Premiers États généraux de la démocratie locale et de la parité



Palais du Luxembourg, 7 mars 2005

Mme Catherine Troendle, sénatrice du Haut-Rhin, maire de Ranspach-le-Bas

De ce qui ressort du débat de ce matin, il y a quatre maîtres-mots : le respect de l'engagement pris ; les exigences personnelles ; le statut de l'élue à faire progresser ; et aussi la déculpabilisation. La culpabilité, c'est celle qui est éprouvée à l'égard des proches : le mari, les enfants, l'entourage, une culpabilité qui est exacerbée par le fait que les femmes n'ont pas le droit à l'erreur, mais également par la sévérité du discours dominant selon lequel les femmes sacrifient leur vie familiale, les tâches quotidiennes telles le ménage, les courses, qui incombent encore largement aux femmes.

Jean Dumonteil : Vous avez vraiment encore l'impression de sacrifier quelque chose en prenant des responsabilités publiques. Et par ailleurs vous dites : nos collègues masculins ne nous font pas beaucoup de cadeaux.

Catherine Troendle : Oui, absolument. Ce ne sont pas vraiment les collègues masculins qui sont ressortis des débats de ce matin, ce sont essentiellement certains partenaires.

Jean Dumonteil : Par partenaires, vous entendez l'administration de l'État par exemple ?

Catherine Troendle : Voilà. Il est ressorti de nos débats qu'il fallait développer à la fois la formation, essentiellement dans certains domaines techniques, comme l'urbanisme. Parce que c'est là, justement, que les femmes sont le plus souvent confrontées à des difficultés, à des remarques peut-être pas très sympathiques, de la part des partenaires, c'est-à-dire des métiers du bâtiment. Je pense également à la DDE (pour ne pas la nommer). Mais il y a un tout petit bémol quand même : de certains témoignages de ce matin, il ressort que, justement, il faudrait développer la formation et l'information qui seraient tout aussi bénéfiques pour nos collègues élus hommes, qui, certains tout à fait discrètement, ont avoué qu'effectivement, eux aussi, ont des lacunes dans ces domaines-là.

Jean Dumonteil : Merci Madame la sénatrice. Nicole Ameline, je rappelle que vous êtes ministre de la parité et de l'égalité professionnelle. Qu'est-ce que vous pensez des difficultés qui viennent d'être soulignées par Mme Troendle ?

Mme Nicole Ameline, Ministre de la parité et de l'égalité professionnelle

Si vous me le permettez, tout d'abord, je voudrais m'adresser au Président du Sénat pour le féliciter et le remercier de cette magnifique initiative.

Je ne sais pas si 1 % des femmes sont fières ou agissent par fierté de représenter la République, mais je trouve que vous représentez, et vous portez magnifiquement, toutes les valeurs et les couleurs de la France.

Je voudrais aussi vous dire combien je suis heureuse d'être parmi vous aujourd'hui et d'avoir entendu le Premier ministre tout à l'heure, dont je salue aussi la conviction personnelle, et puis saluer, si vous me le permettez aussi, Simone Veil, dont le destin et l'action personnelle sont gravés dans l'histoire de la France.

Pour répondre plus particulièrement à votre question, je voudrais quand même vous dire que c'est la société tout entière qui doit s'engager sur l'égalité. Ce que nous constatons effectivement au stade des responsabilités électives n'est que le reflet de ce que nous constatons dans l'égalité professionnelle, ou bien encore dans la vie quotidienne. C'est donc la France, et toutes ses composantes, qui doit s'engager pour qu'à une politique de l'égalité se substitue de plus en plus vite une culture de l'égalité. Cela commence à la maison : 80 % des tâches incombent aux femmes. Nous sommes encore, et le Premier ministre citait tout à l'heure Lamartine, je citerai Rousseau, avec la sphère privée pour les femmes, et la sphère publique pour les hommes.

Il faut absolument que nous progressions à travers l'éducation, à travers l'école, sur ces schémas, en déspécialisant les rôles.

Les femmes investissent la sphère publique aujourd'hui. Elles deviennent des partenaires à part égale, à part entière, du fonctionnement à la fois des institutions, et la République a besoin d'elles, mais aussi de l'économie moderne.

Je voudrais simplement dire que ce ne sont pas les femmes qui sont en retard sur la société, c'est la société qui est retard sur elles.

Il faut donc que nous puissions créer ensemble les conditions de l'accélération du changement. Je suis très attentive à ce que vous avez dit parce que vous faites avancer la République.

Je vous le dis comme je le pense : vous êtes véritablement au coeur de cette avant-garde et vous avez une mission qui dépasse même celle que vous exercez. C'est-à-dire une mission d'exemplarité pour toutes les autres femmes qui, là où elles sont, connaissent aussi des difficultés.

Nous avons tous à faire des efforts, et l'administration doit être exemplaire sur un sujet où d'ailleurs l'égalité est un présupposé, et ce n'est pas tout à fait la réalité. Donc, nous avons à faire progresser les conditions sociales et matérielles de la réussite. Pour cela, je pense que la logistique est essentielle. L'effort sur les modes de garde ; l'effort dans la vie quotidienne, mais aussi dans les entreprises, avec ce que nous espérons voir très rapidement se développer : les crèches interentreprises. Toutes ces facilités sociales, ces innovations sociales au service de l'emploi ou des responsabilités, sont la première condition. La deuxième condition, c'est une évolution dans les mentalités. Les femmes sont des partenaires à part entière aujourd'hui de la vie, et c'est grâce à cette dynamique nouvelle homme-femme que la société avance.

Jean Dumonteil : Merci Nicole Ameline. Le principe de ces états généraux est de ne pas monopoliser la parole à la tribune mais d'avoir une discussion avec vous, élues locales. Il y a des micros qui circulent et c'est le moment de nous faire part de vos réactions ; de vos questions aussi, à celles et ceux qui sont à la table, à la tribune. Et également de nous faire part de vos témoignages sur les difficultés que vous rencontrez ou sur les modifications que vous souhaitez.

Virginie Kles : Je fais partie des 9 % des maires de communes de plus de 3 500 habitants : la mienne en compte 5 500 à peu près, à côté de Rennes, Châteaubourg, en Ille-et-Vilaine. Mon sentiment, c'est que l'on fera progresser les choses en s'investissant dans la vie publique, en y allant. Moi, si j'y suis, je le dis souvent avec le sourire, c'est parce qu'un homme, mon premier adjoint actuel, m'a poussée à y aller, en me disant : « Virginie, tu es capable pour la commune. S'il le faut, pour la commune, tu peux gagner ». On y est allé, on a gagné, et c'est tant mieux. C'est donc bien un homme, je le précise, qui m'y a poussée.

Et, ce que je voulais dire aussi et surtout, c'est que si l'on veut faire avancer les choses, il ne faut pas seulement que nous, les femmes, avancions, et investissions la place, il faut vraiment aussi changer les mentalités, et changer le regard de la société sur les hommes qui, eux, n'y vont pas. Ou sur les hommes qui ne travaillent pas. Ou sur ceux qui choisissent de rester à la maison pour s'occuper des enfants. Et là, il y a vraiment un énorme effort à faire. Je vois bien autour de moi, quand on reçoit des invitations ou des choses comme ça, on a droit parfois à : « Madame ou Monsieur le Maire ». Donc il y a une place à créer pour l'homme si l'on veut que les femmes puissent vraiment investir la vie publique à des hauts niveaux de responsabilité.

Jean Dumonteil : Merci de ce témoignage. On va prendre une autre intervention.

Françoise Barre : Je suis maire de Callas, dans le Var, 1 400 habitants. Je voudrais dire aux femmes et aux enfants qui arrivent, aux jeunes, aux jeunes filles, qu'elles doivent revendiquer une liberté personnelle. Nous ne dépendons de personne. Fini le temps où la femme dépend de l'homme financièrement, parce qu'en effet on la relègue dans sa cuisine. La liberté personnelle, c'est la plus importante des choses. La liberté va nous permettre d'acquérir notre indépendance financière, de ne pas être accrochées à des indemnités. Même si je revendique quand même que ces indemnités augmentent, car elles vont permettre aux femmes de laisser, quelquefois, leur profession pour exécuter leur mandat de maire. Si les femmes peuvent avoir cette liberté dans leur profession, ou dans des acquis financiers, cela leur permettra d'avancer en n'ayant pas comme carotte la multiplicité de mandats par exemple, contre laquelle je lutte. Car les mandats multiples font qu'on ne peut pas correctement remplir sa fonction première, ou deux fonctions peut-être.

Isabelle Bizouard : Je suis maire de Die, dans la Drôme. Une ville de 5 000 habitants dont la population est multipliée par quatre ou cinq en été. Nous avons les fonctions d'une ville de 10 000 à 20 000 habitants. Moi, je voudrais insister sur la nécessité du statut de l'élue. J'ai toujours regretté que, lorsqu'on a voté la parité, nous n'ayons pas en même temps travaillé au statut de l'élue. On précipite les femmes dans la parité et dans un non-statut. Et ça, je pense qu'il nous faut le faire évoluer, que ce soit au niveau des indemnités car, pour ne pas cumuler, et ne pas avoir la course, soit dans sa vie entre la vie d'élue et la vie professionnelle, soit la course aux mandats, il faut une indemnité qui permettre de remplir ses responsabilités. Et il faut aussi, beaucoup plus qu'aujourd'hui, la prise en compte de la garde des jeunes enfants. Ce qui n'est absolument pas prévu dans la dernière loi démocratie de proximité pour les maires. Cela y est pour les adjoints et les conseillers municipaux, mais pas pour les maires.

Anne-Marie Cousin : Maire de Torigni-sur-Vire dans la Manche, et conseillère régionale de Basse-Normandie. J'en profite pour saluer Mme Ameline, qui est de la Basse-Normandie également. Je voulais évoquer un point évoqué ce matin sur la sensibilisation des femmes au désir de se présenter. Nous avions fondé, il y a quelques années, en 1996, une association de femmes élues, indépendamment de tout parti politique, pour aider les femmes à se présenter à des élections. Nous avions commencé par un questionnaire et, à notre grande surprise, nous avions vu que ce n'était pas forcément un barrage familial ou professionnel qui empêchait les femmes de se présenter, mais un manque d'intérêt pour la politique. Et certaines disaient : « C'est un jeu cruel en France, et ce n'est pas notre affaire ». Donc, nous avons fait un grand travail de sensibilisation. Et au cours de ces séminaires, nous avons découvert que les femmes ont vu que c'était leur affaire. C'est leur affaire quand on refait un parking en face d'une école. C'est leur affaire quand on refait des choses dans une commune. Et, effectivement, les femmes ont une approche bien souvent plus pragmatique que les hommes. Je ne dis pas qu'elles gèrent forcément mieux que les hommes : elles gèrent différemment. Mais elles ont une approche très pragmatique, très concrète, et c'est cela qui leur parle le plus souvent. Et c'est cela qui m'intéresse chez les femmes, parce que je vous avoue qu'en tant que maire depuis plusieurs années, maintenant, lorsque je confie une mission à une femme, je ne dis pas qu'elle le fait mieux, mais elle le fait avec une grande motivation. Donc, je voulais seulement vous dire que là, et c'est Platon d'ailleurs qui disait que « priver la démocratie de la moitié de son humanité, c'est la priver de la moitié de son bonheur », on ne peut priver la démocratie de la moitié de son humanité, parce que c'est une chance inouïe pour la démocratie et toutes nos belles communes.

Jean Dumonteil : Merci de votre conviction.

Mireille Régent : Je suis maire d'une commune dans les Vosges, de 258 habitants, qui s'appelle Attignéville. J'aurais simplement souhaité faire une toute petite remarque, mais d'abord commencer par remercier toutes les personnes qui sont à la base de cette superbe journée qui nous permet vraiment d'être reconnues en tant que femmes maires. Ma remarque est la suivante : c'est qu'encore trop d'administrations ne prennent pas en compte dans leurs courriers le fait que nous sommes une femme, et il est un peu ennuyeux de recevoir du courrier avec « Monsieur le Maire ». S'il vous plaît, je vous remercie de nous prendre en considération.

Jean Dumonteil : Merci Madame. Yolande Boyer, vous étiez ce matin la présidente de la commission numéro un. Je vous propose peut-être de faire une synthèse globale sur toutes les difficultés que rencontrent vos collègues.

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