Proposition de loi tendant à créer des fondations agréées d'intérêt général
N°
408
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2001-2002
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 3
août 2002
Enregistré à la Présidence du Sénat le 26
septembre 2002
PROPOSITION DE LOI
tendant à créer des
fondations
agréées
d'intérêt
général
,
PRÉSENTÉE
Par M. Philippe MARINI,
Sénateur.
( Renvoyée à la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation , sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement ).
Fondations. |
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente initiative ne saurait se substituer à la grande loi
sur les fondations que la plupart des juristes appellent de leurs voeux, mais
procède d'une approche empirique et s'inscrit dans une perspective
essentiellement économique et financière.
Elle tend à mettre en place un cadre minimum permettant, sans
révolution juridique, à la collectivité nationale de
libérer les énergies altruistes, actuellement
étouffées par une fiscalité trop présente et trop
pesante.
Avec un taux de prélèvements obligatoires de 45 %, la France
est un des pays de l'Union européenne dans lesquels les agents
économiques supportent les charges les plus lourdes. Malgré les
initiatives déjà prises et les orientations annoncées par
le Gouvernement, il y a là un frein à l'initiative et donc
à l'emploi et à la croissance.
Il est clair que deux obstacles rendent le processus de réduction des
prélèvements obligatoires particulièrement
difficile dans notre pays :
1°) l'importance des besoins à satisfaire dans une
société qui se doit d'apporter à tous non seulement
sécurité et liberté mais encore santé,
éducation et culture ;
2°) la conviction profondément ancrée dans l'opinion et
comme enracinée dans notre culture politique nationale, selon laquelle
il n'est de bons impôts que les impôts fortement progressifs et
qu'un bon système fiscal se doit de corriger substantiellement
ex
post
la distribution des richesses en tenant compte aussi bien des revenus
que du capital.
Il y a là un défi majeur qui appelle des réponses
économiques et politiques globales, même si des avancées
ponctuelles sont possibles. De ce point de vue, le développement du
mécénat individuel paraît une des voies à explorer
pour
concilier
la nécessité d'une
diminution des
prélèvements obligatoires
dans un monde ouvert et celle de
satisfaire un nombre toujours plus diversifié de besoins sociaux sans
augmenter
et même en diminuant
les dépenses publiques
.
La solution proposée consiste à
systématiser
, pour
deux impôts particuliers, en l'occurrence
les droits de mutation et
l'impôt sur la fortune
,
les avancées
réalisées en matière d'impôt sur le revenu
avec
l'extension progressive du champ des possibilités offertes par l'article
200 du code général des impôts.
L'idée directrice de cette proposition de loi est de mobiliser un
potentiel de générosité, dont on a des raisons de penser
qu'il n'est pas inférieur en France à ce qu'il est dans d'autres
pays et notamment outre-Manche et outre-Atlantique.
S'appuyant sur le levier fiscal, la présente proposition de loi a pour
ambition de relancer un mécénat individuel qui fait cruellement
défaut à notre pays : la France se caractérise par
cette propension au « tout État » en matière
de biens et de services collectifs, alors que, dans d'autres pays, l'initiative
privée y pourvoit de façon significative sur la base de
contributions volontaires et que leur financement ne repose pas exclusivement
sur des prélèvements obligatoires.
Dans une conjoncture budgétaire restrictive, il a paru nécessaire
d'adopter une démarche prudente dans laquelle la liberté
d'initiative en faveur de l'intérêt général devait,
compte tenu de l'importance des avantages fiscaux, se conformer à un
dispositif assez strict, encadrant l'initiative privée par des
règles du jeu fixées et contrôlées par
l'État.
Aussi, s'agit-il ici de conférer un maximum de liberté et de
visibilité dans l'action pour la personne fondatrice, tout en
garantissant que l'intérêt de l'État est
préservé par un souci d'assurer la lisibilité de la
dépense fiscale et la cohérence de l'action publique.
Sur un plan technique, il est proposé de recourir à une
architecture
qui a fait ses preuves, celle
des fondations
abritantes et abritées
- en réalité ces
dernières sont des « fonds » sans
personnalité morale -, qui s'est développée principalement
sous l'égide de la Fondation de France, mais dans un
esprit plus
décentralisé
.
Au système de « guichet unique », axé autour
d'une fondation nationale reconnue d'utilité publique, il convient de
préférer un système d'esprit plus libéral, de
nature à favoriser les initiatives les plus diversifiées.
Le recours obligatoire, pour le candidat fondateur, à la Fondation
reconnue d'utilité publique classique n'est pas apparu indispensable,
dès lors qu'une bonne part de l'apport consiste en fait en une
participation de l'État par le biais d'une réduction
d'impôt, que l'intérêt public est garanti par le
rattachement de la fondation abritante à un établissement public
ou à une association ayant déjà fait ses preuves, et que
la dotation ne peut prendre la forme que de numéraire ou de titres
cotés, c'est-à-dire d'actifs liquides.
Un
simple agrément ministériel émanant conjointement
des ministres de tutelle de l'établissement de rattachement et du
ministre des finances
, a paru suffisant pour garantir ce qui s'analyse en
définitive comme une reconnaissance fiscale du caractère
d'intérêt général d'une initiative privée.
Le choix d'une
formule
ad hoc
, une nouvelle catégorie de
fondation, que l'on propose de qualifier de
« fondation
agréée d'intérêt
général »
, permet d'
éviter les confusions
avec la logique patrimoniale traditionnelle et de ne pas créer
d'interférences avec l'action des fondations actuelles
et notamment
de la Fondation de France,
qui doivent trouver dans la nouvelle formule non
un concurrent mais, éventuellement, un partenaire voire un nouvel
outil
.
Les conditions d'agrément restent discrétionnaires mais elles
sont subordonnées à la
conformité des statuts à
des modèles types de nature réglementaire
qui doivent
arbitrer entre la liberté que l'on veut reconnaître à la
personne fondatrice et les préoccupations de l'État.
C'est ainsi que la fondation abritante devrait avoir des organes assurant un
juste équilibre entre les personnes à l'origine de la
création d'un fonds spécifique et les représentants de
l'institution de rattachement, tandis que les organes du fonds pourraient
comporter obligatoirement un double niveau d'administration : d'une part,
le conseil des fondateurs, constitué des personnes physiques fondatrices
ou des personnes désignées par elles pour veiller à
l'exécution de leurs volontés, d'autre part un
comité
de gestion composé d'une majorité de personnalités
indépendantes
.
On remarque la souplesse d'un
système dans lequel l'agrément
porte davantage sur la structure porteuse que sur les initiatives
individuelles
, qui pourront prendre des formes variées y compris de
fondations à dotations consomptibles. Dans ce dernier cas, le
montant
minimal de la dotation
pourrait être placé par les statuts
à un niveau relativement bas de l'ordre de 50 000 €, tandis
que les fonds à dotations pérennes pourraient se voir imposer des
niveaux plus élevés, variables selon les secteurs, de l'ordre de
150 000 €.
Les nouvelles fondations agréées d'intérêt
général suivraient en ce qui concerne leur fonctionnement, le
régime fiscal et social des fondations et associations reconnues
d'utilité publique.
L'action des différents fonds sera soumise aux
contrôles
a
posteriori
de la Cour des comptes ou des inspections sectorielles de
l'Administration
. En cas de dissolution du fonds abrité, notamment
en cas d'action non conforme à la convention constitutive du fonds
passée avec la fondation abritante, l'argent reviendrait directement
à l'institution de rattachement.
Du point de vue de la personne ayant la volonté de fonder, le
système du fonds abrité est la formule la plus souple, qui lui
procure
liberté de choix de l'objet de la fondation
- dans la
limite de la demande exprimée par des institutions publiques ou
assimilées de rattachement -, et
visibilité de l'acte de
fondation
, puisque, comme cela est prévu dans l'article 20 de la
loi de 1987 relative au mécénat et à l'article 9 de la loi
du 2 juillet 1996 créant la Fondation du patrimoine,
il serait
possible à la personne donatrice de signaler ses actions sous le label
« Fondation »
.
Du point de vue de l'État, le système garantit par le choix du
rattachement de la fondation abritante à un établissement ou
un organe accomplissant déjà une mission d'intérêt
général
en matière d'action sociale, de santé
publique, de culture ou d'éducation et de recherche, une
cohérence des initiatives avec celles des institutions existantes
et une
lisibilité de la dépense fiscale
, puisque celle-ci
sera naturellement ventilée par domaine d'activité.
A cela s'ajoute l'introduction par le biais de ce système, d'une
nouvelle logique de financement des actions collectives, puisqu'aux
financements classiques de l'État par la voie budgétaire qui sont
soumis à des contraintes bien connues, pourrait se substituer
progressivement un
système de financement mixte
dans lequel les
organismes devront trouver des soutiens privés, naturellement attentifs
aux performances et aux résultats obtenus. Il y a là l'amorce
d'un changement des circuits de financements qui s'inscrit dans le cadre de la
réforme de l'État.
L'importance de l'avantage fiscal peut donner lieu à discussion. Les
précédents vont de 50 % pour l'impôt sur le revenu
à 90 % pour l'acquisition de trésors nationaux. Dans le cas
présent, il a paru possible de partir sur une
base relativement
incitative
: une
réduction d'impôt égale
à 75 % du don
dans la limite de 25 % de l'impôt
dû
, que ce soit pour les droits de mutation à titre gratuit ou
l'impôt sur la fortune et sans que la remise de titre cotés puisse
être à l'origine de plus de la moitié de la
réduction d'impôt.
L'importance de l'avantage fiscal se justifie, s'agissant d'un système
consistant à favoriser l'apparition de
fonds de concours
privés à des actions d'intérêt général
et
comportant un effet de levier
puisque seuls 75 % du don sont
déductibles, et que
le mécanisme suppose donc l'apport
d'argent supplémentaire.
Ainsi, vous est-il proposé de donner un nouvel élan aux
fondations qui ont montré dans d'autres pays, par exemple, en Europe
continentale, en Belgique, en Suisse ou en Hollande, qu'elles pouvaient jouer
un rôle essentiel dans la satisfaction de besoins collectifs.
A terme, l'idée est de
développer une culture du
mécénat individuel
, comme il en existe aux États-Unis
et dans le monde anglo-saxon en général, où l'on voit les
hommes d'affaires reconnaissants à la société de leur
avoir permis de réussir, doter généreusement leurs
universités ou leurs laboratoires de recherche.
Nul doute que les universités, les centres de recherche, les
hôpitaux, les oeuvres charitables, le patrimoine monumental et
artistique, les musées et beaucoup d'autres domaines, notamment en
matière d'analyse économique, auraient beaucoup à gagner
pour pouvoir élargir leurs moyens d'actions, qui en dotant une chaire,
un laboratoire ou un centre de débats et de publications, qui en
achetant une oeuvre d'art ou en construisant un centre d'accueil...
L'enjeu est aussi qualitatif, car cela rendrait possible le contournement de
certaines rigidités administratives en permettant notamment à
certains organes de recherche et d'enseignement, d'être pleinement
compétitifs pour attirer les talents exceptionnels. A cet égard,
une attention particulière doit être portée à la
recherche et aux débats en matière économique ou
financière. Les excellentes compétences dont dispose notre pays
en ce domaine, sont en effet aujourd'hui, pour l'essentiel, le fait
d'organismes financièrement dépendant de l'État, de
groupes d'intérêts et de grands établissements financiers.
Le caractère très sensible des prévisions de croissance
illustre, à cet égard, l'opportunité de renforcer la
neutralité et l'indépendance des avis sur lesquels une politique
économique peut s'appuyer.
Puisse cette initiative contribuer à
faire évoluer la
société française vers plus de responsabilité et de
solidarité
individuelles
en favorisant le remplacement d'une
fraction - certes quantitativement limitée mais marginalement
significative - des prélèvements obligatoires par des
contributions volontaires, donnant un contenu concret à l'idée
qu'un contribuable puisse, pour une petite partie de sa cotisation,
préférer l'impôt choisi à l'impôt subi
.
PROPOSITION DE LOI
Article 1
er
I. -
Après l'article 1039 du code général des impôts, il
est inséré une division additionnelle ainsi
rédigée :
« 2°
bis
Fondations agréées
d'intérêt général
«
Art. 1039-0-A.
- Les fondations agréées, dont les
buts présentent un caractère d'intérêt
général au sens de l'article 200, ayant pour objet exclusif de
concourir à l'activité de services ou d'établissements
publics ou d'organismes reconnus d'utilité publique, nommément
désignés, intervenant en matière d'éducation, de
recherche, de culture ou d'action humanitaire, sont autorisées à
constituer, au nom de personnes physiques, des fonds privés en vue de la
réalisation d'une oeuvre d'intérêt général et
à but non lucratif. L'agrément est délivré
conjointement par le ministre des finances ainsi que par le ou les ministres de
tutelle des organismes désignés ci-dessus.
« Les dotations des fonds privés d'intérêt
général abrités par les fondations agréées
en application de l'alinéa précédent, peuvent prendre la
forme de versements en numéraire ou de remise de titres cotés.
« La constitution de la dotation ouvre droit pour les personnes
physiques fondatrices à une réduction d'impôt dans les
conditions prévues par les articles 787 B et 885 V
ter
.
« Lorsque les dons ou engagements de dons constituant la dotation
dépassent un montant fixé par les statuts, les actions
financées par le fonds peuvent porter la mention du nom patronymique de
la personne physique à l'origine de sa création,
précédé du mot fondation.
« Le statut des fondations agréées
d'intérêt général est conforme à un statut
type qui tient compte de la nature de l'activité des
établissements ou des organismes reconnus d'utilité publique de
rattachement, notamment dans la fixation des montants minimaux des dotations
nécessaires à la constitution d'un fonds et dans la fixation de
la rémunération de la fondation agréée qui ne peut
excéder les charges réellement engagées pour la gestion du
fonds.
« Un décret en Conseil d'État précise les points
qui doivent figurer dans la convention entre une fondation et la ou les
personnes physiques procédant à l'acte de fondation. Il
détermine la composition des organes de gestion du fonds et, notamment,
la répartition des compétences entre un conseil d'orientation
chargé de veiller au respect des intentions de la ou des personnes
auteurs de l'acte de fondation, et un comité de gestion dont la
majorité des membres doit être indépendante de ces
dernières. Il fixe les règles applicables en cas de dissolution
d'un fonds qui doivent prévoir le transfert à l'organisme de
rattachement de la fondation, de la part de la dotation du fonds ayant ouvert
aux personnes auteurs de l'acte de fondation, le bénéfice des
articles 787 B et 885 V
ter
.
« Pour l'exercice de leurs activités statutaires, les
fondations agréées supportent les prélèvements
sociaux et fiscaux dans les mêmes conditions et suivant les mêmes
modalités que les associations reconnues d'utilité publique.
Elles sont soumises à la Cour des comptes dans les conditions et suivant
les modalités prévues à l'article L.111-8 du code des
juridictions financières, ainsi qu'aux obligations comptables
prévues au II de l'article 5 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987
sur le développement du mécénat.
II. - Un décret en Conseil d'État fixe les modalités
d'application du présent article. »
Article 2
Après l'article 787 A du code général des
impôts, il est inséré un article additionnel ainsi
rédigé :
«
Art. 787-B.
- Les héritiers, donataires ou
légataires peuvent bénéficier d'une réduction des
droits de mutation à titre gratuit égale à 75 % des
versements ou remises de titres cotés qu'ils effectuent en faveur des
fonds privés d'intérêt général
rattachés à une fondation agréée en application de
l'article 1039-0-A, sans que la réduction d'impôt ne puisse
être supérieure à 25 % des droits dus au titre d'une
même mutation et résulter pour plus de la moitié de la
remise de titres cotés. »
Article 3
I. -
Après l'article 885 V
bis
du code général des
impôts, il est rétabli un article 885 V
ter
ainsi
rédigé :
«
Art. 885 V
ter. - Les personnes soumises à
l'impôt annuel de solidarité sur la fortune peuvent
bénéficier d'une réduction d'impôt égale
à 75 % des versements ou remises de titres cotés
effectués en faveur des fonds privés d'intérêt
général rattachés à un organisme
agréé en application de l'article 1039-0-A, sans que la
réduction d'impôt ne puisse être supérieure à
25 % des droits dus et résulter pour plus de la moitié de la
remise de titres cotés. »
II. - Un décret en Conseil d'État fixe les modalités
d'application du présent article.
Article 4
Les pertes de recettes résultant des dispositions ci-dessus sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.