M. le président. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l'objet de la deuxième lecture.

Vote sur l'ensemble

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Article 3 (début)
Dossier législatif : proposition de loi créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière
 

4

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme
Discussion générale (interruption de la discussion)

Peines d'emprisonnement ferme

Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme (proposition n° 519, texte de la commission n° 781, rapport n° 780).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d'État.

M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux, dans un premier temps, remercier M. le député Loïc Kervran de son initiative, qui témoigne de la volonté sincère du Parlement de répondre aux fortes attentes de nos concitoyens à l'égard de la justice pénale, que ce soit en termes de fermeté, de lisibilité ou de caractère certain de l'exécution des peines.

Sa proposition de loi et les très nombreux travaux en cours, tant à l'Assemblée nationale qu'au sein de la commission des lois de la Haute Assemblée, traduisent une exigence partagée : l'effectivité des peines et l'exécution visible, tangible et concrète des décisions de justice, le sujet n'étant pas tant le quantum de la peine que la certitude et la rapidité de son exécution.

Cet objectif est pleinement légitime. C'est d'ailleurs le mien depuis mon arrivée place Vendôme voilà quelques mois.

Après la réorganisation du monde pénitentiaire, en particulier l'ouverture de prisons de haute sécurité le 31 juillet prochain permise par l'adoption de la proposition de loi Narcotrafic issue des travaux du Sénat et complétée par le Gouvernement – je vous informe d'ailleurs que le projet de décret régissant le nouveau régime carcéral a été transmis aujourd'hui même au Conseil d'État –, j'ai annoncé un projet de loi.

Ce texte, qui devrait contenir une dizaine d'articles, rendra l'échelle des peines beaucoup plus claire et il accroîtra la fermeté des décisions de justice et la rapidité de la réponse pénale : fin de l'aménagement obligatoire des peines – donc, de fait, retour des peines courtes, voire ultracourtes – ; peine de probation ; fin de la dispense de peine ; limitation du sursis à une seule décision pour appliquer plus rapidement les peines de prison ; mandat de dépôt dès la sortie du tribunal ; etc.

M. Michel Savin. Très bien !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Bref, il s'agira d'un changement radical, d'une révolution pénale, qui permettra – je l'espère – de répondre à l'attente très profonde de nos concitoyens.

Il n'est en effet pas acceptable qu'une peine ferme prononcée par un tribunal soit perçue comme une sanction symbolique, théorique et, parfois, sans lendemain. Il n'est pas acceptable que la justice perde de sa force, non pas par la faute des magistrats, mais par l'accumulation de règles nombreuses et complexes, d'exceptions, de contraintes, de mots que personne ne comprend, tout cela désorientant jusqu'aux professionnels eux-mêmes, lesquels ont du mal à conseiller leurs clients, les victimes ou les auteurs d'infractions.

Comme M. le sénateur Olivier Paccaud, qui a lui-même cité mon propos introductif, vient de le dire à l'instant, la justice commence par des mots justes et compréhensibles par chacune et chacun d'entre nous. Or qui peut comprendre que des peines de prison prononcées ne se traduisent pas par des peines de prison effectuées ?

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de le dire clairement : le problème de la justice aujourd'hui est qu'elle est trop lente et incompréhensible.

Certes, en ce mois de mai 2025, plus de 84 000 personnes sont incarcérées dans nos établissements pénitentiaires. C'est un niveau historiquement élevé et j'assume la politique pénale que j'ai instaurée depuis le mois de décembre dernier via la circulaire et les instructions extrêmement fermes que j'ai adressées aux procureurs de la République.

Cette situation ne témoigne pas d'un nombre sensiblement supérieur de personnes entrant en prison chaque année : ce nombre est à peu près le même depuis 1981. D'ailleurs, le nombre de personnes en détention provisoire est resté le même ces dix dernières années, à quelques centaines près.

Ce qui a profondément changé, c'est le quantum de peine prononcé par les magistrats, c'est-à-dire le temps qu'une personne passe en prison. Il existe plusieurs raisons pour lesquelles une personne passe plus de temps en prison qu'auparavant.

La raison principale réside dans les aménagements de peine obligatoires, une politique qui a été imaginée par M. Perben, puis poursuivie par divers ministres de la justice de différents bords politiques, par exemple Mme Taubira ou Mme Belloubet, jusqu'aux gouvernements auxquels j'ai eu l'honneur d'appartenir. De fait, il n'y a pas de prison effective en cas de condamnation à moins d'un an, voire deux ans.

Cette politique a non seulement envoyé un message différent de celui qu'attendaient les Français, mais il a aussi conduit à ce que le juge, pour être certain que le condamné aille en prison, prononce un quantum de peine supérieur, donc à ce qu'il y ait finalement plus de monde en prison qu'auparavant.

M. Michel Savin. C'est vrai !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Certes, dans une société de plus en plus violente, les magistrats sont amenés, du fait de la gravité des faits et de l'augmentation de la récidive – on assiste même souvent à de la multirécidive –, à prononcer des peines de prison ferme.

Il est vrai que notre code pénal et nos magistrats, qui appliquent celui-ci loyalement, font la part belle à la peine de prison pour les récidivistes, mais, lorsqu'il y a récidive, c'est déjà trop tard !

Plus qu'une peine extrêmement sévère au premier fait, c'est une peine sûre qui est de bonne justice : la société doit non seulement passer un message à l'auteur et aux victimes, mais aussi contribuer de manière générale à l'éducation de ceux qui commettent des délits.

Chacun peut d'ailleurs constater que, pour la plupart des crimes commis, la justice, si elle n'est pas toujours rapide, est ferme.

La question essentielle qui se pose à nous est celle des délits du quotidien, ceux qui embêtent les maires et les habitants, qui touchent l'entourage de tout un chacun, qu'il s'agisse des rodéos urbains, du « narcotrafic de proximité », si j'ose dire, des cambriolages, des atteintes physiques aux personnes ou aux biens, des atteintes sexuelles…

Les magistrats appliquent la loi avec discernement et professionnalisme. Ils ne sont ni complaisants ni faibles : ils appliquent la loi telle que votée par les parlementaires. Il nous appartient donc de changer celle-ci.

M. Michel Savin. Très bien !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. À mesure que la société se durcit, les atteintes à l'intégrité physique explosent. Les incivilités deviennent des violences.

Dès lors, nous devons adapter notre code pénal, ce qui suppose une réforme cohérente et structurelle, non une juxtaposition de mesures nouvelles.

C'est pourquoi le Gouvernement, s'il souscrit à l'objectif de la présente proposition de loi, préfère présenter son propre projet de loi et consulter le Conseil d'État.

Ce travail, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission des lois, se nourrira des travaux parlementaires. Pour ce qui concerne les peines ultracourtes par exemple, je suis favorable à ce qu'une expérimentation soit menée ; surtout, nous attendons avec intérêt les conclusions de votre commission, qui a confié une mission à ce sujet à Mme Vérien et à plusieurs de ses collègues.

Comme à l'Assemblée nationale, le Gouvernement, tout en saluant la proposition de loi de M. Kervran et du groupe Horizons, s'en remettra à la sagesse du Sénat et le laissera délibérer comme il l'entend. Il sera attentif à votre avis, monsieur le rapporteur : nous connaissons votre fermeté, mais aussi votre sens de la loi bien faite.

De fait, il n'y aurait rien de pire que de reproduire les difficultés que nous avons connues, en adoptant des propositions de loi qui sont ensuite censurées par le Conseil constitutionnel du fait d'un manque de travail collectif, de recul et de consultations juridiques.

Je constate d'ailleurs, madame la présidente, que, lorsque j'ai saisi le Conseil d'État, avec votre assentiment, sur les articles qui me concernaient du texte extrêmement ambitieux du Sénat sur le narcotrafic, il nous a non seulement utilement conseillés, mais il a aussi permis d'éviter une censure.

Le Gouvernement s'en remettra à la sagesse du Sénat, car il est essentiel de traiter ce sujet dans un cadre plus large, celui de la réforme complète du droit des peines que je présenterai au Parlement le plus rapidement possible, c'est-à-dire à la reprise des travaux parlementaires en septembre. Je soumettrai ce texte à M. le Premier ministre à la mi-août et je saisirai ensuite le Conseil d'État de manière à pouvoir le présenter au Conseil des ministres à la rentrée pour que nous puissions en débattre le plus rapidement possible.

À ce jour, 235 peines sont à la main du magistrat, contre 4 en Allemagne par exemple.

Cette réforme devra concilier plusieurs impératifs : l'effectivité des sanctions, la lisibilité pour le justiciable, l'efficacité pénale, mais aussi les exigences de réinsertion et de prévention de la récidive.

La conciliation de ces impératifs est un peu une gageure pour les fonctionnaires qui m'accompagnent – je remercie notamment la direction des affaires criminelles et des grâces, dont les effectifs sont réduits, mais qui est extrêmement efficace et dont l'expertise est pointue.

Notre modèle est mauvais, car 70 % des détenus récidivent dans les cinq années après leur sortie de prison – je parle bien de récidive, soit d'une condamnation de justice à la suite d'une infraction de nature identique, et non de réitération.

Vous avouerez, mesdames, messieurs les sénateurs, que l'on doit aussi tenir compte de la réalité carcérale…

Les très courtes peines, dont le rétablissement est ici proposé, sont-elles utiles ? Oui, sans doute. En tout cas, le modèle actuel n'est pas très efficace, et je veux dire que je soutiens les peines ultracourtes telles qu'elles ont été imaginées dans d'autres pays – je pense notamment aux Pays-Bas, un pays souvent pris en exemple –, même s'il faut bien avouer que la question de leur efficacité réelle peut se poser quand on s'y penche davantage.

Mon ambition et mon énergie me conduisent à penser qu'il ne faut pas simplement s'opposer à une mesure quand une question réelle se pose.

À cet égard, si le Parlement, notamment le groupe Horizons de l'Assemblée nationale – il me semble avoir entendu que plusieurs autres groupes politiques soutenaient aussi le principe des peines ultracourtes –, veut accompagner le Gouvernement sur ce sujet, il doit le faire, me semble-t-il, de manière posée et réfléchie, en travaillant à une bonne rédaction et, surtout, sans aggraver la surpopulation carcérale.

Il nous faut au préalable construire des places de prison et surtout distinguer entre les détenus – il ne s'agirait pas d'incarcérer dans les mêmes structures des personnes condamnées à quinze jours ou trois semaines de prison et des détenus radicalisés, des narcotrafiquants ou des gens condamnés pour des faits de criminalité organisée.

Si la proposition de loi était adoptée immédiatement, nous nous exposerions à cette difficulté, qui, à mon avis, conduirait à ne pas pouvoir répondre à la demande du Parlement. Il faudrait donc, à tout le moins, différer quelque peu la date d'entrée en vigueur du texte.

Comme vous l'avez vu, j'ai exprimé, à mon arrivée place Vendôme, la volonté de construire des places de prison de manière très différente. Je pense notamment aux prisons modulaires en béton, dont la construction prend dix-huit mois seulement, contre sept ans pour les établissements classiques. Les premières seront d'ailleurs inaugurées en octobre 2026 à Troyes-Lavau – je remercie le maire de cette commune. De même, le Parlement pourrait décider de réquisitionner des lieux que je qualifierais de moins carcéraux, comme des hôtels, afin de rendre effectives les peines ultracourtes, si celles-ci devaient être mises en œuvre.

Si les peines courtes ou ultracourtes étaient à nouveau rendues possibles sans changement profond de notre code, ce que le Gouvernement ne souhaite pas, il conviendrait qu'elles ne puissent être prononcées par les magistrats qu'à l'encontre d'actes graves commis par des individus n'ayant pas ou ayant très peu d'antécédents – il me semble que la proposition de loi pose ce principe – et qu'elles soient purgées dans des établissements travaillant à la non-récidive et à la réinsertion.

Sinon, le risque serait, premièrement, que ces individus soient incarcérés sans accompagnement dans des établissements accueillant des personnes plus dangereuses ; deuxièmement, que l'on épuise les moyens du service public pénitentiaire sans gain réel pour la société.

Nous ne disposons pas aujourd'hui d'une réforme profonde et cohérente du code pénal qui permettrait de créer un nouveau modèle carcéral, mais nous y travaillons pour cet été.

Le 11 mai dernier, j'ai adressé une lettre aux magistrats pour leur présenter les grands contours de la réforme que je présenterai. Je propose de distinguer entre les détenus selon leur dangerosité et les faits commis, et non plus selon leur statut devant la justice – maisons d'arrêt pour les détentions provisoires et les peines inférieures à deux ans de prison, etc. J'ai saisi, pour consultation, les groupes politiques et nous tiendrons les premières réunions demain dans ce cadre.

En attendant ce projet de loi, je veux redire que l'objectif des auteurs de la présente proposition de loi est juste. Je veux saluer les améliorations déjà introduites par les deux chambres du Parlement – Assemblée nationale et, à ce stade, commission des lois du Sénat. Elles permettent de clarifier les modalités d'aménagement pour le juge et de mettre un terme à certaines incohérences en vigueur.

Cependant, il faut aller plus loin, notamment en mettant fin à tout aménagement de peine obligatoire. Un mois de prison doit valoir un mois de prison !

Il faut également mettre en place la peine de probation, comme l'ont fait nos amis anglais et allemands, tout en apportant davantage de cohérence d'ensemble et en donnant beaucoup plus de moyens à l'administration pénitentiaire. Ainsi, les agents des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) me semblent les plus à même de répondre aux demandes de réinsertion ou de suivi ; aujourd'hui, ils doivent souvent demander au juge d'application des peines de prendre une décision, ne serait-ce que pour changer l'horaire du bracelet électronique ou aménager la peine d'un condamné qui trouve un travail. Il nous faut simplifier tout cela et faire confiance à ces agents.

Même si le débat soulevé par cette proposition de loi est très important, la justice pénale mérite plus qu'un ajustement : elle mérite une vision et un projet. J'espère que le Gouvernement répondra à cette demande maintes fois formulée – ce fut encore le cas récemment par la voix de la présidente de votre commission des lois.

J'espère en tout cas que l'examen de la présente proposition de loi nous permettra, sur la base de vos réflexions, de préparer ce travail. Cela dit, je m'en remets à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. Michel Savin. La droite qui applaudit la droite !

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme
Discussion générale (suite)

5

Modifications de l'ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date du 30 juin, le Gouvernement a demandé le report au soir du mercredi 2 juillet de la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur la situation au Proche et Moyen-Orient, initialement inscrite l'après-midi ; et l'inscription, en troisième point de l'ordre du jour de l'après-midi du 2 juillet, de la proposition de loi relative à la protection sociale complémentaire des agents publics territoriaux, initialement prévue le soir.

De plus, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé l'inscription, le mercredi 9 juillet : l'après-midi, en troisième et quatrième points de l'ordre du jour, de la lecture, sous réserve de leur dépôt, des conclusions des commissions mixtes paritaires sur la proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme et du logement et sur la proposition de loi visant à renforcer le parcours inclusif des enfants à besoins éducatifs particuliers, initialement prévue le jeudi 10 juillet ; le soir, de la nouvelle lecture, sous réserve de sa transmission, de la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille.

Le Gouvernement a également demandé l'inscription, l'après-midi et le soir du 10 juillet, de la deuxième lecture de la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, et la suite de son examen le vendredi 11 juillet.

Acte est donné de ces demandes.

En conséquence, nous pourrions ouvrir les nuits des mardi 8 et mercredi 9 juillet.

Par ailleurs, nous pourrions fixer le délai limite pour le dépôt des amendements de séance au lundi 9 juillet à douze heures pour la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle ; au mercredi 9 juillet à dix-sept heures pour la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille.

Pour ces deux textes examinés en deuxième lecture, nous pourrions fixer à quarante-cinq minutes le temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale.

En outre, à la demande de la commission des lois, nous pourrions fixer au mercredi 9 juillet, à l'ouverture de la discussion générale, le délai limite de dépôt des amendements sur la deuxième lecture de la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive.

Enfin, nous pourrions fixer le délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes, pour chacun des textes que j'ai mentionnés, à quinze heures la veille de leur inscription à l'ordre du jour.

Il n'y a pas d'opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

6

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme
Article 1er

Peines d'emprisonnement ferme

Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme.

Discussion générale (suite)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi du député Loïc Kervran, adoptée le 3 avril dernier à l'Assemblée nationale, vise à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme.

Son auteur est parti d'un constat partagé, je pense, par l'ensemble des Français : le fossé continue inlassablement de se creuser dans notre pays entre la décision judiciaire et son exécution, ce qui suscite incompréhension et même défiance envers notre système judiciaire.

En effet, depuis la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, tout notre système pénal et carcéral s'est construit sur le modèle suivant : la détention doit être réservée aux peines les plus longues, selon le principe que la privation de liberté ne devrait être, en toutes circonstances, que l'ultime recours.

En France, depuis 2019, il n'est pas possible de prononcer des peines de prison inférieures à un mois ; celles qui sont comprises entre un et six mois s'exécutent, par principe, en dehors de la prison ; les peines de six mois à un an sont quasi systématiquement aménagées.

Cet état de fait procure un sentiment puissant d'impunité, qui ne rend service ni à la société ni aux délinquants et qui fragilise profondément notre pacte républicain ; plus encore, il produit des effets indésirables, contraires à l'intention du législateur.

Premier effet de bord, la surpopulation carcérale n'a cessé de croître, tout simplement parce que les juges ont prononcé des peines de prison plus élevées pour éviter les procédures d'aménagement de peine ab initio et ainsi garantir l'incarcération. Ainsi, entre 2019 et 2024, nous observons une augmentation de plus de 50 % des peines comprises entre six mois et un an, alors que, dans le même temps, les peines d'emprisonnement courtes, comprises entre un et six mois, connaissaient une baisse marquée de plus de 20 %.

Second effet de bord, les peines de prison ferme n'ont pas été exécutées dans les meilleures conditions possible, du fait de la surpopulation carcérale, qui atteint un niveau inédit – j'y reviendrai –, mais aussi en raison des aménagements décidés dès le prononcé de la peine par le tribunal correctionnel.

Il est vrai que chaque peine a son utilité en fonction des faits commis, de la personnalité de l'auteur et de ses antécédents judiciaires, du moment où elle s'intègre dans son parcours de vie et de l'éventuelle nécessité d'un aménagement judiciaire. Mais encore faut-il que le juge du fond dispose de l'ensemble de ces éléments, ce qui n'est pas toujours le cas. Or des arrêts de la Cour de cassation, conjugués à la loi du 23 mars 2019, ont rendu en pratique de tels aménagements obligatoires.

Cette proposition de loi entend donc inverser la logique, en opérant un renversement total de la philosophie pénale, telle qu'elle a évolué ces dernières années.

Il s'agit, tout d'abord, de privilégier l'incarcération face à l'aménagement des peines, en supprimant l'interdiction de prononcer une peine d'emprisonnement ferme de moins d'un mois.

Il s'agit, ensuite, de rétablir la liberté donnée au juge du fond de prononcer de courtes peines d'emprisonnement, tout en portant à deux ans le plafond des peines susceptibles d'être aménagées.

Il s'agit, encore, de supprimer le recours à la libération sous contrainte de plein droit, qui permet une libération quasi automatique des détenus trois mois avant la fin de leur peine, ce qui constitue une forme de régulation carcérale non avouée : elle équivaut à accorder des aménagements de peine non préparés, qui peuvent être assimilés à des sorties sèches peu anticipées et sans suivi.

Il s'agit, enfin, de remettre la question de l'aménagement des peines entre les mains du juge de l'application des peines, en prévoyant une césure entre la décision de culpabilité, qui appartient au juge du fond, et l'exécution des peines.

On ne peut que partager le constat – il est préjudiciable à la qualité de la justice et à sa lisibilité par les justiciables, mais aussi, plus largement, par les citoyens – et les objectifs de l'auteur.

Cela étant, nos travaux et nos débats en commission ont permis de soulever quelques questionnements, voire des inquiétudes, qu'il conviendrait de dissiper.

Tout d'abord, il faut noter que le temps d'examen a été singulièrement court – moins de trois jours – pour permettre d'élaborer un texte parfait. C'est regrettable, car nous ne sommes pas en procédure accélérée – il y aura donc une seconde lecture, dans un calendrier incertain –, d'autant plus regrettable que l'examen de ce texte entre en collision non seulement avec la mission d'information conduite par Mmes Vérien, Schalck et Harribey, que je salue, mais également avec la réflexion d'ensemble que le garde des sceaux mène sur ce sujet.

Par ailleurs, il y a ce phénomène de surpopulation carcérale qu'il nous faut enrayer. Notre politique pénale ne peut plus à terme dépendre de ce phénomène.

On comptait, au 1er mai 2025, plus de 83 000 détenus en France, pour environ 62 500 places. Il y a plus de 5 200 matelas au sol, et des prévenus peuvent vivre avec deux, trois, voire quatre codétenus dans des maisons d'arrêt dans l'attente de leur jugement – maisons d'arrêt dont le taux d'occupation dépasse parfois les 200 %. Chaque mois, un nouveau record est battu.

La surpopulation carcérale rend toujours plus difficile et complexe la mission de réinsertion des personnes condamnées. Par ailleurs, les conditions de détention sont de plus en plus indignes. Sans même parler du taux de récidive dans un délai de cinq ans, évoqué par le garde des sceaux, qui s'élève à plus de 60 %, ce qui prouve que le système actuel ne fonctionne pas…

Créer des places de prison adaptées à l'exécution de courtes peines est une bonne solution. Si des peines plus courtes sont exécutées, la rotation pourrait être plus importante et le taux d'occupation baisserait mécaniquement. Autre avantage, aucun détenu ne penserait à s'évader s'il n'avait qu'une courte peine à exécuter. Ces nouveaux établissements seront donc bien moins chers et plus rapides à construire.

Enfin, j'évoquerai un débat qui nous anime depuis plusieurs années sur l'utilité de ces courtes ou ultracourtes peines. Les courtes peines, lorsqu'elles sont mal organisées, peuvent désocialiser. Elles ne facilitent pas toujours la réinsertion. Sur ce point, les études scientifiques comme l'expérience des autres pays sont instructives.

Toutefois, ce qu'il faut surtout éviter en faisant preuve d'une extrêmement prudence, c'est que ce texte ne soit que le miroir de celui de 2019, c'est-à-dire qu'il crée les mêmes effets de bord néfastes en faisant augmenter la surpopulation carcérale. Car appliquer immédiatement de très courtes peines sans régler le problème de la surpopulation carcérale poserait évidemment un problème dans l'organisation de la justice.

Ce risque, nous ne pouvons l'ignorer quand nous élaborons la loi ; il pèse sur les conditions de détention, l'humanité de notre justice, l'efficacité de la peine et l'augmentation déjà très importante du risque de récidive.

C'est pourquoi la commission a souhaité, d'une part, revenir sur les dispositifs qui auraient des effets pervers et qui ne seraient ni un gage de fermeté ni le reflet d'une approche pragmatique du sujet, et, d'autre part, renforcer l'autonomie des juges.

La commission a donc substitué aux exigences de motivation spéciale, qui créent de réels risques de cassation, une motivation simple, applicable aux peines elles-mêmes comme à leur exécution lorsque cette dernière est décidée ab initio par le tribunal correctionnel.

Elle a facilité le renvoi des dossiers au juge de l'application des peines lorsque le juge du fond ne dispose pas des éléments requis pour définir ab initio les modalités d'exécution de la sanction qu'il a prononcée.

Elle a rétabli les dispositions permettant le placement en détention, au titre de l'exécution provisoire, des condamnés dont la peine n'a pas été aménagée ab initio.

Enfin, elle a supprimé les dispositions relatives à la réforme du fractionnement qui figuraient initialement dans le texte, lequel prévoyait les mêmes conditions de mise en œuvre, y compris dans le cadre de la récidive légale.

Mes chers collègues, pour conclure, ce texte n'est pas l'alpha et l'oméga de notre politique pénale, mais il a le mérite de réaffirmer le principe de l'effectivité de la peine, en particulier de la peine d'emprisonnement ferme, et de garantir une traduction concrète à chaque décision de justice.

Ces évolutions peuvent être gages d'une plus grande individualisation des peines, donc d'une meilleure qualité de la réponse pénale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Michel Savin. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Louis Vogel.

M. Louis Vogel. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme, que nous examinons aujourd'hui, ouvre devant notre assemblée le débat sur notre politique pénale, c'est-à-dire sur le prononcé, l'application et l'exécution de la peine.

Avec 83 681 détenus au 1er juin 2025, pour 62 570 places, la surpopulation carcérale empêche la prison de répondre à ses missions : protéger la société, tout d'abord ; réinsérer, ensuite.

La solution bâtimentaire, le fameux plan 15 000 places, bien qu'elle soit nécessaire notamment pour remplacer les prisons insalubres ou inadaptées, ne pourra pas résoudre à elle seule cette question.

Ce constat, j'ai pu le faire dès mon premier rapport, au nom de la commission des lois du Sénat, sur le budget de l'administration pénitentiaire. En effet, pour suivre l'évolution actuelle du nombre de détenus, il faudrait construire un établissement par mois, ce qui est strictement impossible ! Le garde des sceaux a lui-même constaté que les objectifs du plan 15 000 places devaient être revus : il privilégie désormais des solutions modulaires, adaptées et ambitieuses.

Cette situation inacceptable aboutit à une impasse que les Français vivent douloureusement et qui explique largement le divorce entre eux et la justice de notre pays.

Les lois créant de nouvelles infractions sont de plus en plus nombreuses, le quantum des peines prévu par ces textes de plus en plus lourd, les peines prononcées de plus en plus sévères et la durée de détention de plus en plus longue ; pour autant, plus de 40 % des peines de prison ferme n'ont pas été exécutées en détention en 2023 !

De même, en raison de la surpopulation carcérale, les peines de prison ferme inférieures à un an sont quasi systématiquement aménagées.

Disons-le clairement, notre politique pénale dysfonctionne. En outre, elle est inefficace en ce qu'elle condamne trop et trop tard, ou pas du tout. Ne pas faire exécuter la peine ou libérer pour faire de la place constitue un remède pire que le mal.

Comme l'affirmait Beccaria, qui a déjà été cité aujourd'hui, « ce n'est pas la rigueur des châtiments qui prévient le plus sûrement les crimes, c'est la certitude du châtiment. La perspective d'un châtiment modéré, mais inévitable, fera une impression plus forte que la crainte vague d'une punition terrible, auprès de laquelle se présente quelque espoir d'impunité. »

Pour que la sanction retrouve tout son sens et toute son efficacité, il faut l'appliquer le plus rapidement possible après l'infraction. Que disent les gens aux maires ou aux élus locaux que nous sommes ou avons été ? « Il est de nouveau en liberté, alors qu'il a été arrêté avant-hier… »

En ce sens, l'exemple des Pays-Bas est éloquent. Le gouvernement néerlandais a en effet réformé sa politique pénale au début des années 2000 pour accroître la rapidité de la procédure. Aujourd'hui, si la justice néerlandaise envoie en prison pour des durées plus courtes, elle le fait aussi plus souvent : pour 23 % des condamnations, contre 15 % en moyenne en Europe. Les peines y sont plus courtes, mais elles sont certaines.

La proposition de loi de nos collègues députés Loïc Kervran et Agnès Firmin Le Bodo, dont je salue le travail, va exactement dans ce sens et répond donc en partie au dysfonctionnement de notre politique pénale.

Avec ce texte, il s'agit de rétablir la possibilité pour le juge de prononcer une peine de prison ferme, même inférieure à un mois, et de supprimer – enfin ! – l'automaticité de l'aménagement des peines inférieures à un an.

Je salue également le travail de notre rapporteur, Stéphane Le Rudulier, et de la commission des lois, qui a permis deux apports majeurs : rendre au juge la liberté de prononcer de courtes peines d'emprisonnement, qui puissent être réellement exécutées ; et mettre fin à l'obligation d'une motivation spéciale pour l'exécution des peines de prison.

Ce texte apporte aujourd'hui une réponse adéquate pour traiter rapidement la délinquance du quotidien et des mineurs, laquelle nécessite, le plus souvent, de courtes peines, prononcées le plus vite possible, dès le premier fait de délinquance.

Nous devrons demain poursuivre ce travail en facilitant les peines alternatives, comme les travaux d'intérêt général ou la probation, auxquelles le ministre d'État a fait allusion, qui sont elles aussi plus nombreuses et mieux appliquées aux Pays-Bas. C'est ainsi que nous lutterons contre le sentiment d'impunité et la lenteur, décriée, de notre justice. C'est ainsi que nous redonnerons son sens à la peine.

Le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de loi.