M. le président. Mon cher collègue, l'article 3 a été adopté.
M. Emmanuel Capus. Non !
M. Roger Karoutchi. On ne peut pas contester la décision de la présidence !
M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot, pour explication de vote.
M. Yannick Jadot. J'ignore si le niveau d'inégalité dans notre pays est le plus élevé que nous ayons jamais connu. Cependant, selon l'Insee, c'est le plus haut depuis trente ans, ce qui est déjà considérable.
Nous ne proposons pourtant pas de revenir au taux d'imposition qui prévalait pendant la période des Trente Glorieuses ! Pourtant, puisque cette période est associée au progrès social et économique,…
Mme Sophie Primas. À la croissance ! À la création de richesse !
M. Yannick Jadot. … ainsi qu'à un niveau de fiscalité garantissant une plus forte redistribution, nous pourrions nous en inspirer. Mais personne ne le propose !
Vous dites qu'il y a trop de prélèvements en France. Je vous invite à vous intéresser au niveau du Smic dans notre pays. La France est le pays de l'OCDE qui a le moins augmenté le salaire minimum dans les dix dernières années. D'après l'Office européen de statistiques, Eurostat, chez tous nos voisins immédiats, le salaire minimum a progressé de 35 %, contre 25 % dans notre pays.
Si nous augmentions les salaires, nous n'aurions pas besoin de réaliser autant de redistribution.
Enfin, j'en suis certain, nous pouvons nous accorder sur les trois critères qui garantissent une bonne politique publique : l'équité, l'efficacité et l'exemplarité.
L'équité en matière d'impôt est affirmée dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, reprise dans notre Constitution.
L'efficacité me paraît garantie, dans le contexte actuel, s'agissant d'une taxe qui permet de récupérer entre 15 milliards et 20 milliards d'euros ! (M. Vincent Delahaye et Mme Sophie Primas protestent.)
M. Roger Karoutchi. Allons donc !
M. Yannick Jadot. On peut trouver cette mesure juste ou injuste, mais elle est efficace.
M. Olivier Rietmann. Non, elle n'est pas efficace !
Mme Sophie Primas. Elle est efficace une seule année !
M. Yannick Jadot. Enfin, notre pays a besoin d'exemplarité. Mon objectif n'est pas de dire que tous les maux de la société sont liés aux ultrariches. Mais si les citoyens des classes populaires et moyennes constatent que les plus riches ne sont pas exemplaires, alors, le contrat social est rompu.
Mme Sophie Primas. Vous raisonnez à l'envers !
M. le président. La parole est à M. Olivier Rietmann, pour explication de vote.
M. Olivier Rietmann. Mes chers collègues, permettez-moi de rétablir la vérité sur deux éléments.
L'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen affirme que chacun doit contribuer au fonctionnement de l'État. Mais ce texte garantit les droits de l'homme et du citoyen : en quoi une personne morale, donc une entreprise, est-elle concernée ? (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Vous faites une confusion qui alimente encore davantage ce sentiment d'inégalité !
M. Pierre Ouzoulias. Oh non, vous ne pouvez pas dire cela !
M. Olivier Rietmann. Examinons les faits. Cher Yannick Jadot, je veux bien que l'on augmente les salaires : mais chaque fois que l'on ponctionne une entreprise, ce sont des salaires en moins qui sont distribués !
Mme Sophie Primas. Tout à fait !
M. Olivier Rietmann. C'est une évidence : ce sont des vases communicants !
M. Yannick Jadot. Pour l'instant, ce sont les dividendes qui explosent !
M. Olivier Rietmann. Chaque fois que nous alourdissons la contribution d'une entreprise, de quelque manière que ce soit, nous l'empêchons d'augmenter les salaires !
Chaque fois que vous frappez une entreprise, ce sont les femmes et les hommes qui y travaillent que vous touchez ! (M. Yannick Jadot proteste.)
Oui, l'inégalité existe. Mais examinons les écarts de revenus entre les plus riches et les plus défavorisés de notre pays : avant redistribution, en moyenne, chaque année, les premiers gagnent 130 000 euros, les seconds 6 980 euros. L'écart est d'un à dix-huit. Après redistribution, l'écart est seulement d'un à trois : les revenus des plus riches atteignent en moyenne 74 000 euros, ceux des plus pauvres 25 000 euros.
De grâce, n'alimentons pas ce sentiment d'inégalité, quotidiennement, sur tous les plateaux et toutes les antennes ! Ce sentiment existe, il est vrai : mais il est nourri par votre discours ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Grégory Blanc. Ce n'est pas un sentiment !
M. le président. La parole est à M. Thierry Cozic, pour explication de vote.
M. Thierry Cozic. Monsieur Rietmann, la taxe Zucman, telle qu'elle est présentée, ne cible pas les entreprises.
M. Yannick Jadot. Tout à fait !
M. Thierry Cozic. Elle vise les personnes physiques, soit 1 800 foyers. C'est une taxe différentielle de 2 % sur les patrimoines de plus de 100 millions d'euros. (M. Olivier Rietmann proteste.)
Mme Sophie Primas. Mais sur le patrimoine constitué dans des entreprises !
M. Thierry Cozic. Il me semble donc qu'il y a une erreur dans le débat.
Nous voulons seulement de la justice fiscale. J'ai cherché des données chiffrées. En France, plus on est riche, moins on paie d'impôts en proportion. Ce n'est pas moi qui le dis : de nombreuses études indépendantes le montrent.
En 1996, les plus fortunés contribuaient à hauteur de 80 milliards d'euros, soit 6,4 % du PIB. En 2024, cette contribution atteignait 1 228 milliards d'euros, soit 42 % du PIB : c'est quatorze fois plus !
Aussi, contrairement à ce que prétend le discours victimaire entretenu par les libéraux, la fiscalité du capital en France est loin d'être spoliatrice. Elle ne représente qu'environ 10 % de nos prélèvements obligatoires.
La comparaison avec les pays de l'OCDE montre que la France n'a rien d'un enfer fiscal, comme on l'entend souvent dans cet hémicycle, notamment pour les détenteurs de capital. La fiscalité du capital ne pèse qu'à hauteur de 6,3 % des recettes fiscales : c'est un niveau comparable à celui de l'Allemagne et inférieur à celui de la plupart des pays développés – la Norvège, la Suède, l'Irlande ou les États-Unis taxent, proportionnellement, davantage le capital que la France !
M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée, pour explication de vote.
Mme Ghislaine Senée. J'ai le sentiment que tout le monde se braque sur la taxe Zucman, qui est d'ailleurs très mal nommée : c'est non pas une taxe, mais un impôt plancher.
Mme Sophie Primas. Non, madame !
Mme Ghislaine Senée. Tous ceux qui ne contribuent pas à hauteur d'au moins 2 % doivent ajuster leur versement d'impôt pour se mettre en conformité avec l'article 13 de la Constitution, selon lequel on paie ses impôts à hauteur de ses moyens.
Nous vivons dans un monde bouleversé : le patrimoine des 500 plus grandes fortunes françaises s'établit à 1 228 milliards d'euros et représente 42 % du PIB.
M. Olivier Rietmann. Mais ce n'est pas de l'argent mobilisable !
Mme Ghislaine Senée. Il y a huit ans, ce n'était pas le cas. Les fortunes ont explosé !
Je suis donc tout à fait d'accord avec mon collègue Yannick Jadot : nous avons un devoir d'exemplarité. Face à de telles fortunes, on ne peut pas s'arrêter aux arguments invoqués par la ministre sur la redistribution. Pour une fortune de 100 millions d'euros, la taxe Zucman consisterait à prélever 2 millions d'euros : c'est beaucoup, mais qu'est-ce que cela représente, sur une telle fortune ? Il est incompréhensible pour les Français que vous défendiez un tel écart de richesse.
Si l'on gagne un euro toutes les secondes, en onze jours, on obtient 1 million d'euros. Mais pour obtenir 1 milliard d'euros, il faut trente et un ans.
Comment accepter que certains détiennent plus de 180 milliards d'euros de richesses ? C'est incompréhensible !
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.
M. Michel Canévet. Ce débat est récurrent : nous l'avons déjà eu il y a quelques mois. Nous avons l'impression que certaines personnes, dans notre pays, gagneraient beaucoup d'argent, sans payer autant d'impôts qu'ils le devraient.
M. Thomas Dossus. Ce n'est pas qu'une impression !
M. Michel Canévet. Pour ma part, je constate, fort heureusement, que de nombreux propriétaires d'actifs significatifs sont des contributeurs tout aussi significatifs ! Nous devons en tenir compte.
Le cas de l'une des principales fortunes françaises, qui figure au palmarès mondial, est souvent cité. Mais le groupe que cette personne préside contribue à un niveau considérable au versement de l'impôt sur les sociétés !
Ce n'est pas parce qu'un groupe de sociétés a une valeur extrêmement importante, parce que son activité prospère et que le cours des actions augmente, qu'il faut considérer que tout cet argent se trouve dans la poche de leurs propriétaires, qui sont d'ailleurs souvent dispersés ! Au contraire, quand l'argent est placé dans les entreprises, il sert à les faire fonctionner et à les valoriser.
C'est en fait la question du stock qui est soulevée. Si le groupe Union Centriste est d'accord pour taxer les flux – les revenus –, nous ne comprenons pas pourquoi nous devrions taxer les stocks. En effet, il se pourrait bien que les personnes que nous souhaiterions imposer n'aient même pas les moyens de s'acquitter des sommes considérables que nous leur demanderions !
Certains ont fait référence aux prix Nobel d'économie. Lundi dernier, nous avons reçu, sur l'invitation de Louis Vogel, le lauréat 2025, Philippe Aghion. Celui-ci l'a dit clairement : la taxe Zucman empêcherait le développement de l'intelligence artificielle en France ! (MM. Yannick Jadot et Thomas Dossus ironisent.)
Soyez donc bien conscients des risques d'une telle mesure.
M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour explication de vote.
Mme Florence Blatrix Contat. J'ai entendu dire que la redistribution fonctionne en France. C'est vrai, et on peut en être fiers. Pour autant, elle n'empêche pas l'augmentation des inégalités et de la pauvreté.
J'ai aussi entendu dire que la gauche répand le sentiment d'injustice fiscale. Mais ce sont les faits qui en sont responsables : les 0,01 % les plus riches contribuent deux fois moins que les millionnaires ! Les faits sont là : cela n'a rien d'un sentiment.
Mes collègues l'ont dit : le patrimoine des 500 plus grandes fortunes est passé de 200 milliards d'euros dans les années 2010 à 1 200 milliards d'euros aujourd'hui.
S'il existe un tel stock, c'est bien que nous avons finalement échoué à imposer correctement les flux. Quand les flux s'accumulent dans des holdings, ils aboutissent à une concentration de patrimoine, qu'il est difficile de taxer. Et c'est ainsi que l'on assiste à un évitement de l'impôt.
Or la taxe Zucman a plusieurs mérites : c'est la raison pour laquelle nous avions déposé des amendements de repli, l'an dernier, dont l'un visait à fixer le taux à 0,5 %. Tout d'abord, elle repose sur une assiette importante, ce qui devrait contribuer à rétablir une forme de justice. Ensuite, elle permet de faire contribuer ceux qui échappent à l'impôt, en proportion, par rapport au reste de nos concitoyens. Enfin, elle garantit le respect d'un principe constitutionnel qui figure dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je me trompe peut-être, mais je trouve que l'on n'arrive pas ici à distinguer le chef d'entreprise et l'entreprise, à moins que l'on ne veuille pas le faire.
Les 500 premières fortunes françaises, dont la richesse cumulée, qui était de 124 milliards d'euros, est passée à 1 128 milliards d'euros, ne sont pas, pour une grande partie d'entre eux, des chefs d'entreprise. Ce ne sont pas des patrons, et ils ne dirigent pas d'entreprises !
Tout d'abord, cet impôt plancher concernera les personnes dont la fortune dépasse les 100 millions d'euros. C'est lorsque l'on dépasse ce montant que l'on commence à verser des actions aux multinationales...
Nous avons en ce moment un débat de nature politique : cet argent profite-t-il à l'économie réelle, c'est-à-dire, au sein de l'économie de marché, aux besoins des entreprises, à l'activité économique, à l'emploi et aux qualifications ? Mais tel n'est pas le cas en l'occurrence, puisque les personnes visées par cet impôt ne sont pas des patrons. Nous ne voulons pas combattre les entreprises !
Ensuite, concernant le prétendu caractère confiscatoire de cette taxe, le débat est là encore politique. Ceux qui possèdent 100 millions d'euros – un montant qui constitue tout de même une solide assise financière – ne seront pas concernés. Cet impôt n'est donc pas forcément confiscatoire....
Enfin, lorsque l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) a été instauré, en 1989 – toute notre jeunesse ! (Sourires.) –, durant neuf mois des spécialistes de la Constitution n'ont cessé de dire qu'il s'agissait d'un impôt inconstitutionnel. Ce sont la force du politique et la force sociale qui ont montré que l'ISF était constitutionnel.
Je ne comprends donc pas l'argument de l'inconstitutionnalité, d'autant que les personnes possédant moins de 100 millions d'euros ne seront pas touchées par la taxe. (MM. Olivier Rietmann et Roger Karoutchi manifestent leur impatience.)
Il faut donc distinguer ce qui relève du domaine du débat politique, du débat constitutionnel et de la justice sociale !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Tout d'abord, je le répète, les personnes dont parle M. Savoldelli ne possèdent pas 100 millions d'euros : elles détiennent des parts dans une entreprise dont une partie a été valorisée, par exemple si 1 % de l'entreprise a été acheté pour une valeur de 1 million d'euros.
Prenons le cas du fondateur d'une entreprise qui détient 25 % de celle-ci. Son compte en banque n'est pas crédité de 25 millions d'euros !
M. Alexandre Ouizille. Il s'agit d'entreprises cotées !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. C'est très important : la valorisation est une extrapolation à partir du dernier point de connaissance du prix.
Je pense notamment à nos start-up. Imaginez qu'Arthur Mensch quitte Mistral, dont il est le co-fondateur. Qui rachèterait ses parts, disons 25 % de l'entreprise ? Or le jour où le fondateur d'une entreprise la quitte, celle-ci n'a plus la même valeur. En effet, c'est lui qui a créé l'entreprise, qui lui a consacré son intelligence, qui a su agréger des compétences et une équipe.
M. Thomas Dossus. Vous citez le même exemple depuis six mois ! Vous ne parlez jamais de Bernard Arnault...
Mme Amélie de Montchalin, ministre. C'est un exemple parlant ! Je connais de nombreux autres exemples, mais je ne vais pas citer tous les start-uper et tous les chefs d'entreprise.
Prenons le cas d'une entreprise familiale possédée par deux frères et une sœur. Le benjamin souhaite vendre ses parts : l'entreprise est alors valorisée. Mais cela ne signifie pas que, en cas de vente de leurs parts par l'autre frère et la sœur, l'entreprise trouvera un acheteur à ce prix-là.
Vous faites donc des extrapolations de valeurs : qu'une entreprise ait une certaine valeur ne signifie pas qu'il y aura un acheteur à ce prix et que cette valeur soit créditée sur un compte en banque.
Ensuite, et je conclurai par ce point ce débat très intéressant, qui montre que nous avons, calmement, beaucoup de choses à nous dire, la concentration de richesses que vous avez évoquée est à l'œuvre dans tout l'Occident, qui vieillit (M. Guy Benarroche ironise.), du fait de l'accumulation générationnelle. En effet, et nous pouvons nous en réjouir, nous n'avons connu depuis quatre-vingts ans – c'est inédit dans l'histoire de l'Occident ! – ni guerre ni crise inflationniste.
M. Pascal Savoldelli. C'est la rente !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Exactement ! En Occident, ce que vous appelez la rente a été remise à zéro cycliquement tous les trente ou quarante ans, soit par une grande crise inflationniste, soit par une guerre, soit par une crise inflationniste consécutive à une guerre.
Aujourd'hui, et c'est inédit, du fait du vieillissement, le patrimoine – tous les chiffres le prouvent – augmente avec l'âge, y compris après 70 ans, parce que l'on vit plus longtemps et que des transmissions sont opérées. Il faut être précis lorsque l'on dresse des constats ! (M. Roger Karoutchi manifeste son impatience.)
Les jeunes, en France et dans tout l'Occident, considèrent qu'il est très difficile d'acquérir un logement, de se lancer dans la vie et de construire leur propre patrimoine. Nous devons avoir un raisonnement clair ; à défaut, on essaiera de résoudre l'anxiété générationnelle de la jeunesse au travers d'une fausse solution, fondée sur une soi-disant augmentation de la valeur latente de certaines entreprises, calculée par extrapolation.
M. Yannick Jadot. Nous avons tout de même 12 millions de pauvres !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Le débat est intéressant, mais le problème que vous soulevez ne sera pas résolu avec les outils que vous proposez. Je le redis, je suis défavorable à ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Grégory Blanc, pour explication de vote.
M. Grégory Blanc. Nous sommes au cœur du débat ! Je partage les propos de Mme la ministre sur le vieillissement de la société ; j'ai dit la même chose, hier, lors de la discussion générale.
Le problème, dans notre pays, c'est qu'il y a une accumulation de stock qui ne bouge plus. C'est la raison pour laquelle j'ai un désaccord avec notre collègue Canévet. Il faut, au contraire, favoriser les flux, faire bouger l'épargne, orienter l'argent vers une économie plus productive. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Si l'on refuse de taxer les stocks, il y aura, à un moment donné, un problème sur la taxe foncière.
J'espère que l'on pourra être plus ambitieux, mais, si tel n'était pas le cas, nous voterions – pour ma part, je le ferai – la proposition de Michel Canévet relative à l'impôt sur la fortune improductive. Mais cet impôt sur la fortune improductive, c'est bien une imposition sur les stocks, et non pas sur les flux !
Nous devons réfléchir à la lumière de la réalité que nous connaissons depuis six ans, en nous fondant sur l'évolution des patrimoines entre 2019 et aujourd'hui. La BCE a conduit une politique de facilité de crédit. Des politiques budgétaires ont été adoptées ici même, qui ont conduit à l'accélération de l'accumulation des richesses d'un certain nombre de détenteurs de hauts patrimoines. D'où l'écart significatif que l'on constate aujourd'hui entre les plus hauts et les plus faibles revenus.
Tout à l'heure, nous avons supprimé un dispositif anti-évitement fiscal. Si nous ne sommes pas capables de mettre en place un autre dispositif anti-évitement, nous connaîtrons demain une situation pire que celle que nous avons connue lors du mouvement des gilets jaunes.
M. le président. Veuillez conclure !
M. Grégory Blanc. On ne peut pas, à la fois, dérembourser les médicaments et rejeter la taxe Zucman !
M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat, pour explication de vote.
M. Simon Uzenat. J'ai été quelque peu interpellé par votre prise de parole, madame la ministre. Vous me corrigerez sans doute, mais, en vous écoutant, je suis arrivée à la conclusion que, pour rétablir de la fluidité sociale et lutter contre les inégalités, il faudrait une bonne guerre. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Simon Uzenat. Honnêtement, c'est l'explication que vous nous avez donnée ! Dans ce pays dont la devise est « Liberté, Égalité, Fraternité » – je le dis en me tournant vers nos collègues de la droite sénatoriale –, nous parlons de choix politiques.
M. Roger Karoutchi. La guerre, un choix politique ?
M. Simon Uzenat. Et nous espérons, les uns et les autres que nous n'aurons pas à connaître les extrémités douloureuses que nos prédécesseurs ont pu vivre.
Certains parlent d'un « sentiment d'inégalité »... Or c'est non pas un sentiment, mais une réalité, comme le montrent, dramatiquement, les chiffres de l'Insee. Aujourd'hui, l'écart entre les 20 % les plus aisés et les 20 % les plus modestes est quasiment identique à celui que nous connaissions dans les années 1970 !
M. Olivier Rietmann. Non, c'est avant la redistribution !
M. Simon Uzenat. Notre collègue Yannick Jadot nous a rappelé quelles mesures avaient été prises à cette époque.... Comment, aujourd'hui, peut-on accepter cela ?
Nos concitoyens les plus modestes et les nouvelles générations commencent dans la vie avec des boulets aux pieds, quand d'autres, parce qu'ils sont nés au bon endroit et au bon moment – tant mieux pour eux ! – disposent d'un turbo dont la puissance évoque celle de la nitroglycérine et qui lui permettra d'aller très vite...
Chers collègues de la droite, vous qui êtes attachés au mérite, je vous le demande : où peut être le mérite lorsque l'on part avec de tels handicaps dans la vie ?
L'enjeu ici n'est pas d'être contre celles et ceux qui ont réussi ; au contraire, nous les encourageons et les reconnaissons. Mais les écarts doivent être régulés d'une manière ou d'une autre, dans l'intérêt même de notre pays.
M. Olivier Rietmann. Ils le sont !
M. Simon Uzenat. Madame la ministre, mes chers collègues, nous avons bien entendu votre fin de non-recevoir ! Pour notre part, nous continuerons sur notre chemin.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. J'interviens à peu près trois minutes toutes les demi-heures, et je crois, lors de ma dernière intervention, m'être exprimée avec nuance.
Je n'ai évidemment pas dit qu'il nous fallait une guerre pour résoudre nos problèmes ! J'ai simplement indiqué que nous étions dans une situation nouvelle, où se cumulent deux faits nouveaux : une espérance de vie très longue, de plus de 80 ans en moyenne, et un cycle inédit que nous connaissons depuis quatre-vingts ans et lors duquel il n'y a eu ni guerre ni crise inflationniste.
La France n'est pas seule à connaître cette situation, dans laquelle la concentration du patrimoine est beaucoup plus générationnelle qu'on ne le dit parfois. Je me suis bornée à décrire cette réalité.
Les solutions que vous proposez pour que les patrimoines circulent passent par l'impôt. D'autres idées ont été exprimées dans le débat, avec des solutions différentes. On peut en discuter, mais ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !
Encore une fois, tout l'Occident vieillissant connaît les deux phénomènes cumulatifs que j'ai évoqués, et ce débat a lieu également dans beaucoup d'autres pays. Son enjeu est le système économique, et non pas uniquement le système fiscal.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Madame la ministre, certains éléments de votre explication m'échappent quelque peu.
Non, la concentration du capital que l'on connaît et qui est sans précédent dans nombre de pays d'Occident n'est pas liée uniquement au vieillissement naturel de la population et au régime de paix qui aurait envahi cette partie du monde !
Depuis les années 1980, un certain nombre de politiques fiscales ont été menées, que l'on regroupe sous les termes d'ultralibéralisme ou de néolibéralisme – appelons-les comme on veut – et qui se sont concrétisées par une baisse de la fiscalité sur le capital et sur les grands patrimoines. Elles ont eu pour résultat de mettre en place une logique économique et politique : l'hyperconcentration du capital dans un très petit nombre de foyers fiscaux.
La taxe Zucman, en s'appliquant à ce petit nombre de foyers, aurait un rendement très efficace.
Le phénomène de concentration des richesses n'est pas « naturel » : il est le résultat d'une politique fiscale que nous vous appelons aujourd'hui à corriger. (Mme Ghislaine Senée applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos I-258 rectifié, I-1012 et I-1498.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-1734 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos I-185 rectifié et I-2640 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Demande de réserve
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. La commission demande la réserve des amendements nos I-381 et I-159 rectifié bis tendant à insérer un article additionnel après l'article 3.
M. le président. Je rappelle que, aux termes de l'article 44, alinéa 6, du règlement, lorsqu'elle est demandée par la commission saisie au fond, la réserve est de droit, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ayant décidé de laisser les sénateurs organiser les débats comme ils le souhaitent, le Gouvernement ne saurait s'opposer à cette demande de réserve.
Mon avis est donc favorable.
M. le président. La réserve est ordonnée, entraînant la réserve de l'ensemble des amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Après l'article 3 (suite)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° I-2451 rectifié ter, présenté par MM. Kanner, Cozic, Raynal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l'article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Il est émis un emprunt obligatoire d'une durée de cinq ans, au taux actuariel brut de 0 % l'an.
II. – La souscription a l'emprunt s'imposent de manière cumulative pour les contribuables redevables de :
de l'impôt sur la fortune immobilière prévu à l'article 964 du code général des impôts au titre de l'année 2026, à hauteur de 30 % de l'impôt dû ;
de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus prévue à l'article 223 sexies du même code au titre de l'année 2025, à hauteur de 30 % de l'impôt dû ;
de la contribution différentielle sur les hauts revenus prévue à l'article 224 du même code au titre de l'année 2025, à hauteur de 30 % de l'impôt dû ;
de l'impôt sur le revenu mentionné à l'article 197 du même code au titre des taux de 41 % et de 45 % au titre de l'année 2025, à hauteur de 20 % de l'impôt dû.
III. – Les ayants droit d'un contribuable décédé au cours de la même période et remplissant la même condition de revenu sont dispensés de la souscription pour la somme que celui-ci aurait dû souscrire.
IV. – La contribution est recouvrée par voie de titre de perception selon des modalités précisées par arrêté du ministre chargé du budget. Elle doit intervenir le 1er juillet 2026 au plus tard. Un avis est adressé au contribuable indiquant le montant de la somme à souscrire. Un décret en conseil d'État détaille avant le 1er février 2026 les modalités pratiques qui s'imposent aux contribuables concernés.
V. – Le défaut de souscription à l'échéance entraîne, sans préjudice du recouvrement forcé du principal de l'emprunt, la déchéance du droit à remboursement du capital. Le recouvrement forcé de l'emprunt est effectué comme en matière d'impôt sur le revenu. La majoration prévue à l'article 1761 du code général des impôts n'est appliquée aux sommes non réglées qu'un mois après la date limite de souscription.
La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, si vous le permettez, je présenterai en même temps que celui-ci les deux amendements suivants faisant l'objet d'une discussion commune.
Je ne trahirai aucun secret en disant que, depuis huit ans, les gouvernements successifs que nous avons connus ont pratiqué une injustice fiscale manifeste. Les discussions à l'Assemblée nationale visant à faire entendre le besoin d'une plus grande justice fiscale et sociale ont souvent échoué. Nous allons donc, durant ce débat, défendre cette voie, qui nous semble juste pour les Français.
Avec les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, notamment Thierry Cozic et le président Claude Raynal, nous avons déposé plusieurs amendements visant, à la fois, à dégager des recettes nouvelles et à rééquilibrer la fiscalité dans son ensemble.
Nous avons également souhaité, vous le savez, proposer des hypothèses de travail complémentaires et ouvrir d'autres perspectives pour renforcer, même temporairement, les ressources publiques. Parmi ces solutions, nous avons émis l'idée d'un emprunt obligatoire auprès de quelques milliers de foyers fiscaux – environ 20 000 –, les plus riches du pays.
Afin de nourrir un véritable dialogue parlementaire, trois versions de cette proposition ont été déposées.
La troisième version est fondée non pas sur l'impôt dû, mais sur les valeurs nettes du patrimoine du contribuable. Son assiette, plus restreinte, exclut automatiquement le prélèvement sur les tranches hautes redevables de l'impôt sur le revenu.
Nous acceptons de faire évoluer ce travail avec vous, mes chers collègues, au travers d'éventuels sous-amendements. Le Sénat pourrait alors s'enorgueillir, alors que notre démocratie parlementaire est trop souvent aujourd'hui mise à mal, d'avoir trouvé une forme d'accord sur cette proposition complémentaire qui pourrait nous réunir.
Je précise que, pour des questions de recevabilité financière des amendements, et alors que le Gouvernement a refusé de lever le gage pour permettre le débat, nous n'avons pu régler complètement la question du remboursement de cet emprunt. Celle-ci pourrait être réglée par les sous-amendements déposés.
Je vous le dis en responsabilité, notre détermination est totale. Nous voulons un État juste en matière de fiscalité.


