compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
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Lutte contre les fraudes sociales et fiscales
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales (projet n° 24, texte de la commission n° 112, rapport n° 111, avis nos 104 et 106).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. Vous pourrez vous rapprocher des huissiers pour toute difficulté.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
Vote sur l’ensemble
M. le président. La parole est à M. Michel Masset, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes RDPI et UC.)
M. Michel Masset. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, les fraudes, qu’elles soient fiscales ou sociales, ne relèvent pas simplement d’une gestion chiffrée à l’échelon national : elles ont un impact direct sur notre capacité collective à agir dans l’intérêt général.
À l’heure où les collectivités territoriales – j’en profite pour saluer la présence d’élus locaux dans nos tribunes, alors que se tient cette semaine le congrès des maires de France –, le monde associatif, l’hôpital public, les services départementaux d’incendie et de secours (Sdis), l’éducation nationale et tant d’autres services publics vont être appelés à faire de nouveaux efforts budgétaires, il nous faut retrouver des marges de manœuvre financières.
Nous débattrons bientôt dans cet hémicycle du projet de loi de finances et de l’opportunité de renforcer la fiscalité. Je me réjouis donc que nous ayons pu discuter en amont de la manière dont nous assurons la perception des taxes déjà existantes. Ces ressources retrouvées auront un impact sur le budget pour 2027, qui sera sans doute encore plus difficile à élaborer que celui de cette année.
Les ordres de grandeur des fraudes, nous les connaissons : le montant de la fraude fiscale est estimé entre 80 milliards et 100 milliards d’euros par an, contre environ 13 milliards d’euros pour la fraude sociale. Ce déséquilibre n’est pas nouveau.
En 2024, le Gouvernement a recouvré près de 20 milliards d’euros de fraudes détectées, dont près de 3 milliards dans le champ social. Si toutes les fraudes doivent être combattues, je regrette que ce projet de loi se concentre essentiellement sur celles qui représentent les montants les plus faibles.
Pour sa part, le groupe du RDSE plaide pour un principe simple : contre les grandes fraudes, il faut de grands moyens.
Le texte a tout de même le mérite de renforcer notre arsenal législatif et notre vigilance collective.
Son titre Ier prévoit un effort inédit afin de fluidifier le travail entre administrations. Il permet une circulation encadrée des données entre les services fiscaux, sociaux et douaniers, qui bénéficieront d’un accès étendu à plusieurs grands fichiers patrimoniaux. Ces croisements permettront de mieux détecter les dissimulations de ressources et de rendre plus cohérente l’action de l’État dans les territoires. Ils profiteront notamment aux services sociaux dans les départements.
Au-delà des administrations, cette coopération est étendue à des acteurs économiques clés : les établissements bancaires et les organismes de formation.
Ce projet de loi s’attaque aussi aux nouvelles formes de fraudes. Le titre II prévoit ainsi des outils ciblés pour les secteurs les plus exposés, à savoir les plateformes proposant des voitures de transport avec chauffeur (VTC) et les transports sanitaires.
Les plateformes devront désormais vérifier la cohérence entre leur chiffre d’affaires, les heures déclarées et la rémunération des chauffeurs. Elles devront également transmettre ces données à la direction générale des finances publiques (DGFiP) et seront intégrées au périmètre Tracfin pour la lutte contre le blanchiment. L’objectif est clair : mettre fin aux trajets fictifs et à la surfacturation en responsabilisant les plateformes.
Notre groupe se félicite aussi des avancées concernant le compte personnel de formation (CPF). Il est inacceptable que des organismes sans existence réelle détournent des fonds publics destinés à la qualification des salariés.
Par ailleurs, l’article 14 instaurant une contribution sociale majorée sur les revenus illicites vient corriger une erreur de droit manifeste. Désormais, un trafiquant ou un fraudeur fiscal ne pourra plus bénéficier de la solidarité nationale.
Cette disposition fait suite aux constats de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, à laquelle j’ai eu l’honneur de participer.
À cet égard, l’article 19, qui autorise désormais le recours aux techniques spéciales d’enquête dans les affaires de fraude fiscale organisée, constitue une avancée majeure. La fraude organisée doit être traitée comme un crime économique à part entière.
Enfin, le texte aggrave certaines sanctions encourues. Les peines pour escroquerie en bande organisée sont alourdies et la confiscation générale du patrimoine devient enfin possible.
Ce projet de loi, mes chers collègues, est indispensable, mais il ne donne pas un blanc-seing à l’administration.
En séance, notre groupe a rappelé son attachement au principe de proportionnalité. Je regrette à cet égard que l’amendement de ma collègue Guylène Pantel, visant à assurer que le recouvrement ne puisse aller jusqu’à priver un allocataire de tout moyen de subsistance, ait été rejeté par notre assemblée. L’État doit être ferme, mais il doit rester juste.
Mes chers collègues, ce texte s’inscrit aussi dans un cadre européen. La directive dite ViDA sur les règles en matière de TVA adaptées à l’ère numérique, adoptée en mars 2025, refonde en profondeur la lutte contre la fraude à la TVA. Elle prévoit l’extension du guichet unique européen dès 2027, la facturation électronique obligatoire des transactions transfrontalières et l’harmonisation des systèmes nationaux d’ici à 2035.
Mesdames, monsieur les ministres, nous le savons, la principale fraude fiscale est la fraude à la TVA : elle représente près de 50 milliards d’euros de pertes annuelles au sein de l’Union européenne. Nous souhaitons que la France plaide pour une accélération du calendrier de mise en œuvre de cette directive au sein du Conseil Affaires économiques et financières (Écofin), en coordination avec nos partenaires de l’espace Schengen et avec le Parquet européen. Nous attendons de l’Europe qu’elle soit capable de lutter efficacement contre la concurrence déloyale et le crime organisé, qui gangrène nos territoires.
Mes chers collègues, ce texte ne résoudra pas tout, mais il est attendu. Il nous permet de réaffirmer une exigence morale, celle d’une République garante du contrat social, qui attend de chacun la même loyauté envers la loi. La lutte contre la fraude contribue ainsi à renforcer le consentement à l’impôt.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE votera majoritairement ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour féliciter mes collègues rapporteurs pour avis Bernard Delcros et Alain Duffourg, respectivement de la commission des finances et de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, ainsi que ma complice Frédérique Puissat, rapporteur pour la commission des affaires sociales, que je remercie pour son écoute, nos échanges et son sens du partenariat.
Si nous avons un bon texte, et c’en est un, si nous avons musclé la copie du Gouvernement, c’est grâce à cette volonté de coconstruction entre les quatre rapporteurs et leurs commissions respectives.
Je tiens aussi à remercier Alain Milon, vice-président de la commission des affaires sociales. Certes, il est un peu jeune dans le métier, mais il a du potentiel et il progresse très vite … (M. le vice-président de la commission des affaires sociales s’esclaffe. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Enfin, je ne peux oublier de saluer Nathalie Goulet, pionnière sur la question de la lutte contre la fraude. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Nathalie Delattre applaudit également). Les pionniers, il leur faut du courage et de la détermination. Merci à elle ! (Mêmes mouvements.)
J’en profite pour dire au Gouvernement qu’il serait bienvenu que la proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, que notre collègue a déposée avec Raphaël Daubet, soit examinée rapidement et en procédure accélérée par le Parlement.
Mes chers collègues, j’y insiste, le présent projet de loi est meilleur et plus musclé grâce au travail du Sénat et de ses commissions. Notre orientation politique peut se résumer en une phrase : lutter contre toutes les fraudes, d’où qu’elles viennent, de manière impitoyable, partout et tout le temps, pour mieux détecter, plus récupérer et sanctionner plus sévèrement.
Cette volonté s’est traduite dans le texte par un durcissement des procédures, notamment en matière de fraude fiscale. C’est aujourd’hui un délit, qui, sur l’initiative de Bernard Delcros, sera requalifié en crime si elle est pratiquée en bande organisée. La criminalisation de la fraude est une révolution, qui nous permettra d’être plus efficaces.
Ne nous y trompons pas, la fraude d’aujourd’hui, qu’elle soit fiscale ou sociale, est non plus le fait d’occasionnels, mais celui de réseaux organisés, souvent les mêmes, qui sévissent dans le narcotrafic ou dans le détournement de dispositifs tels que MaPrimeRénov’ ou les certificats d’économie d’énergie (CEE). Auparavant, il y eut la fraude à la taxe carbone, dépeinte dans plusieurs films ou séries télévisées.
Cette volonté de lutter contre la fraude se traduit aussi par la possibilité donnée aux administrations qui interviennent dans le champ social – les caisses d’allocations familiales (CAF), les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), les conseils départementaux, France Travail et autres –, de disposer des mêmes moyens que le fisc ou la DGFiP. Il s’agit là d’une autre révolution.
Par exemple, ces administrations auront accès aux comptes à l’étranger ou encore au fichier de contrôle des déplacements aériens et aux données compilées par les compagnies aériennes pour traquer, par exemple, les entreprises éphémères, très présentes dans les systèmes de fraude. Munies de ces armes nouvelles, elles pourront, nous l’espérons, atteindre les objectifs fixés par le Gouvernement : récupérer 1,5 milliard d’euros de fraude fiscale et 800 millions d’euros de fraude sociale.
Enfin, je terminerai par dire un mot de nos débats. Pour être sincère, je n’ai pas toujours compris la gêne exprimée sur certaines travées lorsqu’il était question de traquer et de sanctionner la fraude sociale. Bien sûr, elle n’est pas de même nature que la fraude fiscale et ses montants sont parfois plus modestes. Et encore : selon les chiffres qui nous ont été donnés, sur 17 milliards d’euros de fraude fiscale détectés, 11 milliards sont récupérés ; sur 5 milliards d’euros de fraude sociale détectés, seul un milliard est récupéré. Excusez du peu !
Mes chers collègues, pour nous, je le répète, il est essentiel de traquer toutes les fraudes avec la même détermination, parce que l’intention est de même nature : détourner l’argent public. La victime est aussi la même : c’est le citoyen, le contribuable, le salarié, l’employé, l’ouvrier, qui cotise tous les mois et qui travaille dur.
Mme Cécile Cukierman. Oh, ça va !
M. Olivier Henno. Nous ne pouvons pas avoir la main qui tremble face au fraudeur. Il faut en finir avec la culture de l’excuse, qui a fait tant de mal à la société française et a toujours fait progresser les extrémismes et les populismes. (Mme Cécile Cukierman proteste.)
Si le consentement à l’impôt et à la cotisation est fragilisé dans notre pays, c’est précisément parce que nos concitoyens ont trop souvent eu l’impression que les pouvoirs publics étaient trop indulgents avec le tricheur, le profiteur ou le fraudeur. C’est pourquoi nous pouvons être fiers du travail du Sénat sur ce texte.
Pour conclure, je dirai que ce projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes fiscales et sociales n’est pas la fin de l’histoire, loin de là. J’ai la conviction qu’il reste encore beaucoup de trous dans la raquette. Le monde change très vite du fait des évolutions technologiques ou de l’apparition de techniques ou pratiques nouvelles, comme les plateformes ou les cryptomonnaies. Nous devrons sans cesse adapter nos législations. Quant à nos administrations, elles devront gagner en souplesse pour traquer cette pieuvre qu’est la fraude.
Bref, il faut continuer le combat contre ceux qui détournent le bien commun et la générosité publique à leur profit personnel. La lutte contre la fraude sera permanente et éternelle, elle est indispensable et légitime. Comme le disait déjà Montesquieu, la triche, même en petite quantité, finit par tout gâter.
Vous l’aurez compris, monsieur le président, mes chers collègues, le groupe UC votera ce texte avec enthousiasme et fierté. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Lermytte, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Marie-Claude Lermytte. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, je ne reviendrai pas de façon exhaustive sur le contenu de ce texte, dont les grandes lignes ont été exposées lors de la discussion générale.
Permettez-moi néanmoins de rappeler que ce projet de loi, grâce aux nombreux apports adoptés en commission, nous donne véritablement les moyens de lutter de manière transversale contre les fraudes sociales et fiscales. Détection, sanctions, recouvrement : l’ensemble de ces volets se trouvent renforcés.
Beaucoup de dispositions visent à décloisonner le partage d’informations entre les administrations. Si certains cloisonnements sont légitimes pour garantir la confidentialité de données sensibles, ils illustrent parfois, à l’inverse, la complexité, voire l’absurdité de notre système administratif.
Certaines règles de bon sens ne devraient pas nécessiter l’intervention du législateur. Pourtant, il nous faut aujourd’hui légiférer pour rendre possibles des coopérations évidentes.
Ce décloisonnement, cependant, ne suffira que si nos outils techniques suivent. Le partage d’informations ne peut être efficace que si nos systèmes d’information sont véritablement interopérables, sécurisés et capables de traiter de grands volumes de données. Cela suppose de poursuivre l’investissement dans des infrastructures numériques robustes et de renforcer la formation des agents.
Une administration numérisée, performante et cohérente est indispensable pour lutter contre la fraude. Et c’est bien cette cohérence qui permettra de viser tous les fraudeurs, sans stigmatiser aucun groupe. Employeurs, bénéficiaires de prestations, professionnels de santé : tous ceux qui trichent sont concernés.
Les travaux en commission ont permis d’avancer. Par exemple, les peines encourues par les auteurs de crimes d’escroquerie aux finances publiques en bande organisée sont aggravées. De même, les services préfectoraux auront accès au répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS). Cet accès leur est indispensable au regard du rôle qu’ils jouent dans la vérification des demandes de titres ou de prestations.
La possibilité, pour l’assurance maladie, de refuser un conventionnement, dans des conditions encadrées, aux professionnels impliqués dans un centre fermé pour fraude constitue également un progrès pour prévenir les récidives.
Enfin, l’élargissement des échanges d’informations à l’ensemble des prestations sociales départementales, et non plus aux seules aides liées à l’autonomie, était nécessaire. Les départements versent différentes aides et les risques de fraudes sont réels. Nous soutiendrons donc l’intégralité de ces mesures.
Il faut le rappeler, ce projet de loi n’offre pas de moyens humains supplémentaires. Tel n’est d’ailleurs pas son objet. Les ressources nécessaires devront être appréciées lors de l’examen des textes budgétaires. Nous espérons toutefois qu’il permettra d’augmenter considérablement le montant recouvré en 2023, qui s’élevait à 600 millions d’euros, sur les près de 13 milliards d’euros de fraude estimés.
Au cours de nos travaux, nous avons recueilli de nombreux témoignages de professionnels de santé, d’agents des CAF ou de simples citoyens. Certains décrivaient des fraudes manifestes qu’il faut sanctionner ; d’autres des situations qu’ils percevaient comme abusives, mais qui ne sont pas des fraudes. D’où cette question, essentielle : si toute fraude est un abus, tout abus est-il pour autant une fraude ?
La fraude est le contournement volontaire de la règle, mais parfois, c’est la règle elle-même qui apparaît abusive : trop large, trop floue, ou simplement trop coûteuse pour un système qui n’en a plus les moyens.
Permettez-moi de rappeler un poncif : renforcer la lutte contre la fraude ne doit jamais conduire à ajouter des obstacles pour les usagers et les professionnels de bonne foi. L’efficacité n’est pas l’ennemie de la simplicité, bien au contraire.
Ce que nos concitoyens ressentent comme une injustice s’inscrit parfois strictement dans le cadre du droit. Dans ce cas, ce sont les règles qu’il faut revoir. Quand des règles paraissent injustes ou mettent trop lourdement à contribution notre budget social, c’est tout l’édifice qui s’affaiblit. Et cet édifice, c’est celui qui permet à chaque Français d’être accompagné dans les moments difficiles. Nous devons en assurer la solidité.
Si ce texte renforce la lutte contre les fraudeurs, il ne peut à lui seul corriger les règles qui alimentent un sentiment d’abus. C’est pourquoi nous attendons avec intérêt le débat sur le PLFSS, qui s’ouvrira demain. J’espère que celui-ci permettra enfin de garantir la pérennité de notre modèle social en lui offrant un horizon budgétaire, pour plus d’équité, de justice et de confiance. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Frédérique Puissat. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales – cher Alain –, messieurs les rapporteurs pour avis, permettez-moi d’adresser un clin d’œil tout particulier à mon complice Olivier Henno, avec qui j’ai travaillé matin, midi et soir ces derniers jours (Exclamations amusées.). Nous devions en effet travailler très vite sur un texte que nous avons reçu il y a peu de temps.
Le 30 juin dernier était promulguée la loi contre toutes les fraudes aux aides publiques. Dans la même dynamique, nous sommes désormais saisis d’un nouveau texte visant à lutter encore plus efficacement contre les fraudes sociales et fiscales.
Ce texte majeur était réclamé par le président Darnaud, par le président Wauquiez, par le président Retailleau et par la majorité sénatoriale. Il était surtout attendu par de nombreux Français.
Ce projet de loi, qui a pour objectif d’aller bien plus loin et de frapper plus fort, nous pousse à faire un triste constat : nous partons de bien bas et nous sommes démunis.
En effet, mes chers collègues, quand on parle de dizaines de milliards d’euros qui s’évaporent chaque année, sans que l’État puisse remettre la main dessus, c’est bien le signe d’une certaine impuissance.
En l’absence d’une administration forte et dotée des outils dont elle a besoin, la fraude a trouvé un terrain particulièrement fertile et s’est ainsi confortablement installée, innovant par ailleurs toujours plus pour déjouer les systèmes de régulation mis en place au fur et à mesure.
Lorsque le projet de loi nous est parvenu, l’encre du Gouvernement n’était pas encore sèche : nous y avons vu un patchwork de mesures qui ne permettaient pas de doter notre administration de la force de frappe espérée. L’intention était bien-là, mais il manquait une ambition à la hauteur des enjeux auxquels nous avons à faire face.
Mme Anne-Sophie Romagny. C’est vrai !
Mme Frédérique Puissat. Par ses travaux, dans ses commissions respectives, puis en séance publique, le Sénat a humblement tenté d’insuffler cette ambition.
C’est ainsi que nous avons créé de nouveaux canaux d’échanges d’informations entre toutes nos administrations. Nous avons également doté les services de France Travail et des organismes de sécurité sociale d’un accès au fichier des compagnies aériennes, d’un droit de communication auprès des opérateurs de téléphonie ou encore d’un accès aux données de connexion de leurs assurés.
Alors même qu’un large panel de données permettant de détecter une fraude figure dans les registres de ces structures, celles-ci ne sont pas habilitées à les exploiter.
Quelle frustration de se priver d’outils déjà à portée de main ! Quelle frustration, quand des faisceaux d’indices laissent penser que des personnes peuvent frauder, de ne pas donner aux services les outils nécessaires pour le vérifier.
Oui, mes chers collègues, un chef d’entreprise qui ne déclare pas un salarié, c’est une fraude ; une plateforme qui distribue abusivement des arrêts de travail moyennant rétribution, c’est une fraude ; des formateurs qui profitent de l’argent public pour faire de l’entrisme au travers de formations réservées aux hommes, c’est une fraude (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) ; un demandeur d’emploi qui déclare habiter en France, mais ne réside pas sur notre territoire, alors qu’il touche l’assurance chômage et est censé rechercher un travail, c’est une fraude.
Quand douze mois après sa création, une entreprise dépose le bilan, quand ses salariés, embauchés pour douze mois, ont été en arrêt de travail durant onze mois – cet exemple est véridique –, ce qui leur ouvre droit à une allocation chômage durant plus de dix-huit mois et à des trimestres au titre de la retraite, il y a, vous en conviendrez, une forte suspicion de fraude. (Nouveaux applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Il n’y a pas de petites ou de grandes fraudes : il y a simplement 13 milliards d’euros de fraudes que le Parlement a le devoir d’essayer de récupérer.
Les mesures que nous proposons n’épargnent personne : ni les entreprises pratiquant le travail dissimulé, ni les bénéficiaires de prestations sociales indues, ni les professionnels de santé fraudeurs. Personne !
Lors de nos travaux en commission des affaires sociales, nous avons posé la même question aux acteurs auditionnés ou rencontrés sur le terrain : de quoi avez-vous besoin pour être mieux armés pour lutter contre la fraude ? C’est bien en nous appuyant sur les réalités rencontrées au quotidien par les agents que nous avons amendé et enrichi ce projet de loi.
Si certaines mesures introduites ont pu susciter des débats – c’est bien logique ! –, à l’instar des moyens donnés à France Travail, je puis vous assurer qu’elles sont directement inspirées par les opérateurs, qui souhaitent pouvoir mieux travailler. Nous avons donné suite à leurs demandes, fondées sur leur expérience concrète des contrôles, tout en restant dans un cadre et en adoptant des mesures proportionnées. Il s’agissait en particulier de préserver le principe du contradictoire et les libertés.
Pour conclure, permettez-moi d’évoquer l’exemple de l’Isère, …
M. Damien Michallet. Très bien !
Mme Frédérique Puissat. … département une expérimentation a été mise en place : désormais, le parquet transmet systématiquement à la CAF et à la CPAM tout jugement concernant des personnes ayant perçu des revenus issus d’activités délinquantes. Il s’agit d’un système qui relève du bon sens, qui est efficace, et que je souhaite vivement, avec le ministre Yannick Neuder et mes collègues Damien Michallet et Michel Savin, voir généralisé sur tout le territoire. C’est ce que nous nous sommes efforcés de faire avec ce texte, notamment à travers l’article 14.
En matière de lutte contre la fraude, nous avons collectivement trop souffert de nous restreindre. J’ose espérer que, grâce à ce projet de loi, tel que nous l’avons enrichi en ces murs, nous allons pouvoir enfin tourner cette page et passer à la vitesse supérieure. Je forme désormais le vœu que nos collègues députés tiennent le cap fixé par le Sénat.
Nous avons su faire preuve d’une ambition forte et les Français, qui ne supportent plus que des milliards d’euros d’argent public s’évaporent sans que l’on puisse les recouvrer, n’accepteraient pas un recul sur la question. Ils seront attentifs, j’en suis convaincue, à ce que contiendra la copie finale qui sortira du Parlement. Ce sont les fraudeurs et non les travailleurs qui doivent payer !
M. Damien Michallet. Très bien !
Mme Frédérique Puissat. Mes chers collègues, vous le savez, le groupe Les Républicains n’a eu de cesse d’appeler le Gouvernement à présenter un texte pour lutter contre la fraude. Satisfait des mesures votées par le Sénat, il votera ce projet de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous parvenons au terme de l’examen d’un texte important, dont les enjeux vont au-delà des finances publiques.
La fraude, qu’elle soit fiscale ou sociale, altère chaque jour davantage la confiance entre l’État et les citoyens. Dans une période où nos comptes publics sont soumis à de fortes tensions, toute atteinte à cette confiance fragilise un peu plus l’édifice collectif.
Lutter contre la fraude ne relève donc pas seulement de la bonne gestion : c’est aussi réaffirmer la solidité du pacte commun qui fonde notre République.
Dès demain, nous entamerons l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), puis, la semaine prochaine, celui du projet de loi de finances (PLF). Le texte que nous examinons aujourd’hui constitue un préalable essentiel et évident à ces deux textes budgétaires. En effet, l’on ne pourrait justifier les efforts qui seront demandés à nos concitoyens si, dans le même temps, certains continuaient de s’exonérer de règles qui s’imposent à tous. La solidarité, pour demeurer légitime, ne peut être sélective.
En 2024, 20 milliards d’euros de fraudes ont été détectés, dont 16 milliards d’euros de fraude fiscale et près de 3 milliards d’euros de fraude sociale. Ces chiffres ne représentent d’ailleurs qu’une fraction des montants réellement en cause.
En matière de lutte contre la fraude, nous avons sans doute manqué de vigilance. Il nous faut donc renforcer nos contrôles, nos procédures et nos moyens d’action. C’est tout l’objet de ce texte, qui a été enrichi par les travaux de la commission et par les apports des différents groupes.
Que ce soit en améliorant nos capacités de détection de la fraude, notamment par une extension du partage d’informations et par un renforcement des moyens d’enquête et de contrôle, ou en adaptant le régime des sanctions à l’évolution des pratiques frauduleuses, ce projet de loi lève un certain nombre de freins rencontrés par les services. Il prend en compte les comportements abusifs dans tous les domaines, notamment ceux de la santé et de la formation professionnelle.
Le texte tel qu’il résulte de nos travaux en première lecture, plus ambitieux que sa version initiale, donne aux caisses de sécurité sociale, aux départements ou encore aux opérateurs plus de moyens pour affronter les fraudeurs. Il renforce les moyens et le champ d’action de plusieurs instances, comme l’Office national anti-fraude (Onaf) ou les caisses de sécurité sociale des régimes spéciaux.
Mieux lutter contre la fraude implique avant tout de prendre en considération l’évolution des pratiques frauduleuses. C’est pour s’adapter à ces nouveaux usages que le texte rend notamment possible le contrôle par l’administration fiscale des terminaux de paiement électronique des professionnels ; ainsi, la DGFiP pourra retracer plus facilement les flux illicites reversés sur des comptes à l’étranger.
Le texte instaure également des sanctions en rapport avec ces nouvelles pratiques, en visant notamment les organismes de formation professionnelle frauduleux.
Les sénateurs du groupe RDPI ont également contribué à enrichir le projet de loi, en faisant adopter plusieurs avancées décisives.
Je pense en particulier à l’adoption de notre amendement n° 140 rectifié. L’article additionnel ainsi introduit dans le texte, après l’article 5, autorise l’administration fiscale à communiquer aux organismes d’assurance complémentaire et de retraite supplémentaire les informations nécessaires pour déterminer le taux des contributions sociales à appliquer aux prestations que ces organismes doivent précompter avant de les verser à leurs bénéficiaires. Cette avancée majeure permettra d’améliorer le partage des données entre l’assurance maladie obligatoire et les organismes complémentaires.
Le Sénat a également adopté notre amendement visant à renforcer la lutte contre la fraude aux prestations sociales. Cette clarification garantit l’équité du système et protège les droits de ceux qui ont réellement besoin de ces prestations.
Nous avons aussi contribué à encadrer plus strictement la transparence immobilière des entités étrangères. Trop longtemps, certains montages opaques ont permis d’échapper aux taxes locales, privant les collectivités de recettes légitimes. Grâce à cette disposition, les biens détenus en France ne seront plus dissimulés derrière des structures étrangères opaques.
Nous avons aussi proposé de renforcer la lutte contre la dissimulation de recettes, car la fraude par omission fragilise les entreprises et prive l’État des moyens d’agir.
Enfin, l’un de nos amendements adoptés avait pour objet de sécuriser l’utilisation du mécénat et des avantages fiscaux destinés aux associations. Notre intention est non pas de contraindre le secteur associatif, mais de préserver sa probité. Je rappelle qu’une niche fiscale n’est légitime que si elle n’est pas dévoyée. Protéger l’intégrité de ces dispositifs, c’est préserver la confiance de nos concitoyens.
Ces avancées assurent à ce texte une cohérence à la hauteur des enjeux. En renforçant notre législation, nous démontrons que nous sommes capables de combattre l’impuissance publique, pour agir vite et avec fermeté contre la fraude.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe RDPI votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)


