Le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) nous propose aujourd’hui de pérenniser ce dispositif expérimental.
Notre première remarque, déjà exprimée en commission des affaires sociales, repose sur l’absence d’évaluation de l’expérimentation ou, plutôt, sur l’absence d’évaluation publique, puisque le rapporteur, lui, a eu la chance d’avoir connaissance de l’évaluation du contrat de professionnalisation expérimental.
Si le bilan est globalement positif, avec 35 000 contrats conclus entre 2018 et 2023, dont 58 % en CDI, pourquoi cette évaluation n’est-elle pas rendue publique et transmise aux parlementaires qui doivent se prononcer ?
Cette absence de transparence nous pose d’autant plus problème que cette expérimentation engage les finances publiques : cette dissimulation des résultats contrevient au contrôle budgétaire du Parlement sur la régularité et la sincérité de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale.
Les entreprises qui ont recours aux contrats de professionnalisation cumulent les aides à l’apprentissage et les exonérations de cotisations dites Fillon. Je rappelle que les réductions générales de cotisations patronales ont atteint 27,4 milliards d’euros en 2025 et contribuent ainsi très fortement à aggraver le déficit de la sécurité sociale.
Notre seconde remarque porte sur le contenu du contrat de professionnalisation expérimental, qui est un contrat de plus dans le catalogue des organismes de formation.
Sous prétexte d’insertion professionnelle des plus éloignés de l’emploi, les entreprises recherchent l’employabilité la plus précise, au détriment des certifications. J’ai ainsi à l’esprit la situation des jeunes qui galèrent et qui alternent les périodes de chômage et les contrats de professionnalisation, pour se retrouver à nouveau sans emploi lorsque l’innovation technologique modifie les besoins des entreprises.
Les employeurs et les Opco proposent aujourd’hui, dans le Centre-Val de Loire, des contrats de professionnalisation sur la valorisation des déchets pour compléter les certifications menant aux métiers de cuisinier et de commis de cuisine. Comment voulez-vous qu’un jeune puisse valoriser ce bloc de compétences acquis dans un autre métier ?
Les données fournies par le rapporteur ne nous permettent pas de savoir si les personnes les plus éloignées de l’emploi ont bénéficié d’un maintien durable en emploi, ce dont nous doutons fortement.
En conclusion, en l’absence d’évaluation publique des contrats de professionnalisation et face à la pérennisation d’un dispositif d’exonération de cotisations sociales, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky s’abstiendra.
Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée.
Mme Ghislaine Senée. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi un texte visant à pérenniser le contrat de professionnalisation expérimental.
Sur la forme, ce texte est une proposition de loi gouvernementale, puisqu’elle est déposée et rapportée par un groupe soutenant le Gouvernement, mais aussi inscrite en première lecture selon la procédure accélérée. En somme, il s’agit d’un projet de loi déguisé qui, par conséquent, passe outre l’étude d’impact du Conseil d’État et la communication au Gouvernement d’un rapport concluant à l’opportunité ou non d’une telle pérennisation !
Nous nous retrouvons donc dans une situation délicate : nous devons légiférer sur la transformation d’une expérimentation en dispositif pérenne, alors même que nous ne disposons d’aucune information d’évaluation.
Pis, nous apprenons qu’un rapport sur le contrat de professionnalisation expérimental existe bien, mais qu’il n’est pas public. De fait, il ne nous a pas été adressé.
C’est bien dommage, car, nous, écologistes, avons un a priori plutôt positif concernant ce contrat de professionnalisation expérimental, lequel permet aux personnes éloignées de l’emploi – du jeune au bénéficiaire de minima sociaux ou sortant d’un contrat unique d’insertion – de suivre des formations personnalisées, sur mesure, adaptées, qui facilitent l’embauche par des entreprises recherchant des compétences spécifiques.
Par ailleurs, nous recevons des retours positifs sur ce contrat dans nos territoires.
Je ne comprends donc pas bien pourquoi ce rapport gouvernemental, qui justifie la pérennisation de ce dispositif et qui, nous dit-on, tire un bilan très positif des sept années d’expérimentation, ne nous a pas été transmis, ou, a minima, mis à disposition pour consultation avant ce vote.
Mes chers collègues, considérez-vous, dès lors, que nous nous trouvons dans de bonnes conditions pour juger de l’opportunité d’une telle pérennisation ? De plus, nous aurions pu examiner ce texte lors de la prochaine session et donner ainsi à chacun le temps de consulter l’évaluation de ce contrat.
Quitte à voter au petit bonheur la chance, nous aurions pu tout aussi bien nous prononcer sur la proposition de loi du député Stéphane Viry demandant la pérennisation du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée », lequel propose également des emplois en CDI à des personnes très éloignées de l’emploi, dans des entreprises à but d’emploi.
Notons que l’évaluation de ce dispositif a été menée et que la Cour des comptes a bien publié son rapport. Même si je déplore le manque de prise en compte des bénéfices sociaux et familiaux dans ce document, ainsi que l’absence d’une analyse coûts-bénéfices, nous aurions pu en débattre ce jour, démocratiquement et de manière éclairée.
Concrètement, en toute franchise, j’ai bien peur que nous ne participions cet après-midi à une sorte de course à la sanctuarisation de mesures qui font leurs preuves et qui ont toute leur place dans les politiques de l’emploi, mais que l’on essaie de faire passer avant le couperet de la prochaine loi de finances. Je trouve cela fort dommageable.
Depuis plusieurs budgets, la mise en œuvre des dispositifs de formation et d’insertion par l’emploi est chahutée ; leurs termes changent d’une année sur l’autre, alors même que leur nombre se multiplie. Alors que les politiques appellent à la simplification en la matière, la dynamique est au contraire à la complexification.
Le résultat est un maquis de contrats de travail différents, dont certains sont dérogatoires, et de dispositifs d’insertion professionnelle auxquels on n’assure aucune visibilité en termes de moyens et qui créent souvent plutôt une série d’effets d’aubaine qu’une véritable politique. L’accès à l’emploi pérenne pour ceux qui en sont les plus éloignés en devient paradoxalement de plus en plus difficile.
Sur le terrain, les acteurs de la formation, de l’apprentissage et de l’insertion par l’activité économique, qui continuent à se démener pour accompagner le mieux possible toutes ces personnes, se trouvent bien souvent démunis.
Depuis 2024, les coupes et gels budgétaires sur la mission « Travail, emploi et administration des ministères sociaux » ont été massifs : 3 milliards d’euros, inscrits en loi de finances initiale, n’ont pas été exécutés l’an dernier ; 1,7 milliard d’euros d’économies sur la mission ont été décidés lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025.
Il nous semble aujourd’hui prioritaire d’en dresser un bilan général et de nous assurer que, en ayant opéré des coupes sur un certain nombre de dispositifs, nous n’avons laissé personne sur le bord du chemin.
Nous, parlementaires, nous ne devons pas nous contenter de légiférer : nous devons bien légiférer. Or, en l’absence d’informations précises sur la portée réelle de ce dispositif, sans évaluation, sans chiffres, vous comprendrez que nous ne pouvons émettre un avis éclairé sur la pérennisation de ce programme.
Par conséquent, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’abstiendra sur ce texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret.
Mme Corinne Féret. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous intéresse aujourd’hui porte sur le contrat de professionnalisation, dit expérimental, tel qu’il est prévu par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Ce contrat s’adresse prioritairement aux personnes les plus éloignées de l’emploi, en leur permettant d’acquérir des blocs de compétences plutôt qu’une certification complète. Il repose sur un parcours individualisé, coconstruit entre l’entreprise, l’opérateur de compétences et le salarié et adapté aux spécificités du poste à pourvoir. Il permet donc à une entreprise de recruter un alternant en le formant spécifiquement à ses besoins en compétences, sans viser nécessairement une qualification.
Les publics concernés sont les mêmes que pour le contrat de professionnalisation classique, à savoir les jeunes de 16 à 25 ans révolus, les demandeurs d’emploi de 26 ans et plus, les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) et de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), ou les anciens titulaires du contrat unique d’insertion (CUI).
Le contrat peut être conclu sous deux formes : un CDD d’une durée maximale de vingt-quatre mois, en dérogation de la durée classique, ou un CDI incluant, à son démarrage, une action de professionnalisation de six à douze mois. Dans les deux cas, le contrat doit obligatoirement alterner entre la période de formation et la mise en situation professionnelle en entreprise sous la responsabilité d’un tuteur. Ce tutorat est un élément essentiel du dispositif.
Il semble que plus de 35 000 contrats de ce type aient été conclus entre 2018 et 2023, ce qui représente plus de 3,8 % des contrats de professionnalisation signés sur cette période. L’expérimentation devait initialement durer trois ans, jusqu’en 2021, mais elle a été prolongée deux fois, jusqu’au 31 décembre 2024.
L’article 28 de la loi de 2018 prévoyait que le Gouvernement présente au Parlement, au plus tard trois mois avant son terme, un rapport d’évaluation de cette expérimentation.
Or force est de constater qu’aucun rapport d’évaluation n’a été publié. En commission, nous avons appris l’existence d’un bilan de l’expérimentation, dont le rapporteur a pu prendre connaissance ; celui-ci devait nous être communiqué dans les meilleurs délais, mais, à ce jour, nous n’avons eu connaissance d’aucun document, ce qui est fort regrettable.
Mes chers collègues, avant de légiférer pour pérenniser le contrat de professionnalisation expérimental, il eût été utile que l’ensemble des sénateurs puissent consulter son bilan. La transmission préalable des rapports d’évaluation de politiques publiques, avant l’examen par les parlementaires de textes législatifs visant à la prolongation ou à la pérennisation des dispositifs concernés, n’est pas une option ; elle participe du bon fonctionnement de la démocratie.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’était opposé à la loi de 2018, en particulier à cette expérimentation, laquelle, selon nous, n’a pas fait la preuve de son efficacité en matière d’insertion professionnelle.
Par ailleurs, cette mesure s’inscrit dans une tendance plus large à la diversification des contrats dérogatoires, qui, si elle peut répondre à certains besoins, peut également nuire à la lisibilité et à la cohérence du droit du travail.
Pour toutes ces raisons, notre groupe s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi tend à pérenniser le contrat de professionnalisation expérimental de 2018.
Fruit d’un accord national interprofessionnel de décembre 2003, le contrat de professionnalisation a été instauré en 2004.
Il s’agit d’un outil visant à l’insertion professionnelle des personnes les plus éloignées de l’emploi : les jeunes, les demandeurs d’emploi et les bénéficiaires de minima sociaux. Il permet à son bénéficiaire d’alterner entre des périodes de formation et des périodes en entreprise, combinant ainsi un parcours vers une certification avec l’acquisition d’une expérience professionnelle, voire une embauche dans l’entreprise qui l’accueille.
Avantage non négligeable, il permet surtout à son bénéficiaire de percevoir une rémunération comprise entre 55 % et 100 % du Smic pendant qu’il suit sa formation.
Particulièrement apprécié des employeurs, ce contrat a été conclu à près de 90 000 reprises en 2024. En 2018, sa flexibilité a été davantage accrue, avec la mise en place de l’expérimentation d’une version de ce contrat permettant de ne valider que certains blocs de compétences.
Le marché du travail français souffre paradoxalement à la fois du chômage et d’une pénurie de travailleurs, phénomène que l’on peut expliquer par un écart entre les compétences requises pour certains emplois et celles que détiennent effectivement les demandeurs d’emploi.
Le mécanisme du contrat de professionnalisation expérimental permet justement à l’employeur de ne former le salarié que sur les compétences précises requises pour l’emploi concerné. Il offre donc une formation plus courte, fondée sur les compétences déjà acquises et, par conséquent, davantage personnalisée. Une telle flexibilité répond ainsi de manière optimale au besoin de qualification, donc à la source même de ce paradoxe que constitue la crise de l’emploi.
Bien que cette formation accélérée ne concoure pas à l’obtention d’une véritable certification, ce dispositif permet bel et bien aux personnes éloignées de l’emploi d’accéder à un poste, ce qui est son principal objectif.
Outre les demandeurs d’emploi, et comme pour le contrat de professionnalisation classique, le dispositif concerne également les 16-25 ans et permet donc à un jeune sans diplôme ni expérience de s’insérer professionnellement.
L’expérimentation menée depuis 2018 a suscité la satisfaction des entreprises y ayant eu recours, notamment un vrai succès dans les secteurs des mobilités et de l’agroalimentaire. Ce nouveau contrat représente près de 4 % des contrats de professionnalisation, les employeurs saluant notamment l’adaptabilité du dispositif, qui permet de répondre efficacement à leurs besoins.
Il serait donc pertinent, à mon sens, de continuer à promouvoir ce type de contrat, qui mérite d’être encore mieux connu des entreprises et des personnes qui sortent de l’école sans formation. Ce succès illustre la nécessité d’adapter en permanence les dispositifs existants pour correspondre aux besoins réels du terrain. C’est ce que permet ce contrat.
Enfin, il convient de reconnaître que la validation de blocs de compétences ne rivalisera jamais avec une certification complète. Mais tel n’est pas le but. L’objectif est de permettre l’insertion professionnelle des personnes les moins qualifiées tout en répondant aux besoins insatisfaits des entreprises ; il est ainsi atteint.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera pour la pérennisation du contrat de professionnalisation expérimental. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous penchons aujourd’hui sur la proposition de loi de notre collègue Nadège Havet, qui prévoit d’inscrire de manière pérenne le contrat de professionnalisation expérimental dans le code du travail.
Instauré en 2018 par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, ce dispositif a pris fin le 31 décembre 2024 – à mon grand regret –, pour des raisons budgétaires.
Contrairement au contrat de professionnalisation classique, l’objectif de ce dispositif est non pas l’obtention d’une certification professionnelle totale, mais, dans le cadre de parcours personnalisés, la validation d’un ou plusieurs blocs de compétences spécifiques définis en concertation avec l’employeur et l’organisme de formation.
Le parcours de formation s’en trouve davantage personnalisé, ce qui permet aux bénéficiaires d’acquérir des compétences conformes à leurs aspirations professionnelles et adaptées aux besoins spécifiques des entreprises.
Plus flexible que le contrat de professionnalisation traditionnel, le contrat de professionnalisation expérimental a fait ses preuves. Entre 2018 et 2023, quelque 8 300 entreprises y ont eu recours et plus de 35 000 contrats ont été signés, dont 58 % sous forme de CDI.
Ce dispositif s’est montré particulièrement utile dans les secteurs en tension et pour les entreprises qui ne trouvent pas de profil adapté au poste qu’elles cherchent à pourvoir, parfois parce que, en raison des spécificités de celui-ci, aucune formation unifiée n’existe.
Le succès de ce dispositif est tel que certains Opco souhaitent aujourd’hui qu’il soit sanctuarisé dans le droit français, sous peine de voir leurs contrats en cours interrompus. D’autres Opco n’ont pas encore franchi le pas, en raison du caractère par nature instable de toute expérimentation, mais se sont dits prêts à en faire bénéficier leurs salariés et employeurs en cas de pérennisation.
Si je suis bien sûr favorable à cette proposition de loi, j’aurais aimé qu’elle aille encore plus loin, en reprenant le dispositif de la loi de 2018, dont le périmètre d’application, plus large, permettait à l’employeur, en lien avec l’opérateur de compétences et en accord avec le salarié, d’identifier directement les compétences réellement adaptées aux besoins de l’entreprise.
Une telle rédaction aurait réellement contribué à l’insertion durable de demandeurs d’emploi vers des métiers émergents pour lesquels l’offre de certification professionnelle est en cours de constitution ou d’enregistrement, mais aussi pour des actions de préqualification, qui, en l’état actuel du droit, n’entrent pas dans le cadre du contrat de professionnalisation.
Pour citer quelques exemples, c’est le cas notamment de ce demandeur d’emploi titulaire d’un certificat d’ajusteur-monteur et embauché dans une entreprise de maintenance d’aéronefs, qui doit acquérir des compétences complémentaires à l’ajustage-montage ; ou encore de cet ingénieur en développement durable embauché dans une entreprise spécialisée dans le démantèlement d’hélicoptères, qui a besoin d’un parcours d’intégration spécifique centré sur les aéronefs, lesquelles ne sont pas son cœur de métier ; ou enfin de ce technicien de maintenance embauché en qualité de campaniste, qui doit acquérir les compétences spécifiques liées à la maintenance des cloches.
Dans chacune de ces situations issues de cas réels, il est indispensable d’accompagner l’entreprise dans l’identification des compétences acquises ou non par les salariés ou candidats, d’une part, et dans la construction d’une formation structurée adaptée aux besoins du marché du travail, d’autre part. Une telle démarche est aussi bénéfique à l’entreprise qu’aux salariés.
En dépit de ces réserves, la présente proposition de loi va dans le bon sens, dans la mesure où elle profitera aux personnes les plus éloignées de l’emploi et/ou en situation de handicap et où elle offrira davantage de flexibilité à un marché du travail qui en a tant besoin.
Pour ces raisons, le groupe Les Républicains votera pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Solanges Nadille. (Applaudissements au banc des commissions.)
Mme Solanges Nadille. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, cher Xavier Iacovelli, mes chers collègues, en 2023, un peu moins de 116 000 contrats de professionnalisation étaient signés en France, et plus de 35 000 de 2018 à 2023, sous une forme expérimentale permettant d’acquérir non pas une certification complète, mais des blocs de compétences adaptés aux besoins de l’employeur et au profil du salarié.
Derrière ces chiffres se dessinent des parcours de formation sur mesure, des emplois retrouvés, parfois même des vocations nées dans un cadre professionnel où la formation devient un levier d’émancipation.
C’est tout l’objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, déposée par notre collègue Nadège Havet, que je salue : pérenniser dans notre droit un dispositif souple, inclusif et utile, plébiscité tant par les entreprises que par les bénéficiaires.
Le bilan est sans équivoque. Cette expérimentation autorisée par la loi du 5 septembre 2018 a rendu possible la formation de plus de 35 000 personnes. Près de 46 % de ces personnes étaient âgés de moins de 25 ans et 44 % étaient des demandeurs d’emploi de longue durée. Autrement dit, ce dispositif a bénéficié à des publics éloignés de l’emploi, pour qui la promesse républicaine d’égalité des chances ne peut rester un vœu pieux.
Ce contrat de professionnalisation dit expérimental est d’abord une passerelle vers l’emploi durable. Les chiffres montrent que, en moyenne, de 55 % à 79 % des bénéficiaires sont en CDI ou en contrat de longue durée six mois après la fin de leur formation. Dans certains secteurs, plus de la moitié de ces contrats sont même conclus directement en CDI.
Mes chers collègues, ce dispositif est aussi un outil pour remédier à la pénurie de main-d’œuvre dans des secteurs aussi divers que l’industrie, les mobilités, l’agroalimentaire ou les services à la personne. Les employeurs ont salué sa souplesse, son agilité et sa capacité à former rapidement des profils adaptés à des postes parfois très spécifiques.
Ce contrat reste pourtant sous-utilisé dans certains territoires, notamment dans les outre-mer. À peine 0,8 % des 35 000 contrats conclus entre 2018 et 2023 l’ont été dans les îles de la Guadeloupe, dont je suis élue, et seulement 1,1 % en Guyane. C’est bien trop peu, d’autant que nos territoires connaissent des taux de chômage deux fois supérieurs à la moyenne nationale : 15,7 % en Guadeloupe et plus de 16 % en Guyane, selon les derniers chiffres de l’Insee.
Face à cette situation, nous avons besoin d’outils efficaces, immédiatement mobilisables, susceptibles de créer des ponts entre les demandeurs d’emploi et les besoins réels des entreprises locales.
Ce contrat, à condition qu’il soit davantage soutenu, financé et accompagné, peut devenir ce levier tant attendu. Cela suppose de lever les freins que constituent notamment le manque de communication, la complexité de la construction des parcours et la faible ingénierie de formation des TPE et des PME locales.
Ces difficultés, bien connues et bien identifiées, sont rappelées dans le rapport d’évaluation qui, bien que tardivement, a été remis au Parlement. Nous devons les affronter et les résoudre avec pragmatisme et volontarisme, mes chers collègues.
En rendant ce dispositif permanent, nous envoyons un signal de confiance aux employeurs, notamment à ceux qui hésitaient à se saisir de ce contrat de peur qu’il ne disparaisse, tandis que nous affirmons une ambition claire pour les demandeurs d’emploi : l’insertion durable par la compétence.
Ce texte apporte une réponse concrète à une réalité sociale. Il incarne une certaine idée de la formation professionnelle, adaptée, inclusive, progressive et directement connectée au tissu économique.
Le groupe RDPI soutiendra sans réserve cette proposition de loi, parce que ce dispositif a fait ses preuves, parce qu’il répond à un besoin réel et parce qu’il redonne des perspectives professionnelles à celles et ceux que le marché du travail laisse trop souvent sur le bord du chemin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset.
M. Michel Masset. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « la République a pour devoir de tendre la main à ceux que la vie a laissés au bord du chemin ». Ces mots de Léon Bourgeois trouvent aujourd’hui un écho tout particulier, car c’est bien à ceux qui sont durablement éloignés de l’emploi que s’adresse le dispositif que ce texte propose de pérenniser.
Le contrat de professionnalisation expérimental, tel qu’il a été instauré par la loi du 5 septembre 2018, vise à explorer une voie plus souple, sans doute plus réaliste, pour l’accompagnement des publics les plus fragiles. Plutôt que l’obtention d’une certification complète, ce dispositif propose un parcours sur mesure, tourné vers l’acquisition de compétences spécifiques définies entre l’Opco et l’entreprise.
La flexibilité de ce contrat permet d’accompagner vers l’emploi des personnes durablement éloignées du marché du travail, en leur proposant des parcours plus personnalisés. Pour les entreprises, il offre la garantie d’embaucher un salarié qui sera formé aux compétences requises.
Ce pari de la souplesse semble avoir tenu ses promesses. Entre 2018 et 2023, plus de 35 000 contrats ont été signés, principalement par des demandeurs d’emploi et des jeunes, les entreprises de l’industrie agroalimentaire et du secteur des mobilités étant celles qui ont conclu le plus grand nombre de contrats de ce type.
Cet outil a par ailleurs démontré toute sa pertinence pour répondre aux besoins spécifiques de certains métiers en tension pour lesquels il n’existe pas de formation standard.
Cette dynamique se retrouve jusque dans nos territoires : selon les chiffres de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), 223 contrats de professionnalisation ont commencé en 2024 dans le seul département du Lot-et-Garonne.
Cette expérimentation a de plus favorisé une insertion durable : dans le secteur des entreprises de proximité, 58 % des contrats expérimentaux ont été conclus en CDI, contre seulement 17 % pour les contrats de professionnalisation classiques.
Ces chiffres attestent un réel besoin, une appétence des entreprises comme des bénéficiaires et surtout un potentiel que nous aurions tort d’ignorer, mes chers collègues.
Ce contrat va à l’essentiel : il propose des formations ciblées, définies en fonction de compétences concrètes et directement utiles à l’entreprise. Il permet en cela de lever plusieurs freins. Dans les territoires les plus fragiles, il constitue d’ailleurs la seule voie vers un emploi stable.
Il s’agit donc un levier précieux, particulièrement dans les secteurs en tension où l’on cherche avant tout des personnes prêtes à apprendre, à s’investir et à évoluer.
Je tiens toutefois à souligner que la loi de 2018 avait prévu qu’un rapport d’évaluation de cette expérimentation serait réalisé trois mois avant le terme de celle-ci. Ce document a certes été communiqué au rapporteur, à sa demande – nous en prenons acte –, mais il ne l’a été que tardivement, et il n’a pas été mis à la disposition du Parlement en amont de nos travaux.
Je m’en étonne, d’autant plus qu’il semblerait que ce rapport confirme l’opportunité du présent texte. Nous sommes appelés à pérenniser un dispositif dont nous ne disposons officiellement d’aucune évaluation consolidée. Cela n’enlève rien à l’intérêt de ce dispositif, mais tout de même…
En tout état de cause, le groupe RDSE ayant toujours défendu la confiance donnée aux acteurs de terrain, il apportera son soutien plein et entier à cette proposition de loi, qui relève d’une telle approche. (Mme Nadège Havet applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Frédérique Puissat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le présent texte trouve son origine dans la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Cela ne nous rajeunit pas ! J’ai une pensée pour notre ami Michel Forissier et pour notre regrettée amie Catherine Fournier, avec qui j’ai rapporté ce texte en 2018.
Ensemble, nous avions décidé de donner corps à cette expérimentation, partant du constat que, en dépit de l’expérimentation, instaurée par la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, de contrats de professionnalisation visant à l’acquisition de qualifications non prévues de droit, nous n’atteignions pas la cible des demandeurs d’emploi les moins qualifiés ou les plus éloignés du marché du travail.
L’expérimentation prévue permettait alors la conclusion de contrats de professionnalisation aux fins d’acquérir des compétences définies par l’employeur et l’opérateur de compétences, en accord avec le salarié. Ces contrats pouvaient de plus être adaptés aux besoins des entreprises et du marché du travail.
En bref, il s’agissait d’un contrat plus flexible, susceptible de répondre aux besoins des secteurs en tension et de mieux s’adapter aux demandeurs d’emploi.
Ce dispositif présentait toutefois deux risques : le dévoiement des contrats de professionnalisation classiques, d’une part, et une moindre valorisation de ce contrat expérimental sur le marché du travail, d’autre part.
Pérenniser l’expérimentation ou l’adapter suppose donc que nous disposions d’une évaluation montrant que ce contrat a fonctionné.