B. UN LECTORAT VIEILLISSANT
L'un des soucis majeurs que suscite l'environnement économique de la presse reste le vieillissement du lectorat. Il appartient naturellement au premier chef aux éditeurs de presse d'organiser la reconquête du lectorat par des politiques éditoriales adaptées, ce qui est devenu leur souci majeur depuis que la crise publicitaire des années 1990 a rappelé à d'aucuns cette vérité d'évidence que la presse n'existe que par ses lecteurs. Les pouvoirs publics doivent cependant assumer un rôle d'appui absolument fondamental pour faciliter l'accès de tous, et en particulier des jeunes, à la presse écrite. Quelques pistes seront tracées ci-dessous à cet égard.
1. La structure du lectorat
• Par type de presse
Seuls les chiffres de 1998 sont ici disponibles. Si l'on retient la diffusion totale annuelle comme indice de l'évolution du lectorat, on constate en 1998 une diminution de 0,9 % (hors gratuits d'annonces) pour l'ensemble de la presse. Pour la presse nationale d'information générale et politique, la diminution a été de 0,4 %, et de 0,9 % pour la presse spécialisée technique et professionnelle. En revanche, la presse locale d'information générale et la presse spécialisée grand public ont enregistré une augmentation, respectivement de 0,3 % et de 3,3 % de leur diffusion.
• Par tranches d'âge
Le lectorat de la presse est réparti à 45,4 % dans la tranche d'âge des plus de 55 ans ; à 26,1 % dans celle des 35 à 54 ans ; à 15 % dans celle des 25 à 34 ans et à 13,5 % dans celle des 15 à 24 ans.
Le vieillissement progressif de la population française, que les statistiques confirment d'année en année, ne peut tenir lieu de consolation à l'égard de cette structure du lectorat.
2. La nécessité d'une stratégie de reconquête
On ne mentionnera ici, sommairement, que les actions dont il appartient à l'Etat d'appuyer la mise en oeuvre.
• La presse à l'école
Former la jeunesse à la lecture de la presse, d'abord en mettant celle-ci à sa portée, et ceci concerne avant tout la presse d'information politique et générale, est indispensable.
Votre rapporteur s'attache depuis plusieurs années à promouvoir l'idée de créer un fonds de concours destiné à permettre à l'ensemble des classes des établissements d'enseignement de disposer à des conditions favorables d'abonnements aux journaux de toutes tendances.
Interrogée lors de son audition du 17 octobre, Mme Catherine Tasca a présenté une réponse peu encourageante. Selon elle, le dossier de la presse à l'école est difficile à traiter : " toute réflexion serait bienvenue concernant la possibilité de mettre à la disposition de chaque classe des journaux représentant la diversité des opinions ; cela peut poser problème, toutefois, dans la mesure où les titres existants n'épuisent pas la notion de pluralisme " .
Mme Tasca a aussi rappelé que le CLEMI organisait périodiquement des opérations importantes. Votre rapporteur observe à cet égard que si ces opérations utiles mais ponctuelles peuvent être menées, c'est sans doute parce que le respect du pluralisme n'y fait pas obstacle. L'objection de Mme Tasca manque donc de consistance et la suggestion de votre rapporteur devrait faire enfin l'objet d'un examen sérieux de la part de l'Etat et des organismes représentatifs de la presse.
• La distribution
La distribution est un instrument essentiel de la reconquête du lectorat. Sa modernisation pose des problèmes très divers et très techniques qui ont fait l'objet d'un rapport pour information de votre commission en 1994 et ne seront évoqués, dans la troisième partie de ce rapport, que par le biais, particulièrement actuel et urgent, de la réforme des NMPP.
• La publicité de la presse à la télévision
L'accès de la presse à la publicité télévisée, interdit par un décret n° 92-280 du 27 mars 1992, est depuis longtemps l'objet d'un débat auquel il est difficile de trouver une réponse univoque. Il a récemment resurgi sous la forme d'une polémique autour d'une décision du CSA d'autoriser la diffusion télévisuelle de messages publicitaires pour les sites internet de la presse.
Le CSA avait décidé le 22 février 2000 de permettre l'accès à la publicité télévisée des sites internet, y compris ceux des secteurs interdits tels que la presse, la distribution, le cinéma et l'édition. Il avait considéré que les activités des sites internet constituaient un secteur économique nouveau et spécifique auquel les restrictions d'accès à la publicité télévisée prévues par l'article 8 du décret du 27 mars 1992 ne devaient pas être appliquées.
Le Conseil d'Etat, saisi par un certain nombre d'organisations professionnelles, a annulé le 3 juillet 2000 la décision formulée par le communiqué n° 414 du CSA, au motif que celui-ci n'était pas compétent pour fixer une règle juridique nouvelle.
L'arrêt du Conseil d'Etat manifeste surtout l'opposition persistante de cette juridiction à l'émergence d'une fonction régulatrice analysée par elle comme un corps étranger à notre système juridique 1 ( * ) (et pourtant elle tourne, la régulation, constaterait Galilée s'il était encore de ce monde et suffisamment juriste pour en juger !). La question de fond n'est pas résolue par cette décision de justice.
Dès le 6 juillet, la ministre de la culture et de la communication a annoncé sa décision " d'engager une large consultation sur l'accès à la publicité télévisée des secteurs interdits, en vue d'une éventuelle modification de l'article 8 du décret du 27 mars 1992 ". (...) " Les technologies numériques modifient profondément le paysage audiovisuel " , a estimé Mme Tasca, pour qui " le déploiement de la télévision numérique de terre, le développement de l'internet et des hauts débits et le rôle accru de la publicité dans l'économie renforcent la nécessité de conduire une évaluation des dispositions de régulation actuellement applicables en vue de les adapter si nécessaire, en fonction des spécificités de chacun des secteurs, aux évolutions constatées ou prévisibles " .
Mme Tasca a aussi estimé que " les restrictions en vigueur ont été établies dans le cadre d'une politique en faveur du pluralisme et que ces objectifs demeurent une priorité ". (...) " Ils ne peuvent être assujettis aux seules conditions économiques " .
Ces dernières remarques, qui semblent très largement préjuger des résultats de la concertation engagée entre les différents intéressés sous les auspices de la direction du développement des médias du ministère, rencontrent l'argumentation développée par les organisations syndicales de la presse hostiles à l'ouverture.
Dans une tribune libre publiée par le Nouvel Observateur en date du 14 septembre 2000, M. François d'Orcival, président du syndicat professionnel de la presse magazine et d'opinion, a justifié ainsi le maintien de l'interdiction et son extension aux sites internet de la presse : " Certes, les sites internet n'existaient ni en 1986 ni en 1992, mais ceux-ci ne sont que la déclinaison par un autre moyen technique des mêmes activités. La question posée, et à laquelle le législateur de droite de 1986, puis le gouvernement de gauche de 1992, avaient l'un et l'autre déjà répondu " non ", est donc celle-ci : la presse, l'édition ou le cinéma doivent-ils avoir accès à la publicité télévisée ? La nouvelle économie, la mondialisation ont-elles changé quoi que ce soit au débat ? Nullement. Elles l'ont rendu seulement plus sensible et plus vif.
La réponse à la question n'est pas " parce que ", comment veut le faire croire la campagne en question. La réponse, c'est tout simplement : pour que la presse puisse rester libre. La liberté n'a jamais été celle du renard libre dans le poulailler libre. La liberté est trop précieuse pour ne pas être protégée. Elle ne peut l'être que par la loi.
Cette liberté, pour ce qui nous concerne, ne peut être que la pluralité des titres, des journaux, des opinions. En quoi l'ouverture à la publicité télévisée peut-elle porter atteinte à ce pluralisme ? Parce que ? Eh bien, oui, parce qu'elle éliminera de l'accès au public les plus faibles en ressources financières, parce qu'elle favorisera ainsi un peu plus les mégagroupes au détriment des plus petits, parce qu'elle étouffera la diversité au profit des concentrations. Bref, parce que l'on est en train de chercher à tout prix à changer les règles du jeu. "
Le syndicat de la presse magazine et d'information (SPMI), favorable depuis plusieurs années à l'ouverture de la publicité télévisée à la presse, a de son côté regretté la décision du Conseil d'Etat, notant qu'alors que l'ensemble des sites internet proposent de l'information, " la presse, dont c'est le métier, se trouve nettement défavorisée dans cet univers de concurrence déloyale " . Pour lui, " les éditeurs restent parqués dans leur " réserve d'indiens ". Seuls les archaïsmes que la société français se complaît parfois à cultiver permettent d'expliquer cette contradiction ". Citant les résultats d'une étude, le SPMI note aussi que l'accès à la publicité télévisée des sites de presse aurait sans doute permis de pallier les difficultés " d'accessibilité mentale " des médias.
Ce dernier point de vue est essentiel pour la stratégie de reconquête du lectorat dont le présent rapport souhaite le lancement. Aussi apparaît-il à votre commission nécessaire de compléter les objectifs un peu sommairement assignés par Mme Tasca à la concertation en cours par une étude approfondie du concours que la publicité télévisée pourrait assurer au développement de ce produit de presse nouveau que sont les sites internet de la presse.
Il y a sans doute moyen de définir de façon pragmatique un partage équitable entre les préoccupations tenant au maintien de la diversité des titres et celles inspirées par le souci de favoriser l'accès de la presse à ses lecteurs potentiels.
C'est ce que le CSA cherchait à faire, en lançant après la publication du communiqué n ° 414 une série d'auditions dont la livraison de mars 2000 de la lettre du CSA définissait ainsi les objectifs :
" Les auditions actuellement en cours visent à préserver les équilibres économiques existants en permettant de définir, dans la plus large concertation, des conditions d'application aptes à éviter toute vente directe de produits et de services, proscrite par l'article 2 du décret n° 92-280, ainsi que toute publicité indirecte ou déguisée pour les secteurs qui demeurent interdits d'accès à la publicité télévisée.
Une fois ces conditions d'application arrêtées et entrées en vigueur, c'est au vu de l'évolution du nouveau marché de l'internet, de sa dimension internationale et des textes applicables que le Conseil étudiera à nouveau, au terme d'une période expérimentale de dix-huit mois, les conditions d'accès à la publicité télévisée des sites internet ".
La voie réglementaire, désormais seule ouverte, permettra-t-elle une telle précision dans les éventuels ajustements, et le suivi réactif de l'évolution du dossier ?
* 1 Cf. Commission du rapport du Conseil d'Etat, Etudes et documents du Conseil d'Etat, 1983-1984, n° 35.