M. le président. Le sous-amendement n° 146, présenté par MM. Salmon et Mellouli, est ainsi libellé :
Amendement n° 140, alinéas 2, 3 (deux fois) et 4
Remplacer les mots :
grande consommation
par les mots :
première nécessité
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Le présent sous-amendement vise à recentrer le mécanisme de péréquation des frais d’approche proposé par le Gouvernement sur les produits de première nécessité.
Le périmètre de l’amendement n° 140, qui englobe tous les produits de grande consommation, est en effet très large, si bien qu’il inclut des produits non indispensables, tels que les aliments ou boissons trop sucrés, alors que nous savons combien les problématiques liées à l’obésité sont prégnantes dans les outre-mer, mes chers collègues.
Par ce sous-amendement, il est donc proposé de cibler les produits essentiels du quotidien – autrement dit, ceux de première nécessité, pour reprendre les mots que vous avez utilisés tout à l’heure et qui me paraissent, en effet, plus appropriés, madame la ministre – : les aliments de base, les fruits et légumes, la viande et les produits laitiers, les boissons non transformées, les produits d’hygiène et d’entretien. Le dispositif profitera ainsi à celles et ceux qui en ont le plus besoin.
Il s’agit là d’un impératif de lutte contre la vie chère autant que de santé publique.
M. le président. Le sous-amendement n° 147, présenté par MM. Salmon et Mellouli, est ainsi libellé :
Amendement n° 140, alinéa 4
Après les mots :
au I
insérer les mots :
, de représentants des collectivités territoriales, d’associations de consommateurs et de personnalités qualifiées en matière de consommation et de protection des consommateurs,
La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Le présent sous-amendement vise, lui, à préciser la composition du comité de gestion chargé de fixer les modalités de fonctionnement du mécanisme de péréquation des frais d’approche, lesquelles ne sont pas assez précisément définies dans la rédaction proposée par le Gouvernement.
Pour que ce mécanisme de péréquation des frais d’approche soit un véritable outil au service du pouvoir de vivre des citoyens ultramarins, son fonctionnement doit être transparent et associer des acteurs garants de l’intérêt général.
Dans la rédaction proposée par l’amendement n° 140, seules les entreprises concernées sont gestionnaires du dispositif, ce qui ne suffit pas à garantir que le mécanisme sera au service du pouvoir d’achat non pas des distributeurs, mais bien des citoyens.
Cet amendement vise donc à intégrer des représentants des collectivités territoriales et des acteurs locaux reconnus pour leur expertise dans les domaines de la consommation et de la protection des consommateurs, de sorte que le mécanisme ne soit pas détourné au profit exclusif des entreprises.
M. le président. L’amendement n° 138, présenté par MM. Patriat, Buval, Théophile, Rohfritsch et Fouassin, Mmes Ramia, Nadille et Phinera-Horth, MM. Patient, Kulimoetoke et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – À titre expérimental et pour une durée de cinq ans, dans les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, il peut être institué un organisme de péréquation des frais d’approche, par l’ensemble des acteurs publics ou privés intervenant dans la chaîne d’approvisionnement et de commercialisation d’une liste de produits de grande consommation dits de première nécessité vendus dans les collectivités concernées, basé sur le volontariat et pouvant le cas échéant passer par l’institution d’un prélèvement spécifique, destiné à réduire les frais d’approche sur des produits dits de première nécessité vendus dans les collectivités concernées.
Les frais d’approche concernés par ce mécanisme s’entendent de l’ensemble des frais de logistique et d’acheminement facturés aux importateurs, grossistes ou distributeurs établis dans les collectivités concernées.
II. – Les modalités d’application du I sont précisées par décret en Conseil d’État.
III. – Au terme de l’expérimentation, et au plus tard six mois avant son achèvement, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation portant sur les effets économiques, sociaux et environnementaux du dispositif, en vue de décider de sa pérennisation ou de sa cessation.
La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Nous avons un véritable désaccord, madame la ministre.
Le protocole d’objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère conclu le 16 octobre 2024 en Martinique entre l’État et les acteurs locaux prévoit que l’État prenne sa part au mécanisme de péréquation et précise les conditions de sa participation « selon les modalités juridiques retenues ».
Le mécanisme de compensation dont nous débattons est la traduction concrète de ces engagements : il s’agit d’un levier conçu pour réduire les frais d’approche, et, partant, le coût des produits de première nécessité en Martinique comme dans d’autres territoires ultramarins, qui sont tous confrontés à la même difficulté.
Ces frais d’approche, qui incluent le transport maritime, la logistique et le stockage, constituent une part majeure – nos compatriotes et nos collègues ultramarins ne le savent que trop bien – du surcoût de la vie dans les territoires d’outre-mer.
Les accords de Martinique ont eu le mérite de poser un cadre et de fixer une méthode, en tentant d’inclure l’ensemble des parties prenantes. Or la rédaction proposée par le Gouvernement ne traduit qu’imparfaitement cet engagement : elle affirme une intention, mais omet d’inscrire le rôle de l’État dans le mécanisme.
Sans remettre en cause votre volonté d’avancer, madame la ministre, nous demandons que la parole donnée soit respectée.
Mme Catherine Conconne. Très bien !
M. François Patriat. Si le Gouvernement ne rectifie pas son amendement pour y faire mention de sa participation, il nous faudra donc adopter la rédaction que nous proposons, laquelle est conforme au protocole qui a permis l’arrêt des émeutes et le retour au calme en Martinique, mes chers collègues.
L’État doit en effet apporter son aide en contribuant, au même titre que les collectivités locales et les acteurs privés, au financement de ce mécanisme. C’est à ce prix que la péréquation des frais d’approche pourra réellement contribuer à la baisse des prix à la consommation et à la lutte contre la vie chère.
Madame la ministre, mes chers collègues, ce débat dépasse la technique : il touche à la confiance entre l’État et les territoires ultramarins. Les engagements doivent être honorés tant dans leurs intentions que dans leur mise en œuvre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Frédéric Buval, rapporteur. L’amendement n° 140 vise à inscrire dans la loi le mécanisme de péréquation des frais d’approche prévu par le protocole d’accord conclu en Martinique en octobre 2024. Je rappelle que ces frais expliquent à eux seuls jusqu’à deux tiers de l’écart de prix constaté entre les outre-mer et l’Hexagone pour les produits de grande consommation.
S’il peut paraître complexe, le mécanisme de péréquation des frais d’approche au profit desdits produits qu’il est proposé d’instituer est le seul qui soit conforme au droit européen.
Ce mécanisme doit toutefois être conforme aux engagements pris par l’État dans le cadre du protocole d’objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère signé le 16 octobre 2024 en Martinique.
Celui-ci stipule bien, en son paragraphe 13, que l’État « accompagnera ce projet par l’expertise de ses services », et, surtout, qu’il devra préciser « les conditions de sa participation financière ».
La commission a donc demandé au Gouvernement de rectifier son amendement afin de renvoyer à un décret les modalités de participation financière de l’État au dispositif. Cette demande étant restée lettre morte, l’avis est défavorable.
En ce qui concerne le sous-amendement n° 146, qui n’a pu être examiné par la commission en raison de son dépôt tardif, il me paraît préférable de conserver le périmètre qui est déjà celui du bouclier qualité prix, qui inclut les produits de grande consommation. L’avis est donc défavorable.
Sur le sous-amendement n° 147, qui a lui aussi été déposé tardivement et n’a donc pas pu être examiné par la commission, je m’en remets à la sagesse du Sénat.
Si, en l’absence de précision sur la participation de l’État à la péréquation des frais d’approche, l’amendement du Gouvernement ne peut être adopté, la solution proposée par l’amendement de repli n° 138, qui tend à associer les acteurs publics à cette péréquation dans un cadre expérimental, me paraît constituer un compromis acceptable. Sur cet amendement, je m’en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Naïma Moutchou, ministre. Je souhaite pour ma part que nous nous en tenions à la rédaction proposée par le Gouvernement. Je suis donc défavorable aux sous-amendements nos 146 et 147, ainsi qu’à l’amendement n° 138.
Vous évoquez avec raison l’importance de la parole donnée, monsieur Patriat. Ce n’est pas moi, qui porte la parole du Gouvernement, qui vous contredirai.
En réponse aux questions soulevées par plusieurs orateurs sur la participation financière de l’État, permettez-moi donc de citer le protocole, qui précise en son point 12 que celui-ci « contribuera à la mise en place d’un mécanisme de compensation », en faisant appel « à des contributions volontaires et privées », puis, en son point 13, qu’il « accompagnera ce projet par l’expertise de ses services et précisera, selon les modalités juridiques retenues, les conditions de sa participation financière ».
Cette dernière expression ne constitue pas un engagement ferme de l’État à participer financièrement au mécanisme visé. Tel n’est pas le sens de ce qui est écrit noir sur blanc.
Si, parce que vous tenez à la participation financière de l’État, vous n’adoptez pas le dispositif que je vous propose d’instaurer, il n’y aura aucun mécanisme de péréquation, et le protocole ne sera pas mis en œuvre.
Le dispositif proposé est le seul qui soit conforme au droit européen. J’aurais pu vous proposer un mécanisme plus lisse, mais celui-ci aurait été retoqué au niveau européen, ce qui aurait été un échec pour nous tous.
À l’issue d’un travail qui nous a conduits à étudier absolument tous les scénarios, je puis vous affirmer que ce dispositif est le plus solide sur le plan juridique et le seul qui nous permette d’avancer.
Après la suppression de l’article 1er par votre commission, suppression sur laquelle je n’ai pas souhaité revenir, si l’amendement n° 140 n’est pas adopté et que l’article 5 demeure supprimé, le présent projet de loi sera pour ainsi dire vidé de sa substance.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Voilà une parfaite illustration de la méthode du Gouvernement, madame la ministre : pas de financement, budget constant, compensation, péréquation. Vous avez eu le courage de nous donner lecture du protocole, dont vous faites une interprétation quelque peu jésuitique. (Sourires.)
Quelles que soient les circonvolutions auxquelles vous vous prêtez pour nous convaincre que vous respectez le protocole, il reste que votre proposition est une trahison de la signature de celui-ci. (Mme Catherine Conconne applaudit.) Je suis sans doute excessif dans mon expression, mais ce que je dis est vrai. D’autres solutions existent.
En outre-mer, notre expérience des structures interprofessionnelles telles que l’Association réunionnaise interprofessionnelle du bétail, de la viande et du lait (Aribev) à La Réunion, ou l’Association martiniquaise interprofessionnelle de la viande et du bétail (Amiv) à la Martinique, montre qu’un mécanisme fondé sur des contributions volontaires fonctionne petitement, car beaucoup d’entreprises ne contribuent pas. De fait, ce sont bien souvent les grands groupes qui financent les mécanismes de péréquation.
Comment un État régalien tel que la France, cinquième puissance mondiale, peut-il se satisfaire que, dans les outre-mer, la solidarité nationale ne s’applique pas ? Je rappelle du reste que le financement de la continuité territoriale ne pose aucune difficulté en Corse, madame la ministre, non plus que dans les outre-mer, pour un budget – qu’il faudrait certes renforcer – de 46 millions d’euros, au bénéfice des personnes, mais aussi des biens, en particulier agricoles, via le régime spécifique d’approvisionnement (RSA) et les mesures en faveur des productions agricoles (MFPA).
Depuis la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, dite loi Lodéom, ces dispositifs sont financés par l’Europe et par votre ministère, madame la ministre, qui dispose d’une ligne budgétaire visant spécifiquement à soutenir le fret – vous disposez même d’une ligne budgétaire dédiée à financer l’infléchissement à la baisse des taux d’intérêt bancaires.
Puisque vous avez donc la possibilité de contribuer financièrement, je vous demande de respecter le protocole signé en Martinique et de tenir les engagements pris. Mon excellent collègue François Patriat lui-même, président du groupe RDPI et soutien du Gouvernement, expliquait à l’instant en présentant son amendement que la parole donnée n’est pas respectée.
Au regard de nos présents échanges, vous comprendrez qu’en dépit de mon souhait de vous accompagner, je demeure sceptique, madame la ministre.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.
Mme Catherine Conconne. Pour plagier feu un homme politique français, je dirai que ce que j’entends est un scandale ! Je dis bien : un scandale ! Cela vous parle sans doute, monsieur le président… (Sourires.)
Puisque cela s’est passé dans le pays dont je suis élue, la Martinique, permettez-moi de rappeler le contexte dans lequel ce protocole a été signé. Ne disposant d’aucune marge financière, le préfet de l’époque, qui a signé ce protocole au nom de l’État, a pris soin de le rédiger de telle sorte que l’accord de financement et de compensation des coûts d’éloignement soit renvoyé au projet de loi de finances. En aucun cas les protagonistes n’ont demandé que les coûts soient portés par des contributions volontaires des entreprises.
Vous évoquez des écueils juridiques, madame la ministre, mais depuis 1975 – cela fait donc cinquante ans –, le transport des passagers et des marchandises vers l’île de Beauté fait l’objet d’un dispositif de continuité territoriale, alors même que la Corse ne se trouve qu’à quelques kilomètres du continent ! Or cela ne pose aucun problème juridique, y compris au regard du droit européen. Le dispositif est renouvelé chaque année, et, sous la houlette de Mme Vautrin, il a même été abondé l’année dernière à hauteur de 30 millions d’euros pour compenser les surcoûts liés à l’évolution du prix du carburant.
Pour les éloignés de la République que sont les Ultramarins, en revanche, il y a une difficulté au regard du droit européen. Je le répète, madame la ministre : ce que vous proposez par votre amendement est un scandale !
M. le président. La parole est à Mme Audrey Bélim, pour explication de vote.
Mme Audrey Bélim. J’ajouterai qu’il n’existe pas, à ce stade, de simulation chiffrée publique permettant d’évaluer précisément la perte de parts de marché qui résulterait, pour la production locale, d’une péréquation qui ferait baisser le prix de l’intégralité des produits importés.
A-t-on par ailleurs identifié les difficultés pratiques et juridiques que la mise en œuvre d’un tel dispositif occasionnera nécessairement ?
Au-delà des intentions, trop de flou demeure quant à la mise en œuvre opérationnelle de ce dispositif, qui emporte une intervention sur le marché et un empiétement sur la gestion privée dont la portée est peut-être excessive.
Pour toutes ces raisons, j’estime qu’il serait préférable d’entendre les arguments de nos collègues qui étaient en première ligne lors de l’élaboration du protocole en Martinique.
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.
M. François Patriat. Il est exact que je m’oppose rarement au Gouvernement, mon cher collègue Lurel. Certains me le reprochent, d’autres m’en félicitent. Il reste que mon présent désaccord de fond est réel.
Nos amis ultramarins ont compris que le protocole signé en Martinique engageait l’État à une participation, dont le montant n’était d’ailleurs pas précisé. Ils ont le sentiment que l’État a donné sa parole. Sans critiquer l’interprétation juridique que Mme la ministre fait de ce protocole, je constate que ce qu’elle propose ne correspond pas à ce que nos amis ultramarins, notamment de Martinique, s’estiment en droit d’attendre.
Si votre amendement n’est pas adopté, madame la ministre, l’article ne demeurera toutefois supprimé que si celui que j’ai proposé au nom de mon groupe n’est pas voté. Si l’amendement n° 138 est adopté, il y aura bien un article 5 dans la rédaction que je propose, et celui-ci pourra être débattu par l’Assemblée nationale.
Laissons-nous donc le temps de la négociation, en adoptant, pour l’heure, cette rédaction qui donne satisfaction à nos collègues d’outre-mer, mes chers collègues.
M. le président. La parole est à Mme Annick Girardin, pour explication de vote.
Mme Annick Girardin. Vous avez indiqué à juste titre que si le présent article demeure supprimé, il ne restera pas grand-chose de ce projet de loi, madame la ministre. Pour autant, on ne peut pas trahir ceux qui ont participé aux négociations – je sais combien mes collègues parlementaires, notamment de la Martinique, se sont mobilisés.
Il convient donc de sortir de cet entre-deux, car nous ne pouvons pas faire l’économie d’une réponse sur la péréquation. Cela suppose à mon sens de nous donner du temps et de continuer à débattre, mes chers collègues, pour trouver une solution pour l’ensemble des Drom, ou du moins des régions ultrapériphériques (RUP), puisque la difficulté n’est pas la même pour les pays et territoires d’outre-mer (PTOM). Ces derniers n’étant pas soumis aux mêmes contraintes au regard du droit européen, nous pourrions y expérimenter le dispositif, mais ce serait injuste, car même si l’ensemble des territoires d’outre-mer sont affectés par la cherté de la vie, ce sont d’abord les Antilles, notamment la Martinique et la Guadeloupe, mais aussi la Guyane qui attendent des résultats.
S’il est compréhensible que nos débats se soient enflammés, j’estime donc qu’il nous faut trouver une voie d’apaisement et d’entente, en particulier pour la Martinique, qui est au centre de nos échanges puisque c’est dans cette collectivité qu’un préfet s’est engagé, ce qu’il n’a pas pu faire sans avoir obtenu au préalable quelques garanties.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Il me paraît très dommageable que ni les collectivités locales, ni des experts, ni des représentants des associations de consommateurs ne siègent au sein du comité de gestion de l’organisme de péréquation des frais d’approche.
Si tel devait être le cas, le fonctionnement de cette instance ne saurait être optimal. J’estime donc fondamental d’adopter le sous-amendement n° 147, mes chers collègues.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Naïma Moutchou, ministre. La continuité territoriale avec la Corse est assurée au travers d’une délégation de service public (DSP), dont le modèle est du reste fragile, au regard notamment du droit européen. Or je ne sache pas qu’il y ait de candidats à la DSP en outre-mer. En particulier, CMA CGM ne me paraît pas se positionner de la sorte, et, de fait, la situation corse n’a rien d’enviable.
J’estime par ailleurs ne me livrer ni à une interprétation, ni à une extrapolation, ni à une herméneutique des termes du protocole, dont je vous ai donné lecture ; je m’en tiens, de manière objective, à son texte, lequel stipule que la participation financière doit être précisée « selon les modalités juridiques retenues ». En l’occurrence, aucune modalité juridique n’a été retenue.
Chacun conviendra qu’un dispositif permettant de réduire les frais d’approche est très attendu dans les territoires visés. Plus encore qu’au principe, madame Girardin, je suis donc particulièrement attachée au message que nous enverrons aux outre-mer en adoptant l’amendement n° 140.
Je sollicite donc une suspension de séance de quelques minutes, afin de m’entretenir avec les rapporteurs et les différents orateurs qui sont intervenus, monsieur le président.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à dix-neuf heures trente.)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Madame la ministre, à l’issue de cette courte suspension de séance, il ressort de nos échanges que l’ensemble des groupes politiques n’est pas favorable à l’amendement présenté par le Gouvernement, au regard de la présentation que vous en avez faite.
Dans la mesure où le dispositif prévu à l’amendement de M. Patriat ne semble pas sécurisé, comme vous l’avez dit, madame la ministre, nous proposons d’en rester au texte de la commission, qui a décidé de supprimer l’article 5.
M. le président. L’amendement n° 49, présenté par Mmes Bélim et Conconne, MM. Lurel et Omar Oili, Mme Artigalas, MM. Kanner, Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Montaugé, Pla, Redon-Sarrazy, Stanzione, Tissot et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article 294 du code général des impôts est complété par un paragraphe ainsi rédigé :
« 4. Les colis postaux contenant des marchandises destinées à la consommation personnelle, échangés entre particuliers à destination ou au départ des collectivités régies par l’article 73 de la Constitution ainsi que des collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna, ne sont pas soumis à la taxe sur la valeur ajoutée au titre du dédouanement ou du transit postal, lorsque la marchandise a déjà été soumise à la TVA au moment de son acquisition initiale.
« Cette dérogation s’applique lorsque :
« 1° Le colis est adressé par un particulier à un autre particulier, sans caractère commercial ;
« 2° La marchandise contenue dans le colis a déjà supporté la TVA, soit au moment de son achat auprès d’un prestataire assujetti à la TVA, soit au moment de son importation initiale dans le territoire fiscal français ;
« 3° La marchandise n’est pas soumise à des droits d’accise ou à des restrictions particulières en raison de sa nature.
« Les modalités d’application du présent paragraphe, notamment les seuils de valeur, les documents à produire pour justifier du paiement antérieur de la TVA, et les procédures de contrôle, sont fixées par décret en Conseil d’État, pris après consultation de la direction générale des douanes et droits indirects et de la direction générale des finances publiques.
« Un arrêté du ministre chargé de l’économie et du ministre chargé des finances précise les modalités de suivi et d’évaluation des pertes de recettes fiscales résultant de l’application du présent paragraphe. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
La parole est à Mme Audrey Bélim.
Mme Audrey Bélim. Cet amendement vise à supprimer le mécanisme de double taxation à la TVA applicable aux colis postaux échangés entre particuliers, à destination et au départ des outre-mer, ce qui constitue une discrimination fiscale injustifiée entre les territoires, frappant ainsi de manière disproportionnée les populations ultramarines.
Je rappelle, en effet, qu’une première TVA intervient au moment de l’achat initial, puis qu’une seconde TVA intervient sur le même bien lors du dédouanement du colis postal en outre-mer.
De fait, sur le plan douanier, les outre-mer font partie du territoire européen pour l’application de l’article 3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Mais, sur le plan fiscal, ils restent malheureusement exclus du territoire de l’Union européenne et sont considérés comme des pays tiers non membres, d’où l’application de la TVA aux importations. C’est incohérent !
La délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, dans le cadre d’une mission flash sur l’augmentation des prix des colis postaux, en juin 2025, a identifié et documenté le mécanisme fiscal problématique que constitue la double taxation à la TVA, qui n’existe pas pour les colis échangés dans l’Hexagone.
Cet amendement est cohérent avec l’article 73 de la Constitution, qui permet l’adaptation des mesures législatives aux caractéristiques des outre-mer. Son adoption corrigerait cette anomalie fiscale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Micheline Jacques, rapporteur. S’ils font partie du territoire douanier européen, les départements et régions d’outre-mer ne font en revanche pas partie du territoire fiscal de l’Union européenne. Ils sont ainsi assimilés, sur le plan fiscal, à des États non membres de l’Union, y compris dans leurs relations avec l’Hexagone.
Les colis postaux envoyés depuis ou vers les outre-mer sont donc considérés comme des importations ou des exportations et sont soumis à taxation au titre de la taxe sur la valeur ajoutée et de l’octroi de mer. Dès lors que ces colis contiennent autre chose que des documents, il est obligatoire d’y joindre une déclaration en douane, y compris s’ils sont envoyés entre particuliers et à titre gratuit.
Afin de ne pas renchérir excessivement le coût de ces échanges lorsqu’ils se font entre particuliers – par opposition à une transaction commerciale –, des franchises existent néanmoins, en deçà desquelles les taxes ne sont pas dues. De l’Hexagone vers les Drom, les ventes commerciales sont exonérées jusqu’à 22 euros inclus ; des Drom vers l’Hexagone, et en cas d’absence de transaction commerciale, cette franchise s’applique jusqu’à 45 euros inclus. Enfin, quand il s’agit d’un envoi non commercial de l’Hexagone vers les Drom, cette franchise s’élève à 400 euros.
Les flux des Drom vers l’Hexagone font effectivement l’objet d’une franchise très basse. Néanmoins, ils ne peuvent pas, en l’état, faire l’objet d’un rehaussement similaire de la franchise prévue pour les envois de l’Hexagone vers les Drom, désormais fixée, je le rappelle, à 400 euros. En effet, les envois considérés comme des importations dans l’Union européenne depuis des pays tiers relèvent de la compétence du législateur européen en matière de TVA. Celui-ci détermine une franchise uniforme pour l’ensemble des États, sans exception pour les outre-mer.
Pour avancer sur ce dossier, il est donc nécessaire d’inviter le Gouvernement à soutenir auprès des instances de l’Union européenne une initiative ayant pour objet de rehausser la franchise de TVA applicable aux envois sans caractère commercial depuis les outre-mer.
En l’état, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.


