire que l'État français savait. Les États-Unis avaient interdit le chlordécone dès 1977, avant même que l'OMS confirme en 1979 les craintes quant à sa toxicité. Comment l'État français pourrait-il prétendre qu'il ignorait les dangers du chlordécone ?
Nous demandons aussi que des études approfondies soient menées, notamment pour mieux connaître les conséquences de ce poison sur la santé des femmes et des sols et éclaircir tout ce qui est encore opaque pour estimer les risques que l'État français a fait courir.
L'utilisation de ce produit a eu des conséquences sanitaires, y compris un préjudice moral d'anxiété. C'était le cœur du débat ici en avril dernier, en plus de la question financière qui en découle.
Ce préjudice moral d'anxiété n'est pas reconnu aujourd'hui comme une conséquence de l'usage du chlordécone. Il est pourtant réel, quand on sait que plus de 90 % de la population est contaminée et vit dans la crainte de consommer certains aliments ou de développer une maladie grave.
Nous avons entendu qu'il ne fallait pas faire d'exception pour les victimes du chlordécone et que le fonds d'indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) pouvait suffire. Ce n'est pas acceptable, parce que ce sont justement les exceptions qui ont permis la vente du produit et causé la contamination des Guadeloupéens et des Martiniquais. Ce fonds d'indemnisation a été sous-doté et est sous-employé aujourd'hui, si bien que les derniers chiffres publics font état de cent cinquante-quatre dossiers validés.
Comment l'expliquer, quand plus de 90 % de la population est contaminée par le poison du chlordécone ? Comment, et pourquoi, ne pas créer dans ce contexte un fonds dédié, plus lisible, qui réponde à l'objectif d'indemnisation que nous devons inscrire dans la loi ?
Le texte a été modifié en commission, notamment pour préciser que l'État reconnaissait une « part » de responsabilité, comme s'il n'était pas le seul responsable.
Si tel n'est pas le cas, pourquoi revenir sur la taxe additionnelle sur les produits phytopharmaceutiques ? Si les torts sont partagés, il faut que le prélèvement des sommes nécessaires à la réparation soit également partagé. Il faut que les industriels qui vendent du poison indemnisent celles et ceux qu'ils ont empoisonnés.
J'espère que notre assemblée aura le courage d'avancer sur ce sujet grave, dans le prolongement de ce qu'ont fait nos collègues de l'Assemblée nationale qui ont adopté ce texte sans difficulté il y a déjà plus d'un an. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et RDPI.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Fernique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. Jacques Fernique. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le caractère toxique du chlordécone est établi depuis au moins 1968, mais des intérêts économiques conjugués aux carences, aux négligences et aux impérities manifestes de l'État ont permis son usage massif entre 1972 et 1993 dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique.
Au total : un désastre humain, sanitaire, environnemental et économique ; un impact durable et généralisé pour toutes celles et tous ceux qui savent qu'ils vivent dans un environnement malsain, qui consomment des aliments contaminés, qui pêchent ou cultivent dans des milieux dégradés.
Aujourd'hui et encore pour longtemps, les Antillais expriment colère, angoisse et besoin de justice.
Pour y répondre, ce texte important, attendu, est une nouvelle tentative parlementaire – il y en a eu cinq, me semble-t-il, depuis 2016 ! Je tiens à saluer le groupe socialiste qui permet le retour de ce sujet à notre ordre du jour à peine deux mois après le rendez-vous manqué de la proposition de loi de Dominique Théophile.
Ce texte pose les bases indispensables : il reconnaît l'existence de la calamiteuse tragédie du chlordécone pour les Antilles ; il établit la lourde et irréfutable responsabilité de l'État ; il affiche la volonté d'apporter réparation aux victimes. C'est un pas en avant utile qu'il ne faut plus tarder à faire.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutiendra cette proposition de loi, mais nous en mesurons les limites.
Ainsi, une loi dans laquelle la République française « s'assigne pour objectif » n'a pas une portée normative très étendue : notre acte politique d'aujourd'hui relève davantage de la résolution que d'un texte qui aurait une portée opérationnelle directe. Il est dommage que, pour parvenir à nos fins, nous soyons contraints d'énoncer des principes, des objectifs louables, d'exprimer une volonté, et que nous ne puissions pas adopter des actions fermes ou contraignantes.
Par ailleurs, l'objectif d'une indemnisation intégrale et non forfaitaire est affiché, mais sans cadre juridique clair, sans garantie au niveau des modalités de mise en œuvre, sans régime spécifique. Nous restons dans l'intention, pas dans l'engagement.
Rappelons que le cadre de l'indemnisation – très limitée – des victimes, en vigueur depuis 2020, et qui résulte d'une certaine façon des importants travaux de la mission d'information sur les pesticides de 2012 dont notre collègue Nicole Bonnefoy était la rapporteure, est si étriqué que moins de deux cents personnes au total en ont bénéficié.
Même constat pour ce qui est de la reconnaissance des préjudices sanitaires, moraux, économiques, écologiques : c'est essentiel, mais en l'absence de dispositifs juridiques concrets, par exemple pour l'accès à la réparation, ces principes resteront des vœux pieux.
La question de la dépollution est une autre illustration de ce décalage. Le texte évoque la nécessité d'agir, mais il faudra être bien plus précis pour déployer les actions nécessaires pour juguler les dommages causés par ce pesticide sur les sols et les eaux qui, tel que c'est parti, pourraient perdurer durant des centaines d'années.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Nous agissons !
M. Jacques Fernique. Monsieur le ministre, on ne pourra pas en rester au plan chlordécone IV ! Plusieurs autres plans seront nécessaires…
M. Manuel Valls, ministre d'État. Bien sûr !
M. Jacques Fernique. Je déplore que le Gouvernement n'ait transmis ses sept amendements que ce matin. Ce n'est pas correct au regard du travail de notre commission, d'autant que quatre d'entre eux posent problème et, à mon sens, ne sont pas acceptables.
Pour contribuer à l'indemnisation et à la réparation des dommages causés par le chlordécone, mon groupe voulait proposer de rehausser le plafond de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques. Hélas, le périmètre strict du texte et le fléchage proposé ne nous ont pas permis de défendre notre amendement. Il faudra y revenir dans le cadre du prochain projet de loi de finances.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte ouvre enfin la voie ; il reste à arpenter celle-ci jusqu'au bout.
Votons-le pour qu'il serve de socle aux futures avancées opérationnelles : des mécanismes concrets de réparation, un calendrier de dépollution assorti de moyens dédiés, un fonds d'indemnisation à la hauteur, clairement défini et accessible. C'est à ces conditions que se retisseront les liens de confiance entre la République, les Guadeloupéens et les Martiniquais, des liens tant détériorés par le chlordécone. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Teva Rohfritsch applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
M. Victorin Lurel. Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, contaminant cancérigène, mutagène, toxique, reprotoxique, voire mortel, insecticide persistant et permanent dans les terres et dans les chairs, poison commercialisé et utilisé malgré toutes les alertes scientifiques, le chlordécone est à l'origine d'un véritable scandale sanitaire, environnemental et économique.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est un pas significatif pour permettre à chacun, comme le disait le Président de la République le 27 septembre 2018, de prendre sa part de responsabilité dans cette pollution et pour avancer sur le chemin de la réparation.
Certes, elle reste en partie symbolique, mais elle revêtira demain un caractère hautement invocatoire pour les victimes de ce drame qui demanderont indemnisation devant les juridictions. C'est en tout cas le souhait du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Sans oublier les nombreux acteurs engagés de la société civile pour faire reconnaître ce scandale – associations, experts, collectifs citoyens, avocats, chercheurs, scientifiques… –, je tiens ici à rendre un triple hommage.
Je veux tout d'abord rendre un hommage appuyé à notre collègue député Elie Califer, auteur de la présente proposition de loi et présent aujourd'hui en tribune. Cher collègue, le groupe des sénateurs socialistes te remercie pour la qualité de ton travail mené à l'Assemblée nationale et souhaite que notre assemblée prolonge, par fidélité, cette initiative.
L'évocation de cette continuité m'amène également à rendre hommage à deux de nos anciennes collègues parlementaires qui, par leur engagement et leur action, nous permettent collectivement d'aboutir aujourd'hui à cette reconnaissance.
J'adresse en ce sens une pensée reconnaissante et affectueuse à ma successeure à l'Assemblée nationale, Hélène Vainqueur-Christophe, qui n'a cessé de plaider pendant cinq ans pour la création d'un fonds d'indemnisation pour la prise en charge de la réparation intégrale des préjudices de toutes les personnes atteintes de maladies liées à l'utilisation du chlordécone.
Je pense également à Catherine Procaccia qui connaît parfaitement ce sujet et qui a tenu, quelques mois avant la fin de son mandat, à produire au nom de l'Opecst un nouveau rapport, qui reste d'actualité, sur l'évolution des connaissances scientifiques relatives à l'impact du chlordécone.
Enfin, je tiens, au nom de mon groupe, à remercier notre commission et singulièrement notre collègue Nicole Bonnefoy qui n'est pas seulement la rapporteure de cette proposition de loi, mais qui est aussi l'incarnation d'un inlassable combat contre les pesticides nocifs et pour la défense de leurs victimes.
Je peux dire, chère Nicole, que c'est grâce à ton expertise et à ton expérience que nous avons pu élaborer des propositions de loi permettant l'indemnisation des victimes du chlordécone : des textes déposés qui par moi-même en 2017, qui par Hélène Vainqueur-Christophe en 2018, qui par Olivier Serva en 2021, qui par Elie Califer en juillet 2023, qui par notre collègue Dominique Théophile plus récemment.
Quelques semaines après le choix de ce dernier de retirer sa proposition de loi sur le sujet, le groupe SER a décidé de poursuivre les débats et de continuer à chercher à cranter de nouvelles avancées.
Le texte qui nous est soumis est le fruit d'un compromis et, donc, de concessions faites de part et d'autre, comme il est de coutume dans notre assemblée. Ce texte préserve l'essentiel. Il permet même, mes chers collègues, un progrès considérable, en inscrivant dans la loi la notion de « préjudice moral d'anxiété », désormais consacrée par la juridiction administrative – monsieur le ministre, je ne parle pas de jurisprudence, puisqu'un pourvoi a été formé – et qui favorisera, demain, l'instruction des plaintes judiciaires des victimes.
Je souhaite remercier l'ensemble des groupes de notre assemblée, dont les représentants ont parfait le texte en commission en le nettoyant de ses imprécisions et redondances, en maintenant les responsabilités de l'État dans ce scandale et en réaffirmant un principe de dépollution des terres et des eaux contaminées, ainsi qu'un objectif de réparation de « toutes » les victimes du chlordécone.
Je salue ces pas réciproques et assume pleinement l'équilibre qui nous est proposé aujourd'hui.
Je terminerai en m'adressant au Gouvernement.
Monsieur le ministre d'État, il serait faux de dire que, depuis la révélation du scandale, l'État et les collectivités n'auraient rien fait. Depuis 2002, à travers plusieurs plans, l'État a mobilisé des moyens qui ont conduit notamment à la sensibilisation et à la protection de la population, au soutien des professionnels concernés, mais aussi à l'amélioration des connaissances sur ce poison.
Pour autant, compte tenu de la rémanence du chlordécone dans les milieux naturels, je continuerai de plaider pour une série d'actions d'ampleur, à la mesure des préjudices subis. Si je reconnais une inflexion en faveur du plan chlordécone IV, dont le budget est récemment passé de 92 millions à 130 millions d'euros pour la période 2021-2027, je crains que ces efforts restent sous-dimensionnés et peu adaptés à la situation.
Songeons en effet à ces chiffres : l'État s'est engagé à terme, donc dans cinq ans, à consacrer 52 millions d'euros à la recherche. Or, selon le rapport de l'Opecst que j'ai précédemment évoqué, qui est toujours d'actualité, le coût d'une dépollution totale des sols et des eaux pourrait atteindre 3,5 milliards d'euros. Nous sommes donc loin, très loin, du compte.
Par ailleurs, je crois parfaitement opportun de réaffirmer que par ses manquements coupables, par ses défaillances manifestes et par son attentisme longtemps entretenu, l'État a un impératif moral de s'engager en faveur d'une indemnisation intégrale de l'ensemble des préjudices subis par toutes les victimes du chlordécone. Reconnaître, c'est bien ; indemniser, c'est mieux.
Monsieur le ministre, je ne saurais clore cette intervention sans vous faire part de ma surprise et de ma déception, empreinte d'un fort sentiment d'injustice, à la suite du pourvoi en cassation formé par l'État pour contester le jugement rendu le 11 mars dernier par la cour administrative d'appel de Paris, lui imposant d'indemniser les victimes du chlordécone et reconnaissant un préjudice d'anxiété.
En contestant cette décision de justice, qui constitue, pour la première fois en France, une source d'espoir pour les plaignants, et plus largement pour les peuples victimes de cette pollution, je considère que l'État persiste – pour reprendre le mot du Président de la République – dans son aveuglement et commet là une faute morale grave !
Il est donc temps que nous envoyions collégialement, et j'espère unanimement, un signal fort à nos compatriotes. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'état et à indemniser les victimes du chlordécone
Article 1er
L'État reconnaît sa part de responsabilité dans les préjudices sanitaires, moraux d'anxiété, écologiques et économiques subis par les territoires de Guadeloupe et de Martinique et par leurs populations résultant de l'autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques à base de chlordécone et de leur usage prolongé comme insecticide agricole.
Il s'assigne pour objectif la dépollution des terres et des eaux contaminées par la molécule et ses produits de transformation, en érigeant comme priorité nationale la recherche scientifique sur leurs effets sanitaires et environnementaux.
Il s'engage à conduire des actions visant à supprimer le risque d'exposition au chlordécone, en priorité pour protéger la santé des populations et en particulier en matière de sécurité sanitaire et de l'alimentation.
Il s'assigne pour objectif de rechercher et caractériser l'apparition de pathologies développées par les femmes en raison d'une exposition au chlordécone.
Il s'assigne également pour objectif l'indemnisation de toutes les victimes de cette contamination, que celle-ci ait eu lieu dans le cadre d'une activité professionnelle ou non, et de leurs territoires.
Il confie l'évaluation de l'atteinte de ces objectifs à une instance indépendante de son choix, qui rend un premier rapport au Gouvernement et au Parlement au plus tard à la fin de l'année 2025, puis tous les trois ans, afin de renforcer, si besoin, les actions mises en œuvre.
Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 20, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
L'État reconnaît sa part de responsabilité dans les préjudices subis par les populations et les territoires de Guadeloupe et de Martinique résultant des autorisations provisoires de vente, des homologations et des autorisations d'utilisation à titre dérogatoire accordées à des produits phytopharmaceutiques à base de chlordécone comme insecticide agricole.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Je partage les propos de la plupart des orateurs qui viennent de s'exprimer – j'aurai probablement l'occasion d'y revenir dans quelques instants. Il faut regarder la réalité en face : l'État doit reconnaître sa part de responsabilité, et même, tout simplement, sa responsabilité. Aucun gouvernement n'avait jamais été aussi clair à ce sujet que je l'ai été il y a un instant à la tribune.
Cela dit, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite que le débat se concentre sur la question du préjudice moral d'anxiété. Aussi, pour que notre discussion se recentre sur ce point précis, je retire l'amendement du Gouvernement.
M. Victorin Lurel. Bravo !
Mme la présidente. L'amendement n° 20 est retiré.
En conséquence, le sous-amendement n° 27 n'a plus d'objet. Par ailleurs ne sont plus en discussion commune que les amendements nos 4 rectifié et 21.
L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Buval et Théophile, Mme Nadille, MM. Patriat et Buis, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Fouassin, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier et Patient, Mme Phinera-Horth, M. Rambaud, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Supprimer les mots :
part de
La parole est à M. Frédéric Buval.
M. Frédéric Buval. Cet amendement, auquel j'associe bien évidemment mon collègue Dominique Théophile, lui aussi sénateur des Antilles, vise à reconnaître pleinement la responsabilité de l'État dans le scandale du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe.
Nous ne cesserons de marteler avec force, dévotion et responsabilité que le fait de substituer à cette reconnaissance claire une simple « part de » responsabilité revient à diluer la vérité, alors même que la cour administrative d'appel de Paris, dans une décision du 11 mars 2025, a été sans équivoque : l'État est seul à l'origine des autorisations de mise sur le marché du chlordécone, et ce malgré des alertes scientifiques précoces. Ni les planteurs ni les industriels n'avaient prise sur cette décision.
Cette reconnaissance explicite, attendue de longue date par les populations martiniquaise et guadeloupéenne, s'inscrit dans le prolongement du rapport de la commission d'enquête parlementaire de 2019. Elle n'est ni idéologique ni symbolique. Elle repose sur des faits établis et constitue un acte de vérité, de justice et de responsabilité institutionnelle. Ne laissons pas l'histoire s'écrire à moitié : adoptons cet amendement !
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Mon cher collègue, l'exposé sommaire de votre amendement laisse sous-entendre que la rédaction de l'alinéa 1 de l'article 1er proposée par la commission revient à atténuer la reconnaissance de la responsabilité de l'État.
Or je le redis : je ne le crois pas. Je considère en effet plus honnête et plus objectif de considérer que l'État n'était pas le seul responsable de cette contamination et de cette pollution. Selon moi, les industriels ayant produit le chlordécone, ainsi que les exploitants de bananeraies ont également leur part de responsabilité.
Aussi, je vous demande de retirer votre amendement ; à défaut, j'y serai défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Monsieur le sénateur Buval, vous proposez d'inscrire dans la loi que l'État reconnaît sa responsabilité plutôt que sa « part de » responsabilité. Cette dernière formulation, retenue dans le texte élaboré par la commission, traduit le fait que l'État n'était pas le seul responsable.
Elle est cohérente avec les récentes décisions de justice rendues par le tribunal judiciaire de Paris – je pense à l'ordonnance de non-lieu du 2 janvier 2023 – et la cour administrative d'appel de Paris – il s'agit de l'arrêt du 11 mars 2025. Dans cette dernière décision, la justice relève qu'un certain nombre d'acteurs économiques – producteurs, importateurs, distributeurs, organisations professionnelles, utilisateurs – ont également une part de responsabilité dans la pollution.
S'il existe une responsabilité d'autres acteurs, l'État assume cependant pleinement la sienne et n'entend pas la minimiser. Il faut rappeler que c'est bien l'État qui est à l'origine des autorisations de mise sur le marché du chlordécone et de leur prolongation.
C'est la première fois, je le répète, qu'un gouvernement de la République, par ma voix, accepte une telle reconnaissance. Comme j'ai eu l'occasion de l'annoncer au cours de la discussion générale, j'émets donc un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Le texte qui nous est soumis est le fruit d'un compromis, lequel vient d'être préservé par le retrait de l'amendement du Gouvernement. Par conséquent, monsieur le ministre d'État, j'avoue que j'ai quelque mal à comprendre l'avis que vous venez de rendre sur l'amendement de mon collègue Buval.
Vous avez dit à la tribune que l'État reconnaissait sa part de responsabilité dans ce drame, notamment en raison de la délivrance d'autorisations de mise sur le marché du pesticide. Le texte de la commission, tel qu'il a été adopté à l'unanimité, n'empêche pas les potentielles victimes de saisir les tribunaux pour rechercher d'autres coresponsables. La position commune arrêtée par tous les groupes politiques consiste à reconnaître que l'État n'est pas seul responsable, mais qu'il a sa part de responsabilité pour ce qui le concerne.
Pour le reste, il revient aux tribunaux de dire le droit. Il faut savoir que certains commerçants se sont transformés en producteurs de Curlone et de Kepone, engageant leur propre responsabilité dans l'utilisation prolongée du produit. Je précise à cet égard que, contrairement à ce que j'ai entendu, on a eu recours au chlordécone après 1993, et même après 2000, puisque des stocks de pesticides ont été utilisés clandestinement et frauduleusement.
Je souhaiterais que notre assemblée reste en congruence, si j'ose dire, avec la position de la commission. Si je comprends l'intention de Frédéric Buval, je n'approuve pas son amendement, car il tend à remettre en cause tout l'équilibre du texte sur lequel nous nous sommes entendus. J'appelle au respect du travail de la commission !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.
J'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, de la commission, l'autre, du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ? …
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 312 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 71 |
Contre | 269 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Les deux amendements suivants font l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Buval et Théophile, Mme Nadille, MM. Patriat et Buis, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Fouassin, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier et Patient, Mme Phinera-Horth, M. Rambaud, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Après le mot :
sanitaires,
insérer les mots :
moraux et
La parole est à M. Frédéric Buval.
M. Frédéric Buval. Cet amendement vise à préciser utilement le dispositif de l'article 1er afin d'éviter que le préjudice d'anxiété, désormais reconnu par la jurisprudence, n'éclipse à lui seul l'ensemble des souffrances morales subies par les victimes du chlordécone.
Oui, la reconnaissance du préjudice d'anxiété par la cour administrative d'appel de Paris, le 11 mars dernier, est une avancée importante. Elle prolonge des travaux déjà engagés, ici même au Sénat, par mon collègue Dominique Théophile.
Néanmoins, les préjudices causés par une exposition prolongée à un pesticide comme le chlordécone ne se résument pas à l'angoisse d'une maladie future. Il y a d'autres formes d'atteintes, pour les personnes comme pour les territoires. Nous proposons simplement d'en tenir compte en maintenant dans la loi la mention explicite à des préjudices moraux au sens large, et ce pour que notre texte ne ferme pas la porte, par omission, à une reconnaissance plus juste et plus complète des souffrances vécues.
Mme la présidente. L'amendement n° 21, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Supprimer les mots :
d'anxiété
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. J'ai retiré le précédent amendement du Gouvernement, parce que je voulais que l'on se concentre sur la question des préjudices moraux d'anxiété.
Il convient de distinguer le préjudice moral d'anxiété, c'est-à-dire la conscience de courir un risque élevé de développer une pathologie grave, du préjudice moral, qui recouvre l'atteinte psychologique subie par une personne qui a déjà développé une pathologie grave. Le juge administratif, que toute personne s'estimant victime peut saisir, est susceptible de réparer ces deux types de préjudices.
La formulation proposée par le texte de la commission n'est, de mon point de vue, pas conforme à la jurisprudence administrative. Elle ne me semble pas en phase avec les conditions très strictes définies par la jurisprudence pour ce préjudice particulièrement complexe et difficile à établir.
Je vous rappelle que la cour administrative d'appel de Paris a certes condamné l'État, mais qu'elle n'a reconnu une faute de sa part qu'à l'encontre de moins de 1 % des 1280 requérants – je précise cependant que la décision n'est pas définitive, puisque plusieurs pourvois ont été formés devant le Conseil d'État –, c'est-à-dire dans onze cas : dans neuf d'entre eux, le préjudice moral d'anxiété, c'est-à-dire la peur d'être malade, a été démontré ; dans les deux derniers, l'État a été condamné à réparer un simple préjudice moral lié, d'une part, à un décès in utero d'un enfant et, d'autre part, à un accouchement prématuré. Ces éléments sont évidemment suffisamment graves pour que nous examinions cette question avec le plus grand sérieux.
J'en reviens à l'aspect juridique du sujet. Il n'est juridiquement pas possible de mettre sur le même plan le préjudice moral d'une personne malade et le préjudice d'anxiété d'un individu qui ne l'est pas. Nous avons déjà eu ce débat.
De même, il n'est pas tout à fait rigoureux de suggérer que l'ensemble des populations martiniquaise et guadeloupéenne ont subi un préjudice moral d'anxiété du seul fait d'avoir été ou d'être exposées au chlordécone.
Pour ces raisons, nous proposons que le texte mentionne les préjudices moraux au sens large.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. En commission, nous avons fait le choix de retenir la notion de préjudice moral d'anxiété, car elle permet de caractériser le préjudice subi par les populations exposées au chlordécone. Cette notion a été consacrée par le juge administratif dans son office de juge de la responsabilité et de la réparation pour des contentieux analogues qui concernent, par exemple, les victimes de l'amiante, les victimes des essais nucléaires ou encore d'infections nosocomiales.
Aussi, la commission demande le retrait de l'amendement n° 4 rectifié ; à défaut, elle y sera défavorable.
Concernant l'amendement n° 21, je m'exprimerai à titre personnel, dans la mesure où la commission n'a pas pu se réunir en raison du dépôt tardif des amendements du Gouvernement. Pour la bonne information de tous, je précise tout de même que je me suis entretenue avec le président de la commission et des représentants du groupe Les Républicains pour tenter de parvenir à une position commune.
Le Gouvernement souhaite supprimer la référence à l'anxiété, à rebours de la position de la commission. La notion de préjudice moral d'anxiété est communément maniée par le juge d'administratif et renvoie à quelque chose d'aisément identifiable. La notion de préjudice moral, au sens large, est quant à elle, trop englobante.
Aussi, j'émets un avis défavorable sur l'amendement du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Avis défavorable sur l'amendement n° 4 rectifié.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. M. le ministre d'État et moi-même ne faisons pas la même lecture de la jurisprudence ou des précédents judiciaires.
La distinction entre une maladie déjà reconnue et une atteinte d'ordre psychologique me paraît un peu ésotérique. Si la maladie est reconnue, elle sera indemnisée selon des modalités que nous connaissons.
En revanche, pourquoi refuser aux personnes exposées au chlordécone ce qui est reconnu pour les victimes de l'amiante ? Je rappelle qu'ici même, voilà déjà deux ans, j'avais demandé à ce qu'un arrêté ministériel prévoie l'inscription de l'exposition au chlordécone au tableau des maladies professionnelles, au même titre que l'exposition à l'amiante.
Je réaffirme la cohérence du travail réalisé de manière transpartisane par la commission et je vous demande, mes chers collègues, de rejeter ces deux amendements.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 4 rectifié.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 313 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 36 |
Contre | 304 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 21.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ? …
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 314 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 129 |
Contre | 211 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Buval et Théophile, Mme Nadille, MM. Patriat et Buis, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Fouassin, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier et Patient, Mme Phinera-Horth, M. Rambaud, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il s'assigne pour objectif d'établir les autres parts de responsabilité dans ce scandale de la chlordécone.
La parole est à M. Frédéric Buval.
M. Frédéric Buval. Mes chers collègues, puisque vous refusez de reconnaître la pleine responsabilité de l'État, faisons en sorte d'aller au bout de la logique.
Pour ce faire, je propose cet amendement de repli, qui tend à demander à l'État d'identifier clairement les autres coresponsabilités dont il sous-entend l'existence. Si l'État n'est plus le seul responsable, qui donc l'est avec lui ? Qu'on nous le dise ! Les planteurs ? Les industriels ? Les scientifiques ?
Le juge administratif, lui, a pourtant été clair : les autorisations de mise sur le marché et les décisions de prolongation relevaient exclusivement de l'État…
Dès lors, soit l'État assume sa pleine responsabilité, soit il s'engage à rechercher scrupuleusement des responsabilités partagées.
Quoi qu'il en soit, on ne peut pas, dans le même temps, proposer d'édulcorer la faute et refuser d'en désigner les complices. Ce serait doublement injuste pour les victimes et profondément incohérent !
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Mon cher collègue, vous souhaitez assigner pour mission à l'État de rechercher les coresponsables de la contamination au chlordécone.
La commission considère que cette mission échoit à la justice, et non à l'État. Il faut que le travail d'investigation soit réalisé de manière indépendante.
Par conséquent, la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle y sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Même avis.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 22, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
Il s'assigne pour objectif de mener, en tant que priorité nationale, une recherche scientifique sur les effets sanitaires et environnementaux de la molécule et ses produits de transformation et sur les voies de dépollution des terres et des eaux contaminées.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Le renforcement des moyens alloués à la recherche sur l'évaluation des conséquences du chlordécone et sur les dispositifs de dépollution des sols et des eaux est une priorité du Gouvernement. Le volet recherche représente ainsi 40 % du budget global de la stratégie chlordécone.
Nous avons engagé des travaux pour dégager des solutions et faire disparaître cette molécule et ses produits de dégradation. Preuve que la recherche et l'innovation avancent, il existe plusieurs pistes – certaines d'entre elles m'ont d'ailleurs été présentées –, mais celles-ci n'ont pas encore fait leurs preuves à grande échelle.
C'est pourquoi, en vertu du principe de réalité, il est préférable de parler d'objectifs de recherche en matière de dépollution des sols et des eaux que de se fixer des objectifs de résultat, qui sont difficiles à déterminer à ce stade.
Tel est l'objet de cet amendement essentiellement rédactionnel.
Mme la présidente. L'amendement n° 11, présenté par MM. Lurel et Gillé, Mme Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Jacquin, Omar Oili, Ouizille, Uzenat, M. Weber et Kanner, Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
sur
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
les effets sanitaires et environnementaux de cette pollution et sur les techniques et procédés de séquestration, de remédiation et de dégradation de la molécule permettant une décontamination à grande échelle des milieux naturels, une sécurisation des ressources et une minimisation de l'exposition alimentaire.
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Comme j'aime bien provoquer M. le ministre, j'ai la faiblesse de penser – et j'affirme ! – que notre amendement est mieux rédigé que celui de Gouvernement. (Sourires.)
Nous n'avons rien inventé : il s'agit de reprendre une recommandation du rapport de l'Opecst, qui a bénéficié de l'expertise de notre ancienne collègue Catherine Procaccia. Il y a des évolutions très prometteuses que nous aimerions voir mentionnées dans le texte.
C'est la raison pour laquelle je vous demande, mes chers collègues, de vous en tenir principalement à la rédaction de la commission, tout en donnant la priorité à notre amendement par rapport à celui du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. L'amendement du Gouvernement, s'il était voté, reviendrait à atténuer l'objectif de recherche en faveur de la dépollution des terres et des eaux.
Or la commission considère que cette mission est fondamentale. Elle est la clé de la résolution de cette crise sanitaire et environnementale. Avis défavorable sur l'amendement n° 22.
En revanche, nous sommes favorables à l'amendement n° 11 de Victorin Lurel, car la précision apportée est utile. Si, aujourd'hui, on ne dispose pas encore des moyens pour parvenir à une dépollution à grande échelle, des recherches sont en cours et permettent d'espérer des avancées pour le futur, ce qui sera bien évidemment salutaire pour la santé des populations et contribuera à la réduction de l'exposition alimentaire au chlordécone.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 11, même si je respecterai, bien évidemment, le vote du Sénat.
Tout ce qui compte pour moi, c'est que les choses avancent et que nous franchissions des étapes. J'en profite pour saluer M. Califer, présent aujourd'hui dans les tribunes du Sénat.
Monsieur Lurel, je suis prudent quant à l'idée qu'il existerait aujourd'hui des solutions pour dépolluer les sols. Certes, certaines pistes sont prometteuses en laboratoire, mais, je le redis, elles n'ont pas fait leurs preuves, à ce stade, sur le terrain. Le chiffre de 3,5 milliards d'euros que vous avez rappelé tout à l'heure ne me semble pas encore correspondre à une réalité. Il faut bien sûr donner des perspectives en matière de dépollution – et les travaux scientifiques sont, je le répète, bien engagés –, mais il ne faut pas pour autant créer de faux espoirs.
La confiance repose sur la clarté : je tenais à être le plus clair possible sur ce point.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 22.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 11.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. L'amendement n° 23, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Il s'assigne pour objectif d'accompagner, les professionnels de la pêche et de l'agriculture affectés par cette pollution pour favoriser une production locale sans risque chlordécone.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne vous l'apprends pas, l'exposition au chlordécone se fait essentiellement par voie alimentaire. Les pêcheurs et les agriculteurs sont directement affectés par cette pollution s'ils se trouvent dans une zone contaminée.
C'est pourquoi il est proposé d'ajouter dans les objectifs que l'État s'assigne l'accompagnement de ces professionnels pour favoriser une production locale sans risque chlordécone. J'ai eu l'occasion de le constater en votre compagnie, madame la sénatrice Conconne, lors de la visite d'une exploitation agricole en Martinique voilà deux mois – j'ai de très belles photos. (Sourires.)
Des solutions sont mises en œuvre dans le cadre de la stratégie chlordécone, comme les analyses de sols gratuites pour tous les agriculteurs, l'aide technique et financière pour la décontamination des bovins, depuis 2024, avec des dispositifs propres à ces animaux, ou l'aide financière aux pêcheurs depuis 2022. Ces dispositifs montent en puissance : plus de 300 éleveurs ont déjà fait l'objet d'un accompagnement et 800 pêcheurs ont bénéficié de l'aide.
Cet objectif a donc toute sa place dans le texte.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. La commission émet un avis favorable sur cet amendement de bon sens, dont l'objet correspond déjà à une orientation du plan chlordécone IV.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Le groupe SER est favorable à cet amendement.
Je souhaite toutefois apporter une précision. Dans la présentation de l'amendement, le Gouvernement vise uniquement la décontamination des bovins. Il semble plus opportun de parler de ruminants, ce qui exclut les animaux monogastriques, c'est-à-dire ceux qui n'ont qu'un seul estomac. En effet, les chèvres et les moutons sont également contaminés ! Parler uniquement des bovins est donc restrictif.
Nous sommes d'accord sur le dispositif proposé, mais l'exposé des motifs paraît inexact. Il ne faudrait pas que, dans l'esprit du législateur, le texte fasse mention aux seuls bovins. Le dispositif concerne tous les ruminants ! (Sourires.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 23.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. L'amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Buval et Théophile, Mme Nadille, MM. Patriat et Buis, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Fouassin, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier et Patient, Mme Phinera-Horth, M. Rambaud, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
Il s'assigne pour objectif de rechercher, caractériser et soigner, l'apparition de pathologies développées en raison d'une exposition au chlordécone, notamment chez les femmes.
La parole est à M. Frédéric Buval.
M. Frédéric Buval. Cet amendement vise à inclure, à l'article 1er, un objectif de recherche, de caractérisation et de traitement des pathologies susceptibles d'être développées à la suite d'une exposition au chlordécone, notamment chez les femmes.
Il s'agit de contribuer à une approche plus globale des enjeux de santé publique et des conséquences de l'exposition à cette molécule, en tenant compte de la diversité des effets constatés ou suspectés selon les publics concernés, en particulier les femmes et les hommes.
Ce cadre plus large ouvre également la voie à la prise en compte de mesures de prévention adaptées, notamment au regard de la forte prévalence du cancer de la prostate en Martinique et en Guadeloupe, laquelle justifie une attention particulière dans les politiques de dépistage.
La Martinique et la Guadeloupe présentent par exemple des taux de cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde, jusqu'à 227 cas pour 100 000 habitants en Guadeloupe, contre environ 100 dans l'Hexagone. Cette situation appelle une action renforcée, notamment en matière de dépistage et de prévention. Au sein de nos territoires, il y a sur place matière à engager une véritable dynamique pour faire face à ces pathologies et accompagner localement les populations les plus touchées.
Sans revenir de manière substantielle sur les termes mêmes de la proposition de loi, la rédaction proposée permet de préserver l'esprit initial du texte et d'en approfondir la portée sanitaire en faveur d'une reconnaissance des besoins spécifiques des populations exposées. L'adoption de cet amendement ne modifiera pas l'équilibre du texte, mais en renforcera la portée sanitaire, toujours dans une logique de reconnaissance, d'anticipation et d'action concrète sur le terrain.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Cet amendement vise à réécrire l'alinéa 4 de l'article 1er que j'ai fait adopter par la commission via un amendement ayant pour objet de consacrer un alinéa spécifiquement dédié aux femmes.
Comme je l'ai rappelé lors de la discussion générale – tous ceux qui sont intervenus après moi l'ont également fait –, les femmes sont trop souvent oubliées dans cette tragique histoire. Élargir le champ de ce travail de recherche et de caractérisation des pathologies à l'ensemble de la population aurait pour effet d'éluder, à tout le moins d'atténuer l'accent mis sur les femmes à la suite de l'adoption de mon amendement en commission.
C'est la raison pour laquelle j'émets un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Avis favorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 24, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
Il s'assigne également pour objectif l'indemnisation des personnes souffrant d'une maladie résultant d'une exposition au chlordécone, que celle-ci ait eu lieu dans le cadre d'une activité professionnelle ou non.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. L'alinéa 5 de la proposition de loi assigne à l'État un objectif d'« indemnisation de toutes les victimes de cette contamination ».
Il est proposé de cibler l'objectif d'indemnisation sur les seules personnes souffrant d'une maladie résultant d'une exposition au chlordécone. En effet, la rédaction actuelle laisse entendre que toutes les personnes attestant d'une présence de chlordécone dans le sang pourraient bénéficier d'une indemnisation, ce qui n'est en phase ni avec les risques réellement encourus par les populations concernées ni avec la jurisprudence de la cour administrative d'appel de Paris.
Avoir du chlordécone dans le sang ne signifie pas avoir ou risquer une maladie. Qui plus est, il est possible de faire baisser rapidement son taux de chlordéconémie en adoptant des habitudes alimentaires appropriées. Si la présence de chlordécone dans le sang traduit une exposition alimentaire récente, elle est réversible en agissant sur l'alimentation.
C'est la raison pour laquelle l'État a mis en place des contrôles renforcés sur les aliments au stade de la production, de la commercialisation et de l'importation sur tous les circuits dits « formels ». Il accompagne également les jardiniers familiaux, les pêcheurs et les agriculteurs.
Cet amendement a donc, je le redis, pour objet de recentrer l'objectif d'indemnisation sur les personnes souffrant d'une pathologie résultant d'une exposition au chlordécone. Cette nouvelle rédaction, ciblée sur les victimes de dommages sanitaires, est cohérente avec le dispositif de l'amendement n° 23 tendant à assigner également à l'État un objectif d'accompagnement des professionnels de la pêche et de l'agriculture, qui vient d'être adopté.
Mme la présidente. L'amendement n° 19, présenté par Mme Bonnefoy, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
1° Après le mot :
contamination
insérer les mots :
dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique
2° Supprimer les mots :
, et de leurs territoires
La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter cet amendement et pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 24.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. L'amendement n° 19 vise à corriger une rédaction maladroite.
La formulation proposée par le Gouvernement à l'amendement n° 24 reviendrait de facto à exclure l'hypothèse d'une réparation des préjudices environnementaux et économiques évoqués à l'alinéa 1er. D'ailleurs, monsieur le ministre, l'objet de votre amendement serait incohérent par rapport au dispositif de l'amendement n° 20 que vous avez retiré.
C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 24.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 19 ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Favorable !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 24.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 19.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 12, présenté par MM. Lurel et Gillé, Mme Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Jacquin, Omar Oili, Ouizille, Uzenat, M. Weber et Kanner, Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer les mots :
une instance indépendante de son choix
par les mots :
l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Buval et Théophile, Mme Nadille, MM. Patriat et Buis, Mmes Cazebonne et Duranton, MM. Fouassin, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne, Lévrier et Patient, Mme Phinera-Horth, M. Rambaud, Mme Ramia, M. Rohfritsch, Mme Schillinger et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer les mots :
de son choix
par les mots :
dont les membres sont nommés par décret
La parole est à M. Frédéric Buval.
M. Frédéric Buval. Cet amendement tend à préciser que les membres de l'instance chargée d'évaluer si les objectifs fixés à l'article 1er ont été atteints sont nommés par décret.
Il s'agit ici non pas de modifier la nature ou les missions de cette instance, préexistante ou non, mais d'encadrer plus clairement les modalités de sa composition.
Une telle précision répond à une double exigence : une plus grande transparence dans le processus de désignation des membres, ainsi qu'une meilleure lisibilité institutionnelle. Elle permet également de garantir que l'expertise mobilisée soit pleinement adaptée à la complexité des enjeux sanitaires, environnementaux et sociaux liés au scandale du chlordécone.
Cette rédaction ouvre également la voie à une composition équilibrée et plurielle de l'instance, à même de prendre en compte la diversité des savoirs, des disciplines et des territoires concernés. Il s'agit là d'une condition essentielle pour que ses travaux soient reconnus, compris et légitimes aux yeux des populations.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. L'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) dispose d'une véritable expertise sur le chlordécone, lui qui a publié deux rapports sur le sujet, l'un en 2009, l'autre en 2023.
Par conséquent, la commission émet un avis favorable sur l'amendement n° 12.
La précision que tend à apporter l'amendement n° 5 rectifié étant utile, la commission émet également un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Même avis.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 12.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, l'amendement n° 5 rectifié n'a plus d'objet.
L'amendement n° 25, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer les mots :
à la fin de l'année 2025
par les mots :
un an après la date de promulgation de la présente loi
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Nous proposons de fixer un délai après la date de promulgation de la loi, plutôt qu'une date fixe. En effet, la date de fin 2025 a été fixée lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale au mois de février 2024, alors même que la date de promulgation de ce texte n'était pas connue.
Il s'agit donc d'un amendement de cohérence.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Avis favorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 25.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Après l'article 1er
Mme la présidente. L'amendement n° 13, présenté par MM. Lurel et Gillé, Mme Bélim, MM. Devinaz, Fagnen, Jacquin, Omar Oili, Ouizille, Uzenat, M. Weber et Kanner, Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement évaluant l'opportunité et la faisabilité d'une extension du bénéfice du fonds d'indemnisation des victimes de pesticides mentionné à l'article L. 491-1 du code de la sécurité sociale à l'ensemble des personnes souffrant d'une maladie, inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'État conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale et résultant d'une exposition au chlordécone.
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Comme nous ne pouvons pas augmenter ses dépenses, en raison de l'article 40 de la Constitution, nous avons déposé un amendement visant à demander au Gouvernement une évaluation sur l'opportunité d'étendre le bénéfice du FIVP.
Toutefois, si j'ai bien compris, au début de l'examen de ce texte, le ministre a pris l'engagement qu'une mission serait engagée et que des propositions seraient avancées.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. En l'état, seules les personnes reconnues en situation de maladie professionnelle par la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), ainsi que les enfants exposés in utero, peuvent être éligibles au fonds d'indemnisation des victimes de pesticides. Une extension nécessiterait un important travail d'évaluation en amont.
C'est pourquoi la commission émet un avis favorable sur cet amendement
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Monsieur le sénateur Lurel, vous proposez via cet amendement que le Gouvernement remette un rapport au Parlement. J'ai indiqué au début de l'examen de ce texte que le Gouvernement s'engageait à lancer les travaux nécessaires pour étendre l'indemnisation des victimes du chlordécone aux victimes non professionnelles. Cet engagement se traduira à court terme par le lancement d'une mission inter-inspections chargée de déterminer l'entité qui aura vocation à indemniser les victimes non professionnelles, d'en fixer les modalités et de définir les articulations avec le dispositif en vigueur pour les victimes professionnelles.
Il n'y a pas lieu de préjuger un mode de gestion pour l'indemnisation des victimes non professionnelles. Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 13.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 1er.
Article 1er bis
(Supprimé)
Mme la présidente. L'amendement n° 17, présenté par Mmes Corbière Naminzo et Varaillas, MM. Basquin, Corbisez et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Au plus tard le 1er janvier 2026, le Gouvernement remet un rapport au Parlement établissant la présence ou l'absence de chlordécone et de ses métabolites dans les sols du territoire national, en particulier dans les zones actuellement productrices ou ayant produit des pommes de terre ou des plants de pommes de terre, ou autres produits végétaux susceptibles d'avoir été traités par cette molécule, ainsi que dans les zones agricoles de l'île de La Réunion où il aurait pu être utilisé.
Ce rapport comporte des informations précises et détaillées sur la production, la commercialisation, l'introduction ou l'importation du chlordécone et de ses dérivés, dans l'ensemble du territoire national.
La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Par cet amendement, nous demandons au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport relatif à l'utilisation du chlordécone sur l'ensemble du territoire national.
Nous souhaitons que ce rapport puisse établir si le chlordécone ou ses métabolites sont présents dans les sols. Nous souhaitons également qu'il comporte des informations précises et détaillées sur la production, la commercialisation et l'importation du chlordécone. En effet, l'indemnisation des victimes doit aller de pair avec l'évaluation précise des quantités et destinations de chlordécone utilisées.
Tout cela concourt à rétablir l'article 1er bis adopté à l'Assemblée nationale, mais supprimé en commission au Sénat. Pour justifier cette suppression, on s'est fondé sur un rapport de l'Assemblée nationale de 2019 qui n'était pas si explicite : en réalité, il reste plusieurs zones d'ombre et des doutes.
L'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a indiqué dans son rapport intitulé Impacts de l'utilisation de la chlordécone et des pesticides aux Antilles, publié en 2009, qu'il existait une incertitude quant à la destination de 1 500 tonnes de chlordécone importées en Europe via une société basée en Allemagne.
Par ailleurs, il est impératif que la recherche sur le chlordécone soit complétée par des études sur l'éventuelle présence de chlordécone dans les terres agricoles. En effet, les études sont trop peu nombreuses pour établir scientifiquement et définitivement qu'il n'a été fait aucun usage du chlordécone à La Réunion. Le kelevan, produit composé partiellement de chlordécone servant à lutter contre le doryphore et le taupin de la pomme de terre, pourrait être utilisé dans les zones productrices ou ayant produit de ce tubercule.
À ce jour, il nous est impossible d'affirmer que les sols réunionnais n'ont pas été pollués. S'ils l'ont été, cela risque d'avoir des conséquences sur la santé humaine d'une partie de la population. En outre, à La Réunion, les zones rurales et urbaines sont très proches les unes des autres.
Mes chers collègues, l'indemnisation des victimes implique que la lumière complète soit faite à l'échelon national sur ce sujet.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Cet amendement vise à rétablir l'article 1er bis.
J'ai interrogé à ce sujet le professeur Hervé Macarie, de l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Ce dernier confirme qu'il est peu probable que le kelevan, produit pour partie à partir de molécules de chlordécone, ait été utilisé sur le territoire hexagonal ou à La Réunion pour la culture de la pomme de terre.
Néanmoins, il a souligné que la molécule de chlordécone avait été retrouvée dans la chair d'organismes marins récifaux de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, sans pouvoir en expliquer la cause.
C'est la raison pour laquelle la commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Même avis.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 17.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, l'article 1er bis est rétabli dans cette rédaction.
Après l'article 1er bis
Mme la présidente. L'amendement n° 26, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Pour atteindre les objectifs visés à l'article 1er, l'État élabore et met en œuvre une stratégie pluriannuelle dédiée. Elle est définie par arrêté conjoint des ministres chargés des outre-mer, de la santé, de l'agriculture, de l'environnement, de la recherche, de la pêche, de l'éducation et du travail.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Cet amendement vise à inscrire dans la loi les objectifs de la stratégie chlordécone, lui donnant ainsi une base juridique et pérenne. Elle est une traduction de l'engagement de l'État d'atteindre les objectifs énumérés à l'article 1er de ce texte.
Cet ajout me paraît important, car, pour protéger la santé des populations de la Martinique et de la Guadeloupe, nous devons agir pour nous rapprocher chaque jour un peu plus de l'objectif « zéro chlordécone » – je l'ai indiqué au début de l'examen de ce texte. Cela prendra évidemment du temps et il reste du chemin à parcourir.
C'est pourquoi il est nécessaire d'inscrire cette stratégie dans la loi. Je le répète, la stratégie de lutte contre la pollution par le chlordécone, publiée en 2021, traduit cette ambition par une amplification des moyens. Elle doit répondre à trois impératifs : informer, protéger, réparer par l'action. Les solutions sont proposées à tous les habitants touchés par cette pollution, en particulier les professionnels de la pêche et de l'agriculture.
La méthode retenue est la suivante : la prise en compte des travaux scientifiques, la concertation, l'écoute, le dialogue continu, la coconstruction et la collaboration avec tous les acteurs locaux pour sortir du risque chlordécone.
Le budget mobilisé est important, sinon inédit, cher Victorin Lurel. Initialement fixé à 92 millions d'euros, il a été rehaussé à 130 millions d'euros. En quatre ans, plus de 48 millions d'euros de fonds publics ont déjà été engagés, soit 22 millions d'euros de plus que les crédits engagés pour le plan précédent 2014-2020.
Le volet consacré à la recherche représentera, à terme, 40 % du budget total, en particulier pour améliorer les connaissances sur la dépollution des sols et sur la santé des femmes. Il n'y a donc aucun tabou dans ce domaine.
Tel est l'objet de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. La commission émet un avis très favorable sur cet amendement.
J'en profite pour remercier la coordonnatrice du plan chlordécone de son travail de très grande qualité.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Oui !
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Nous avons pu discuter ensemble en détail de ce travail fastidieux, mais ô combien nécessaire et important.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 26.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 1er bis.
Article 2
La charge pour l'État est compensée à due concurrence par :
1° (Supprimé)
2° La création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
Mme la présidente. L'amendement n° 18, présenté par Mmes Corbière Naminzo et Varaillas, MM. Basquin, Corbisez et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rétablir cet alinéa dans la rédaction suivante :
1° La création d'une taxe additionnelle de 15 % sur les bénéfices générés par l'industrie des produits phytosanitaires pour les sociétés redevables de l'impôt sur les sociétés qui réalisent un chiffre d'affaires supérieur à 250 millions d'euros ;
La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Le Parlement a l'habitude de s'appuyer sur la taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs pour financer nos politiques publiques.
S'il est juste d'encourager à réduire la consommation de tabac, qui est un poison, il faut aussi savoir faire preuve de cohérence. Lorsque le poison a un nom, qu'il soit phytopharmaceutique ou phytosanitaire, nous pouvons aussi lui faire porter la responsabilité du coût que son utilisation engendre pour la société.
La proposition de loi modifiée en commission précise que, sur le chlordécone, l'État prend sa part de responsabilité. Voilà qui signifie que d'autres acteurs pourraient également avoir leur part dans ce scandale.
Toutefois, sans attendre d'études approfondies, même si j'espère qu'elles pourront voir le jour, nous savons d'ores et déjà que les industriels qui fabriquent des produits, hier le chlordécone, aujourd'hui le glyphosate, sont aussi responsables de la contamination des sols, de l'eau et de notre santé.
Nous proposons donc d'établir une taxe additionnelle sur les bénéfices des sociétés de l'industrie des produits phytosanitaires réalisant un chiffre d'affaires de plus de 250 millions d'euros. Une telle mesure figure dans la version du texte adoptée à l'Assemblée nationale. J'ose espérer que la chambre des territoires sera sensible à la nécessité d'obtenir ces financements pour protéger les ressources des habitants et les collectivités qui ont été malmenées par ces produits toxiques.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Je comprends bien la logique qui prévaut, mais, comme je l'ai indiqué lors des travaux de la commission et dans mon rapport, il existe déjà une taxation ad hoc des industries phytopharmaceutiques. Il ne me paraît donc pas pertinent de superposer des taxations dont l'assiette serait identique.
C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. Même avis.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 18.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à douze heures vingt-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Seconde délibération
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Madame la présidente, en application de l'article 43, alinéa 4, du règlement du Sénat, le Gouvernement demande qu'il soit procédé à une seconde délibération sur l'article 1er à la suite du rejet de l'amendement n° 21.
Mme la présidente. En application de l'article 43, alinéa 4, du règlement, le Gouvernement demande qu'il soit procédé à une seconde délibération de l'article 1er.
Quel est l'avis de la commission sur cette demande de seconde délibération ?
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. La commission émet un avis favorable sur cette demande.
Mme la présidente. Je consulte le Sénat sur la demande de seconde délibération, présentée par le Gouvernement et acceptée par la commission.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant des groupes Union Centriste et Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 315 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 244 |
Pour l'adoption | 209 |
Contre | 35 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la seconde délibération est ordonnée.
Conformément à l'article 43, alinéa 5, du règlement, « lorsqu'il y a lieu à seconde délibération, les textes adoptés lors de la première délibération sont renvoyés à la commission, qui présente un nouveau rapport ».
La commission est-elle prête à présenter son rapport ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Oui, monsieur le président.
Mme la présidente. Nous allons procéder à la seconde délibération de l'article 1er .
Je rappelle au Sénat les termes de l'article 43, alinéa 6, du règlement : « Dans sa seconde délibération, le Sénat statue seulement sur les nouvelles propositions du Gouvernement ou de la commission, présentées sous forme d'amendements, et sur les sous-amendements s'appliquant à ces amendements. »
Article 1er
Mme la présidente. Le Sénat a précédemment adopté l'article 1er dans la rédaction suivante :
L'État reconnaît sa part de responsabilité dans les préjudices sanitaires, moraux d'anxiété, écologiques et économiques subis par les territoires de Guadeloupe et de Martinique et par leurs populations résultant de l'autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques à base de chlordécone et de leur usage prolongé comme insecticide agricole.
Il s'assigne pour objectif la dépollution des terres et des eaux contaminées par la molécule et ses produits de transformation, en érigeant comme priorité nationale la recherche scientifique sur les effets sanitaires et environnementaux de cette pollution et sur les techniques et procédés de séquestration, de remédiation et de dégradation de la molécule permettant une décontamination à grande échelle des milieux naturels, une sécurisation des ressources et une minimisation de l'exposition alimentaire.
Il s'engage à conduire des actions visant à supprimer le risque d'exposition au chlordécone, en priorité pour protéger la santé des populations et en particulier en matière de sécurité sanitaire et de l'alimentation.
Il s'assigne pour objectif d'accompagner les professionnels de la pêche et de l'agriculture affectés par cette pollution pour favoriser une production locale sans risque chlordécone.
Il s'assigne pour objectif de rechercher et caractériser l'apparition de pathologies développées par les femmes en raison d'une exposition au chlordécone.
Il s'assigne également pour objectif l'indemnisation de toutes les victimes de cette contamination dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique, que celle-ci ait eu lieu dans le cadre d'une activité professionnelle ou non.
Il confie l'évaluation de l'atteinte de ces objectifs à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui rend un premier rapport au Gouvernement et au Parlement au plus tard un an suivant la promulgation de la présente loi, puis tous les trois ans, afin de renforcer, si besoin, les actions mises en œuvre.
L'amendement n° A-1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Supprimer les mots :
d'anxiété
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Cet amendement, que j'ai déjà eu l'occasion de présenter, mesdames, messieurs les sénateurs, vise à prendre en compte tous les préjudices moraux, sans qu'il soit besoin de préciser qu'il s'agit de préjudices moraux d'anxiété, pour les raisons que j'ai déjà exposées.
Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. Par cohérence avec l'avis que j'ai précédemment émis sur un amendement analogue, j'émets un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Après un travail laborieux, mais bien fait, un compromis a pu être trouvé. On connaît la culture et l'éthos du Sénat : il faut trouver des compromis et faire des concessions. Cela peut être décevant pour certains, en particulier, j'imagine, pour l'auteur de la présente proposition de loi, qui est dans nos tribunes.
Là, nous sommes tout de même en train de trahir son texte ! Celui-ci reconnaissait la part de responsabilité de l'État, mais également le préjudice moral d'anxiété.
Nous avons entendu les arguments de M. le ministre sur le manque de robustesse du moyen juridique, le préjudice moral d'anxiété, lequel est pourtant reconnu par les juridictions. Sur le fondement de ces arguments, il a demandé une seconde délibération de l'article 1er. Je l'avoue, je suis marri et déçu.
Je demande aux membres de mon groupe, mais aussi à nos autres collègues, de s'abstenir sur cet amendement. Notre rapporteure, pour sa part, agira en cohérence avec le travail qu'elle a réalisé en commission.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° A-1.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 316 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 209 |
Pour l'adoption | 190 |
Contre | 19 |
Le Sénat a adopté.
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 317 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 320 |
Pour l'adoption | 319 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté.
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jacques Fernique, pour explication de vote.
M. Jacques Fernique. Cette proposition de loi représente une avancée qui était nécessaire. Il faut désormais mettre en œuvre concrètement ce texte, en déployer les mesures, mais aussi tirer les leçons de cette tragique et cynique logique qui fait que des intérêts économiques prévalent sur les droits humains et environnementaux.
Cette logique est encore à l'œuvre dans la proposition de loi Duplomb visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur. Quand donc tirerons-nous véritablement les leçons des désastres de l'amiante, des substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) et des néonicotinoïdes ?
Enfin, sur un mode plus léger, permettez-moi de faire une petite leçon de grammaire. Elle s'impose pour départager ceux qui parlent de « la » chlordécone » et ceux qui disent « le » chlordécone. Le Larousse est formel, le mot est masculin. L'intitulé du texte, qui évoque les victimes « du » chlordécone, est donc juste.
Certains arguent toutefois que cette molécule est une cétone et plaident donc pour l'emploi du féminin. Dans une fiche de l'agence régionale de santé de Martinique, on lit « qu'on le passe au féminin pour en adoucir l'image » !
Aujourd'hui, c'est le masculin qui l'emporte. Le Sénat s'est montré à la hauteur face à ce rude fléau ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Buval, pour explication de vote.
M. Frédéric Buval. À l'issue de l'examen de ce texte, deux mois après le courageux retrait par mon collègue Dominique Théophile de sa proposition de loi, le constat est bien amer. Le texte qui nous est finalement soumis ne constitue ni un progrès ni même un petit pas : c'est un renoncement ! Vidé de toute portée symbolique, sans aucune substance opérationnelle, financière ou juridique, le texte est désormais une simple liste de bonnes intentions et de vœux pieux.
Mes chers collègues, je vous rappelle que nous écrivons la loi. Comment pouvons-nous accepter sérieusement de voter un texte qui dilue la responsabilité de l'État, à qui appartient la prérogative de délivrer l'autorisation légale de mise sur le marché d'un produit phytopharmaceutique ?
Alors que l'État est seul compétent en la matière, comment accepter de voter un texte dans lequel on sous-entend l'existence d'autres responsables d'un écocide, sans que l'on se sente pour autant le devoir de les rechercher ?
Enfin, comment accepter le cynisme que constitue l'absence de reconnaissance de la souffrance des familles qui voient leurs proches s'éteindre à petit feu quand l'État joue la montre ?
Alors oui, il appartient à chacun, en conscience et en responsabilité, de cautionner ou non la version affaiblie, injuste et indigne de cette proposition de loi, bien éloignée du texte initial de ses auteurs. Au final, ce texte ne réparera rien. Au contraire, il attisera sans nul doute la colère dans nos territoires et au sein de la diaspora.
Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, le plus ultramarin de cette assemblée, ne peut rester sourd aux attentes des populations des Antilles : il s'abstiendra sur ce texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.
Mme Catherine Conconne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie notre collègue Elie Califer, présent parmi nous dans les tribunes du public, d'avoir pris l'initiative de lancer une nouvelle offensive pour faire reconnaître le scandale du chlordécone.
Je ne reviendrai pas sur les causes et les effets de ce scandale, dont nous parlons depuis trente ans. Je préfère dire que nous avançons.
Il y a trente ans, nous n'aurions pas été ici à parler du chlordécone. Il y a trente ans, nous n'aurions pas indemnisé les victimes. Il y a trente ans, l'État n'aurait pas reconnu sa part de responsabilité dans ce scandale. Il y a trente ans, nous aurions mis la poussière sous le tapis. Nous faisions alors preuve de déni, nous refusions de voir la réalité. Nous n'en parlions pas.
Des militants actifs ont eu le courage de monter au créneau, de se constituer en association. Ils ont œuvré et continuent d'œuvrer aujourd'hui pour faire avancer cette cause. Des parlementaires ont pris des initiatives. Notre collègue, le député martiniquais Serge Letchimy a ainsi présidé une commission d'enquête sur l'utilisation du chlordécone.
Aujourd'hui, ce texte est un nouvel apport dans la lutte pour la reconnaissance du fléau que connaissent nos pays, la Guadeloupe et la Martinique. J'espère bien que la lutte va continuer.
Je tiens aujourd'hui à saluer Yvon Sérénus, président d'une association de victimes. Malgré son grand âge et les maladies dont il souffre, il continue tous les jours de mener le combat contre cette molécule qui a pollué nos terres et nos vies.
De même, je salue les efforts qui sont faits actuellement dans le cadre du plan chlordécone IV, lequel est très audacieux, ainsi que le travail extraordinaire effectué par Edwige Duclay, directrice de projet chargée de la coordination de ce plan, présente aujourd'hui au Sénat.
Il faudra continuer de construire, mais, je le répète : nous avançons. (M. Philippe Grosvalet et Mme la rapporteure applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Je n'ai pas été insensible aux propos de M. Buval, reflet, si j'ai bien compris, de la polyphonie gouvernementale, notre collègue étant membre du « socle commun ».
Pourtant, mon cher collègue, nous allons voter ce texte tel qu'il résulte de nos travaux de ce jour.
Il y a deux mois maintenant, Dominique Théophile retirait son texte, estimant qu'il avait été trahi – le mot est peut-être un peu fort –, y compris par les siens. C'est la raison pour laquelle le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a souverainement décidé de reprendre la proposition de loi votée à l'Assemblée nationale sur l'initiative d'Elie Califer, présent dans nos tribunes, que je salue à mon tour.
Ce texte n'est certes pas parfait, mais comme vient de le dire Catherine Conconne, ou comme le dira ultérieurement Victorin Lurel, nous avançons sur la voie de la reconnaissance des préjudices qu'ont subi les populations de Guadeloupe et de Martinique. Cette reconnaissance est essentielle pour elles.
Nous voterons le texte en conscience, en responsabilité, sachant qu'il sera examiné en deuxième lecture à l'Assemblée nationale.
Monsieur le ministre, je compte sur vous, car vous nous avez aidés dans d'autres circonstances, sur la proposition de loi de M. Lurel visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer ou sur le texte d'Audrey Bélim expérimentant l'encadrement des loyers et améliorant l'habitat dans les outre-mer, par exemple. Je compte donc sur vous pour que les engagements que vous avez pris aujourd'hui soient tenus et pour qu'ils prospèrent à l'Assemblée nationale.
Nous avons là un devoir moral, un devoir juridique, un devoir politique à l'égard des populations. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a rempli sa part du devoir en inscrivant le texte de M. Califer à son ordre du jour réservé. J'espère à présent que ce texte sera voté le plus largement possible afin de donner un signe d'espoir aux populations concernées.
Tel est l'état d'esprit dans lequel nous sommes. Nous resterons vigilants sur la suite qui sera donnée à nos travaux à l'Assemblée nationale. (Mme Catherine Conconne applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Depuis plus de trente ans, nos populations ont le sentiment fort que nous, parlementaires des outre-mer, ne faisons pas le job et que les choses n'avancent pas. J'ai pourtant moi aussi essayé en 2017, en 2018, en 2020, d'avancer sur ce sujet, comme tous les parlementaires, y compris mes collègues ici dans l'Hexagone. Je pense à Nicole Bonnefoy, à notre ancienne collègue Catherine Procaccia et à d'autres.
J'entends que le texte est décevant, mais j'ai appris ici au Sénat, plus qu'à l'Assemblée nationale, que l'enfer, ce sont les autres et qu'il faut composer, et parfois faire des concessions. Nous en avons fait.
J'avoue être déçu que le Gouvernement ait demandé une seconde délibération. Le Gouvernement revient de très loin. Le Président de la République avait déclaré en 2018 que « l'État doit prendre sa part de responsabilité ». Or il ne s'agissait là que d'un engagement verbal, d'une parole de diplomate ; en un mot, c'était du vent ! Aujourd'hui, cette reconnaissance est gravée dans le marbre de la loi. Et ce texte est invocatoire. Il constitue donc une avancée.
Ensuite, il est vrai que nous forçons un peu le ministre à nous remettre un rapport. Il a pris l'engagement à la tribune de constituer très bientôt une mission. Pour ma part, j'aurais souhaité que l'amendement n° 18 de notre collègue Evelyne Corbière Naminzo soit adopté. Nous aimerions en effet qu'une taxe, peut-être pas de 15 %, soit créée dans le projet de loi de finances ou dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je n'attendrai pas les résultats des travaux de cette mission, qui prendront plus de six mois, pour dire que ce texte est équilibré. Même s'il est peut-être décevant pour certains, il permet d'avancer, comme l'a dit Catherine Conconne. J'espère donc que les engagements qui ont été pris seront tenus.
Je vous demande, mes chers collègues, chers amis du groupe RDPI aussi, de voter ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Je tiens à remercier les associations, les collectifs, les élus et l'auteur de la proposition de loi, qui travaillent depuis de longues années sur cette question et qui mènent le combat pour la reconnaissance des conséquences de l'utilisation du chlordécone.
Certes, ce texte ne va pas assez loin, mais nous pensons qu'il faut le voter et ainsi mettre un pied dans la porte. Ce texte est important, car il reconnaît la responsabilité de l'État.
Monsieur le ministre, je m'adresse à vous, au Gouvernement. Nous devons nous interroger sur notre responsabilité, alors que nous utilisons encore aujourd'hui du glyphosate, dont nombre d'études ont pourtant démontré la dangerosité. De même, la fameuse proposition de loi Duplomb, qui est sur le point d'être votée, va autoriser l'usage de l'acétamipride, de la famille des néonicotinoïdes. Plus de 1 200 études ont pourtant mis en évidence que cette substance est dangereuse à la fois pour les milieux naturels et pour la santé humaine. Selon des études très récentes réalisées au Japon, on retrouve même de l'acétamipride dans l'eau de pluie !
Je le répète, nous devons nous interroger sur la responsabilité de l'État en matière de protection des femmes et des hommes – je pense au chlordécone –, mais aussi sur sa responsabilité financière, ce type de pollution ayant un coût. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, nous n'avons pas de pistes aujourd'hui pour dépolluer les sols contaminés par le chlordécone. Vous l'avez reconnu : il n'existe pas de solution…
Allons-nous donc continuer à nous mettre dans pareille situation ? Cela serait bien embêtant d'avoir à nous retrouver ici dans vingt-cinq ans pour voter un texte visant à reconnaître les méfaits de l'acétamipride et du glyphosate. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 318 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Pour l'adoption | 318 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – M. Philippe Grosvalet applaudit également.)
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Je me réjouis du résultat de ce vote et je tiens à remercier tous ceux qui ont voté ce texte. Comme cela a été dit, le texte n'est pas parfait. Mais s'il existe quelqu'un de parfait, j'aimerais bien qu'il me dise comment il fait pour l'être et qu'il me donne sa recette. Je prendrai modèle sur lui pour m'améliorer !
Je remercie M. le ministre pour deux raisons, d'abord pour avoir retiré l'amendement n° 20 – c'est un geste fort de sa part –, ensuite pour avoir demandé une seconde délibération de l'article 1er. Merci, monsieur le ministre.
Je tiens également à saluer le travail de Nicole Bonnefoy, rapporteure de ce texte, qui a réalisé un travail…
M. Patrick Kanner. Remarquable !
M. Jean-François Longeot, président de la commission. Remarquable, en effet.
De même, je salue tous les membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, qui ont beaucoup travaillé sur ce texte, ainsi que les services de la commission.
Encore une fois, je me réjouis que ce texte ait été voté à une très large majorité. Merci à toutes et tous ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, et SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre d'État.
M. Manuel Valls, ministre d'État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je commencerai par remercier le président Longeot de ses mots et de son implication et par saluer, comme lui-même vient de le faire, le travail de Mme la rapporteure Nicole Bonnefoy, ainsi que celui, de très grande qualité, du Sénat.
Je dirai ensuite à mon ami le sénateur Buval que les choses avancent et que c'est là le plus important. Un travail a été réalisé par le député Califer, qui a été repris par votre collègue Théophile, dans lequel vous vous êtes vous-même beaucoup impliqué.
Après les propos du Président de la République il y a déjà quelques années, un important travail a été réalisé dans le cadre du plan chlordécone IV, qui prévoit la mise en œuvre de dispositifs utiles, notamment pour les victimes. Un travail a également été fait à l'Assemblée nationale, puis ici, au Sénat, sur l'initiative de Dominique Théophile, même s'il a retiré son texte. Le débat a pu se poursuivre, grâce au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, qui a inscrit le texte que nous examinons aujourd'hui à son ordre du jour réservé, et à l'engagement et à l'implication de l'ensemble des sénateurs qui suivent ce dossier. Permettez-moi de souligner qu'un tel travail n'avait jamais été réalisé avec autant de précision.
Dans ce texte, l'État reconnaît sa responsabilité et l'assume. J'ai pour cela soutenu un amendement du sénateur Buval et fait des propositions. Je le répète, jamais la responsabilité de l'État n'avait été à ce point reconnue et assumée dans cet hémicycle.
Je parle ici non seulement de l'implication du Gouvernement, mais également de la mienne à titre personnel. Je suis en effet convaincu qu'il faut purger ce dossier et répondre au besoin de dignité des Guadeloupéens et des Martiniquais victimes du chlordécone – ou de « la » chlordécone, mais je n'entre pas dans ce débat !
Un pas a été franchi. J'espère à présent que cette proposition de loi sera définitivement adoptée. Vous pouvez compter sur le Gouvernement et sur moi pour poursuivre le travail de vérité et de dignité que nous devons aux Martiniquais et Guadeloupéens, comme j'en ai pris l'engagement devant vous. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe UC. – MM. Marc Laménie et Teva Rohfritsch applaudissent également.)
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Renforcer la protection des ressources en eau potable
Rejet d'une proposition de loi
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses, présentée par Mme Florence Blatrix Contat et plusieurs de ses collègues (proposition n° 421, résultat de travaux n° 692, rapport n° 691).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Florence Blatrix Contat, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l'alerte est maximale : notre eau potable est en danger. Elle est de plus en plus rare, de plus en plus chère, et sa qualité est de plus en plus compromise par les pollutions diffuses, notamment celles qui sont causées par les pesticides et les nitrates. Il s'agit non pas d'un scénario d'anticipation, mais d'une réalité vécue au quotidien dans nos territoires.
L'eau potable en France est une bombe à retardement, et il est de notre devoir, en tant que parlementaires, de la désamorcer.
Les chiffres sont évocateurs et devraient nous interpeller collectivement. Entre 1980 et 2024, plus de 14 300 captages ont été abandonnés, dont un tiers en raison de la présence de nitrates et de pesticides. En 2022, plus d'un million de Français ont été alimentés au moins une fois par une eau présentant des dépassements de normes en termes de pesticides. Plus inquiétant encore, près de 30 % de nos eaux souterraines sont aujourd'hui contaminées et 40 % d'entre elles risquent de ne pas atteindre un bon état chimique d'ici à 2027.
Mais ces statistiques ne révèlent qu'une partie du problème.
La majorité des substances réellement présentes dans l'eau échappent encore à notre surveillance. Les pollutions dites émergentes sont mal ou pas du tout mesurées et les normes actuelles ne prennent absolument pas en compte l'effet cocktail, c'est-à-dire l'interaction dangereuse entre les divers résidus chimiques. De plus, il est alarmant de constater qu'environ 12 % – je dis bien : 12 % ! – des substances actives des pesticides de synthèse autorisées dans l'Union européenne appartiennent à la famille des PFAS, ces polluants éternels dont la persistance et les effets sont alarmants. Pour rappel, en France, les quantités de PFAS sont passées de 700 tonnes en 2008 à 2 300 tonnes en 2021. C'est considérable.
Face à cette situation critique, notre stratégie actuelle, essentiellement axée sur le traitement curatif de l'eau, montre ses limites. Nous nous contentons de tenter de dépolluer l'eau après coup pour la rendre potable. Or cette approche a atteint ses limites ; elle est aujourd'hui à bout de souffle.
Les limites sont techniques d'abord : même les traitements les plus sophistiqués, comme l'osmose inverse ou les filtres à charbon actif, voient leur efficacité diminuer face à la complexité croissante des pollutions diffuses.
Nos stations de traitement doivent par exemple utiliser de plus en plus de charbon actif pour capter les métabolites de pesticides ; une usine mise en service il y a deux ans a déjà dû doubler la quantité de charbon actif utilisée par rapport aux prévisions initiales, signe d'une dégradation accélérée de la qualité de la ressource.
Ensuite, il y a une limite stratégique et souveraine. Nous dépendons de l'importation de charbon actif, majoritairement depuis l'Asie ou l'Amérique. En cas de crise du commerce international, notre capacité à « potabiliser » l'eau captée et polluée serait gravement compromise. Sans ce charbon, filtrer certains polluants devient tout simplement impossible, ce qui est un talon d'Achille pour notre sécurité hydrique.
À ces limites techniques et stratégiques s'ajoute une limite économique majeure. Le coût du traitement de l'eau contaminée atteint chaque année entre un et deux milliards d'euros, une dépense en hausse constante et préoccupante.
Ce fardeau pèse lourdement sur nos collectivités territoriales. Communes, intercommunalités et syndicats des eaux sont en première ligne, et in fine, ce sont les factures d'eau de nos concitoyens qui en portent le poids.
Les experts sont unanimes et nous alertent : nous ne pourrons pas maintenir un prix de l'eau abordable sans un changement radical de politique. Selon les agences de l'eau, les coûts supplémentaires associés au traitement des pesticides font bondir de 30 % à 45 % le prix du mètre cube d'eau. Nos élus locaux le disent clairement : ils n'en peuvent plus !
Agir à la source plutôt que dépolluer l'eau en aval : voilà la stratégie de bon sens qu'il nous faut adopter de toute urgence. D'ailleurs, c'est non seulement plus logique, mais aussi bien moins coûteux : la direction de l'eau et de la biodiversité estime qu'empêcher une pollution coûte trois fois moins cher que de la traiter après coup. En clair, chaque euro investi pour protéger la ressource en amont nous évitera d'en dépenser trois en usine de traitement plus tard !
Nos collectivités territoriales, de toutes tendances politiques, appellent de leurs vœux cette action préventive, car elles en mesurent l'urgence et la nécessité sur le terrain. Ce week-end encore, lors d'une visite, un président de syndicat des eaux et tous les élus, quelle que soit leur appartenance politique, m'ont dit soutenir cette proposition de loi.
Agir à la source est donc un impératif sanitaire, environnemental, économique et de souveraineté.
C'est à cette urgence absolue que répond la proposition de loi que j'ai l'honneur de défendre aujourd'hui avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Son article 1er prévoit l'interdiction progressive de l'usage et du stockage de pesticides et d'engrais minéraux dans les zones de protection des aires d'alimentation de captage, avec une pleine effectivité de cette mesure prévue au 1er janvier 2031 et des étapes intermédiaires fixées par décret pour une transition plus progressive.
Son article 2 quant à lui prévoit des sanctions en cas de non-respect des dispositions prévues à l'article 1er.
Par ailleurs, l'exposé des motifs de cette proposition de loi est sans ambiguïté : cette transition se fera non pas contre le monde agricole, mais avec lui.
Des amendements de compromis, présentés en commission par le rapporteur Hervé Gillé, dont je salue le travail, allaient précisément dans ce sens. Ils tendaient à prévoir une mise en œuvre plus progressive, à ouvrir la voie à un accompagnement technique et financier structuré autour de contrats d'engagement réciproque entre agriculteurs et gestionnaires de l'eau, et à fixer une entrée en vigueur dix ans après la promulgation de la loi.
Tous ont malheureusement été rejetés par nos collègues de la droite sénatoriale. Je les reprendrai à mon compte lors de cet examen en séance publique, car je pense qu'ils constituent le fondement d'un consensus à la fois pragmatique, équilibré, efficace et nécessaire.
Mes chers collègues, madame la ministre, nous savons, hélas, ce qui arrive quand nous n'agissons pas à temps. Le scandale du chlordécone, dans nos territoires d'outre-mer, est là pour nous le rappeler de manière tragique.
Pendant des décennies, ce pesticide toxique a été utilisé massivement aux Antilles, sans considération suffisante des risques encourus ; le résultat, c'est une pollution durable et irréversible des sols et des eaux, une catastrophe sanitaire dont nous subissons encore, et pour longtemps, les effets.
Juste avant l'examen du présent texte, nous avons examiné dans le cadre de la niche socialiste une proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l'État et à indemniser les victimes du chlordécone. Ce drame sanitaire et environnemental doit nous servir d'alerte suprême. Ne répétons pas les erreurs du passé.
Je vous le dis : alors que nous nous apprêtons à voter ce texte, ayez en tête les études épidémiologiques françaises, notamment celles de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui mettent en lumière le surcroît de maladies graves lié à l'exposition aux pesticides et aux nitrates, notamment chez les agriculteurs et les femmes enceintes.
Au moment de voter, rappelez-vous que nos collectivités locales sont en première ligne dans ce combat essentiel pour l'eau. Ce sont nos maires, nos intercommunalités qui doivent chaque jour assurer à nos concitoyens l'accès à de l'eau potable. Ce sont eux qui doivent répondre aux habitants quand l'eau du robinet n'est plus conforme, eux qui installent en urgence des filtres au charbon actif ou affrètent des camions-citernes quand un puits doit être fermé. Et ce sont eux, encore, qui portent la charge financière des investissements lourds.
Au moment de voter, pensez aussi à nos concitoyens, qui voient progressivement le coût de leurs factures d'eau exploser.
Au moment de voter, pensez enfin à notre environnement et, plus particulièrement, à la qualité de nos nappes phréatiques, ces réservoirs d'eau souterrains si précieux et si vulnérables.
Mes chers collègues, le Sénat ne peut pas se soustraire à sa responsabilité sur un sujet aussi fondamental et vital.
Il s'agit ici non pas d'un débat technique réservé aux experts, mais d'une question de santé publique, de protection des écosystèmes, de souveraineté et d'équité territoriale, susceptibles d'avoir des conséquences financières lourdes pour les collectivités comme pour les citoyens.
Face à l'aggravation des pollutions et à l'explosion des coûts, le statu quo n'est plus tenable.
La seule voie responsable est celle d'une action résolue, ambitieuse et préventive. Garantir une eau potable de qualité, aujourd'hui et demain, exige un sursaut collectif. Ne manquons pas ce rendez-vous avec l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures,
est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Pierre Ouzoulias.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Hervé Gillé, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre Haute Assemblée a aujourd'hui l'occasion de mettre fin à plusieurs décennies d'impuissance publique s'agissant de la qualité de l'eau destinée à la consommation humaine.
La proposition de loi déposée par notre collègue Florence Blatrix Contat vise à prendre à bras-le-corps un sujet qui – il faut en avoir bien conscience – touche particulièrement les collectivités locales et, à travers elles, les syndicats d'eau et d'assainissement, celui de la pollution de l'eau et du coût de notre inaction.
En tant que rapporteur de ce texte, j'avais proposé, avec l'accord de son auteure, plusieurs ajustements, afin de tracer un chemin collectif et concerté de réduction des pressions sur la ressource en eau, l'idée étant que ces efforts ne pèsent pas de façon injuste et soient les plus acceptables possible au regard des enjeux.
À ce titre, les élus locaux attendent que nous, parlementaires, ayons une attitude responsable, et non une simple posture dogmatique sur ce sujet délicat. Les élus locaux de terrain, qui connaissent parfaitement de tels enjeux, attendent que nous agissions avec détermination pour mettre fin à la dégradation de la qualité des eaux souterraines et superficielles servant à l'alimentation en eau potable.
Selon les estimations, les économies susceptibles d'en résulter en termes de dépenses de dépollution et de traitements évités seraient comprises entre un milliard d'euros et deux milliards d'euros par an. C'est un chiffre qui résume de façon limpide les enjeux du débat, en ces temps où l'argent public se fait rare, madame la ministre.
En 2024, la France compte un peu moins de 37 800 captages actifs destinés à la production d'eau potable, dont 96 % prélèvent dans les eaux souterraines. Chaque année, ce patrimoine essentiel à la résilience hydrique se réduit, du fait de l'abandon de certains équipements. Sur la période 1980-2024, près de 14 300 captages ont été fermés, soit plus d'un quart.
La première cause d'abandon des captages est imputable à la dégradation de la qualité de la ressource en eau, pour un tiers des situations. Parmi ceux-ci, 41 % des captages sont fermés du fait de teneurs excessives en nitrates ou en pesticides. Malgré les alertes et les appels à l'action des élus locaux, des agences de l'eau et des associations de protection de l'environnement, le rythme des fermetures ne montre aucun signe d'amélioration, tant s'en faut.
Un rapport réalisé conjointement par l'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale de l'environnement et du développement durable au mois de juin 2024 a pointé l'échec global de la préservation de la qualité des ressources en eau pour ce qui concerne les pesticides, malgré quelques progrès localisés, souvent très lents, ainsi qu'une « gestion des non-conformités de la qualité des eaux brutes qui pose de sérieuses difficultés aux acteurs de terrain. »
Les auteurs de ce rapport dressent le constat de l'insuffisance des politiques de protection des captages et alertent sur le fait que, sans mesures préventives ambitieuses et ciblées, la reconquête de la qualité des eaux est illusoire. Le constat est donc sévère, mais lucide, ce que démontrent malheureusement les taux de non-conformité lors des analyses de l'eau par les agences régionales de santé.
Bien évidemment, cet échec est collectif. Nous nous contentons de solutions curatives au lieu de promouvoir des approches préventives, alors que ces dernières coûtent au moins trois fois moins cher. Je ne peux pas m'empêcher d'y voir une forme de gaspillage de l'argent public et un mauvais usage du produit des redevances de l'eau. C'est un « luxe » que nous ne pouvons plus nous permettre !
De même que l'échec est collectif, les solutions pour y remédier devront nécessairement associer tous les acteurs de l'eau, en prenant en compte les activités présentes au sein des aires d'alimentation des captages, dans le cadre des démarches concertées, avant la mise en œuvre de tout levier coercitif. Cet aspect est particulièrement important ; nous aurons l'occasion d'y revenir.
Pour atteindre les objectifs ambitieux qu'il faudra nécessairement nous assigner si nous souhaitons éviter une forte augmentation du coût de l'eau, nous n'aurons pas d'autre choix que de recourir à des mesures d'interdiction ou de limitation de certaines substances et pratiques.
Bien évidemment, la dégradation de la ressource en eau ne se limite pas aux seuls usages agricoles. Cette stratégie de réduction des pressions sur les captages les plus prioritaires me paraît cependant essentielle. Cette orientation est également partagée par un grand nombre d'acteurs et figure dans la feuille de route annoncée par la ministre Agnès Pannier-Runacher au mois de mars dernier.
Les auditions préparatoires en ma qualité de rapporteur, les débats en commission et l'expertise que j'ai pu acquérir au sein des différentes instances de l'eau du bassin Adour-Garonne m'ont toutefois convaincu que, pour atteindre cet objectif, il faudrait avancer de manière progressive et être accompagné. C'est d'ailleurs ce que je me suis efforcé de faire dès le début des travaux en commission, avec la mise en place d'une démarche volontariste et contractuelle, au travers des contrats d'engagement réciproque, c'est-à-dire une négociation sur objectifs.
Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont repris mon initiative ; nous en débattrons tout à l'heure, lors de l'examen des articles.
J'ai déjà mentionné les limites du cadre normatif visant à protéger les points de captage d'eau potable. Il est extrêmement diffus et foisonnant, dispersé dans de nombreux codes. Les grandes lois sur l'eau de 1964, de 1992, de 2006 ont enrichi et perfectionné les instruments, prenant la forme de périmètres de protection, instaurés par des déclarations d'utilité publique, des plans d'action, des zonages au sein desquels peuvent être édictées des prescriptions, des interdictions ou des régulations spécifiques tendant à protéger la qualité des eaux.
Différentes stratégies sont venues compléter cet arsenal juridique : depuis le millier de captages prioritaires instaurés par le Grenelle de l'environnement et la conférence environnementale de 2013, en passant par les différentes moutures du plan Écophyto, le plan « eau » du mois de mars 2023, jusqu'à la feuille de route visant à améliorer la qualité de l'eau par la protection de nos captages, mentionnée précédemment.
Cet empilement normatif et cette superposition de stratégies sont le signe indéniable d'une prise de conscience des enjeux de la reconquête de la qualité des eaux brutes, mais également la démonstration de l'impuissance collective à atteindre les objectifs. Tous les acteurs que j'ai entendus en audition le reconnaissent : il faut changer d'échelle, de mesures et d'outils.
Dans sa version initiale, la proposition de loi instaure une interdiction d'utilisation et de stockage des produits phytosanitaires et des engrais minéraux au sein des zones de protection des aires d'alimentation des captages et des zones vulnérables aux pollutions par les nitrates d'ici à 2031, assortie d'une sanction pouvant aller jusqu'à 75 000 euros et jusqu'à deux ans d'emprisonnement en cas de violation.
Avec l'auteure du texte, nous avons très tôt identifié la nécessité d'améliorer son acceptabilité auprès des parties prenantes.
C'est la raison pour laquelle j'ai proposé en commission cinq amendements visant à resserrer le champ d'application de l'interdiction là où les pressions sont les plus fortes et la qualité de l'eau la plus dégradée, à différer son entrée en vigueur de 2031 à « dix ans après la promulgation du texte » – cela change tout de même le calendrier –, à dépénaliser les sanctions et à diviser par dix le montant de l'amende, avec un mécanisme permettant de ne pas déstabiliser les petites et moyennes exploitations agricoles, ainsi qu'à instituer un contrat d'engagement réciproque, c'est-à-dire un dialogue de gestion sur objectifs, facultatif et volontariste, afin de définir les modalités d'accompagnement et les engagements en vue de protéger les captages d'eau potable.
À ce stade de la discussion, il est essentiel de comprendre cette démarche de négociation en amont de la coercition.
La commission n'a pas soutenu ces initiatives, ce que je regrette, car elles me semblaient répondre aux interrogations et aux craintes exprimées lors des auditions par les représentants du monde agricole. Je déplore d'ailleurs que le débat en commission se soit focalisé sur la version initiale du texte et que l'on n'ait pas suffisamment tenu compte des amendements proposés.
En tant que rapporteur, j'ai précisément cherché à trouver les voies de passage, afin que le Sénat, en tant que chambre des collectivités, soit à l'avant-garde sur ce sujet majeur.
À mon grand regret, les échanges en commission n'ont pas tenu compte de l'ouverture au compromis de l'auteure de la proposition de loi, dont je tiens à saluer le travail et l'écoute, et des évolutions majeures que nous souhaitions apporter à ce texte.
Vous l'avez compris, pour des raisons qui ne m'ont pas entièrement convaincu, la commission n'a pas adopté le texte et a rejeté les amendements constructifs que j'avais proposés. Nous examinons donc aujourd'hui la proposition de loi dans sa version initiale, ce qui ne prend pas en compte le travail effectué ces dernières semaines. C'est bien dommage ! Nous aurions pu débattre aujourd'hui d'une version améliorée.
Certains d'entre vous proposent de supprimer purement et simplement l'article 1er, ce qui, à mon sens, revient à faire la politique de l'autruche. L'amélioration de la qualité des eaux brutes mérite tous les efforts du législateur, et en aucun cas une posture de type : « Circulez, il n'y a rien à voir ! » Nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir.
En tant que rapporteur, je serai évidemment tenu – c'est logique – d'exprimer la position que la commission a adoptée hier ; je tiens d'ailleurs à souligner que nous avons eu un dialogue positif lors de nos réunions. Toutefois, j'indique d'ores et déjà que je serai, à titre personnel, favorable aux initiatives de mon groupe visant à accroître l'efficacité, l'opérationnalité et l'acceptabilité du texte.
Le Gouvernement travaille, je le sais, à une feuille de route sur la protection des captages. Mais rejeter ce texte reviendrait à ne pas apporter notre contribution à ce débat fondamental, dont nous ne connaissons pas encore l'issue, même si nous espérons, sans en être vraiment certains, qu'il y en aura une rapidement.
Mes chers collègues, il serait assez inédit et ironique que le Sénat, fort de son expertise, de sa sagesse et de son indépendance, laisse le Gouvernement travailler seul à une stratégie, qui, si elle se confirme, préoccupe tant les élus locaux…
Je tiens d'ailleurs à le souligner, au-delà des enjeux pour les filières professionnelles et le monde agricole, les élus locaux attendent de disposer d'une boîte à outils qui leur permettrait de résoudre véritablement de tels problèmes. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, cher Jean-François Longeot, madame la sénatrice Florence Blatrix Contat, monsieur le rapporteur, cher Hervé Gillé, je vous prie tout d'abord d'excuser ma collègue Agnès Pannier-Runacher, qui représente le Gouvernement à Nice à la troisième conférence des Nations unies sur l'océan, sujet sur lequel sa détermination et son engagement de longue date sont bien connus.
C'est évidemment toujours un plaisir pour moi de me retrouver ici, au Sénat, pour discuter de questions aussi importantes que celle de la qualité de l'eau.
Ce texte nous donne l'occasion d'aborder un enjeu essentiel : garantir une eau potable de qualité, en quantité suffisante et à un coût maîtrisé pour tous nos concitoyens. C'est une priorité du Gouvernement, qui a lancé – vous l'avez indiqué tout à l'heure –, sous l'autorité du Premier ministre, le 28 mars dernier, une feuille de route ambitieuse pour améliorer la qualité de notre eau potable par la protection des captages.
Ce débat s'inscrit dans un contexte marqué par les dérèglements climatiques, qui conduisent, entre autres, à une raréfaction de la ressource.
Je souhaite commencer par quelques éléments de constat.
Près d'un tiers des masses d'eau souterraines sont touchées par des pollutions diffuses, et 3,3 % par des pollutions ponctuelles.
Entre 1980 et 2021, plus de 12 600 captages d'eau potable ont été fermés en France. Dans un tiers des cas, c'est la dégradation de la qualité de l'eau qui a conduit à ces abandons. Ces fermetures réduisent l'accès à des ressources en eau fiables et saines, dans un contexte où le dérèglement climatique accroît déjà les contraintes en termes quantitatifs.
Avec près de 33 300 captages assurant les deux tiers de l'eau consommée, la protection de ces ressources stratégiques est un enjeu vital. Je tiens à saluer l'initiative de la sénatrice Florence Blatrix Contat, qui a souhaité l'inscription du sujet à l'ordre du jour du Sénat, même si, comme votre commission l'a rappelé, l'approche coercitive n'est pas la voie que nous privilégions.
Il ne suffit plus de traiter la pollution une fois qu'elle est là. Vous avez raison, monsieur le rapporteur : nous devons agir en amont, en protégeant l'eau à la source. Le traitement curatif, aussi performant soit-il, est coûteux, énergivore et parfois inefficace face à des pollutions émergentes.
Le coût annuel du traitement de l'eau potable est estimé entre 500 millions d'euros et 1 milliard d'euros. C'est pourquoi la prévention est aujourd'hui un levier incontournable. Car vous avez raison, monsieur le rapporteur : l'argent public se fait, lui aussi, très rare.
Face à ce constat, le Gouvernement agit.
Il s'engage résolument, comme vous nous y appelez, dans une politique de protection à la source, conforme aux exigences européennes. Cette action est pensée à l'échelle des territoires, avec des mesures proportionnées aux risques, graduées, adaptées aux réalités locales, de la sensibilisation jusqu'à des initiatives réglementaires ciblées dans des zones qui constituent des enjeux majeurs.
Cela passe par la délimitation des aires d'alimentation des captages et la mise en œuvre des périmètres de protection réglementaires, obligatoires depuis 1992, qui permettent de prévenir efficacement les pollutions accidentelles. La responsabilité d'engager ces procédures revient aux collectivités, et leur mobilisation est déterminante pour garantir la sécurité de l'eau.
À la fin de l'année 2024, les résultats sont encourageants. En effet, 87 % des aires d'alimentation des captages sont désormais délimitées ; 85 % disposent d'un plan d'action adopté ou en cours d'élaboration, même si seulement 8 % sont couverts par un programme volontaire prévoyant des zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE).
Notre stratégie repose sur deux piliers : d'une part, la directive Nitrates, qui impose des programmes d'actions contraignants dans les zones vulnérables ; d'autre part, la stratégie Écophyto 2030, qui a permis une réduction majeure, de plus de 97 %, des ventes de substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques de catégorie 1 (CMR1), les plus dangereuses pour la santé humaine.
Pour renforcer l'efficacité de la prévention, la mesure 28 du plan Eau prévoit qu'en cas de dépassement des seuils de qualité pour un produit phytosanitaire toujours utilisé le préfet puisse prendre des mesures contraignantes immédiatement applicables.
Les concertations en cours dans le cadre de la feuille de route pour préserver la qualité de l'eau par la protection des captages – car nous ne faisons pas cela tout seuls, monsieur le rapporteur ! – visent à concrétiser cette ambition, avec deux priorités : identifier les aires d'alimentation à traiter en priorité sur la base d'une analyse de risque rigoureuse ; et établir un guide pratique à destination des préfets pour adapter la réponse aux situations locales.
L'article 1er de cette proposition de loi prévoit l'interdiction de l'utilisation et du stockage de produits phytopharmaceutiques et d'engrais minéraux dans les zones de protection des aires d'alimentation de captage à compter du 1er janvier 2031.
Nous savons aujourd'hui que la présence persistante de produits phytosanitaires et de leurs métabolites dans les eaux souterraines constitue un obstacle à la qualité de notre ressource en eau.
Mais, pour être acceptables et efficaces, les mesures qui affectent directement notre agriculture doivent être ciblées. Interdire partout, de manière uniforme, conduirait à négliger les spécificités locales et à fragiliser l'adhésion des acteurs de terrain. Il faut concentrer nos efforts sur les zones les plus vulnérables, les plus contributives à la pollution des captages.
C'est tout l'enjeu des zones de protection des aires d'alimentation de captage. Il revient au préfet de déterminer ces périmètres selon les spécificités locales. Ce dispositif, bien utilisé, permet une approche fine et, surtout, proportionnée.
Toutefois, il nous faut reconnaître que la réglementation actuelle présente des limites. En l'état, elle ne permet pas toujours de différencier les types de mesures selon les zones au sein d'une même aire d'alimentation du captage. Et, encore une fois, il s'agit non pas d'imposer, mais d'organiser une transition raisonnée, territorialisée et construite, monsieur le rapporteur, avec les acteurs de terrain.
Ainsi, si l'objectif de renforcer la protection des captages est pleinement partagé par le Gouvernement, l'interdiction totale des produits phytopharmaceutiques et des engrais minéraux sur l'ensemble de l'aire d'alimentation d'un captage dans un délai uniforme de six ans nous inspire d'importantes réserves.
Elle s'écarte de l'approche graduée, proportionnée, ciblée et déconcentrée que vous appelez de vos vœux au Sénat et que le Gouvernement défend dans le cadre de la feuille de route dédiée à l'amélioration de la qualité de l'eau potable. Cette dernière prévoit une montée en puissance progressive – je le répète – des mesures, en fonction du niveau de risque et des dynamiques locales engagées. Cette approche mesurée me semble la seule à même d'opérer ces transitions, non pas contre les acteurs, mais avec chacun d'entre eux.
L'article 2 prévoit le renforcement des sanctions en cas de non-respect des interdictions relatives à l'utilisation et au stockage de produits phytopharmaceutiques et d'engrais.
Soyons clairs : nous n'atteindrons pas nos objectifs de protection de l'eau et de l'environnement par des mesures strictement répressives. Ce n'est ni efficace à long terme ni soutenable socialement.
Car imposer des normes sans tenir compte des réalités du terrain, sans alternative viable ni perspectives de transformation nous conduit à l'impasse. Pour un grand nombre d'agriculteurs, cette réponse coercitive est vécue comme une injustice.
C'est pourquoi nous devons faire évoluer notre modèle avec le monde agricole. Cela suppose un accompagnement fort : technique, humain et financier.
J'entends d'ailleurs parfois les critiques sur l'écart entre les sanctions qui sont prévues par la loi et celles qui sont effectivement prononcées. Je crois essentiel de rappeler un principe fondamental de notre droit : la réponse pénale doit toujours être adaptée à la situation concrète, au contexte, aux circonstances. Cette appréciation relève de l'autorité pénale, qui doit toujours être indépendante. Le Gouvernement a récemment engagé une mission d'évaluation sur la proportionnalité des peines environnementales. Dès lors, dans l'immédiat, toute création de nouvelle infraction semble prématurée.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces précisions étant apportées, je tiens encore une fois à saluer l'esprit qui anime les auteurs de cette proposition de loi. Car qu'y a-t-il de plus fondamental et de plus commun que d'assurer la protection de nos ressources en eau, d'accompagner la transition agricole et de renforcer notre résilience face aux effets du changement climatique ? Le débat que nous aurons me semble légitime, même si nous n'en partageons pas toujours l'approche stricte.
Fort de cette ambition partagée et du travail qui a été mené par la commission de l'aménagement du territoire et par le rapporteur, et compte tenu des arguments et réserves que je viens d'émettre, le Gouvernement s'en remettra à la décision du Sénat sur le texte et sur les amendements en discussion.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Delia. (Mme Kristina Pluchet applaudit.)
M. Jean-Marc Delia. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, personne ici ne nie l'urgence.
Oui, la pollution de nos ressources en eau est un défi majeur. Oui, garantir à chaque Français une eau potable de qualité est un impératif.
Bien que la commission ait rejeté le texte la semaine dernière, je tiens à souligner les efforts du rapporteur Hervé Gillé, qui, fidèle à l'ADN sénatorial, a cherché à trouver un compromis, notamment en présentant des amendements visant à restreindre le champ de la proposition de loi.
Toutefois, le modèle d'interdiction qu'elle prévoit, quelle que soit son étendue, nous pose problème.
D'abord, sur le papier, l'idée de la généralisation des périmètres de protection et des aires d'alimentation de captage paraît simple. Il suffirait d'étendre les périmètres, de multiplier les zones de protection renforcées, et le problème serait réglé. Mais la réalité, c'est qu'après plus de trente ans de législation sur l'eau 16 % des captages n'ont toujours pas de périmètre de protection. Ce n'est donc pas en ajoutant de nouvelles obligations que l'on va régler le problème ! Ce dont les collectivités ont besoin, c'est d'efficacité, de moyens humains et financiers, pas d'une nouvelle couche de normes sans moyens supplémentaires.
Ensuite, en envisageant des restrictions d'usage et une interdiction généralisée de l'emploi de certains intrants agricoles dans les aires d'alimentation de captage et les zones de protection, sans prise en compte des situations locales ou des efforts déjà engagés par les filières, autrement dit en multipliant les interdictions et les contrôles, je le dis franchement : on risque de faire plus de mal que de bien ! (M. Daniel Salmon s'exclame.)
Ces mesures s'inscrivent dans une logique de défiance, qui fragilisera nos exploitants, déjà soumis à de fortes contraintes, sans apporter de garanties supplémentaires pour la qualité de l'eau. L'interdiction généralisée des intrants sur de vastes périmètres, la multiplication des obligations administratives et le renforcement des contrôles et des sanctions risquent de décourager les bonnes volontés. (M. Daniel Salmon s'esclaffe.)
De plus, bien que nous soyons unanimes sur la nécessité de disposer d'une eau potable répondant aux critères de qualité, il convient, me semble-t-il, de rappeler un chiffre : parmi les 12 500 captages qui ont été fermés ces trente dernières années, seulement 34 % l'ont été pour cause de pollution aux nitrates et aux pesticides.
M. Daniel Salmon. C'est déjà pas mal !
M. Jean-Marc Delia. Mais alors, en quoi consistent les 66 % restants ? Est-il raisonnable de cibler le monde agricole, d'en faire le principal responsable ? Je ne le pense pas.
Nos agriculteurs, qui sont déjà soumis à des contraintes énormes, n'ont pas besoin d'être stigmatisés ou noyés sous les normes. Ils ont besoin d'un accompagnement, de confiance, et non d'un empilement de règlements ne tenant pas compte des efforts déjà réalisés sur le terrain.
Imposer de nouvelles obligations sans compensation, c'est creuser encore un peu plus la fracture entre territoires, notamment en milieu rural, où les budgets sont déjà très serrés.
Permettez-moi d'illustrer mon propos par l'exemple du Pays de Grasse, dans les Alpes-Maritimes. Voilà un territoire qui, ces dernières années, subit sécheresse, restrictions et problématiques d'alimentation. Face à cette situation, la communauté d'agglomération du Pays de Grasse, en lien avec le département et l'ensemble des gestionnaires, a déjà déployé un ambitieux programme d'action : lutte contre les pertes d'eau, optimisation des usages, sécurisation de l'alimentation, identification des ressources stratégiques futures, sensibilisation et accompagnement des usagers dans la réduction de leur consommation.
Résultat, la qualité de l'eau distribuée est excellente, avec une conformité microbiologique et physico-chimique à 100 %. Ce succès tient à la concertation, à l'innovation, à la responsabilisation de chacun – agriculteurs, monde économique, industriels –, et non à la sanction, à la contrainte uniforme ou à l'ajout de normes.
Alors oui, il faut agir. Mais toute action ne peut porter ses fruits qu'en s'appuyant sur les acteurs locaux, en tenant compte des réalités du terrain et en valorisant ce qui fonctionne déjà.
Nous, membres du groupe Les Républicains, restons pleinement engagés pour la protection de l'eau. Mais, en l'état, ce texte va trop loin dans la contrainte. Nous voterons donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille.
Mme Solanges Nadille. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je pense que nous partageons tous le même constat sur ces travées : l'eau potable est un bien vital qui est aujourd'hui menacé ; c'est le cas en France, à la fois par la dégradation de sa qualité et par sa rareté croissante.
Sur le plan qualitatif, les pollutions diffuses restent un problème majeur. Elles proviennent principalement des pesticides et des engrais azotés, mais aussi de l'industrie avec des substances persistantes, comme les PFAS.
En 2022, plus de 10 millions de nos concitoyens ont reçu au moins une fois une eau non conforme aux normes sanitaires. Et 30 % de nos eaux souterraines sont aujourd'hui contaminées par des résidus chimiques.
Sur le plan quantitatif, le changement climatique accentue la pression : les sécheresses se multiplient, les nappes peinent à se recharger et les débits des cours d'eau diminuent. Cela fragilise l'alimentation en eau potable, notamment en été, et oblige parfois à fermer des captages, souvent de manière définitive.
Entre 1980 et aujourd'hui, plus de 14 000 captages, dont une large part à cause des pollutions, ont ainsi été abandonnés. Cette situation affaiblit la résilience hydrique de nos territoires, en concentrant la pression sur un nombre de points de prélèvement de plus en plus réduit.
Face à cette réalité, notre pays ne part pas de rien.
Depuis la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau, les captages doivent être protégés par des périmètres réglementaires. Plus de 84 % d'entre eux sont aujourd'hui couverts, ce qui est un progrès. Depuis 2009, nous avons aussi instauré des zones de protection des aires d'alimentation des captages avec des programmes d'action locaux. Mais, au regard de l'enjeu, nous devons accentuer ces efforts.
Le texte dont nous débattons aujourd'hui se fonde sur un constat partagé : il faut faire plus et, surtout, prévenir les pollutions à la source. En effet, prévenir coûte trois fois moins cher que traiter l'eau après pollution.
Mais si l'ambition qui sous-tend cette proposition de loi est louable, ce texte soulève aussi des préoccupations légitimes. En interdisant dès 2031 l'usage et le stockage de produits phytosanitaires et d'engrais minéraux dans toutes les aires d'alimentation de captage, il impose une contrainte massive sans prévoir les moyens concrets de l'accompagner.
Cette approche coercitive fait peser une pression sur les agriculteurs sans garantir qu'ils auront les moyens techniques et financiers de s'adapter. Elle risque in fine de fragiliser la viabilité agronomique et économique de nombreuses exploitations, en particulier celles qui se situent dans des zones de captage prioritaires, où les surfaces concernées sont souvent très vastes. Nous devons entendre ces inquiétudes et faire preuve de pragmatisme.
(À suivre)