Présidence de M. Loïc Hervé

vice-président

Secrétaires :

Mme Nicole Bonnefoy,

Mme Catherine Di Folco.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Ouverture de la session extraordinaire de 2024-2025

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, au cours de la séance du 12 juin dernier, le décret de M. le Président de la République portant convocation du Parlement en session extraordinaire, à compter du 1er juillet 2025, a été porté à la connaissance du Sénat.

En conséquence, je constate que la session extraordinaire est ouverte.

2

communication relative à des commissions mixtes paritaires

M. le président. J'informe le Sénat que les commissions mixtes paritaires chargées d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse, d'une part, et de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, d'autre part, sont chacune parvenues à l'adoption d'un texte commun.

M. Laurent Burgoa. Très bien !

3

 
Dossier législatif : proposition de loi créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière
Article 1er

Homicide routier

Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière (proposition n° 681, texte de la commission n° 746, rapport n° 745).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d'État.

M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cet après-midi, vous allez pouvoir – enfin – adopter définitivement un texte essentiel, attendu depuis des années par les victimes de la violence routière et par leurs familles, un texte défendu avec dignité et détermination, partout en France, par des femmes et des hommes qui, ayant perdu qui un enfant, qui un parent, qui un mari, qui une épouse, ont fait face au pire et choisi, avec courage, de mener un combat.

Ce combat connaît aujourd'hui son aboutissement. Bien sûr, rien ne réparera l'irréparable, mais la loi, désormais, ne détournera plus les yeux.

L'initiative de cette proposition de loi revient au député Éric Pauget, soutenu, je le sais, par de très nombreux parlementaires, notamment par de très nombreux sénateurs. Je remercie à cet égard votre rapporteur, Francis Szpiner, ainsi que Laurent Somon, qui a fait de cette cause un combat dans son département de la Somme, et tous ceux qui, parmi vous, ont écrit aux gardes des sceaux et aux ministres de l'intérieur successifs au fur et à mesure que des drames endeuillaient des familles de leurs communes.

La proposition de loi vise à créer dans notre droit pénal une infraction spécifique : l'homicide routier. Elle acte une évolution que les familles réclament depuis longtemps. Elle nomme enfin les choses.

Il y est affirmé avec clarté que tuer sur la route, sous l'emprise de l'alcool ou de la drogue, en excès de vitesse ou dans le mépris délibéré des règles, n'est pas un simple accident : c'est un acte criminel, une faute inexcusable. Et ce doit être reconnu comme tel.

Dans le droit en vigueur, on parle encore, pour qualifier ce genre de comportements, d'« homicide involontaire ».

Mais comment expliquer à une mère ou à un père de famille, à un frère ou à une sœur, à une compagne, à un époux, que la mort de son proche n'est due qu'à une « imprudence » ?

Comment banaliser l'irréparable quand il s'agit de faits récurrents, de comportements – consommation d'alcool ou de drogue – assumés, parfois revendiqués ?

Comment continuer à déresponsabiliser ceux qui choisissent, en toute conscience, de prendre le volant dans des conditions mortifères ? Ceux-là ne savent peut-être pas qui ils vont tuer, mais ils savent qu'ils vont tuer.

Je pense à Anaïs Dessus, gravement blessée sur une route de Martinique, qui a vu mourir son compagnon sous ses yeux, percuté par un chauffard récidiviste, alcoolisé, drogué, sans permis ni assurance.

« Le mot “involontaire” ne me plaît pas », dit-elle. « Il n'a rien à faire ici. Il fait mal. On m'a arraché le cœur », poursuit-elle. « Et celui qui a détruit notre vie sortira dans quelques années, comme si de rien n'était », sa faute étant caractérisée comme involontaire.

À cette colère, à cette détresse, et surtout à cette demande de reconnaissance, vous allez répondre aujourd'hui.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le plus souvent, les victimes ne demandent pas nécessairement des peines plus lourdes : ils demandent la reconnaissance d'une culpabilité, ils demandent la reconnaissance de ce qui s'est passé, ils demandent que l'on mette des mots sur la mort, sur la détresse et sur les blessures.

Ce texte met donc fin à une hypocrisie juridique. Il crée une infraction autonome, claire, identifiable : l'homicide routier.

Il ne s'agit pas simplement d'un changement sémantique : il s'agit d'un changement de regard, d'un message adressé par le Parlement et le Gouvernement, à toute la société : la route ne peut plus être un angle mort de la responsabilité pénale.

Ce texte, dont l'adoption fut encouragée par Éric Dupond-Moretti, mon prédécesseur, je suis très fier et très heureux de le conduire à son terme.

À l'issue des travaux menés par les rapporteurs Éric Pauget et Francis Szpiner, que je remercie, ainsi que par François-Noël Buffet, comme président de la commission des lois du Sénat puis comme ministre auprès du ministre de l'intérieur – je le remercie lui aussi de son implication –, cette proposition de loi prévoit que les responsables d'accidents mortels assortis d'au moins une circonstance aggravante seront poursuivis pour homicide routier.

Ces circonstances aggravantes sont notamment l'état d'ivresse, la consommation de stupéfiants, le défaut de permis, un dépassement de la vitesse maximale autorisée supérieur à 30 kilomètres à l'heure, le délit de fuite, le rodéo urbain ou encore le refus d'obtempérer, qui pourrit – chacun le sait – le travail de nos policiers et gendarmes.

La peine, elle, reste alignée sur ce qui est prévu actuellement : sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende, peine portée à dix ans et 150 000 euros d'amende en cas de double circonstance aggravante.

Certains regretteront que le quantum n'ait pas été modifié. Mais ce texte apporte une transformation plus fondamentale encore : il impose aux magistrats un regard nouveau, il leur donne les mots justes, il leur donne les outils pour dire la gravité, pour réaffirmer que la vie humaine n'est pas négociable.

En 2024, 3 190 personnes ont perdu la vie sur les routes de France métropolitaine et 233 000 ont été blessées, dont près de 16 000 grièvement ; et nous savons tous qu'outre-mer les chiffres sont encore plus accablants.

Dans deux tiers des accidents corporels, au moins un facteur aggravant est identifié et, dans trois quarts des cas, le responsable est récidiviste.

On ne peut donc plus parler de hasard, ni de fatalité.

Ce texte complète un arsenal déjà renforcé, voulu par le président Chirac et par tous ceux qui ont ensuite soutenu la cause de la sécurité routière : contrôles des stupéfiants élargis, suspension automatique du permis, peines aggravées en cas de récidive…

Mais il manquait le mot juste, le mot que la République doit aux victimes.

Oui, ce texte est ferme. Il doit l'être, car les vies brisées par la route méritent mieux que des demi-mots. Et à ceux qui craignent une pénalisation excessive, nous faisons la réponse suivante : il n'y a pas d'excès à protéger la vie ; il n'y a pas d'excès à refuser l'impunité ; il n'y a pas d'excès à vouloir que la justice parle le même langage que les forces de l'ordre et que les familles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux de nouveau saluer votre travail et rendre hommage à l'esprit de responsabilité de Francis Szpiner, qui nous a aidés à sécuriser ce texte autant que possible d'un point de vue juridique et constitutionnel.

Je veux saluer la responsabilité du Sénat, qui s'apprête à adopter conforme – je l'espère – le texte adopté par l'Assemblée nationale le 3 juin dernier. Cette adoption conforme, qui a déjà trop attendu du fait de la dissolution et des difficultés nombreuses inhérentes à notre procédure parlementaire, permettra une promulgation rapide et une entrée en vigueur sans délai.

Je veux aussi adresser une pensée particulière aux familles de France dont le combat aura marqué ce débat d'une empreinte indélébile. Elles auront, par leur force et leur dignité, permis que ce texte voie le jour. Aujourd'hui, ce combat aboutit. Ce que la République leur doit tient en un mot : merci.

Le Gouvernement soutient donc pleinement cette proposition de loi, car elle est juste, car elle est attendue, car elle est nécessaire.

Parce qu'en République le droit ne doit jamais être en retard sur la douleur des innocents et que ses mots ne doivent jamais contredire la réalité, j'invite la Haute Assemblée à adopter tel quel ce texte.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, à l'heure où ce texte revient devant le Sénat, il convient de rappeler quels en sont les enjeux.

En 2022, 3 163 personnes ont trouvé la mort sur les routes de France ; elles étaient 3 193 en 2024. Il y a donc bien une criminalité routière, et elle est insupportable.

Comme vous, monsieur le ministre d'État, j'utilise les mots de « criminalité routière » : nous avons le droit d'être parfaitement choqués par ces comportements.

En l'état de notre droit, celui qui occasionne la mort sur la route n'est coupable que d'un homicide involontaire. Or le fait de conduire volontairement en état d'ivresse, sous l'effet de la drogue, sans permis ou à une vitesse excessive n'est certes pas constitutif d'un homicide volontaire, mais cela ne saurait non plus être considéré comme un accident : l'atteinte à la personne ainsi commise est assimilable à une mise en danger de la vie d'autrui.

C'est donc à juste titre que les familles des victimes s'indignaient qu'un comportement volontaire, délibérément adopté, ne soit en définitive assimilé qu'à une faute non intentionnelle.

C'est dans ce contexte que cette proposition de loi a été présentée une première fois au Sénat. J'en ai été désigné rapporteur et je vais vous livrer ce que fut le cheminement de mon esprit.

Je considère que les gens qui conduisent avec ce que l'on appelle aujourd'hui des circonstances aggravantes sont des criminels. La question était donc de savoir si l'on pouvait faire de tels comportements un crime. C'eût été parfaitement possible : je rappelle que notre droit qualifie par exemple les violences volontaires qui ont entraîné la mort – les coups mortels – sans intention de la donner comme une infraction criminelle passible de quinze ans de réclusion et jugée par la cour criminelle.

Cette qualification était tentante.

Elle avait un mérite : elle désignait le chauffard pour ce qu'il est, c'est-à-dire un criminel. Elle le faisait comparaître devant la cour criminelle et, en appel, devant la cour d'assises : le regard posé par la société sur l'auteur d'un tel comportement devenait le regard que l'on pose sur un criminel.

Elle présentait un inconvénient : la justice ne peut pas être seulement théorique ; elle est pratique, malheureusement – et, monsieur le garde des sceaux, soyez assurés que je défendrai votre budget ! Si nous avions criminalisé ce comportement, ce que philosophiquement il convenait de faire, eu égard à la longueur et à la lourdeur de la procédure criminelle et des voies de recours afférentes et compte tenu du nombre d'affaires qui auraient alors eu vocation à faire l'objet de poursuites au criminel, les familles n'auraient pu obtenir satisfaction, c'est-à-dire justice, que dans des délais extrêmement longs.

Dans ces conditions, j'ai renoncé à faire de ce comportement un comportement criminel et me suis résolu à ce qu'il demeure dans le domaine délictuel, bien que philosophiquement – j'y insiste – un tel choix me paraisse déplaisant.

À partir du moment où l'infraction restait délictuelle, nous étions évidemment limités à la peine de dix ans, qui est le maximum prévu par la loi : l'homicide dit involontaire aggravé est actuellement puni de sept à dix ans d'emprisonnement, suivant les circonstances.

Or il m'apparaissait anormal de ne changer que le mot figurant dans la loi sans que la répression s'en trouve modifiée. J'avais donc suggéré que nous introduisions à nouveau des peines planchers, dont je rappelle qu'elles ne lient pas le juge, celui-ci conservant la faculté de s'en détacher en expliquant pourquoi il ne les applique pas.

La commission des lois, dans un premier temps, avait accepté cette suggestion. Par un retournement de situation dont le Parlement a le secret, un certain nombre de nos collègues ont changé d'avis en une semaine, sans doute pour des raisons parfaitement honorables et d'ordre exclusivement juridique… Les peines planchers n'ont donc pas été retenues, et nous avons voté, en première lecture, un texte qui se limitait à qualifier l'infraction visée d'« homicide routier », et non plus d'« homicide involontaire aggravé ».

La proposition de loi est ensuite revenue devant l'Assemblée nationale, qui a voté un texte identique à celui qu'elle avait adopté en première lecture. Et la voici aujourd'hui soumise au Sénat.

Je le dis très clairement : je trouve certes ce texte imparfait, mal agencé du point de vue de l'ordonnancement du code pénal, mais la question est de savoir si oui ou non nous répondons à l'attente des victimes.

Les vacances d'été, période de haute circulation routière, sont sur le point de commencer ; il est utile à cet égard, me semble-t-il, que soit introduite dans la loi le plus vite possible la notion d'homicide routier.

Voilà pourquoi j'ai souhaité une adoption conforme par le Sénat du texte voté par l'Assemblée nationale, même si, je le répète en étant très clair, je le trouve insuffisant : dit autrement, le Parlement aura à se pencher de nouveau sur la question de la criminalité routière. Il nous faudra faire une loi qui tienne compte de la réalité de cet enjeu et permette, en cette matière, de consacrer à la justice les moyens nécessaires.

Lorsqu'on prend le volant et que l'on est en état d'ivresse ou drogué, que l'on n'a pas le permis, que l'on roule à toute vitesse, on est un criminel ! Et les criminels sont jugés par les juridictions criminelles. Il faudra donc que la société se donne les moyens de jeter sur ceux que l'on appelle les chauffards la lumière crue de ce qu'ils sont réellement.

Je m'autorise un parallèle : pendant des années, les viols étaient correctionnalisés. Le jour où les auteurs de viols ont été renvoyés devant la cour d'assises, les peines n'ont pas nécessairement été plus sévères, mais la société reconnaissait ainsi que ce comportement était criminel.

Il faut, de la même façon, que les chauffards comprennent que leur comportement est criminel.

Je considère donc l'adoption de ce texte comme une première étape – le point de départ d'une réflexion – et non comme une fin en soi dans la lutte contre les violences et la criminalité routières. C'est pourquoi, une nouvelle fois, j'invite le Sénat à voter conforme le texte adopté par l'Assemblée nationale, afin que l'on ne puisse plus dire que l'homicide routier est involontaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Solanges Nadille et M. Louis Vogel applaudissent également.)

M. Jacques Grosperrin. Très clair !

M. le président. La parole est à M. Louis Vogel. (Mme Olivia Richard applaudit.)

M. Louis Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, chaque année, le rapporteur vient de le rappeler, plus de 3 000 personnes meurent sur la route. Ces morts, pour beaucoup d'entre elles, pourraient être évitées.

Selon l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière, 23 % des accidents mortels sont causés par l'alcool, 13 % par la prise de stupéfiants et 28 % par la vitesse excessive.

Cette proposition de loi créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière est donc une réponse concrète à un problème terrible.

Je tiens à saluer le travail des parlementaires engagés dans cette réforme, en particulier l'auteur de ce texte, la députée Anne Brugnera, ainsi que les rapporteurs, Francis Szpiner au Sénat et Éric Pauget à l'Assemblée nationale.

L'article 1er qualifie d'« homicides routiers » les homicides et atteintes involontaires résultant d'un manquement délibéré à une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ; on ne peut être plus clair.

Cette qualification fait écho à une recommandation du comité interministériel de la sécurité routière, qui demandait qu'une infraction d'homicide routier soit enfin créée.

Le ministre l'a rappelé, l'évolution de la qualification pénale de ces faits n'entraîne pas de modification du quantum de peine, qui prévoit déjà une gradation en fonction des circonstances aggravantes.

Au Sénat, en première lecture, d'importants débats ont eu lieu. La question d'ériger ces infractions au rang de crime s'est posée, comme le rapporteur l'a très justement rappelé.

Toutefois, les procédures criminelles étant très lourdes, retenir une telle qualification aurait eu pour conséquence d'imposer aux proches des victimes des délais excessivement longs avant d'obtenir une décision de justice.

Nous avons raisonné d'un point de vue pratique. Aussi notre rapporteur a-t-il proposé, en commission, d'instaurer des peines planchers en matière d'homicide routier, peines pouvant toutefois être écartées par le juge en fonction des circonstances.

Le retour du texte à l'Assemblée nationale en deuxième lecture a souligné des divergences entre les députés et les sénateurs sur cet article.

Afin de ne pas retarder l'entrée en vigueur de ce texte essentiel pour les victimes, notre commission des lois et notre rapporteur ont agi de façon responsable et fait le choix, en deuxième lecture, de retenir, pour ce qui est de cet article, la version initiale de l'Assemblée nationale.

Autre point majeur du texte : le renforcement de l'information et de la participation des parties civiles au procès.

L'article 1er bis A, introduit grâce au Sénat, modifie en ce sens le code de procédure pénale. C'est très important : en l'absence d'appel sur l'action civile et sur les intérêts civils, la partie civile sera avisée de la déclaration d'appel portant sur l'action publique ainsi que de la date de l'audience.

C'est une avancée très concrète : ce texte, je l'ai dit, a une portée pratique ; il s'agit d'améliorer réellement la situation des victimes.

La proposition de loi comporte aussi des mesures clés relatives au contrôle de la vitesse sur les routes. Je ne prendrai qu'un exemple : l'article 1er quinquies fait du dépassement d'au moins 50 kilomètres à l'heure de la vitesse maximale autorisée un délit.

Le groupe Les Indépendants soutient pleinement tous ces dispositifs.

Sachant que les excès de vitesse sont responsables de plus d'un quart des accidents mortels, leur qualification juridique ne doit évidemment pas relever du champ de la contravention, mais, à tout le moins, de celui du délit.

Enfin, le texte inscrit dans la loi l'examen médical obligatoire prévu au niveau réglementaire pour les conducteurs qui ont causé des blessures routières ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois.

Considérant l'ensemble de ces dispositions très pratiques, le groupe Les Indépendants soutient cette proposition de loi, qui constitue une avancée considérable pour les victimes, même si une partie du chemin, comme l'a rappelé notre rapporteur, reste peut-être à parcourir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu'au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Somon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Somon. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, je m'exprime trois minutes après des années d'un combat mené aux côtés des familles de victimes d'accidents routiers provoqués par des personnes se trouvant sous l'emprise de l'alcool ou de stupéfiants ou ayant gravement enfreint les règles de sécurité.

Je m'exprime, donc, pour reconnaître, sur le fond, l'avancée majeure qui consiste à qualifier enfin d'homicide routier, et non plus d'homicide involontaire, le fait pour le conducteur responsable d'un accident entraînant la mort ou de graves blessures d'avoir pris le volant en état d'alcoolémie ou après avoir fait usage de substances illicites, ou encore d'avoir contrevenu aux règles élémentaires du code de la route – défaut de permis de conduire, très grande vitesse.

Émise déjà depuis de nombreuses années, cette revendication est enfin satisfaite avec la reconnaissance d'une caractérisation spécifique du délit.

Cela étant, il manque encore, dans ce texte, des améliorations relatives aux délais de procédure, à l'application des sanctions prévues et à la prévention routière, sujets aujourd'hui négligés bien qu'il nous faille agir pour éviter trop de morts sur la route à cause de conducteurs inconséquents – c'est particulièrement vrai en cette période proche des vacances.

Pour ce qui est de la forme, il résonne en moi ces vers de Jean de La Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »

En effet, la méthode retenue pour convaincre les ministères et faire en sorte que cette proposition de loi aboutisse laisse amers tous les législateurs – il en est ainsi du député Pierre Morel-À-L'Huissier qui, dès 2017, réclamait à la fois la reconnaissance de cette dénomination et l'application des sentences prévues par la loi –, mais aussi les victimes, leurs familles et les nombreuses associations, comme Victimes et Avenir. Celles-ci demandent en effet depuis des années cette reconnaissance, ainsi qu'un resserrement des procédures, tout en exigeant d'être informées des sentences réellement exécutées – 10% seulement des peines d'incarcération prononcées sont effectuées. Il faut en outre savoir que les amendes sont d'un montant moyen de 500 euros.

Pourquoi faut-il que les textes n'évoluent, avec l'assentiment des gouvernants, que lorsque des personnalités sont touchées ? Pourquoi seuls ceux qui ont l'oreille du Château, grâce à leurs moyens, doivent-ils avoir voix au chapitre dans les discussions au sein des ministères concernés ? Pourquoi des vies meurtries à jamais, des voix comme celle, parmi bien d'autres, de M. Yann Desjardins, après la mort de son fils Guillaume, n'ont-elles pas été considérées ?

Pourquoi ne pas appliquer les sentences avec davantage de rigueur, sans remettre en cause le rôle de la justice ni l'individualisation de la peine ? Il s'agit – pour rendre justice, précisément – d'entendre la souffrance des familles et de penser d'abord aux victimes.

Mes chers collègues, je voterai cette proposition de loi, mais j'attends, monsieur le ministre, comme vous l'avez annoncé au Sénat il y a une quinzaine de jours, que vous vous attachiez dès la rentrée, sur la base notamment des travaux de Dominique Vérien et Elsa Schalck, à garantir l'efficience des peines et à faire en sorte que puisse être rendue une justice équilibrée, comprise, morale.

Les coupables doivent mesurer leur culpabilité par une privation de liberté définie par le juge et comprendre alors la douleur qu'ils font subir, ad aeternam, aux victimes et à leurs familles.

Je voterai ce texte avec une folle – mais réelle – espérance, car il est grand temps, monsieur le ministre, qu'en ce domaine on avance encore davantage, pour plus de sécurité routière et moins d'insécurité pénale.

La cour du Château a entendu en 2022 cette belle phrase que Yann, le père de Guillaume, avait auparavant prononcée à Amiens sans être écouté : « J'essaie de me mettre au service des autres pour donner un sens à ma vie. ».

Yann a été emporté par la maladie en 2021 ; s'il avait été entendu dès 2017, des vies auraient peut-être été sauvées, à supposer que cette proposition de loi ait bien la vertu qu'on lui prête, celle-là même qui a déterminé le calendrier – à la veille des vacances – de son examen. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Solanges Nadille. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, chaque jour, sur nos routes, des vies basculent. Des familles sont brisées, des espoirs s'éteignent, des tragédies s'inscrivent dans une forme d'injustice silencieuse.

En 2022, 3 267 personnes ont perdu la vie sur les routes de France hexagonale et 283 sur celles des territoires d'outre-mer. En définitive, ce sont environ dix personnes qui meurent chaque jour sur les routes. Dans 12 % des cas, des stupéfiants sont en cause. L'alcool, lui, est impliqué dans près de 30 % des accidents mortels.

Derrière ces statistiques, il y a des destins brisés, des familles endeuillées, des absences irréparables. Certains drames suscitent une émotion collective, lorsqu'ils sont médiatisés, mais la plupart demeurent silencieux, ne laissant derrière eux qu'un prénom, parfois oublié, et un chiffre de plus dans une longue liste. Pourtant, chacune de ces vies avait son histoire et aucune ne mérite l'indifférence.

La sécurité routière n'est pas une politique acquise une fois pour toutes. Elle exige engagement constant, vigilance de chaque instant et choix politiques courageux. Et ce texte, mes chers collègues, est un tel choix politique.

La proposition de loi dont nous débattons vise à changer le regard que notre droit pénal porte sur ces infractions : il s'agit de les considérer non plus comme de simples « homicides involontaires », mais bien comme des actes d'une gravité extrême, liés à des comportements de conduite délibérément dangereux. Il s'agit, en d'autres termes, de reconnaître enfin la spécificité de ces drames et de se placer aux côtés des victimes et de leurs familles, qui réclament légitimement justice et reconnaissance.

L'article 1er de la proposition de loi crée ainsi un nouveau chapitre dans le code pénal, introduisant la qualification d'homicide routier et de blessures routières. Dès qu'une circonstance aggravante est constatée – usage de stupéfiants, conduite sans permis, excès de vitesse significatif, entre autres –, la qualification d'homicide routier pourra être retenue.

Ce changement de terminologie n'est pas qu'un symbole : il exprime clairement la gravité des faits.

Le texte va plus loin, en prévoyant des peines complémentaires – suspension ou annulation de permis, confiscation du véhicule, dispositifs d'antidémarrage – et une systématisation des mesures à visée dissuasive et préventive. L'instauration d'un examen médical pour évaluer l'aptitude à la conduite après un accident va également dans le sens d'une meilleure protection.

Je tiens à saluer ici le travail mené par le rapporteur Francis Szpiner, ainsi que celui des députés Anne Brugnera et Éric Pauget, qui ont porté ce texte avec détermination.

Je veux aussi, en tant qu'élue d'outre-mer, insister sur la situation dramatique que connaissent les territoires ultramarins, où les jeunes âgés de 25 à 34 ans figurent parmi les principales victimes de l'insécurité routière. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : selon l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière, la mortalité routière pour 1 million d'habitants est en moyenne trois fois plus élevée en outre-mer qu'en Hexagone. Alors que la moyenne annuelle s'élève à 45 tués par million d'habitants en France hexagonale, elle est de 78 tués par million en Martinique, de 120 en Guyane et de 143 en Guadeloupe, mon territoire.

Dans notre archipel, les campagnes de prévention et les actions de sensibilisation, bien que récurrentes, n'ont que trop peu d'effets ; encore une fois, les chiffres traduisent une réalité préoccupante.

Si le nombre total d'accidents diminue, les indicateurs les plus graves sont en hausse. Le nombre de décès a augmenté de 18 % par rapport à 2024 et de près de 33 % par rapport à 2023.

Depuis le début de l'année 2025, on a recensé près de 22 personnes tuées sur les routes de Guadeloupe. Il ne s'agit donc plus simplement d'un enjeu de sécurité publique, mais c'est un défi de santé publique et de cohésion sociale. Dans ces territoires souvent oubliés, l'adoption de cette proposition de loi serait un signal fort. Elle marquerait la reconnaissance d'un fléau que nous devons collectivement affronter.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI apportera son plein soutien à ce texte.

Pour ma part, je le voterai aussi en conscience pour ces familles endeuillées et pour inscrire dans la loi une reconnaissance nécessaire : celle que chaque victime de la route, où qu'elle vive, mérite justice et considération. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP. – Mmes Lauriane Josende et Olivia Richard applaudissent également.)