II. EXAMEN DE L'AVIS
Réunie le jeudi 19 octobre 2000, sous la présidence de M. Jean Delaneau, président , la commission a procédé à l'examen du rapport pour avis de M. André Jourdain sur le projet de loi n° 473 (1999-2000) portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire.
M. André Jourdain, rapporteur pour avis, a indiqué que vingt et un des soixante et un textes ou décisions communautaires concernés par le projet de loi d'habilitation touchaient de près ou de loin aux compétences de la commission des affaires sociales. Il a précisé que le rapport écrit examinerait dans le détail chaque directive.
M. André Jourdain, rapporteur pour avis, a présenté trois observations générales montrant la " particularité " de ce projet de loi.
Il a noté qu'il serait présenté par M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, malgré un " contenu social " très affirmé.
Il a souligné ensuite qu'il n'y avait pas un seul projet de loi mais deux projets de loi d'habilitation : le premier vise à transposer des directives communautaires ; le second va au-delà puisqu'il tend à refondre le code de la mutualité. En conséquence, le titre du projet de loi est incomplet. Il a observé qu'il s'agissait dans les deux cas de répondre à une défaillance, celle des administrations qui restent très en retard dans le domaine de l'adaptation du droit national au droit communautaire, et à une négligence qui relève du Gouvernement maître de l'ordre du jour du Parlement. Il a rappelé que le dépôt d'un projet de loi portant diverses mesures d'ordre social (DMOS) était attendu depuis avril 1996. Il a précisé que le Gouvernement n'avait pas jugé bon d'inscrire à l'ordre du jour le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine social, pourtant adopté au Conseil des ministres du 10 mai 2000.
M. André Jourdain, rapporteur pour avis, a observé enfin qu'un certain nombre de projets d'ordonnances semblaient déjà connus, comme les dix-huit dispositions communautaires dont l'adaptation était prévue par le projet de loi précité portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine social, les deux dispositions présentes dans le projet de loi de modernisation sociale mais également le " projet de loi relatif au code de la mutualité et portant modification du code de la sécurité sociale et du code des assurances ", texte soumis au Conseil d'Etat, en instance d'adoption au Conseil des ministres le 1 er août 2000 et auquel fut substituée in extremis une " communication " de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.
Abordant le choix de la procédure, M. André Jourdain, rapporteur pour avis, a cité le compte rendu du Conseil des ministres du 5 septembre 2000 : " concernant des textes pour l'essentiel techniques, ce projet de loi d'habilitation préserve les droits du Parlement en allégeant son programme de travail ". Il a estimé, non sans ironie, que le recours aux ordonnances relevait d'un souci qui ne saurait laisser indifférent. Il a observé que cette procédure présentait toutefois le risque de demander au Parlement d'entériner, en quelque sorte selon la formule du vote bloqué, le texte largement diffusé du code de la mutualité. Il a précisé que la commission n'avait pas à approuver ou à désapprouver le contenu de la refonte du code de la mutualité, de toute façon susceptible de modifications par le Gouvernement jusqu'à la parution de l'ordonnance. Il a considéré que la commission ferait part de ses propositions, de ses observations et de ses éventuelles critiques à l'occasion du débat sur la ratification de l'ordonnance, qu'il espérait le plus rapide possible.
Revenant sur la genèse de cette refonte du code de la mutualité, M. André Jourdain, rapporteur pour avis, a indiqué que les directives communautaires de 1992, dites directives assurances, s'appliquaient aux mutuelles à la demande même du mouvement mutualiste. Il a précisé que ces directives posaient le " principe de spécialité ", imposant aux " entreprises d'assurance communautaires " de gérer dans une personne morale distincte les activités qui ne découlent pas de leurs opérations d'assurances. Il a observé que la grande majorité des mutuelles ne se limitaient pas aujourd'hui au seul remboursement des dépenses non prises en charge par la sécurité sociale puisqu'elles gèrent par exemple des centres d'optique, des centres dentaires et des établissements de soins. Il a ajouté que les directives harmonisaient également les règles prudentielles applicables à l'ensemble des entreprises d'assurance, en les obligeant principalement à disposer d'une marge de solvabilité et de fonds propres.
M. André Jourdain, rapporteur pour avis, a rappelé que la France devait transposer ces directives dans le droit national avant le 31 décembre 1993 et que ces directives avaient été transposées aux sociétés d'assurance en janvier 1994 et aux institutions de prévoyance en août 1994. Il a observé que la transposition de ces directives aux mutuelles avait été un processus beaucoup plus complexe. Il a précisé que la Cour de justice des communautés européennes avait condamné pour non-transposition la France en décembre 1999. Il a ajouté que le versement d'astreintes n'était désormais plus très éloigné.
M. André Jourdain, rapporteur pour avis, a estimé que le projet de code de la mutualité était directement issu des orientations du rapport de M. Michel Rocard, rendu en mai 1999. Deux atténuations sont apportées au principe de spécialité :
- tout d'abord, les mutuelles assurance pourront créer des " mutuelles soeurs " ; l'assemblée générale sera unique, même si les conseils d'administration seront différents. Les transferts financiers entre la mutuelle " santé " et la mutuelle " oeuvres sociales " devront respecter les règles prudentielles ;
- ensuite, les mutuelles santé pourront conserver leurs " opérations sociales ", si et seulement si elles présentent un " caractère accessoire " et si elles sont réservées aux membres de la mutuelle.
M. André Jourdain, rapporteur pour avis, a précisé que ces deux atténuations avaient été -semble-t-il- négociées avec la Commission européenne. Il a indiqué que la transposition des directives s'accompagnait d'une refonte complète du code de la mutualité, permettant de le " moderniser ". Les principes mutualistes sont réaffirmés et explicités : absence de sélection des risques, absence de sélection à l'entrée, absence de questionnaire médical, absence de modulation en fonction du risque, caractère viager de la garantie. Le rôle de l'assemblée générale, élément démocratique essentiel d'une mutuelle, est mis davantage en valeur. Le statut de l'élu est revu, pour le rapprocher de celui du militant syndical. Des règles de cumul et des limites d'âge des administrateurs sont posées. Par ailleurs, le texte prévoit de contrôler la qualification professionnelle et l'honorabilité des dirigeants de la mutuelle. La notion tout à fait nouvelle de " contrat mutualiste " est introduite dans le code. Elle est formalisée par la signature du contrat d'adhésion et constituée des droits et obligations figurant dans les statuts et règlements. Les fédérations de mutuelles voient leur rôle renforcé. Elles pourront créer un " système fédéral de garanties ", auquel se substituera, de manière complémentaire, un " fonds de garantie " spécifique aux mutuelles. Le Conseil supérieur de la mutualité voit son rôle rénové, par la tenue d'un registre des mutuelles.
M. André Jourdain, rapporteur pour avis, a considéré que le texte dépassait à l'évidence un contenu " pour l'essentiel technique ".
Il a observé que la procédure de recours aux ordonnances présentait un certain nombre de risques : la transposition de directives communautaires par voie d'ordonnances n'est pas le meilleur moyen de faire reculer l'euro-scepticisme ; le Parlement, et par là même les citoyens, seront exclus de tout " un débat de société ", selon la formule de M. Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois.
M. André Jourdain, rapporteur pour avis, a estimé que le projet était certainement perfectible. Il a rappelé que l'objet même de la discussion législative était d'enrichir un projet de loi. Il a considéré que le projet était imparfait par ses ambiguïtés comme le montre l'exemple des " opérations accessoires ". Il a ajouté que le projet était imparfait en raison de ses absences, la question du statut fiscal des mutuelles n'étant toujours pas réglée. Il a observé qu'un risque sérieux pesait sur les " petites mutuelles " alors qu'une disposition des directives de 1992 -qui n'est pas utilisée par le projet de code- prévoit que les Etats membres peuvent les exclure de leur champ d'application.
M. André Jourdain, rapporteur pour avis, a proposé toutefois de privilégier l'impératif de rapidité, la question de la transposition des directives assurances aux mutuelles n'ayant que trop duré.
Il a indiqué, en conclusion, avoir tenu compte de l'urgence qui s'attache à la transposition des directives communautaires et de la position particulière de la France qui préside l'Union européenne au cours de ce second semestre 2000.
Il a proposé, à l'article premier, d'écarter deux directives du champ de l'habilitation. Pour celle du 19 octobre 1992 concernant la mise en oeuvre de dispositions relatives à " la sécurité et à la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail ", le Gouvernement semble avoir oublié, dans son projet d'ordonnance, un certain nombre de points importants. Pour celle du 29 juin 1998 relative à la sauvegarde des droits à pension complémentaires, qui doit être transposée avant le 1 er juillet 2001, il a estimé que le Parlement avait le temps de discuter, par exemple dans le cadre du projet de loi de modernisation sociale, de sa transposition avant toute condamnation par les autorités bruxelloises.
M. André Jourdain, rapporteur pour avis, a considéré que la transposition " simple " des directives assurances apparaissait difficilement dissociable de la refonte du code de la mutualité. Il a proposé cependant, par la voie d'un amendement à l'article 5, d'enserrer le Gouvernement dans un délai beaucoup plus court pour prendre l'ordonnance : trois mois au lieu de six mois. Il a estimé que le projet de loi de ratification pourrait ainsi faire l'objet d'un débat approfondi avant la fin de la session parlementaire.
M. Guy Fischer a annoncé que le principe même du recours aux ordonnances ferait l'objet d'une opposition du groupe communiste républicain et citoyen (CRC). Il a déploré l'excessive complexité des textes communautaires. Il a considéré qu'il était impossible, pour un " simple parlementaire ", dans les délais impartis, de les étudier en détail. Il a estimé que la refonte du code de la mutualité aurait certainement mérité un débat. Il a rappelé que les mutuelles se trouvaient confrontées à des réalités financières de plus en plus difficiles. Il a ajouté que la situation des mutuelles et des compagnies d'assurances n'était pas comparable, en raison des principes mutualistes. Aussi a-t-il précisé que le groupe communiste républicain et citoyen était favorable à l'article 3 du projet de loi.
Mme Nelly Olin a approuvé les orientations présentées par le rapporteur.
M. Claude Domeizel a estimé que le recours aux ordonnances n'était jamais bien perçu par les parlementaires. Il a considéré que l'urgence expliquait cette formule. Il a rappelé que les responsables mutualistes en étaient demandeurs. Il a précisé que le groupe socialiste ne souscrivait pas aux amendements présentés par le rapporteur.
M. Jean-Louis Lorrain a évoqué le danger, souligné par le rapporteur, de réveiller l'euro-scepticisme. Il a comparé ce projet de loi à une " session de rattrapage ". Il a noté qu'un très grand nombre de secteurs, et pas seulement le mouvement mutualiste, étaient concernés. Il a indiqué qu'il n'était pas tout à fait normal que les présidents des deux grandes fédérations de mutuelles considèrent l'intervention du Parlement comme superfétatoire.
M. Alain Gournac a approuvé l'analyse et les conclusions retenues par le rapporteur. Il a regretté la négligence et la défaillance des administrations et du Gouvernement. Revenant sur l'euro-scepticisme, il a constaté qu'il était très difficile d'expliquer sur le terrain les bienfaits de la construction européenne.
M. Philippe Darniche a considéré " en tant qu'euro-sceptique déclaré " que la voie des ordonnances pour transposer les directives communautaires était particulièrement détestable. Il a estimé que les dispositions ne feraient que renforcer le fossé entre les citoyens et la construction d'une certaine Europe. Il a indiqué que, malgré l'excellence des analyses présentées par le rapporteur, il n'en partageait pas les conclusions.
M. Jean Delaneau, président, a rappelé qu'il existait encore des directives communautaires à transposer. Il a observé que le versement d'astreintes n'était assorti d'aucun dispositif exécutoire, ce qu'avait confirmé M. Pierre Moscivici, ministre délégué aux affaires européennes, lors de l'audition organisée par la commission des lois le 17 octobre dernier.
M. André Jourdain, rapporteur pour avis, a confirmé qu'il n'existait pas de " huissier européen " et par là même qu'il n'y avait pas de dispositif obligeant les Etats à s'acquitter de leurs astreintes.
Répondant aux différents intervenants, il a réaffirmé que le fait que la France préside l'Union européenne au cours du second semestre de l'année 2000 était un argument fort pour justifier une transposition rapide, à travers le recours aux ordonnances. Il a évoqué les risques d'insécurité juridique auxquels les mutuelles sont soumises. Il a précisé que M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire, s'était engagé, en ce qui concerne la refonte du code de la mutualité, au dépôt et à la discussion d'un projet de loi de ratification.
Puis la commission a abordé l'examen des articles et des amendements proposés par le rapporteur pour avis.
A l'article premier (habilitation à transposer par voie d'ordonnances cinquante directives ou parties de directives), la commission a adopté deux amendements visant à supprimer du champ de l'habilitation la transposition par voie d'ordonnances de la directive 92/85/CEE du Conseil du 19 octobre 1992 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (14° du I de l'article premier) et de la directive 98/49/CE du Conseil du 29 juin 1998 relative à la sauvegarde des droits à pension complémentaire des travailleurs salariés et non salariés qui se déplacent à l'intérieur de la communauté (24° du I de l'article premier). Elle a donné un avis favorable à l'article premier ainsi amendé.
Elle a donné également un avis favorable à l'adoption des articles 2 (habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour permettre l'application de certaines dispositions du droit communautaire) et 3 (habilitation à procéder par ordonnance à la refonte du code de la mutualité).
A l'article 5 (délais pour prendre les ordonnances et déposer les projets de loi de ratification), la commission a adopté un amendement tendant à réduire de six à trois mois le délai laissé au Gouvernement pour prendre l'ordonnance visée à l'article 3 et donné un avis favorable à l'adoption de l'article 5 ainsi amendé.
Puis la commission a décidé de donner un avis favorable aux dispositions du projet de loi ainsi amendées.