En vertu d'une « jurisprudence » du Sénat, toutes les demandes de rapport essuient le même refus ; mais le principe même d'une jurisprudence est de pouvoir être contestée. Par définition, celle-ci peut connaître des exceptions ou des revirements, d'autant qu'elle n'est jamais totalement écrite et qu'elle repose largement sur des traditions. On ne saurait l'invoquer systématiquement, en partant du principe qu'elle fait foi en toutes circonstances.
En l'occurrence, comment pourrons-nous agir plus efficacement demain si nous ne connaissons pas mieux, plus en profondeur, un certain nombre des difficultés que nous pointons ?
Une précision, pour conclure, à l'attention du grand public : le Premier ministre ne cesse de dire que nous sommes enfin, désormais, en République parlementaire ; mais l'ensemble des députés et sénateurs restent bridés, dans l'exercice de leur droit d'amendement, par l'article 40 de la Constitution, au nom du sacro-saint dogme de la réduction de la dépense publique, que certains persistent à défendre.
Monsieur le rapporteur pour avis, nous aurons d'autres demandes de rapport à soumettre à notre assemblée au cours de ce débat : il ne s'agit pas d'embêter le monde ou d'aller à l'encontre de telle jurisprudence sénatoriale. Si nous présentons de tels amendements, c'est pour une raison simple : si nous voulons qu'un débat ait lieu sur les sujets dont il est question, nous n'avons pas d'autre solution, dans cette belle République parlementaire qui est la nôtre !
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je voudrais préciser ce que j'ai dit tout à l'heure.
Selon les sources, l'évaluation de la fraude fiscale varie entre 14 milliards et 100 milliards d'euros. Comment peut-on, dans un pays comme le nôtre, se satisfaire d'une fourchette si large ?
Mme Sophie Primas. Ce n'est pas du ressort d'un tel rapport !
Mme Raymonde Poncet Monge. Nous sommes complètement dans le flou.
Le rendement attendu de ce projet de loi est de 1,5 milliard d'euros – M. le ministre nous le confirmera peut-être. J'aimerais savoir précisément quel est le rendement escompté de la lutte contre la fraude sociale, dont la fraude aux cotisations, et quel est celui que l'on attend de la lutte contre la fraude fiscale. Comparé aux chiffres que je viens de citer, le 1,5 milliard d'euros annoncé me paraît bien peu…
Je le répète, c'est une honte qu'en France on se contente d'une telle fourchette.
Monsieur le ministre, vous disposez sans doute de votre propre estimation de la fraude fiscale : où vous situez-vous dans cette fourchette ? Nous serions curieux de le savoir…
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.
Mme Silvana Silvani. Je ne voudrais pas que nos propositions soient réduites à de simples demandes de rapport, même si j'ai un immense respect, par exemple, pour les rapports produits au Sénat.
Monsieur le rapporteur pour avis, monsieur le ministre, nous sommes d'accord sur le constat : nous manquons de données suffisamment fiables pour resserrer les fourchettes disponibles et estimer précisément le montant réel de la fraude fiscale.
Ce que nous proposons, c'est donc d'avancer sur ces questions. Sur la forme, nous avons dû nous contenter d'une demande de rapport, mais je ne comprends définitivement pas vos avis défavorables.
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour explication de vote.
M. Jean-Luc Fichet. Il y a, de fait, une certaine logique à commencer par identifier les fraudes.
Depuis quelques jours, nous parlons beaucoup du montant de la fraude sociale – 13 milliards, 15 milliards ou 20 milliards d'euros, selon les cas – et du montant de la fraude fiscale, qui serait d'environ 100 milliards d'euros ; mais tous ces chiffres restent approximatifs. Or, pour endiguer la fraude, il faut partir d'une base précise, ce qui suppose d'identifier ce qui se passe exactement et de mesurer l'évolution de ces phénomènes, année après année.
Ce que tout le monde attend, c'est l'efficacité des mesures mises en œuvre pour réduire massivement la fraude, qu'elle soit fiscale ou sociale. Je le répète, il faut commencer par répondre à des questions simples : où a lieu la fraude ? De quels montants parle-t-on ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 235.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er
L'article 706-1-3 du code de procédure pénale est ainsi rétabli :
« Art. 706-1-3. – Par dérogation à l'article 11, sur autorisation du procureur de la République les ayant requis ou du juge d'instruction leur ayant délivré une commission rogatoire, après avis du procureur de la République, les agents des douanes et les agents des services fiscaux effectuant des enquêtes judiciaires et habilités à cet effet en application des articles 28-1 et 28-2 peuvent communiquer aux agents relevant des administrations des douanes et des finances publiques chargés d'une mission de contrôle toutes informations et tous documents, recueillis dans le cadre de ces enquêtes, susceptibles d'être utiles à l'exercice de cette mission de contrôle. »
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié nonies, présenté par Mme N. Goulet, MM. Canévet et Bitz, Mme Sollogoub, MM. Laugier, Maurey, Fialaire et Dhersin, Mmes Tetuanui, Saint-Pé, Antoine, Loisier, Romagny et Guidez, MM. Lafon et Kern, Mme Vermeillet, MM. Fargeot, Menonville et Levi, Mme Perrot, M. Folliot, Mmes de La Provôté et Jacquemet et MM. Courtial, Masset, Cabanel, Haye et Parigi, est ainsi libellé :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 2 decies de l'article 283 du code général des impôts est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« 2 decies. La taxe sur la valeur ajoutée est acquittée par l'assujetti destinataire des biens ou preneur des services, pour les livraisons de biens ou les prestations de services qui sont réalisées dans des secteurs identifiés comme exposés à des risques élevés de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, dès lors que le destinataire des biens ou le preneur de services est assujetti à ladite taxe en France.
« La liste des secteurs concernés est fixée par arrêté du ministre chargé du budget, sur la base d'une cartographie actualisée des risques établie par l'administration fiscale. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, vous pouvez constater que je n'ai pas attendu longtemps pour déposer cet amendement : il porte le numéro 1.
Il s'agit d'offrir à l'administration une souplesse en matière de liquidation de la TVA, sachant que la fraude à la TVA est assez bien évaluée : elle coûte, chaque année, entre 20 milliards et 25 milliards d'euros.
Dans sa rédaction actuelle, le 2 decies de l'article 283 du code général des impôts précise que, « lorsqu'il est constaté une urgence impérieuse tenant à un risque de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée présentant un caractère soudain, massif et susceptible d'entraîner pour le Trésor des pertes financières considérables et irréparables, un arrêté du ministre chargé du budget prévoit que la taxe est acquittée par l'assujetti destinataire des biens ou preneur de services ».
Nous allons débattre des petits colis ; de même, nous avons longuement discuté des entreprises éphémères, pour ne pas dire jetables. Mais, en réalité, nous ne disposons d'aucun élément précis, d'aucune mesure efficace pour lutter contre la fraude à la TVA.
M. le président. Quel est l'avis de la commission des finances ?
M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. Ma chère collègue, vous venez de rappeler dans quels cas tout à fait exceptionnels la TVA peut être acquittée par le destinataire et non par le vendeur d'un bien ou d'un service.
Je comprends pleinement la problématique que vous soulevez : le formalisme de l'arrêté en vigueur entraîne une perte de temps préjudiciable. L'essentiel est d'être réactif pour éviter la fraude à la TVA de la part d'entreprises éphémères, qui par définition disparaissent rapidement.
Toutefois, cet amendement me semble présenter d'importants effets de bord. D'une certaine manière, son adoption reviendrait à faire peser une présomption de fraude a priori sur toutes les entreprises d'un même secteur, le ministre chargé du budget devant définir « la liste des secteurs concernés ».
Prenons l'exemple de la restauration : cette règle d'exception devra-t-elle être appliquée à tous les restaurateurs du pays ? À l'évidence, non.
Il pourrait être judicieux, comme vous le suggérez, de simplifier le formalisme de l'arrêté prévu au 2 decies de l'article 283 du code général des impôts. En ce sens, un travail pourrait être mené, notamment par le Gouvernement ; mais les dispositions de cet amendement ne me semblent pas réalistes. À ce stade, j'en demande donc le retrait.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. David Amiel, ministre délégué. En complément des explications fournies par M. le rapporteur pour avis, je signale que le fait de cibler des secteurs de manière aussi générale serait probablement contraire à la directive européenne TVA. En vertu de cette directive, l'activation de la procédure d'urgence doit d'ailleurs faire l'objet d'une notification à la Commission européenne.
Néanmoins, madame la sénatrice, je crois moi aussi que cette procédure doit pouvoir être activée beaucoup plus facilement. M. le rapporteur pour avis semble partager cette position.
M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. Oui !
M. David Amiel, ministre délégué. Face au problème réel que vous évoquez, je vous propose que nous travaillions ensemble à la révision de cet arrêté. C'est la raison pour laquelle je vous demande à mon tour de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, l'avis du Gouvernement serait défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, nous aurons bientôt une séance de rattrapage : dans moins de deux semaines, le Sénat commencera l'examen du projet de loi de finances en séance publique !
Sauf erreur, Mme de Montchalin s'est rendue ce matin à Roissy – elle y était déjà allée la semaine dernière – pour une opération liée au problème des petits colis, qui donnent lieu à une évasion massive.
Vous vous engagez à travailler cette question d'ici à l'examen du PLF. Ici, nous ne sommes pas dans la République du chantage ; nous sommes dans la République de la construction…
Mme Cécile Cukierman. C'est beau !
Mme Nathalie Goulet. Je retire donc mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié nonies est retiré.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 139 rectifié est présenté par MM. Iacovelli et Lévrier, Mme Nadille, MM. Théophile et Patriat, Mme Aeschlimann, MM. Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Kulimoetoke, Lemoyne, Mohamed Soilihi et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
L'amendement n° 149 rectifié est présenté par Mmes N. Goulet et Guillotin et M. Gold.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 135 ZR du livre des procédures fiscales, il est inséré un article L. 135... ainsi rédigé :
« Art. L. 135.... – L'administration fiscale communique, par voie électronique, aux entités mentionnées au 1° de l'article L. 100-3 du code des relations entre le public et l'administration les informations qu'elle détient en application de l'article 1649 A du code général des impôts et qui sont nécessaires à la vérification de la cohérence entre les coordonnées bancaires communiquées en vue du paiement d'une prestation ou d'un avantage prévus par des dispositions législatives ou des actes réglementaires et l'identité du bénéficiaire de ce dernier. »
La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour présenter l'amendement n° 139 rectifié.
M. Xavier Iacovelli. La direction générale des finances publiques a créé une interface pour vérifier que les coordonnées bancaires indiquées dans une demande d'aide sont bien celles du bénéficiaire.
Cette interface permet une interrogation automatique du fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) ; une réponse est ensuite envoyée, positive ou négative, au partenaire à l'origine de la requête.
Nous proposons d'étendre cet accès à l'ensemble des administrations, au sens du code des relations entre le public et l'administration. Une telle mesure est de nature à limiter considérablement le nombre de fraudes : cet accès permettra de sécuriser le traitement des dossiers de demande d'aide tout en réduisant les délais d'instruction.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour présenter l'amendement n° 149 rectifié.
Mme Nathalie Goulet. En tant que rapporteur du texte sur les faux IBAN – la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la fraude bancaire –, adopté définitivement il y a deux semaines, je me devais moi aussi de déposer cet amendement, qui vient d'être extrêmement bien défendu.
M. le président. Quel est l'avis de la commission des finances ?
M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. Avis favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. David Amiel, ministre délégué. Favorable !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 139 rectifié et 149 rectifié.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 1er.
L'amendement n° 6 rectifié decies, présenté par Mme N. Goulet, MM. Bitz, Canévet, Dhersin, Fialaire, Fargeot, Laugier et Maurey, Mmes Sollogoub, Tetuanui, Antoine et Guidez, M. Kern, Mmes Romagny et Vermeillet, MM. Lafon et Menonville, Mmes Loisier et Perrot, M. Daubet, Mme Guillotin, MM. Gold et Courtial, Mmes Jacquemet et N. Delattre et MM. Cabanel, Haye et Parigi, est ainsi libellé :
Après l'article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans les six mois qui suivent l'adoption de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur une réforme du conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Je sais bien que le Sénat n'aime pas les demandes de rapport, mais nous avons tout de même un léger problème avec le blanchiment…
Alors que le coût du blanchiment est estimé à 50 milliards d'euros, le taux de recouvrement des avoirs criminels n'est que de 2 %. Il convient donc de se pencher sur cette question, en vue d'une éventuelle réforme du Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (Colb).
M. le président. Quel est l'avis de la commission des finances ?
M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. L'organisation actuelle du Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ne paraît pas poser problème. En tout cas, elle n'est pas remise en cause par les principaux acteurs de la lutte antiblanchiment, dont cette instance assure la coordination.
En outre, la légitimité du Colb n'est pas contestée : aucune demande ne nous a été adressée en ce sens lors de nos auditions.
La commission demande donc le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Ces dispositions relèvent elles aussi du bon sens. Les mécanismes actuels ne fonctionnent pas : tôt ou tard, il faudra bien les réformer…
Nous voterons cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié decies.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Nous en venons aux articles 3, 3 bis, 9, 15, 18, 19, 20, 20 bis, 20 ter, 20 quater et 23, appelés en priorité, ainsi qu'aux amendements tendant à insérer des articles additionnels qui leur sont rattachés.
Article 3 (priorité)
I. – Au deuxième alinéa de l'article L. 123-50 du code de commerce, après les mots : « inscriptions d'informations », sont insérés les mots : « , y compris les immatriculations et radiations d'office, ».
II. – Après l'article L. 135 J du livre des procédures fiscales, il est inséré un article L. 135 JA ainsi rédigé :
« Art. L. 135 JA. – L'administration fiscale transmet à l'organisme unique mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 123-33 du code de commerce, dans les conditions prévues au 2° de l'article L. 123-50 du même code, les informations nécessaires à l'immatriculation au registre prévu à l'article L. 123-36 dudit code des personnes exerçant une activité occulte au sens du deuxième alinéa de l'article L. 169 du présent code et à la radiation des personnes qui ne respectent pas l'obligation prévue au I de l'article 289 A du code général des impôts. »
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, sur l'article.
M. Marc Laménie. Avant tout, je tiens à saluer le travail accompli par l'ensemble de nos rapporteurs.
Nous avons déjà longuement parlé de plusieurs administrations importantes, notamment la direction générale des finances publiques et l'administration des douanes.
L'article 3 a pour objet la transmission par la DGFiP d'informations de nature fiscale à l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi).
La commission des finances est favorable à cet article : il s'agit d'assurer un aménagement équilibré du secret fiscal, qui protège les informations dont il est question, en vue du partage d'informations nécessaire à la fiabilisation du registre national des entreprises (RNE), créé par la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte).
À cet égard, un certain nombre de nos collègues, à commencer par Nathalie Goulet et Raphaël Daubet, ont mené un travail remarquable dans le cadre de la commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales.
L'immatriculation au RNE est une information publique, qui renforce la traçabilité des entreprises par les administrations utilisatrices de ce fichier. C'est aussi un moyen de lutter contre la fraude, notamment la fraude à la TVA.
Aussi les élus du groupe Les Indépendants voteront-ils l'article 3.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Après l'article 3 (priorité)
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par M. Lurel, Mme Canalès, MM. Fichet, Jacquin, Kanner et Cozic, Mme Le Houerou, M. Raynal, Mmes Briquet et Blatrix Contat, M. Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le titre V de la première partie du livre Ier du code général des impôts est complété par un chapitre ainsi rédigé :
« Chapitre ...
« Déclaration de certaines opérations de réorganisation d'entreprises dans des États à régime fiscal privilégié au sens du deuxième alinéa de l'article 238 A
« Art. 1378 .... - I. – Est tenu d'adresser une déclaration à l'administration, à titre d'information, toute entité juridique ou établissement stable établi en France qui participe à une opération telle que définie au II avec une entreprise liée au sens du 12 de l'article 39, établie ou constituée hors de France soit dans un État ou territoire non coopératif au sens de l'article 238-0 A, soit dans un État ou territoire dans lequel elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A.
« II. – Est soumise à déclaration l'opération donnant lieu à des recettes ou dépenses réelles et ne présentant pas de caractère anormal ou exagéré, au sens de l'article 238 A, et qui suscite au moins une des conséquences suivantes :
« 1° Le transfert d'un actif corporel ou incorporel ;
« 2° La rupture ou la renégociation d'un accord préexistant.
« III. – Cette déclaration indique :
« 1° Lorsqu'il s'agit d'un transfert d'actif visé au 1° du II, l'élément transféré et sa valeur au moment du transfert, en mentionnant la méthode de valorisation utilisée, le nom de l'entreprise destinataire du transfert, ainsi que la nature et la valeur de la contrepartie financière reçue ;
« 2° Lorsqu'il s'agit de la rupture ou de la renégociation d'un accord préexistant mentionné au 2° du II, les éléments contractuels modifiés ou supprimés, l'impact sur les entreprises liées concernées, la nature et la valeur de la contrepartie financière reçue.
« IV. – Les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'État. »
II. – Le présent article est applicable à partir du 1er janvier 2027.
III. – Le Gouvernement présente au Parlement une évaluation de l'application du présent article et des perspectives du système de déclaration préalable en droit fiscal français au plus tard le 30 septembre 2027.
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Selon nous, les opérations de réorganisation d'entreprise doivent être systématiquement déclarées à l'administration fiscale, dès lors que des éléments de valeurs sont transférés par une entreprise établie en France à une entreprise liée établie dans un État ou territoire à fiscalité privilégiée ou dans un État non coopératif, ou que l'entreprise établie en France est affectée par une rupture ou une renégociation d'accords existants qui profite à l'entreprise liée.
L'objectif est que l'administration n'ait plus à investir d'importantes ressources pour mettre au jour les montages menant à l'évasion fiscale. Il s'agit de mieux identifier en amont les entreprises et les secteurs susceptibles de procéder à des opérations irrégulières.
M. le président. Quel est l'avis de la commission des finances ?
M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. L'article L. 13 AA du livre des procédures fiscales porte notamment sur la documentation relative aux prix de transfert.
La déclaration prévue à ce titre doit permettre à l'administration d'appréhender l'environnement économique, juridique, financier et fiscal du groupe d'entreprises associées.
Les intermédiaires financiers ayant participé à des réorganisations aux fins d'optimisation sont également tenus de déclarer à l'administration tout dispositif transfrontalier.
Aussi la commission demande-t-elle le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. David Amiel, ministre délégué. Même avis, pour les mêmes raisons.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Corbisez. Nous voterons en faveur de cet amendement, qui a pour objet de s'attaquer à la véritable matrice de la fraude fiscale : les montages intragroupe opaques permettant à des multinationales de transférer leurs bénéfices dans des paradis fiscaux sans justification économique réelle.
C'est précisément par ces schémas de réorganisation, de transfert d'actifs, de renégociation de contrats intragroupe et de manipulation des prix de transfert que les grandes entreprises parviennent à déplacer artificiellement leurs profits et à échapper à l'impôt.
Aujourd'hui, l'administration fiscale découvre ces montages bien trop tard ou après des années d'enquête, avec à la clé des pertes colossales pour nos finances publiques.
Les auteurs de cet amendement se sont inspirés de la recommandation n° 12 du plan Érosion de la base d'imposition et transfert des bénéfices (BEPS) de l'OCDE. Ils proposent une réponse simple et efficace : obliger les entreprises à déclarer en amont toute opération de transfert d'actifs, de rupture ou de renégociation des contrats intragroupe impliquant un État à fiscalité privilégiée.
Un tel dispositif permettrait à la DGFiP de mieux cibler ses contrôles, de prévenir la fraude au lieu de la constater trop tard et de rééquilibrer la charge du contrôle entre grandes entreprises et contribuables ordinaires.
Actuellement, 70 % des redressements concernent des particuliers, alors que 63 % de la fraude en valeur est d'origine entrepreneuriale.
L'adoption de cet amendement donnerait corps à une exigence de justice fiscale que le projet de loi ignore. En l'occurrence, il s'agit non pas de traquer les allocataires du RSA, mais bien de responsabiliser les acteurs qui disposent de moyens techniques, bancaires et juridiques pour contourner l'impôt.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Le Premier ministre m'a emmenée non pas dans un paradis fiscal, mais au siège de la direction nationale des enquêtes fiscales, à Romainville, où l'on a remercié le législateur d'avoir diminué le seuil de contrôle des prix de transfert de 400 millions à 140 millions d'euros voilà deux ans.
Avec Éric Bocquet, nous avions évoqué le café, les bananes, etc. Une grande partie de la fraude passe par les prix de transfert intragroupe ; c'est un vrai sujet.
Je voterai cet amendement des deux mains.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Selon notre rapporteur pour avis, le dispositif que nous proposons serait déjà prévu dans les textes, et notre amendement serait donc satisfait. Mais la réalité est tout autre.
Comme les deux collègues qui m'ont précédé viennent de le rappeler, la fraude passe par les relations intragroupe, les prix de cession interne et par certains régimes comptables, comme l'intégration fiscale, le régime mère-fille, etc.
L'administration ne contrôle rien du tout ! Elle est tributaire des informations que veulent bien lui transmettre les groupes.
Cet amendement me paraît de bon sens s'agissant, à tout le moins, de savoir ce qui se passe au sein des groupes et de connaître les modalités des transferts de valeurs à l'étranger.
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, pour explication de vote.
M. Grégory Blanc. Avec l'examen de cet amendement, nous entamons un moment assez singulier dans la discussion de ce projet de loi : j'observe que les amendements visant une obligation de déclaration à l'administration fiscale, par les entreprises, d'un lien financier avec des faits susceptibles de se produire à l'étranger font l'objet, dans leur quasi-totalité, d'une demande de retrait ou d'un avis défavorable.
Si demander à une entreprise de déclarer un mouvement à l'administration fiscale pose problème, comment allons-nous pouvoir outiller notre pays pour faire face concrètement aux défis de la fraude et du blanchiment ? La question des déclarations de mouvements avec l'étranger est pourtant l'un des principaux éléments qui sont ressortis des travaux de la commission d'enquête sur la lutte contre la délinquance financière ! Nous évoquerons un peu plus tard le sujet de la déclaration des comptes à l'étranger ; l'enjeu est que l'administration puisse avoir une visibilité sur les mouvements et les transferts financiers entre la France et l'étranger.
Nous voterons donc cet amendement, et nous regrettons qu'il fasse l'objet d'un avis défavorable, comme, d'ailleurs, la quasi-totalité des amendements similaires.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. David Amiel, ministre délégué. Je ne veux aucun malentendu : nous sommes totalement d'accord sur le fond ; si j'ai formulé une demande de retrait, c'est parce que l'amendement est satisfait.
En effet, la directive de 2018 prévoit déjà que les opérations de réorganisation doivent être notifiées à l'administration fiscale quand elles se traduisent par un transfert d'activités et d'actifs vers des territoires à fiscalité dite « privilégiée » – ce sont précisément ces situations qui sont visées par l'amendement.
Si nous sollicitons le retrait de cet amendement, j'y insiste, ce n'est en aucun cas en raison d'une hostilité de principe ; c'est tout simplement parce que le dispositif proposé figure déjà dans le droit en vigueur.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 18, présenté par M. Lurel, Mme Canalès, MM. Fichet, Jacquin, Kanner et Cozic, Mme Le Houerou, M. Raynal, Mmes Briquet et Blatrix Contat, M. Éblé, Mme Espagnac, MM. Féraud, Jeansannetas et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le titre V de la première partie du livre Ier du code général des impôts est complété par un chapitre... ainsi rédigé :
« Chapitre...
« Déclaration de certaines opérations caractérisées, dans le but de lutter contre l'évasion fiscale et de prévenir les abus de droit
« Art. 1378 decies. – I. – Dans le but de lutter contre l'évasion fiscale et de prévenir les abus de droit tels qu'ils sont définis à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, les personnes morales établies en France dont l'activité professionnelle consiste en tout ou partie à fournir des prestations de conseil à des personnes morales établies en France et passibles de l'impôt sur les sociétés au sens du I de l'article 209 du présent code sont soumises à une obligation de déclaration auprès de l'administration, dans les conditions définies au présent article.
« Doivent être déclarées, dans les trente jours suivant leur fourniture, les prestations de conseil permettant la mise en œuvre d'une opération ou d'un ensemble d'opérations liées lorsqu'elles réunissent les conditions cumulatives suivantes :