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N° 749

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 juin 2016

PROPOSITION DE LOI

relative au référencement des productions des agences de presse et tendant à créer un droit voisin à leur profit ,

PRÉSENTÉE

Par M. David ASSOULINE,

Sénateur

(Envoyée à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les agences de presse sont régies par une ordonnance de novembre 1945 qui leur attribue un statut particulier. Ce statut est protégé depuis la loi 70-946 du 19 octobre 1970 afin que nulle entreprise ne puisse se prévaloir de l'appellation « agence de presse » sans en avoir été préalablement autorisée. Les agences de presse sont inscrites sur une liste publiée au Journal Officiel ; on en dénombre actuellement quelques 240 en France, employant au total plus de 10 000 salariés.

Les agences de presse initient et participent, aux côtés de leurs collaborateurs journalistes et photographes, au travail intellectuel qui préside à la création de leurs productions. Elles assument donc une part de cette création intellectuelle à titre professionnel, en tant que responsables du traitement journalistique et sont officiellement reconnues à ce titre.

Au total, les agences de presse produisent, chaque année, plus de deux millions d'articles et dépêches, trois millions de photographies, 36 000 infographies et vidéos.

Les agences de presse fournissent ces informations, sous toutes leurs formes, aux éditeurs de presse principalement pour une utilisation limitée dans le temps, à titre exclusif ou non.

Ces licences concédées par les agences de presse aux éditeurs de presse n'emportent pas droit, pour un moteur de recherche ou un agrégateur de contenu, à les reproduire séparément sur ses pages.

Or, les moteurs de recherche en particulier reproduisent et diffusent, comme libres de droits, sur leurs propres pages, des millions de textes, de photographies, de vidéographies sans licence, ce qui cause, de fait, un préjudice patrimonial considérable aux agences de presse et à leurs auteurs. Ces moteurs de recherche sont devenus de véritables banques d'information, en exploitant un contenu qu'ils n'ont pas créé et pour lequel ils ne versent aucune rémunération.

Il est donc primordial de créer un droit voisin au profit des agences de presse, couvrant toutes les activités d'intermédiation dans la communication au public des contenus de ces agences, y compris les activités des agrégateurs et moteurs de recherche dans la mesure où ceux-ci retirent des bénéfices de ces activités de façon directe (commercialisation des liens par les agrégateurs) ou indirecte (captation de l'audience, conservation de l'internaute dans l'écosystème du moteur de recherche, rémunération du moteur par la publicité réalisée sur les services connexes pour les moteurs) sans assumer la charge des investissements nécessaires à la production journalistique qu'ils exploitent.

La proposition de loi a donc pour objet d'instaurer un droit voisin au profit des agences de presse qui leur permettra d'assurer, d'une part, une meilleure protection de leurs contenus, à l'instar de ce qui existe déjà pour d'autres acteurs des industries culturelles (éditeurs de phonogrammes et de vidéogrammes ; entreprises de communication audiovisuelle) et, d'autre part, le développement de leurs structures et de leurs produits, en protégeant leurs investissements tant humains, que financiers.

En France, depuis 1985, coexistent les régimes de droit d'auteur et de droits voisins, en vertu de l'article L.211-1 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que « les droits voisins ne portent pas atteinte aux droits des auteurs. En conséquence, aucune disposition du présent titre ne doit être interprétée de manière à limiter l'exercice du droit d'auteur par ses titulaires ». Ces deux types de droits concernent les artistes-interprètes, les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, ainsi que les entreprises de communication audiovisuelle. L'extension de ce modèle au secteur des agences de presse s'effectuerait donc sans impact sur les droits des auteurs.

La création d'un droit voisin pour les agences de presse entrainerait une meilleure protection pour les auteurs car ces derniers sont rémunérés par les agences auxquelles ils ont cédé leurs droits.

Le droit d'auteur s'appliquant oeuvre par oeuvre, l'auteur ou son ayant-droit doit apporter la preuve de l'originalité de l'oeuvre pour chaque acte de contrefaçon. Avec la « viralité » du net et la multitude des éléments d'information ainsi diffusés, il est matériellement impossible de poursuivre chaque utilisation et exploitation illicite. Le droit voisin permettra donc de suppléer cette incapacité matérielle, en attribuant un droit sur l'intégralité de la production des agences de presse, sans que l'agence ait besoin de démontrer la contrefaçon pour chaque utilisation indue.

Le dispositif se propose donc de créer un nouveau chapitre dans le Code de la propriété intellectuelle afin d'instituer un droit voisin au profit des agences de presse ( article 3 ). L' article 4 définit le champ d'application de ce nouveau droit voisin.

L' article 5 définit la notion de service automatisé de référencement d'images.

L' article 6 organise la gestion, par les sociétés de perception et de répartition des droits, du nouveau droit créé au profit des agences de presse pour exploitation en ligne de leurs productions et l' article 7 fixe les conditions d'agrémentation de ces sociétés. Parce que le rapport de force est déséquilibré entre les agences de presse et les géants de l'internet, ne permettant pas aux premières de faire valoir individuellement leurs droits, il est important de compléter ce dispositif par la mise en gestion de ce droit voisin auprès des sociétés de gestion collective, ce qui facilitera la collecte des redevances et leur répartition entre les multiples acteurs.

L' article 8 fixe les modalités de calcul de la rémunération due au titre de l'exploitation par des services automatisés de référencement d'images, des productions des agences de presse et soumet à conventionnement (ou, à défaut, à la décision d'une commission ad hoc ), les modalités de versement de cette rémunération.

L' article 9 fixe le délai d'entrée en vigueur du dispositif de la présente proposition de loi.

Les articles 1 et 2 procèdent, au sein du code de la propriété intellectuelle, à des coordinations rendues nécessaires par la mise en place du nouveau droit voisin.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Le dernier alinéa de l'article L. 211-3 du code de la propriété intellectuelle est ainsi rédigé :

« Les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de l'interprétation, du phonogramme, du vidéogramme, du programme ou de la production ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'artiste-interprète, du producteur, de l'entreprise de communication audiovisuelle ou de l'agence de presse ».

Article 2

L'article L. 211-4 du même code est complété par un V ainsi rédigé :

« V.- La durée des droits patrimoniaux des agences de presse est de cinquante années à compter du 1 er janvier de l'année civile suivant celle de la première communication au public des productions mentionnés à l'article L. 218-1 ».

Article 3

Le Titre unique du livre II de la première partie du code de la propriété intellectuelle est complété par un chapitre VIII ainsi rédigé :

« CHAPITRE VIII

« Droits des agences de presse »

« Art. L. 218-1 - Sont soumises à l'autorisation de l'agence de presse la reproduction et la communication au public de ses productions, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l'image de la production lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l'image.

« Sont dénommées agences de presse, les entreprises inscrites auprès de la Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse et dont la liste est publiée au Journal Officiel .

« Sont dénommées productions, les éléments d'informations collectés, traités, mis en forme et fournis par les agences de presse après en avoir fait, sous leur propre responsabilité, un traitement journalistique. »

« Art. L. 218-2 - On entend par service automatisé de référencement d'images, au sens du présent chapitre, tout service de communication au public en ligne dans le cadre duquel sont reproduites et mises à la disposition du public, à des fins d'indexation et de référencement des productions des agences de presse, collectées de manière automatisée à partir de services de communication au public en ligne. »

« Art. L. 218-3 - I. - La publication de la production d'une agence de presse, à partir d'un service de communication au public en ligne emporte la mise en gestion, au profit d'une ou plusieurs sociétés régies par le chapitre unique du Titre II du Livre III et agréées à cet effet par le ministre chargé de la culture, du droit de reproduire et de représenter cette production dans le cadre de services automatisés de référencement d'images.

« À défaut de désignation par l'agence de presse, à la date de la publication de la production, une des sociétés agréées est réputée gestionnaire de ce droit.

« II. - Les sociétés agréées sont seules habilitées à conclure toute convention avec les exploitants de services automatisés de référencement d'images aux fins d'autoriser la reproduction et la publication des productions des agences de presse, dans le cadre de ces services et de percevoir les rémunérations correspondantes fixées selon les modalités prévues à l'article L. 218-5.

« Les conventions conclues avec ces exploitants prévoient les modalités selon lesquelles ils s'acquittent de leurs obligations de fournir aux sociétés agréées le relevé des exploitations des productions des agences de presse ainsi que toutes informations nécessaires à la répartition des sommes perçues, aux auteurs ou leurs ayants droit et aux agences de presse. »

« Art. L. 218-4 - L'agrément prévu au I de l'article L. 218-3 est délivré en considération :

« 1° De la diversité des associés ;

« 2° De la qualification professionnelle des dirigeants ;

« 3° Des moyens humains et matériels qu'ils proposent de mettre en oeuvre pour assurer la gestion des droits de reproduction et de représentation des productions des agences de presse, par des services automatisés de référencement d'images.

« Un décret en Conseil d'État fixe les modalités de la délivrance et du retrait de cet agrément. »

« Art. L. 218-5 - I. - La rémunération due au titre de la reproduction et de la représentation des productions des agences de presse, par des services automatisés de référencement d'images est assise sur les recettes de l'exploitation ou, à défaut, évaluée forfaitairement, notamment, dans les cas prévus à l'article L. 131-4.

« Le barème et les modalités de versement de cette rémunération sont fixés par voie de convention entre les sociétés agréées pour la gestion des droits des productions des agences de presse et les organisations représentant les exploitants des services automatisés de référencement d'images.

« La durée de ces conventions est limitée à cinq ans.

« II. - À défaut d'accord conclu dans les six mois suivant la publication du décret en Conseil d'État prévu à l'article L. 218-4, ou si aucun accord n'est intervenu à la date d'expiration d'un précédent accord, le barème de la rémunération et ses modalités de versement sont arrêtés par une commission présidée par un représentant de l'État et composée, en nombre égal, d'une part, de représentants des sociétés agréées conformément au même article L. 218-4 et, d'autre part, de représentants des exploitants de services automatisés de référencement d'images.

« Les organisations amenées à désigner les représentants membres de la commission, ainsi que le nombre de personnes que chacune est appelée à désigner, sont déterminés par arrêté du ministre chargé de la culture.

« La commission se détermine à la majorité des membres présents. En cas de partage des voix, le président a voix prépondérante.

« Les décisions de la commission sont publiées au Journal officiel . »

Article 4

La présente proposition de loi s'applique à compter de la publication du décret en Conseil d'État mentionné au dernier alinéa de l'article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle et, au plus tard, six mois après la promulgation de la présente loi.

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