M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous venez de vous prononcer positivement sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, après l’avoir renforcé par vos amendements.

Lors de l’examen du projet de loi la semaine dernière, vous avez soutenu les propositions du Gouvernement, mais vous avez aussi enrichi le texte sur plusieurs points clés et apporté des mesures complémentaires. La copie d’aujourd’hui est ambitieuse et équilibrée.

Je vous remercie de la qualité des échanges que nous avons eus et je salue en particulier l’engagement des rapporteurs Frédérique Puissat et Olivier Henno, comme de l’ensemble des sénateurs mobilisés sur ce texte. Je salue tout particulièrement la ténacité de la sénatrice Nathalie Goulet, qui alerte les gouvernements successifs sur ce sujet depuis plusieurs années. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Nous en sommes convaincus, le combat contre la fraude, qu’elle soit sociale ou fiscale, nécessite la mobilisation de l’ensemble des forces politiques et la coordination de toutes les administrations, et ce pour une raison simple : frauder, c’est voler l’argent des Françaises et des Français, c’est abîmer la promesse de solidarité républicaine qui est au cœur du ministère du travail et des solidarités.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez décidé d’aider les services de l’État, qui sont en première ligne dans la lutte contre la fraude. En cet instant, je tiens à leur rendre hommage, à les saluer et à les remercier : chaque jour, l’Urssaf, les caisses de sécurité sociale, les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités, les autorités régionales de santé, France Travail ou la Caisse des dépôts et consignations sont à pied d’œuvre pour détecter et sanctionner les abus, retrouver la trace de l’argent indu et le recouvrer.

Ces services font face à des pratiques qui évoluent vite et qui prennent des formes variées. Les mécanismes sont de plus en plus sophistiqués et touchent de plus en plus de secteurs. Nous avons affaire à de véritables experts et professionnels de la fraude, à une fraude organisée.

Aujourd’hui, avec ce texte, qui poursuivra son chemin législatif, le Gouvernement propose de renforcer les outils existants, notamment grâce à la technologie. Il veillera à ce que les mesures mises en place soient proportionnées et respectent la vie privée. Je partage la volonté du Sénat de l’aider à mieux lutter contre la fraude.

L’objectif n’est pas de stigmatiser les demandeurs d’emploi, pas plus que ceux qui perçoivent des aides et qui bénéficient de droits pour lesquels ils ont cotisé. Je le dis sans ambages : nous ne mettons pas tout le monde sur le même plan.

Pour beaucoup, on le sait, la recherche d’emploi n’est pas un long fleuve tranquille. C’est la raison pour laquelle les services du ministère du travail et des solidarités, en lien avec les opérateurs de l’État, font tout leur possible pour mieux les accompagner dans leurs recherches. Pour autant, tout en veillant à ne stigmatiser personne, il ne faut pas être naïf. C’est cet équilibre qu’il nous faut trouver ensemble. Nous veillerons, au cours de la navette parlementaire, à renforcer l’efficacité de nos dispositifs sans affecter la vie privée des demandeurs d’emploi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez enrichi ce texte, apporté des mesures complémentaires afin de renforcer la lutte contre la fraude. Dans le domaine de la formation professionnelle, vous avez prévu les moyens pour lutter contre l’entrisme et mieux détecter le travail dissimulé. Je vous en remercie.

Certes, les pratiques frauduleuses restent minoritaires. La grande majorité de nos concitoyens et des entreprises respectent les obligations et les règles. Reste que le préjudice pour la collectivité est tel qu’il faut apporter des réponses concrètes, de court et de moyen terme.

Par ailleurs, il faut convenir que la complexité du système d’aide sociale en France rend ardue la lutte contre la fraude et n’aide pas non plus nos concitoyens à accéder à leurs droits. Il faut simplifier le système et le rendre plus lisible.

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. La semaine dernière, à l’occasion du congrès des assises des départements de France, le Premier ministre a annoncé que le Gouvernement déposerait prochainement, sans doute au mois de décembre, un projet de loi sur l’aide sociale unique (SU).

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. Jean-Pierre Farandou, ministre. Nous aurons donc rapidement l’occasion d’en reparler. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Stéphanie Rist, ministre de la santé, des familles, de lautonomie et des personnes handicapées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue la forte mobilisation du Sénat sur ce texte, ainsi que la qualité de nos débats. Je remercie à mon tour les rapporteurs avec qui nous avons travaillé de bonne manière.

Vous le savez, ce texte permettra de mieux détecter, de mieux sanctionner, de mieux recouvrer. Certes, la lutte contre la fraude rend possible le recouvrement de milliards d’euros, mais elle renforce surtout le cœur de notre pacte social. C’est là tout l’enjeu de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Didier Mandelli.)

PRÉSIDENCE DE M. Didier Mandelli

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales
 

2

Mise au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour une mise au point au sujet de votes.

Mme Christine Lavarde. Lors du scrutin n° 29, portant sur l’ensemble du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, Mmes Lauriane Josende, Alexandra Borchio Fontimp, Viviane Malet et Sylvie Valente Le Hir souhaitaient voter pour.

M. le président. Acte vous est donné de votre mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.

3

Dette publique

Débat organisé à la demande des groupes Les républicains et Union Centriste

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande des groupes Les Républicains et Union Centriste, sur la dette publique.

Dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répartie pendant une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. Stéphane Sautarel, pour le groupe Les Républicains, auteur de la demande.

M. Stéphane Sautarel, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette intervention me donne l’occasion de prendre un peu de champ, pour tenter de faire un point lucide, mais constructif, sur la question de la dette publique française.

Nous abordons souvent ce sujet avec fatalisme, alors que l’endettement d’un État n’est ni un tabou ni un mal en soi. Il devient un problème uniquement lorsqu’il traduit une absence de stratégie. Je rappelle donc d’emblée que l’endettement est non pas un mal, mais un outil de souveraineté.

On entend souvent dire que l’État doit gérer ses finances comme un bon père de famille. Certes, l’image est séduisante, mais elle est fausse. Un État n’est pas un ménage. Un État n’a pas à rembourser intégralement sa dette : il la refinance en permanence. Il dispose surtout d’un pouvoir unique, celui de lever l’impôt.

S’endetter n’est donc pas un signe de faiblesse, c’est un levier de puissance, à condition que la dette finance l’avenir.

Une dette est saine lorsqu’elle prépare la croissance future, quand elle finance la recherche et l’innovation de rupture, l’éducation, la transition écologique, les infrastructures et l’aménagement du territoire. C’est ce qu’ont fait historiquement les États-Unis lors du New Deal ou la France du général de Gaulle : il s’agissait alors d’un endettement assumé, mais productif.

À l’inverse, une dette devient malsaine lorsqu’elle finance le fonctionnement courant, les rigidités, la protection sociale ou l’incapacité à réformer. C’est là le cœur du problème français.

Le décrochage français s’explique par le fait que la dette finance trop souvent la dépense, et non l’investissement. La dette française représentait 115 % du PIB au deuxième trimestre 2025 ; elle devrait atteindre 118 % d’ici à la fin d’année. La dette allemande représente 62 % du PIB, la moyenne européenne se situant à 82 %. Ce décrochage est récent et il est spectaculaire.

En 2007, nous étions sous la moyenne de la zone euro. En 2012, nous étions au niveau. En 2017, nous étions 10 points au-dessus. Aujourd’hui, nous sommes 27 points au-dessus. Ce n’est pas une mauvaise trajectoire : c’est un décrochage structurel.

Entre 2017 et 2025, la dette publique a augmenté de 1 200 milliards d’euros. Nous sommes passés de 2 200 milliards d’euros en 2017 à 3 400 milliards d’euros aujourd’hui. Ces chiffres sont étourdissants. Nous entrons dans un cycle où la charge de la dette elle-même alimente le déficit. C’est l’effet « boule de neige » – et cet effet va s’amplifier.

La charge de la dette, c’est 60 milliards d’euros l’an prochain ; c’est le troisième budget de l’État après ceux de l’éducation nationale et de la défense. (M. Olivier Paccaud sexclame.) Selon les projections, elle représenterait près de 200 milliards d’euros en 2029,…

M. Olivier Paccaud. Plus que le budget de l’éducation nationale !

M. Stéphane Sautarel. … devenant le premier budget de la Nation.

Cette hausse ne s’explique plus seulement par la crise sanitaire : elle résulte d’un déséquilibre structurel de nos finances. Depuis 2017, nos dépenses publiques augmentent plus vite que notre PIB et cela traduit une difficulté à maîtriser notre modèle social.

La France consacre près de 32 % de son PIB aux dépenses sociales : retraites, santé, prestations. Ce n’est pas en soi un problème – c’est le prix de notre modèle social –, mais le déséquilibre vient du fait que nous nous endettons pour les financer, faute de réformes structurelles : 145 milliards d’euros pour la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) et 89 milliards d’euros de plafond d’endettement pour l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), en 2026.

En d’autres termes, nous empruntons pour maintenir le présent, non pour préparer l’avenir. C’est cela qui mine la soutenabilité de notre dette.

De plus, les investisseurs anticipent désormais une hausse des besoins budgétaires des pays européens, en particulier de l’Allemagne. Cela provoque déjà une hausse du taux à dix ans de la France – autour de +30 points de base mi-septembre –, avec un spread plus défavorable, non seulement vis-à-vis de l’Allemagne, mais aussi désormais de l’Espagne et de l’Italie. Rappelons à cet égard qu’un choc de taux de 1 %, c’est une charge supplémentaire de 30 milliards d’euros à dix ans.

Pourtant, même si elle n’est pas encore rompue, la soutenabilité globale préservée est de plus en plus conditionnelle.

La dette française est considérée par les marchés comme l’un des actifs les plus sûrs de la planète. Nos titres sont liquides, substituables à l’OAT (obligation assimilable du Trésor) allemande, et nous avons innové : inflation indexée, maturités à cinquante ans, obligations vertes… La maturité moyenne de nos obligations est de huit ans, ce qui nous protège des fluctuations de taux à court terme. Il faut le dire, nous bénéficions d’une qualité exceptionnelle d’exécution de la dette par l’Agence France Trésor.

La dette française reste donc attractive, mais ce statut n’est pas éternel et les signaux faibles aujourd’hui sont tous alignés dans le même sens.

Les perspectives de croissance sont faibles – autour de 1,3 % à horizon 2027. Le chômage remonterait au-dessus de 8 %. Surtout, Moody’s et Fitch ont déjà placé la note de la France sous perspective négative.

Pour le dire plus simplement, la confiance demeure encore, mais elle est sous surveillance. Il n’existe à cet égard aucun risque de faillite de la France. Comparer notre situation à celle de la Grèce n’a aucun sens : la France n’a ni un problème de solvabilité ni un problème de liquidité.

Notre dette reste intégralement libellée en euros, dans notre propre monnaie, et nous disposons d’une capacité fiscale exceptionnelle – parfois trop… En d’autres termes, la France ne peut pas faire faillite tant qu’elle conserve la confiance de ses créanciers et sa capacité à lever l’impôt.

D’ailleurs, sur une longue période, la dette française a progressé deux fois moins vite que celle des États-Unis ou du Royaume-Uni. Pour le dire autrement, le problème est non le remboursement de la dette, mais l’accroissement de sa taille en proportion de notre économie.

C’est le ratio dette/PIB et non pas son montant brut qui détermine la soutenabilité. Aujourd’hui, c’est ce ratio qui dérive ; il le fait non pas parce que nous empruntons trop, mais parce que notre PIB croît trop lentement.

M. Sébastien Martin, ministre délégué. Exactement !

M. Stéphane Sautarel. Si la dette française se finance aujourd’hui à un taux légèrement supérieur à celui de l’Italie, ce n’est pas parce que les marchés redoutent un défaut français, c’est parce qu’ils lisent dans notre trajectoire un affaissement relatif de notre potentiel de croissance. En effet, les investisseurs distinguent les pays qui s’endettent pour investir, donc pour croître, de ceux qui s’endettent pour différer les réformes. Et cela se voit !

Les États qui ont su engager leurs transitions structurelles, comme les Pays-Bas ou le Danemark, bénéficient de taux d’intérêt plus faibles. Pourquoi ? Parce que les marchés savent qu’une croissance plus forte stabilise le ratio dette/PIB.

Le PIB par habitant de l’Italie, qui était très en deçà du nôtre il y a dix ans, l’a désormais rattrapé. Rationnellement, les marchés rémunèrent ce différentiel de croissance : ils prêtent moins cher à un pays qui se réforme et investit qu’à un pays qui s’endette sans perspective claire. Cela signifie que nous payons aujourd’hui non pas notre dette passée – encore que –, mais notre manque de réformes.

Le véritable enjeu, c’est donc la réforme intelligente, pas le simple coup de rabot, qui, de plus, semble appliqué à l’aveugle. Nous donnons trop souvent le sentiment d’avancer comme un canard sans tête.

Retrouver une stratégie, réformer structurellement, investir intelligemment, cibler la dépense : voilà le seul chemin possible. Je conclurai sur ce point.

L’objectif, inscrit dans le plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT), est clair : revenir à un déficit inférieur à 3 % du PIB à horizon 2029. Cela suppose de dégager un excédent primaire de 0,5 point, soit environ 100 milliards d’euros d’économie en cinq ans. À cette heure, on en semble bien loin.

La question est de savoir non pas seulement combien nous dépensons, mais pourquoi nous dépensons.

Nous devons sortir d’une logique de dépenses indifférenciées pour retrouver une logique d’investissement public ciblé. C’est ce qu’attendent les marchés, c’est ce que comprendront les citoyens : que l’on réduise la dépense improductive, que l’on modernise la sphère publique et que l’on oriente l’effort vers ce qui crée de la valeur à long terme.

Investir mieux, réformer davantage, expliquer plus clairement nos choix : telles sont les conditions d’un endettement soutenable. La dette publique française n’est pas encore insoutenable. Prenons garde toutefois, car elle est aujourd’hui mal orientée.

Nous devons renoncer au réflexe moral selon lequel toute dette serait mauvaise, comme au réflexe inverse consistant à la banaliser. L’endettement est un instrument de souveraineté économique, à condition qu’il serve à préparer l’avenir. Un État qui s’endette pour repousser les décisions voit, au contraire, sa crédibilité s’éroder.

Il nous appartient collectivement de choisir si la dette doit rester un instrument de puissance ou devenir un facteur de dépendance. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que j’aurai l’occasion d’intervenir plus globalement au cours de ce débat, mais je tenais d’emblée à saluer les propos extrêmement équilibrés de M. le sénateur Sautarel. Il a rappelé que la question de l’endettement n’était pas un mal en soi. On peut s’endetter pour préparer l’avenir, pour investir, pour faire face aux grands enjeux que sont la préservation de la planète, la compétitivité, l’innovation, que sais-je encore.

Nous constatons tous que, depuis des années, notre pays finance via la dette autre chose que de l’investissement. Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2026, comme cela se fait présentement à l’Assemblée nationale, vous serez amenés à examiner la trajectoire que nous proposons. Celle-ci est ambitieuse.

Je compte bien évidemment sur la qualité des débats qui auront lieu au Sénat pour que cette trajectoire ambitieuse soit confortée et qu’ensemble nous essayions de ramener notre endettement dans des limites tenables pour préparer l’avenir, comme l’a très bien dit M. le sénateur Sautarel.

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, organiser ce débat avant la discussion budgétaire est une très bonne initiative. Laurent Saint-Martin et moi en avions eu l’idée il y a quelques années lorsque j’étais rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l’État », avant que sa tenue ne soit inscrite dans la loi.

Monsieur le ministre, vous le savez, la dette annihile notre liberté d’action. Autant dire que nous sommes menottés, bâillonnés, enduits de goudron et de plumes, celles-là mêmes qui sont perdues par l’État, les entreprises et les contribuables.

Le sujet de la dette est extrêmement large. Stéphane Sautarel a évoqué le bon usage des dépenses. Je parlerai pour ma part de son mauvais usage, notamment de la folie normative.

Les diététiciens disent que nous creusons notre tombe avec notre fourchette. De la même façon, nous creusons nous-mêmes la dette avec les normes !

La multiplication des normes pèse aujourd’hui lourdement sur notre pays. Leur coût est évalué entre 75 milliards et 87 milliards d’euros pour les entreprises, entre 12 milliards et 25 milliards d’euros pour les collectivités, les services publics et les particuliers.

Comme le rappelle Christophe Eoche-Duval, depuis 1969, nous avons empilé trente-sept lois, soixante-six ordonnances, cent soixante-cinq décrets et soixante-huit circulaires destinés, je vous le donne en mille, à la…

M. Sébastien Martin, ministre délégué. … simplification ! (Sourires.)

Mme Nathalie Goulet. Voilà !

Résultat, le droit positif continue de s’alourdir.

L’inflation normative est désormais mesurée. On constate une augmentation de 47,6 millions du nombre de mots dans les codes, soit une hausse de 84 % en vingt ans : de 53 % dans le code de la consommation, de 43 % dans le code de l’environnement, de 41 % dans le code de la santé publique, etc. Tout cela pèse sur la dépense et c’est de la mauvaise dépense, comme l’a indiqué Stéphane Sautarel !

Des Assises de la simplification – victoire de l’optimisme sur l’expérience, pour reprendre la formule d’Henri VIII lors de son sixième mariage ! – mais elles n’ont concrètement rien changé. Tout cela est illisible et coûte cher aux collectivités.

Les départements, régions et autres agences de l’eau ne sont pas en reste. Ils réalisent des études pour le moindre projet, qu’ils financent grâce à des subventions, à de l’argent public donc. C’est de l’argent public mal utilisé.

Nous avons perdu l’habitude des lois Balai, issues des travaux du Bureau d’abrogation des lois anciennes et inutiles créé sur l’initiative de notre collègue Vincent Delahaye. C’est bien dommage, parce qu’elles étaient très utiles.

Monsieur le ministre, voilà de très belles économies en perspective. Qui plus est, elles dépendent de nous.

Puisque j’évoque les études, permettez-moi de revenir sur le recours aux cabinets privés et au rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’influence croissante des cabinets de conseil privé sur les politiques publiques, dont Éliane Assassi était la rapporteure et Arnaud Bazin le président.

Qu’est-ce qui peut bien déranger le Gouvernement pour qu’il n’inscrive pas la proposition de loi issue des travaux de cette commission d’enquête à l’ordre du jour des travaux du Parlement ? Son adoption permettrait d’en finir avec cette affaire. Il y aurait ensuite plus de transparence et plus de contrôle de l’opportunité des saisines des cabinets de conseil. C’est un mystère que nous n’avons pas encore éclairci.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous ne serez pas étonnés qu’à la suite du vote sur le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales j’aborde de nouveau ces questions.

Évidemment, plus de travail sur la fraude, c’est mieux pour la dette. Les fraudes fiscales représentent 100 milliards d’euros, les fraudes sociales une vingtaine de milliards d’euros, les fraudes liées à la criminalité organisée 50 milliards d’euros. Le taux de recouvrement n’est que de 2 %, je pense que l’on peut faire mieux.

La fraude à la TVA, elle, représente entre 25 et 50 milliards d’euros par an. Monsieur le ministre, cela ne peut pas être uniquement la faute des petits colis ! À un moment donné, il faut, au sein de votre administration, réactiver le logiciel de détection précoce qu’utilisent nos voisins européens. Tous ces sujets sont extrêmement importants.

Le Président de la République a convoqué aujourd’hui une réunion sur le narcotrafic. Outre le narcotrafic, il faut viser l’ensemble de la criminalité organisée, que nous avons étudiée ici. D’où ma deuxième question, monsieur le ministre : allons-nous reprendre en main la lutte contre le blanchiment ? C’est aussi un sujet très important.

Pour conclure, je répète qu’il faut faire confiance au Sénat. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas attendre des réponses à vos questions de la part de personnes dont le salaire dépend précisément du fait qu’elles n’en trouvent pas… (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Sébastien Martin, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, chargé de lindustrie. Je pense que nous partageons tous l’énergie de Mme la sénatrice Nathalie Goulet et son aspiration à la simplification. Je suis assez d’accord avec vous, madame le sénateur, quand on engage des démarches de simplification, on aboutit parfois à de la complexification. La simplification passera sans doute essentiellement par des réformes de structure. C’est pourquoi le Premier ministre souhaite engager, notamment avec le Sénat, un débat sur un projet de loi de décentralisation et de réforme de l’État.

À chaque fois, nous évoquons ces sujets au moment du budget, nous en parlons pendant l’examen du texte et, finalement, rien ne se passe. Le Premier ministre souhaite donc fixer un cap clair en la matière.

Par ailleurs, vous avez évoqué la fraude. Le Sénat vient d’examiner le projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Vous voyez bien que le Gouvernement souhaite avancer, même si, comme vous l’avez également indiqué, des progrès restent à accomplir.

En ce qui concerne les cabinets de conseil, je vous rappelle que, par une circulaire du 19 janvier 2022, le Gouvernement a précisé les règles et souhaité une véritable rationalisation du recours à ces cabinets.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.

Mme Nathalie Goulet. La circulaire dont vous parlez, signée par Mme de Montchalin, a été publiée le matin même de son audition devant la commission d’enquête ; c’était donc parfaitement opportun.

Mais, monsieur le ministre, il faut tout de même que le texte issu de nos travaux soit voté. Il apporte beaucoup, le Sénat y a beaucoup travaillé, il a été adopté à l’unanimité. Il est d’ailleurs issu d’une commission d’enquête totalement transpartisane, ayant réalisé un travail remarquable. Je le répète, il faut vraiment écouter le Sénat. Le nombre de cabinets de conseil auxquels il est fait appel a encore augmenté cette année, ce qui est tout à fait contraire à ce que nous avions souhaité et aux engagements du Gouvernement de l’époque.

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dette est un outil financier comme un autre pour qui se comporte en bon père – ou en bonne mère – de famille. C’est à peu près ce que nous a dit notre collègue Sautarel. C’est aussi ce que vous avez dit, monsieur le ministre. C’est en recourant à la dette que les ménages français peuvent s’acheter un logement, que les boulangers peuvent s’acheter un four, et les entrepreneurs, une machine-outil.

La dette, c’est aussi un outil à destination de la puissance publique, à qui elle permet d’emprunter pour financer les investissements de la Nation. Dès lors que les collectivités territoriales, la sécurité sociale et l’État empruntent pour construire des écoles, pour financer des hôpitaux, pour financer des infrastructures, alors la dette publique est utile.

Malheureusement, nous n’empruntons plus pour financer les projets qui serviront aux générations futures. La majorité de notre dette sert à financer notre quotidien, notre consommation. La sécurité sociale emprunte pour payer les retraites, l’État, pour payer les fonctionnaires. Notre incapacité collective à ralentir suffisamment le rythme de nos dépenses de fonctionnement nous oblige chaque année à nous endetter davantage. En résumé, nous endettons nos petits-enfants pour financer notre train de vie actuel.

Et chaque année, les amoureux de la dépense publique nous appellent à alourdir la facture. D’aucuns estiment que nous devrions suspendre la réforme des retraites, d’autres nous invitent régulièrement à plus de normes et à plus de fonctionnaires. Ils oublient que les retraites représentent près d’un quart de l’ensemble de la dépense publique et que la France se singularise par son nombre trop élevé de fonctionnaires par actif.

Notre dette a donc explosé depuis 1974, et nous continuons de l’alimenter avec un déficit qui ne parvient pas à passer sous les 3 % du PIB – sauf à l’époque, notable, où Édouard Philippe était Premier ministre.

Les chiffres qui figurent dans le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2025, que nous examinerons dans quelques jours, ne mentent pas. Ils nous apprennent qu’en 2025, notre déficit s’élèvera à 130 milliards d’euros. C’est douze fois le budget du ministère de la justice. Et tout ça pour quoi ?

Nous n’avons pas construit de nouveaux porte-avions ni rénové nos quartiers prioritaires. Non, nous avons juste vécu une année de plus, et aucun Français n’est capable de dire au nom de quoi nous avons grevé l’avenir de ceux qui viendront après nous.

Notre dette continue de croître. Elle atteint désormais 3 416 milliards d’euros, soit 115,6 % du PIB, et le montant des seuls intérêts qu’elle génère est en passe de devenir le premier budget de l’État. Autant dire qu’il est urgent d’agir. Qu’importe l’absence de majorité à l’Assemblée nationale, qu’importe le réalisme politique de certains, nous devons nous réformer rapidement et avec détermination pour cesser d’alourdir la dette et son cercle vicieux d’intérêts en cascade.

Les moyens d’agir, nous les connaissons, et les Français nous les réclament. Ils sont 82 % à préférer une baisse de la dépense publique à une nouvelle augmentation des impôts. Il faut écouter les Français et massivement diminuer nos dépenses publiques – y compris nos dépenses sociales – avant que le FMI nous y oblige. Il conviendra ensuite de baisser ces impôts qui étouffent l’activité des entreprises et la consommation des ménages. Ces baisses d’impôts permettront de stimuler l’économie, ce qui nous permettra, c’est mécanique, d’augmenter nos recettes fiscales.

Au diptyque que constituent la baisse des dépenses et celle des impôts, nous devrons ajouter une augmentation de l’activité. Ce n’est qu’ainsi que nous évitons la faillite publique qui nous menace.

Mes chers collègues, nous examinerons dans quelques jours le PLF et le PLFSS pour 2026. Certains rêvent de faire de cet exercice un momentum de la gabegie budgétaire. Les économies prévues dans le budget sont insuffisantes, monsieur le ministre, et ma question est donc simple : quelles économies nouvelles le Gouvernement pourrait-il présenter lors de l’examen du PFL et du PLFSS au Sénat ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Vincent Delahaye applaudit également.)