ALLOCUTION D'OUVERTURE

Michel MERCIER,
garde des Sceaux,
ministre de la justice et des libertés

Messieurs les présidents et procureurs généraux des cours suprêmes,

Monsieur le premier président,

Monsieur le procureur général,

Monsieur le président de la cour de justice de la République,

Mesdames et messieurs les professeurs,

Mesdames, messieurs,

Je me réjouis d'être parmi vous, car le sujet qui nous réunit aujourd'hui est des plus passionnants pour le garde des sceaux que je suis. Cette rencontre internationale, placée sous l'égide de la Cour de cassation et du Sénat, témoigne de la qualité des débats que vous mènerez pendant ces deux jours.

La célébration du bicentenaire du code pénal est l'occasion de porter un regard approfondi et rétrospectif sur le droit pénal français. Vous allez envisager au cours de ces deux journées les questions riches et essentielles de son évolution et de ses problématiques contemporaines. Je souhaiterais évoquer devant vous quelques réflexions autour de ces deux axes.

Il est vrai que ces derniers mois l'attention s'est portée sur le code de procédure pénale, à juste titre évidemment puisque sa réforme est en cours. L'actualité du droit pénal n'est pas moindre ; le code a su intégrer les problématiques nouvelles que posait l'évolution de la société.

Mais pour comprendre ces évolutions et leur portée, et puisque nous fêtons aujourd'hui ses deux cents ans, il nous faut d'abord revenir à l'origine du code. Le code de 1810 a connu un précédent en 1791, une profonde rupture avec l'ancien régime, et, afin de mettre effectivement en oeuvre la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, adoptée deux ans auparavant, il définissait les catégories de peines et entendait prévenir l'arbitraire judiciaire. Le code de 1810 a consolidé ces avancées, retenant trois catégories de peines, opérant ainsi une clarification du droit pénal.

La « codification » du droit pénal, voilà le maître mot : cet effort de mise en ordre du droit pénal a favorisé sa lisibilité et son accessibilité. On sait l'importance de l'accès au droit, la codification favorise la connaissance du droit applicable, et la connaissance des infractions et des peines est un vecteur de sécurité juridique et de confiance dans la norme pénale. La prévisibilité de la sanction est essentielle dans un Etat de droit.

Les grands principes et les objectifs du code pénal nous les connaissons, mais il est important de les rappeler ici : la sanction, tout d'abord, des auteurs d'infraction ; la protection de la société contre ces auteurs d'infraction ; et tout naturellement la protection des victimes. Ces principes ont persisté à travers les évolutions de la matière, ils se sont enrichis de dimensions nouvelles, avec notamment, l'idée de réinsertion des condamnés.

En matière pénale, les évolutions sont considérables : le « nouveau code pénal de 1994 » et l'adoption de très nombreuses lois depuis ont fait bouger les lignes du domaine. Le code de 1994 introduit des mécanismes juridiques nouveaux en droit français : il innove, ainsi, en instaurant la responsabilité de la personne morale. Il clarifie le droit antérieur afin de le rendre plus lisible et mieux défini. Il vient également renforcer le principe d'individualisation, afin d'obtenir la peine la mieux appropriée et de favoriser ainsi la réinsertion des condamnés.

Depuis 1994, de nombreuses réformes sont intervenues pour adapter le droit pénal aux évolutions sociales ; pour prendre en compte les nouvelles menaces et les nouvelles formes de délinquance. La mondialisation, la lutte contre la criminalité organisée ont constitué des défis d'envergure que le droit pénal a su intégrer. Il a su s'enrichir du droit international pour développer de nouveaux instruments juridiques en matière de lutte contre la corruption notamment. La constitutionnalisation des grands principes, l'évolution du droit européen sont venues consolider le socle pénal.

Surtout, et puisque vous m'accueillez ici, il faut le souligner, la Cour de cassation a joué un rôle considérable dans l'évolution du droit pénal, par sa jurisprudence bien sûr mais aussi par ses propositions de réformes.

Il serait bien difficile de passer en revue les réformes, mais ces dernières années ont amorcé des changements que je voudrais souligner. J'en retiendrai les trois objectifs principaux : la lutte contre la récidive dont l'enjeu est considérable ; l'évolution et la diversification des sanctions ; et la protection des victimes.

Amoindrir les risques de récidive a constitué un objectif central du législateur pénal, car la fermeté des sanctions n'est pas tout. Face au risque de récidive de certains criminels, il a fallu concevoir des réponses pénales adaptées notamment pour prévenir les risques les plus graves et empêcher la réitération de crimes. Depuis 2007, des innovations sont intervenues en la matière : ont ainsi été créées la rétention et la surveillance de sûreté et le suivi socio-judiciaire a été amélioré. La sanction sèche mais aussi la sortie sèche des détenus ne suffisent pas, la prise en charge médicale, sociale et psychologique est souvent une nécessité.

L'adaptation de la sanction s'opère aussi dans la diversification des peines à la disposition du juge, la création de peines complémentaires, le travail d'intérêt général, le jour amende sont autant d'instruments qui permettent de moduler la peine.

La protection de la société c'est donc en premier lieu la protection des victimes. Celle-ci est un souci constant du droit pénal, qui intègre progressivement de nouvelles infractions : ainsi, la loi du 9 juillet 2010 reconnaît le harcèlement moral au sein du couple. La sanction c'est aussi la réparation, comme en atteste la création de la sanction-réparation en 2007.

Deux cents ans ont passé, des bouleversements sociaux, économiques, sociologiques se sont opérés et le droit pénal a fait preuve d'une grande adaptabilité. Certains principes cardinaux conservent leur pérennité, la protection de la société et des Français est toujours et doit toujours être au coeur des préoccupations du pénaliste. Un équilibre doit aussi être trouvé pour concilier le principe de sanction et l'objectif de réinsertion. Il faut aussi veiller à la lisibilité et la cohérence du droit pénal, afin de garantir la sûreté de nos concitoyens.

Par ce rapide tour d'horizon, je souhaitais soulever ces quelques grandes problématiques. Ces deux journées augurent de très riches débats et je m'en félicite car ils ne peuvent être qu'une source d'inspiration et d'enrichissement pour l'avenir.

Je vous remercie.

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