Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?
M. Didier Rambaud, rapporteur spécial. La commission est forcément favorable à son propre amendement n° II-3 ; elle est en revanche défavorable aux amendements nos II-2230 rectifié et II-2130.
Toutefois, monsieur le rapporteur général, à titre personnel – vous le savez, nous en avons déjà parlé –, je suis défavorable à votre proposition. Si, dans une période de remise à plat de nos finances publiques, il est légitime de se demander si tel ou tel dispositif relève de la compétence de l'État ou des collectivités locales, et si le pass Culture fait naturellement partie des dispositifs qui doivent être examinés, je considère qu'il existe une voie médiane entre l'inaction et la suppression pure et simple que vous proposez.
Le pass Culture est en train de faire la démonstration de son utilité. De nombreuses collectivités locales déploient certes des dispositifs similaires, mais ce n'est pas le cas de toutes. Il exerce à ce titre une fonction de péréquation, dans la mesure où il place tous les jeunes sur un pied d'égalité en matière d'accès à la culture.
Le dispositif a en effet été recentré au profit des 17-18 ans, et le montant est passé de 300 à 150 euros, madame de Marco. Un effort budgétaire a donc bien été consenti, qui répond aux préoccupations du rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Une réforme à côté de la plaque !
Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre. Le succès de la part individuelle du pass Culture est indéniable. Le redimensionnement du dispositif, que vous avez demandé, est engagé depuis deux ans, avec des résultats tangibles et notables. Le pass est utilisé par 90 % des jeunes, lesquels sont du reste nombreux à m'interpeller, lors de mes déplacements, sur la nécessité de préserver la part individuelle du dispositif, dont ils me font parfois remarquer qu'elle a un peu diminué.
En tout état de cause, le dispositif, comme vous le demandez, monsieur le rapporteur général, a été redimensionné de manière à s'adapter à la diversité de la population, comme vous le souhaitez. Je l'ai recentré sur les jeunes de 17 à 21 ans, avec un bonus, qui n'existait pas avant la réforme, pour les jeunes les plus en difficulté ou en situation de handicap.
Autres apports de la réforme : le renforcement de la médiation, la géolocalisation, ainsi que l'éditorialisation, qui contribue à conforter l'accès à la culture, mais aussi aux métiers de la culture.
Depuis que ce redimensionnement a été entrepris, 10 % des bénéficiaires du pass Culture résident dans un QPV, ce qui porte le taux d'accès dans ces quartiers 25 % au-dessus de la moyenne nationale, plus de 30 % des bénéficiaires résident en zone rurale et le taux de couverture en outre-mer s'établit à 95 %. Il s'agit donc d'un bond en avant.
J'en viens à la diversité des pratiques : quelque 66 % des bénéficiaires ont découvert pour la première fois un lieu culturel grâce à la part individuelle du pass Culture, un taux en hausse de 22 % au cours des deux dernières années. Il s'agit d'une avancée majeure en matière d'accès à la culture et de réduction des inégalités.
En ce qui concerne l'utilisation du pass Culture, 38 % des crédits sont dépensés pour l'achat de livres, au détriment des écrans et à notre plus grande satisfaction – Mme la sénatrice Evren, qui souhaite renforcer la lutte contre l'exposition abusive aux écrans, ne me contredira pas –, 23 % des crédits financent des dépenses en lien avec le cinéma et 21 % des crédits des dépenses de musique, soit une hausse de 53 %. Ce sont, encore une fois, des avancées majeures, du point de vue tant de l'accès à la culture que de la réduction des inégalités.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué le rôle des collectivités dans le secteur culturel. Néanmoins, bien que les Drac assurent une coordination entre collectivités, certaines collectivités ne s'entendent pas, vous ne l'ignorez pas, et, pour des raisons politiques, elles ne souhaitent pas toujours s'engager dans des dispositifs communs. Il importe donc que, dans ces cas-là, l'État soit au rendez-vous et fournisse aux jeunes en difficulté les moyens d'accéder à la culture.
En outre, la suppression de la part individuelle du pass Culture mettrait une partie du secteur culturel, notamment les librairies, en grande difficulté. Il est bon que nous les soutenions au travers de ce dispositif.
Depuis le 15 janvier dernier, la région Grand Est expérimente le pass Culture ouvert à tous. Les résultats probants de ce dispositif, du point de vue tant de la réduction des inégalités que de l'accès à la culture et aux métiers de la culture, montrent qu'il faut au contraire persévérer dans cette voie, monsieur le rapporteur général. Je suis donc défavorable à l'amendement n° II-3.
Je me bats par ailleurs non seulement pour maintenir les crédits alloués au pass Culture au niveau de 2025, mais également pour les augmenter, monsieur le sénateur Kulimoetoke. Aussi, tout en souscrivant à votre objectif, je vous demande donc de bien vouloir retirer l'amendement n° II-2230 rectifié, au profit du travail que nous pourrons mener dans le cadre de la navette parlementaire.
Je suis enfin défavorable à l'amendement n° II-2130.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. Permettez-moi d'exposer les raisons pour lesquelles le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s'opposera à l'amendement n° II-3.
Sur le fond, j'estime tout d'abord préférable de remettre à plat le dispositif du pass Culture, de manière à évaluer et à accompagner les évolutions mentionnées par Mme la ministre que, pour ma part, j'estime positives.
Sur la forme, il me paraît très dangereux d'effectuer une coupe « sèche » de 87 millions d'euros, alors que les jeunes qui bénéficient du dispositif pourront encore exercer leur droit de tirage durant trois ans. Le ministère devra donc abonder les crédits du pass Culture en conséquence, au détriment forcément de l'action territoriale de l'État, autrement dit, des Drac, et, partant, de nos collectivités locales.
Une telle décision devrait enfin, à mon sens, être précédée d'une étude d'impact, en particulier pour les librairies et les cinémas, auxquels nous enverrions un très mauvais signal.
En tout état de cause, j'estime très dangereuse la suppression sèche de la part individuelle du pass Culture que vous proposez, mon cher collègue. Nous nous opposerons donc à cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je remercie tous les collègues qui s'investissent sur ce sujet.
Moi qui suis d'ordinaire d'accord avec le rapporteur général, je suis, cette fois, opposé à la coupe de 87 millions d'euros qu'il nous propose. Je puis en effet témoigner de l'investissement, et même du dévouement, dans le département des Ardennes, dont je suis élu, de nombreux bénévoles et élus en faveur de la lecture publique et de nos librairies, notamment dans les QPV.
Nous devons soutenir l'accès des jeunes à la culture, à l'écrit et à la lecture, ainsi que les professionnels de la culture qui galèrent.
Je suis donc défavorable à l'amendement n° II-3.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour explication de vote.
M. Max Brisson. Le rapporteur spécial ne l'ayant pas vraiment fait, je vais étayer l'avis favorable de la commission des finances et défendre l'amendement de Jean-François Husson ; je serai donc, et c'est rare, en désaccord avec vous, madame la ministre.
Nous avons l'art, dans ce pays, de mettre un terme à ce qui fonctionne et de préserver ce qui ne fonctionne pas.
La part individuelle du pass Culture a dysfonctionné ; cela a été un échec. Pendant des années, le Gouvernement a défendu, en évoquant toutes sortes de raisons, le maintien du service national universel (SNU), jusqu'à la suppression progressive de ce dispositif ; eh bien, vous êtes en train d'en faire autant avec la part individuelle du pass Culture, madame la ministre. Je rappelle que le groupe Les Républicains est favorable à la part collective du pass Culture.
Nous nous interrogeons en outre sur les raisons qui justifient l'existence d'un opérateur d'État pour gérer ce dispositif. Le véritable enjeu est de bâtir une politique d'accès à la culture, en particulier au livre.
M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !
M. Max Brisson. Or la part individuelle du pass Culture est tout sauf une politique publique d'accès au livre.
En tout état de cause, je rappelle que la commission d'enquête sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l'État du Sénat a pointé l'inutilité de la société pass Culture.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos, pour explication de vote.
Mme Laure Darcos. Je défendrai une position exactement inverse de celle de M. Brisson.
Le syndicat de la librairie française indique que si, dans un premier temps, les jeunes ont eu la tentation de n'acheter que des mangas, ils achètent désormais d'autres types de livres, et ce dans toutes les librairies, y compris les plus reculées de notre territoire.
Je le dis d'autant plus sereinement que j'étais moi aussi sceptique, lors de l'instauration du pass Culture, quant à l'octroi d'un chèque consommation.
Il faut toutefois marcher sur les deux jambes que sont la part collective et la part individuelle de ce dispositif.
J'étais par ailleurs très critique, après la publication du rapport intitulé Premier Bilan du pass Culture de la Cour des comptes, quant à la gouvernance de la société pass Culture, monsieur le rapporteur général, mais la nouvelle présidente de cette instance a remis de l'ordre dans la direction de sa structure, si bien que de grands progrès ont été réalisés.
Je vous remercie donc, madame la ministre, d'avoir autant soutenu le pass Culture en réponse à notre rapporteur général.
Dans sa très grande majorité, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera contre l'amendement n° II-3.
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde, pour explication de vote.
Mme Christine Lavarde. Je suis très inquiète pour les librairies : si ce secteur ne survit que par une politique du chèque, il en effet doit sérieusement s'interroger sur son avenir !
Mme Laure Darcos. Nous parlons des jeunes !
Mme Christine Lavarde. Nous sommes un certain nombre à déplorer notre État complexe et tentaculaire (Mme Laure Darcos s'exclame.) ; le Premier ministre lui-même a lancé une mission « État efficace » !
Or, au 1er janvier 2026, un service à compétence nationale va devenir un opérateur de l'État. Il faut reconnaître que ce service à compétence nationale a fait des efforts d'ouverture ; il propose désormais une application pour smartphone et un site internet très détaillé.
Il est toutefois regrettable que sur la seule page d'accueil dudit site, on relève quatre mots en anglais. Je veux bien que l'on s'efforce de parler aux jeunes, mais j'estime que sur un site internet développé par l'État, a fortiori dans le domaine de la culture, nous pourrions faire l'effort de n'utiliser que des mots de notre langue. Sinon, à quoi bon nous efforcer de promouvoir la francophonie, que nous évoquions hier lors de l'examen d'une précédente mission ?
M. Max Brisson. Très bien !
Mme Christine Lavarde. En tout état de cause,…
Mme la présidente. Il faut conclure !
Mme Christine Lavarde. … si, dans les conclusions de la commission d'enquête susvisée, nous ne préconisions nullement la suppression de la part collective du pass Culture,…
Mme la présidente. Votre temps de parole est épuisé !
Mme Christine Lavarde. … nous estimions que son volet individuel pose de véritables difficultés.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Lafon, pour explication de vote.
M. Laurent Lafon. Nous avons longuement débattu de ce sujet au sein de la commission de la culture. À titre personnel, je ne suis pas très favorable à la part individuelle du pass Culture. Néanmoins, si le principe de la suppression de ce dispositif ne me choque donc pas, j'estime que cela ne peut se faire d'un coup, sans prendre en compte les conséquences d'une telle décision.
Il nous faut tout d'abord assumer les engagements pris, c'est-à-dire les conséquences budgétaires du droit de tirage qu'évoquait Sylvie Robert.
Ensuite, que vous le veuillez ou non, mes chers collègues, la suppression de la part individuelle du pass Culture emporterait des conséquences économiques ; l'argent ne reste pas dans la poche des jeunes, il va au secteur culturel. Et, oui, le secteur du livre a besoin d'être soutenu, car le prix du livre est encadré par la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, dite loi Lang ; or je ne sais pas comment peut fonctionner une économie marchande avec un prix bloqué sans un soutien public.
À l'heure où nous demandons, via plusieurs politiques publiques – lutte contre les écrans, soutien aux librairies indépendantes ou animation de nos centres-villes –, la relance la lecture,…
Mme la présidente. Veuillez conclure !
M. Laurent Lafon. … j'estime que l'on ne peut pas supprimer la part individuelle du pass Culture du jour au lendemain.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Permettre à des jeunes de s'acheter ce qu'ils veulent ne constitue pas, à mes yeux, une politique publique. (M. Max Brisson applaudit.) La culture suppose l'éducation, elle exige un accompagnement.
Néanmoins, les librairies ne sont pas des entreprises comme les autres, madame Lavarde, ce sont des institutions culturelles, qui ne peuvent pas vivre sans argent public.
Mme Christine Lavarde. C'est tout de même un véritable problème si elles ne tiennent que grâce à cela !
M. Pierre Ouzoulias. Je souscris donc aux propos du président Lafon : par l'adoption de l'amendement n° II-3, nous mettrions les librairies en grande difficulté. Il faut donc réfléchir à une autre solution.
Je souhaiterais donc que, en coordination avec les Drac, vous lanciez un véritable programme de promotion de la lecture, madame la ministre. C'est en effet dans les territoires, en proximité, qu'un tel programme pourra être conduit de manière pertinente, et non à l'échelon national, par le biais d'un opérateur qui n'est, je suis désolé de le rappeler, qu'un greffon élyséen.
Mme la présidente. La parole est à Mme Karine Daniel, pour explication de vote.
Mme Karine Daniel. Je crois que nous nous accordons sur la nécessité de supprimer « proprement » la part individuelle du pass Culture, mes chers collègues.
Je crois aussi que nous nous accorderons pour dire que, au regard de nos inquiétudes concernant l'usage des écrans ou les pratiques culturelles des jeunes, il est nécessaire de renforcer les politiques publiques en faveur de l'éducation artistique et culturelle.
Le problème, c'est que la centralisation entraînée par la part collective du pass Culture a parfois encouragé les collectivités locales à se désengager en matière culturelle. Soyons donc particulièrement vigilants à ce sujet, en accroissant le budget de l'EAC. J'observe néanmoins que les crédits alloués à ce dispositif au sein de la mission « Enseignement scolaire » n'ont pas été réellement préservés et nos amendements visant à en augmenter les crédits n'ont pas été adoptés ; je le regrette.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.
M. Michel Canévet. Je remercie pour ma part le rapporteur général d'avoir mis le sujet sur la table.
En vous écoutant, mes chers collègues, je mesure que personne n'entend remettre en cause un certain nombre de politiques publiques qui sont financées à coups d'emprunts et qui pèseront sur les générations futures. Il est temps que chacun prenne conscience de la situation dans laquelle nous nous trouvons et se convainque que l'on ne peut pas continuer ainsi.
En particulier, l'État ne peut pas continuer à mener des politiques publiques qui sont déjà portées par les collectivités territoriales. Ce n'est plus possible ! Il est temps de faire confiance au terrain et de confier aux élus locaux toutes les politiques de proximité qui ne peuvent être adéquatement conduites que localement, en lien direct avec les populations. L'État, lui, n'est pas outillé pour cela.
Aucune proposition n'étant formulée, le rapporteur général prend ses responsabilités et nous propose la meilleure méthode pour avancer, puisqu'il nous oblige à nous poser les bonnes questions et à évoluer.
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Chevalier, pour explication de vote.
M. Cédric Chevalier. J'entends bien qu'il faut évaluer et modifier le dispositif, mais quel message envoyons-nous à la jeunesse, mes chers collègues ? Nous parlons de réduire les impôts ou la dette, parce que nous voulons épargner notre jeunesse, mais dès que nous rabotons des crédits, c'est la jeunesse qui paie !
Il faut savoir ce que l'on veut, mes chers collègues. C'est pour nos jeunes que nous travaillons, et la culture devrait être un élément essentiel de ce travail. Préféreriez-vous que nos jeunes aillent sur Amazon ou sur TikTok ? Est-ce cela la culture, selon vous ?
Je m'opposerai donc à l'amendement n° II-3, car le rabot proposé reviendrait à tuer le dispositif.
Puisque nous parlons de lecture, je vous invite à lire Sois jeune et tais-toi. Le jour où nos jeunes ouvriront ce livre, je vous conseille de vous accrocher à vos fauteuils !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour explication de vote.
M. Jean-Raymond Hugonet. J'écoute notre débat attentivement, et je dois dire que je le trouve quelque peu surréaliste, mes chers collègues.
L'instauration de cet avatar qu'est le pass Culture, créé par qui l'on sait, n'en déplaise à Didier Rambaud, dont je comprends et respecte la position, est à l'opposé de la politique culturelle dont notre pays a besoin. Alors que des dispositifs existent – notre collègue Daniel rappelait à juste titre l'importance de l'éducation artistique et culturelle –, au nom du fait du prince, on fait ruisseler l'argent public et on laisse filer le déficit au profit de ce dispositif. C'est honteux !
Au regard de la situation de nos comptes publics, le seul signal que nous envoyons aux jeunes est qu'avec le déficit que nous leur léguerons, leur avenir sera plus difficile que notre présent, mon cher collègue !
M. Cédric Chevalier. Mais ce sont les jeunes qui paient !
Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia de La Provôté, pour explication de vote.
Mme Sonia de La Provôté. Ce débat est en effet surréaliste, mon cher collègue.
De quoi parlons-nous ? Au travers du pass Culture, c'est de la politique publique d'éducation artistique et culturelle que nous parlons. Le pass Culture n'en est certes qu'un outil, et sa feuille de route doit certes être revue, mais piquer des sous n'a jamais fait office de politique publique, mes chers collègues !
Mme Laure Darcos et M. Cédric Chevalier. Bravo !
Mme Sonia de La Provôté. En matière d'éducation artistique et culturelle, l'accès de nos jeunes à une offre diversifiée est essentiel.
Or les fermetures de librairies indépendantes sont moins nombreuses depuis que le pass Culture existe ; le nombre d'entrées dans nos cinémas, dans nos salles de concert s'en ressent également. C'est bien la preuve que le pass Culture remplit sa fonction !
S'il faut donc sans doute faire évoluer ce dispositif, j'estime que le tuer irait à rebours de tout ce que l'on considère comme utile au renforcement de l'accès des jeunes à la culture.
Mme Laure Darcos. Exactement !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Il y a deux lectures possibles de mon amendement ; on peut me dépeindre comme un dangereux sénateur, tueur de culture et d'avenir, mais j'ai aussi entendu exprimer, sur des travées de gauche, la même préoccupation que la mienne.
Nous parlons d'accès à la culture. Or, avec tout le respect que je vous porte, madame la ministre, j'observe que vous avez recentré le dispositif en faveur des 18 ans et plus. Donc, tous les exemples relatifs à l'accès à la lecture de la jeunesse dans nos villages et nos petites communes perdent de leur pertinence : la part individuelle du pass Culture n'y joue aucun rôle, car ce n'est pas le public concerné ! L'accès des jeunes à la culture passe, dans ces communes, par l'engagement de bénévoles, qui permettent à des bibliothèques municipales d'exister.
En outre, il n'est nullement question, avec mon amendement, de tirer le rideau : certes, il y a une forte baisse des crédits, mais toutes les actions qui sont engagées sont garanties. (Mme Sonia de La Provôté le conteste.) Bien sûr que si, ma chère collègue, il reste plus de 40 millions d'euros !
En tout cas, il faut accepter d'en débattre et il serait bon, madame la ministre, que tout soit mis à plat. Si mon amendement a au moins cette vertu, nous aurons franchi un pas.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre. Je souhaite préciser ma réponse.
Ces dispositifs constituent pour moi un combat qui n'est pas récent. Je n'étais pas encore ministre de la culture que, déjà, nous nous battions pour faciliter l'accès à la culture, notamment à la lecture : rappelez-vous le « quart d'heure lecture » dans les écoles. Il s'agit là, à mon sens, d'un enjeu fondamental, car cela permet aussi l'accès à la citoyenneté. Quand des personnes, y compris celles qui ne savent pas lire, parviennent à accéder à la lecture, elles y trouvent un moyen important d'être intégrées à la société.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Mais il ne s'agit pas du volet individuel du pass Culture !
Mme Rachida Dati, ministre. Monsieur le rapporteur général, soit on discute, soit on se bat. En l'occurrence, mieux vaut discuter, ne croyez-vous pas ?
Lorsque j'ai été nommée ministre, j'avais indiqué, ici, devant vous – je me rappelle en avoir débattu notamment avec le sénateur Ouzoulias –, que, sur la part individuelle, on constatait un certain effet de reproduction sociale, plutôt qu'une réduction des inégalités, et qu'il convenait de mieux cibler le public de ce dispositif. Or c'est exactement ce que vous souhaitez, monsieur le rapporteur général, vous affirmez qu'il faut redimensionner le pass Culture pour mieux cibler le public concerné ; en l'occurrence, le public est constitué des jeunes de 17 à 21 ans.
Pour ce qui est de l'accès à la lecture, le pass Culture le favorise de manière importante. Nous nous sommes renseignés sur les livres que les jeunes achètent dans les librairies. Savez-vous quels ouvrages les jeunes achètent prioritairement grâce à la part individuelle du pass Culture ? Les manuels de cours et de révision d'examen.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. C'est parce que vous ciblez la tranche des 17-21 ans et non celle des 16-18 ans.
Mme Rachida Dati, ministre. Telle est la réalité. Doit-on les priver de cela ?
Madame la sénatrice Lavarde, nous n'avons pas besoin du pass Culture pour soutenir les librairies, mais il n'y a rien de mal non plus à les soutenir en favorisant l'accès à la lecture !
Mme Christine Lavarde. Je n'ai rien contre les librairies.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Bien sûr que non !
Mme Rachida Dati, ministre. Il existe des librairies coopératives et associatives, parce que l'accès à la lecture relève d'une responsabilité collective dans certains endroits. Dans les territoires ruraux, ces structures permettent que des publics qui sont très éloignés de la culture puissent accéder à la lecture.
Monsieur le rapporteur général, vous citiez notamment le cas des petits villages ; figurez-vous que l'on recense justement 30 % de bénéficiaires du pass Culture en territoire rural. Faut-il tout arrêter ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Il faut faire différemment !
Mme Rachida Dati, ministre. Nous menons le même combat que vous : réduire les inégalités et à assurer l'égalité des chances.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Nous sommes d'accord.
Mme Rachida Dati, ministre. En outre, pour reprendre les propos du sénateur Chevalier, quel message envoie-t-on à cette jeunesse en lui coupant les crédits sur ce dispositif ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Ne faites pas de caricature !
Mme Rachida Dati, ministre. Non, je n'en fais pas, monsieur le rapporteur général.
Là où je suis d'accord avec vous, c'est sur le fait qu'il serait préférable que l'accès à la culture se fasse par l'éducation : vous avez raison sur ce point.
M. Max Brisson. Mais faut-il un opérateur ?
Mme Rachida Dati, ministre. C'est tout l'enjeu de l'éducation artistique et culturelle ; nous en avions débattu en commission avec le sénateur Hugonet, en évoquant son territoire et la manière dont nous avons déployé l'éducation artistique et culturelle, qui pénètre de plus en plus à l'école. Certains de ceux qui en bénéficient pourront ensuite développer une autonomie culturelle, parce qu'ils auront rencontré la culture par l'école.
Un autre moyen d'être éduqué à la culture est la médiation. J'ai augmenté les crédits qui lui sont consacrés. J'ai reçu les acteurs de l'éducation populaire au ministère de la culture, où ils n'avaient pas été reçus depuis quarante ans. Je leur ai donné les moyens dont ils avaient besoin, l'année dernière ; j'ai tenu mon engagement et j'ai renouvelé ce soutien financier et en postes. Il est important de soutenir cette politique de médiation et d'accès à la culture.
M. Max Brisson. Et l'opérateur ?
Mme Rachida Dati, ministre. Ensuite, vous dites qu'il vaudrait mieux que les mesures visant à favoriser l'accès à la culture s'inscrivent dans la durée. C'est tout l'objet des annonces que mon collègue Edouard Geffray et moi avons faites en conclusion des États généraux de la lecture. Ainsi, nous avons dit qu'il fallait intégrer plus largement la littérature jeunesse dans les programmes, pendant le temps non seulement scolaire, mais aussi périscolaire. Je suis même allée plus loin, en proposant la création d'un fonds qui fonctionnerait sur le principe du pollueur-payeur, en faisant contribuer les réseaux sociaux, afin de financer l'accès à la culture et de renforcer la lecture hors les murs. Voilà une proposition concrète !
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Très bien, mais il ne s'agit pas du pass Culture individuel.
Mme Rachida Dati, ministre. J'ai également mis en place un dispositif : lorsque vous déclarez la naissance de votre enfant à la mairie, vous obtenez une carte de bibliothèque. En un an, la fréquentation des bibliothèques a augmenté de plus de 30 % ; c'est plutôt pas mal ! Nous essayons de déployer une politique publique forte pour faciliter l'accès à la culture.
Mme Christine Lavarde. Nous sommes d'accord, nous n'avons pas d'objection à ce sujet !
Mme Rachida Dati, ministre. Simplement, cette politique se décline en plusieurs volets et la part individuelle du pass Culture en est un. Il serait dommage de rayer d'un trait de plume ce dispositif, qui a permis à de nombreux jeunes et à de nombreux enfants d'accéder à la culture. La part individuelle est complémentaire de la part collective.
C'est pourquoi nous devons mener ce combat ensemble ; c'est le combat de notre famille politique, vous le savez.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. C'est le combat de tout le monde !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° II-3.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Voici, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 118 :
| Nombre de votants | 342 |
| Nombre de suffrages exprimés | 338 |
| Pour l'adoption | 132 |
| Contre | 206 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° II-2230 rectifié.