La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui entend corriger les effets de bord issus de la loi dite Belloubet de 2019, reposant sur l’aménagement automatique des peines courtes. Ce régime, censé désengorger les prisons, a paradoxalement aggravé la surpopulation carcérale et suscité des stratégies d’évitement. Cela a été rappelé, au 1er avril 2025, on comptait plus de 81 000 détenus pour 62 000 places de prison.
La loi de 2019 mène donc bien à une impasse : les dispositions du code pénal ne permettent plus de mettre en œuvre des incarcérations de courte durée, incitant les magistrats à prononcer des peines plus longues pour garantir l’exécution effective d’une sanction réellement privative de liberté.
Nous le constatons, notre système pénal est à bout de souffle. Il ne répond plus à l’attente de nos concitoyens, qui exhortent l’État à une fermeté concrète et efficace. Combien de Français sont sidérés par le fait que le délinquant n’exécutera pas sa peine jusqu’au bout, ou même pas du tout ? Selon différentes études, entre 30 % et 40 % des personnes condamnées n’effectuent jamais leurs peines fermes, et ceux qui la font ne l’exécutent jamais entièrement.
Il nous faut donc réformer notre système pénal en profondeur, en ayant le courage d’une grande réforme, d’un véritable choc pénal.
Il est obligatoire de passer par une simplification massive du code de procédure pénale et du code pénal, qui font respectivement, je le rappelle, 2 300 et 1 700 pages. Même les magistrats demandent une simplification, ils ne s’y retrouvent plus ! Il faut replacer la victime au cœur de la procédure, car elle en est trop souvent écartée au profit de l’auteur de l’infraction.
Notre police est embourbée dans un labyrinthe de procédures, avec tout ce que cela peut entraîner comme vices de procédure, et ces procédures sont de plus en plus complexes. On constate une explosion du nombre de dépôts de plainte, dont le stock est de plus de 3 millions.
Se pose la question de la responsabilité pénale des mineurs. J’ai déposé une proposition de loi pour lever l’excuse de minorité dès 15 ans, et non 16 ans comme aujourd’hui. M. le ministre d’État a dit être favorable à une réforme constitutionnelle pour abaisser la majorité pénale ; nous verrons ce qu’il en sera.
Une réflexion mériterait aussi d’être menée sur la question importante du développement des centres éducatifs fermés et des établissements pénitentiaires pour mineurs, lesquels sont trop peu nombreux, alors qu’ils sont des substituts à la liberté surveillée et à l’emprisonnement dans des quartiers pour mineurs.
La Cour des comptes préconise d’ailleurs de consolider le projet des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) face aux quartiers pour mineurs, ce qui pourrait désengorger en partie les prisons. Mais bien entendu, tout cela demande des moyens supplémentaires, notamment financiers.
Pour restaurer l’autorité attendue par les Français, il est urgent de retrouver une justice lisible, respectant l’équilibre entre répression, individualisation de la peine et prévention de la récidive.
Je soutiens donc ce texte, qui apportera l’autonomie nécessaire au magistrat et redonnera du sens à la fonction répressive de la peine privative de liberté.
M. Michel Savin. Très bien !
Mme Nadine Bellurot. Je remercie notre rapporteur Stéphane Le Rudulier, qui a travaillé dans des délais contraints.
Le texte issu de la commission conserve la philosophie de la proposition de loi initiale en intégrant notamment le renforcement du rôle du juge de l’application des peines pour évaluer le mode d’exécution la plus adapté ; c’est un point important.
Il redonne du sens à la prison ferme et restaure l’autorité des décisions judiciaires. Nous en avons besoin.
Enfin, j’espère qu’il ouvrira la voie, pour reprendre les termes du ministre de la justice, à une « révolution pénale ». Nous lui donnons rendez-vous en septembre prochain. Les Français attendent et ont besoin d’une justice lisible, pour eux comme pour les victimes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui touche à un fondement de notre pacte républicain : la justice, plus particulièrement l’effectivité de la peine.
Ce texte se fonde sur un constat : une part importante des peines d’emprisonnement ferme n’a pas donné lieu à l’incarcération des condamnés, en raison des aménagements prévus par la loi. En 2023, cette proportion représentait plus de 40 % des peines prononcées.
En parallèle, de nombreux sondages montrent que la plupart des Français jugent la justice trop laxiste. Cette situation alimente le sentiment d’impunité, entame la crédibilité de notre système judiciaire et nourrit l’idée, injuste mais tenace, d’une justice trop indulgente.
Ce phénomène est en partie dû à la loi du 23 mars 2019, qui impose un aménagement quasi systématique des peines d’une durée inférieure ou égale à un an. Ces dispositions, connues sous le nom de « bloc peine », visaient à réduire la surpopulation carcérale et à favoriser la réinsertion.
J’aimerais tout de même rappeler que l’intention de la loi de 2019 était tout à fait louable. Elle avait vocation à ne plus systématiser l’emprisonnement ferme pour les courtes peines du fait de leur caractère désocialisant, favorisant plutôt la récidive. Ce choix nous semblait redonner du sens à la sanction.
Or force est de constater que la densité carcérale n’a cessé d’augmenter : au 1er mai 2025, plus de 82 000 personnes étaient détenues – un record ! –, avec un taux d’occupation moyen supérieur à 130 %, atteignant presque 160 % en maison d’arrêt.
Ce dispositif a pu également induire des effets de bord, conduisant les magistrats à prononcer des peines plus longues pour contourner un aménagement automatique.
Le texte vise donc à inverser la logique actuelle. Il rétablit la possibilité de prononcer des peines d’emprisonnement inférieures à un mois et met fin à l’obligation quasi systématique d’aménager les peines inférieures à un an.
Il porte également à deux ans le seuil permettant un aménagement de la peine. Il fait de l’exécution effective de la peine ferme le principe et de l’aménagement, l’exception.
En commission, plusieurs ajustements ont été apportés pour éviter que cette réforme ne reproduise, à rebours, les défauts du droit actuel. Par exemple, la motivation spéciale imposée en cas d’aménagement a été supprimée pour éviter de dissuader les magistrats.
Toutefois, malgré ces améliorations, des réserves subsistent. Car permettre un retour en force des courtes et très courtes peines sans réforme structurelle du système pénitentiaire risque de désorganiser encore davantage des établissements déjà sous tension. Une peine de quelques semaines, mal exécutée, peut se révéler plus désocialisante qu’utile.
Face à la surpopulation carcérale chronique, nous croyons qu’il est essentiel de privilégier les alternatives à l’emprisonnement ferme, comme la détention à domicile sous surveillance électronique ou la semi-liberté.
L’incarcération systématique d’un individu dans un établissement saturé, où il est parfois contraint de dormir sur un matelas au sol, compromet gravement le sens de la peine. Une telle situation met en péril le triple objectif de notre politique pénale : assurer la protection de la société, prévenir la récidive et accompagner la réinsertion.
C’est pourquoi, au sein du groupe RDPI, nous partageons l’objectif de restaurer pleinement la crédibilité de la réponse pénale, mais nous estimons que cette question ne peut être traitée isolément de cette manière. Elle doit s’inscrire dans une réflexion plus large sur l’exécution des peines, le rôle de la probation, les peines alternatives et, bien évidemment, la capacité d’accueil de nos établissements pénitentiaires, permettant une incarcération et une prise en charge différenciée en fonction des infractions, soutenue en parallèle par la création de places de prison.
En ce sens, la réforme annoncée par M. le garde des sceaux nous semble un véhicule législatif plus approprié pour légiférer sur ce sujet. Aussi, nous saluons l’esprit du texte, mais nous considérons qu’à ce stade, il convient de s’en tenir à une position de prudence.
Pour ces raisons, la majorité du groupe RDPI s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme a été déposée en octobre dernier par Loïc Kervran et plusieurs de nos collègues députés.
Quelqu’un ne connaissant rien à la prison ou à la justice pourrait s’étonner d’un tel intitulé et se demander s’il signifie que, en France, les criminels et les délinquants ne vont pas en prison… Évidemment, une telle observation serait légèrement simplificatrice.
En réalité, l’objectif principal du texte est d’éviter, autant que faire se peut, l’aménagement des peines de prison d’une durée inférieure ou égale à un an, et de favoriser les peines ultracourtes, afin de mieux lutter contre la récidive.
Concrètement, il va donc à l’inverse de l’esprit de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui visait notamment à permettre à de nombreux condamnés de purger leurs peines différemment, en milieu ouvert, en effectuant par exemple des travaux d’intérêt général ou en portant un bracelet électronique. En 2019, le but du législateur était bien sûr de désengorger les prisons.
Tout d’abord, il est vrai que le nombre de personnes effectivement condamnées à des peines de prison ferme, mais n’étant pas détenues, a augmenté : il est passé de 12 500 à 18 000 entre janvier 2021 et aujourd’hui.
Or la population carcérale n’a pas diminué pour autant. Quelle en est la raison ? En partie, mais en partie seulement, la réforme a eu des effets de bord. En effet, depuis son entrée en vigueur, lorsque les juges veulent s’assurer qu’un prévenu ira bien en prison, ils prononcent des peines plus sévères que par le passé.
En conséquence, l’un des objectifs de la loi de 2019, à savoir la réduction de la population carcérale, n’est pas atteint. Au contraire, cette dernière atteint des sommets. Actuellement, en France, près de 82 000 personnes sont détenues dans 62 000 places de prison et 4 500 personnes dorment sur des matelas à même le sol. La surpopulation dans les prisons françaises est donc de plus de 130 %.
Une question tout à fait pratique se pose donc : comment favoriser l’exécution des courtes peines et mieux prévenir la récidive, alors qu’il n’y a tout simplement pas assez de places dans les prisons et qu’il faudrait des années pour en construire davantage ? Plusieurs réponses sont envisageables.
Peut-être faudrait-il repenser l’ensemble de la chaîne pénale et davantage coordonner ses acteurs, en suivant les préconisations formulées dans le rapport rendu par la Cour des comptes en mars dernier.
Peut-être faudrait-il rendre effectives les condamnations à des peines de travaux d’intérêt général et celles qui sont exécutées sous bracelet électronique, puisque les résultats de la réforme ne sont pour l’instant pas satisfaisants en la matière.
Peut-être s’agirait-il encore de renforcer le suivi des personnes condamnées par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip). Le rapport que je mentionnais souligne que « l’accompagnement reste trop limité, alors que le profil des condamnés présente des difficultés sociales plus marquées et des parcours de réitération aggravés ».
Peut-être, enfin, faudrait-il donner plus de moyens à la justice, à nos magistrats et à nos greffiers.
Dans tous les cas, il faudrait un texte complet, une étude d’impact, voire une véritable « révolution pénale », pour « améliorer drastiquement le service public de la justice ». Cela tombe bien, tel est précisément l’objectif du garde des sceaux, écrit noir sur blanc dans une lettre adressée à nos présidents de groupe respectifs.
Ce courrier lance une large concertation et annonce le début des États généraux de l’insertion et de la probation, qui auront lieu jusqu’en décembre prochain. Parmi les propositions soumises à la discussion figurent la mise en place de peines minimales, la suppression du sursis et de l’aménagement obligatoire des peines et l’expérimentation des ultracourtes peines de prison. Bref, nous reparlerons exactement de ces sujets dans quelques mois, mais en disposant de chiffres, d’une étude d’impact et éventuellement de davantage de temps.
Aussi, pourquoi le Gouvernement a-t-il donc inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour de nos travaux, et pourquoi annonce-t-il s’en remettre à la sagesse du Parlement, alors que le projet de loi du garde des sceaux se précise, que la mission d’information sur l’exécution des peines du Sénat n’a pas encore rendu ses conclusions et que la présente proposition de loi ne se fonde sur aucun bilan ni avis du Conseil d’État ?
Mon groupe considère que voter en faveur de ce texte reviendrait à faire une nouvelle fois exactement tout ce que les professionnels de la justice nous reprochent : légiférer par à-coups sans anticiper les conséquences de nos décisions et adopter un texte d’appel, par ailleurs totalement inapplicable et hors sol.
Que le rapporteur ait en commission amélioré le texte comme il le pouvait ne change malheureusement pas ce constat. En attendant la « révolution pénale », le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen s’abstiendra. (M. Christophe Chaillou applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons a été déposée en octobre 2024 par Loïc Kervran et plusieurs députés. Elle vise principalement à revenir sur certaines dispositions de la loi du 23 mars 2019 qui ont profondément modifié les règles d’aménagement des peines d’emprisonnement ferme, au travers de ce que l’on a appelé le « bloc peine ».
L’objectif affiché était de renforcer le sens des peines, de limiter les incarcérations inutiles et de garantir un meilleur suivi des condamnations. Malheureusement, le résultat est bien différent.
Le « bloc peine » a produit des effets de bord massifs. Il a aggravé la surpopulation carcérale, sans pour autant améliorer l’exécution des peines. Pis, il a contribué à une complexification excessive du prononcé et de l’exécution des peines, entraînant parfois le contournement de décisions devenues peu lisibles.
En réponse, la proposition de loi tend à inverser la logique actuelle. Elle revient sur l’aménagement systématique des peines et supprime la libération sous contrainte de plein droit, qui permet une sortie quasi automatique trois mois avant la fin de la peine. Je dois le dire, une telle suppression est demandée par tous les acteurs de la chaîne pénale.
La proposition de loi a donc deux objectifs. Le premier est de permettre l’exécution effective des peines inférieures ou égales à un mois, aujourd’hui presque systématiquement écartée. Le second est de mettre fin à l’obligation quasi automatique d’aménager les peines d’une durée inférieure ou égale à un an, en redonnant aux magistrats leur pleine liberté d’appréciation pour les peines d’une durée inférieure ou égale à deux ans.
Si personne ne conteste qu’il est nécessaire d’agir, permettez-moi de formuler une remarque de méthode. Est-il bien sérieux, sur un sujet aussi fondamental que l’exécution des peines, de légiférer après une seule journée d’auditions, alors même qu’un projet de loi plus ambitieux est attendu à la rentrée et qu’une mission parlementaire est en cours ?
Je pense au travail que je mène avec mes collègues Elsa Schalck et Laurence Harribey dans le cadre de la mission d’information sur l’exécution des peines. Depuis plusieurs mois, nous y entendons la réalité du terrain : magistrats, surveillants, associations, tous alertent sur le décalage croissant entre les intentions de la loi et ses effets réels.
Saluons néanmoins le travail du rapporteur, qui, malgré des délais contraints, a proposé plusieurs amendements utiles. Il a justement constaté que les solutions avancées risquaient de reproduire les mêmes travers que le droit actuel, à savoir complexité, rigidité et stratégies de contournement.
C’est pourquoi, sur l’initiative du rapporteur, la commission des lois a pris des mesures importantes. Elle a ainsi décidé de mettre fin à l’obligation de motivation spéciale pour l’exécution des peines de prison ferme, sans imposer pour autant une motivation équivalente pour leur aménagement.
Elle a également décidé de favoriser le passage des condamnés devant le juge de l’application des peines lorsque la juridiction de jugement n’est pas en mesure de déterminer la modalité d’exécution la plus adaptée, mais aussi de mieux encadrer le recours au fractionnement des peines, aujourd’hui encore trop peu utilisé.
Plus généralement, nous le savons, l’aménagement quasi automatique des peines d’une durée inférieure ou égale à un an alimente de profonds sentiments d’impunité chez les auteurs et d’injustice chez les victimes.
En 2023, plus de 40 % de ces peines n’ont pas abouti à une incarcération effective. Cela nourrit une défiance croissante envers notre justice, particulièrement chez les victimes de violences conjugales, les élus ou les commerçants ciblés par des actes répétés. Que signifie une peine de prison, si celle-ci n’est ni visible ni ressentie ?
En réalité, il s’agit d’un problème de communication. Nous savons bien que la condamnation en années de prison est prononcée par le juge du fond, qui tient compte de ce que la peine sera ensuite aménagée par les juges de l’application des peines. Toutefois, la méconnaissance de la justice et un manque de pédagogie provoquent de nombreuses déceptions de la part des victimes et de la société, qui entendent le prononcé d’une peine de prison.
Soyons lucides : les courtes peines ne sont pas une solution miracle. Pourtant, bien utilisées, elles permettraient d’intervenir tôt dans les parcours de délinquance, de limiter l’ancrage criminel et de moins désocialiser que les longues détentions.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. C’est vrai !
Mme Dominique Vérien. Laisser aux juges la possibilité de prononcer davantage de peines ferme, même si celles-ci sont courtes, voire très courtes, permettrait également de mieux optimiser l’occupation carcérale. Une même place pourrait accueillir plusieurs détenus par an, au lieu d’un seul.
Pour autant, restons prudents au sujet de l’efficacité des peines courtes et très courtes, surtout dans l’état actuel de notre système carcéral, car nos prisons restent malheureusement des lieux de reproduction de la violence.
Tant que les profils – primodélinquants, trafiquants, détenus violents – ne seront pas mieux séparés, on continuera à transformer de petits délinquants en récidivistes aguerris.
Il faut créer des filières spécifiques, en assurant l’encadrement et un suivi adapté aux courtes peines. Des pays européens s’y emploient déjà. La Suède ou la Finlande, par exemple, ont développé des unités semi-ouvertes pour les peines inférieures à six mois, centrées sur le travail, la préparation à la sortie et la responsabilité. Pourquoi ne pas nous en inspirer ?
Ces prisons présentent aussi l’avantage d’avoir moins besoin d’être sécurisées. Il n’y a en effet aucun risque que l’un de ces détenus s’évade en hélicoptère, ce qui signifie de réelles économies lors de leur construction. Les moyens dégagés pourraient d’ailleurs être réinvestis dans la modernisation de nos établissements existants ou dans les moyens humains nécessaires à l’accompagnement.
Surtout, une peine bien exécutée, c’est une sortie bien préparée. Logement, emploi, soins : la prévention de la récidive commence bien avant la sortie. Si nous voulons que la justice soit efficace, il faut aller jusqu’au bout de la peine.
Mes chers collègues, nous voterons ce texte qui libère le juge, mais nous devons admettre que nous n’en maîtrisons pas tous les effets.
Si son adoption a pour conséquence de multiplier les courtes peines de prison effective au lieu des aménagements de peine, gare à l’explosion carcérale, tant que des places aménagées ne seront pas créées. Si au contraire, comme j’aimerais le croire, le texte permet au juge de prononcer une peine de prison ferme de seulement six mois et non plus une peine supérieure à un an, tout en étant sûr que le prévenu ira en prison, alors il aura des effets positifs.
Toutefois, ce texte ne saurait être un point d’arrivée. Nous ne l’examinons pas selon la procédure accélérée et nous discuterons bientôt d’autres textes, ainsi que du rapport de notre mission d’information. La proposition de loi présente au moins le mérite d’ouvrir la discussion, et nous ne voyons donc pas de raison de nous y opposer. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Louis Vogel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alexandre Basquin.
M. Alexandre Basquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après plusieurs réformes pénales, nous voilà devant une nouvelle proposition de loi visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme, en particulier les courtes peines. Permettez-moi d’y voir une forme de fuite en avant et de surenchère sur le paysage pénal et pénitentiaire.
M. Alexandre Basquin. La proposition de loi fait d’ailleurs débat sur l’ensemble des travées du Sénat, et pour cause.
Ainsi que cela a été souligné, la France compte 62 000 places de prisons pour près de 85 000 détenus. Notre pays a d’ailleurs été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en 2020, la Cour qualifiant d’« indignes » les conditions de détention et de « structurelle » la suroccupation carcérale.
Didier Migaud, alors garde des sceaux, avait d’ailleurs confié au Sénat qu’il faudrait construire une prison par mois pour atteindre un taux d’occupation digne. M. le ministre Darmanin s’est également engagé, à raison, à construire 15 000 nouvelles places de prison pour lutter contre la surpopulation carcérale. En effet, la surpopulation est dangereuse et nuit à la réinsertion des détenus, qui, dans certaines prisons, vivent à trois ou quatre dans des cellules de neuf mètres carrés.
Dans ce contexte, il est proposé d’enfermer systématiquement les personnes condamnées à de courtes peines. Cela n’a absolument aucun sens, si ce n’est d’aggraver une situation déjà extrêmement tendue, ainsi que M. le rapporteur l’a souligné.
Rappelons-le, l’inflation carcérale vient en partie de l’inflation du nombre des infractions. Selon un article publié en 2022 dans le journal Le Monde, dont on connaît le sérieux, en onze années, 3 600 infractions pénales nouvelles, de la contravention de première classe au crime, ont été ajoutées à l’arsenal existant.
La proposition de loi tend à inverser la logique, en faisant de l’aménagement de peine non pas le principe, mais l’exception, mais ses auteurs ignorent la réalité du monde carcéral.
Aujourd’hui, un conseiller d’orientation et de probation suit en moyenne 70 personnes, parfois même jusqu’à 120 personnes, alors que le Conseil de l’Europe estime qu’il devrait suivre 40 personnes, si bien que, en pratique, il n’est pas rare qu’un détenu sorte de détention sans même avoir rencontré un conseiller.
S’agissant des courtes peines, il est évident que les services ne seront pas en mesure d’accompagner vers un changement durable les personnes écrouées. De nombreux criminologues estiment ainsi que l’incarcération courte est criminogène. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio proteste.)
Je me permets une parenthèse, à toutes fins utiles : on compte 4 000 postes vacants au sein de la direction de l’administration pénitentiaire… Peut-être faudrait-il commencer par régler ce problème.
De même, un rapport d’information rendu en juillet 2023 par les députés Caroline Abadie et Elsa Faucillon soulignait l’efficacité des solutions alternatives à la prison ferme et encourageait leur poursuite, tout simplement parce qu’elles réduisent les risques de récidive.
Toutes les études le démontrent, il faut travailler sur l’emploi, l’insertion et le suivi de la famille pour prévenir la délinquance. La réinsertion, quand elle est menée dans de bonnes conditions, fait évidemment ses preuves. Malheureusement, ces éléments sont totalement occultés du débat public, ce que je regrette, car, lorsqu’on les a en tête, on se rend compte que la peine de prison ne peut pas être la référence, encore moins dans une société civilisée telle que la nôtre.
Enfin, ma philosophie quelque peu rousseauiste me conduit à penser que les hommes et les femmes sont naturellement bons et que c’est la société qui les change.
Disons-le, de cures d’austérité en cures d’austérité, notre société sacrifie le contrat social : réduction des moyens de l’éducation nationale, remise en cause de la politique de la ville, sacrifice de la vie associative sur l’autel des restrictions budgétaires, aide sociale à l’enfance en souffrance, services publics amoindris et attaqués de toute part, politique de l’offre inefficace, chômage endémique, vie chère, pauvreté ne cessant de s’installer, jeunesse aux abois. Dans les communes rurales comme dans les quartiers, de trop nombreuses personnes se lèvent le matin groggy par la vie.
Si l’on prend en compte le fait que les classes modestes et populaires sont surreprésentées dans le milieu carcéral, on peut réellement parler de déterminisme social – permettez-moi de le formuler ainsi.
Il y a là un échec patent de notre société à construire un cadre émancipateur pour le plus grand nombre. C’est à cela qu’il faut s’attaquer. On s’attarde trop souvent à traiter les conséquences, mais je pense plus que jamais nécessaire de traiter enfin collectivement les causes des maux de notre société.
Pour terminer, affirmer que cette proposition de loi, qui n’a qu’une visée purement punitive, améliorera notre sort collectif est parfaitement illusoire. Vous l’aurez compris, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky s’opposera au principe d’incarcération aveugle et à tout va, ainsi qu’à cette proposition de loi dogmatique, déséquilibrée et de très courte vue.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je prononce cette intervention au nom de mon collègue Guy Benarroche, dont je vous prie d’excuser l’absence.
Je regrette que nous nous retrouvions à examiner une proposition de loi politicienne, sans disposer d’un avis du Conseil d’État, et dont le message simpliste est : « Plus d’enfermement, c’est bien ».
En outre, je regrette que cette vision punitive de l’enfermement soit pensée de manière différenciée, les délinquants financiers en étant exemptés, ainsi qu’en attestent les déclarations du garde des sceaux.
Pour le formuler trivialement, y aurait-il donc une bonne délinquance, qui ne mérite pas de peines de prison, et une mauvaise délinquance, celle qui ne doit pas bénéficier d’un prétendu laxisme ? Peut-on toujours parler de justice dans ces conditions ?
Ce texte vise à favoriser le prononcé de très courtes peines de prison ferme. Au-delà du fond, de la vision du droit pénal et de la philosophie du droit que cela illustre, je souhaite rappeler la situation actuelle de manière pragmatique.
A-t-on vraiment les moyens de mettre encore plus de personnes en prison ? Dans quelle mesure pouvons-nous incarcérer plus, et bien incarcérer ?
L’état de nos prisons est déjà lamentable. Je parle des détenus, mais aussi des conditions dans lesquelles nous acceptons de faire travailler des fonctionnaires impliqués et courageux, mis en difficulté et parfois en danger par la surpopulation carcérale.
Les chiffres, aussi édifiants que honteux, ne résultent pas du seul gouvernement actuel. Comment accepter qu’en moyenne la densité carcérale soit au 1er juin dernier de 135 % et que 4 500 personnes dorment à même le sol ?
Dans certains établissements, comme dans la maison d’arrêt de Lyon-Corbas ou à la prison des Baumettes à Marseille, le taux de remplissage atteint les 200 %. D’après les syndicalistes sur place, trois ou quatre détenus sont contraints de partager des cellules de 9 mètres carrés, ce qui crée des tensions, notamment dans le quartier des arrivants, où la situation est critique depuis longtemps. Les détenus y restent souvent environ un mois, contre dix jours normalement.
L’enfermement a pour but d’assurer la protection de la société, la punition du coupable et la préparation à sa réinsertion.
En ce qui concerne la réinsertion, les études sont formelles : les courtes peines de prison sont un facteur de précarisation. Les personnes incarcérées perdront souvent leur emploi, voire leur logement. Les services pénitentiaires n’auront pas le temps de les accompagner dans une réinsertion raisonnable et le nombre de sorties sèches augmentera.
Si l’exécution d’une peine de prison ne prépare pas les condamnés à la réinsertion, elle devient déséquilibrée, dangereuse et néfaste. C’est un facteur de récidive, la première étape du cercle vicieux de la délinquance.
Tout le monde cite en exemple des pays étrangers où l’exécution des peines de prison ferme est automatique, mais les conditions et les moyens alloués à la détention ne sont pas équivalents aux nôtres.
Ce texte va donc à rebours des études et des avancées récentes que nous avons discutées lors de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Il vise par exemple à revenir sur le principe actuel selon lequel l’emprisonnement ferme ne peut être prononcé qu’en dernier recours. C’est un vrai changement de paradigme, un revirement coupable décidé sans rationalité, alors que ce fondement avait été consacré par la loi de programmation de 2019.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires proposera des amendements visant à supprimer les mesures les plus dangereuses de la proposition de loi.
Nous demanderons la suppression de l’article 1er, qui constitue le cœur du dispositif. Au-delà de la volonté d’affichage idéologique que nous ne partageons pas, nous le répétons, l’enfermement de courte durée constitue dans les conditions actuelles un premier pas vers la récidive, tant que la réinsertion, grande absente du texte, n’est pas assurée.
Nous demanderons également la suppression de l’article 2, qui revient sur le principe d’un aménagement de la peine ab initio.
Encore une fois, les solutions de rechange à l’enfermement sont bénéfiques pour la lutte contre la récidive. Revenir sur le principe selon lequel le juge peut en prononcer revient aussi à s’attaquer à l’office du juge.
Mes chers collègues, la proposition de loi est sous-tendue par l’idée, fausse, qu’une peine aménagée serait une peine non exécutée. Le groupe GEST votera résolument contre ce texte, qui met à mal, une fois encore, notre État de droit et les principes fondamentaux de la justice.
M. le président. La parole est à M. Christophe Chaillou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Christophe Chaillou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme, déposée par notre collègue Loïc Kervran, s’inscrit dans une succession de propositions de loi à visée sécuritaire portées par la majorité sénatoriale et très souvent soutenues par le Gouvernement.