M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, les fraudes sociales et fiscales sont inacceptables, elles minent le consentement à l’impôt de nos concitoyens. Le coût cumulé des fraudes sociales et fiscales s’élève à pas moins de 110 milliards d’euros !

Imaginons un instant que l’ensemble des responsables d’entreprises, des indépendants, ou encore des professionnels de santé soient tous vertueux, ce qui est déjà le cas de la très grande majorité d’entre eux ; cela permettrait au budget de la Nation de récupérer des sommes allant de 80 milliards à 90 milliards d’euros. Ainsi, on pourrait éviter de se focaliser sur les comportements de certains bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) ou de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), ou encore de réduire les remboursements médicaux, enjeux de santé universels. L’on n’aurait pas à se demander s’il convient ou non que les consultations de psychanalyse soient remboursées par la sécurité sociale !

Si je devais reconnaître un intérêt au texte du Gouvernement, je dirais qu’il souligne en creux tous les enjeux importants qui n’y sont pas abordés.

J’évoquerai à présent les fraudes fiscales organisées par le système bancaire : des milliards d’euros échappent au fisc du fait des montages « CumCum », qui ont donné lieu à un fameux scandale.

M. Jean-Luc Fichet. Le Crédit Agricole a reconnu avoir fraudé, il doit payer une amende de 88 millions d’euros pour blanchiment aggravé de fraude fiscale,…

Mme Nathalie Goulet. Merci au Sénat !

M. Jean-Luc Fichet. … mais d’autres banques sont aussi sur la sellette. Je tiens à souligner que, dans la lutte contre les CumCum, le Sénat a joué un rôle moteur.

M. Jean-Luc Fichet. Le Gouvernement, lui, fait montre de moins d’enthousiasme pour lutter contre ce scandale que pour stigmatiser les bénéficiaires de minima sociaux.

De fait, il aurait été souhaitable de scinder ce projet de loi en deux textes distincts : l’un consacré à la fraude sociale, l’autre à la fraude fiscale. Cela aurait évité le déséquilibre constaté entre les temps consacrés à ces deux fraudes.

En effet, tout au long de la discussion de ce texte, chers collègues de droite, vous n’avez fait que développer les préjugés relatifs à la fraude sociale dans notre pays.

M. Jean-Luc Fichet. Je rappelle pourtant que les ménages ne sont pas les principaux responsables de celle-ci : les entreprises et les travailleurs indépendants sont à l’origine de 56 % des fraudes sociales. Le réseau des Urssaf est la première victime de la fraude sociale : près de 6,9 milliards d’euros de cotisations seraient soustraits à nos finances sociales du seul fait du travail dissimulé, qui constitue l’essentiel de la fraude sociale.

Or, sur les travées de droite de notre hémicycle, tout au long des débats, on invoquait de manière lancinante la fraude aux minima sociaux ; rappelons pourtant que celle-ci – votre totem, mes chers collègues ! – n’est évaluée qu’à 1,5 milliard d’euros. Dans le même temps, le taux de non-recours au RSA atteint 34 % : ce sont 3 milliards d’euros qui restent dans les caisses publiques.

Dans le même ordre, il faut à l’évidence lutter contre la fraude à l’AAH, mais elle reste minime, et cette allocation reste l’une des aides sociales les moins réclamées dans notre pays, le taux de non-recours étant de 61 %.

La disproportion de ce projet de loi est indécente : d’un côté, on met l’accent sur les fraudes sociales commises souvent maladroitement par certains allocataires de minima sociaux ; de l’autre, les moyens consacrés à la lutte contre la fraude fiscale restent modestes. Stigmatisation des pauvres d’un côté, protection des plus riches de l’autre !

Tout au long des débats, nous avons tenté de muscler le volet du projet de loi consacré à la fraude fiscale ; ainsi de notre amendement visant à lutter contre la suroptimisation fiscale, ou encore de celui qui portait sur les cabinets de conseil. Dans leur majorité, nos amendements ont été rejetés par la droite sénatoriale.

Je me félicite cependant de l’adoption, contre l’avis du Gouvernement, de notre amendement n° 88, dont l’objet était de rendre automatique l’annulation par l’assurance maladie des cotisations sociales qu’elle a prises en charge au bénéfice de professionnels de santé quand ceux-ci sont reconnus coupables de faits à caractère frauduleux. Nous estimons qu’un professionnel de santé qui a fraudé la sécurité sociale – le patrimoine de celles et ceux qui n’en ont pas – doit être durement sanctionné.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jean-Luc Fichet. Les sénateurs socialistes, écologistes et républicains auraient vraiment souhaité voter un texte sur la fraude sociale et un autre sur la fraude fiscale. Pour ce faire, il aurait fallu ne pas travailler dans l’urgence, mais prendre le temps nécessaire pour mener les auditions indispensables pour avoir une perception juste et équilibrée de ce qu’est la fraude en France. Nous aurions ainsi pu mettre en place les moyens législatifs et techniques afin de la réduire à néant.

Malheureusement, compte tenu de la manière expéditive et superficielle dont l’examen de ce projet de loi a été mené, nous ne pouvons que nous abstenir sur ce texte. Nous pouvons d’autant moins le soutenir que la droite sénatoriale y a intégré en commission des dispositions aussi scandaleuses que la privation du tiers payant pour les assurés déjà sanctionnés, véritable double peine ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, à l’orée de l’examen de ce projet de loi, tous les groupes de gauche s’étaient joints à notre demande de rejet du texte. Si une telle unité s’est construite, ce n’est pas parce que nous serions indulgents envers la fraude. Non, mes chers collègues : c’est parce que chacun a vu clair dans la manœuvre, parce que chacun a constaté que ce projet de loi est non pas un texte de justice, mais un outil de diversion.

Sous couvert de rigueur morale, vous créez une fausse symétrie entre fraude sociale et fraude fiscale, comme si un simple « et » suffisait à effacer les rapports de force et les ordres de grandeur, à combler l’abîme qui sépare la fraude de survie de la fraude d’organisation du capital.

La fraude qui ruine notre pays – celle des montages fiscaux et des multinationales – n’est quasiment pas traitée.

Alors que 211 milliards d’euros d’aides publiques sont versés chaque année aux grandes entreprises, alors que les dividendes ont flambé de 85 % en six ans, alors que, de 2008 à 2024, 30 000 agents du fisc ont été supprimés, réduisant la capacité de l’État à vérifier que les plus riches paient leur dû, dans le même temps, vous rognez les aides personnelles au logement (APL), vous conditionnez les allocations, vous réduisez, de 6 milliards d’euros en deux ans, les crédits prévus pour l’accompagnement dans l’emploi, vous dévoyez des structures d’accompagnement comme les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) en leur confiant des missions de contrôle ; bref, vous traquez les plus modestes !

Voilà la vérité : les assistés de notre société, ce ne sont pas les allocataires, les chômeurs ou les familles modestes ; ce sont les grandes entreprises et les actionnaires que l’on protège systématiquement. (Exclamations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

En inversant les responsabilités, ce texte alimente les discours de l’extrême droite ; il fait des travailleurs précaires les boucs émissaires de difficultés qu’ils n’ont pas créées. (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) C’est une justice à deux vitesses, une morale à géométrie variable, une politique de classe qui criminalise les plus fragiles pour masquer les privilèges réels.

Mme Anne-Sophie Romagny. N’importe quoi !

M. Pascal Savoldelli. Ce texte ne renforce pas la lutte contre la fraude : il la détourne, pour imposer une austérité sociale déguisée. Il légitime la stigmatisation des plus faibles, tout en célébrant silencieusement l’assistanat du capital. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et sur des travées du groupe GEST.)

Vous cherchez à tromper et à diviser les Françaises et les Français. Diviser pour mieux régner : ce vieil adage, vous le maniez pour décrédibiliser tout espoir, toute alternative au néolibéralisme. Sinon, pourquoi auriez-vous rejeté l’intégralité de nos amendements visant à lutter contre la fraude fiscale ? Pourquoi cet avis de sagesse irresponsable du Gouvernement sur les 211 milliards ? Shakespeare prévenait pourtant : « La folie chez les grands ne doit pas aller sans surveillance. »

Mieux vaut, à en croire le Gouvernement et la majorité sénatoriale, que les citoyens s’inquiètent de savoir si leur voisin a touché une aide, plutôt que de se demander pourquoi les multinationales ne paient pas leurs impôts ou pourquoi l’État emprunte des milliards sur les marchés financiers. Mieux vaut faire du bruit autour des allocations et des « fraudeurs du quotidien » : ça occupe les Français, ça détourne leur attention, ça nourrit la suspicion… et ça alimente les discours de l’extrême droite, qui pactise avec le capital !

Pourtant, les chiffres sont clairs : la fraude sociale est estimée à 5,7 milliards d’euros, tandis que la fraude fiscale atteint 100 milliards d’euros. Protection sociale ou actionnaires : qui coûte combien ? Qui sont les véritables assistés ? Vous choisissez délibérément la mauvaise cible !

Si ce texte servait à enfin faire payer les véritables fraudeurs, ce serait autant d’argent disponible pour l’éducation, la santé, les services publics – tous ces sujets de préoccupation sur lesquels des réponses sont attendues. Mais tel n’est pas votre objectif. Ce projet de loi, rédigé à la hâte en trois semaines, a été conçu pour masquer les conséquences sociales du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances, pour amortir, ou plutôt mettre sous le tapis, des choix budgétaires qui auraient été trop visibles autrement.

Vous l’avez démontré sur la question des travailleurs de plateformes numériques : au lieu de transposer la directive européenne et d’instaurer une présomption de salariat qui ferait disparaître de facto la fraude sociale dans ce secteur, vous choisissez de laisser les grandes plateformes, comme Uber ou Deliveroo, échapper à leurs obligations.

Pis encore, ce texte alimente un capitalisme de surveillance, transformant l’État social en État liberticide. Sous couvert de lutte contre la fraude, il instaure un contrôle social permanent, algorithmique et discriminatoire.

Pendant qu’on pistera les adresses IP des allocataires, 100 milliards d’euros d’évasion fiscale continueront à s’évaporer chaque année sans contrôle. Ce texte ne touche jamais aux vrais fraudeurs !

M. Pascal Savoldelli. Les algorithmes permettront de tracer déplacements, communications et habitudes de vie, et d’accéder à des données sensibles – relevés téléphoniques, informations bancaires, PNR (Passenger Name Record) –, tout cela pour suspendre des prestations sur le fondement de simples soupçons.

Les personnes souffrant d’affections de longue durée (ALD), les bénéficiaires de l’AAH ou de pensions d’invalidité, ou encore celles en arrêt maladie seront sous surveillance constante. Les allocations pourront être suspendues sans jugement, le contradictoire venant après la sanction. La double peine sera autorisée : suspension du tiers payant en cas de fraude ! C’est une inversion totale de la philosophie du droit, l’inscription dans la loi d’une présomption de culpabilité.

Vous n’avez prévu aucune étude d’impact pour ce texte ; et, quand j’ai soulevé la question de l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), on m’a répondu d’un sourire : oui, la Cnil, c’est bien joli, pour les libertés, on verra après… Pourtant, mes chers collègues, des mesures de ce texte pourraient bien être frappées du sceau de l’inconstitutionnalité !

Partout dans les démocraties néolibérales – aux États-Unis, en Italie, en Argentine et dans bien d’autres pays encore –, nous voyons émerger un nouveau type de pouvoir, un « technofascisme », le fascisme des flux financiers et des données, celui des plateformes numériques qui exploitent des milliers de travailleurs précaires. Les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et autres oligarchies numériques seront ravis de fournir les outils de surveillance des plus modestes. Les dirigeants exploitent toutes les failles légales possibles pour gouverner sans contrôle réel, tout en se présentant comme les défenseurs du peuple. Pardonnez-moi, mais avec ce texte, le Gouvernement s’engage sur le même chemin !

Ce projet est un recul du droit ; il constitue une rupture avec nos principes républicains. Quand l’État adopte les méthodes des grandes plateformes et transforme la solidarité en outil de surveillance, il change de nature. Ces outils n’ont pas leur place dans une démocratie. En jouant, encore et toujours, avec les failles de notre droit, le Gouvernement rend l’illégal légal et le légitime, illégal. La misère devient suspecte, la fraternité est remplacée par la méfiance, la solidarité est toujours plus contrainte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Eh non, mes chers collègues, la République n’est pas un algorithme !

M. le président. Il faut conclure !

M. Pascal Savoldelli. Elle doit protéger, et non pas traquer.

Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, le projet de loi sur lequel nous allons nous prononcer se caractérise par une asymétrie entre les catégories de fraudes, par une inversion des ordres de grandeur.

Alors que la fraude fiscale représente a minima 86 % du montant total de la fraude, elle ne faisait déjà l’objet que de 14 % des articles de la copie initiale du Gouvernement.

Notre chambre a renforcé ce renversement total des priorités et des attentions, à tel point que notre collègue Silvana Silvani, constatant la place toujours plus centrale donnée à la fraude des assurés dans nos débats, a renoncé à son amendement visant à inverser les mots « sociales » et « fiscales » dans l’intitulé du texte pour respecter les ordres de grandeur réels.

Quant à la fraude sociale, que nous ne minorons aucunement et qui doit être combattue sans réserve, sa composante dominante, à savoir la fraude aux cotisations via le travail dissimulé, est toujours insuffisamment combattue. Le texte a plutôt été orienté vers un durcissement du contrôle des bénéficiaires de prestations sociales, jusqu’à doter France Travail de quasi-prérogatives de police, en lui offrant un accès intrusif à des données de connexion relatives à la vie privée, et ce sur simple présomption de fraude, laquelle serait établie à partir d’indices dits « sérieux ».

Qu’importe que le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) rappelle que « l’essentiel de la fraude sociale trouve son origine dans les pertes associées aux cotisations » : l’essentiel du débat a été consacré à la création de nouveaux outils de surveillance des allocataires du chômage, au risque d’instaurer une surveillance généralisée et une stigmatisation qui alimente le non-recours.

Notons aussi l’asymétrie des contenus des discours et des argumentaires qui nous ont été opposés au fil de l’examen du texte.

Certes, nous avions pu souhaiter deux textes séparés, mais nous apprécions au moins que le texte unique ait permis de mettre en lumière des arguments totalement orthogonaux, notamment de la part des ministres, selon la nature de la fraude dont il est question.

Oui, toute lutte contre la fraude doit être arbitrée au regard des principes de notre État de droit. Mais une analyse sémantique des discussions en séance publique montre que nos propositions de renforcement de l’outillage dont on dispose pour lutter contre la fraude fiscale, ou encore la fraude sociale des employeurs, se sont toujours vu opposer le respect de la présomption d’innocence et du principe de proportionnalité, tel ou tel écueil opérationnel, ou encore le refus d’une prétendue présomption de fraude ou d’une suspicion généralisée.

Ces principes, nous ne les récusons pas, mais reconnaissez qu’ils ne sont jamais pris en considération quand on s’attaque aux assurés ; alors, présomption vaut mesures conservatoires ! Pour eux, il n’est question d’aucun arbitrage entre lutte légitime contre la fraude et respect des libertés individuelles et de la vie privée, car le profil social du chômeur reste en ligne de mire du contrôle.

Quand nous proposons qu’une entreprise condamnée définitivement pour fraude fiscale soit privée de tout avantage fiscal pendant quelques années, le ministre s’alarme de la proportionnalité de la sanction. En revanche, l’article ajouté dans le texte par les rapporteurs qui permettra à France Travail d’accéder aux relevés téléphoniques sur simples indices dits « sérieux » de fraude, et ce avant toute condamnation définitive, ne semble lui poser aucun problème de proportionnalité, alors même que des moyens de contrôle existent déjà !

Quant au risque de surveillance généralisée que le ministre nous oppose, il n’est jamais évoqué pour les assurés.

Quand nous proposons que l’attestation de paiement des cotisations ne soit délivrée qu’après acquittement des cotisations fraudées, le ministre évoque « le souci de ne pas restreindre les droits de l’ensemble des cotisants à cause du comportement abusif d’une minorité » ; les contestations, selon lui, ne signaleraient « pas nécessairement une manœuvre dilatoire ou une intention frauduleuse » ; enfin, il nous invite au « bon équilibre ».

Certes, mais quand nous proposons de garantir la sécurité juridique des demandeurs d’emploi en distinguant clairement les situations où l’intentionnalité est établie, on ne se soucie plus de « bon équilibre » : on restreint les droits de tout le monde pour atteindre une poignée de fraudeurs !

Quand nous proposons de sanctionner les employeurs coupables de fraude aux cotisations sociales, le ministre nous répond : « la notion de présomption de fraude nous paraît fragile, puisque (…) la fraude ne se présume pas et ne peut être démontrée qu’au regard des faits constatés aux cas d’espèce ». Ces arguments n’ont pourtant pas été reconvoqués pour la fraude imputable aux assurés sociaux, quand nous avons examiné un article introduisant un pouvoir de suspension conservatoire sur le seul fondement d’indices et non de condamnations.

Vous l’aurez compris, lorsqu’il s’agit de l’assuré, il faut de l’automaticité, mais lorsqu’il s’agit de professionnels frauduleux, il faut personnaliser. Lorsqu’il s’agit d’un employeur, il faut veiller à l’équilibre, mais lorsqu’il s’agit de l’assuré, il faut appliquer des mesures conservatoires.

En discussion générale, le ministre Amiel voyait dans ce texte « celui d’une République lucide et déterminée ». Mais une République, un État de droit, se devrait de respecter les préconisations d’instances aussi essentielles que la Défenseure des droits concernant la proportionnalité des mesures ou la préservation des droits et des libertés. Elle devrait veiller à légiférer de façon équilibrée et pertinente, en modulant ses efforts en fonction de l’échelle des fraudes. Enfin, elle aurait respecté l’avis défavorable du Conseil d’État sur un article dont les mesures peineraient à s’articuler avec la garantie d’un niveau de ressources minimal, pourtant essentielle à notre République sociale.

Sans consultation de la Cnil, le Gouvernement aurait dû avoir le courage d’émettre un avis favorable sur la suppression de l’article 28, liberticide, plutôt que de se dédouaner par un avis de sagesse.

Nous déplorons plus largement la pluie d’avis défavorables émis sur les amendements visant à transposer toutes les recommandations de la Défenseure des droits et à prévenir le risque d’atteinte aux droits fondamentaux. La lutte contre la fraude ne justifiera jamais la privation du droit à des moyens minimaux d’existence ou l’instauration de dispositifs intrusifs disproportionnés irrespectueux de la vie privée.

Nous saluons bien sûr les avancées que comporte le volet fiscal de ce projet de loi, notamment l’échange d’informations désormais possible entre agents des douanes et agents des services fiscaux effectuant des enquêtes judiciaires et des missions de contrôle. De tels progrès auraient pu permettre notre abstention, mais les lignes rouges franchies sur les libertés fondamentales conduisent les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, à ce stade du parcours législatif, à voter majoritairement contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE-K, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Joshua Hochart, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Joshua Hochart. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, dans nos permanences comme dans nos déplacements, une même inquiétude revient inlassablement : les Français ont le sentiment que l’argent public n’est plus suffisamment protégé. Ils voient des fraudeurs profiter de failles énormes, tandis que ceux qui travaillent dur sont contrôlés pour la moindre erreur.

Cette fracture entre le pays réel et l’action publique nourrit une colère légitime, car la justice sociale commence par l’exemplarité de l’État dans la gestion de chaque euro prélevé.

Le texte qui nous est soumis tente d’apporter des réponses. Il renforce certains contrôles, améliore quelques échanges d’informations et corrige des incohérences administratives.

Ces avancées, personne ici, ou presque, ne les conteste, mais elles restent modestes face à l’ampleur du problème. On s’attaque aux symptômes sans traiter les causes, et tant que ces causes ne seront pas combattues, la fraude restera un business rentable et organisé.

Ce que les Français veulent, c’est une stratégie cohérente et globale, comme celle que le Rassemblement national défend depuis des années.

Nous proposons par exemple de sécuriser l’identité des bénéficiaires, grâce à des dispositifs infalsifiables. Une telle mesure empêcherait immédiatement les usurpations et les identités multiples, qui représentent une part considérable des détournements actuels.

Nous voulons aussi imposer la présence physique du bénéficiaire lors de l’ouverture des droits.

M. Mickaël Vallet. Pour les séances au Parlement européen aussi ?

M. Joshua Hochart. Cette simple exigence, de bon sens, permettrait de vérifier l’existence réelle de la personne et de mettre un terme à de nombreuses fraudes documentaires.

Nous estimons également indispensable de contrôler strictement les prestations versées hors de France. Trop de personnes continuent de percevoir des aides alors qu’elles ne résident plus sur notre territoire. En vérifiant régulièrement la résidence effective, nous protégerions la solidarité nationale et nous éviterions que celle-ci ne devienne une ressource exportable.

De même, mettre fin au versement automatique des aides sans contrôle préalable permettrait de prévenir la fraude plutôt que de la constater toujours trop tard, lorsqu’il est devenu difficile de récupérer les sommes perdues.

Enfin, une politique crédible suppose des sanctions réellement dissuasives. Aujourd’hui encore, certains fraudeurs préfèrent payer une amende plutôt que de renoncer à leurs pratiques, tant celles-ci restent profitables. Nous voulons un dispositif aux termes duquel le remboursement serait intégral, les poursuites systématiques et la récidive impossible.

C’est à ce seul prix que l’on pourra restaurer la confiance des Français.

S’il aborde une partie du sujet, ce projet de loi laisse entière la question essentielle : voulons-nous une lutte véritable ou seulement une apparence de lutte ?

Pour notre part, nous pensons que la France mérite une action plus ferme, plus cohérente, plus résolue.

D’ailleurs, c’est précisément parce que ce projet de loi, malgré ses nombreuses insuffisances, va dans la bonne direction que nous voterons en sa faveur, tout en affirmant avec clarté qu’il faudra aller beaucoup plus loin pour protéger réellement l’argent du peuple français. (MM. Aymeric Durox, Stéphane Ravier et Christopher Szczurek applaudissent.)

M. le président. Mes chers collègues, il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, modifié.

Mes chers collègues, je vous invite à insérer votre carte de vote dans le terminal et à l’y laisser jusqu’au vote.

Si vous disposez d’une délégation de vote, le nom du sénateur pour lequel vous devez voter s’affiche automatiquement sur le terminal en dessous de votre nom. Vous pouvez alors voter pour vous et pour le délégant en sélectionnant le nom correspondant, puis en choisissant une position de vote.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 29 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 271
Pour l’adoption 239
Contre 32

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)

La parole est à Mme la ministre.

Mme Amélie de Montchalin, ministre de laction et des comptes publics. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie non seulement de votre soutien et de vos encouragements, mais surtout des travaux que vous avez menés ces dernières semaines.

Contrairement à l’idée que l’on s’en fait parfois, la fraude est surtout l’œuvre de très grands réseaux de criminalité organisés et très sophistiqués, qui détournent des centaines de millions d’euros, leur objectif étant de les faire sortir de notre territoire. On est donc loin de la fraude telle que se l’imaginent les Français.

Évidemment, mesdames, messieurs les sénateurs, comme le ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l’État David Amiel vous l’a indiqué, nous avons pris l’engagement de continuer les travaux d’évaluation de la fraude fiscale, comme de la fraude sociale. Je remercie les rapporteurs, ainsi que ceux d’entre vous qui ont mené ces travaux depuis quelques semaines.

La fraude touche autant les finances de l’État, ce qui inclut aussi celles des collectivités, que celles de la sécurité sociale, à un moment où nous sommes sous contrainte générale.

Ce projet de loi a été décidé à la suite des annonces du bilan des actions anti-fraude des mois de mars et d’avril derniers. Catherine Vautrin, alors ministre du travail, de la santé, des solidarités, des familles, de l’autonomie et des personnes handicapées, et moi y avons travaillé résolument afin de parvenir à un texte qui appréhende la fraude sociale et la fraude fiscale dans un même périmètre, parce que les deux sont corrélées et qu’il fallait avoir une vision cohérente.

Néanmoins, je tiens à rappeler qu’il n’y a pas là matière à faire peur aux Français. Il ne s’agit pas d’un texte de surveillance : nul dans notre pays ne verra ses droits et ses libertés remis en question par son adoption. Pour autant, ce projet de loi donne corps et force au pacte républicain : si chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins, il est utile que nul ne puisse entailler ce qui fonde notre unité et nous permet de faire Nation.

La navette parlementaire permettra la poursuite des travaux. Il me semble que ce projet de loi peut aboutir à un compromis, étape nécessaire au compromis plus large que nous devons trouver tant sur le budget de l’État que sur celui de la sécurité sociale.

Enfin, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne doute pas que, si des mesures risquaient de remettre en cause l’État de droit, le Gouvernement saisirait les instances nécessaires pour dissiper tous les doutes. En revanche, la France ne peut pas être une République de l’impunité, une République de la naïveté et encore moins une République de la faiblesse.

Mesdames, messieurs les sénateurs, votre vote nous engage. Notre action sera résolue. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)