EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Aujourd'hui, les collectivités territoriales comme la filière culturelle sont dans une situation délicate, héritée partiellement de la pandémie de Covid-19. En effet, les collectivités ont été déterminantes pour endiguer les préjudices économiques et sociaux engendrés par la crise de Covid-19 ; elles ont appuyé l'action de l'État, mis en place des dispositifs spécifiques, notamment afin d'aider les secteurs en difficulté 1 ( * ) , tandis que leur agilité et leur réactivité ont apporté une réponse rapide et efficace pour absorber au mieux les chocs induits par la situation sanitaire et les fermetures administratives.

Cependant, cet investissement n'a pas été neutre pour le budget des collectivités, bien que d'une ampleur moindre que prévue, comme l'a souligné la Cour des comptes dans son rapport sur Les finances publiques locales de 2020. Surtout, l'environnement économique s'est dégradé et apparait encore plus incertain : coût de l'énergie en forte hausse renchérissant le fonctionnement des services publics, remontée des taux d'intérêt qui risque de freiner l'investissement et inquiétudes multiples quant au futur contrat entre l'État et les collectivités.

Pourtant, la dette des collectivités ne représente que 10 % de l'endettement public, témoignant du respect de la « règle d'or » budgétaire et de leur bonne gestion financière. Plus fondamentalement, elles contribuent de manière massive à l'investissement public, facteur qui s'annonce décisif dans le contexte actuel ainsi qu'au regard des enjeux structurels auxquels est confronté le pays.

En matière culturelle, ces enjeux d'investissement sont particulièrement prégnants. En premier lieu, il convient de rappeler que le secteur culturel a été terriblement impacté par la pandémie, et ce, malgré le soutien des pouvoirs publics : entre mars et décembre 2020, le spectacle vivant a subi une perte d'activité de 68 %, le cinéma de 45 % et le patrimoine de 43 % 2 ( * ) . Pour l'ensemble du secteur culturel, la perte d'activité globale s'avère 2,5 fois supérieure à celle de l'ensemble de l'économie. Il s'ensuit que les entreprises ont dû faire face à d'importants chocs de trésorerie qui ont fragilisé durablement leur santé financière, y compris en prenant en compte les mesures d'accompagnement.

Encore en convalescence, la filière culturelle doit aussi affronter une reprise pour le moins incertaine et erratique. Si dans un rapport de novembre 2021, le Sénat en appelait à une « reprise durable et soutenable » 3 ( * ) , elle demeure néanmoins timide et sujette à nombre de questionnements. Les rebonds intermittents de l'épidémie font peser une véritable menace sur les évènements culturels, comme les récentes annulations de festivals et de représentations théâtrales l'illustrent, alors que la percée du numérique, amplifiée par le confinement et les couvre-feux successifs, a accéléré l'évolution des pratiques et des consommations culturelles. En somme, les acteurs culturels ont plus que jamais besoin d'un soutien pérenne, de visibilité et de débouchés afin d'être accompagnés dans cette période de transformation, marquée par la redéfinition de leurs modèles économiques et le nécessaire basculement dans la transition écologique.

Or, les collectivités territoriales sont devenues le principal financeur de la Culture, et cette tendance est en progression constante depuis dix ans. Désormais, près de 70 % de l'investissement public en faveur du secteur culturel, soit 9,5 milliards d'euros (dépenses de fonctionnement et d'investissement intégrées), procèdent des collectivités. C'est singulièrement le cas dans le domaine du spectacle vivant, comme l'a démontré la Cour des comptes dans son rapport de mai dernier, portant sur le soutien du ministère de la culture au spectacle vivant. Cette montée en puissance résulte notamment de l'exercice partagé de la compétence Culture entre l'État et les collectivités territoriales, en vertu de l'article L. 1111-4 du code général des collectivités territoriales (CGCT). Pour autant, si cet exercice conjoint favorise une émulation et une mobilisation des collectivités pour développer les projets culturels à l'échelle de leur territoire, il les rend vulnérables aux conjonctures défavorables et au risque de désengagement cumulatif.

Par conséquent, dans un contexte budgétaire délicat, où les dotations et subventions publiques pourraient diminuer, il se révèle essentiel de développer les instruments au service des collectivités afin de trouver des ressources complémentaires pour maintenir l'ambition des politiques publiques culturelles.

Ainsi, la volonté transpartisane du Sénat d'ouvrir le mécénat culturel aux sociétés publiques locales (SPL) intervenant dans le secteur de la culture, disposition votée dans le cadre du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification (3DS), et dans plusieurs projets lois de finances, prend une acuité toute particulière.

Ces sociétés, dont les collectivités détiennent la totalité du capital selon l'article L. 1531-1 du CGCT, mènent des actions d'intérêt général et font l'objet de contrôles multiples et renforcés : par les services des collectivités (contrôle analogue à celui exercé sur ses propres services), par les cours régionales des comptes, par le contrôle de légalité, par les commissaires aux comptes. Elles ne peuvent agir que pour le compte de leurs collectivités actionnaires et leur groupement en régime "in house" et ne peuvent donc pas créer de filiale. Leur cadre d'intervention se limite aux missions qui leur sont confiées par les collectivités. En d'autres termes, leur régime est très encadré.

Plus précisément, les SPL à vocation culturelle sont présentes dans de nombreux territoires et ont principalement pour objet le spectacle vivant et le patrimoine. Par-delà leur rôle culturel, elles participent des stratégies d'attractivité touristique, lesquelles sont au coeur des enjeux économiques et de rayonnement des collectivités ; car les retombées économiques et sociales des SPL culturelles, de par l'activité qu'elles génèrent, sont précieuses.

D'autre part, le mécénat auquel souhaitent faire appel les SPL culturelles est très majoritairement un mécénat de proximité, composé de TPE, PME et d'ETI installées sur leur territoire d'intervention. D'ailleurs, il convient de souligner qu'en France, 97 % des entreprises mécènes sont des TPE/PME et 81 % d'entre elles privilégient des projets territoriaux. En volume, le poids des PME dans le mécénat est passé de 12 % en 2010, soit 118 millions d'euros de dons déclarés, à près de 20 % en 2020, pour un don médian situé autour de 4100 euros 4 ( * ) . Plus spécifiquement, 80 % des entreprises mécènes dans le secteur culturel s'engagent au niveau local, pour un don médian situé autour de 7900 euros -étant précisé que la culture et la préservation du patrimoine sont le deuxième domaine d'action privilégié des entreprises, après le sport.

L'ouverture du mécénat aux SPL culturelles présente donc un intérêt convergent : il favorise l'engagement territorial, sociétal et culturel des TPE/PME, tout en aidant les SPL culturelles à développer de nouveaux partenariats avec le tissu économique local, en vue de concrétiser des projets d'intérêt général et de renforcer l'attractivité des territoires. In fine, il s'agit d'un système vertueux, gagnant/gagnant.

C'est pourquoi, l'article unique de cette proposition de loi vise à permettre aux SPL d'accéder au mécénat culturel, dans le cadre juridique existant fixé au e) de l'article 238 bis du code général des impôts.

Sans créer de dispositif ad hoc, il s'agit de reproduire celui prévalant pour l'État qui, lorsqu'il est actionnaire au sein de sociétés de capitaux, « seul ou conjointement avec une ou plusieurs collectivités territoriales » , peut y recourir. En élargissant cette faculté aux seules collectivités qui s'associent entre elles, dans le cadre de SPL culturelles, il s'agit de leur faire confiance, dans une logique décentralisatrice et au nom d'une ambition culturelle affirmée.

Le II de l'article unique garantit la recevabilité financière de cette proposition de loi.


* 1 cf la contribution du groupe de travail sur l'impact du Covid-19 sur les collectivités locales , Délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale, juin 2020

* 2 Crise sanitaire dans le secteur culturel. Impact de la pandémie de Covid-19 et des mesures de soutien sur l'activité et la situation financière des entreprises culturelles en 2020 , Julien Giorgi et Suzanne Scott, Département des études, de la prospective, des statistiques et de la documentation du ministère de la Culture, Janvier 2022

* 3 Convertir le plan de relance en une reprise durable et soutenable , rapport d'information fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, Sonia de la Prôvoté et Sylvie Robert, novembre 2021.

* 4 Baromètre du mécénat d'entreprise en France , Admical & IFOP, novembre 2020.

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