M. Victorin Lurel. … nouvelle ou adossée à une organisation existante, comme l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Une telle instance aurait pour mission d’appliquer la doctrine de la substance économique. Elle serait saisie en amont du lancement de tout produit d’optimisation fiscale, de toute opération de cession de propriété intellectuelle et de toute création de trust.

Il ne s’agit pas d’interdire cette optimisation, apparemment légale, mais – c’est un minimum – de faire en sorte que l’administration soit informée en amont.

En fonction du sort réservé à nos amendements, qui dépendra en particulier de l’avis du Gouvernement, nous aviserons quant au vote du présent texte.

M. le président. La parole est à Mme Pauline Martin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Pauline Martin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis la dernière à m’exprimer en discussion générale : je ne suis pas sûre que la treizième et dernière position me porte chance… Tout semble avoir été dit ! (Sourires.)

La solidarité ne pourra exister durablement que si et seulement si chacun respecte les règles. C’est une évidence pour tous les Nicolas de ce pays – voilà au moins une chose qui n’avait pas été dite (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.) ;…

Mme Pauline Martin. … pour ceux qui se lèvent tôt, qui cotisent et voient leur fiche de paie largement entamée pendant que d’autres profitent d’un système obsolète, voire laxiste, parce que nous excellons dans l’art de colmater les brèches au lieu de réformer en profondeur.

Même si ce projet de loi arrive bien tard, il arrive enfin ! Sous la houlette de nos remarquables rapporteurs, nous nous sommes pour notre part attachés à l’amender. En effet, nous ne saurions nous contenter de lutter contre les fraudeurs : il faut surtout prémunir nos concitoyens contre la tentation même de frauder.

Si nous partons à la recherche de l’argent perdu, nous devons avant tout lutter contre les abus ; il ne s’agit nullement de pointer du doigt les bénéficiaires honnêtes – je rappelle qu’aucun de nous n’est à l’abri d’un accident de la vie.

Bien sûr, il faut prendre les chiffres avec précaution ; mais ils nous prouvent qu’il ne s’agit pas là d’un détail de notre système. Il n’existe sans doute pas de recette miracle, mais aucune solution ne doit être délaissée face à cet enjeu de justice sociale.

Si l’intention demeure louable, si cette démarche est nécessaire, la plupart des Français nous demandent d’avoir le courage d’aller au fond des choses. Ils attendent des résultats concrets contre les fraudes du quotidien, celles-là mêmes qui ulcèrent, peinent et démotivent tous les Nicolas de France.

Je ne répéterai bien sûr pas tout ce qui a déjà été dit. Mon expertise portant avant tout sur le social, j’indique simplement qu’il me semble nécessaire de mettre en place des actions volontaristes avant ouverture de droits et en cours de droits, afin de prévenir d’éventuelles velléités de détournement.

Ainsi, pour ce qui concerne les bénéficiaires du RSA, avec le nouveau barème de sanctions en vigueur depuis le 1er juin 2025, on a basculé d’une logique de suppression vers une logique de suspension. Résultat : un demandeur radié peut se réinscrire immédiatement. Où est la fermeté ?

En outre, n’est-il pas temps d’accorder aux départements le statut de membre de droit des comités opérationnels départementaux antifraude (Codaf) ?

Mme Pauline Martin. Enfin, l’heure est venue de travailler à un guichet social unique pour toutes les prestations non contributives, c’est-à-dire celles qui sont financées par la solidarité nationale. En se limitant à une seule porte d’entrée, on simplifierait les démarches et on renforcerait la coordination. Surtout, face à la fraude, on cesserait d’agir systématiquement a posteriori.

En somme, mes chers collègues, ce texte doit envoyer un signal clair : la solidarité n’est pas une opportunité, elle est une responsabilité. J’espère que les débats qui vont s’ouvrir à présent seront constructifs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. Bravo !

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales

TITRE Ier

AMÉLIORER LA DÉTECTION DE LA FRAUDE FISCALE ET SOCIALE

Chapitre Ier

Mettre en commun et exploiter les informations nécessaires à la lutte contre la fraude

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales
Article 1er

Avant l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 229, présenté par Mmes Silvani, Apourceau-Poly et Brulin, MM. Barros, Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le chapitre Ier du titre Ier du livre Ier du code des juridictions financières est complété par un article L. 111-… ainsi rédigé :

« Art. L. 111-. – I. – La Cour des comptes établit et publie, avant le 30 juin de chaque année, un rapport sur le coût et les mécanismes de l’évasion fiscale, distinguant :

« 1° L’optimisation fiscale agressive, définie comme l’exploitation des subtilités ou incohérences d’un ou plusieurs systèmes fiscaux pour réduire l’impôt dû, sans violation formelle de la loi ;

« 2° La fraude fiscale, définie conformément à l’article 1741 du code général des impôts.

« II. – Ce rapport comprend :

« 1° Une estimation du coût annuel de l’évasion fiscale, ventilée par mécanisme et par secteur d’activité, établie selon les méthodologies validées par la Cour des comptes et conformes aux standards internationaux ;

« 2° Une analyse des mécanismes les plus utilisés, incluant les schémas transfrontaliers et les pratiques des multinationales et des grandes fortunes, ainsi que leur impact sur les finances publiques ;

« 3° Une évaluation de l’efficacité des dispositifs de lutte existants et les sanctions effectivement appliquées.

« III. – Pour établir ce rapport, la Cour des comptes :

« 1° Utilise les données disponibles auprès de la direction générale des finances publiques, de Tracfin, et des administrations fiscales européennes, dans le respect des règles de confidentialité prévues par le règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 ;

« 2° Peut s’appuyer sur les travaux indépendants menés par des associations ou syndicats, après vérification de leur méthodologie par un comité d’experts désignés par le premier président de la Cour des comptes.

« IV. – Le rapport est transmis au Parlement et rendu public. Il est accompagné d’une synthèse pédagogique destinée à informer les citoyens sur les enjeux de l’évasion fiscale et ses conséquences sur les finances publiques et les services publics.

« V. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis du Conseil des prélèvements obligatoires, précise les modalités d’application du présent article, notamment les méthodologies utilisées pour les estimations et les critères de sélection des audits ciblés. »

La parole est à Mme Silvana Silvani.

Mme Silvana Silvani. Cet amendement vise à combler une carence démocratique majeure : l’absence, en France, d’une évaluation officielle, régulière et transparente du coût de l’évasion fiscale. Monsieur le ministre, vous avez vous-même déploré cette lacune dans votre propos liminaire.

La Cour des comptes elle-même reconnaît que « la France ne dispose pas d’une estimation régulière des irrégularités ou de la fraude concernant les principaux impôts ». Autrement dit, nous légiférons dans le brouillard.

Comment prétendre lutter efficacement contre la fraude si nous ignorons son ampleur réelle, ses mécanismes précis et son coût pour la collectivité ?

Nous proposons donc de confier à la Cour des comptes, institution indépendante garante de la sincérité des comptes publics, la mission d’établir chaque année un rapport public et méthodologiquement rigoureux sur le coût de l’évasion et de la fraude fiscales.

Ce document distinguerait clairement l’optimisation agressive, légale, mais abusive, de la fraude avérée, et en analyserait les principaux mécanismes – prix de transfert, recours aux paradis fiscaux, prêts intragroupe ou encore montages hybrides.

Selon les différentes études disponibles, les pertes que l’évasion fiscale inflige à l’État atteignent 80 milliards à 100 milliards d’euros par an, soit l’équivalent du budget de l’éducation nationale. Mais ces chiffres émanent de travaux indépendants, et non d’une évaluation officielle.

Pour notre part, nous proposons de bâtir enfin un socle statistique solide, validé par la Cour des comptes, adossé aux données de la DGFiP, de Tracfin et des administrations européennes.

Un tel outil est indispensable à la transparence budgétaire, au contrôle parlementaire et à la confiance des citoyens dans l’impôt. Il ne peut y avoir de lutte crédible contre la fraude sans connaissance précise du phénomène.

M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?

M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. Institué en vertu du plan de lutte contre les fraudes aux finances publiques de mai 2023, le Conseil d’évaluation des fraudes a précisément pour mission d’évaluer le montant des fraudes fiscales, sociales, douanières et aux aides publiques.

Aussi la commission demande-t-elle le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. David Amiel, ministre délégué. Pour compléter ce que vient de dire M. le rapporteur pour avis, je tiens à réitérer l’engagement que j’ai pris à la tribune : le Gouvernement réunira très rapidement, c’est-à-dire dans les prochaines semaines, le Conseil d’évaluation des fraudes afin qu’il poursuive ses travaux.

Le Haut Conseil du financement de la protection sociale a estimé à 13 milliards d’euros le coût de la fraude sociale – ce chiffre a été rappelé par de nombreux orateurs. Il convient d’actualiser cette évaluation, le coût de la fraude évoluant par définition chaque année.

En parallèle, nous devons détailler et préciser l’évaluation de la fraude fiscale. Son montant est sans aucun doute supérieur à celui de la fraude sociale, mais, à ce jour, les estimations qui circulent sont d’ampleur très variable.

Cette tâche doit réunir la DGFiP, qui accomplit un travail considérable en la matière, des experts indépendants, notamment des économistes, ainsi que les représentants des organisations syndicales – par le truchement de leurs adhérents, ces dernières peuvent avoir un certain nombre d’informations à faire remonter. Évidemment, les parlementaires travaillant plus particulièrement sur ces sujets ont vocation à être associés au CEF, dont le format me paraît donc, en la matière, le plus adapté.

De son côté, la Cour des comptes a plutôt pour rôle de contre-expertiser l’évaluation produite, conformément à sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement.

Madame la sénatrice, telle est à mes yeux la meilleure répartition des rôles, la plus efficace. En tout état de cause, comme vous le soulignez à juste titre, il importe de préciser le diagnostic.

Pour les raisons indiquées, le Gouvernement vous demande à son tour de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, je me réjouis de vos annonces ; mais, pour l’heure, le projet de loi de finances arrive au Sénat et le Conseil d’évaluation des fraudes est toujours en stand-by

Notre ancien collègue Éric Bocquet et moi-même avons à de multiples reprises sollicité une coprésidence ou une vice-présidence active de ce conseil. Vous venez de dire que les parlementaires y seraient associés. En attendant, nous sommes contraints de travailler au doigt mouillé.

Il est réellement important d’obtenir cette évaluation. Je vous l’accorde, la Cour des comptes n’est pas forcément la mieux à même de faire ce travail, et j’insiste sur le rôle de ce conseil créé sur l’initiative de Gabriel Attal. Il faut le réunir périodiquement, et non seulement « à chaud », pour traiter un certain nombre de problèmes majeurs. Je ne suis pas loin de soutenir cet amendement…

M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.

M. Victorin Lurel. Ces dispositions de bon sens sont régulièrement proposées dans notre hémicycle.

Il est un peu étonnant de constater que la France est l’un des rares pays de l’OCDE à ne pas disposer d’une évaluation régulière de la fraude fiscale. Les demandes de rapport sont peut-être contraires à la culture du Sénat, mais, pour notre part, nous voterons cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Je voterai moi aussi cet amendement.

J’observe pour ma part que la fraude sociale fait l’objet d’estimations assez maîtrisées : la fourchette en question est assez étroite. En revanche, chose remarquable, voire étonnante, les évaluations de la fraude fiscale varient entre quelques dizaines de milliards et une centaine de milliards d’euros. À l’évidence, dans notre pays, la lutte contre la fraude sociale est jugée plus importante que la lutte contre la fraude fiscale…

La France est bel et bien l’un des rares pays européens à ne pas savoir du tout où il en est à cet égard. Un rapport annuel, c’est peut-être beaucoup demander ; en tout état de cause, il me semble légitime de mobiliser les moyens de la Cour des comptes pour trancher enfin les débats de chiffres et « resserrer » les fourchettes actuellement disponibles, dont l’ampleur est absolument hallucinante pour ce qui concerne l’estimation de la fraude fiscale – je ne parle même pas de l’optimisation fiscale.

Il est grand temps de mener cette investigation et d’obtenir ce rapport.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 229.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 235, présenté par Mmes Silvani, Apourceau-Poly et Brulin, MM. Barros, Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 30 juin de chaque année, un rapport évaluant :

1° Le montant des fraudes fiscales, de l’évasion fiscale et des mécanismes d’évitement fiscal identifiés en France et au sein de l’Union européenne ;

2° Les méthodologies statistiques et comptables utilisées pour établir ces évaluations ;

3° Les principales pratiques frauduleuses constatées, y compris les schémas d’optimisation agressive et les montages transfrontaliers ;

4° Les mesures envisagées ou mises en œuvre pour y remédier ;

5° Les moyens humains, matériels et budgétaires alloués à la direction générale des finances publiques, à la direction générale des douanes et droits indirects et à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, pour la détection, le contrôle et la sanction des fraudes.

La parole est à M. Pierre Barros.

M. Pierre Barros. Dans la droite ligne de l’amendement précédent, nous proposons la publication annuelle d’un rapport exhaustif portant sur la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales, assorti d’une évaluation des moyens humains de la DGFiP, de la direction générale des douanes et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

La première condition d’une politique publique crédible, c’est évidemment la transparence. Aujourd’hui, nous ne disposons en la matière d’aucun chiffrage officiel consolidé, si l’on excepte – vous l’avez dit, monsieur le ministre – quelques estimations proposées par la Cour des comptes et par le Sénat.

Il convient de mettre fin à cette opacité en donnant au Parlement un outil d’évaluation objectif. Nous cesserions ainsi de légiférer à l’aveugle.

Le rapport que nous demandons permettrait également de calibrer les moyens de contrôle dont dispose l’administration – les effectifs dont nous parlons ont malheureusement fondu de près de 25 % depuis 2008.

L’enjeu est démocratique : il s’agit de savoir qui fraude, pour quels montants, et avec quels effets sur le budget de la Nation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?

M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. Il s’agit encore une fois d’une demande de rapport adressée, cette fois, au Gouvernement.

Pour les raisons que j’ai précédemment indiquées, la commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. David Amiel, ministre délégué. Même avis, pour les mêmes raisons.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Les différents orateurs de la discussion générale l’ont souligné : nous avons besoin de mieux connaître la fraude, de mieux l’identifier, pour mieux agir. Voilà, en résumé, le consensus qui se dégage dès à présent, au-delà de nos divergences quant aux réponses à apporter à ce problème.

En vertu d’une jurisprudence du Sénat, toutes les demandes de rapport essuient le même refus ; mais le principe même d’une jurisprudence est de pouvoir être contestée. Par définition, celle-ci peut connaître des exceptions ou des revirements, d’autant qu’elle n’est jamais totalement écrite et qu’elle repose largement sur des traditions. On ne saurait l’invoquer systématiquement, en partant du principe qu’elle fait foi en toutes circonstances.

En l’occurrence, comment pourrons-nous agir plus efficacement demain si nous ne connaissons pas mieux, plus en profondeur, un certain nombre des difficultés que nous pointons ?

Une précision, pour conclure, à l’attention du grand public : le Premier ministre ne cesse de dire que nous sommes enfin, désormais, en République parlementaire ; mais l’ensemble des députés et sénateurs restent bridés, dans l’exercice de leur droit d’amendement, par l’article 40 de la Constitution, au nom du sacro-saint dogme de la réduction de la dépense publique, que certains persistent à défendre.

Monsieur le rapporteur pour avis, nous aurons d’autres demandes de rapport à soumettre à notre assemblée au cours de ce débat : il ne s’agit pas d’embêter le monde ou d’aller à l’encontre de telle jurisprudence sénatoriale. Si nous présentons de tels amendements, c’est pour une raison simple : si nous voulons qu’un débat ait lieu sur les sujets dont il est question, nous n’avons pas d’autre solution, dans cette belle République parlementaire qui est la nôtre !

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Je voudrais préciser ce que j’ai dit tout à l’heure.

Selon les sources, l’évaluation de la fraude fiscale varie entre 14 milliards et 100 milliards d’euros. Comment peut-on, dans un pays comme le nôtre, se satisfaire d’une fourchette si large ?

Mme Sophie Primas. Ce n’est pas du ressort d’un tel rapport !

Mme Raymonde Poncet Monge. Nous sommes complètement dans le flou.

Le rendement attendu de ce projet de loi est de 1,5 milliard d’euros – M. le ministre nous le confirmera peut-être. J’aimerais savoir précisément quel est le rendement escompté de la lutte contre la fraude sociale, dont la fraude aux cotisations, et quel est celui que l’on attend de la lutte contre la fraude fiscale. Comparé aux chiffres que je viens de citer, le 1,5 milliard d’euros annoncé me paraît bien peu…

Je le répète, c’est une honte qu’en France on se contente d’une telle fourchette.

Monsieur le ministre, vous disposez sans doute de votre propre estimation de la fraude fiscale : où vous situez-vous dans cette fourchette ? Nous serions curieux de le savoir…

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.

Mme Silvana Silvani. Je ne voudrais pas que nos propositions soient réduites à de simples demandes de rapport, même si j’ai un immense respect, par exemple, pour les rapports produits au Sénat.

Monsieur le rapporteur pour avis, monsieur le ministre, nous sommes d’accord sur le constat : nous manquons de données suffisamment fiables pour resserrer les fourchettes disponibles et estimer précisément le montant réel de la fraude fiscale.

Ce que nous proposons, c’est donc d’avancer sur ces questions. Sur la forme, nous avons dû nous contenter d’une demande de rapport, mais je ne comprends définitivement pas vos avis défavorables.

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour explication de vote.

M. Jean-Luc Fichet. Il y a, de fait, une certaine logique à commencer par identifier les fraudes.

Depuis quelques jours, nous parlons beaucoup du montant de la fraude sociale – 13 milliards, 15 milliards ou 20 milliards d’euros, selon les cas – et du montant de la fraude fiscale, qui serait d’environ 100 milliards d’euros ; mais tous ces chiffres restent approximatifs. Or, pour endiguer la fraude, il faut partir d’une base précise, ce qui suppose d’identifier ce qui se passe exactement et de mesurer l’évolution de ces phénomènes, année après année.

Ce que tout le monde attend, c’est l’efficacité des mesures mises en œuvre pour réduire massivement la fraude, qu’elle soit fiscale ou sociale. Je le répète, il faut commencer par répondre à des questions simples : où a lieu la fraude ? De quels montants parle-t-on ?

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 235.

(Lamendement nest pas adopté.)

Avant l’article 1er
Dossier législatif : projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales
Après l’article 1er

Article 1er

L’article 706-1-3 du code de procédure pénale est ainsi rétabli :

« Art. 706-1-3. – Par dérogation à l’article 11, sur autorisation du procureur de la République les ayant requis ou du juge d’instruction leur ayant délivré une commission rogatoire, après avis du procureur de la République, les agents des douanes et les agents des services fiscaux effectuant des enquêtes judiciaires et habilités à cet effet en application des articles 28-1 et 28-2 peuvent communiquer aux agents relevant des administrations des douanes et des finances publiques chargés d’une mission de contrôle toutes informations et tous documents, recueillis dans le cadre de ces enquêtes, susceptibles d’être utiles à l’exercice de cette mission de contrôle. »

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
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Article 3 (priorité)

Après l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié nonies, présenté par Mme N. Goulet, MM. Canévet et Bitz, Mme Sollogoub, MM. Laugier, Maurey, Fialaire et Dhersin, Mmes Tetuanui, Saint-Pé, Antoine, Loisier, Romagny et Guidez, MM. Lafon et Kern, Mme Vermeillet, MM. Fargeot, Menonville et Levi, Mme Perrot, M. Folliot, Mmes de La Provôté et Jacquemet et MM. Courtial, Masset, Cabanel, Haye et Parigi, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le 2 decies de l’article 283 du code général des impôts est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« 2 decies. La taxe sur la valeur ajoutée est acquittée par l’assujetti destinataire des biens ou preneur des services, pour les livraisons de biens ou les prestations de services qui sont réalisées dans des secteurs identifiés comme exposés à des risques élevés de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, dès lors que le destinataire des biens ou le preneur de services est assujetti à ladite taxe en France.

« La liste des secteurs concernés est fixée par arrêté du ministre chargé du budget, sur la base d’une cartographie actualisée des risques établie par l’administration fiscale. »

La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, vous pouvez constater que je n’ai pas attendu longtemps pour déposer cet amendement : il porte le numéro 1.

Il s’agit d’offrir à l’administration une souplesse en matière de liquidation de la TVA, sachant que la fraude à la TVA est assez bien évaluée : elle coûte, chaque année, entre 20 milliards et 25 milliards d’euros.

Dans sa rédaction actuelle, le 2 decies de l’article 283 du code général des impôts précise que, « lorsqu’il est constaté une urgence impérieuse tenant à un risque de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée présentant un caractère soudain, massif et susceptible d’entraîner pour le Trésor des pertes financières considérables et irréparables, un arrêté du ministre chargé du budget prévoit que la taxe est acquittée par l’assujetti destinataire des biens ou preneur de services ».

Nous allons débattre des petits colis ; de même, nous avons longuement discuté des entreprises éphémères, pour ne pas dire jetables. Mais, en réalité, nous ne disposons d’aucun élément précis, d’aucune mesure efficace pour lutter contre la fraude à la TVA.

M. le président. Quel est l’avis de la commission des finances ?

M. Bernard Delcros, rapporteur pour avis. Ma chère collègue, vous venez de rappeler dans quels cas tout à fait exceptionnels la TVA peut être acquittée par le destinataire et non par le vendeur d’un bien ou d’un service.

Je comprends pleinement la problématique que vous soulevez : le formalisme de l’arrêté en vigueur entraîne une perte de temps préjudiciable. L’essentiel est d’être réactif pour éviter la fraude à la TVA de la part d’entreprises éphémères, qui par définition disparaissent rapidement.

Toutefois, cet amendement me semble présenter d’importants effets de bord. D’une certaine manière, son adoption reviendrait à faire peser une présomption de fraude a priori sur toutes les entreprises d’un même secteur, le ministre chargé du budget devant définir « la liste des secteurs concernés ».

Prenons l’exemple de la restauration : cette règle d’exception devra-t-elle être appliquée à tous les restaurateurs du pays ? À l’évidence, non.

Il pourrait être judicieux, comme vous le suggérez, de simplifier le formalisme de l’arrêté prévu au 2 decies de l’article 283 du code général des impôts. En ce sens, un travail pourrait être mené, notamment par le Gouvernement ; mais les dispositions de cet amendement ne me semblent pas réalistes. À ce stade, j’en demande donc le retrait.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. David Amiel, ministre délégué. En complément des explications fournies par M. le rapporteur pour avis, je signale que le fait de cibler des secteurs de manière aussi générale serait probablement contraire à la directive européenne TVA. En vertu de cette directive, l’activation de la procédure d’urgence doit d’ailleurs faire l’objet d’une notification à la Commission européenne.

Néanmoins, madame la sénatrice, je crois moi aussi que cette procédure doit pouvoir être activée beaucoup plus facilement. M. le rapporteur pour avis semble partager cette position.