Conférence ministérielle de la francophonie
Rabat, 3 - 5 septembre 2003
Intervention de M. Joël Bourdin, rapporteur sur la contribution francophone au Sommet mondial sur la société de l'information
C'est un grand plaisir pour moi de prendre la parole, au nom de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie, en ma qualité de rapporteur sur les questions de communication et d'information.
L'Assemblée parlementaire de la Francophonie est, comme vous le savez, de par la Charte de la Francophonie, votre assemblée consultative. Acteur à part entière des institutions de la Francophonie, elle s'applique à remplir le rôle politique qu'elle est appelée à jouer au sein de l'Organisation internationale de la Francophonie.
L'une des missions de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie est précisément de rendre des avis sur les principaux dossiers dont se saisissent les instances de notre organisation. Elle entend également assurer pleinement sa fonction de relais des actions et des positions de l'Organisation internationale de la Francophonie auprès des peuples qui sont représentés par les Parlements qui la composent.
C'est à ce titre que, répondant à l'aimable invitation de l'Administrateur général de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie à participer à la Conférence de Rabat, je viens vous présenter les positions de l'APF sur la société dé l'information. J'ai pu exposer, hier, lors de la réunion des experts, nos principales préoccupations et c'est avec satisfaction que j'ai vu certaines d'entre elles discutées et reprises au cours du débat riche et fructueux qui nous a occupés une bonne partie de la journée. Elles figurent désormais dans le projet de la contribution de la Francophonie en vue du Sommet mondial sur la société de l'information.
C'était aussi dans cette perspective que notre secrétaire général parlementaire, mon collègue sénateur, M. Jacques Legendre, avait tenu à adresser un courrier reprenant la réflexion menée sur la problématique de la société de l'information par notre Assemblée, à l'occasion de sa XXIX e session qui s'est tenue à Niamey (Niger) du 6 au 9 juillet dernier.
Au terme de ce préambule, je me réjouis de l'intérêt que l'Administrateur général de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie porte à la réflexion de l'APF en nous invitant à venir la développer devant vous et je l'en remercie. Cette collaboration est aujourd'hui traditionnelle.
A présent, je souhaite vous présenter en quelques mots le point de vue de notre Assemblée.
Comme vous le savez tous, l'intérêt de la Francophonie pour les nouvelles technologies de l'information n'est pas nouveau. Dès 1995, à Cotonou, le sixième Sommet de la Francophonie avait invité les pays francophones à unir leurs efforts pour tirer parti des technologies de l'information et de la communication. Cela avait abouti au Plan d'action sur les inforoutes. La question des technologies de l'information et de la communication a de nouveau été abordée à Hanoï en 1997, puis à Cotonou en 2001, et enfin à Beyrouth en 2002.
Nous nous réjouissons que le projet de la contribution de la Francophonie au Sommet mondial sur la société de l'information commence par affirmer la volonté de la Francophonie de contribuer, par l'intermédiaire de ses représentants, au succès du Sommet. Le projet souligne la nécessité de prendre en considération la dimension du développement économique et social, notamment la fracture numérique, de façon à contribuer à la réduction de la pauvreté, rejoignant ainsi la problématique du développement durable prochainement abordée au Sommet de Ouagadougou. Il préconise la mise en place de cadres législatifs et réglementaires permettant de préserver la propriété intellectuelle et de favoriser la création d'organes de régulation indépendants. Il insiste sur une gestion internationale de l'Internet et la nécessité de lutter contre la cybercriminalité.
Je voudrais maintenant approfondir la présentation de la position du monde parlementaire en reprenant les thèmes prioritaires recensés par la contribution :
1. La diversité culturelle et linguistique
Il s'agit là de l'enjeu central de la société de l'information qui doit, globalement, favoriser le dialogue des cultures.
Nous, parlementaires qui représentons la Francophonie, savons combien il est essentiel pour chacun de pouvoir à la fois s'exprimer et accéder à diverses formes d'expression culturelle. L'APF a été un précurseur dans l'affirmation de la nécessité de favoriser le dialogue des cultures et de garantir la diversité culturelle dans le contexte de la mondialisation et de la menace d'uniformisation qui l'accompagne.
Elle affirme notamment que toutes les sociétés se doivent de soutenir une production culturelle, pour se développer et entrer en communication avec les autres.
C'est la raison pour laquelle l'APF a réclamé, dans son avis sur le dialogue des cultures destiné au Sommet de Beyrouth, un instrument international consacré spécifiquement à la diversité et au dialogue des cultures. D'ici la mise en place de ce nouvel instrument, nous continuons d'affirmer que le respect de la diversité des cultures, le dialogue et la coopération sont les meilleurs gages de la paix. Les parlementaires de la Francophonie préconisent à cette fin des échanges culturels équitables pour que puisse s'établir un véritable dialogue des cultures.
A la base de notre affirmation se trouve la conviction que la diversité culturelle, comme source d'échanges et de créativité, constitue le patrimoine commun de l'humanité et qu'elle doit être reconnue et préservée au bénéfice des générations à venir.
Pour la Contribution francophone, il importe de rapprocher la Francophonie des autres grandes aires linguistiques partageant les mêmes préoccupations. Il convient aussi de pousser au développement des technologies permettant de préserver le patrimoine immatériel, d'écrire des logiciels d'alphabétisation dans les langues locales, de mieux référencer les contenus francophones sur la Toile et d'encourager l'usage de logiciels libres. D'une façon générale, il convient d'encourager la création, le traitement, la diffusion et la conservation des contenus locaux, et d'adapter les contenus généraux de la Toile aux besoins locaux et aux attentes des groupes d'utilisateurs.
2. La démocratie, la bonne gouvernance et la recherche de la paix
Nous sommes heureux de constater que la contribution francophone insiste sur le fait que la société de l'information doit être le vecteur d'un rapprochement entre l'État et les citoyens, d'une modernisation de l'administration et d'un progrès de la transparence de la vie politique. Le respect de la Déclaration universelle des droits de l'Homme et le renforcement de l'exercice des libertés fondamentales, notamment la liberté d'opinion et d'expression, constitue la condition préalable d'une société de l'information démocratique, au bénéfice de tous, sans aucune exclusion, qu'il s'agisse des femmes, des jeunes ou des personnes que leur situation géographique tient à l'écart des nouvelles technologies.
3. Le renforcement des capacités
Cela concerne à la fois le développement de l'utilisation des technologies de l'information et de la communication et l'impact de cette utilisation sur les systèmes éducatifs.
L'APF apprécie l'orientation donnée ici d'encourager l'usage des technologies de l'information et de la communication à grande échelle en développant une nouvelle dynamique « d'alphabétisation numérique ». Elle se réjouit de la stratégie préconisée de renforcer les capacités des populations à devenir productrices, et donc créatrices de richesses, d'adapter les savoirs, de créer des centres locaux de formation de spécialistes, de prendre en considération les besoins des femmes, des jeunes et des populations rurales, d'associer étroitement la recherche scientifique à la formation, de promouvoir l'emploi local des jeunes diplômés et de lutter contre le pillage des talents et l'exode des compétences.
La formation est ici essentielle, l'APF a eu maintes fois l'occasion de le souligner. Nous avons eu hier un large débat sur ce point, qui a montré combien le consensus entre nous tous était fort. A cet égard, la jeunesse constitue un atout par le rôle de médiateur vers les nouvelles technologies qu'elle peut jouer.
Mais il convient également de favoriser l'autonomie technologique des pays francophones du Sud et de l'Est.
J'attire particulièrement votre attention sur l'importance que notre Assemblée accorde à la question de l'autonomie technologique des pays francophones du Sud et de l'Est. A cet effet, il nous paraît important d'encourager le développement de logiciels francophones « libres », d'offrir aux pays francophones les moins avancés des perspectives d'industrialisation numérique, de faciliter l'accès aux ressources libres et gratuites disponibles sur Internet, de multiplier les formations et d'appuyer la mise en place d'espaces publics collectifs d'accès à Internet. Le développement de logiciels francophones devrait faciliter l'accès en français à l'utilisation des logiciels libres. Notre Assemblée souhaite demander à l'Agence universitaire de la Francophonie d'apporter son concours afin de parvenir à ces objectifs, en liaison avec les centres de recherche privés et publics, et de faire périodiquement rapport sur ce sujet à la commission de l'éducation, de la communication et des Affaires culturelles de l'APF.
4. Les médias
Nous nous réjouissons du fait que la contribution de la Francophonie souligne leur caractère essentiel car ils constituent des relais privilégiés. L'information doit donc y être impartiale et pertinente. Dès lors les médias francophones doivent être favorisés et une vigilance accrue doit être portée sur les risques de concentration et d'uniformisation. La liberté d'expression et de diffusion, ainsi que le renforcement de la déontologie doivent accompagner la libéralisation politique.
A cet égard, il nous paraît important - et la contribution le souligne - de rechercher une plus grande synergie entre médias audiovisuels et médias informatiques, en profitant des évolutions technologiques qui tendent à unifier les moyens de transport et de diffusion numériques. Cela devrait permettre de combler plus facilement le retard des pays en développement et de renforcer les effets bénéfiques attendus des nouvelles technologies.
Voici, résumées, les grandes lignes du point de vue de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie que je soumets à votre réflexion avant l'adoption du projet de contribution francophone au Sommet mondial sur la société de l'information et l'adoption des orientations de la Francophonie en matière de société de l'information.
Nous retrouvons dans ce projet les grandes lignes des propositions que notre Assemblée discute dans mon rapport sur le développement durable et les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Je pense donc que l'avis de l'APF sur cette contribution ne peut être que positif.
Avant la journée d'hier, j'avais une inquiétude, car la dimension économique n'apparaissait pas avec suffisamment de force dans l'avant-projet de contribution. Il me paraissait nécessaire d'insister davantage sur les risques de voir les nouvelles technologies de l'information et de la communication creuser l'écart entre les pays riches et les pays les moins avancés. C'est ce que je soulignais dans mon rapport sur le développement durable en prévision du Sommet mondial de Ouagadougou. Nos travaux d'hier m'ont pleinement rassuré. La dimension économique, l'importance du rôle des mécanismes internationaux de financement des infrastructures sont maintenant clairement affirmés. Cela nous permet d'insister davantage sur la formation des jeunes scientifiques, sur le développement du potentiel scientifique de ces pays, la collecte de leurs savoirs locaux et leur mise en valeur par les pays sources eux-mêmes, afin d'éviter que cela ne se retourne contre eux.
La protection des savoirs locaux, de la biodiversité et des savoirs s'y rapportant me paraissent essentiels, afin que ces richesses soient réellement au service de tous et pas seulement de ceux qui ont les moyens de les analyser, de les étudier et de les mettre en valeur.
C'est toute cette richesse culturelle et scientifique, à la base du développement économique et social, que notre contribution sur la société de l'information vise à mettre en valeur.